L’Evolution Politique Et Sociale Du Rwanda D’Avant L’Indépendance
Durant toute l’année 1958, autant la vie sociale et politique fut volcanique. Il est bien évident toutefois que petit à petit les esprits et les cœurs évoluaient au rythme des événements. On peut bien affirmer que des mutations profondes commençaient à se produire dans les mentalités individuelles et surtout collectives. Avant de poursuivre cette chronique il faut mentionner ici le fameux « Décret sur la réorganisation politique du Ruanda-Urundi du 14 juillet 1952 ». C’est ce « Décret » en effet, œuvre du Gouverneur Pétillon, qui allait conditionner l’évolution politique du Ruanda-Urundi vers l’Indépendance. Il renforce les pouvoirs du Mwami et surtout il instaure le « Conseil Supérieur du Pays » qui allait jouer un rôle déterminant tout au long du l’année 1958. Cette nouvelle organisation démarquait aussi de façon plus visible le pouvoir de la tutelle et celui du Mwami et de ses chefs : Monsieur Harroy parle de « deux pyramides de pouvoir juxtaposées »: celui du Rwanda-résidence : le blanc et celui du Rwanda-pays : le noir.
Il est important de signaler aussi un « troisième pouvoir », celui de l’ONU qui joua alors un rôle prépondérant dans l’évolution politique et sociale du Rwanda, comme aussi d’ailleurs du Burundi.
L’accord de Tutelle pour le Rwanda fut approuvé par l’Assemblée générale de l’ONU le 13 décembre 1946. Son action se manifesta particulièrement par les visites périodiques de ses délégués. La première en date est de 1948. Il y eut ensuite des visites de l’ONU en 1952, en 1954, en 1955, en 1957, en 1960.
« La charte des Nations-Unies consacre dix-sept articles (art. 91 à 95) au Régime, de Tutelle qu’elle organise, un régime inspiré et basé sur la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et destiné à éteindre les derniers vestiges de l’ancien système colonial ».
Les deux dernières visites de l’ONU, celle de 1957 : 18 septembre — 8 octobre ; et celle de 1960: 8-21 mars. On put voir sur les routes les masses de population exhibant leurs pancartes — celles de l’UNAR, demandant l’indépendance immédiate, et celles des Hutu demandant au préalable la « déféodalisation ».
Ce qui est certain c’est que les recommandations onusiennes allaient toutes dans le même sens à savoir « accélérer l’évolution politique vers l’autonomie et l’indépendance ».
L’année 1958 au Rwanda fut « volcanique ». On peut affirmer, sans risquer de se tromper, que les idées et les revendications qui couvaient les années précédentes éclatent au grand jour.
Le problème ethnique sous toutes ses faces est discuté ouvertement. Tout le monde connaît les prises de position d’Albert Maus, ancien scheutiste, colon installé au bord du lac Tanganyika. Il fut un des premiers à prendre la défense des Hutu aux réunions du Conseil Général du Ruanda-Urundi. En 1958, il fut l’instigateur d’une « commission privée » de ce Conseil général auquel il remit un rapport très concret le jour de sa rentrée, 1er décembre 1958.
Le 4 avril 1958 les statuts du « Mouvement Social Muhutu » sont approuvés par le Gouvernement de la Tutelle auprès duquel ils avaient été déposés le 1er mai 1957. C’est ce mouvement qui plus tard donnera naissance au parti du même nom, le PARMEHUTU.
Les idées nouvelles « volcaniques » apparurent principalement tout au long des sessions du Conseil Supérieur du Pays, instauré, comme je l’ai rappelé plus haut, par le décret sur la réorganisation politique du Ruanda-Urundi le 14 juillet 1952. Un comité fut constitué pour « l’étude de l’aspect social Muhutu-Mututsi ». La première convocation du comité d’étude par Mutara est du 30 mars 1958.
Première session tenue à Nyanza du 31 mars au 3 avril 1958.
Sont présents, 6 membres du Conseil Supérieur du Pays, à savoir : Claver Bagirishya, président, Prosper Bwanakweli, Hormisdas Mbanda, Michel Rwagasana, Justin Gashugi, membres; Pierre Mungarurire, rapporteur et 5 membres pris parmi les dix signataires du « Manifeste des Bahutu », à savoir : « Gitera » Joseph Habyarimana, Max Niyonzima, Calliope Murindahabi, Balthasar Bicamumpaka et Bendantunguka.
Le thème des discussions s’intitulait : Étude de l’aspect social muhutu – mututsi. Le rapport de cette première session couvre 21 pages folio. Il serait fastidieux de décrire dans le détail ces discussions interminables. Voici cependant quelques interventions tout d’abord à propos de l’administration du pays :
— Les représentants hutu reviennent constamment sur leurs revendications fondamentales :
« Le motif de notre présence ici, rappelle M. Gitera, est de voir pourquoi les 3 groupes ethniques ne jouissent pas ensemble dans le domaine patrimonial du pays des mêmes avantages et que c’est seulement un de ces trois qui en a la jouissance exclusive.»
