Le Droit Coutumier Du Rwanda Ancien
LA FAMILLE ET LE CLAN.
- Généralités.
La famille « sensu stricto » (rugo) :(Le rugo est l’enceinte où se trouvent la hutte, les greniers et les étables. Par extension, ce mot désigne la famille au sens strict. Au pluriel: ingo).
est cependant plus étendue que chez nous. Elle comprend le père, ses femmes et leurs enfants, mariés ou non, les frères du père, leurs femmes et leurs enfants. Jadis, les esclaves de guerre (abanyagano) en faisaient également partie.
Les Bahutu, serfs des Batutsi, ont leur rugo propre. La famille au Ruanda est du type patriarcal. La filiation se compte dans la ligne paternelle :(Les enfants sont cependant considérés en quelque sorte comme appartenant à la fois à la famille du père et à celle de la mère. Les Banyarwanda disent : umuntuakomokaiwabowa se na nyina, c’est-à-dire : l’homme procède des deux (familles), celle de son père et celle de sa mère); l’enfant ne prend pas nécessairement le nom de son père (C’était même chose rare avant la pénétration européenne); l’autorité paternelle est exercée par le père, et la femme vient habiter chez son mari (Le Mututsi polygame n’occupe pas une habitation personnelle. Il rend visite successivement à chacune de ses femmes dans leur demeure propre).
Les adoptés font aussi partie de la famille. C’est ainsi qu’un homme sans enfant (inshike) peut adopter un fils de son frère (umuhunqu wacu), àson défaut, un fils de sa soeur (umwishywa) ou encore le fils d’un ami. Un Mututsi ne peut adopter un enfant muhutu et vice versa.
Comme les femmes ne peuvent hériter, l’adoption constitue un moyen pour un frère de faire bénéficier sa soeur de certains avantages, car elle a pour effet d’instituer un neveu comme héritier (kuraga : litt. promettre ses biens).
L’adopté agit en tout comme s’il était le fils de son père adoptif : il fait la cour pour lui auprès du chef, règle ses affaires, le défend en justice, etc… Les filles lui donnent le nom de frère, et si elles divorcent, elles viennent lui demander l’asile.
Il se peut même que l’umwishywa devienne, en même temps que chef du rugo de son oncle maternel, chef du clan maternel (umutware w’umuryango wa nyina).
L’enfant adoptif peut conserver les inkazibiti(propriété du bétail) reçues de son vrai père, mais ne peut plus intervenir dans le partage de la succession de celui-ci. Il se peut aussi qu’il reçoive sa part (indemano) avant de se rendre chez son père adoptif; dans ce cas, tout en étant client (umugaragu) de celui-ci, il reste également par les indemano, clienl de son vrai père.
Si l’adopté se montre désobéissant ou ingrat à l’égard de son père adoptif, celui-ci peut le maudire et l’obliger à s’en aller les mains vides.
Le clan (umuryango) (à ne pas confondre avec la porte) ou (inzucomprend tous ceux qui se réclament d’un ancêtre commun fondateur de la race. Au cours du temps, le clan s’est divisé en plusieurs sous-clans(imiryango).
Le clan et le sous-clan portent un nom (ubwoko) qui rappelle leur fondateur. C’est ainsi que les membres de l’umuryangodes Abanyiginya sont les descendants de Kimanuka, qui est l’Umunyiginya(le premier desAbanyiginya). Ndabarasa, fils du Mwami RujugiraCyirima, qui devint Roi sous le nom de Kigeri, fut l’Umurabarasa, le premier de l’umuryango des Abarabarasa ou Ibigina. C’est ce dernier nom qu’ils portent actuellement.
Chaque umuryango possède un ou plusieurs totems (ibiziro) animaux. Par exemple, les totems des Abanyiginya sont la grue couronnée (umusambi) et le pique-boeuf(inyange); celui des Abega le crapaud (igikeri): celui des Abagesera la bergeronnette (inyamanza). Le membre d’un clan ne tuera jamais tel ou tel oiseau, par exemple, parce qu’il croit que l’esprit d’un ancêtre y est renfermé.
Les Bahutu appartiennent au même umuryango que les Batutsi et possèdent les mêmes totems qu’eux. Ils prennent toutefois un autre nom. Par exemple, ceux qui vivent chez les Abega et les Abanyiginya sont désignés respectivement sous le nom d’Abasavere et d’ Abasindi.
- Le chef de famille et de clan.
