Quand Et Comment Les Frontières Du Ruanda -Urundi Ont Eté Fixées ? ( Texte assez long)
Les frontières du Ruanda-Urundi et le régime international de tutelle
La Belgique exerce son autorité sur deux territoires africains limitrophes, mais politiquement distincts : le Congo, qui lui a été cédé en pleine souveraineté par le traité belgo-congolais du 28 novembre 1907, et le Ruanda-Urundi sur lequel un mandat d’administration lui a été confié, après la première guerre mondiale, par les Puissances alliées et associées, mandat qui fut transformé en tutelle (trusteeship) après la deuxième guerre mondiale.
Lorsqu’en 1952 j’entrepris l’étude des frontières du Congo belge, je me proposais déjà de me livrer à un essai semblable sur les frontières du Ruanda-Urundi lesquelles offraient aux recherches un intérêt égal d’ordre juridique, historique et géographique. L’accueil favorable réservé à mon premier travail n’a pu que m’encourager à persister dans mon dessein. Le mémoire que je livre aujourd’hui à la publicité est le fruit des travaux nouveaux que j’ai faits en ce sens. Bien que présenté sous la forme d’un ouvrage indépendant, se suffisant à soi-même, il n’est, au fond, que la suite et le complément de mon étude sur les frontières du Congo belge. C’est la raison pour laquelle je me suis abstenu de rouvrir la discussion des grandes questions de principe traitées précédemment, telles que le rapport intime entre la frontière d’un pays et son territoire, la différence juridique entre la fixation des frontières et leur démarcation, l’imprécision des frontières fluviales basées sur la notion du thalweg, etc… Ces discussions, je les considère comme closes et leurs conclusions comme acquises.
Quant au plan de mon nouveau travail, il rappelle, dans ses grandes lignes, celui que j’ai suivi pour l’étude des frontières du Congo belge et lui est parallèle partout où la similitude des matières traitées le permet. Le premier chapitre fournit un bref aperçu historique des événements qui ont fait placer le Ruanda-Urundi sous l’administration de la Belgique, donne, sur le Ruanda-Urundi et ses habitants, quelques indications d’ordre géographique ou ethnographique et pose la notion encore insuffisamment explorée de « territoire sous tutelle ». Le deuxième chapitre a pour objet la matière essentiellement juridique de la fixation des frontières par des conventions internationales. Le troisième chapitre traite des opérations matérielles de mesurage et de démarcation sur place des frontières. Le quatrième et dernier chapitre enfin quitte le domaine proprement dit des frontières, pour ouvrir des perspectives sur la nature et le contenu du régime de tutelle au Ruanda-Urundi.
Les cartes annexées à mon étude sont faites avec la collaboration du distingué cartographe, le capitaine-commandant A. MASSART, auquel j’adresse mes remerciements chaleureux pour l’aide et l’assistance qu’il a bien voulu m’accorder.
Le Ruanda-Urundi, placé aujourd’hui sous tutelle belge, faisait autrefois partie de l’Est-Africain allemand. Situé au coeur de l’Afrique, à la croisée des grandes voies de communication qui relient l’Atlantique à l’Océan Indien et le Cap à l’Égypte, il couvre une superficie d’environ 54.000 kilomètres carrés comprise entre les méridiens 28° 30′ et 31° est de Greenwich et les parallèles 1° et 4° 30′ de latitude sud. Sa population, très dense, robuste et pastorale en majeure partie, s’élève à plus de cinq millions d’unités. Elle se compose de Bahutu, qui en forment la masse, et d’une minorité dirigeante de Batutsi. Pays salubre, montagneux et propice au peuplement blanc, ce n’est pas sans raison qu’il s’est fait appeler le « Joyau de l’Afrique ».
Dans une synthèse historique brève, qui porte la marque de son brillant talent, M. Octave LOUWERS, membre de l’Académie royale des Sciences coloniales, a dégagé les lignes dominantes du jeu complexe de la politique internationale à laquelle la Belgique doit d’exercer l’autorité au Ruanda-Urundi. Notre but n’étant ni d’écrire l’histoire, ni de faire de la politique rétrospective, nous nous contenterons de rappeler en quelques mots les circonstances de fait et le processus juridique qui aboutirent à placer une partie importante de l’ancienne colonie allemande, la meilleure peut-être, sous le régime d’abord d’un mandat international confié à S. M. le Roi des Belges, et puis d’un accord de tutelle. La neutralité congolaise ayant été violée par l’Allemagne au début de la guerre de 1914, les troupes coloniales belges furent entraînées, malgré elles, dans la grande bagarre. Après une campagne très dure, pleine d’actions d’éclat et de vicissitudes, elles réussirent à occuper Tabora, capitale de l’Est-Africain allemand. Cet exploit mémorable eut lieu le 18 septembre 1916. Plus tard, les troupes belges cueillirent des lauriers nouveaux, en coopérant avec l’armée britannique à briser les derniers soubresauts de la résistance ennemie en Afrique orientale. La guerre finie et la succession étant ouverte pour l’exercice de l’autorité dans l’ancien empire colonial allemand, la Belgique avait donc à faire valoir des titres sérieux au partage : le succès brillant de ses faits d’armes, le droit à la réparation du préjudice subi, le vœu des populations autochtones. Aussi revendiqua-t-elle, dès l’ouverture de la Conférence de la Paix, la totalité des territoires conquis et administrés par elle depuis 1916, vaste région s’étendant du Congo belge au lac Victoria et comprenant, au sud, une importante section du chemin de fer Dar-es-Salam-Kigoma. Mais, comme la Grande-Bretagne, qui invoquait des droits concurrents, n’était nullement disposée d’agréer de semblables prétentions, dans toute leur ampleur, des pourparlers s’engagèrent avec elle, lesquels aboutirent, le 30 mai 1919, à un compromis connu sous le nom de « Arrangement ORTS-MILNER ». Ce fut cet arrangement qui allait servir de charnière à l’établissement du Mandat belge sur le Ruanda-Urundi.
Voici comment les choses se sont passées. Le traité de paix conclu à Versailles, le 28 juin 1919, entre les Puissances alliées et associées, d’une part, et l’Allemagne, d’autre part, disposait, en son article 119, que l’Allemagne renonçait en faveur des principales Puissances alliées et associées à tous ses droits et titres sur ses possessions d’outre-mer. En vertu de cette disposition et conformément à l’article 22 dudit traité (Pacte de la Société des Nations), le Conseil suprême des Puissances alliées et associées comprenant la Grande-Bretagne, la France, l’Italie et le Japon, décida, le 21 août 1919, de conférer à S. M. le Roi des Belges, un mandat pour administrer la partie de l’ancienne colonie allemande de l’Afrique Orientale à ce désignée par l’arrangement ORTS-MILNER. Plus loin, lorsque nous examinerons la fixation de la frontière entre le Ruanda-Urundi et le Tanganyika Territory, nous verrons de quelle manière et suivant quelle procédure ce mandat a été confirmé, précise et approuvé.
Pendant plus de vingt ans, le Ruanda-Urundi fut administré par la Belgique sous le régime juridique du « mandat », conformément au Pacte de la Société des Nations. Après la deuxième guerre mondiale, suite à la conférence de San Francisco, du 26 juin 1945, le régime du mandat céda la place, dans le domaine du droit international public, à celui dit de « tutelle» dont le Ruanda-Urundi ne tarda pas à bénéficier. Ce changement, bien qu’il n’ait entraîné aucune modification de frontière, est cependant en rapport trop étroit avec le sujet que nous traitons pour que nous puissions nous contenter de l’effleurer en passant.
Fixation des frontières.
Après ce court exposé historique qui ne fait que poser la notion politique du « Ruanda-Urundi, territoire sous tutelle belge », nous allons aborder l’objet principal de notre travail : l’examen des frontières. Le Ruanda-Urundi est borné à l’ouest par le Congo belge, au nord par le protectorat britannique de l’Uganda, à l’est et au sud par le Tanganyika Territory. Nous traiterons successivement de chacune de ces trois frontières.
En ce faisant, nous nous occuperons d’abord de la « fixation des frontières », opération à caractère juridique qui se réalise par la voie de conventions internationales, pour en venir ensuite à la « démarcation » des frontières, opération matérielle de mesurage sur les lieux et d’abornement.
Frontière avec le Congo belge.
La fixation de la frontière du Ruanda-Urundi avec le Congo belge remonte à l’époque des possessions allemandes de l’Afrique orientale. Elle a été précisée par la convention de Bruxelles du 11 août 1910, approuvée par la loi du 4 juin 1911. Cette convention n’a d’ailleurs fait qu’approuver l’arrangement de Bruxelles du 14 mai 1910 signé, pour la Belgique, par J. VAN DEN HEUVEL, A. VAN MALDEGHEM et le chevalier VAN DER ELST et, pour l’Allemagne, par EBERMAIER, VON DANCKELMAN et K. FREIHERR VON LERSNER. Les instruments de ratification ont été échangés à Bruxelles, le 27 juillet 1911. La frontière considérée y est indiquée comme suit :
Du lac Tanganika au lac Kivu :
La frontière abandonnant la ligne médiane du Lac Tanganika s’infléchit pour suivre le thalweg de la branche principale occidentale du delta de la Ruzizi jusqu’à la pointe nord de ce delta.
Elle emprunte ensuite le thalweg de cette rivière jusqu’au point où elle sort du lac Kivu. Aux endroits où la rivière se divise en plusieurs branches, les autorités locales détermineront, aussitôt que possible, la branche principale dont le thalweg formera la frontière.
A travers le lac Kivu :
La frontière suit la ligne partant de la Ruzizi et qui aboutit au nord en un point de la rive située à égale distance de Goma (poste) et Kissegnies[Kisenyi : ndlr] (boma).
Elle laisse à l’ouest notamment les îles Iwinza, Nyamaronga, Kwidjwi et Kitanga qui appartiendront à la Belgique, et à l’est des îles Kikaya, Gombo, Kumenie et Waù Wahu qui appartiendront à l’Allemagne.
Au nord du lac Kivu :
La frontière suit d’abord, dans la direction du nord, autant que possible, le méridien du point situé à mi-chemin entre la station belge de Goma et le boma de la station allemande de Kissegnies jusqu’à une distance de 500 mètres au sud du chemin, allant de Goma, par Bussoro-Iwuwiro-Niakawanda-Buhamba, au col entre le Rukeri et le Hehu. Pour le tracé de ce méridien, il y a lieu de tenir compte des établissements indigènes que cette ligne rencontre-rait, de telle façon qu’ils restent, autant que possible, en territoire allemand.
A partir de ce point, la frontière se détourne dans la direction du nord-est et court à une distance de 500 mètres à l’est du chemin indiqué ci-dessus jusqu’à la hauteur du parallèle de Niakawanda.
Là où le terrain permet d’adopter, pour la frontière, des points de repère naturels, la frontière pourra s’écarter jusqu’à 1.000 mètres à l’est du tronçon du chemin précité.