Réponse de Bwanakweli :
« Maintenant nous comprenons que de beaucoup de choses écrites il n’y aurait que ceci à retenir: c’est l’Administration du pays dont la charge est assurée par un seul groupe: nous devons voir si cet état de choses est dû aux Batutsi ou à un système en vigueur et alors voir les mesures à prendre dorénavant en vue d’un changement éventuel ou, comme cela semble être pour le moment, laisser le temps accomplir ce changement. C’est à mon avis tout le problème».
Le premier sujet de discussion portait sur une participation équitable des Bahutu à l’administration du pays et sur les moyens concrets d’y parvenir. Ce premier point s’acheva dans un flou bien rwandais.
La deuxième discussion avait trait au domaine judiciaire. Le problème est posé de façon abrupt par Gitera : « Ici aussi, dit-il, il y a un monopole absolu, c’est là l’avis des pétitionnaires ». Mais comment remédier à cet état de choses étant donné que les Hutu n’ont pas du personnel formé ?
On s’accorda finalement sur la nécessité de cette formation préalable et ensuite sur un choix des juges déterminé par un examen approprié.
La troisième discussion portait sur « la gestion des fonds publics »; Max Niyonzima fait remarquer d’emblée :
« Nous croyons que ces caisses ne servent que d’un côté, le côté mututsi : c’est lui seul qui a en mains ces fonds, lui seul qui en touche le contenu et de la façon qu’il désire ; nous voudrions qu’un d’entre nous Bahutu soit au courant de la marche de ces fonds. » Les discussions n’aboutirent à aucune conclusion — le problème et la séance sont suspendus.
Deuxième session, à Nyanza, des 9 et 10 avril 1958: (11 pages in-folio).
Membres : Bagirishya Claver, président du comité. Kagiraneza Jean (Abbé), Gashugi Justin, Bwanakweli Prosper, Gitera Joseph, Niyonzima Max, Ndahayo Claver, Bendantunguka, rapporteur, remplaçant Mungarurire, absent.
La question à traiter, l’enseignement :
— « Y a-t-il, demande le président, monopole de fait du Mututsi sur le Muhutu au point de vue scolaire, c’est-à-dire y a-t-il plus de Batutsi que de Bahutu dans les écoles primaires, secondaires et supérieures? »
—La réponse, fait remarquer justement Bwanakweli, ne peut être donnée que par les statistiques.
—De quelles écoles s’agit-il? Gitera répond :
« Notre texte ne prête à aucune équivoque : il s’agit de toutes les écoles à formation spécialisée en vue du bon gouvernement du pays et en général du bien-être du Munyarwanda, à savoir: les sections administratives, judiciaires, médicales et vétérinaires d’Astrida, les écoles de police, les écoles de moniteurs et monitrices, les collèges, les universités au Rwanda et à l’étranger etc. »
Il n’est pas nécessaire d’examiner le cas des écoles primaires. On laisse de côté aussi pour le moment les séminaires.
— Max Niyonzima fait remarquer que selon ce qui a été dit plus haut, la ségrégation a commencé depuis longtemps.
—Dans l’après-midi de ce jour le comité se rend à Save (école de monitrices) et à Astrida (Groupe Scolaire) pour s’informer sur place des proportions ethniques dans ces deux écoles. Prise au dépourvu, la direction de ces établissements remet à plus tard la réponse à cette demande de renseignements.
—La séance du 10 avril est consacrée à la rédaction de 2 lettres, une destinée aux établissements scolaires et l’autre au secrétaire du Conseil Supérieur du Pays ainsi qu’aux Vicariats apostoliques et aux supérieurs de toutes les congrégations religieuses des différentes confessions existantes au Rwanda. On voudrait savoir à quelle « race » ils appartiennent. Cette question sera reprise à la troisième session. Dans l’après-midi de cette même journée du 10 avril, les sessionnistes discutent de l’opportunité de choisir un représentant des Hutu auprès du Mwami à l’exemple des Twa qui en ont un en la personne d’un certain Harerinka. Cette question des « représentants ethniques » est très controversée. Mungarurire surtout y voit une source de « division » dans le pays.
Pour la deuxième séance (17 pages de rapport) de cette session, le comité est composé de 6 membres du Conseil Supérieur du Pays, à savoir : Bagirishya, président, Bwanakweli, Kayihura, Abbé Kagiraneza, Gashugi, Mungarurire, rapporteur, et de 6 membres du groupe « Manifeste des Bahutu », à savoir : Gitera, Niyonzima, Mulindahabi, Bicamumpaka, Bendantunguka, et Ndahayo.
Interminable discussion sur un texte proposé par le Manifeste des Bahutu à propos du Mwami et de son rôle dans le pays :
Voici ce texte :
« Au nom de Gahutu que nous représentons, nous voulons que le Mwami soit un Mwami et un véritable Père commun du Rwanda, le Mwami n’a pas de race. Il n’est ni mututsi ni muhutu ni mutwa, il est le fondateur des races, il n’est donc pas muhindiro ».
