Au moment où s’ouvrent les débats de l’Assemblée Générale, les positions sont les suivantes : Les pays afro-asiatiques se préparent à exiger :

l’envoi d’une mission d’observateurs sur place avant les élections pour assister à l’enrôlement des électeurs ;

2° la présence d’une commission consultative après les élections comme ce fut le cas en Somalie ;

3° des mesures d’amnistie ;

le retour de Kigeli V au Rwanda et l’organisation d’un referendum.

 La délégation belge répondra que :

 1° l’enrôlement des électeurs est terminé ;

2° la présence d’observateurs aux colloques de décembre est favorable ;

la présence d’une commission consultative de l’ 0.N.U. est impossible;

Quant au Mwami, la délégation belge fait remarquer qu’il a quitté librement son pays et a refusé sa collaboration au Conseil spécial provisoire, aux institutions issues de la volonté populaire. De ce fait, ses attributions seront confiées au Gouvernement provisoire du Rwanda jusqu’au moment où une assemblée issue d’élections législatives se prononcera sur la question de Kigeli V et sur l’institution monarchique.

Le Secrétaire général de l’Unar formula les revendications de son parti de manière radicale.

Déclaration faite par M. Rwagasana (Unar) à la quatrième commission de l’O.N.U. 

Jamais, Monsieur le Président, le problème du Ruanda-Urundi n’a revêtu une importance aussi capitale qu’aujourd’hui. Le nombre si important de pétitionnaires est le signe tangible d’une lutte politique qui se déroule entre les différentes tendances politiques avant l’indépendance. Cela montre justement combien la situation politique au Ruanda-Urundi est sérieuse et combien cette question est complexe.

La véritable conscience nationale s’est déjà réveillée en 1957 par un écrit émanant des éléments progressistes qui composaient ce qu’on appelait à cette époque « le Conseil supérieur du pays ». Ce document, intitulé « Une mise au point », réclamait la démocratisation des institutions afin de prévoir l’autonomie interne, l’abolition du régime des corvées et une série de mesures susceptibles d’acheminer le pays vers la fin du régime de tutelle. Peu après la publication dudit document, il en sortit un autre intitulé « Manifeste des Bahutu », exigeant également la mise sur pied d’institutions démocratiques et le maintien pour longtemps de la tutelle belge. Ces documents furent remis d’ailleurs à la Mission de visite qui se rendit au Ruanda-Urundi en 1957.

Il est incontestable que deux thèses commençaient déjà à s’affronter ; l’une consistait en l’octroi d’une autonomie interne à bref délai, l’autre en un refus d’accroître rapidement les pouvoirs de l’autochtone, ce qui pouvait, à bref délai, mettre un terme au régime de tutelle. Le pouvoir étranger favorisait déjà clandestinement les défenseurs de la seconde thèse. C’est pendant cette période de croissance politique que le Mwami Mutara III, qui avait pris une position nette pour l’autonomie, succomba, mystérieusement il faut l’avouer, à Usumbura en juillet 1959. De cette mort inopinée, à laquelle l’Autorité administrante n’a jamais d’ailleurs su fournir l’explication pouvant calmer l’opinion populaire, naquirent les troubles qui éclatèrent dans le territoire de Kibuye, mais qui furent vite réprimés. Le 28 juillet 1959, le Mwami Kigeri V fut proclamé par le peuple « Mwami du Ruanda ». Quelques jours après, dans les circonstances politiques difficiles, il prêtait serment de régner au Ruanda comme « Mwami constitutionnel ».

Le 13 septembre 1959, l’Union nationale Ruandaise (U.N.A.R.) tenait à Kigali (Ruanda) son premier Congrès national. Nos revendications se résumaient, à cette époque, dans les points suivants :

—L’autonomie interne immédiate suivie de l’indépendance nationale ;

—La réforme complète des cadres dits « coutumiers », réforme comportant les élections des autorités indigènes communales ;

—La constitution d’une assemblée nationale élue au suffrage universel des adultes, ces élections pouvant être surveillées par l’O.N.U. ;

—La réforme fiscale ;

—La réforme foncière en vue de supprimer les abus qui se commettaient en cette matière ; et enfin

—Un dialogue franc entre les leaders politiques du Territoire et les représentants de l’Autorité administrante pour étudier en commun les réformes qui s’imposaient avant l’indépendance nationale, etc.

Enfin, un dialogue s’établit entre les leaders politiques du Territoire et les représentants de l’Autorité administrante pour étudier en commun les réformes qui s’imposaient avant l’indépendance nationale, etc.

La réaction de l’Administration coloniale belge fut très vive devant ces revendications qui, selon elle, constituaient une sérieuse menace pour les intérêts de la Belgique car, prétendait-elle, si les éléments qualifiés d’« extrémistes » parvenaient à s’assurer une victoire électorale, les Belges seraient chassés du Ruanda-Urundi. Au lieu donc de chercher une solution susceptible de concilier les points de vue en présence, le Gouvernement colonial belge crut le moment venu d’exploiter le tribalisme qu’il avait depuis longtemps entretenu et encouragé. De la part des colonisateurs belges, un plan d’action contre les éléments nationalistes s’imposait. Mais, avant tout, il lui fallait s’assurer des personnes autochtones qui mettraient son plan à exécution.

