La Médecine Indigène Au Ruanda VI
{:fr}HYGROMA.
Le porteur d’un hygroma ou umukerevi croit qu’il va guérir en allant s’agenouiller dans les cendres d’un feu allumé par un inconnu. Gukera, dont le nom de cette tumeur est composé, pourrait se traduire par scinder et ivi par genou.
IMPUISSANCE
En cas d’anaphrodisie chez l’homme, procéder comme suit.
1) Porter sur le ventre un pénis de chat doré ouimbaka (Profélis aurata), monté sur une ficelle de tendons de taureau abattu. Mais ce chat sauvage est relativement rare, on ne le trouve que dans la grande forêt.
2) Égorger un bouc tout noir dénommé pour sa couleur umwirirashyiga (de kwurira : grimper et ishyiga :pierre du foyer). En manger seul un peu de tous les abats chaque jour. Avaler un morceau du pénis, le restant devant être porté au cou comme amulette, tandis que les testicules desséchés seront portés sur le ventre.
Chose étrange, c’est à la mère qu’incombe le soin d’enfiler ces organes et ce, à l’aide de la pointe d’une faucille démanchée appartenant au père. La ficelle doit provenir d’aponévroses ou de tendons d’une vache crevée en vêlant ou des suites d’une rétention placentaire.
C’est le père qui se charge d ’attacher ces amulettes à son fils. A son défaut, ce sera un frère marié du malade ou son oncle paternel.
Ces opérations se font la nuit et strictement à huis clos, car il se pourrait qu’un ennemi ramasse ne fût-ce qu’un petit os du bouc avec l’intention de le mettre dans la nourriture de l’intéressé le jour où il prendra femme, pour qu’il redevienne impuissant comme avant.
INTERTRIGO
Laver les lésions au jus de Cucumis sp. — umushishiro allongé d’eau tiède. Écraser un épi de sorgho vert avecde l’eau, en mâchonner un morceau et le cracher sur1’intertrigo.
INTESTINS
KYSTE SYNOVIAL
Faire quelques petites incisions autour de la tumeur ; compter cent grains de sorgho, cent grains d’éleusine, cent petits cailloux, les frotter de sang. Envelopper le tout dans un petit sac en tissu libérien et porter au cou.
LÈPRE
Cette maladie, qui revêt des formes diverses, est parfois confondue avec certaines affections cutanées. On l’appelle ibibembe ; les macules sont dénommées amabara.Lorsque les tumeurs dermiques apparaissent, on dit que la lèpre a poussé des verrues gusununa.
Les Ruandais ont une vive répulsion pour les maladies contagieuses, surtout pour la lèpre. Afin d’atténuer l’aversion que lui témoignent ses congénères et pour ne pas exacerber la maladie, le lépreux dira qu’il est atteint d’une maladie de peau due à un sort = amahumane.
La lèpre, dit-on, est contagieuse, d’où nécessité de mettre le malade dans l’isolement = gutanga akâto, sans que toutefois il soit tout à fait séparé de la communauté.
Elle est héréditaire dans la forme dite akazu. Enfin, la contamination est encore possible, et ce, de mystérieuse façon.
1) Qu’un homme vienne à perdre un de ses parents ou la femme qui lui a donné des enfants, il doit observer la continence la plus complète jusqu’au moment où une cérémonie purificatrice marquera la fin du deuil ; celui-ci
peut durer deux mois. Une femme pratique les mêmes règles.
Si les relations sexuelles légitimes sont suspendues, on conçoit que l’adultère soit sérieusement interdit. Quiconque aura transgressé cette loi contractera la lèpre, On entend dire parfois que tel est devenu lépreux parce qu’il a « consommé son père à l’état frais », c’est-à-dire avant que le cadavre soit entré en putréfaction. C’est là une allusion très nette à l’inobservance de la coutume susdite.
Si l’un des conjoints a commis le « grand péché », qu’il le confesse donc avant de participer avec sa famille au rite de la baratte, cérémonie purificatrice appelée ukweza ou blanchiment, qui a lieu pour la levée du deuil. Il sera aussitôt mis à part et il en résultera un divorce définitif, mais il pourra toutefois consulter un purificateur umuhannyi qui lui procurera des drogues efficaces pour lui éviter ce divorce. Ce dernier point est cependant loin d’être admis par tous.