Le chef de la famille « sensu stricto», (umutwarew’urugorwa se: litt. le chef du rugo de son père) est normalement le père. Après sa mort, un de ses fils, qui n’est pas nécessairement l’aîné, lui succède. Il se peut que la veuve du chef de famille dirige provisoirement le rugo si son mari est mort, sans avoir désigné son successeur ou quand ses fils sont encore enfants (Tout en continuant à faire partie de son umuryango, la femme est, en quelque sorte, incorporée dans l’inzu du mari si elle a des enfants. Mais elle ne prend pas le nom de l’umuryango de celui-ci. La femme reste toujours étrangère au clan de son mari et conserve son totem propre).
L’umutwarew’urugorwa se n’a qu’une importance réduite et ce mot n’est que rarement, employé. Plus important est l’umutwarew’urugorwabo(litt : d’eux), appelé aussi umutwarew’umuryango, qui commande à la fois son rugo et l’umuryango.
L’umuryango est une entité sociale sans valeur politique. C’est ainse que Rwabutogo, chef de l’umuryango des Abega, ne possède que la province du Buganza-Est. Pour les questions de famille et de bétail, il commande Rwagataraka de qui dépend Rwabussis, qui est le chef du Buliza et du Buganza-Sud.
L’umutware w’umuryango exerce une juridiction paternelle sur tous les membres de son groupe. S’ils lui désobéissent gravement, il peut les chasser et s’emparer de leur bétail (indemano, inkazibiti), à l’exception des bêtes qu’ils ont reçues en cadeau du Roi (ingabane).
Toutefois, c’est au Mwami qu’il appartient de prononcer la sentence d’éviction. De plus, si le Roi voit qu’une injustice a été commise, il autorise celui qui en est la victime à aller s’installer ailleurs pour se soustraire à la juridiction du chef d’umuryango, sans cesser pour cela d’appartenir au clan.
Si le Mwami demande l’umurundo(C’est-à-dire littéralement : désire voir le bétail de son bétail. II ne prend qu’une bête ou deux)au chef d’umuryango, celui-ci peut réclamer à son tour des inyiturano auxsiens. D’autre part, le chef d’umuryango peut témoigner sa faveur à ceux de ses parents dont il est satisfait en leur donnant des ingabane.
- Lois de la famille et du clan.
1° Il est interdit d’épouser une personne appartenant au même umuryango à n’importe quel degré. Seuls les Abanyiginya, clan qui donne les rois, peuvent se marier dans leur inzu( La cause de cette endogamie doit être cherchée dans le fait que, d’après la légende, Kigwa aurait épousé sa soeurNyampundu).
et à fortiori dans les autres imiryango. Toutefois, l’union leur est défendue avec les Abacyaba, Abungura, Abakomankali. Ils épousent ordinairement des Abega.
Les Abega (famille qui donne les reines), les Abagesera, Abakono, Abaha, Abasinga ne peuvent se marier ni dans leur imiryango, ni dans les autres inzu. Il leur est permis d’épouser des Abungura et des Abakomankali, mais non des Abacyaba.
2° La solidarité active et passive en matière de dettes n’existe que du côté paternel (iwabo wa se) et non dans l’umuryango de la mère (iwabo wa nyina). Il en est de même en matière pénale, sauf s’il s’agit d’une dette de sang.
- Tableau des noms indiquant les rapports de parenté et d’alliance.
Ceux qui font partie du mêmeumuryango s’appellent abagira icyo bahuriyeho, icyo bapfana ou, et c’est le terme le plus employé et le plus précis, abafite isano.
Mari : umugabo.
Femme : umugore.
Le mari de deux femmes : umugabo w’ishyari.
L’une des femmes parlant de l’autre : umukeba wanjye
Le mari parlant de l’une ou l’autre : umukeba we
Fils :
1° La mère parle : umuhungu wanjye.
2° Une autre femme du père parle : umuhungu wa mukeba wanjye ou umuhungu w’umugabo wanjye.
Fille :
1° La mère parle : umukobwa wanjye.
2° Une autre femme du père parle :umukobwa wa mukeba wanjye
Père : data.
Parents : ababyeyi.
Mère : mama.
La seconde femme de mon père : muka data.
Chacune des autres femmes de mon père: muka data.
Frères et soeurs :
- -Du même père et de la même mère : abo tuva inda imwe kwa data na mama.
a)Frère (un garçon parle) :
1° Aîné : mukuru wanjye(grand frère).
2° Cadet : murumuna wanjye (petit frère).
3° Jumeau : uwo dusangiye data na mama.
b)Soeur (un garçon parle) : Aînée : mushiki wanjye
2° Cadette : mushiki wanjye muto.
3°Jumelle :mushiki wanjye (twavutse impanga)
a)Frère (une fille parle) :
1° Aîné : musaza wanjye mukuru.