Le fait malheureux est qu’il se trouvait, au Ruanda notamment, quelques-uns de ces hommes toujours prêts, moyennant de l’argent ou d’autres privilèges que peut momentanément octroyer tout régime colonial, à saboter l’indépendance de leur propre patrie ou à prêter aide à ce régime pour installer son successeur, plus subtil mais non moins nocif : le néo-colonialisme. Ces hommes de main constituaient, pour le Gouvernement colonial belge, un instrument puissant pouvant provoquer la mort politique de l’Union nationale ruandaise, et ceci n’était possible qu’en pêchant en eau trouble.

C’est alors qu’une campagne dite « antiféodale » fut orchestrée par les partis politiques créés à l’avance par l’Administration belge, par la presse monopolisée entre les mains des étrangers, par l’Administration coloniale elle-même. Cette intense campagne consistait — et consiste encore aujourd’hui — à qualifier notre parti, l’Unar, de parti politique des « féodaux tutsi », et de parti de « communisants » et de « swahilisants » (ce qui signifie musulmans), etc., qui revendiquait l’indépendance pour asservir la race « hutu », après avoir chassé les blancs et détruit l’Eglise. Tous les journaux colonialistes demandaient une action positive contre nous pour que les populations qu’ils qualifiaient de « hutu » ne soient pas privées de leur bienfaiteur : le tuteur belge. Les partis politiques dits « hutu », créés par le Gouvernement belge, réclamaient la présence belge pour longtemps dans le Territoire sous tutelle et prétendaient que tolérer l’Unar signifiait l’asservissement pour toujours du peuple « hutu » qui, selon eux, représente 85 pour cent de la population. Ces partis néo-colonialistes se livraient à une démagogie excessive contre ce que, sur les conseils de l’Administration coloniale, ils appelaient « le colonialisme tutsi ». En même temps, la presse officielle s’employait à fausser l’opinion internationale sur l’évolution politique du Ruanda-Urundi en créant une psychose faisant croire que la présence belge était nécessaire pour longtemps encore afin de mettre fin aux luttes tribales.

Je me permets ici d’ouvrir une parenthèse et de déclarer que, à notre avis, personne ne s’est mépris sur les intentions réelles de la Belgique; aucun homme avisé n’a pu avaler telles quelles ces thèses incongrues que la Belgique a essayé de faire admettre par l’opinion mondiale.

Les événements n’allaient pas tarder à se produire. C’est ainsi que le 2 novembre 1959, au Ruanda, un flot d’incendies et de meurtres fut subitement déclenché par le parti politique Parmehutu, conjointement avec l’Aprosoma. Avec la complicité évidente de l’Administration coloniale belge, beaucoup de nos membres ou sympathisants furent tués, sans défense, durant six jours. Le 8 septembre 1959, la population attaquée opéra une contre-offensive qui infligea aux attaquants des pertes sérieuses. C’était en effet un véritable début de guerre civile, recherchée et provoquée par le colonialisme belge entre les groupements politiques du pays.

Il semble cependant qu’une intervention bien intentionnée de l’autorité responsable aurait eu pour résultat que les choses en restent là, mais le colonialisme le plus réactionnaire avait élaboré ses plans pour exploiter au maximum cette déplorable situation. En effet, le régime d’occupation militaire était décrété les para-commandos belges, venant de Kamina (Congo), envahissaient le Territoire. Les jours suivants, les leaders politiques de l’Unar — y compris son Président François Rukeba — étaient jetés en prison ; la plupart furent torturés. D’autres fuyaient et passaient la frontière. Plus de 3.000 de nos membres étaient emprisonnés. Le camp de concentration de Nyamata était créé.

Cependant, le 20 novembre 1959, le porte-parole de l’Unar — c’est-à-dire moi-même — faisait une pétition à la Quatrième Commission de l’Assemblée générale, par laquelle nous demandions l’envoi urgent d’une mission d’enquête au Ruanda-Urundi. L’Assemblée générale adopta une résolution dans ce sens (1419 – XIV), et une Mission fut envoyée au début de mars 1960. Cette Mission fit des recommandations relatives à l’amnistie générale rapide, à l’organisation d’une Conférence de la table ronde à Bruxelles, réunissant tous les leaders politiques, en vue d’étudier tous les problèmes intéressant le Ruanda-Urundi, notamment celui de la réconciliation nationale. La Mission déconseilla la tenue d’élections communales sous un régime d’occupation militaire et avant la réunion de la Table Ronde; elle demanda la suppression du régime militaire, la réintégration et l’indemnisation des réfugiés, etc.

Au Conseil de tutelle (7 août 1959 – 30 juin 1960), je fis, en tant que porte-parole de l’Unar, une nouvelle pétition tendant à décommander les élections communales antidémocratiques et appuyant les conclusions de la Mission d’enquête. Je fis des recommandations semblables à celles émises par la Mission et priai la Belgique de les mettre à exécution (document N° 4/4/4404).

L’impérialisme belge considéra ces recommandations comme dénuées de tout fondement et y opposa une fin de non-recevoir. Entre-temps, les forces métropolitaines envahissaient de nouveau le Ruanda-Urundi en remplacement des unités congolaises qui rentraient dans leur pays après son indépendance. Les troubles internes s’intensifiaient ; les incendies et les massacres par l’armée belge devenaient la règle à appliquer contre quiconque était soupçonné d’être un membre ou un sympathisant de l’Unar.