Ce n’est que dans le cas où l’écartement aurait pour effet de séparer des établissements indigènes du territoire allemand que l’éloignement de 500 mètres du dit chemin ne pourra en principe être dépassé.
Au nord de Niakawanda, le chemin n’est indiqué que d’une façon approximative.
Il est entendu que si le chemin s’écarte plus vers l’est, la frontière ne pourra dépasser à l’est la plus grande dépression de terrain entre les versants du Niragongo [nyiragongo] et du Karissimbi.
Au nord du parallèle de la colline de Bihira la frontière doit être tracée de manière à ce que, se détournant vers l’est et utilisant dans la mesure du possible les accidents du terrain, elle atteigne, en passant à mi-chemin environ entre le Bihira et le Buhamba la pointe nord du Hehu.
La section de frontière décrite ci-dessus à partir de la rive septentrionale du Kivu jusqu’au parallèle passant par le sommet septentrional du Hehu sera fixée et délimitée sur le terrain par une commission mixte d’après les principes établis plus haut.
A partir du sommet du Hehu, la frontière se dirige en ligne droite sur le point culminant du Karissimbi (Barthelemyspitze). De la pointe du Karissimbi, la frontière se dirige en ligne droite vers le sommet du Visoke (Kishasha). De là, elle atteint le sommet principal du Sabinio [Sabyinyo] en suivant la crête de la chaîne de petits cratères qui s’étend entre ces deux volcans. Le sommet du Sabinio marque le point de contact des territoires allemand, belge et anglais. Au delà de ce point commence, vers l’est, la frontière anglo-allemande et, vers le nord, la frontière anglo-belge.
Cette frontière, depuis lors, n’a plus subi de changement, sauf, bien entendu, les opérations de démarcation auxquelles nous reviendrons plus loin.
Reste à dire un mot concernant la frontière du Ruanda-Urundi sur le lac Tanganika. Celle-ci passe, en effet, par les eaux mêmes du lac Tanganika, sur une distance d’environ 125 kilomètres. Bien que la frontière n’y ait été déterminée expressément et clairement par aucune convention internationale, il faut cependant la considérer comme étant constituée par la ligne médiane. Cette solution, généralement admise, est d’ailleurs conforme aux principes du droit international public, à la déclaration de neutralité du 1er août 1885, à la déclaration de Bruxelles du 18 décembre 1894, à l’esprit de la convention du 8 novembre 1884 par laquelle l’Allemagne a reconnu l’État Indépendant du Congo, et à la convention belgo-allemande du 11 août 1910 approuvant l’arrangement de frontière du 14 mai 1910. Cette dernière convention fait tout au moins allusion à la ligne médiane du lac Tanganika comme frontière belgo-allemande.
Ce qui précède concerne, bien entendu, la frontière qui s’oriente du nord au sud. Quant à la frontière sur le lac Tanganika, qui suit la direction est-ouest, à la pointe sud du Ruanda-Urundi, elle n’a pas, à son tour, fait l’objet d’un véritable traité. Par contre, le protocole de Kigoma, du 5 août 1924, relatif à la démarcation de la frontière du Ruanda-Urundi avec le Tanganyika Territory, dispose comme suit, en son article 51 :
« De commun accord, nous suggérons que nos gouvernements respectifs considèrent comme frontière, dans les eaux du lac Tanganika, le parallèle partant de la borne n°1 jusqu’à sa rencontre avec la ligne médiane nord-sud du lac Tanganika ».
Ce protocole a été ratifié par une correspondance échangée à Bruxelles, le 17 mai 1926, entre le ministre belge des affaires étrangères Émile VANDERVELDE et l’ambassadeur britannique à Bruxelles Sir George GRAHAME.
Frontière avec l’Uganda.
La frontière qui sépare le Ruanda-Urundi de la possession britannique de l’Uganda présente une particularité qu’il convient de souligner : absence de toute intervention belge dans le mécanisme juridique et conventionnel de sa fixation. Tandis que, comme c’est tout naturel, la frontière entre le Ruanda-Urundi et le Congo belge est l’oeuvre commune d’autorités belges et allemandes et que la frontière avec le Tanganyika Territory est le résultat de conventions dans lesquelles la Belgique a été partie contractante, il en va autrement quant à la frontière de l’Uganda, la Belgique n’y est pas intervenue. La raison en est qu’à l’époque où cette frontière fut établie, les seules Puissances intéressées étaient l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Ce sont elles qui ont discuté ensemble et fixé la ligne séparant l’Uganda des territoires placés aujourd’hui sous tutelle belge, à l’exclusion de toute autre Puissance, notamment de la Belgique. Celle-ci, en acceptant le mandat d’administration qui lui fut offert par les Puissances alliées et associées, après la première guerre mondiale, a implicitement accepté la frontière ugandaise du Ruanda-Urundi telle qu’elle a été fixée par les Puissances possessionnées de l’époque. Il s’ensuit que tout naturellement les documents relatifs à l’établissement de cette frontière : traités, cartes géographiques, actes officiels, correspondances, etc. ont été déposés aux archives coloniales de Londres et de Berlin. Aussi la documentation dont disposent le Ministère des Colonies et le Ministère des Affaires étrangères à Bruxelles est-elle singulièrement pauvre et fragmentaire. Il nous a été possible cependant, grâce au concours aimable et à la diligence de quelques fonctionnaires, de la compléter sur les points essentiels et dans la mesure nécessaire pour permettre l’aboutissement de la présente étude.
La première convention ayant pour objet la frontière ugandaise du Ruanda-Urundi, c’est l’arrangement germano-britannique de Berlin, du 1er Juillet 1890. Il fut signé, pour l’Allemagne, par le général d’infanterie VON CAPRIVI, chancelier de l’empire, et le conseiller de légation Dr KRAUEL et, pour la Grande-Bretagne, par l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté Britannique, Sir Edward BALDWIN MALET et le chef de la section africaine du département A. E. de Sa Majesté Britannique, Sir Henry Percy ANDERSON.
Sur les 12 articles que comporte la convention, seuls les deux premiers traitent de la frontière de l’Est-Africain Allemand. D’autres dispositions concernent les possessions (zones d’influence) respectives des Puissances contractantes en Afrique ainsi que la cession de l’île de Heligoland (Helgoland) par la Grande-Bretagne à l’Allemagne.
La frontière du nord de la zone de l’Afrique Orientale, réservée à l’influence allemande, est déterminée comme suit à l’article premier :
Une ligne qui, partant de la côte sur la rive nord de l’embouchure du fleuve Umbe, se dirige ensuite en ligne droite vers le lac Jipe. Longeant la rive est du lac et contournant la rive nord de celui-ci, la ligne traverse ensuite le fleuve Lumi, pour couper au milieu les régions de Taveta et Dschagga et puis se poursuivre en ligne droite le long de la pente nord de la chaîne des Kilima Ndscharo [Kilimandjaro,] jusqu’au point de la rive est du lac Victoria-Nianza[Nyanza] situé sur le 1er degré de latitude sud. A partir de ce point, elle traverse le lac sur le dit degré de latitude et suit celui-ci jusqu’à la frontière de l’État du Congo où elle se termine.
Il est cependant entendu que la zone d’influence allemande, à l’ouest du dit lac, n’englobe pas le mont Mfumbiro. S’il allait être constaté que ce mont serait situé au sud du degré de latitude prénommé, la frontière serait infléchie de manière qu’elle exclurait le mont de la zone d’influence allemande, mais retournerait néanmoins au point final pré-indiqué.
On voit que l’arrangement germano-britannique de Berlin, du 1er juillet 1890 détermine d’une manière qu’on peut considérer comme théoriquement parfaite, mais qui est certainement fort simpliste du point de vue pratique, la ligne séparative de l’Uganda avec l’Est-Africain allemand ; c’est le premier degré de latitude sud qui forme la frontière. Il est vrai que l’article 6 ajoute que, pour toutes les lignes de démarcation indiquées aux articles 1 à 4, des rectifications qui paraîtraient nécessaires, eu égard aux circonstances locales, pourront être faites de l’accord des Puissances intéressées. Il n’en reste pas moins que pareilles rectifications seraient difficiles à réaliser avec précision, dans le cas considéré, aussi longtemps tout au moins que le premier degré de latitude sud n’aurait pas été relevé sur le terrain et fixé par des bornes.
Une détermination plus précise de la dite frontière et qui traduit beaucoup mieux la commune volonté des Puissances contractantes a été fournie par l’arrangement germano-britannique de Berlin, du 19 mai 1909, signé, pour la Grande-Bretagne, par MM. J. DE SALIS, C. J. CLOSE et BEHREIN et, pour l’Allemagne, par MM. EBERMAIER, VON DANCKELMAN et Werner VON GRAVERT. Cette convention comporte un préambule très intéressant dont voici la teneur « in extenso ».
Les soussignés, délégués par leurs Gouvernements respectifs pour étudier et fixer entre la partie nord-ouest de l’Est-Africain Allemand et l’Uganda, une frontière définitive conforme à l’arrangement entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne du 1er juillet 1890, ont, dans l’accomplissement de leur mission, été guidés par les considérations suivantes :
Dans l’arrangement entre les Gouvernements britannique et allemand, daté du 1er juillet 1890, il est stipulé :
Article I. — Dans l’Est Africain la sphère dans laquelle l’exercice de l’influence est réservé à l’Allemagne est bornée :
- Au nord par une ligne qui, commençant sur la côte à la rive nord de l’embouchure de la rivière Umbe, se dirige directement sur le Lac Jipe ; de là, longe la rive orientale, contourne la rive septentrionale de ce lac et traverse la rivière Lume ; après quoi la ligne passe à mi-chemin entre les territoires de Taveita et de Chagga, contourne la base septentrionale de la chaîne du Kilimandjaro, et de là se dirige droit vers le point de la rive orientale du lac Victoria-Nyanza que coupe le premier parallèle de latitude sud ; de là, traversant le lac sur ce parallèle, la ligne suit le dit parallèle jusqu’à la frontière de l’État Indépendant du Congo où elle se termine.
Mont Mfumbiro.
Il est néanmoins entendu que, à l’ouest du lac, la sphère ne comprend pas le Mont M’Fumbiro ; s’il est démontré que ce mont est situé au sud du parallèle choisi, la ligne sera infléchie de manière à le laisser en dehors, mais elle reviendra cependant de manière à se terminer au point désigné ci-dessus.
Il est convenu que l’interprétation des traités relatifs aux frontières en question doit être basée sur les cartes anciennes qui ont été annexées aux traités ou ont été préparées pour les éclaircir.
Il est encore convenu qu’il est utile, en pratique, que les frontières conventionnelles soient de préférence mises en concordance avec des limites naturelles et politiques.
