Le Sort De La masse Hutu Sous La Monarchie Rwandaise
La deuxième constante de la politique indigène de la Belgique au Rwanda, à côté de la stabilisation et de la « rationalisation » des fonctions politiques indigènes, fut la protection de la liberté des habitants. On songeait bien sûr avant tout à l’amélioration du sort des Hutu, jadis « taillables et corvéables à merci ». Il a déjà été question du caractère souvent contradictoire et inconciliable de ces deux aspects de la politique indigène belge. L’idée de l’Administration était de conditionner son soutien à l’élite tutsi à des demandes de changements profonds qui rendraient la gestion du pays plus efficace et allégeraient le sort des Hutu. La Belgique espérait ainsi améliorer leur position sociale et économique sans pour autant mettre en danger le pouvoir politique tutsi ; elle croyait que les Hutu ne seraient capables de participer au progrès politique qu’après la disparition des distinctions traditionnelles entre les deux ethnies.
En 1917 le résident introduisit les premières mesures en faveur des Hutu par sa lettre n° 791/A/53. Un Tutsi dépouillant un Hutu de ses récoltes les lui rendrait en double ; un Tutsi envoyant paître son bétail dans les plantations d’un Hutu payerait à ce dernier le double des dégâts causés ; il était défendu aux notables d’exiger des prestations non prévues par la coutume. Deux remarques s’imposent immédiatement. D’abord, la formulation en termes d’antagonisme purement ethnique est frappante : l’Administration opère dans le cadre d’une hypothèse stéréotypée trop simple (tous les Tutsi sont des seigneurs et des éleveurs; tous les Hutu sont des sujets et des agriculteurs). Ensuite, le respect de ces règles dut être évidemment difficile à imposer, surtout si, comme l’indique Des Forges, les administrateurs, devant à la fois protéger les faibles et consolider le pouvoir des puissants, optèrent en général pour la voie la plus facile; soutenir l’autorité des puissants. C’est confirmé par quelqu’un qui l’a vécu de près ; R. Bourgeois regrette qu’on n’a trop souvent considéré comme d’excellents éléments les Tutsi qui faisaient le mieux exécuter les travaux imposés par l’Administration dans leurs circonscriptions, fermant les yeux sur les abus qu’ils commettaient à l’égard de leurs administrés, violant le droit commun et les prescriptions de la coutume amendée par nous.
En juillet 1917, le mwami fut contraint à promulguer une autre décision importante. La superficie des lopins de terre attribués à chaque foyer hutu devait être doublée, grâce surtout à la récupération des bas-fonds marécageux jusqu’alors accaparés par les propriétaires vachers pour la pâture de leurs troupeaux en saison sèche. Selon Lugan cette réforme est une des conséquences de la famine « Rumanura » qui sévit au Rwanda de 1916 à 1918. Ces terres en principe toujours humides devaient permettre aux cultivateurs d’obtenir un apport vivrier supplémentaire par la culture de patates douces. L’Administration tenta également, pendant longtemps sans beaucoup de succès, de faire respecter la sécurité de la propriété de leurs sujets par le mwami, la Cour et les notables. Les ordres en ce sens étaient rarement respectés. Dans les quelques cas où les administrateurs intervenaient en faveur des populations Hutu, la Cour et les notables contournaient leurs décisions en remettant leur exécution ou en les modifiant dès que l’administration les avaient oubliées ou se laissait distraire par d’autres problèmes. Par ordonnance législative n° 28/128 du 28 mars 1923, l’esclavage domestique fut aboli et les esclaves, encore détenus par des notables, libérés. L’article 2 de ce texte prévoyait des peines de un à cinq ans de servitude pénale pour « celui qui d’une manière quelconque réduira un indigène en esclavage ou le maintiendra dans cet état. »
C’est surtout dans le domaine des prestations coutumières que l’Administration tenta d’alléger le sort des Hutu. Une intervention effective dans ce domaine était techniquement relativement facile, mais pouvait être socialement disruptive. Au début de l’occupation belge, le Rwanda connaissait un grand nombre de prestations, d’impôts et de travaux coutumiers, dont certains de date assez récente, qui jouaient un rôle important d’intégration dans l’armature sociale et politique. Pour des raisons exposées plus loin, il était plus aisé de s’attaquer d’abord aux prestations coutumières autres que celles en travail. Par l’ordre de service n° 2213/Org du 26 décembre 1924, les prestations imponoke, indabukirano et abatora, qui donnaient lieu à des abus, furent simplement supprimées. Il fut décidé, en outre, que le tribut dû au mwami (ikoro) ne serait plus recouvré par ses propres collecteurs traditionnels, que Musinga envoyait directement chez ses sujets, mais par les soins des chefs et des sous-chefs. Le but de cette mesure était surtout d’éviter que les contribuables ne payent plus que ce que la coutume mettait strictement à leur charge. Selon l’Administration, les collecteurs rançonnaient les habitants au point que l’impôt réellement perçu représentait parfois le double de ce que prévoyait la coutume. Toutes les opérations de transfert de cette taxe furent inscrites en trois exemplaires, ce qui permettait de suivre la trace des taxes présentées au bureau territorial, mais pas de celles envoyées directement à Nyanza afin d’échapper aux contrôles.