Malgré les sages conseils du Conseil de tutelle, le Gouvernement belge, de connivence avec le Parmehutu et l’Aprosoma, décida d’effectuer les prétendues élections communales de juin 1960, dans un climat de tension extrême. L’Unar fut obligée de s’abstenir lors de ces élections antidémocratiques, ce qui engendra de nouveaux troubles de représailles contre les abstentionnistes.

Les autres dirigeants de l’Unar furent jetés en prison. Beaucoup de nos membres furent tués, d’autres déportés aux îles de Ruhondo ou dans le camp de concentration de Nyamata. Les prétendues élections communales conférèrent naturellement le monopole politique au parti néo-colonialiste Parmehutu.

Mais le colonialisme belge n’en resta pas là. En effet, lorsque M. d’Aspremont Lynden, l’homme du Katanga que vous connaissez, fut nommé Ministre des affaires africaines, vers la fin septembre 1960, il se hâta d’opérer pour : a) la division légale, sans le consentement du peuple, du Ruanda-Urundi en deux étapes : le Ruanda et le Burundi; b) l’installation au Ruanda d’un gouvernement et d’une assemblée dont tous les membres sont nommés par le résident général belge du Ruanda-Urundi, bien entendu du parti néo-colonialiste; c) l’annulation de la Conférence de la table ronde tant souhaitée qui devait, selon la promesse formelle du Gouvernement belge lui-même, se tenir en octobre 1960; d) la précipitation des élections législatives qui devaient, toujours selon la promesse du Gouvernement belge, se tenir après la Conférence de la Table Ronde de Bruxelles.

Toutefois, non seulement la tension continue de régner au Ruanda, mais le climat politique se détériore et gagne le Burundi, où un régime d’exception règne depuis plus de huit mois. Durant ce régime, une espèce de gouvernement fantoche est également installé au Burundi, sous un nom camouflé des commissaires généraux du pays et dont tous les membres sont également nommés par le résident général.

Les troubles y ont éclaté, mais ont été bien vite réprimés, non sans victimes ; les leaders nationalistes en vue sont mis en résidence surveillée; d’autres sont obligés de s’exiler. Les para-commandos belges se livrent à des actes de brigandage pour intimider la population et fausser le jeu des élections communales libres, en vue d’assurer la victoire des partis politiques réactionnaires. La situation au Burundi est actuellement très tendue.

A l’heure actuelle, nous nous trouvons, au Ruanda-Urundi devant un néo-colonialisme déjà installé, que l’Autorité coloniale belge cherche à consolider par la précipitation d’élections législatives avant l’assainissement d’un climat politique dominé par des troubles journaliers.

Suite à ces troubles, le camp de concentration de Nyamata est plein de dizaines de milliers de personnes ; les leaders politiques gisent toujours dans les prisons, d’autres restent en exil ; des dizaines de milliers de réfugiés errent sans abri dans les territoires voisins.

Le souci d’être bref m’oblige à limiter l’historique de la situation politique du Ruanda-Urundi, et permettez-moi de soumettre à la Quatrième Commission les propositions de l’Unar qui constituent les solutions capables de mettre fin au chaos politique qui règne dans le Territoire sous tutelle et de conduire ce pays à son indépendance immédiate pacifique.

Nous sollicitons, à cette fin :

1.Une intervention directe de l’O.N.U. pour nous aider à réaliser l’unité du Territoire, unité que l’autorité coloniale et ses hommes détruisent délibérément ;

2.Les mesures d’amnistie générale immédiate et inconditionnelle ;

3.La suppression des camps de concentration de Nyamata, et de celui encore récemment créé en territoire de Kibungu ;

4.La réintégration des réfugiés dans leur milieu d’origine et l’indemnisation pour leurs biens perdus ;

5.Le retrait immédiat des troupes belges stationnées au Ruanda-Urundi et la liquidation de leurs bases militaires ;

6.La dissolution des assemblées nommées récemment, ainsi que la révocation des gouvernements nommés ;

7.L’organisation, par les Nations Unies, d’élections démocratiques générales municipales et nationales pour la création des assemblées élues par le peuple ; ces élections devraient avoir lieu en mai ou au début de juin ;

8.La fixation, par l’Assemblée générale de l’O.N.U., à sa quinzième session, de la date de l’indépendance du Ruanda-Urundi, indépendance qui devrait, selon nous, être proclamée immédiatement après les élections nationales ;

9.L’abrogation de toutes les mesures politiques, administratives ou autres, déjà prises pour mettre un frein au mouvement d’unification du Ruanda et du Burundi ;

10.L’envoi d’une mission politique de l’O.N.U. qui aurait pour tâche de conduire ce Territoire à l’indépendance pacifique ;

11.Le retour dans son pays du Mwami Kigeri V ;

12.L’organisation immédiate par les Nations Unies d’une conférence de la Table Ronde réunissant les leaders de tous les partis politiques du Ruanda-Urundi, afin de réaliser une véritable réconciliation nationale.