—La représentativité du groupe est mise en doute : « Est-ce que ce groupe représente vraiment tous les Bahutu ? « « Ici, répond Gitera, nous sommes une délégation de tous les Bahutu. » Bwanakweli répond: « Vous êtes un groupe de pétitionnaires et non les représentants des Bahutu ».
On discute ensuite sur le texte relatif au Mwami : Est-ce que vraiment le Mwami favorise les Batutsi et parmi eux spécialement les « Bahindiro »?
Max Niyonzima :
« C’est le Mwami qui fait la nomination des chefs, des sous-chefs dans le cadre administratif. Il fait de même dans le cadre judiciaire pour les juges, assesseurs et greffiers, et partout y favorise les Batutsi, les nomme sans tenir compte de l’égalité de trois races ».
—On conteste également la représentativité du Conseil Supérieur du Pays. Gitera :
« Voici ce que je veux dire quand je déclare que le Conseil du Pays n’est pas représentatif. Représentatif d’après le décret: oui, mais non pas en fait, parce que constituée par des Batutsi seulement ».
—Le chef Gashugi essaie d’expliquer pourquoi les Bahutu ne sont pas aux postes de commandement. À son avis c’est parce que, pour les cas qu’il connaît,
« …après leur investiture, ils se sont attelés à dépouiller leurs gens de leurs biens : chèvres, moutons, etc. et ceci dès le début de leur carrière. L’État et le Mwami, mis au courant de ces agissements, sont intervenus pour les obliger à restituer et ensuite les écarter des fonctions publiques. C’est à ce moment qu’on s’est rendu compte qu’il n’était pas opportun de placer des Bahutu dans des postes de commandement. »
Il ajoute :
L’Indara, ma chefferie actuelle, fut avant moi, confiée au Muhutu Bikotwa. Lorsqu’il y avait un de ses sujets qui ne lui obéissait pas, le chef Bikotwa, pour toute punition le faisait lapider, s’arrogeant ainsi un pouvoir que la coutume ne lui reconnaissait pas. Évidemment il fut destitué et ce fut une autre preuve pour les autorités, attestant un manque total du sens de commandement chez les Bahutu.
« 3ème cas » Rukara, fils de Bishingwe, eut un commandement politique au Mulera, à Mugahunga ensuite; lui et son frère Manuka, assassinèrent un prêtre blanc (le P. Loupias). Manuka fut incarcéré ici à Nyanza. Tous ces exemples joints à d’autres encore, obligèrent les autorités à ne pas trop vite passer le commandement aux Bahutu, qui s’en montraient ainsi inaptes ».
Et Gashugi poursuit son argumentation en citant les noms de quelques personnalités — Kayibanda en particulier — qui refusèrent les postes de commandement que leur proposait le Mwami. Il montre ensuite combien le Mwami et le Conseil Supérieur du Pays s’intéressaient aux Bahutu et leur vinrent en aide en supprimant « akazi » les « corvées » et ensuite le système du « buhake » (servage).
Gitera répond au chef Gashugi et se résume en disant:
« Ces différentes nominations avancées par Gashugi sont des cas isolés qui ne prônent pas pour le relèvement massif de toute la population… le fait reste inchangé dans son fond: tous les domaines examinés démontrent que tous les postes sont occupés par des Batutsi. »
Voici une affirmation caractéristique de M. l’Abbé Kagiraneza :
« Il appert que si même le Gouvernement de notre Pays a été jusqu’ici confié à un groupe ethnique cela était une nécessité évidente de circonstance. À quiconque voudrait le voir objectivement, cela est absolument authentique ». Par contre je tiens à citer « in extenso » une réflexion qui me paraît très sage du chef Mungarurire :
« Tout ceci n’est que l’histoire d’un pays qui évolue, et c’est normal. Les Européens en arrivant dans le pays, ont trouvé une domination mututsi; ils ne pouvaient d’un trait de plume tout changer; c’eût été d’ailleurs provoquer par ce fait l’anarchie. Ils ont créé des écoles et ont dû commencer par instruire ceux qui étaient plus aisément à leur portée, et ceux-ci n’étaient surtout que des Batutsi; ce fût normal aussi. Progressivement cependant, les Bahutu se sont instruits également et ont occupé de plus en plus des places dans l’Administration; pour le moment, nous voici au stade où de fait, il importe d’égaliser les chances pour tous Munyarwanda et c’est à quoi nous travaillons maintenant. En conclusion, ce n’est pas la peine de nous jeter les pierres, pour voir si le tort est du côté muhutu, mututsi, Mwami ou européen, alors qu’il n’est de personne; il n’y a même pas de tort du tout, ce ne sont que les fluctuations normales d’un pays qui évolue, qui parcourt le chemin sinueux mais normal de son histoire. Ne regardons pas trop en arrière, c’est inutile. Envisageons le problème dans son état actuel, et donnons-lui des solutions adéquates qui s’imposent. C’est comme cela que j’envisage le problème. Je crois que ceux qui se cramponnent sur ces questions des torts muhutu, mututsi ne le font que pour une accentuation qui a un autre but, et non en vue de pourvoir à une réorganisation politique, qui, à mon avis, est pour le moment à mettre au point. »
« Entendons-nous pour changer ce système »: c’est le mot de la fin de Ndahayo Claver.