2° Cadet : musaza wanjye muto.
3°Jumeau :musaza wanjye, (twavutse impanga)
b)Soeur (une fille parle) :
1°Aînée : mukuru wanjye.
2° Cadette : murumuna wanjye.
3″ Jumelle : uwo twavutse impanga.
- – Du même père et de mères différentes : benedata.
a)Frère (un garçon parle) :
1° Aîné : mukuru wanjye wo kwa data.
2°Cadet :murumuna wanjye wo kwa data
b)Soeur (un garçon parle) :
1° Aînée : mushiki wanjye mukuru wo kwa data.
2° Cadette : mushiki wanjye muto wo kwa data.
- a) Frère (une fille parle) :
1° Aîné :musaza wanjye mukuru wo kwa data.
2° Cadet :musaza wanjye muto wo kwa data.
- b) Soeur (une fille parle) :
1°Aînée : Mukuru wanjye wo kwa data.
2° Cadette : murumuna wanjye wo kwa data.
- — De la même mère et de pères différents.
a)Frère (un garçon parle) :
1° Aîné : mukuru wanjye wo mwa mama.
2° Cadet : murumuna wanjye wo mwa mama
b) Soeur (un garçon parle) :
1° Aînée : mushiki wanjye mukuru wo mwa mama
2° Cadette : mushiki wanjye muto wo mwa mama.
- a) Frère (une fille parle) :
1° Aîné : musaza wanjye mukuru wo mwa mama.
2° Cadet :musaza wanjye muto wo mwa mama.
- b) Soeur (une fille parle) :
1° Ainée : mukuru wanjye wo mwamama.
2° Cadette : murumuna wanjye wo mwamama.
Grand-père paternel sogo- Grand-père maternel : sogo-
kuru. kuruubyaramama.
Grand’mère paternelle : nyo- Grand’ mère maternelle : nyogokuru.
ubyara data. Ubyara mama
Petits-enfants : abuzukuru.
Arrière-grand-père paternel : Arrière-grand-père maternel : sogokuruza. sogokuruza ubyara mama.
Arrière-grand’ mère paternelle: Arrière-grand’ mère maternelle: nyogokuruza. Nyogokuruza ubyara mama.
Arrière-petits-enfants : abuzukuruza.
Oncle paternel : sewabo(ou Oncle maternel : marume (oncle),
data wacu nyirarume (son oncle).
Tante paternelle : masenge. Tante maternelle : mama wacu.
Neveu (fils de mon frère) (un homme parle) : umuhungu wacu.
Nièce (fille de mon frère) umukobwa wacu.
Neveu (fils de ma soeur) (un homme parle) : umwishywa.
Nièce (fille de ma soeur) (un homme parle) : umwishywa w’umnkobwa.
Neveu (la tante paternelle parle) : umwisengeneza
Nièce (la tante paternelle parle) : umwisengeneza wanjye
et filles de l’oncle paternel (cousins) : bene data wacu.
- a) Cousin (un garçon parle) :
1°Plus âgé : mukuru wanjye wo kwa data wacu.
2°Moins âgé : murumu nawa njye wo kwa data wacu.
30 Du même âge : mwene data wacu.
b) Cousine (un garçon parle) :
1° Plus âgée : mushiki wanjye mukuru wo kwa data wacu.
2° Moins âgée : mushiki wanjye muto wo kwa data wacu.
3°Du même âge : mushiki wanjye wo kwa data wacu.
- a) Cousin (une fille parle) :
1°Plus âgé : musaza wanje mukuru wo kwa data wacu.
2°Moins âgé : musaza wanjye muto wo kwa data wacu.
3°Du même âge : musaza wanjye wo kwa data wacu.
Neveu (la tante paternelle parle) mwisengeneza wanjye.
Nièce (la tante maternelle parle) : umwana wanjye.
Fils et filles de la tante maternelle (cousins) : ababyara.
- b) Cousine (une fille parle) b) Cousine (une fille parle) :
1° Plus âgée : mukuru wanjye 1° plus âgée : mukuruwanjye
Wo kwa data wacu wo mwa mama wacu
2° Moins âgée: murumuna 2° Moins âgée: murumuna
Wanjye wo kwa data wa- wanjye wo mwa mama
cu wacu
3° Même âge: umuvandimwe 3° Même âge: uwowanjye
Wokwa data wacu ; ou wo mwa mama wacu
plus simplement : mwene
data wacu
Fils et filles de la tante pater- Fils et filles de l’oncle mater-
Nelle (cousins) :ababyara bo nel (cousins) : ababyarabo
Kwa masenge mwa marume
Grand oncle paternal: sogoku- Grand onclematernel: sogo-
ruza kuruza wo mwa mama
Grand tantepaternelle: nyo- Grand tantematernelle: nyo-
Gokuruza wo kwa data gokuruza wo mwa mama.