Le Gouvernement colonial belge, en adoptant une attitude négative devant les recommandations de la Mission de visite d’abord et devant celles du Conseil de tutelle ensuite, a porté atteinte au crédit moral que cette organisation avait auprès des populations autochtones. Ce gouvernement a continué sa politique de diviser pour régner et a créé un fossé profond qui ne peut être comblé que par les soins des Nations Unies.

Nous estimons que l’Assemblée générale doit prendre les mesures nécessaires pour ramener la paix dans ce pays éprouvé par le colonialisme le plus réactionnaire. Mais nous lançons d’avance un avertissement : la Belgique et ses hommes ne sont pas prêts à accepter et à respecter les décisions de l’Assemblée générale.

La Belgique avait reçu de sages conseils et parmi ceux-ci, je me permettrai, avant de terminer, de citer les déclarations au Conseil de tutelle du Président de la Mission qui représentait son pays, les Etats-Unis d’Amérique. Il a déclaré :

« Tout d’abord, les efforts déployés par des bandes fortement organisées afin d’imposer au Ruanda-Urundi la justice sociale, par la violence le cas échéant, semblent s’être atténués.

La population a assimilé toutes les réformes sociales qu’elle pouvait assimiler pour l’instant et la violence n’a absolument pas de raison d’être.

En deuxième lieu, à mon avis, la réconciliation nationale peut être obtenue dans le Territoire quand on le voudra, à condition de prendre les mesures nécessaires non pas pour traiter avec certains groupes politiques mais avec tous les groupes politiques, qu’ils soient en exil ou qu’ils soient dans le Territoire, et qui ont un intérêt vital à l’avenir du Territoire.

Sinon, la population du Ruanda-Urundi devra être gouvernée par la force, ce que l’Administration elle-même serait la première à rejeter comme moyen de mettre fin à sa tutelle.

Mais le temps presse en Afrique, au point que les jours du régime de tutelle dans ce Territoire sont comptés. Comme tout le monde est d’accord à ce sujet, la délégation des Etats-Unis voudrait s’associer à la Mission de visite et aux autres délégations pour adresser un appel au Gouvernement belge.

Nous lui demandons de réfléchir à la situation dans le Territoire et aux moyens de jeter les fondements d’une réconciliation nationale au Ruanda.

La réconciliation, à notre avis, doit reposer sur certaines conclusions qui, je l’espère, seront acceptées par le Gouvernement de la Belgique dès qu’il aura pu oublier sa préoccupation, bien naturelle et nécessaire, des problèmes qui se posent au Congo juste avant l’indépendance.

Ces conclusions sont les suivantes :

1° Les incidents violents qui se sont produits récemment au Ruanda ne sont pas le fait d’une révolution populaire générale contre l’injustice sociale. La violence qui s’est manifestée se compare plutôt au début d’une guerre civile — une lutte pour le pouvoir — entre deux factions de la population en prévision de l’indépendance.

2° Le parti politique l’Unar, qui compte beaucoup de membres parmi les Hutu fidèles au Mwami, est avant tout un mouvement nationaliste africain, pur et simple, et presque identique à tous ceux que l’on trouve dans les autres territoires africains.

3° Inconsciemment, les revendications de justice sociale qui sont à l’origine des récents troubles sont devenues l’obstacle principal à l’indépendance, ce qui est évidemment très dangereux.

4° La fidélité de millions de Hutu à leur Mwami, Kigeri V, est, en fait, la clé de la restauration de l’unité nationale au Ruanda.

5° Kigeri V est avant tout un homme droit, humble, accessible, sobre, et, avec tous les encouragements nécessaires, il pourra rallier 90 pour cent de la population dans un très proche avenir.

Sur la base de ces conclusions, la délégation des Etats-Unis voudrait présenter quelques suggestions qui, nous l’espérons, seront prises en considération par le Gouvernement belge. »

Monsieur le Président, je crois qu’il est inutile de continuer ; la déclaration est toujours là, toutes les délégations peuvent la consulter.

Ces sages conseils n’ont pas été suivis, et nous voilà aujourd’hui dans une impasse.

Je termine ce bref exposé en lançant un solennel appel à cette Quatrième Commission pour qu’elle se rende compte de la situation grave que vit notre pays et qu’elle mette fin aux actes de barbarie et de génocide auxquels se livre l’Administration coloniale belge au Ruanda-Urundi, et plus particulièrement au Ruanda.

Déclaration de M. Bwanakweli (Rader) à la Commission de tutelle de l’O.N.U.

 Le problème angoissant des réfugiés

Actuellement, plus de 60.000 personnes, Tutsi autant que Hutu, ont été chassées de leurs terres, après que tous leurs biens aient été détruits par des hordes incendiaires du Parmehutu, et parfois, sur une moindre échelle, par l’Aprosoma. Il est particulièrement étonnant de constater que ces hordes incendiaires ne sont aucunement inquiétées par les forces belges chargées de maintenir l’ordre au Rwanda, alors que, lorsque les malheureux dont on brûle les huttes tentent de se défendre, ils sont immédiatement incarcérés ou brutalisés.