Et le président du comité de conclure :
« Je ferme la discussion sur ce point et propose de passer à l’examen de la réorganisation politique ».
De l’avis presque unanime, ce sujet demanderait une étude préalable à confier à une commission ad hoc. Il est intéressant toutefois de souligner l’intervention du chef Bwanakweli qui propose d’emblée l’instauration d’une monarchie constitutionnelle. On se rappelle qu’en 1955 déjà,
Bwanakweli faisait partie d’un mouvement politique, le M.P.P. (le Mouvement Politique Progressiste) dont un des objectifs était « l’évolution des coutumes et des institutions coutumières vers une conception démocratique ».
Voici ce qu’il propose au comité d’étude :
« À mon avis, le remède (à la situation actuelle) serait celui-ci : « une refonte complète de la politique actuelle », le Mwami deviendrait un roi constitutionnel, et n’aurait pas de pouvoir personnel direct; pour ce faire, il faudrait exiger une constitution. »
Et il précise sa pensée :
« Je tiens à expliquer ma proposition de tout à l’heure, pour que, même si elle ne faisait pas l’objet de cette étude à faire par la commission du C.P., du moins que celle-ci s’oriente dans le sens de ma proposition : en d’autres termes, je lui prépare des principes de base qu’elle devra s’inspirer.
1° Il faudrait un roi constitutionnel ;
2° Il faudrait des ministres responsables ;
3° Le suffrage pour la nomination des autorités indigènes devrait être prévu ;
4° Pour les conseils il faudrait :
- a) Le suffrage direct pour le conseil des chefferies, de Territoire et du pays ;
- b) Il faut accorder plus de pouvoir à ces conseils ;
- c) Il faut admettre dans ce conseil dans l’ordre d’un tiers seulement, la présence des autorités indigènes en tant que techniciens et experts. »
C’était audacieux, pourtant cinq membres du comité se rallieraient à cette proposition. On comprend aussi dès lors que Bwanakweli ne fut plus dans les meilleures grâces auprès du Mwami.
Un dernier point fut examiné au cours de cette session du comité pour « l’étude de l’aspect social muhutu-mututsi ». C’est celui des abus. Le comité prend les lettres adressées au Mwami pour y relever les doléances contre les abus dont souffrent les Bahutu, exception faite de celles qui ont rapport aux points déjà traités par le comité. Suit une énumération de certains abus :
—exiger des cadeaux pour l’inscription des naissances ou des décès ;
—travaux gratuits pour les autorités… ressemble au « buhake»;
—les sous-chefs exigent un paiement rapide de l’impôt sur le bétail alors qu’eux-mêmes s’en exemptent.
—des ordres vexatoires.
Ces discussions n’aboutissent à aucune conclusion valable.
Troisième session du comité d’étude de la question sociale muhutu-mututsi 4-7 juin 1958 (16 pages de rapport in-folio)
5 membres du Conseil Supérieur du Pays : président, Bagirishya ; membres : l’abbé Kagiraneza, Bwanakweli, Gashugi; rapporteur : Mungarurire.
5 membres parmi les signataires du Manifeste des Bahutu : Niyonzima, Bendantunguka, Ndahayo, Bicamumpaka, Mulindahabi.
Sujet étudié : l’enseignement après la réception des renseignements demandés.
Constatations : 29 établissements primaires sur 114 soit 25 % du total ont répondu ; chiffre total dans ces écoles : 29 953 bahutu, soit 67,81 % ; et 14 211 batutsi soit 31,70%; 32 batwa soit 0,01 %. Ecoles secondaires : 29 établissements ont répondu sur 47 sollicités ; 1116 bahutu soit 39,20 %, 1740 batutsi soit 60,80 %, 0 batwa.
Tout le comité se rallie à Bwanakweli pour constater la supériorité numérique des Batutsi dans toutes les écoles compte tenu surtout de la proportion hutu-tutsi de l’ensemble de la population.
On examine ensuite les causes de ce phénomène.
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En résumé, les causes retenues de ce phénomène sont au nombre de quatre, mais l’accord sur ces causes n’est pas unanime.
1° Le monopole politico-socio-économique des Batutsi qui leur assure une plus grande aisance matérielle.
2° Un élément psychologique : le Mututsi tient davantage à l’école parce qu’il a plus de chance d’obtenir une fonction dans l’administration.
3° Le système des corvées qui défavorise le Muhutu.
4° La négligence des autorités coutumières qui ne poussent pas assez les parents à envoyer leurs enfants à l’école.
