Année 1961: La Proclamation De La République Rwandaise
L’année 1961 débuta pour le Rwanda par la Conférence d’Ostende. Patronnée par les Nations Unies, cette conférence fut la dernière tentative de conciliation générale. Elle échoua car peu après que la Belgique eut accepté de retarder les élections, un coup d’état instituait la république.
LE COLLOQUE D’OSTENDE (7-12 janvier 1961)
1° Synthèse des débats de la Conférence d’Ostende (Extraits)
Question n° 1 : Date des élections législatives
Au cours des débats qui se sont déroulés le lundi 9 décembre sur la question de la date des élections législatives au Rwanda et au Burundi, deux tendances principales se sont manifestées.
Les tenants de la première estiment qu’il convient de maintenir les élections à la date qui fut fixée par la Belgique en tenant compte du rapport de la Mission de visite et de celui du Conseil de tutelle, date qui fut approuvée lors des colloques de Kisenyi et de Kitega. Les élections doivent donc, pour ces personnes, avoir lieu dans le courant du mois de janvier 1961 au plus tard.
Se rallièrent à cette opinion les membres du gouvernement provisoire ainsi que les dirigeants du Parmehutu et de l’Aprosoma.
Plusieurs de ces membres ont ajouté qu’ils ne s’opposaient nullement mais au contraire souhaitaient la venue de la Commission de l’O.N.U. ; mais que la Commission devait, dans ce cas, venir tout de suite pour surveiller les élections (MM. Biroli, Bitolirobe, Cyimpaye, Gasingwa, Kayibanda, Murindahabi, Ngowenubuza, Ntidendereza).
Les tenants de la deuxième tendance demandent que l’on s’en tienne au point 7 de la résolution 1579 de l’Assemblée générale de l’O.N.U. qui recommande le report des élections à une date qui sera fixée à la reprise en mars de la quinzième session à la lumière des recommandations de la Commission de l’O.N.U., afin notamment que les arrangements relatifs aux élections puissent être terminés sous la surveillance de l’O.N.U.
Cette opinion a été défendue par :
- Ndazaro, représentant du Rader (Rwanda) ;
Ndangamira, représentant du Rader (Rwanda) ;
Des opinions plus nuancées ont été exprimées par :
- Bankumuhari, représentant de l’Uprona (Burundi) ;
Siryuyumunsi, représentant de l’Uprona (Burundi) qui estiment que les élections peuvent avoir lieu un certain temps, par exemple deux mois, après l’arrivée de la Commission de l’O.N.U. au Ruanda-Urundi.
Le Président de la Commission des Nations Unies rappelle que les rapports de la Mission de visite du Conseil de tutelle mentionnent, certes, le début de 1961 mais que cette proposition ne signifie nullement que les élections doivent nécessairement avoir lieu en janvier 1961.
C’est en tenant compte de tous les nouveaux éléments d’appréciation et désireuse que les élections se déroulent dans les conditions les plus satisfaisantes, que l’Assemblée générale a recommandé le renvoi des élections à une date qui sera fixée lors de la reprise de la quinzième session de l’Assemblée générale, à la lumière des recommandations de la Commission. Quant au désir de certains, concernant la venue au Territoire tout de suite de la Commission des Nations Unies, celle-ci a précisé qu’outre les dispositions pertinentes de la résolution relative à la date des élections, les opérations de supervision exigeraient un plus long délai que celui qui est actuellement prévu.
Question no 3 : Réconciliation au Rwanda
Il résulte des débats que les dissensions divisant les Banyarwanda sont essentiellement d’ordre politique. Elles auraient à leur base : le problème mwami, l’attitude du Parmehutu, le reclassement des réfugiés, etc.
Le premier problème surtout a été discuté.
Pour les uns, il suffit pour le trancher, de recourir à un referendum comme le prévoit la résolution 1580 (XV) de l’Assemblée générale des Nations Unies (M. Ndazaro, représentant du Rader).