Si le fautif est célibataire, on dit qu’il s’est « blanchi » lui-même : aba yeze ; dorénavant il ne pourra plus participer en famille au rite de la levée du deuil, ni plus tard en compagnie de son éventuelle progéniture.
Voici ce qu’on dit encore. Celui qui a fauté fait bien de ne pas tarder à l’avouer à tous les membres de sa famille, car on commence aussitôt les cérémonies depurification collective et le danger est atténué !
2) Il est de nombreux cas où la contamination ne peut être arrêtée, assure-t-on. Les jeunes gardiens de bétail, à peine vêtus, se rencontrent souvent dans ce pays d’élevage. Garçons et filles surveillent les troupeaux d’aumailles, de moutons ou de chèvres ; ils jouissent d’une grande liberté. C’est l’école où ils acquièrent beaucoup de connaissances de la nature et d’autres aussi, ajoute-t-on, moins recommandables. Ils aiment jouer ensemble, construisant des semblants de huttes, etc. Leurs jeux deviennent parfois plus vifs ; enfin, rien ne leur est défendu entre eux. Mais que l’une de ces petites huttes ou akazu vienne à flamber, elle représente alors, pour les gens mariés, un danger sérieux !
Celui qui s’aviserait d’en saisir une braise pour allumer sa pipe, et qui ne tiendrait pas son conjoint à distance pendant trois jours, contracterait la lèpre dite akazu, capable d’anéantir toute une maisonnée, comme son nom l’indique. Dans ce cas, la maladie est non seulement contagieuse, mais héréditaire.
3) La contamination peut encore se produire, d’après certains indigènes, lorsque l’on a employé, comme bois de chauffage, une perche mortuaire umuhezayo. Amulette précieuse contre la maladie du pian (elle est censée la
faire disparaître : guheza), la perche qui a servi au transport d’un mort peut provoquer par ailleurs des macules qui sont, dit-on, très apparentes, très rougeâtres, à cause de ce feu impur.
4) L’inobservance des règles ou la violation des interdictions relatives à la chute de la foudre — on sait que celle-ci est personnifiée — peuvent aussi être à l’origine du mal.
Traitement.
L’isolement se pratique lorsque la maladie a déjà fait de grands ravages. On construit généralement dans l’arrière-cour une humble hutte où le lépreux se tient avec ses objets personnels. On le visite souvent,mais en évitant de s’asseoir chez lui. Les manifestations de politesse et d’affection sont forcées. Au reste, outre l’isolement, on lui réserve une source, tant il est redouté.
Les relations sexuelles lui sont évidemment défendues. Les spécialistes de cette grave affection sont plutôt rares. Nous en avons cependant découvert une, car c’est d’une femme qu’il s’agit, la nommée KARUYONGA, fille de RUKWAKWA ,de la colline Tare dans le Busanza.
1) Prendre des feuilles de la plante ikizimyamuriro ou celle qui éteint le feu. Les faire sécher au-dessus de l’âtre sur clayonnage. Les froisser, les écraser finement à l’aide de la pierre à simples intosho. La poudre est grillée, carbonisée sur tesson de marmite posé sur le feu. Aux endroits malades, faire quelques scarifications avec l’ongle du petit doigt ; recouvrir les incisions de poudre.
2) Remède à base de plantes fraîches, triturées, écrasées.Le jus est allongé d’eau ; on en boit dans la journée.
Plantes employées : ngingwijana, umuharakûko, umugombe, umuyobora, umutanga, ishyoza, umukuzanyana, gisayura, umuhengeri, ikirôgora, bugangabukari, umumara.
3) Faire sécher des plantes d‘umusôrôro ; pulvériser et mélanger intimement à de l’argile ; laisser durcir au soleil. Un jour sur deux, on en prélève une parcelle
qu’on délaye dans de l’eau jusqu’à formation d’une crème dont on badigeonne les macules. Pour éviter les tiraillements douloureux, recouvrir de beurre.
4) Aspirer par le nez une prise de poudre de pelures de racines desséchées et moulues de l’arbre umusengese (Myrica salicifolia). La plante umukiryi, écrasée et pilée, sert à fomenter.