Suivent quelques considérations particulières de l’une ou l’autre école ou paroisse : le groupe scolaire d’Astrida, le Vicariat apostolique de Kabgayi, la paroisse de Mushishiro, le CMS de Byumba.
Les remèdes préconisés pour établir un certain équilibre et faire en sorte que les élèves bahutu soient plus nombreux dans les écoles :
Le président résume les solutions données comme remèdes à l’état des choses qui vient d’être constaté, à savoir la supériorité numérique des Batutsi dans les écoles. Il invite les membres du comité à discuter le bien-fondé de ces remèdes.
1° Une propagande poussée pour les enfants Bahutu à l’âge de scolarité pour que ceux-ci fréquentent en grand nombre les écoles, propagande qui serait faite par l’autorité coutumière et l’élite du pays.
2° Accorder des bourses d’études à partir du cycle post-primaire et pour cela création d’une commission muhutu-mututsi pour examiner chaque cas.
3° Neutraliser et déraciner le favoritisme existant dans la section administrative d’Astrida et mener une publicité auprès des élèves les informant que chacun peut entrer sans distinction de race dans cette section.
4° Création des fonds à l’initiative privée.
5° Attirer l’attention du corps enseignant pour que les enfants ne lâchent pas l’école sans en avoir achevé le cycle complet.
—Le moyen « propagande » fut finalement récusé par les membres tutsi du comité, sous prétexte du manque de locaux scolaires.
—Le moyen « attribution de bourse » par la création d’une commission bipartite est refusé lui aussi.
—Quant au favoritisme on le nie pratiquement en expliquant comment les circonstances historiques ont fait en sorte qu’il n’y eut que des Tutsi au Groupe Scolaire d’Astrida : ce n’était pas du favoritisme; c’était l’histoire.
Les travaux de ce comité d’étude s’achevèrent le 7 juin 1958; en tout 65 pages de rapport. Je n’ai pas sous les yeux la suite des discussions de ce « Comité d’étude », mais je pense que l’essentiel se trouve dans le résumé ci-dessus. Ce que j’ai écrit montre en suffisance que chaque partie est restée sur ses positions.
D’ailleurs le compte rendu de ces travaux devait être examiné par le Conseil Supérieur du Pays. Celui-ci allait se réunir en session extraordinaire, dans ce but, à partir du 9 juin 1958, deux jours après l’achèvement des travaux du comité d’étude.
Deux faits importants sont à signaler qui creusèrent encore davantage le fossé qui divisait Hutu et Tutsi et rendirent extrêmement tendue l’atmosphère de la session extraordinaire du Conseil Supérieur du Pays.
Le premier de ces faits est une lettre adressée au Roi à l’intention du « comité d’étude » faisant état d’une propagande de « rumeurs accusant les leaders hutu membres du comité, d’être des rebelles… »
« Sire, conclut la lettre, laisser continuer ces diffamations calomnieuses nuit non seulement aux Bahutu mais aussi à l’union des trois races de votre royaume ».
Le deuxième fait est beaucoup plus grave et très significatif de la vieille mentalité tutsi : il s’agit d’un document daté du 17 mai 1958 et signé de 12 dignitaires parmi les plus hauts placés de la cour qui se qualifiaient eux-mêmes de « grands serviteurs de la royauté».
Pourquoi ce document ?
« Il semble, écrit Murego, que les grands serviteurs de la cour aient voulu attirer l’attention sur l’erreur que commettaient les gouvernants tutsi en acceptant de discuter leur gestion du pays avec leurs sujets, ce qui risquait de changer ce que la nature et l’histoire ont fixé, à savoir qu’il est du droit des Tutsi de commander et du droit des Hutu d’obéir… »
C’est toute la doctrine politique de l’ancienne mentalité de la cour qui y est condensée.
Ce texte est connu :
« Voici le détail historique du règne des Banyiginya au Rwanda.
L’ancêtre des Banyiginya est KIGWA, arrivé à Rwanda (rwa Gasabo — localité) avec son frère nommé MUTUTSI et leur sœur NYAMPUNDU.
Ils avaient avec eux leur gros et petit bétail ainsi que de la volaille, chaque fois en paires sélectionnées de mâle et femelle. Leur mutwa MIHWABIRO les suivait de très près. Leurs armes étaient des arcs doublés (ibihekane) ; leurs occupations étaient la chasse et la forge.
Le pays était occupé par les BAZIGABA qui avaient pour roi le nommé KABEJA. Les sujets de Kabeja vinrent d’abord en petite délégation ensuite beaucoup plus nombreux, et ceux-ci de par eux-mêmes, voir la famille Banyiginya et s’entretenir avec elle. Celle-ci leur a donné, d’abord gratuitement ensuite moyennant services, des charges de viande, fruit de leur chasse. Dans le royaume de Kabeja on ne savait pas forger : aussi tous les ressortissants de ce pays sont venus prester les services auprès de la famille Kigwa pour avoir des serpettes et des houes.
Les relations entre les sujets de Kabeja et la famille Kigwa furent tellement fortes que ces derniers abandonnèrent leur premier maître et se firent serviteurs de Kigwa.