Convaincus que le Gouvernement de l’État du Congo ne peut que reconnaître la justesse des vues exposées ci-dessus et en conséquence ne persistera pas dans une attitude d’opposition envers les droits tirés des arrangements du 8 novembre 1884 et du 1etr juillet 1890, et évacuera les territoires réclamés en vertu de ces traités respectivement par l’Allemagne et par la Grande-Bretagne, les soussignés ont, sous réserve de l’approbation de leurs Gouvernements, conclu l’arrangement qui suit.
Lorsque l’évacuation du territoire réclamé par l’Allemagne aura lieu, l’Allemagne cédera à la Grande-Bretagne, au nord et à l’ouest de la ligne tracée en rouge sur la carte, tout le territoire qui lui appartient et toutes les revendications qu’elle pourrait invoquer sur ces territoires.
En échange de cette cession le Gouvernement britannique déclare qu’il ne fera plus valoir contre l’Allemagne aucune prétention basée sur l’article 1er de l’arrangement du 1er juillet 1890.
L’Allemagne ne fait aucune objection à ce que le district qui est réclamé par la Grande-Bretagne sous le nom de Mont Mfumbiro soit celui qui est entouré d’une ligne verte sur la carte.
Il appert de ce préambule que, dans l’esprit des Puissances contractantes, la convention du 19 mai 1909 se rattachait intimement à celle du 1er juillet 1890 et que la frontière déterminée par l’une devait, en principe, correspondre à celle établie par l’autre. Nous verrons cependant qu’entre ces frontières, il existe des différences considérables, du moins quant à leur partie occidentale qui, en 1890, suivait le 1er degré de latitude sud jusqu’à la limite de l’État Indépendant du Congo, alors qu’en 1909 elle s’incurve sensiblement vers le Sud. Mais où les deux actes se rejoignent, en un accord parfait, c’est lorsqu’il s’agit du mont Mfumbiro, lequel est considéré, bien qu’avec quelque réticence, comme devant faire partie de la zone d’influence britannique et comme étant par conséquent, injustement occupé par la Belgique. Ce point de vue était, ainsi que les explorations et études ultérieures allaient le démontrer, totalement erroné.
A l’époque où fut conclu le traité germano-britannique du 1er juillet 1890, on croyait qu’il existait au sud du 1er degré de latitude sud et à l’est du 30e méridien de longitude est une montagne du nom de Mfumbiro. Cette croyance se basait sur les rapports des rares explorateurs, notamment de Stanley qui, ayant passé par cette région et ayant aperçu de loin certaines formations montagneuses, avaient situé de la sorte le soi-disant mont Mfumbiro. Toutefois, comme aucun de ces explorateurs n’avait abordé de près ces hauteurs, il subsistait un doute sérieux sur la position du Mfumbiro, doute que laissait percer la convention du 1er juillet 1890, en attribuant ce mont à la Grande-Bretagne pour le cas où il serait démontré par la suite qu’il se trouvait bien au sud du 1er degré de latitude sud et à l’est du 30e méridien de longitude est. La convention du 19 mai 1909, en se référant au « district réclamé par la Grande-Bretagne sous le nom de mont Mfumbiro », marquait, à son tour, une hésitation semblable.
Il y avait dans ces croyances une double erreur : de position et de nom. Des explorations ultérieures poussées plus loin et des études géographiques plus précises, dues notamment aux spécialistes des commissions mixtes chargées de fixer sur les lieux les frontières des trois États possessionnés dans cette région de l’Afrique, ont démontré qu’il n’existe pas, à vrai dire, de mont Mfumbiro ; que ce nom a été attribué par erreur à une chaîne volcanique située au nord-est du Kivu et qui s’appelle Virunga (Kirunga au singulier), chaîne située à l’ouest du 30e méridien de longitude est, en territoire congolais. Le nom de Mfumbiro n’est en vérité celui d’aucun de ces volcans, mais celui d’une des plaines qui les entourent et, plus spécialement, celui d’une des contrées qui les bordent vers le nord. Cette contrée, d’après les explorations les plus récentes, est située à cheval sur la frontière, une partie de son territoire étant comprise dans le Ruanda-Urundi et l’autre, plus étendue que la première, dans l’Uganda.
Aussi les cartes géographiques qui, à l’époque des conventions germano-britanniques du 1er juillet 1890 et du 19 mai 1909, étaient basées sur l’erreur susmentionnée, ont-elles été rectifiées par la suite. Et le litige du « mont » Mfumbiro s’est évanoui faute d’objet litigieux.
Aussitôt après le préambule, la convention germano-britannique du 19 mai 1909 entend établir la frontière de l’Uganda. C’est ce que déclare l’article premier, en disposant : « La frontière à établir conformément à l’arrangement du 1er juillet 1890 commence au point… » etc. La vérité est cependant que les 2 premiers articles ainsi que le début de l’article 3 visent un tout autre objet : la ligne séparant l’État Indépendant du Congo de l’Est-Africain allemand. En voici le contenu :
1.— La frontière à établir conformément à cet arrangement commence au point le plus méridional du Cap Limboga sur le lac Kivu et se dirige de là en ligne droite sur le point culminant du Kirunga-Tsha-Niragongo. On se tiendra si possible à cette ligne lorsqu’elle sera marquée sur le terrain, mais on pourra s’en écarter légèrement, jusqu’à la distance d’un kilomètre dans l’un et l’autre sens pour se conformer aux conditions locales.
2.— Du point culminant du Kirunga-Tsha-Niragongo en ligne droite au point culminant du sommet nord du Niarugeyo ; de là au point culminant du Gissi en traversant le col qui sépare les deux pics ; de là en ligne droite au point culminant du Ngundo ; de là en ligne droite au point culminant du sommet nord de Hehu ; de là en ligne droite jusqu’au point culminant du Karissimbi.
- — Du point culminant du Karissimbi en ligne droite au point culminant du Vissoke (Kissassa) ; de là la ligne suit la crête de partage Mashiga jusqu’au point culminant du Sabyino.
— Du point culminant du mont Sabyino (Sabinio), la frontière suit la crête de partage par le sommet le plus élevé du Mgahinja[mugahinga] jusqu’au point culminant du Muhavura [Muhabura].
- — A partir du sommet le plus élevé du Muhavura, la frontière suivra autant que possible la ligne indiquée sur la carte jusqu’au point le plus élevé de la hauteur située immédiatement au Sud-Ouest de l’endroit appelé Bihanga sur la carte.
Des déviations pourront être apportées à cette ligne pour des raisons locales, mais elles ne pourront en aucun cas s’étendre au nord au-delà de 1° 20′ de latitude sud, et au sud au-delà d’une ligne droite reliant les deux points extrêmes de cette partie de la frontière.
5.— A partir du point le plus élevé de la hauteur au sud-ouest de Bihanga la frontière se dirigera en droite ligne vers l’arbre que l’on aperçoit distinctement sur la carte à l’extrémité sud-ouest des monts Vugamba ; de là le long de la ligne de partage des monts Vugamba vers un point situé exactement à l’ouest (astronomique) du confluent des ruisseaux Vigaga et Mugera et ensuite directement vers ce confluent.
6.— Du confluent des ruisseaux Vigaga et Mugera la frontière suit le thalweg du Kiruruma jusqu’à son embouchure dans le golfe Gweru ; de là elle est formée par la ligne portée sur la carte jusqu’à l’embouchure du ruisseau Karamander.
7.— De l’embouchure du Karamander la frontière remonte le thalweg de ce ruisseau jusqu’à la crête de la ligne de partage, de là en ligne directe jusqu’au thalweg de l’affluent du Tsharagondo indiqué au sud-est du mont Bulema, et suit cet affluent en aval jusqu’à son embouchure dans le Tsharagondo ; de là elle se dirige en ligne droite jusqu’au point le plus élevé du Muyebe.
8.— A partir du point le plus élevé du Muyebe la frontière suit autant que possible une ligne droite dans la direction du point où le ruisseau Mfumba — (Lulenge), (Kakitumba), se détourne vers le nord, c’est-à-dire se réunit au Luboraga dans le voisinage de l’intersection du 1° 20′ lat. sud et des 30° 20′ long. est.
La frontière devra suivre le thalweg du Mfumba ou de ses affluents, pour autant que les déviations qui en résulteront de la ligne droite ne dépasseront pas 5 kilomètres de chaque côté. Aux endroits, où conformément à ce qui précède, la frontière ne pourra suivre le thalweg il y aura lieu de rechercher d’autres frontières naturelles.
9.— Entre le confluent du Mfumba et du Luboraga, et le point le plus élevé du Nyerubanga (1697 m.) on cherchera une frontière naturelle se rapprochant autant que possible d’une ligne droite tirée entre les deux points extrêmes.
10.— Du point le plus élevé du Nyerubanga la frontière va en droite ligne jusqu’au point le plus élevé du mont Katusu (1767 m) ; de là en droite ligne à l’intersection du 1° 15′ lat. sud et du thalweg du fleuve Kagera.
11.— De l’intersection du Kagera et du 1° 15′ lat. sud la frontière suit le thalweg du fleuve en aval jusqu’à l’embouchure du fleuve Kabobo (Kiero) ; ensuite le thalweg de ce fleuve en amont jusqu’au point situé exactement à l’ouest du poteau frontière B II sur le versant septentrional du mont Katoma.
Voilà sans doute une singulière manière de fixer la frontière de l’Est-Africain allemand, le long du trajet allant du lac Kivu au sommet du mont Sabinio (Sabyino). Pour la Grande-Bretagne, cette partie de la convention ne présentait pas d’intérêt, parce que ses possessions étaient situées ailleurs. Pour la Belgique dont le Congo jouxtait le trajet, elle était res inter alias acta et ne pouvait donc ni lui nuire, ni lui profiter. Ainsi que nous l’avons exposé dans une autre étude, cette partie de la frontière du Congo a été déterminée par la convention de Bruxelles, du 11 août 1910. En vérité, les dispositions sus-rappelées de l’arrangement de Berlin, du 19 mai 1909, n’avaient que la valeur d’une simple référence, sans portée juridique.
Le restant de l’article 3 et les articles qui suivent ont pour objet la détermination de la ligne séparant l’Uganda de l’Est-Africain allemand. Ils ne concernent cependant pas tout le territoire placé aujourd’hui sous la tutelle de la Belgique, celui-ci ne s’étendant à l’est que jusqu’au thalweg de la rivière Kagera. Aussi l’article 11 de la convention, qui poursuit la fixation de la frontière au-delà du point d’intersection de la Kagera et du 1°15′ de latitude sud, n’intéresse-t-il pas le Ruanda-Urundi, mais le Tanganyika Territory placé sous tutelle britannique.