Un ordre de service de 1931 reconnaissait et organisait un nombre limité de prestations, notamment l’ikoro (tribut royal pesant théoriquement sur tous les habitants du royaume), qui était remplacé par le paiement d’une somme d’un franc par an, et les ibihunikwa (prestations en vivres et objets et redevances spéciales pour les chefs et les sous-chefs), dont le taux était fixé clairement. Ce même texte fixa les « prestations politiques » imposées aux Tutsi; les chefs devaient se rendre quinze jours par an à la Cour du mwami et les sous-chefs devaient « faire la cour » à leur chef pendant dix à douze jours par an. Pour certains territoires d’abord par l’ordonnance n° 88/A.I.M.0. du 15 décembre 1933 et pour tous les territoires ensuite par l’ordonnance n° 68/A.I.M.0 du17 décembre 1934 le rachat des ibihunikwa aux chefs et aux sous-chefs fut organisé. Toutes les prestations autres que celles en travail purent dès lors être rachetées à des taux allant de 1,50 francs à 3 francs, acquittés tout comme l’ikoro lors du paiement de l’impôt de capitation.
C’est avec beaucoup plus de prudence que l’administration s’en prit aux corvées de travail ou journées de prestations rendues par les Hutu aux chefs et sous-chefs (uburetwa). Au début du règne du mwami Kigeri IV Rwabugiri (1860-1895), l’uburetwa n’existait pas. L’histoire rapporte qu’après une défaite lors d’une expédition militaire contre le royaume du Nkore, le mwami décréta que les Hutu, qu’il voulait punir de leur mauvais comportement durant le combat, ‘devraient cultiver le jour pour les Tutsi et la nuit pour eux-mêmes. Les Tutsi dirent qu’il était impossible de cultiver la nuit. Rwabugiri décida alors que les Hutu travailleraient deux jours pour les Tutsi et trois jours pour eux-mêmes. C’est à ce moment que commença l’ubuketwa’. Un rapport de 1916 indique que dans les provinces du nord (Bugoyi, Bushiru, Kingogo, Mulera…), l’uburetwa était à peine connu et qu’il s’était répandu dans les autres régions surtout depuis 1906-1908. Dans les régions périphériques l’uburetwa n’apparut qu’avec l’imposition de l’administration centrale. C’est confirmé par les recherches de Newbury au Kinyaga, où l’uburetwa « came to be identified with rule by Nduga and to represent the loss of autonomy formerly enjoyed by many lineages in the region. » Il serait donc erroné d’en faire une réalité purement précoloniale ; d’autre part, cette prestation ne fut pas non plus d’introduction spécifiquement coloniale. L’imposition de l’uburetwa et l’arrivée des Européens semblent avoir plus ou moins convergé ; il est à souligner cependant que la généralisation de cette prestation fut le fruit de l’intervention coloniale.