L’affaire en étant ainsi jusqu’alors, l’on peut se demander comment les Bahutu réclament leurs droits au partage du patrimoine commun. Ceux qui réclament le partage du patrimoine commun sont ceux qui ont entre eux des liens de fraternité. Or les relations entre nous (Batutsi) et eux (Bahutu) ont été de tous temps, jusqu’à présent basées sur le servage; il n’y a donc entre eux et nous aucun fondement de fraternité. En effet, quelles relations existent entre Batutsi, Bahutu et Batwa ? Les Bahutu prétendent que Batutsi, Bahutu et Batwa sont des fils de KANYARWANDA, leur père commun. Peuvent-ils dire avec qui Kanyarwanda les a engendrés, quel est le nom de leur mère et de quelle famille elle est ?
Les Bahutu prétendent que Kanyarwanda est père de Batutsi, Bahutu et Batwa; or nous savons que Kigwa est de loin antérieur à Kanyarwanda et que conséquemment Kanyarwanda est de loin postérieur à l’existence des trois races Bahutu, Batutsi et Batwa, qu’il a trouvées bien constituées. Comment dès lors Kanyarwanda peut-il être père de ceux qu’il a trouvés existants? Est-il possible d’enfanter avant d’exister? Les Bahutu ont prétendu que Kanyarwanda est notre père commun, le « Ralliant » de toutes les familles Batutsi, Bahutu, Batwa ; or, Kanyarwanda est fils de Gihanga, de Kazi, de Merano, de Randa, de Kobo, de Gisa, de Kijuru, de Kimanuka, de Kigwa. Ce Kigwa a trouvé les Bahutu dans le Rwanda. Constatez donc, s’il vous plaît, de quelle façon, nous Batutsi pouvons être frères des Bahutu au sein de Kanyarwanda, notre grand-père.
L’histoire dit que Ruganzu a tué beaucoup des « Bahinza » (roitelets). Lui et les autres de nos rois ont tué des Bahinza et ont ainsi conquis les pays des Bahutu dont ces Bahinza étaient rois. On en trouve tout le détail dans « l’Inganji Kalinga ». Puisque donc nos rois ont conquis les pays des Bahutu en tuant leurs roitelets et ont ainsi asservi les Bahutu, comment maintenant ceux-ci peuvent-ils prétendre être nos frères ? »
C’est dans ce climat tendu que s’ouvrit la session du Conseil Supérieur du Pays qui allait étudier le problème hutu-tutsi à la lumière du rapport présenté par le comité d’étude. C’était le 9 juin 1958 : date mémorable s’il en fut. La session dura 4 jours.
Il est utile de noter qu’à cette session assistaient, au titre d’invités : le chef de service européen des affaires indigènes du Ruanda-Urundi, le conseiller du roi, le Père inspecteur des écoles du secteur de Kabgayi et six leaders hutu venant du groupe des auteurs du manifeste des Bahutu. Leur voix n’était que consultative.
Je n’ai pas en ma possession le rapport de cette session du Conseil Supérieur du Pays qui examina les considérations et les conclusions du comité d’étude sur l’aspect social muhutu-mututsi du problème rwandais. Ceux qui ont étudié ce volumineux dossier ont constaté que « la majorité tutsi du conseil, dont deux abbés, affichaient une position en faveur des hutu ». Voici par exemple une intervention sans ambiguïté :
« Nul n’ignore que par le passé, souvent les Bahutu, à quelques exceptions près, étaient relégués au second plan ; à eux seuls, les travaux sales et pénibles; certains même autrefois les méprisaient, les maltraitaient ou ignoraient en eux la valeur et la dignité humaine qui n’était reconnues qu’aux nobles seuls. »
Mais cette majorité des « modérés » ne parvint pas à faire passer son point de vue. Finalement c’est la position des « grands serviteurs de la royauté » qui prévalut et qui fut hélas consacrée par la déclaration finale du Mwami dont voici le texte :
« Je ne crois pas me tromper en déclarant que c’est pour la première fois depuis toute l’existence du Rwanda que l’on entend parler de ce problème récemment débattu ici au Conseil, de l’opposition des Bahutu et des Batutsi ; mais j’espère que c’est aussi pour la dernière fois, car la division et l’opposition au sein d’un peuple est tout ce qu’il y a de plus funeste à son progrès. Personne ne s’empêcherait de traiter de criminels ceux qui sèment, entretiennent ou nourrissent d’aussi basses intentions. Je vous recommande tous avant mon départ de vous ranimer mutuellement pour vous rallier et colmater les brèches, afin que rien ne fonce ou ne filtre à travers l’IMBAGA Y’UBUTATU IJYA MBERE. Tous les auteurs de cette désunion méritent l’opprobre publique et une sérieuse condamnation. Les promoteurs de pareils méfaits ne sauraient se cacher, et si la chose se répète, l’arbre qui produit ces fruits, je l’extirperai. Il en coûtera cher à quiconque s’insurge contre le Rwanda ou cherche sa désunion. Quant à celui qui lui tend les pièges, il se verra lui-même pris dans ses propres filets ».