Certes la convention du 19 mai 1909 marquait-elle un progrès sensible par rapport à celle du 1er juillet 1890. Pourtant le problème de la frontière ugandaise de l’Est-Africain allemand n’était pas encore résolu entièrement. Il ne se posait d’ailleurs pas seulement comme visant une entité autonome et indépendante, mais aussi comme concernant un des membres d’un complexe politique né de la rencontre, au centre de l’Afrique, dans la région des Grands Lacs, de trois grandes zones d’influence : celle de la Grande-Bretagne, celle de l’Allemagne et celle de la Belgique. Aussi les trois Puissances intéressées décidèrent-elles de se réunir en conférence, en vue de régler d’une manière définitive la question de leurs frontières communes dans cette partie de l’Afrique. Comme point de ralliement, elles choisirent Bruxelles, la capitale de la Belgique, d’où rayonnait la grande figure de Léopold II, le Colonisateur, dont le puissant génie étonnait et éclairait le monde. Les délégués du Gouvernement impérial allemand étaient :
- Carl H. F. EBERMAIER, conseiller intime supérieur de Régence, le baron A. de DANCKELMAN, conseiller intime de Régence, le baron Kurt VON LERSNER, attaché de Légation.
Ceux du gouvernement de Sa Majesté le Roi des Belges étaient :
- J. VAN DEN HEUVEL, ministre d’État, A. VAN MALDEGHEM, premier président de la Cour de cassation, le chevalier L. VAN DER ELST, secrétaire général du ministère des Affaires Étrangères.
Ceux enfin du gouvernement de Sa Majesté britannique étaient :
- Sir A. HARDINGE, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté britannique à Bruxelles, le lieutenant-colonel C. F. CLOSE, membre de l’état-major général de l’armée britannique, J. A. C. TILLEY, chef du département d’Afrique au Foreign Office.
La conférence commença ses travaux le 8 février 1910 et aboutit au protocole du 14 mai 1910 constatant l’accord des délégués pour soumettre à l’approbation de leurs gouvernements trois projets de conventions annexés. Avant de prendre part aux délibérations, le premier délégué du gouvernement de Sa Majesté britannique donna lecture d’une déclaration dont voici
le texte :
« La Délégation britannique a le devoir, avant d’aborder la discussion qui va s’ouvrir, de déclarer que sa participation à celle-ci ne doit point être envisagée comme modifiant explicitement ou implicitement en ce qui concerne le transfert à la Belgique de droits souverains sur les territoires qui en font l’objet ou sur une partie d’iceux, le point de vue auquel le gouvernement du Roi s’est jusqu’à présent placé. Elle n’entend point soulever, au cours de cette discussion, la question déjà débattue entre les Cabinets de Londres et de Bruxelles, de la mesure dans laquelle la non-reconnaissance à l’heure actuelle par la Grande-Bretagne du traité d’annexion de 1907 peut se concilier avec les dispositions de l’Acte Général de Berlin ou les principes généraux du droit des gens. Le gouvernement britannique nourrit d’ailleurs le ferme espoir que certaines divergences de vues relatives à la portée de ses traités avec l’ancien État Indépendant ainsi qu’à ses propres obligations qui l’ont empêché jusqu’à présent de reconnaître le nouvel état des choses au Congo, ne tarderont point à être heureusement aplanies et c’est dans cet ordre d’idées qu’il s’est déclaré prêt à prendre part aux pourparlers actuels, en faisant abstraction, sans toutefois la préjuger, de la question juridique. Ses délégués se bornent, par conséquent, à rappeler, à titre formel et en vue d’écarter toute possibilité de malentendu, les conditions auxquelles ils sont autorisés à intervenir au présent échange de vues ».
Le premier délégué du gouvernement de Sa Majesté le Roi des Belges a répondu comme suit:
«Les Délégués Belges prennent acte de la déclaration dont le Ministre d’Angleterre a donné lecture avant l’ouverture de nos discussions.
« Le gouvernement du Roi, dans une correspondance antérieure, a déjà fait connaître au Gouvernement de Sa Majesté britannique qu’il ne pouvait partager son point de vue en ce qui concerne le transfert à la Belgique des territoires de l’État Indépendant. Son Excellence a fait allusion à cette correspondance et les délégués belges sont d’accord avec Elle pour ne pas soulever une discussion à ce sujet au cours des présents pourparlers. Les conditions dans lesquelles l’Angleterre participe à ces négociations ont été acceptées par le gouvernement belge dans une pensée amicale. Sir Arthur Hardinge a exprimé l’espoir que les divergences de vues qui séparent les deux gouvernements ne tarderont pas à être aplanies.
Les délégués belges ont entendu avec une vive satisfaction cette déclaration, qui répond entièrement à leurs propres sentiments ».
De la conférence tripartite de Bruxelles sortirent trois conventions qui portent, toutes les trois, la date du 14 mai 1910. Ce sont :
1° La convention belgo-germanique, concernant la frontière entre le Congo belge et l’Est Africain allemand;
2° La convention belgo-britannique, concernant la frontière entre le Congo belge et l’Uganda ;
3° La convention germano-britannique, concernant la frontière entre l’Est Africain allemand et l’Uganda.
C’est par cette convention, dont le texte va suivre, en traduction française, que la dernière main a été mise à la fixation de la frontière qui sépare aujourd’hui la possession britannique de l’Uganda du Ruanda-Urundi sous tutelle belge.
Les signataires, qui furent désignés par leurs gouvernements respectifs pour discuter et arrêter une frontière définitive entre l’Uganda et la partie nord-ouest de l’Est-Africain allemand, à l’ouest du Lac Victoria, sur la base du traité du 1er juillet 1890, ayant pris en considération l’accord conclu le même jour entre les délégués allemands et belges, sous réserve de l’approbation par leurs gouvernements, recommandaient à leurs gouvernements respectifs la convention qui suit :
I.— Après que la frontière telle qu’elle a été décrite dans la convention du 14 mai 1910 entre l’Allemagne et la Belgique aura été abornée et que le territoire qui selon cette convention a été reconnu comme étant incontestablement allemand, aura été transféré officiellement par la Belgique à l’Allemagne, l’Allemagne cédera à la Grande-Bretagne le territoire situé au nord et à l’ouest de la ligne de démarcation, pour autant que ce territoire ait jusqu’à présent appartenu à l’Allemagne ou ait été reconnu, dans la convention mentionnée ci-dessus, comme appartenant à l’Allemagne.
II.— En échange de cette cession, la Grande-Bretagne déclare qu’elle ne fera plus valoir des revendications contre l’Allemagne en vertu de l’article 1 du traité du 1er juillet 1890.
III.— La frontière établie dans la présente convention sera abornée, sur les lieux, par une commission mixte. La composition de cette commission, la date de sa réunion et le mode de procédure feront l’objet d’une convention distincte.
IV.— Ce qui suit est la description de la frontière établie :
La frontière commence au point le plus élevé du Sabyno (Sabinjo), de là elle suit la ligne de partage des eaux en passant par le point le plus élevé du Ngahinga jusqu’au point le plus élevé du Muhavura. Du point le plus élevé du Muhavura, la frontière suit l’éperon Mule-mule-Mussongo dans la direction nord-est et de là, jusqu’à la ligne de partage des eaux, de là jusqu’au sommet de la colline ; de là jusqu’au sommet sud de la chaîne Wugamba, de là le long de la crête de cette chaîne jusqu’à un point situé exactement vers l’ouest (vrai) du confluent des rivières Vigaga et Mugera et de là jusqu’au confluent de ces deux rivières.
Du confluent des rivières Vigaga et Mugera, la frontière suit le thalweg de la rivière Vigaga jusqu’à la source de celle-ci. De la source de la rivière Vigaga, la frontière continue en ligne droite à 4 kilomètres au nord-ouest de la colline Gwassa.
La frontière suit une ligne droite de 14,5 kilomètres dans un angle de 63° à l’est du nord (vrai); de là, une ligne droite de 16 kilomètres dans un angle de 56° à l’est du nord (vrai) et de là, une ligne droite de 12 kilomètres dans un angle de 16° à l’est du nord (vrai).
Du confluent de la rivière Chizinga (Kissinga) avec la rivière Kachwamba-Kakitumba, la frontière suit le thalweg de la rivière Kachwamba-Kakitumba jusqu’au confluent de la rivière Kachwamba-Katikumba avec la rivière Kagera. Du confluent de la rivière Kachwamba-Kakitumba avec la rivière Kagera, la frontière suit le thalweg de la rivière Kagera jusqu’à un point situé sur sa deuxième intersection avec le 1er degré de latitude sud entre les bornes-frontières numéros 26 et 27.
Ensuite la frontière suit la ligne déjà marquée par des bornes placées le long du 1er degré de latitude sud jusqu’à l’intersection de cette ligne avec la rive du lac Victoria.
- — En proposant cette ligne, les délégués se sont laissé guider par le principe que les districts appartenant politiquement au Ruanda, continueront, si possible, à faire partie du Ruanda.
C’est pourquoi il a été convenu que pour une partie de ce territoire, appartient au Ruanda, alors tout le territoire ou le cas échéant la partie précitée de ce territoire retournera à l’Allemagne ; dans ce cas la frontière entre l’Uganda et l’Est Africain allemand sera rectifiée en ce sens que la Grande-Bretagne obtiendra une superficie exactement égale à celle qui aura fait retour à l’Allemagne, et située entre la ligne-frontière déjà abornée et le thalweg de la rivière Kagera, superficie commençant au point où le thalweg de la rivière Kagera coupe la ligne droite entre les bornes 26 et 27 et s’étendant vers l’est.
2.— S’il apparaissait qu’à la suite de la délimitation décrite ci-dessus, entre le confluent de la rivière Chizinga (Kissinga) avec la rivière Kachwamba-Kakitumba et la source de la rivière Chizinga (Kissinga), des districts sont isolés, qui politiquement appartiennent au chef Katreia, qui relève du Sultan du Ruanda, ou que le chef Katreia a jusqu’à présent exploités économiquement, le chef Katreia et son peuple auront le droit, pendant six mois à partir de l’achèvement de l’abornement sur les lieux, d’aller s’installer, avec tous leurs biens portables, en territoire allemand et de récolter, même après l’expiration des 6 mois, les fruits se trouvant sur les champs au moment de leur départ. Les autorités britanniques locales et les membres de la Commission désignée pour procéder à l’abornement de la frontière recevront des instructions de ne pas encourager la tendance du chef Katreia et de son peuple, s’ils se sentaient portés à aller s’installer en territoire britannique.
VI.— Quant aux autres parties de la frontière, les droits des indigènes, pour ce qui concerne leur établissement, seront les suivants : les habitants des régions de la frontière seront libres d’aller s’installer avec leurs biens portables à l’autre côté de la frontière, pendant six mois à partir de l’achèvement de l’abornement sur les lieux, et de récolter, même après l’expiration des six mois, les fruits se trouvant sur les champs au moment de leur départ.
VII.— Il a été convenu que ces accords, spécialement pour ce qui concerne l’évacuation de stations et postes et l’enlèvement de drapeaux ou autres emblèmes de souveraineté, seront exécutés de telle manière que les indigènes se rendent compte que les relations amicales continuent à exister entre les deux Gouvernements. La décision relative aux détails du transfert solennel de territoire sera prise de commun accord entre les administrations locales, qui recevront les instructions voulues aussitôt que possible.