Pour les autres, ce referendum n’est pas actuellement admissible. Ce referendum précisent d’aucuns ne pourrait être organisé que si les institutions définitives du pays en prévoyaient la possibilité (MM. Cyimana, Ministre des finances, Haba, représentant du Parmehutu).
Monsieur l’Ambassadeur Dorsinville, Président de la Commission des Nations Unies, tient à préciser que la résolution concernant le Mwami a pour objet de faire résoudre par un referendum organisé sous la surveillance de l’Organisation des Nations Unies le problème du Mwami par le peuple rwandais lui-même, en toute liberté.
Les représentants des partis Aprosoma et Parmehutu et M. Gitera, Président du Conseil du Rwanda, s’opposent formellement au retour du Mwami Kigeri V, qu’ils considèrent comme la cause principale des troubles de novembre 1959 et auquel ils reprochent de graves infractions relevant des tribunaux répressifs (Gasingwa, Président de l’Aprosoma, Murindahabi, Président du Parmehutu).
Le gouvernement provisoire déclare que pour la paix du pays il ne peut être question de remettre le Mwami Kigeri à la tête du Rwanda. Il déclare que les institutions émanant des élections législatives se prononcent définitivement sur la forme du Gouvernement du Rwanda.
Quant au second problème, MM. Ndazaro et Gitera estiment qu’il appartient à la tutelle d’empêcher qu’aucun parti puisse avoir une attitude dictatoriale. C’est à elle à rétablir l’équilibre entre les partis.
Pour M. Ndazaro, cet équilibre pourrait consister à désigner deux ministres de chacun des quatre partis et à mettre un tiers de Tutsi et deux tiers de Hutu au Conseil ainsi que dans l’armée, la police, la justice, etc. Cette proposition est combattue par MM. Gitera, Président du Conseil, Kayibanda, Chef du gouvernement provisoire et Murindahabi, représentant du Parmehutu. Ceux-ci estiment qu’une formule ethnique ne peut constituer le fondement d’une réconciliation.
Le chef du gouvernement provisoire du Ruanda et la plupart des délégués estiment que les problèmes politiques qui se trouvent à la base de la réconciliation et de la pacification des esprits seront nécessairement résolus par les institutions définitives à mettre en place après les prochaines élections.
Actuellement déjà, les institutions provisoires se penchent activement sur ces problèmes. Mais il convient pour les résoudre pleinement de mettre fin à l’état de tension que cause l’attente des élections et de donner aux institutions une assise stable et définitive (MM. Cyimana, Ministre des finances, Gasingwa, représentant de l’Aprosoma, Gitera, Président du Conseil, Haba, représentant du Parmehutu et Kayibanda, Chef du gouvernement provisoire).
Pour le reste, la réconciliation est affaire de cœur et d’esprit. Dès à présent, déclarent certains, nombreux sont les Bahutu et les Batutsi de bonne volonté qui se mettent ensemble pour construire le pays.
Aux termes des débats, les participants confirment leur volonté de mettre en œuvre les conclusions auxquelles a abouti unanimement le colloque de Kisenyi. Ils souhaitent que la Commission de l’O.N.U. puisse se rendre au Rwanda pour voir sur place ce qui se fait de constructif dans le sens de la réconciliation et de la pacification des esprits.
2° Rapport intérimaire de la Commission des Nations Unies pour le Rwanda-Burundi (Extraits)
- — Conférence d’Ostende
Au cours d’un séjour de deux jours à Bruxelles, les 5 et 6 janvier 1961, la Commission eut des contacts officieux avec le Ministre des affaires étrangères, le Ministre des affaires africaines et des fonctionnaires de ces ministères. Elle se rendit alors à Ostende où s’ouvrait, le 7 janvier, la conférence politique du Rwanda et du Burundi, sous la présidence de M. Van den Abeele, Secrétaire général du Ministère des affaires africaines.
Cette conférence étant considérée par le Gouvernement belge comme une suite logique des colloques de Kisenyi et de Kitega : la composition des délégations du Ruanda-Urundi fut semblable à celles des délégations qui avaient participé à ces colloques. Parmi les participants à la conférence, on pouvait compter, outre le Président, 10 représentants de l’Autorité administrante, 8 représentants du gouvernement provisoire et du Conseil du Rwanda, 8 commissaires du pays du Burundi, 2 représentants de la Commission intérimaire du Burundi, 12 représentants des quatre principaux partis politiques du Rwanda et 10 représentants des six principaux partis politiques du Burundi.