Conclusion de Joseph Habyarimana Gitera après le débat au Conseil Supérieur du Pays sur le problème HUTU —TUTSI. Il écrit au nom de la délégation qu’il présidait :
« Après une étude qui a duré un mois et qui a donc eu le temps d’être approfondie après quatre jours de débats fort animés au sein du Conseil Supérieur du Pays, débats qui se sont déroulés devant un public avide d’avoir une solution adéquate à ce grave problème qui est à la fois racial, social et national, on fut surpris d’entendre cette affirmation solennelle qu’il N’EXISTE PAS DE PROBLÈME BAHUTU-BATUTSI AU RWANDA…
En attendant que soient communiquées au public toutes les positions prises par le Conseil, qui du reste était quelque peu partagé… il est fort consolant de voir que la partie minoritaire (du Conseil) se composait des plus érudits : abbés, commis, assistants. Il faut dire que cette minorité comprend fort bien le problème et nous ne disons pas cela par flatterie…
On ne pourra pas se dissimuler les fâcheuses conséquences qui découleront certainement de cette session aussi extraordinaire qu’infructueuse du Conseil Supérieur du Pays. L’attitude platonique de celui-ci a navré le cœur de tous ceux qui, ayant le souci de la justice, ont suivi avec attention le déroulement des séances. Celles-ci furent dramatiques, l’astuce hamite était aux abois devant l’esquisse d’une éventuelle libération de la masse des Bahutu, serfs depuis le commencement jusqu’à maintenant… Le parti Muhutu a trouvé en face de toutes ces intrigues, un motif impérieux de se créer, de se développer et de se maintenir.
L’ensemble des positions prises par le Conseil Supérieur du Pays dans sa majorité hamitisante, est l’unique cause de la création du parti des Bahutu.
Ce parti des Bahutu trouve ainsi sa reconnaissance officielle, à l’échelle nationale, dans les attitudes manifestement hostiles et contradictoires des dirigeants autochtones du pays qui repoussent de toutes leurs forces tout essai d’atteinte à leur monopole absolutiste, alors qu’ils proclament malicieusement que Bahutu, Batutsi et Batwa sont des surnoms et que notre nom de famille est Abanyarwanda.
La vérité est plus simple. Le simple constat des faits en témoigne suffisamment. Maintenant qu’en session extraordinaire du Conseil Supérieur du Pays, il ressort de l’exposé de Kayijuka et de ses compagnons (c’est-à-dire les Grands Serviteurs de la Cour) que les Bahutu et les Batutsi n’ont aucun lien de fraternité et que toutes leurs relations ne sont fondées que sur le servage depuis le temps de l’arrivée des Batutsi au Rwanda, servage qui dure encore aujourd’hui, on peut se demander clairement si les Bahutu ont encore quelque chose à espérer des Batutsi pour leur émancipation. Il n’y a donc plus qu’une seule chose à faire, c’est de recourir à la puissance tutélaire pour qu’elle solutionne désormais ce différend que n’ont pas pu et ne pourront guère trancher équitablement le vieux parti des Batutsi et le jeune parti des Bahutu, tous deux intéressés dans l’affaire. En conséquence nous faisons appel à la Belgique et à l’ONU.
La rupture étant consommée entre les Hutu et les Tutsi, une nouvelle phase s’ouvrait dans le conflit qui les opposait. Mais le développement de celle-ci dépendrait aussi désormais de l’attitude du gouvernement tutélaire auquel les Hutu demandaient de prendre ses responsabilités dans le cadre de ses prérogatives internationales. En quelque sorte, la Belgique devait arbitrer le conflit. C’était une fin de non-recevoir.
On peut bien dire, écrit Murego, qu’après ce discours clôturant le débat sur les problèmes Hutu-Tutsi, les ponts étaient définitivement coupés entre les réformistes hutu et les conservateurs tutsi. La XVème session qui était considérée comme celle de la dernière chance pour éviter une catastrophe au pays, se soldait par un échec ».
Face à cet échec, le groupe des leaders hutu, par la voix de Gitera, en appela à la Belgique et à l’ONU pour résoudre ce grave problème : loin de s’éteindre, le volcan allait de plus en plus bouillonner.
Le mot bouillonner n’est pas trop fort pour caractériser l’action du même Gitera à travers son journal intitulé : Ijwi rya Rubanda rugufi, (la voix du petit peuple), journal autorisé de publication par le Gouverneur Général en date du 21 mai 1958. La voix de Gitera était celle de l’APROSOMA — l’Association pour la Promotion Sociale de la Masse. Il faut faire remarquer ici que, contrairement à l’opinion générale occidentale, ce ne fut pas Kayibanda, mais Gitera qui, le premier, et avec la passion qu’on lui connaît, proclama officiellement à la face du Rwanda et même du monde, l’actualité, l’acuité et la profondeur du problème hutu-tutsi : la XVe session du Conseil du Pays lui fut une tribune inespérée.