Bruxelles, le 11 mai 1910.
En vue de l’accord conclu le même jour concernant la ligne frontière entre l’Uganda et la partie nord-ouest de l’Est Africain allemand, les signataires recommandent à leurs gouvernements respectifs que l’accord du 19 mai 1909 soit officiellement abrogé par un échange de notes, cet accord ayant été remplacé par l’accord susmentionné.
Bruxelles, le 14 mai 1910. (signatures)
Suit la certification que voici :
Je certifie que le texte ci-dessus est une copie exacte et véritable.
S/ GRANVILLE.
14 mai 1910.
S/ FREIHER V. LERSNER.
16 mai 1910.
Section II Frontière avec le Tanganyika Territory.
C’est, comme nous l’avons exposé précédemment, par l’effort conjugué de la Belgique et de la Grande-Bretagne que la puissance militaire de l’Allemagne dans sa colonie de l’Est-Africain a été brisée. Ce fut donc tout naturellement que les Puissances alliées et associées, après la première guerre mondiale, décidèrent de placer cette colonie en partie sous mandat belge et en partie sous mandat britannique, la Belgique étant appelée à exercer son autorité au Ruanda-Urundi et la Grande-Bretagne la sienne dans la zone dite Tanganyika Territory. Quant à la détermination de la frontière entre les deux zones, comme elle était avant tout une affaire belgo-britannique, elle a été réglée à l’origine par un arrangement bilatéral entre les deux Puissances intéressées : l’accord du 30 mai 1919, signé, pour la Belgique, par Pierre ORTS, ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le Roi des Belges et, pour la Grande-Bretagne, par Lord MILNER, secrétaire d’État des colonies britanniques. Mais, un tel accord ne pouvait lier que les Hautes Parties qui l’avaient conclu. Pour le rendre opposable à tous, il fallait l’adhésion des Puissances alliées et associées.
C’est pourquoi, dès le 30 mai 1919, les signataires de l’arrangement adressèrent au Conseil suprême des Puissances alliées et associées une déclaration commune ainsi conçue :
« Les soussignés ont l’honneur de soumettre au Conseil suprême des Alliés la proposition suivante concernant l’attribution de mandats d’administration sur les territoires de l’Est-Africain allemand
« La Belgique exercera le mandat d’administration de la partie de l’Est-Africain allemand qui s’étend à l’Ouest de la limite indiquée en rouge sur la carte ci-jointe.
« La Grande-Bretagne exercera le mandat sur les parties de la même colonie qui ne sont pas attribuées à la Belgique.
La frontière y était décrite comme suit :
Du point où la frontière entre le Protectorat de l’Uganda et l’Afrique Orientale Allemande coupe la rivière Mavumba, dans la direction du Sud-Est, une ligne droite aboutissant à la côte (1640), à 15 kilomètres environ au S.S.O. du Mont Gabiro.
De là une droite dans la direction du Sud, jusqu’à la rive nord du lac Mohasi, où elle aboutit en un confluent de rivière, situé à 2,5 km environ, à l’ouest du confluent de la rivière Msilala.
Si le tracé de chemin de fer à l’ouest de la rivière Kagera entre le Bugufi et l’Uganda s’approchait de la ligne définie ci-dessus, à moins de 16 kilomètres, la frontière serait reportée vers l’ouest suivant une ligne à une distance minima de 16 kilomètres du tracé, sans toutefois dépasser à l’ouest la droite qui joint le point d’aboutissement au lac Mohasi au sommet du Mont Kivisa (2.100) situé sur la frontière Uganda-Afrique Orientale Allemande, à 5 kilomètres environ au s. o. du point où la rivière Mavumba coupe cette frontière.
De là une ligne dans la direction du Sud-Est jusqu’à la rive sud du lac Mohasi.
De là, la ligne de séparation des eaux des rivières Taruka et Mkarange, prolongée vers le Sud jusqu’à la pointe nord-est du Lac Mugesera.
La ligne médiane du lac Mugesera prolongée vers le Sud à travers le Lac Saake jusqu’à la Kagera.
De là le cours de la Kagera en aval jusqu’à son point de rencontre avec la limite occidentale du Bugufi.
De là cette limite jusqu’à son point de rencontre avec la limite orientale de l’Urundi.
De là la limite orientale et méridionale de l’Urundi jusqu’au lac Tanganika.
Cette démarche eut un accueil favorable. Le Conseil suprême des Puissances alliées et associées, usant du droit qui lui était conféré par l’article 119 du traité de Paix de Versailles et statuant conformément à l’article 22 de cet acte, accéda à la proposition sus-rappelée, par une décision datée du 21 août 1919.
Dès ce moment, le mandat de la Belgique sur la partie de l’Est-Africain allemand constituant le Ruanda-Urundi était juridiquement établi et, sous une réserve que nous indiquerons plus loin, opposable à tous. Tout n’était cependant pas fini. Il fallait encore définir le mandat et déterminer son contenu avec précision. Et comme le problème ne se posait pas seulement à l’égard du mandat considéré, mais aussi pour tous les mandats en général sur les anciennes colonies allemandes, les négociations entre les Puissances alliées furent longues et laborieuses. La décision du Conseil de la Société des Nations intervint le 20 juillet 1922.
Elle était rédigée en ces termes :
Mandat belge sur le Territoire de l’Est Africain.
Le Conseil de la Société des Nations :
Considérant que, par l’article 119 du Traité de Paix avec l’Allemagne signé à Versailles le 28 juin 1919, l’Allemagne a renoncé en faveur des Principales Puissances alliées et associées à tous ses droits sur ses possessions d’outre-mer, y compris l’Afrique orientale allemande ;
Considérant que les Principales Puissances alliées et associées sont convenues, conformément à l’article 22, première partie (Pacte de la Société des Nations) dudit traité, de conférer un mandat à Sa Majesté le Roi des Belges pour administrer une partie de l’ancienne colonie de l’Afrique Orientale allemande et ont proposé de formuler le mandat dans les termes suivants :
Considérant que Sa Majesté le Roi des Belges s’est engagée à accepter le mandat sur ledit territoire et a entrepris de l’exercer au nom de la Société des Nations conformément aux dispositions suivantes ;
Considérant qu’aux termes de l’article 22 ci-dessus mentionné, par. 8, il est prévu que si le degré d’autorité, de contrôle ou d’administration à exercer par le Mandataire n’a pas fait l’objet d’une convention antérieure entre les Membres de la Société, il sera expressément statué sur ses points par le Conseil ;
Par la présente, confirmant le mandat, a statué sur ses territoires comme suit :
Art. 1er. — Le Territoire sur lequel un mandat est conféré à Sa Majesté le Roi des Belges (désigné ci-dessous comme mandataire) comprend la partie du territoire de l’ancienne Colonie de l’Est-Africain allemand situé à l’ouest de la ligne suivante :
Suit l’indication des frontières telle qu’elle est faite dans l’arrangement
ORTS-MILNER:
Art. 2. — Une commission de délimitation sera nommée par Sa Majesté le Roi des Belges et Sa Majesté britannique pour le tracé sur place de la ligne frontière décrite à l’article premier ci-dessus.
Si les travaux de cette commission donnent lieu à contestation, la question sera soumise au Conseil de la Société des Nations, dont la décision sera sans appel.
Le rapport définitif de la commission de délimitation donnera la description exacte de la frontière telle qu’elle aura été déterminée sur le terrain ; les cartes signées par les commissaires seront jointes au rapport. Ce document, avec ses annexes, sera établi en triple exemplaire. L’un des originaux sera déposé dans les archives de la Société des Nations, le deuxième sera conservé par le gouvernement de Sa Majesté le Roi des Belges et le troisième par le gouvernement de Sa Majesté britannique.
Art. 3. — Le mandataire sera responsable de la paix, du bon ordre et de la bonne administration du territoire, accroîtra par tous les moyens en son pouvoir le bien-être matériel et moral et favorisera le progrès social des habitants.
Art. -4. — Le mandataire ne devra établir sur le territoire aucune base militaire ou navale, ni édifier aucune fortification, ni organiser aucune force militaire indigène, sauf pour assurer la police locale et la défense du territoire.
Art. 5. — La Puissance mandataire devra :
1° Pourvoir à l’émancipation éventuelle de tous esclaves et, dans un délai aussi court que les conditions sociales le permettront, faire disparaître tout esclavage domestique ou autre ;
2° Supprimer toute forme de commerce d’esclaves ;
3° Interdire tout travail forcé ou obligatoire, sauf pour les travaux et services publics essentiels et sous condition d’une équitable rémunération;
4° Protéger les indigènes contre la fraude et la contrainte par une surveillance attentive des contrats de travail et du recrutement des travailleurs ;
5° Exercer un contrôle sévère sur le trafic des armes et munitions ainsi que sur le commerce des spiritueux.
Art. 6. — La Puissance mandataire devra, dans l’établissement des règles relatives à la tenure du sol et au transfert de la propriété foncière, prendre en considération les lois et coutumes des indigènes, respecter les droits et sauvegarder les intérêts des indigènes.
Aucune propriété foncière indigène ne pourra faire l’objet d’un transfert, excepté entre indigènes, sans avoir reçu, au préalable, l’approbation de l’autorité publique. Aucun droit réel ne pourra être constitué sur un bien foncier indigène en faveur d’un non-indigène, si ce n’est avec la même approbation.
La Puissance mandataire édictera des règles sévères contre l’usure.
Art. 7. — La Puissance mandataire assurera à tous les ressortissants des États membres de la Société des Nations les mêmes droits qu’à ses propres ressortissants, en ce qui concerne leur accès et leur établissement dans le territoire, la protection de leurs personnes et de leurs biens, l’acquisition des propriétés mobilières et immobilières, l’exercice de leur profession ou de leur industrie, sous réserve des nécessités d’ordre public et de l’observation de la législation locale.
La Puissance mandataire pratiquera, en outre, à l’égard de tous les ressortissants des États membres de la Société des Nations et dans les mêmes conditions qu’à l’égard de ses propres ressortissants, la liberté du transit et de navigation et une complète égalité économique, commerciale et industrielle, excepté pour les travaux et les services publics essentiels, qu’elle reste libre d’organiser dans les termes et conditions qu’elle estime justes.
Les concessions pour le développement des ressources naturelles du territoire seront accordées par le mandataire, sans distinction de nationalité entre les ressortissants des États membres de la Société des Nations, mais de manière à maintenir intacte l’autorité du gouvernement local.