Tous ces réfugiés ont été expulsés du Rwanda pour leur conviction politique ou leur appartenance ethnique. Leurs terres ont été redistribuées, leur bétail abattu, sous les ordres des nouveaux bourgmestres Parmehutu. Cette situation lamentable — est-il besoin de le dire —

1.Déclaration solennelle et garanties réelles pour tous les réfugiés politiques et autres, pour les familles séparées et dispersées, de retrouver leurs biens, injustement accaparés par des bourgmestres Parmehutu. Il est à préciser que dans la situation actuelle du Rwanda, les biens dont les réfugiés ont été dépossédés, représentaient strictement leurs possibilités matérielles de subsistance journalière.

2.L’indemnisation totale, pour tous les sinistrés, des biens détruits du fait des événements sanglants de novembre 1959 et de tous ceux qui se sont poursuivis, depuis lors dans tout le Rwanda.

3.Abolition, sous toutes ses formes, du régime de « résidence surveillée » imposée aux personnalités politiques hostiles à la politique criminelle de l’Administration au Rwanda.

4.Mesures énergiques contre les bourgmestres et leaders Parmehutu, responsables des troubles, qui tenteraient par leur action, leurs paroles et leur attitude de s’opposer au retour des réfugiés sur leurs terres, ou qui essayeraient à nouveau d’organiser des bandes incendiaires dirigées contre les réfugiés.

Le problème capital de l’émancipation du Rwanda

Aujourd’hui des faits indéniables attestent que la présence du Gouvernement belge au Rwanda est, et sera, l’obstacle majeur à la réconciliation nationale, et un élément permanent de troubles cruels.

On peut se demander pourquoi l’Administration belge s’acharne à diviser le peuple rwandais en deux camps rivaux, voués à une haine fratricide. Pour comprendre ce problème il suffit de lire l’extrait d’un discours prononcé par M. Makuza, du Parmehutu.

Ce texte résume la doctrine du Parmehutu, et ses relations véritables avec l’Administration belge du Rwanda : c’est-à-dire, maintien des fonctionnaires belges pour une durée indéterminée; maintien et même renforcement des troupes belges destinées à exterminer les Tutsi; rejet de l’indépendance, basée sur l’incapacité du Parmehutu de gouverner le pays; opposition à l’africanisation des cadres en vue de prouver l’inféodation à l’Administration belge; création de deux bases militaires belges au Rwanda après l’indépendance, etc.

Dès sa fondation, mon parti fut guidé par les soucis d’assurer la démocratisation totale des institutions rwandaises, en même temps que de garantir une collaboration technique, financière et économique avec la Belgique. Depuis lors, l’attitude anti-démocratique de l’Administration belge au Rwanda, la néfaste politique de division et d’extermination d’une race innocente et minoritaire, mais représentant plus de 80 pour cent du potentiel intellectuel immédiatement utilisable, a déterminé mon parti à lutter contre la présence d’une tutelle ayant renié ses engagements et les fondements même de son action.

C’est pourquoi, au nom de la liberté, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de leur destin, nous demandons aux Nations Unies d’assurer l’accession de notre pays à sa pleine souveraineté. D’une manière plus précise, mon parti réclame avec force les mesures suivantes :

  1. La levée immédiate de la tutelle belge sur le Rwanda, la présence belge étant le principal obstacle à la réconciliation nationale, au retour au calme, et à la préservation des vies humaines.
  2. Le remplacement des militaires belges au Rwanda par des miliciens des Nations Unies. La présence massive des para-commandos rendant pratiquement impossible l’exercice des libertés et des droits démocratiques. Quant à la garde territoriale rwandaise, elle est composée exclusivement d’éléments Parmehutu, la sélection étant strictement basée sur l’appartenance à ce parti politique, à la solde de l’Administration belge.
  3. Désignation d’une délégation suffisamment nombreuse, composée de personnes d’expression française et neutres, chargées de la mission exclusive de préparer et d’organiser les prochaines élections communales et législatives au Rwanda-Burundi.
  4. Désignation immédiate d’un Résident général, fonctionnaire des Nations Unies, chargé d’administrer le Ruanda-Urundi et de préparer le transfert des pouvoirs dévolus à l’actuelle administration belge, chargé également de réorganiser les cadres administratifs en y introduisant le maximum de fonctionnaires internationaux jusqu’à leur prise en charge par les cadres autochtones.

Mon parti ne s’oppose pas pour autant au maintien de techniciens belges compétents et au courant des problèmes rwandais, mais considère que le moment est venu pour les Nations Unies de sauvegarder la paix, d’éviter l’anarchie complète et ses tragiques conséquences, de soustraire le Rwanda à diverses zones d’influence en le préparant directement et immédiatement à l’indépendance.

Le Rader insiste auprès des délégations des Nations Unies pour qu’une fois pour toutes, le colonialisme sous toutes ses formes directes et indirectes soit aboli. L’influence de certains groupes de pression, soutenus par des moyens financiers puissants, et malheureusement souvent coalisés avec la puissance des missions catholiques, a pesé d’un poids trop lourd, de misère et de sang, dans le drame actuel du peuple rwandais.

Mon parti demande donc d’urgence, une assistance technique et financière, dans des conditions de réalisme et d’objectivité, de la part des Nations civilisées et plus favorisées, envers les peuples frères, mais tragiquement démunis.