Le nombre de sièges réservés à chaque parti était, dans une large mesure, basé, comme pour les colloques précédents, sur les résultats des élections communales. C’est ainsi que, pour le Burundi, le PDC qui avait remporté 924 sièges de conseillers communaux était représenté à Ostende par trois délégués, le PDR et l’Uprona, avec 502 et 545 sièges, respectivement, par deux délégués chacun, et trois autres partis (PP, RPB et UNB) qui avaient remporté de 109 à 221 sièges, par un délégué chacun. Neuf autres partis politiques qui avaient obtenu moins de 50 sièges aux élections communales n’étaient pas représentés à Ostende. Le même principe fut suivi pour les partis politiques du Rwanda : 6 représentants pour le Parmehutu, 2 représentants chacun pour l’Aprosoma, le Rader et l’Unar.
Cette représentation ne tenait pas compte de l’affiliation politique de ceux qui participaient à la conférence à un autre titre, comme par exemple celui de membre du Gouvernement et du Conseil provisoire du Rwanda, de membre de la Commission intérimaire du Burundi et de commissaire du Burundi. Si l’on tient compte de ces appartenances, pour le Rwanda, la représentation de facto du Parmehutu était de neuf personnes, celle de l’Aprosoma de quatre, celle du Rader de deux et celle de l’Unar de deux. Cette situation fit l’objet de vives protestations de la part des représentants des deux derniers partis mentionnés qui, dès le début de la réunion, demandèrent la participation d’autres dirigeants de leurs partis. Ils finirent par s’absenter des réunions le dernier jour de la conférence.
La conférence fut ouverte par un discours du Ministre des affaires africaines. Passant en revue le programme de développement politique du Territoire, le Ministre annonça que le Gouvernement belge avait récemment fixé les dates précises auxquelles les élections législatives auraient lieu, soit le 18 janvier pour le Burundi et le 23 janvier pour le Rwanda. Après cela, il serait organisé en temps opportun, probablement en mai ou juin 1961, une nouvelle conférence de la table ronde où les Gouvernements autonomes du Rwanda et du Burundi rencontreraient l’Autorité administrante pour se prononcer sur l’accession du Territoire à l’indépendance et sur l’union politique ou économique entre le Rwanda et le Burundi. Ces propositions seraient alors soumises au Conseil de tutelle et à l’Assemblée générale lors de sa seizième session. Il ajouta que les deux résolutions adoptées en décembre par l’Assemblée générale ne pouvaient manquer d’être envisagées avec le plus grand soin, comme élément susceptible d’aider la Belgique à mener à bien la réalisation de sa mission de tutelle et il rappela que la résolution 1579 (XV) prévoyait précisément la réunion d’une conférence à laquelle les partis politiques seraient pleinement représentés et à laquelle des observateurs des Nations Unies pourraient assister, ce qui expliquait la convocation de la présente conférence.
La conférence entreprit alors de discuter les trois points de son ordre du jour : a) la question de la date des élections législatives, b) la question des services communs au Rwanda et au Burundi et c) le problème de la réconciliation au Rwanda. A la fin de la conférence, une synthèse des débats sur chacun de ces points fut adoptée par les participants.
Dès le début, il était clair qu’il y avait peu de chances d’arriver à un accord sur la date des élections ou de réaliser des progrès dans la voie de la réconciliation. L’hostilité entre représentants ruandais de tendances politiques opposées était évidente ; le débat fut acrimonieux et des références malheureuses furent constamment faites au passé. Il était évident que de nombreux participants se méprenaient sur les motifs qui avaient été à la base de l’adoption des résolutions de l’Assemblée générale et qu’ils étaient arrivés à la conférence dans un esprit de défi vis-à-vis des Nations Unies,
Sur le premier point de l’ordre du jour, les représentants du Parmehutu, de l’Aprosoma, du Gouvernement et du Conseil provisoire du Rwanda rejetèrent catégoriquement tout ajournement des élections après le mois de janvier.