Il ne sera pas accordé de concession ayant le caractère d’un monopole général. Cette clause ne fait pas obstacle au droit du mandataire de créer des monopoles d’un caractère purement fiscal dans l’intérêt du territoire soumis au mandat et en vue de procurer au territoire les ressources fiscales paraissant le mieux s’adapter aux besoins locaux, ou, dans certains cas, de développer les ressources naturelles soit directement par l’État, soit par un organisme soumis à son contrôle, sous cette réserve qu’il n’en résultera directement ou indirectement aucun monopole des ressources naturelles au bénéfice du mandataire ou de ses ressortissants, ni aucun avantage préférentiel qui serait incompatible avec l’égalité économique, commerciale et industrielle ci-dessus garantie.
Les droits conférés par le présent article s’étendent également aux sociétés et associations organisées suivant les lois des États Membres de la Société des Nations, sous réserve seulement des nécessités d’ordre public et de l’observation de la législation locale.
Art. 8. — La Puissance mandataire assurera, dans l’étendue du territoire, la pleine liberté de conscience et le libre exercice de tous les cultes, qui ne sont contraires ni à l’ordre public ni aux bonnes mœurs ; elle donnera à tous les missionnaires ressortissants de tout État Membre de la Société des Nations la faculté de pénétrer, de circuler et de résider dans le territoire, d’y acquérir et posséder des propriétés, d’y élever des bâtiments dans un but religieux et d’y ouvrir des écoles, étant entendu, toutefois, que le Mandataire aura le droit d’exercer tel contrôle qui pourra être nécessaire pour le maintien de l’ordre public et d’une bonne administration et de prendre à cet effet toutes mesures utiles.
Art. 9. — La Puissance mandataire étendra aux territoires le bénéfice des conventions internationales générales, applicables à leurs territoires limitrophes.
Art. 10. – La Puissance mandataire aura pleins pouvoirs d’administration et de législation sur les contrées faisant l’objet du mandat. Ces contrées seront administrées selon la législation de la Puissance mandataire comme partie intégrante de son territoire et sous réserve des dispositions qui précèdent.
La Puissance mandataire est, en conséquence, autorisée à appliquer aux régions soumises au mandat sa législation sous réserve des modifications exigées par les conditions locales, et à constituer ces territoires en unions ou fédérations douanières fiscales ou administratives avec les territoires avoisinants relevant de sa propre souveraineté ou placés sous son contrôle, à condition que les mesures adoptées à ces fins ne portent pas atteinte aux dispositions du présent mandat.
Art. 11. — La Puissance mandataire présentera au Conseil de la Société des Nations un rapport annuel répondant à ses vues. Ce rapport devra contenir tous les renseignements sur les mesures prises en vue d’appliquer les dispositions du présent mandat.
Art. 12. — Toute modification apportée aux termes du présent mandat devra être approuvée au préalable par le Conseil de la Société des Nations.
Art. 13. — Le mandataire accepte que tout différend, quel qu’il soit, qui viendrait à s’élever entre lui et un autre membre de la Société des Nations, relatif à l’interprétation ou à l’application des dispositions du mandat et qui ne soit pas susceptible d’être réglé par des négociations, soit soumis à la Cour permanente de justice internationale, prévue par l’article 14 du Pacte de la Société des Nations.
Après une brève période d’expérience, il apparut que l’accord ORTS-MILNER, du 30 mai 1919, et les décisions subséquentes des Puissances alliées et associées, fixant la frontière d’une manière trop théorique et sans tenir compte des réalités politiques et ethnographiques du pays, avaient engendré une situation trouble, pleine de dangers de toutes sortes. Le Ruanda avait, en effet, été amputé d’une bande de terre d’environ 5.000 kilomètres carrés, située à l’ouest de la rivière Kagera et comprenant, outre la province du Kisaka, une partie du Buganza et du Mulera. Ces territoires avaient été placés sous mandat britannique en vue de faciliter la construction éventuelle d’un chemin de fer reliant l’Uganda au Tanganyika Territory. Un tel morcellement du Sultanat, fait au mépris de l’unité de race et de langue, rompait l’équilibre politique des populations, compromettant du même coup leur tranquillité sociale et leur prospérité.
Les gouvernements belge et britannique ne tardèrent pas à se préoccuper de cette situation et à se rendre compte qu’une révision du tracé des frontières s’imposait. Aussi conclurent-ils un nouvel accord, en vertu duquel ils demandèrent conjointement à la Société des Nations d’étendre le mandat belge au Kisaka et aux régions avoisinantes situées à l’ouest de la Kagera. Le Conseil de la Société des Nations fit droit à leur demande par sa décision du 31 août 1923.
La nouvelle frontière a été déterminée comme suit:
Art. 1. — Le Territoire sur lequel un mandat est conféré à Sa Majesté le Roi des Belges (désigné ci-dessous comme mandataire) comprend la partie du territoire de l’ancienne Colonie de l’Est-Africain allemand située à l’Ouest de la ligne suivante :
Le thalweg de la rivière Kagera, à partir de la frontière de l’Uganda jusqu’au point où la rivière Kagera rencontre la frontière occidentale du Bugufi ;
De là, jusqu’au point de jonction de cette frontière avec la frontière orientale de l’Urundi ;
Ensuite, les frontières orientale et méridionale de l’Urundi jusqu’au lac Tanganika ».
La décision ajoutait que la frontière décrite par elle était indiquée à la carte anglaise y annexée faite à l’échelle de 1 /1.000.000, G S. G S. et portant le n° 2932 ; que les frontières du Bugufi et de l’Urundi étaient indiquées conformément à ce que renseignait le Deutscher Kolonial Atlas (DIETRICH et REIMER) échelle 1 /1.000.000, date I 906.
Le mandat belge conféré d’abord, ainsi qu’on l’a vu précédemment, par le Conseil Suprême des Puissances alliées et associées, confirmé et précisé ensuite par le Conseil de la Société des Nations, n’était cependant pas encore parfait ; car, l’une des principales Puissances alliées et associées : les États-Unis d’Amérique, n’ayant pas ratifié le traité de paix de Versailles, n’était pas intervenue dans les décisions sus-rappelées. Aussi fallut-il s’entendre avec elle séparément. L’accord se fit en deux étapes. La première, qui avait pour objet l’acceptation par les États-Unis d’Amérique de la frontière prévue par l’arrangement ORTS-MILNER du 30 mai 1919, ainsi que par la décision du Conseil suprême des Puissances alliées et associées, en date du 21 août 1919, et confirmée par la décision du Conseil de la Société des Nations, du 20 juillet 1922, aboutit à la convention de Bruxelles, du 18 avril 1923, signée, pour la Belgique, par Henri JASPAR, Ministre des Affaires étrangères, et pour les États-Unis d’Amérique, par Benjamin THAW, Junior, chargé d’affaires ad interim à Bruxelles. Ce traité porte :
Considérant que par l’article 119 du Traité de Versailles, du 28 juin 1919, l’Allemagne a renoncé en faveur des Principales Puissances alliées et associées à tous ses droits et titres sur ses possessions d’outre-mer ;
Considérant que, par l’article 22 dudit Traité, il a été stipule que certains territoires qui, à la suite de la guerre, ont cessé d’être sous la souveraineté des États qui les gouvernaient précédemment, seraient placés sous le mandat d’une autre Puissance et que les termes du mandat seraient expressément définis dans chaque cas par le Conseil de la Société des Nations ;
Considérant que les avantages résultant pour les États-Unis de l’article 119 susmentionné du Traité de Versailles, ont été confirmés par le traité signé le 25 août 1921 entre les États-Unis et l’Allemagne, en vue de rétablir les relations amicales entre les deux nations :
Considérant que quatre des Principales Puissances alliées et associées à savoir : l’Empire Britannique, la France, l’Italie et le Japon ont convenu que la Belgique exercerait le mandat sur une partie du territoire de l’ancienne colonie de l’Afrique Orientale allemande ;
Considérant que les termes de ce mandat ont été définis comme il suit par le Conseil de la Société des Nations :
Suivent les dispositions de la décision du Conseil de la Société des Nations, du 20 juillet 12.
Considérant que les États-Unis d’Amérique, en participant à la guerre contre l’Allemagne, ont contribué à sa défaite et à la renonciation de ses droits et titres sur ses possessions d’outre-mer, mais qu’ils n’ont pas ratifié le Traité de Versailles ;
Considérant que le Gouvernement du Roi des Belges et le Gouvernement des États-Unis désirent aboutir à une entente précise en ce qui concerne les droits des deux gouvernements et de leurs nationaux respectifs dans ladite partie de l’ancienne colonie allemande placée sous mandat du Roi des Belges ;
Art. 1er. — A condition que les dispositions de la présente Convention soient observés, les États-Unis déclarent accepter l’administration par le Gouvernement du Roi des Belges, en vertu du mandat susmentionné, de la partie des anciennes colonies allemandes décrite à l’article 1er du mandat.
Art. 2. — Les États-Unis et leurs ressortissants auront la jouissance et le bénéfice de tous les droits et avantages garantis par les articles 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 du mandat aux membres de la Société des Nations, nonobstant le fait que les États-Unis ne soient pas un État membre de la Société des Nations.
Art. 3. — Les droits de propriété acquis aux Américains dans le territoire sous mandat seront respectés et il n’y sera porté atteinte en aucune manière.
Art. 4. — Un double du rapport annuel, que la Puissance mandataire doit faire en exécution de l’article 11 du mandat sera adressé au Gouvernement des États-Unis.
Art. 5. — Les modifications qui pourraient être apportées aux termes du mandat rapportés plus haut, seront sans effet sur aucune des stipulations contenues dans la présente Convention, à moins que ces modifications aient reçu l’assentiment des États-Unis.
Art. 6. — Les Traités et Convention d’extradition en vigueur entre la Belgique et les États-Unis d’Amérique s’appliqueront au territoire sous mandat.
Art. 7. — La présente Convention sera ratifiée conformément aux méthodes constitutionnelles respectives des Hautes Parties Contractantes. Les ratifications seront échangées à Bruxelles aussitôt qu’il sera possible. La présente Convention prendra effet à la date de l’échange des ratifications.
La deuxième étape, qui tendait à faire admettre par les États-Unis d’Amérique la modification de frontière approuvée par le Conseil de la Société des Nations, le 31 août 1923, fut réalisée par le protocole de Bruxelles, du 21 janvier 1924, signé, pour la Belgique, par Henri JASPAR, ministre des Affaires étrangères, et pour les États-Unis d’Amérique, par l’ambassadeur à Bruxelles, Henry P. FLETCHER.