Conclusions

En résumé de cet exposé forcément sommaire, le Rassemblement démocratique rwandais implore l’Organisation des Nations Unies de prendre d’urgence les mesures suivantes, et d’assurer le contrôle de leur application :

 

  1. Assurer le retour du Mwami dans son pays et son maintien au trône, jusqu’au moment où un referendum populaire, dont la liberté d’expression serait garantie, soit organisé par les Nations Unies, et décide des futures institutions du Rwanda.
  2. Assumer les mesures indispensables pour assurer le retour au calme, protéger les personnes et les biens. Et ce, particulièrement par la réinstallation immédiate des réfugiés dans leurs terres et leur équilibre matériel vital ; la levée des mesures de résidence surveillée, et l’amnistie générale des prisonniers politiques dont le nombre n’a fait qu’augmenter au courant des derniers mois.
  3. Envoyer et établir immédiatement au Rwanda une mission des Nations Unies, dotée de pouvoirs de décision et dans les conditions que j’ai exprimées par ailleurs, afin de contrôler les futures élections et de doter notre pays d’institutions démocratiques correspondant à ses réelles aspirations, et non de caricatures et de fantoches au service des intérêts sordides de quelques fonctionnaires cupides et irresponsables.
  4. Lever immédiatement la tutelle belge sur le Ruanda-Urundi et la confier momentanément aux Nations Unies, le comportement actuel du Gouvernement belge rendant toute collaboration impossible étant devenu en contradiction avec les objectifs même de la tutelle.

La seule façon de sauvegarder des relations amicales futures entre le Rwanda et la Belgique, est de supprimer radicalement le régime de tutelle tel qu’il est appliqué et conçu actuellement par la Belgique.

  1. Fixer une date précise à laquelle le peuple rwandais sera appelé à se prononcer librement sur le principe de son indépendance.
  2. Mettre sur pied un plan efficace et précis d’aide technique, financière et économique pour le Ruanda-Urundi, et particulièrement en ce qui concerne la formation accélérée des techniciens, destinés à assurer dans un avenir proche, la relève des techniciens belges et internationaux.

Le Rader réaffirme avec force que le devoir sacré des Nations Unies est de libérer le Rwanda du colonialisme belge, et de son cortège de misère, de morts, de haine raciale et de division.

La Belgique n’a pas voulu, malgré les insistances des Nations Unies et les appels pressants des Banyarwanda progressistes et patriotes, assurer une évolution démocratique et harmonieuse à notre pays. L’état d’anarchie qui règne actuellement au Rwanda est la preuve de l’incapacité de la puissance administrante à conduire notre pays vers son destin légitime.

La tentative désespérée de la Belgique pour justifier la soi-disant révolution démocratique des peuples hutu contre les féodaux tutsi, ne tient aucun compte des réalités. Si même une oppression politique et économique séculaire avait provoqué la révolte des Hutu, c’est à cette même administration belge que les Nations Unies doivent imputer la terrible responsabilité des personnes tuées, des femmes et filles violées, des biens incendiés, etc. Mais en vérité le chaos présent est la conséquence logique d’une lutte sans merci menée par une administration belge d’Afrique, incontrôlée et inhumaine, pour étouffer, à tout prix, le nationalisme rwandais et l’indépendance de notre chère patrie.

 Première résolution adoptée par l’Assemblée Générale de l’O.N.U.

(sur le rapport de la Quatrième Commission A/4672). 1580 (XV).

La question du Mwami.

 L’Assemblée Générale,

Considérant qu’une divergence d’opinion a surgi au Ruanda-Urundi en ce qui concerne l’institution de la monarchie et en ce qui concerne la personne de l’actuel Mwami du Ruanda,

Considérant en outre que cette situation pose un problème constitutionnel d’une extrême importance qui devrait être réglé conformément aux vœux librement exprimés de la population du Territoire,

Notant qu’à plusieurs reprises le Mwami a indiqué son désir d’être un souverain démocratique et constitutionnel,

Notant en outre que, dans un mémorandum adressé à la Mission de visite des Nations Unies dans les Territoires sous tutelle de l’Afrique orientale (1960), le Mwami du Ruanda a accepté que l’on recoure à un referendum pour décider de cette question.

Ayant examiné la déclaration faite par le Mwami à la Quatrième Commission,

1.Note avec regret que l’Autorité administrante a arbitrairement suspendu les pouvoirs du Mwami du Ruanda et ne lui a pas permis de retourner au Ruanda reprendre ses fonctions de Mwami ;

2.Prie l’Autorité administrante de rapporter les mesures en vertu desquelles elle a suspendu les pouvoirs du Mwami et de faciliter le retour de ce dernier au Ruanda pour lui permettre d’exercer les fonctions de Mwami en attendant que les vœux de la population à ce sujet aient été exprimés ;

3.Décide qu’un referendum sera organisé sous la surveillance de la Commission des Nations Unies pour le Ruanda-Urundi, créée conformément à la résolution 1579 (XV) de l’Assemblée générale, en date du 20 décembre 1960, pour connaître les vœux de la population, en ce qui concerne l’institution du Mwami et, s’il y a lieu, en ce qui concerne l’actuel Mwami du Ruanda;

4.Demande qu’après avoir étudié la situation sur place, la Commission des Nations Unies pour le Ruanda-Urundi présente à l’Assemblée générale, lors de la reprise de sa quinzième session, des recommandations au sujet de la date à laquelle devrait se tenir le referendum et des questions qui devraient être posées au cours dudit referendum.