Petis neveux : abuzukuruza.
Beau-père (père de ma femme) : databukwe
Belle-mère (mère de ma femme) : mabukwe
Beau-père (père de mon mari) : databukwe
Belle-mère (mère de mon mari) : mabukwe
Gendre (mari de ma fille) :
- Un homme parle : umukwe
- Une femme parle : umukwe wanjye
Bru (femme de mon fils) :
- Un homme parle : umukazana
- Une femme parle : umukwe wanjye
Beau-frère :
- Mari de ma souer : muramu wanjye
- Frère de ma femme : muramu
- Mari de la sœur de ma femme : musanzire wanjye
(une femme parle)
- Mari de ma sœur : muramu wanjye
- Frère de mon mari : umugabo wacu
- Mari de la sœur de mon mari : muramu wacu
Belle-sœur :
(un homme parle)
- Femme de mon frère : umugore wacu
- Sœur de ma femme : muramu
- Femme du frère de ma femme : umugore wa muramu wanjye
- Deuxième femme du mari de ma sœur : mukeba wa mushiki wanjye
( une femme parle)
- Femme de mon frère : muramukazi
- Sœur de mon mari : muramukazi wanjye
- Femme du frère de mon mari : mukeba wanjye
- Deuxième femme du mari de ma sœur : umugore wa muramu wanjye ou mukeba w’uwo tuva inda imwe.
Ceux qui ont épousé deux sœurs : abasanzire
Deux hommes dont chacun a épousé la sœur de l’autre : abaramu
Père de mon gendre : bamwana wanjye
Mère de mon grendre : bamwana wanjye
Frère de mon gendre : umukwe wanjye
Sœur de mon gendre : umwana wanjye
Père de ma bru : bamwana wanjye
Mère de ma bru : bamwana wanjye
Frère de ma bru : umukwe wanjye
Sœur de ma bru : umwana wanjye.
Le tableau est long, mais on suit la même logique que les points précédents.
- Le pacte du sang.
Le pacte du sang (kanywana) est pratiqué dans tout le Ruanda et surtout par les Bahutu. Les frères de sang (abanywanyipeuvent compter l’un sur l’autre de la façon la plus complète. Ils doivent s’entr’aider dans les circonstances les plus difficiles de la vie et peuvent même disposer mutuellement de leurs biens (par convention spéciale) et de leurs femmes (avec le consentement des femmes).
Les intéressés, assistés chacun d’un témoin qui sera garant de l’observation du pacte par l’autre partie, s’assoient sur une natte dans la hutte de l’un d’eux. Chacun des témoins coupe une feuille d’érythrine corail (muko) et en coupe le pétiole; il roule la feuille en forme de cornet et y verse un peu de farine de sorgho. Puis, avec un petit couteau, il fait une incision au-dessous du nombril de celui qu’il assiste. Il presse les lèvres de l’entaille et fait couler le sang, qu’il recueille dans le cornet et mêle à la farine à l’aide de la queue de la feuille. Ensuite, chaque impétrant boit le mélange appelé gihango (litt. : sang) qui lui est présenté par le témoin de l’autre. Les témoins profèrent alors des imprécations (kutanga) au nom de leurs clients respectifs pour sceller le pacte : « Si tu me trouves malade ou blessé sur le chemin et si tu ne m’aides pas, que le gihango te tue ! »
« Si tu me refuses le gîte et la nourriture, que le gihango te tue ! »
Les deux frères de sang s’étendent alors sur la natte côte à côte pendant quelques instants, pour montrer qu’ils seront indissolublement unis aux bons comme aux mauvais jours.
Puis celui qui est étranger prend une poignée d’herbes et la jette dans le foyer en disant : « Si tu viens chez moi et que je sois absent, tu peux boire ma bière et te chauffer avec mon bois, que le gihango ne te fasse aucun mal, car tu n’auras voulu ni voler ma bière, ni brûler ma hutte. Mais si ma femme te refuse la bière et le bois, je ne serai pas en cause, car ma femme n’est pas liée comme nous par le pacte du sang. »
Les abanywanyi offrent alors des cadeaux aux témoins : houes, colliers, etc., et se font les cadeaux consistant en houes, chèvres, vaches, suivant leur fortune, afin de « se dégager de la natte sur laquelle le pacte de sang a eu lieu» (kwicara ku kirago).