Voici les termes du protocole :
Considérant qu’afin de mieux sauvegarder les intérêts des populations indigènes, la frontière du mandat conféré à Sa Majesté le Roi des Belges sur le territoire du Ruanda-Urundi, décrite dans le préambule du Traité concernant ce mandat et conclu entre la Belgique et les États-Unis d’Amérique, le 18 avril 1923, a été modifiée d’un commun accord entre les Gouvernements Britannique et Belge avec l’approbation du Conseil de la Société des Nations, approbation donnée par celui-ci dans sa séance du 31 août 1923:
Considérant qu’en vertu de l’article 5 du Traité précité les modifications qui pourraient être apportées aux termes du mandat tels qu’ils sont reproduits dans le Traité, seront sans effet sur aucune des stipulations du Traité à moins que ces modifications n’aient reçu l’assentiment des États-Unis d’Amérique ;
Considérant que le Gouvernement des États-Unis d’Amérique n’aperçoit aucune objection à formuler à la modification intervenue ;
Le Gouvernement Belge et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique ont résolu d’amender le Traité du 18 avril 1923
Art. 1er. — L’article 1er du mandat défini dans le préambule du Traité signé le 18 avril 1923 sera remplacé par le suivant :
Suit l’indication des frontières telle qu’elle est faite dans la décision du Conseil de la Société des Nations, du 31 août 1923.
Art. 2. — Le présent Protocole sera ratifié conformément aux méthodes constitutionnelles des Hautes Parties Contractantes. Les ratifications seront échangées à Bruxelles, le même jour que celles du Traité du 18 avril 1923. Il sortira ses effets à la date de l’échange des ratifications.
Les instruments de ratification de la convention du 18 avril 1923, modifiée par le protocole du 21 janvier 1924, furent échangés à Bruxelles, le 18 novembre 1924.
Le mandat belge sur le Ruanda-Urundi fut approuvé par la loi du 20 octobre 1924. Une autre loi, de même date, approuva la convention du 18 avril 1923 passée avec les États-Unis d’Amérique et le protocole modificatif du 21 janvier 1924.
Après l’intervention de ces actes législatifs, la fixation de la frontière entre le Ruanda-Urundi soumis au mandat belge et le Tanganyika Territory soumis au mandat britannique semblait être définitivement dans son joint. Il ne manquait plus, en effet, que la délimitation sur place du tracé conventionnel laquelle fut, comme nous le montrerons sous la rubrique démarcation des frontières », effectivement réalisée en 1924. On n’était pourtant pas encore arrivé au bout de toutes les difficultés. Car on se rendit compte, par la suite, que, sur quelques points, la section de frontière située le long de la rivière Kagera présentait des inconvénients.
Aussi les gouvernements belge et britannique s’efforcèrent-ils d’améliorer cette partie de la frontière, en vue de mieux l’adapter aux intérêts des deux territoires. Leurs efforts conjugués aboutirent au traité de Londres du 22 novembre 1934 signé, pour la Belgique, par le Baron CARTIER DE MARCHIENNE, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Londres et, pour la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, par The Rt. Ho. Sir John ALLSEBROOK Simon, G. C. S. I., K. C. V. O., O. B. E., M. P., principal secrétaire pour les Affaires étrangères.
Conformément à l’article 12 des mandats belge et britannique, le traité fut soumis au Conseil de la Société des Nations qui l’approuva le 6 septembre 1936.
Voici comment fut déterminée la frontière :
1.— Du confluent de la rivière Mwibu avec la rivière Kagera jusqu’à l’intersection de la ligne droite joignant la borne frontière 59 A à la borne frontière 59 B avec le thalweg de la rivière Kagera. (Le thalweg sera compris comme étant la ligne du niveau le plus bas du lit de la rivière). Aux endroits où, par suite de l’existence de rapides ou pour toute autre cause, il n’est pas possible de déterminer la position du thalweg la ligne médiane du chenal le plus large constituera la frontière.
2.— A partir du point où le thalweg de la Kagera est coupé par la droite qui joint les bornes 59 A et 59 B jusqu’au point où ce thalweg coupe la droite qui joint les bornes 72 A et 72 B, la frontière est déterminée par la série d’alignements droits qui joignent entre elles les bornes en pierre, visibles l’une de l’autre, érigées sur des pointes de terres proéminentes, sur les rives ou sur les îles de la Kagera, dans les parties de ces alignements où ils coupent le chenal de la rivière ou le marais qui le borde. Aux endroits autres que les îles où ces alignements traversent la terre ferme, la ligne frontière est constituée par la rive du point où l’alignement droit en amont coupe cette rive jusqu’au point où l’alignement droit d’aval rejoint la rivière ou le marais. Quand la borne frontière se trouve sur une île, la frontière suit le chemin le plus court le long de la rive, du point où l’alignement droit d’amont coupe la rive jusqu’au point où l’alignement droit d’aval rejoint la rivière ou le marais.
La rive est supposée suivre la limite des eaux les plus basses.
3.— Partant du point défini à l’article 1er, entre les bornes 59 A et 59 B., les alignements droits auxquels il est fait allusion dans l’article précédent sont définis comme suit :
- a) une droite joignant le point défini à l’article 1er, à la borne n°60, située à l’extrémité sud-ouest de l’île Zinga ;
- b) de là, une droite vers la borne n° 61, située à Nyakagasha, à l’extrémité nord de Kagema ;
- c) de là, une droite vers la borne n° 62, au lieu-dit Kaliba, à l’extrémité nord-est de Kanyinya ;
- d) de là, une droite vers la borne n° 63, à l’extrémité sud-ouest de l’île Tchabalelwa (Kyabalelwa) ;
- e) de là, une droite vers la borne n° 64, située à Luterana sur le versant oriental de Kageo (Kageyo) ;
- f) de là, une droite vers la borne n° 65, située à l’extrémité ouest de Mwoga ;
- g) de là, une droite vers la borne n° 66, sur la pointe ouest de Gitega ;
- h) de là, une droite vers la borne n° 67 sur la pointe nord-est de Ndalama (Rurama) ;
- i) de là, une droite vers la borne n° 68, au lieu- dit Magashi, à la pointe nord-est de Mubari (Ruanda) ;
- j) de là, une droite vers la borne n° 69, sur la pointe sud de Gabiro ;
- k) de là, une droite vers la borne n° 70, au lieu- dit Kitobelaho sur la pointe nord-est de Nyakishozi ;
- l) de là, une droite vers la borne n° 71, au lieu- dit Gashoza à la pointe nord-est de Kamakaba ;
- m) de là, une droite jusqu’au point mentionné à l’article 2 et où la droite joignant les bornes 72 A et 72 B, situées respectivement à Ryanyawanga (Tanganyika) et à Akanyo, à l’extrémité nord de Kamakaba, coupe le thalweg de la Kagera.
La ligne définie ci-dessus est reportée sur la carte jointe au présent Traité.
- — A partir du point défini au paragraphe (m) de l’article qui précède, la frontière suit le thalweg de la Kagera jusqu’à la frontière de l’Uganda.
- — Le présent Traité sera ratifié par chacune des Hautes Parties contractantes aussitôt que possible après que le Conseil de la Société des Nations aura donné son consentement. Les instruments de ratification seront échangés à Londres.
Il entrera en vigueur à la date de l’échange des ratifications.
Le nouveau tracé n’apporte au tracé antérieur que des modifications de détail jugées désirables par les Puissances intéressées, eu égard aux conditions géographiques locales.
Le traité belgo-britannique, signé à Londres le 22 novembre 1934, fut approuvé par le Conseil de la Société des Nations en sa séance du 6 septembre 1936. Le législateur belge l’a approuvé, à son tour, par la loi du 2 juin 1937. Les instruments de ratification ont été échangés à Londres le 19 mars 1938.
En même temps que le traité de frontière, c’est-à-dire le 22 novembre 1934, la Belgique et la Grande-Bretagne conclurent à Londres un deuxième traité, lequel tendait à définir les droits respectifs des deux territoires à l’usage des eaux des rivières et cours d’eau faisant partie de la section de frontière entre le Ruanda-Urundi et le Tanganyika Territory définie dans le protocole de Kigoma du 5 août 1924 et dans le traité de frontière du 22 novembre 1934, des rivières ou cours d’eau coulant du Ruanda-Urundi dans le Tanganyika Territory et vice versa. Bien que le deuxième traité ne contienne aucune indication de frontière, il est cependant intimement lié au traité de frontière proprement dit, puisqu’il a pour objet de régler l’usage des eaux coulant sur la ligne séparative ou traversant cette ligne. C’est pourquoi il nous parait utile d’en reproduire le texte in extenso:
1.— Les eaux prélevées dans une partie d’une rivière ou d’un cours d’eau, entièrement comprise dans le Ruanda-Urundi ou dans le Territoire du Tanganyika, seront restituées sans réduction substantielle à leur lit naturel en un point situé en deçà de l’endroit où la rivière ou le cours d’eau coule dans l’autre territoire, ou en deçà de l’endroit où la rivière ou le cours d’eau forme la frontière entre les deux territoires.
2.— Les Gouvernements contractants n’autoriseront respectivement dans le Ruanda-Urundi ou dans le Territoire du Tanganyika aucuns travaux de nature minière ou industrielle qui pourraient porter atteinte d’une manière quelconque aux eaux navigables existantes de tout autre cours d’eau ou rivière dont une partie forme la frontière commune ou aux eaux de tout cours d’eau ou rivière dont une partie forme la frontière commune et qui pourrait devenir navigable après la mise en vigueur du présent arrangement.
Les Gouvernements contractants n’autoriseront respectivement dans le Ruanda-Urundi et dans le Territoire du Tanganyika aucuns travaux de nature minière ou industrielle qui pourraient polluer les eaux d’une rivière ou d’un cours d’eau faisant partie de la frontière entre le territoire du Tanganyika et le Ruanda-Urundi, ou d’une rivière ou d’un cours d’eau tributaire de ces cours d’eau, ou d’une rivière ou d’un cours d’eau coulant de l’un de ces territoires dans l’autre ; amener dans ces eaux des substances vénéneuses, nocives ou polluantes.
— Chacun des Gouvernements contractants aura le droit de prélever, pour des travaux de nature minière ou industrielle, en un point quelconque d’une rivière ou d’un cours d’eau où ce cours d’eau forme la frontière entre les deux territoires, une quantité d’eau égale à la moitié au maximum du volume d’eau coulant en ce point, mesuré à la saison des basses eaux, à condition qu’après usage cette eau soit restituée sans réduction substantielle à son lit naturel.
En cas d’exercice du droit de prélèvement prévu par l’article 4, le débit d’une rivière ou d’un cours d’eau de la dite frontière sera déterminé par des sondages et en utilisant un appareil à mesurer la rapidité du courant. Le point où le débit devra être mesuré sera l’endroit le plus rapproché en amont de la dérivation projetée où les conditions permettront d’appliquer cette méthode de détermination.
6.— Si l’un des Gouvernements contractants désire utiliser les eaux d’une rivière ou d’un cours d’eau de la dite frontière ou autoriser une personne à utiliser ces eaux à des irrigations, ce Gouvernement contractant devra informer l’autre de ce désir six mois avant de commencer les travaux en vue de l’utilisation de ces eaux et ce, afin de permettre l’examen des objections que l’autre Gouvernement contractant pourrait soulever.