960e séance plénière. 20 décembre 1960.

 Seconde résolution adoptée par l’Assemblée Générale de l’O.N.U.

(sur le rapport de la Quatrième Commission A/4672.)  1579 (XV).

Question de l’avenir du Ruanda-Urundi.

L’Assemblée générale,

 Ayant reçu les rapports du Conseil de tutelle et de la Mission de visite des Nations Unies dans les Territoires sous tutelle de l’Afrique orientale (1960) sur le Territoire sous tutelle du Ruanda-Urundi, établis conformément à la résolution 1419 (XIV) de l’Assemblée générale en date du 5 décembre 1959,

Notant d’après le rapport du Conseil de tutelle que « l’Autorité administrante a l’intention d’organiser, sous le contrôle de l’Organisation des Nations Unies, au début de 1961, des élections auxquelles prendra part la population adulte, selon le système du suffrage universel, en vue de constituer des assemblées nationales pour le Ruanda et l’Urundi »,

Notant en outre la déclaration de l’Autorité administrante selon laquelle la date du 15 janvier 1961 a été fixée pour le début des élections et rappelant que ladite Autorité a invité l’Organisation des Nations Unies à envoyer une mission au Ruanda-Urundi, vers le 15 décembre 1960, pour constater, en cours d’application, les dispositions arrêtées en vue des élections, telles que celles qui concernent la composition des listes électorales, le déroulement de la campagne électorale et l’organisation des opérations de scrutin,

Consciente de la responsabilité qui lui incombe de veiller à ce que la surveillance des élections par l’Organisation des Nations Unies soit efficace et que les élections, qui fourniront la base de l’indépendance du Territoire, se déroulent dans des conditions satisfaisantes, de telle sorte que leurs résultats ne soient entachés d’aucun doute ou ne puissent donner lieu à aucune contestation,

Ayant entendu les vues des pétitionnaires appartenant aux divers partis et groupes politiques du Ruanda-Urundi,

1.Estime qu’il faut assurer promptement les conditions et l’atmosphère nécessaires pour que les élections législatives, qui conduiront à la création d’institutions nationales démocratiques et fourniront la base de l’indépendance nationale du Ruanda-Urundi conformément aux buts et principes de la Charte des Nations Unies, puissent se dérouler dans une atmosphère de paix et d’harmonie ;

2.Demande instamment à l’Autorité administrante de mettre immédiatement en œuvre des mesures d’amnistie générale et inconditionnelle et d’abolir l’état d’exception de façon à permettre aux militants et dirigeants politiques qui sont exilés ou emprisonnés dans le Territoire de reprendre avant les élections une activité politique normale et démocratique ;

3.Estime que le prompt retour et la réadaptation à une vie nouvelle des milliers de personnes qui ont été victimes des troubles survenus récemment au Ruanda et qui ont été contraintes de chercher refuge hors de chez elles au Ruanda ou à l’étranger, faciliteront le processus de réconciliation, et demande instamment à l’Autorité administrante et aux autorités locales compétentes de prendre toutes dispositions utiles à cette fin ;

  1. Recommande qu’une conférence, où seront pleinement représentés les partis politiques et à laquelle assisteront des observateurs de l’Organisation des Nations Unies, se tienne au début de 1961 avant les élections, pour concilier les divergences de vues qui existent entre ces partis et pour réaliser l’harmonie nationale ;
  2. Adresse un appel à tous les partis et à tous les dirigeants politiques du Ruanda-Urundi pour qu’ils s’efforcent de créer une atmosphère de compréhension, de paix et d’harmonie dans l’intérêt du Territoire et de la population tout entière à la veille de l’indépendance ;
  3. Demande à l’Autorité administrante de s’abstenir de se servir du Territoire comme d’une base où elle concentrerait, à des fins internes ou externes, des armes ou des forces armées qui ne sont pas strictement nécessaires pour maintenir l’ordre public dans le Territoire ;
  4. Recommande que les élections, qui doivent se tenir en janvier 1961, soient renvoyées à une date qui sera fixée lors de la reprise de la quinzième session de l’Assemblée générale à la lumière des recommandations de la commission envisagée au paragraphe 8 ci-après de sorte que, outre la réalisation des objectifs énoncés aux paragraphes précédents de la présente résolution, les arrangements relatifs aux élections puissent être terminés sous la surveillance de l’Organisation des Nations Unies ;
  5. Décide de créer une Commission des Nations Unies pour le Ruanda-Urundi, composée de trois membres, à laquelle seront adjoints les observateurs et le personnel que le Secrétaire général désignera après avoir consulté la Commission ;
  6. Prie la Commission de se rendre immédiatement au Ruanda-Urundi pour exécuter les tâches suivantes au nom de l’Organisation des Nations Unies :
  7. a) Superviser les élections qui doivent se tenir au Ruanda-Urundi en 1961 sur la base du suffrage universel et direct des adultes, ainsi que les mesures préparatoires qui précéderont ces élections, telles que l’établissement des listes électorales, le déroulement de la campagne électorale et l’organisation d’un système de scrutin qui assure le secret absolu de vote ;
  8. b) Assister, en qualité d’observateurs des Nations Unies, à la conférence politique prévue au paragraphe 4 ci-dessus et à la conférence de la table ronde qui doit être convoquée après les élections pour déterminer l’évolution future du Territoire vers l’indépendance ;
  9. c) Suivre l’évolution de la situation dans le Territoire avant et après les élections, donner des avis et prêter son concours, selon les besoins, en vue de favoriser la paix et l’harmonie au Ruanda-Urundi, et rendre compte au Conseil de tutelle ou à l’Assemblée générale, lorsqu’il y aura lieu;
  10. Prie la Commission de soumettre à l’Assemblée générale, lors de la reprise de sa quinzième session, un rapport intérimaire sur la suite donnée à la présente résolution ;
  11. Fait sienne l’observation du Conseil de tutelle selon laquelle, en raison de l’essentielle communauté des intérêts comme de l’histoire et de la géographie du territoire, le meilleur avenir du Ruanda-Urundi réside dans la formation d’un seul et même Etat, uni bien que composite, l’autonomie interne du Ruanda et de l’Urundi faisant l’objet des dispositions dont leurs représentants seront convenus.