Au début de l’occupation belge, chaque ménage (urugo) dans le royaume central fournissait une prestation d’ouvrage de deux jours sur cinq (semaine rwandaise), ou 146 jours par an. En 1924, l’uburetwa fut réduit de 42 jours par an pour atteindre deux jours sur sept (semaine européenne). Des registres furent ouverts pour contrôler la régularité des jours prestés. Il est probable, cependant, que les livres furent toujours parfaitement en ordre mais que le travail exigé en excès des deux jours admis ne fut simplement pas inscrit. En 1927, la résidence décida une nouvelle réduction des prestations en travail, qui furent ramenées à un jour sur sept par famille ou un maximum de 13 jours par an et par mâle adulte et valide. Sur la base d’un simple calcul l’Administration estimait que cette réduction constituait un progrès considérable. La réforme pouvait provoquer une charge accrue pour bon nombre d’hommes hutu, parce que ce qui avait été précédemment une obligation imposée à un groupe devenait une obligation individuelle imposée à chaque adulte mâle. De plus, en contrepartie de la réduction, l’Administration entendait imposer ces prestations de manière uniforme, même dans les régions où la pratique était inconnue. Cette extension ne s’est pas opérée sans heurts. Ainsi, en 1923 et 1924, un nombre de lignages hutu du nord refusaient de se soumettre à l’uburetwa ; souvent, les chefs de ces lignages furent emprisonnés et, si le refus de l’uburetwa se couplait d’un refus de payer les taxes « européennes » et de faire akazi (corvées pour l’Administration), les Belges exilaient parfois les chefs des lignages récalcitrants. Ces mesures ne réussirent apparemment pas à briser la résistance de ces groupes.
La politique de réduction des prestations coutumières se heurta surtout à deux obstacles : d’une part, l’inertie des redevables qui restaient fidèles aux exagérations de la coutume ; d’autre part, le morcellement à l’infini de l’autorité qui aboutit, dans certaines sous-chefferies, à ne réunir que cinquante, voire vingt redevables sous un notable, qui de ce fait ne reçut pas une assistance suffisante (260 jours par an dans l’hypothèse de vingt redevables). C’est pourquoi certains sous-chefs de petits fiefs demandèrent spontanément à résilier leur commandement, les charges étant devenues plus grandes que les avantages. L’abolition progressive des ibikingi et le regroupement prenant forme dans le cadre de la réorganisation territoriale devaient toutefois remédier à ce problème.
L’Administration estimait à cette époque qu’il aurait été difficile d’aller plus loin dans la réduction des prestations en travail. Elle craignait le risque du bouleversement de l’organisation politique et sociale du pays si les réformes étaient poussées plus loin avant que cette organisation ne se soit elle-même transformée sous l’empire de facteurs économiques et d’une action graduelle de l’Administration. Ce fut d’ailleurs une des constantes de la politique belge au Rwanda : le progrès économique d’abord, l’évolution politique ensuite. Ce sera un élément important de divergences de vues entre l’O.N.U. et la Belgique. D’après l’Administration, c’était surtout par le droit coutumier aux prestations en travail que se traduisait l’autorité du chef ou du sous-chef sur ses sujets. Privé de ce droit, il n’aurait plus « ni prestige, ni pouvoir. » De plus, le rachat en argent ne semblait pas encore possible, la résidence estimant que, dans l’état du développement économique du pays, l’indigène n’aurait pas de ressources pécuniaires suffisantes pour remplacer immédiatement les prestations par des paiements en argent. Il fallait donc attendre la création de caisses indigènes, qui pourraient prendre en charge la rémunération des notables, avant de revoir la question. Lorsqu’en 1934, la création de trésoreries indigènes était à l’étude, Lord Lugard, membre de la Commission permanente des mandats, suggéra de rétribuer les chefs et les sous-chefs au moyen d’un traitement fixe en échange de la suppression de toute prestation. L’Administration réitéra ses arguments, surtout celui basé sur la valeur symbolique d’allégeance de l’uburetwa, à l’encontre du remplacement des prestations en travail par un impôt. Les redevances coutumières devaient donc rester la principale source de revenus des chefs et des sous-chefs ; source principale, puisque l’Administration en avait ajouté une autre, sous la forme d’une ristourne en argent sur le produit de l’impôt européen. Cette ristourne avait en réalité été introduite essentiellement pour stimuler une bonne perception de l’impôt.
Ce qui était impossible en 1934 devint partiellement possible en 1936, généralement admis en 1944 et obligatoire en 1949. A partir de 1936, il fut en effet permis aux indigènes travaillant régulièrement dans une entreprise européenne de racheter les corvées uburetwa. Implicitement, ceci veut dire que l’Administration reconnaissait la « détribalisation » de certains indigènes. A partir de 1938, en vertu d’une décision prise à la fin de 1937, le rachat des prestations en travail fut fixé à un franc par jour de travail, soit 13 francs par an. Les catégories d’indigènes qui pouvaient facultativement racheter l’uburetwa étaient :
- a) les indigènes appartenant au personnel du gouvernement ;
- b) les travailleurs réguliers au service de sociétés ou de particuliers européens ;
- c) les catéchistes ;
- d) les élèves des écoles primaires du second degré ;
- e) les Tutsi riches, propriétaires de dix têtes de gros bétail au minimum ;
- f) les émigrants saisonniers, absents de leur chefferie pendant au moins neuf mois par an.