Diverses raisons furent données pour justifier cette attitude, notamment qu’il fallait une période de temps suffisamment longue d’autonomie pour préparer l’indépendance, et que d’autre part toute prolongation d’un régime provisoire provoquerait une recrudescence de désordres dans le pays. Les représentants du Rader et de l’Unar insistèrent au contraire sur le fait que les recommandations de l’Assemblée générale devaient être respectées et qu’une période de préparation était nécessaire pour assurer une supervision efficace des élections. L’opinion des représentants du Burundi était également divisée.
Les membres du Front commun voulaient des élections en janvier, tandis que les représentants de l’Uprona, notamment, insistaient pour qu’un délai soit accordé afin d’assurer l’organisation de la campagne électorale et que soient données des garanties destinées à prévenir les abus, notamment les excès de pouvoir et l’influence des administrateurs de province, semblables à ceux qui, selon eux, avaient eu lieu lors des élections communales. Un représentant insista également sur le fait que, pour assurer la liberté des élections, il fallait abroger les pouvoirs que l’Administration détenait en vertu de la législation du 25 octobre 1960 et qui lui permettait de mettre des individus en résidence surveillée et de prendre d’autres mesures restrictives des libertés politiques
La discussion sur la question de la réconciliation au Rwanda se tint en l’absence des délégués du Burundi et n’ajouta guère d’éléments nouveaux aux conclusions du colloque de Kisenyi. Il n’y avait, apparemment, pas à espérer davantage du même groupe de représentants qui avaient déjà discuté ce problème à Kisenyi moins d’un mois auparavant. Pour le chef du gouvernement provisoire et les autres membres du Parmehutu et de l’Aprosoma, la meilleure condition pour la réconciliation nationale était l’existence d’un gouvernement élu et stable, qui seul pouvait assurer la pacification du pays. A leur avis, la continuation d’un régime provisoire créait un état de tension qui mettait obstacle à la réconciliation. Au cours des débats, M. Gitera, Président du Conseil du Rwanda et fondateur de l’Aprosoma, suggéra que si les élections devaient être reportées à une date lointaine toutes les institutions provisoires actuelles devaient devenir définitives jusqu’à ces élections, mais par la suite il déclara qu’après avoir consulté ses amis politiques, il retirait cette proposition et que seules des élections immédiates pouvaient être retenues comme une solution démocratique.
Pour M. Ndazaro, représentant du Rader, le problème essentiel était le fait qu’un régime qui était entièrement dominé par les Tutsi avait été remplacé par un autre où tous les pouvoirs étaient aux mains d’un seul parti, le Parmehutu, groupant des Hutu. Pour en venir à un état de choses plus démocratique, il proposa de répartir les ministères également entre les quatre partis politiques et d’assurer la répartition du Conseil du Rwanda et des postes de l’armée, de la police et de l’organisation judiciaire entre les deux groupes ethniques sur la base d’un tiers tutsi et deux tiers hutu. Cette proposition fut rejetée par les représentants du gouvernement provisoire, de l’Aprosoma et du Parmehutu, qui estimaient qu’une formule ethnique ne pouvait constituer la base d’une réconciliation.
Quant à la question du Mwami du Rwanda, il était apparent qu’aucun compromis n’était possible. Les représentants du Rader et de l’Unar insistaient sur la tenue du referendum tel qu’il était envisagé par la résolution 1580 (XV). Par contre, les représentants de l’Aprosoma et du Parmehutu étaient irréductiblement opposés au retour du Mwami. Selon l’avis de M. Kayibanda, chef du gouvernement provisoire, la question de l’avenir de la monarchie devait être tranchée uniquement par les autorités définitives issues des élections.