Si la lèpre présente des lépromes, nous a-t-elle dit, la guérison est plus difficile à obtenir.
Quelle est la valeur de cette médication ? D’aprèsles indigènes, cette femme passe pour réussir beaucoup de cures. Plusieurs de ses anciens clients nous ont été amenés montrant des cicatrices, mais sans qu’il soit possible d’affirmer que les plaies aient été vraiment dues à la lèpre. Ajoutons que les plantes sont bien connues et employées dans d’autres cas. Et nous connaissons, d’autre part, le caractère capricieux de la maladie.
Le lépreux finit par mourir misérablement. Autrefois, on se contentait de ficeler le cadavre dans une natte et de le jeter au loin dans la brousse ou au marais. Il n’avait pas droit à une sépulture. Les grottes servaient aussi de cachettes, afin de soustraire ses restes aux prélèvements des envoûteurs et empoisonneurs publics.
La hutte et tous les objets contaminés sont aspergés d’eau lustrale par le purificateur. Ils peuvent être brûlés, si toutefois il n’y a pas de voisins proches, car on prétend que la fumée peut transporter les germes morbifiques, tels ceux de la lèpre et du charbon ; alors, on se contente de tout abandonner à l’action des termites et du temps.
Mais ses descendants, auxquels le lépreux reste mystérieusement attaché après sa mort, n’en sont pas moins inquiets. Si, de son vivant, il se sentait considéré comme fardeau importun, condamné à mourir dans la plus effroyable misère physique et morale, il se laissait parfois aller à prononcer à l’adresse de ses proches de redoutables paroles :
Umunsi napfuye, nzahagama, Le jour de ma mort, je resterai en « suspens ».
Sinzagéra i Kuzimu, Je n’atteindrai pas le séjour des morts,
Kandi muzambagira imbwa ! Et vous me sacrifierez un chien !
Ces mots font prévoir le pire, car on croit qu’un esprit de trépassé ou umuzimu, provenant d’un être aussi courroucé ne pourra que susciter des malheurs sans fin, malgré le fait qu’on lui aura sacrifié tout le bétail ! Ainsi, les épouses pourront être atteintes de folie, les enfants de plaies inguérissables, le bétail frappé de stérilité, etc. On raconte que les fils sont sujets à de longs évanouissements aussi subits qu’inexplicables, Enfin, on se croit tenu d’appeler les devins qui peuvent interpréter ces faits. Le plus souvent, ceux-ci déclarent que ces manifestations sont celles d’un dieu d’amertume, d’un umuzimu en colère « qui a claqué des doigts » = yakoze agatoki kukandi, signe de mécontentement menaçant, comme dans la vie ordinaire. Par conséquent, on devra offrir un sacrifice pour l’apaiser; cette offrande spéciale se dit iyagasi.
Et ainsi, de misérable créature dont on n’osait s’approcher qu’avec répugnance de son vivant, voilà maintenant le lépreux mis au rang des dieux-ancêtres au même titre que les autres trépassés de la famille. On sait que ceux-ci aiment qu’on s’occupe d’eux, qu’il faut ménager leur susceptibilité pour éviter qu’ils se rappellent au bon souvenir des vivants. Pourtant, s’ils savent surtout se venger, ils peuvent protéger et favoriser. On les prie, mais sans s’adresser à eux comme le feraient de misérables créatures pécheresses devant un être transcendant. On les croit revêtus d’attributs divins, tout en ayant conservé leur nature humaine, avec sensiblement les mêmesbesoins, sans aucune supériorité morale. On leur présente des offrandes appropriées sachant que dans l’Au-delà = ikuzimu, ils vivent dans l’abondance et ne manquent de rien. Leur pouvoir est limité à leur propre famille, qu’ils peuvent cependant atteindre au loin
On se procure un taurillon pour se rendre à l’endroit choisi où on va édifier une modeste hutte indaro et la consacrer au lépreux défunt, sur un mamelon, éloigné de la colline. Toute la famille s’y rend, les uns conduisant la bête, les autres portant la calebasse de bière munie d’un chalumeau et quelques boulettes de farine de sorgho.