Une « motion » du Conseil Supérieur du Pays était ainsi formulée :
« Insister auprès du gouvernement pour que soient rayés de tous les documents officiels les termes bahutu, batutsi, batwa ».
C’était une façon officielle de nier le problème. La délégation hutu réagit immédiatement et fortement :
« Nous ici présents, membres de la délégation des Bahutu, nous resterons des Bahutu et nous ne voulons pas du tout voir supprimer les termes Bahutu, Batutsi, Batwa dans les documents officiels. Nous et les nôtres, nous voulons que le terme MUHUTU soit fièrement et fréquemment utilisé en vue de sa réhabilitation, terme dont le sens initial a été terni par le servage ».
On a beaucoup reproché dans la suite aux responsables de la première et de la deuxième République d’avoir mentionné l’ethnie sur les cartes d’identité. On en aperçoit ici le bien-fondé : aux yeux des leaders Hutu de cette époque, ce n’était pas du tout du racisme ; c’était une affirmation de leur existence et de leur dignité au milieu d’une société et d’un système où ils ne comptaient pas. Personnellement, d’ailleurs, je ne me souviens pas que cette question de mettre l’ethnie sur les cartes d’identité ait fait problème jusqu’à ce moment-là.
Pour le petit peuple, Gitera faisait figure de prophète : ses oracles, ses cris pourrait-on dire, se répercutèrent à travers tout le pays soulevant approbation et enthousiasme auprès des masses populaires. Mais par les gouvernants, il fut vite considéré comme un criminel à abattre.
Il n’est pas possible de s’attarder sur le rôle primordial joué par Gitera à l’aube des revendications du petit peuple. D’autres l’ont fait, en particulier Murego dans son ouvrage : « La Révolution Rwandaise »
Un autre personnage marquant de cette époque fut Aloys Munyangaju. Leader lui aussi de l’APROSOMA : homme cultivé, pondéré, de jugement sûr. En toute lucidité, il exposa lui aussi le problème hutu-tutsi. Mieux que des commentaires, je voudrais ici lui donner la parole. Voici donc quelques passages de ses écrits :
Sous le titre : « II n’y a pas de problème » , M. Munyangaju, un des leaders de première heure les plus militants et les plus éclairés de la cause hutu, écrivait, un mois après les débats du Conseil Supérieur du Pays :
« Pas de problème bahutu-batutsi. Nous n’en croyons pas nos oreilles. Le pays tout entier avait espéré de ce débat sur la question bahutu-batutsi une solution radicale. Mais voici, qu’après un long et pénible mois de travaux, la montagne a accouché d’une souris tellement miniature qu’on ose à peine l’appeler de ce nom.
… Or, il y a un problème. Appuyons cette vérité de toutes nos forces avant qu’on mette la muselière. Le problème subsiste et subsistera jusqu’au jour où une solution plus juste, plus humaine sera trouvée. Le nier serait déjà l’affirmer, car ce n’est pas le hasard qui fait que ce sont toujours les mêmes hommes qui dirigent la barque et que les autres sont des simples passagers, les mêmes qui sont riches et les autres pauvres, les mêmes qui reçoivent une instruction supérieure et les autres qui font à peine leurs primaires.
…Les Bahutu peu instruits ne savent sans doute pas préciser ce dont ils souffrent, mais ils souffrent. »
En conclusion, Munyangaju rappelle que les exigences des Hutu demeurent entières : celle de la justice à leur égard, ce qui requiert quelques sacrifices de la part du groupe des gouvernants.
« En fait et en vérité, conclut-il, la démocratie paye mal la féodalité. Il n’est pas facile de voir les vieux féodaux avaler l’émancipation des serfs. Le Mwami qui y songeait n’est plus digne ! Mais les fils qui eux le veulent n’osent pas dire non, car la vie est trop belle non seulement pour leurs vieux pères, mais aussi pour eux. Celui qui a eu des serviteurs qu’il ne doit pas payer, ne souhaite pas que la justice salariale soit faite. NOUS RÉCLAMONS EN RÉALITÉ DE CETTE VIEILLE ARISTOCRATIE LA JUSTICE ‘AVANT QU’ELLE N’EXPIRE. »
À propos du problème hutu, il serait bon de se référer à l’Abbé Stanislas Bushayija et en particulier à son article « Aux origines du problème Bahutu au Rwanda ». Il y rappelle l’histoire des justes revendications qu’on ne pourra empêcher de percer un jour. En ce qui concerne le problème de la vérité au Rwanda, il écrit:
« Savoir travestir la vérité, donner le change sans éveiller le moindre soupçon, est une science qui fait défaut à l’Européen et que le Mututsi est fier de posséder; le génie de l’intrigue, l’art du mensonge sont à ses yeux des arts dans lesquels il s’enorgueillit d’être fort habile : c’est le propre du Mututsi et par contagion de tout Munyarwanda. »