Il est évident qu’il s’agit ici d’indigènes soit capables de payer le montant exigé, soit dans une certaine mesure sortis du milieu coutumier, soit économiquement actifs dans un domaine qui souffrirait de leurs absences répétées ou encore une combinaison de ces trois situations. Si l’Administration entendait donc en principe respecter le régime des prestations, celles-ci ne pouvaient contrarier les intérêts économiques belges, notamment dans les mines et les plantations.
En politique, les choses vont souvent bien plus vite que prévu ou souhaité. Le Rapport pour l’année 1938 souligne encore que « si la suppression de ces prestations reste le but final à atteindre, elle ne pourra, cependant, être réalisée avant longtemps. » Vers la fin de 1944 déjà il fut cependant décidé, sur l’avis conforme du mwami et de son conseil, de permettre à tous les indigènes sans exception le rachat facultatif des prestations coutumières en travail. D’emblée, la pratique devint quasi générale au Rwanda : 80% environ des contribuables payèrent, en 1946, la valeur du rachat fixée à 19,50 francs, plutôt que de prester les treize jours de travail exigés par la coutume telle qu’adaptée depuis 1924. Un an plus tard, ce pourcentage avait atteint 90. Dès lors, en 1949, le rachat fut rendu obligatoire pour tous.
L’historique de la suppression de l’uburetwa est intéressante sous plusieurs angles. Dans son souci d’uniformisation, l’Administration a d’abord essayé de généraliser cette coutume de date récente, même là où elle n’existait pratiquement pas, tout en essayant de protéger la population contre les excès. Soucieuse, comme toujours, de l’ordre traditionnel existant, elle a longtemps, certainement jusqu’en 1937, résisté à des demandes de changement fondamental du régime des prestations en travail. En l’espace de quelques années, elle a dû ensuite consentir à l’abolition de cette coutume considérée jadis comme essentielle à l’ordre social et politique. L’impensable devint faisable en quelques années. L’évolution de l’uburetwa est également une bonne illustration du phénomène de la bureaucratisation de la chefferie, dont il fut question plus haut. Une prestation coutumière, caractéristique d’une relation personnelle entre gouvernant et gouverné, est remplacée par un impôt, moyen de gestion bureaucratique. Au terme de cette évolution, un grand nombre d’autres redevances au mwami et aux chefs et sous-chefs avaient disparu ou étaient fiscalisées.
Quoique l’Administration belge estimait réduire les charges pesant sur les masses paysannes, la période coloniale fut en réalité une époque de contraintes, certainement jusqu’à la fin des années quarante. Il y a d’abord la voie royale de l’économie qu’est la fiscalité, employée par toutes les puissances coloniales pour obliger les indigènes à s’intégrer à l’économie monétaire et à fournir des produits et des services. L’impôt de capitation fut introduit en 1917. D’un montant initial de 3,5 francs par homme adulte valide (H.A.V.), il fut ensuite différencié en fonction du niveau économique de chaque territoire pour atteindre une moyenne de 7,5 francs en 1927, 15 francs en 1930, 30 francs en 1940 et 46 francs en 1945.