La hutte est construite au moyen de roseaux creux imisehe (du verbe guseka : rire). Les spécialistes de la magie au Ruanda reconnaissent à cette espèce de roseau une vertu hilarante et réjouissante, telle la racine noire de la scorsonère qui était réputée, chez nous au XVIe siècle, capable de chasser les noirs chagrins et les tristesses incurables. Par sympathie, le dieu sera mis en de bienveillantes dispositions. On couvre le toit avec des plantes de Cassia imicyuro, attendu que l’on est désireux de le gucyura, = de le faire rentrer au logis de son plein gré, lui qu’on a tant tenu à l’écart…
La calebasse est déposée à l’intérieur et un feu est allumé tout à côté à l’extérieur, sur lequel on dépose un petit pot contenant de l’eau. La bête est sacrifiée, dépecée. Une portion de viande est mise à bouillir dans le pot, le restant est embroché et grillé. Ces différentes opérations terminées, la viande est étalée dans la hutte sur des feuilles d’une plante grasse ireke (de kureka : laisser, sous-entendu : en paix), afin que les difficultés cessent = kugira ngo amahane azareke. Des boulettes de pain s’ajoutent aux morceaux bouillis et grillés ; voilà, pense-t-on, de quoi satisfaire les plus difficiles.
A quelques pas de là, par-ci, par-là, de petits cercles sont tracés sur le sol ; on y dépose de menus morceaux destinés aux mânes éventuels rôdant dans les environs.
Les parents les plus proches du défunt, ses fils notamment, « informent » le dieu de leurs intentions de lui être agréables, les voix se font persuasives et émouvantes pour prononcer la prière suivante :
Dore inka tuguhaye ! Vois la vache que nous t ’offrons !
Inabi twakugiriye ituviraho ! Que le mal que nous t ’avons fait nenous soit
pas imputé !
Uve mu bana, Quitte nos enfants.
Boye kurwara ! Afin qu’ils ne soient pas malades !
Ingo zacu zivemo umuyaga !Que nos habitations ne soient plusbattues des
vents !
Udutsindire ibyago ! Que tu nous préserves des malheurs !
La viande, le pot et le couteau qui a servi à découper resteront sur place ; les oiseaux de proie ou les rats viendront se régaler, mais le dieu regardera comme
un témoignage d’amour de la part des siens le fait qu’ils se sont réellement privés pour lui, car ils se sont imposé de ne pas manger cette viande, eux qui en sont d’habitude si friands. C’est là ce qui se passe le plus fréquemment.
Il y a une raison de préférer griller la viande plutôt que de la cuire entièrement à l’eau ; on dit que le fumet en est particulièrement apprécié des dieux. Reste à expliquer pourquoi on a cru bon d’édifier la hutte au loin, alors qu’on sait que les esprits des trépassés aiment hanter les lieux où ils ont vécu : c’est que le fumet trop proche pourrait être décelé par les mânes des autres disparus, lesquels errent dans l’habitation ; ils en concevraient une grande jalousie, attendu qu’ils n’ont pas été conviés au festin. En outre, le premier bénéficiaire n’ayant nulle envie de partager avec eux, en garderait, on n ’en doute point, quelque rancune préjudiciable aux participants.
Ajoutons encore que, la paix étant ramenée parmi tous les esprits, rien n’empêche de répéter l’offrande qui sera cette fois dédiée à tous les morts de la famille, le récent et les autres.
LUMBAGO
Plusieurs initiés de la secte des Imandwa interviennent pour la guérison du malade.
D’abord MUGASA , le fanfaron, tranche un plant d’uruheza, «celle qui termine», d’un seul coup d’épée en disant:
Ndi Nyamutabataba, Je suis le destructeur,
Ndi Nyamutengera imisozi Je suis celui qui fait s’ébouler les collines
Nka Makombe ! Tel un Hercule
Ryangombe, incarnant le héros de ce nom, taille la tige d’uruheza et la perce d’un trou ; il y passe une branchette de bugangabukari.
Nyabirungu agite ses grelots suivant son habitude et pousse des cris de joie sans arrêt : He, he, he, he, he…….
Binego, le cerbère, passe une corde de tendons dans le trou de l’amulette et la place au dos du souffrant. Ventouser. Déféquer au carrefour.
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