La discussion sur le problème de la réconciliation se clôtura par une revue des conclusions déjà adoptées au colloque de Kisenyi. Les représentants de l’Unar et du Rader n’étaient pas présents aux dernières séances, en signe de protestation contre le refus de suspendre les travaux afin de leur permettre de consulter certains dirigeants de leurs partis qui n’avaient pas été invités à la conférence. Les autres participants, notamment les représentants de l’Aprosoma, du Parmehutu, du Gouvernement et du Conseil du Rwanda confirmèrent leur volonté de mettre en œuvre les conclusions du colloque précédent.
(Document des Nations Unies, A14706.)
3° Position du Gouvernement belge (28-1-1961) (Extraits)
Le gouvernement belge avait pour sa part, décidé, dans le cadre du timing général préparatoire à l’accession du Territoire sous tutelle à l’indépendance, que les élections législatives auraient lieu au début de 1961.
Les rapports de la mission de visite des Nations Unies comme du conseil de tutelle font mention de cette intention du gouvernement belge.
Celui-ci avait par la suite avancé la date du 15 janvier et invité les Nations Unies à dépêcher au Ruanda-Urundi, dès le 15 décembre 1960, une commission d’observateurs à ces élections et à la campagne électorale qui devait les précéder.
Nonobstant ce dispositif qui tenait compte des légitimes aspirations de la très grande majorité des populations locales, tendant à accéder rapidement à l’autonomie interne préparatoire à l’indépendance, l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait la résolution que lui proposait la quatrième commission des Nations Unies.
Le gouvernement belge s’est vu, dès lors, dans l’obligation lourde de conséquences, de choisir entre d’une part le fait de satisfaire immédiatement les sollicitations pressantes des populations confiées à sa tutelle et, d’autre part, le fait de prendre en considération la nouvelle recommandation de l’Assemblée générale.
Le gouvernement belge a opté pour cette dernière solution et a, en conséquence, décidé de surseoir à la mise en train immédiate des opérations électorales, et ce, malgré les vœux exprimés, au début de ce mois, par la grande majorité des délégués africains à la conférence d’Ostende, tenue conformément aux termes de la résolution 1579, avant les élections et en présence de la commission des Nations Unies.
La justification de la décision du gouvernement belge est claire.
Il entend avant tout, pour le bien même des populations du Rwanda et du Burundi, que les élections législatives qui doivent avoir lieu dans ces deux pays au début de 1961 ainsi que les organes politiques qui en résulteront ne puissent d’aucune façon être mis en cause.
Aussi, le gouvernement belge, soucieux tout particulièrement de l’avenir des institutions du Rwanda et du Burundi, notamment au regard du contexte international, a estimé en dernière analyse qu’il est de l’intérêt de ces deux pays que les vues exprimées par l’Assemblée générale soient rencontrées.
Il n’en demeure pas moins que dans l’optique du gouvernement belge, il ne peut s’agir que d’un sursis relativement court.
Le gouvernement belge n’a pas manqué d’attirer l’attention de la commission de l’Organisation des Nations Unies sur les dangers nouveaux graves que comporte, pour la paix intérieure du Rwanda et du Burundi, l’application de la recommandation de l’Assemblée générale, en ce qui concerne le report de la date des élections.
Le gouvernement belge désire formellement ne pas retarder les élections au de-là d’une période qui doit être fixée aussi près que possible de la reprise des travaux de la quinzième session de l’Assemblée générale. Le sursis prévu par le gouvernement belge a notamment pour objet de permettre à l’Organisation des Nations Unies, et à la commission qui la représentera sur place, de prendre de manière accélérée toutes les dispositions utiles à la réalisation de la résolution 1579 quant au déroulement des élections législatives, lesquelles doivent absolument demeurer prochaines.
La Belgique estime, par-là, avoir rencontré, au maximum de ses possibilités et à la limite de ses responsabilités telles qu’elles découlent des termes de l’accord de tutelle, les vues et recommandations de l’Assemblée générale.