A part les impôts, l’Administration imposait d’autres prestations à la population. Il y avait notamment l’akazi, c’est-à-dire les travaux non rémunérés d’intérêt public, notamment en matière de voirie, effectués par voie de réquisition. Ces travaux pouvaient être très considérables. L’art. 48 de l’ordonnance législative du 4 octobre 1943, stipulait que le programme d’ensemble des travaux imposés était arrêté chaque année par le gouverneur de telle façon que nul ne soit contraint de coopérer plus de soixante jours par an ; la limite de soixante jours pouvait toutefois être dépassée si la salubrité publique ou les besoins de l’alimentation des populations indigènes exigeaient des travaux urgents. D’autres obligations coloniales étaient définies comme « travaux exécutés dans l’intérêt des collectivités » ou « travaux imposés par l’autorité européenne dans l’intérêt des travailleurs eux-mêmes ». L’ordonnance n° 52 du 7 novembre 1924 autorisa le résident à obliger les indigènes à se livrer à des travaux et plantations de rapport. Le règlement du résident du Ruanda n° 89 du 17 août 1931 définit certains travaux agricoles imposés : aux époques des semailles et jusqu’à celle des récoltes tout indigène adulte et valide était tenu de maintenir en culture une superficie minimale de 35 ares réservée aux plantations vivrières; outre cette superficie il devait à toute époque de l’année maintenir 15 ares au moins de plantes vivrières non saisonnières, dont 10 ares devaient être obligatoirement plantées de manioc. Ces superficies furent augmentées plus tard, notamment par le règlement n° 11 du 22 décembre 1944. Ces règlements étaient pris en exécution de l’ordonnance législative n° 7 du 20 août 1927, approuvée par le décret du 3 décembre 1927, dont l’art. 1 stipulait que « tout indigène autochtone adulte de sexe masculin résidant dans sa chefferie est tenu de constituer à l’époque de la récolte des céréales et des légumineuses et aux dates fixées par le résident compétent des réserves de vivres destinées à la consommation de sa famille. » L’ordonnance n° 70/A.I.M.0. du 20 novembre 1944 imposait d’autres obligations, telles le reboisement, la lutte anti-érosion, l’utilisation de la fumure, la restriction de la vente ou de la consommation d’espèces sélectionnées et des campagnes de destruction d’animaux nuisibles. Il n’est nullement question ici de mettre en cause l’utilité de la plupart de ces mesures. Mais, si elles étaient prises dans l’intérêt des populations, elles étaient introduites à un moment d’importantes mutations, notamment la transition d’une économie de subsistance et d’échange à une économie monétaire.
Le rapport annuel de 1929 tâche de démontrer que les charges fiscales, combinées aux prestations coutumières telles qu’adaptées, étaient sensible ment plus légères que les obligations traditionnelles avant l’occupation belge.
L’Administration estimait à 57,75 francs la valeur totale des prestations coutumières avant les réformes et concluait donc à une diminution de 25,25 francs des charges annuelles.
Quelques remarques doivent être faites à ce propos. D’abord, en ce qui concerne la valeur de l’uburetwa, on constate qu’une obligation de groupe était maintenant officialisée comme une obligation individuelle imposée aux H.A.V ; ceci impliquait des demandes plus fréquentes et plus régulières à un groupe plus restreint. L’Administration se refuse ensuite à inclure l’akazi dans son calcul, pour la simple raison qu’en 1929 il n’y en avait pas eu. Elle ne compte pas non plus les travaux effectués dans l’intérêt même des indigènes. Enfin, avec Chrétien il faut insister sur le fait que tenir le raisonnement de l’Administration était « méconnaître évidemment la mutation que représentait le passage des services en nature aux règlements monétaires. »
L’augmentation de la contrainte est indéniable. Ce n’est que grâce à la culture du café et au travail « à but limité » à l’étranger que la plupart des ménages purent s’acquitter de ces charges. Les grandes émigrations de Rwandais, notamment vers l’Ouganda, étaient en partie une conséquence de ces lourdes obligations. Tous les auteurs citent, à côté de la dot, l’impôt comme un des mobiles immédiats du départ. Les me sures juridiques que prit le gouvernement pour limiter les émigrations massives par le décret du 19 juillet 1926, notamment pour « empêcher que les exodes consécutifs puissent compromettre le maintien des puissantes communautés indigènes qui font la force et la valeur du territoire » , ne parvinrent que partiellement à enrayer ces exodes vers l’Est africain. A la fin des années vingt, environ 50.000 Rwandais ou un adulte masculin sur six émigraient saisonnièrement chaque année. Jusqu’en 1959, avant la révolution, 350.000 Rwandais étaient partis en Ouganda et 35.000 au Tanganyika. En 1949 un missionnaire estimait que, dans certaines paroisses, jusqu’à 75% des jeunes hommes partaient à un moment ou l’autre.
Une conséquence importante des émigrations pour échapper aux obligations en nature, en travail ou en taxes était que ceux qui restaient subissaient davantage encore l’accumulation de charges, puisque ni les autorités indigènes ni l’Administration belge ne tenaient compte de cette diminution de la population corvéable dans leurs exigences.