960ème  séance plénière. 20 décembre 1960.

 Réactions du Gouvernement provisoire du Rwanda

La résolution votée par l’Assemblée générale des Nations Unies continue à provoquer des réactions dans le pays et plus spécialement au Ruanda.

Nous croyons qu’il est utile de faire le point de la situation et d’indiquer quelles sont les diverses positions que les représentants de l’opinion publique rwandaise ont adoptées à l’égard de l’organisation des prochaines élections.

1° Du 7 au 14 décembre, se tenait à Kisenyi un colloque réunissant les délégués des quatre grands partis, du Gouvernement provisoire du Rwanda et de la Tutelle. Tandis qu’aux Nations Unies de nombreuses délégations étrangères insistaient auprès des pétitionnaires du Ruanda-Urundi pour qu’ils trouvent eux-mêmes une solution constructive aux difficultés de leur pays, le colloque de Kisenyi travaillait dans une atmosphère d’entente et de compréhension et aboutissait à quelques conclusions encourageantes.

De nombreuses conclusions relatives aux structures prochaines du Rwanda et à la législation électorale furent obtenues de l’accord unanime des assistants.

Pour la première fois, des mesures concrètes de réconciliation étaient adoptées par les représentants des quatre grands partis.

La date des élections législatives fut l’objet de discussions, l’Unar et le Rader demandant qu’elles n’aient pas lieu le 15 janvier comme prévu, mais seulement après pacification complète du pays.

Le Parmehutu et l’Aprosoma et le Gouvernement provisoire ont appuyé au contraire la date du 15 janvier qu’ils considèrent comme une date limite dans le cadre du timing d’accession à l’indépendance qui a été adopté.

Cependant, les représentants des partis manifestèrent leur volonté de principe de prendre part aux élections et d’inviter les populations à participer activement au scrutin.

2°.Le 21 décembre, de son côté, l’Assemblée générale des Nations Unies adopta une résolution demandant que les élections législatives fussent retardées de quelques mois pour permettre une réconciliation nationale.

Cette intervention des Nations Unies a eu pour effet de raidir la position des divers partis du Ruanda et sans doute aussi de rendre plus difficile le dialogue qui s’était amorcé entre ceux-ci au cours du colloque de Kisenyi.

Ces partis ont adopté à l’égard de la résolution les positions suivantes :

  1. a) L’Aprosoma, dans un télégramme à l’O.N.U., proteste énergiquement contre la résolution, regrettant la versatilité du Conseil de Tutelle, réclamant le respect des programmes et le maintien des dates convenues et rendant l’O.N.U. responsable des nouveaux événements tragiques que pourrait susciter au Ruanda la volonté manifeste de replacer les populations sous un régime féodal périmé.
  2. b) Quant au Parmehutu, parti majoritaire du Ruanda, il exprima également son opposition déclarant qu’il n’admettait pas que le Conseil de Tutelle remette, sine die, le moment de doter le pays d’institutions démocratiques compromettant ainsi le succès de l’indispensable période de rodage qui précédera l’accession du pays à une indépendance saine, rapide et sans heurt.
  3. c) De leur côté, l’Unar et le Rader prennent le contre-pied des positions ainsi exprimées par l’Aprosoma et le Parmehutu.

Le Rader et l’Unar ont exigé que la pacification complète précède les élections. Ces partis réclament le retour du Mwami et une intervention de l’O.N.U.

Ils critiquent les autres partis et contestent que le Parmehutu soit habilité pour représenter le Ruanda. Tels sont en résumé les points de vue des partis du Ruanda.

Les partis majoritaires Parmehutu et Aprosoma veulent des élections législatives rapides afin de permettre la mise en place d’un régime d’autonomie interne préparant dans de bonnes conditions l’indépendance du pays.

Les partis Rader et Unar, qui détiennent, rappelons-le, 265 sièges sur les 3.125 qui furent attribués lors des récentes élections communales, désirent retarder les élections législatives. (« Rudipresse », no 204, 31 décembre 1960.)