4° Echanges de lettres consécutives au Colloque d’Ostende
- Lettre du Président de la Commission au Ministre des Affaires Africaines, 24 janvier 1961
Au nom de la Commission des Nations Unies pour le Ruanda-Urundi, j’ai l’honneur d’attirer votre attention sur ce qui suit :
Selon les prévisions de la résolution 1579 de l’Assemblée générale, paragraphe 9 du dispositif, la Commission était appelée à se rendre « immédiatement » au Ruanda-Urundi après avoir assisté à la conférence pré-électorale prévue au paragraphe 4 de ladite résolution.
Il était clair que la Commission ne pouvait exécuter ce mandat tant que le Gouvernement belge ne lui avait communiqué sa décision quant aux suites qu’il pensait donner à la recommandation contenue au paragraphe 7 de la même résolution, concernant le renvoi des élections législatives à une date qui serait fixée à la reprise de la quinzième session.
Au cours de l’entretien du samedi 21 courant, au Ministère des affaires étrangères, la Commission a été heureuse d’apprendre la décision de votre Gouvernement de se conformer à ladite recommandation. En conséquence, elle a exprimé son intention d’entreprendre aussitôt le voyage au Ruanda-Urundi, particulièrement consciente des incidences fâcheuses, pour son travail et pour l’exécution de son mandat, que pourrait occasionner tout retard supplémentaire de son arrivée dans le Territoire.
La Commission est donc heureuse de vous confirmer son intention de quitter Bruxelles le vendredi 26 courant, pour être à Usumbura le lendemain.
En espérant qu’en prévision de l’arrivée de la Commission, les instructions nécessaires auront été envoyées au Résident général du Ruanda-Urundi, je prie Votre Excellence de bien vouloir agréer les assurances de ma très haute considération.
- Lettre du Ministre des Affaires Etrangères au Président de la Commission., 25 janvier 1961
Par une lettre en date du 27 décembre dernier, vous avez bien voulu interroger le représentant permanent de la Belgique auprès de l’Organisation des Nations Unies sur les intentions du Gouvernement belge à l’égard des deux résolutions adoptées par l’Assemblée générale le 20 décembre dernier, concernant l’avenir du Ruanda-Urundi et la question du Mwami.
J’ai l’honneur de vous faire part, à ce sujet, des considérations et décisions suivantes :
- La conférence politique recommandée au paragraphe 4 de la résolution 1579 (XV) s’est tenue, comme vous le savez, du 7 au 12 janvier, à Ostende. Les questions qui y furent discutées répondaient aux termes de ladite résolution. Votre Commission y a assisté et a pu informer entièrement les représentants africains de la portée de cette résolution. Sur ce point donc, l’Assemblée générale a pleine satisfaction.
- Au sujet du paragraphe 2 de la résolution, je tiens à rappeler que l’état d’exception a été abrogé le 14 novembre dernier. Le Gouvernement belge est disposé à supprimer toutes mesures analogues qui pourraient exister.
Quant à l’amnistie générale, le Gouvernement belge l’appliquera dans le plus bref délai. Du bénéfice de cette mesure, il soustrait uniquement les prisonniers condamnés pour des crimes de droit commun. Il serait, en effet, inadmissible d’en faire profiter notamment des meurtriers ou des tortionnaires. Pour dissiper tout malentendu, la Commission des Nations Unies sera autorisée à consulter sur place les dossiers judiciaires de ces condamnés.
D’autre part, le souhait de l’Assemblée générale concernant le retour et le reclassement des réfugiés politiques rencontre l’entier assentiment de l’autorité administrante.
- Une question d’importance primordiale reste la fixation de la date des élections législatives.
Le climat de détente qui avait présidé aux colloques de Kisenyi et de Kitega, dont les conclusions heureuses ne sont pas ignorées de la Commission, était le résultat de la politique du Gouvernement belge tendant à la réconciliation nationale au Ruanda-Urundi.
Le Gouvernement belge constate cependant que, depuis fin décembre 1960, les partis politiques ont à nouveau adopté une position extrême et abandonné l’attitude conciliante qu’ils avaient adoptée.
C’est ainsi que, ces derniers jours, des incidents graves, qui ne s’étaient plus produits depuis plusieurs mois, ont été signalés.
Le Gouvernement s’efforcera certes, dans toute la mesure de ses possibilités de maintenir le calme et l’ordre dans le territoire, mais il a déjà eu l’occasion d’attirer l’attention de la Commission sur les dangers nouveaux et graves que comporte l’application de la recommandation de l’Assemblée générale en ce qui concerne le report de la date des élections.
Le Gouvernement belge avait décidé que celles-ci auraient lieu au début de 1961 ; cette intention ne pouvait être ignorée du Secrétariat des Nations Unies, puisqu’aussi bien le rapport de la Mission de visite que le rapport du Conseil de tutelle en fait mention. Les conclusions de la conférence d’Ostende ont dû, d’autre part, vous convaincre que l’organisation d’élections immédiates répondait au vœu de la très grande majorité des populations locales, soucieuses d’accéder le plus rapidement possible sinon à l’indépendance, du moins à des structures d’autonomie interne.
C’est un engagement formel, déjà en voie d’exécution, de l’autorité administrante que l’Assemblée générale a demandé, en dernière extrémité, de ne pas tenir, ce qui est d’une gravité exceptionnelle. Le Gouvernement belge a été mis devant le dilemme soit de ne pas tenir son engagement, soit de ne pas se conformer à la nouvelle recommandation de l’Assemblée générale. Soucieux de rencontrer au maximum les vues de l’Assemblée générale, il a décidé de surseoir à la tenue des élections législatives.
Votre Commission s’étant déclarée liée par un mandat très strict lui interdisant tout pouvoir de décision quant à la date d’élections souhaitée par l’Organisation des Nations Unies, le Gouvernement a néanmoins pris acte de l’intention de la Commission de mettre tout en œuvre pour que l’Assemblée générale soit saisie de son rapport intérimaire dès la reprise de la présente session.
Il compte qu’appréciant à sa juste valeur l’effort fait par l’Autorité administrante, l’Assemblée générale se préoccupera d’examiner par priorité le rapport de la Commission et que les élections pourront être fixées à une date suivant d’aussi près que possible la reprise de ses travaux.
Le Gouvernement a enfin pris acte que le personnel qui sera appelé à collaborer aux travaux de votre Commission s’imposera comme devoir d’éviter toute ingérence dans les problèmes intérieurs du Territoire et aura pour instructions de travailler en parfaite collaboration avec les autorités locales.Au sujet de la résolution 1580 (XV), le Gouvernement belge donne son accord pour organiser un referendum sur la question du Mwami, mais estime que le retour de celui-ci ne doit pas être envisagé avant la consultation populaire, sa présence ne pouvant être qu’une source grave de dissensions intestines.
J’espère, au nom du Gouvernement belge, que les décisions et précisions ci-dessus seront de nature à permettre le départ prochain de la commission pour Usumbura, où le meilleur accueil lui sera réservé de la part des représentants de l’autorité tutélaire.
(Signé) Pierre WIGNY
Lettre du Mwami Kigeli V au Président de la Commission, 27 janvier 1961
En suite de nos entretiens en date du 26 janvier 1961, j’ai l’honneur de vous préciser dans cette lettre ma position au sujet de la question relative à mon retour au Ruanda, que vous m’avez posée.
A ce sujet, vous vous rappelez en effet, Monsieur le Président, que cette question a été discutée longuement et que des résolutions claires et précises y relatives ont été prises.
En vertu de ces mêmes résolutions, mon retour immédiat dans mon pays avant le referendum devrait être envisagé. Qu’il me soit permis de porter à votre connaissance que mon intention de me conformer à cette résolution des Nations Unies reste actuelle.
J’estime qu’il est du devoir de la Commission des Nations Unies au Ruanda-Urundi, en collaboration avec la puissance tutélaire, de prendre les mesures nécessaires pour la mise en exécution des résolutions des Nations Unies dont mention a été faite ci-dessus ; notamment en ce qui concerne mon retour immédiat dans mon pays.
Je termine, Monsieur le Président, en vous souhaitant pleine réussite dans votre haute mission et vous prie de bien agréer l’expression de mon profond respect.
(Signé) KIGELI V