7.— Toutes les concessions de droits d’eau à ladite frontière accordées par l’un ou l’autre des deux Gouvernements contractants, seront subordonnées à la condition que les bénéficiaires de ces concessions installent à l’endroit ou près de l’endroit de la prise d’eau un déversoir ou une jauge étalonnés qui seront accessibles à l’inspection des fonctionnaires des deux Gouvernements désignés pour contrôler ces déversoirs ou ces jauges.
8.– Les services publics des deux gouvernements contractants et les habitants du Tanganyika et du Ruanda-Urundi seront autorisés à accéder, pour des raisons domestiques ou industrielles, à n’importe quel point des rivières ou cours d’eau formant la frontière commune.
9.— Tous les habitants du Ruanda-Urundi ou du Territoire du Tanganyika pourront naviguer sur les rivières ou fleuves formant frontière entre les deux territoires, s’y livrer à la pêche, y cueillir des plantes aquatiques et y puiser de l’eau pour les besoins domestiques et pour d’autres besoins conformément à leur droits fondés sur la coutume.
- — En cas de contestations surgissant entre les Gouvernements contractants au sujet d’une matière prévue par le présent arrangement, les Gouvernements contractants soumettront la question à l’arbitre ou au tribunal arbitral désigné de commun accord.
Le présent arrangement sera ratifié et les ratifications seront échangées à Londres le plus tôt possible. Il entrera en vigueur à la date de l’échange des ratifications. Les instruments de ratification ont été échangés à Londres, le 19 mars 1938.
Démarcation des frontières.
La fixation de la frontière est une opération juridique, de nature conventionnelle. Les États voisins se mettent d’accord pour dire que leur frontière passe par tel endroit qu’ils indiquent par référence à des données géographiques ou astronomiques existantes : telle chaîne de montagne, telle rivière, tel degré de latitude, tel méridien, etc… Elle précède la démarcation dans le temps. Celle-ci consiste à relever sur les lieux les lignes indiquées par la convention et à les marquer sur le terrain par des signes matériels appelés bornes. Tandis que la première, qui a pour effet d’arrêter la superficie du territoire, ses augmentations et ses diminutions, requiert l’intervention du Législateur (art. 3 et 27, Const. b. ; art. 27, Charte col.), la seconde, qui n’est qu’une simple opération de mesurage et d’abornement, s’effectue à la seule initiative du Pouvoir Exécutif.
Le Ruanda-Urundi a comme voisins le Congo belge, l’Uganda et le Tanganyika Territory. Dans la description qui va suivre, il sera donc logique de traiter successivement les travaux de démarcation faits sur la frontière de chacun de ces trois territoires, dans l’ordre où ils viennent d’être cités.
Démarcation de la frontière du Ruanda-Urundi avec le Congo belge.
Nous avons vu précédemment que de la Conférence tenue à Bruxelles du 8 février au 14 mai 1910 il était sorti, entre autres, une convention datée du 14 mai 1910 et fixant la frontière entre le Congo belge et l’Est-Africain allemand. Cette convention prévoyait que la section de frontière comprise entre la rive septentrionale du lac Kivu et le parallèle passant par le sommet septentrional du mont Hehu serait délimitée sur le terrain par une commission mixte d’après les principes convenus entre les Puissances contractantes, principes qui furent précisés davantage et clairement énoncés par la convention de Berlin du 26 août 1910.
La commission fut constituée en 1911. Elle se composait comme suit : J. BASTIEN, commandant au régiment des grenadiers, commissaire du gouvernement de S. M. le Roi des Belges ; G. SCHLOBACK, major, et H. FONCK, capitaine, premier et second commissaires de S. M. l’Empereur d’Allemagne.
21 bornes, numérotées de I à XXI, ont été construites sur le trajet susmentionné, la première sur la rive nord du lac Kivu, à égale distance du poste belge de Goma et du borna de la station allemande de Kissegnies, et la dernière sur la colline de Kabuanga, au sud du mont Sabinio. Les bornes sont constituées par des amas de pierres affectant la forme de pyramides ou de cônes et portant toutes une plaque de ciment avec un numéro.
Protocole de la démarcation a été dressé par les commissaires, à Goma, le 25 juin 1911. Une carte indiquant le tracé de la frontière y a été annexée. Il a été expressément entendu qu’en cas de désaccord entre les indications de la carte et celles du protocole, ce seraient les premières qui feraient foi.
Aucune autre mesure de démarcation n’a été prise concernant cette frontière.
Démarcation de la frontière du Ruanda-Urundi avec l’Uganda.
La conférence tenue à Bruxelles du 8 février au 14 mai 1910 par les délégués des 3 États dont les zones d’influence se rencontraient dans la région des Grands Lacs situés au centre de l’Afrique : la Belgique, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, ne s’est pas contentée d’engendrer les trois conventions de frontières sus-rappelées ; elle a marqué aussi la ferme volonté des Puissances intéressées de voir délimiter leurs frontières communes par une commission mixte composées de spécialistes en la matière. Aussi fut-elle suivie à bref délai d’une convention nouvelle donnant des instructions à la Commission mixte belgo-germano-britannique de délimitation de frontière. Cette convention, conclue à Berlin, le 26 août 1910, fut signée, pour la Belgique, par MM. ORTS et BASTIEN, pour la Grande-Bretagne, par MM. J. DE SALIS, CLOSE et JACK, et pour l’Allemagne, par MM. SCHLOBACH, H. FONCK et MARQUARDSEN. Le texte contient certaines dispositions dépassant le cadre d’un simple accord de délimitation ; il est tellement intéressant que nous croyons devoir le reproduire in extenso :
1.— Les commissaires belge et britannique commenceront le travail de délimitation dans le courant de la première quinzaine du mois de février, en établissant une triangulation de Ngabua vers le Sabinio. La délimitation de cette section sera probablement terminée à la fin du mois de mars. En tout cas, les Commissaires des trois pays se réuniront le 15 avril à Busuenda, à 14 kilomètres au Nord de Burunga (Bugunda), sur la route de Goma à Rutshuru, pour s’entendre sur les mesures à prendre ultérieurement.
2.— Le travail sera ensuite entrepris sur la frontière belgo-allemande depuis la rive septentrionale du lac Kivu jusqu’au parallèle passant par le sommet septentrional du Hehu, pour se terminer selon les prévisions à la fin de juin. Si les Commissaires le jugent nécessaire, ils érigeront également une borne sur le chemin qui franchit la frontière par le col séparant le Sabinio du Vissoke.
Dans l’entretemps, la Commission britannique cherchera à réunir par une triangulation à l’est du Sabinio les chaînes de triangulation déjà existantes.
Lorsque la délimitation de la section de frontière Ngabua-Sabinio sera terminée, le Commissaire britannique, avec une faible escorte personnelle formée de soldats britanniques, se rendra à Goma par la route de Rutshuru à Goma, accompagné du Commissaire belge ou de son délégué. Le Commissaire britannique recevra des autorités belges les facilités nécessaires pour visiter le port de Goma, mais il s’abstiendra de parcourir ou d’examiner la rive septentrionale du lac Kivu à l’Ouest de Goma.
Après une halte de quelques jours, le Commissaire britannique regagnera son camp par la même route de Goma à Rutshuru. Sa visite à Goma aura pour but de recueillir des informations quant aux possibilités qu’offre cet endroit pour l’établissement, par une société commerciale, de l’entrepôt auquel il est fait allusion dans les notes échangées à Bruxelles le 14 mai 1910.
Cette visite ne pourra être invoquée comme un précédent justifiant l’envoi de fonctionnaires britanniques chargés d’examiner les questions concernant l’établissement de l’entrepôt commercial et la construction de la route destinée à relier la frontière de l’Uganda à la rive septentrionale du lac Kivu.
3.— Après l’achèvement des travaux à la frontière belgo-allemande, les Commissaires allemands et britanniques se rencontreront dans la région du Sabinio pour procéder en commun à la délimitation de la frontière germano-britannique.
4.— La Commission britannique sera composée comme suit
Capitaine Jack, Commissaire ;
Capitaine Prittie, Commissaire adjoint ;
1 officier commandant l’escorte ;
1 médecin ;
3 sous-officiers ;
La commission allemande sera composée comme suit :
Major Schlobach, premier Commissaire ;
Hauptmann Fonck, second Commissaire ;
3 Sous-officiers.
La Commission belge se composera du Capitaine-Commandant Bastien et de plusieurs membres dont le Gouvernement belge se réserve de communiquer les noms ultérieurement.
5.— A moins de circonstances exceptionnelles, les escortes des Commissions se composeront de 60 hommes de troupes régulières. Les indigènes faisant office de messagers pourront être armés d’un fusil à piston.
6.— Dans le champ de travail qui, pour la triangulation, est limité à l’Ouest par le méridien du Tsha Nina Gongo, les escortes auront le droit, lorsqu’elles se trouveront sous la direction d’un Européen, de circuler librement en armes, dans la mesure où les travaux de la Commission le rendront nécessaire. Ce n’est que dans des cas tout à fait exceptionnels que des soldats pourront être employés comme messagers. En règle générale, cette pratique est formellement interdite. Les Commissions n’arboreront pas leur pavillon ; toutefois il sera permis de faire flotter des petits drapeaux sur les tentes.
7.— Les bornes frontières consisteront autant que possible en amas de pierres. Elles porteront les mêmes numéros sur les cartes et dans les protocoles. Dans la mesure du possible le numéro sera également gravé sur la borne elle-même.
8.— Lorsque les délimitations des sections de frontière belgo-britannique et belgo-allemande seront respectivement terminées, les Commissaires des deux pays intéressés établiront deux exemplaires des protocoles et des cartes de la frontière. Ces documents seront remis aux autorités administratives locales auxquelles il appartiendra de se mettre d’accord pour assurer l’exécution de mesures prévues par la Convention du 11 mai 1910 quant à l’évacuation des stations et au retrait des pavillons, et pour adresser aux indigènes les proclamations nécessaires. Dès la réception des documents dont il s’agit, les autorités locales auront à procéder sans délai à l’exécution des prescriptions conventionnelles précitées.
Les délégués belges subordonnent leur acquiescement aux dispositions du présent article, en tant qu’elles concernent la frontière belge-britannique, à la condition qu’avant la terminaison des travaux de délimitation les Gouvernements belge et britannique se soient mis d’accord au sujet de l’exécution de la Convention du 14 mai 1910 dans la région de l’Ufumbiro.
En ce qui concerne les mesures à prendre en suite de la délimitation de la frontière allemande-britannique, les prescriptions prévues par la Convention du 11 mai 1910 seront seules appliquées.
9.— Il est entendu que le Sabinio dont il est question aux articles précédents est la montagne désignée sous le nom de Sabinjo dans la carte n°1 du Lieutenant Weiss annexée au présent protocole.
10.— Dans l’étendue du champ de travail, les membres des Commissions pourront se livrer à la chasse sans avoir à se munir d’un permis. Toutefois aucun Européen ne pourra tuer plus de deux éléphants.
11.— Le Gouvernement britannique s’entremettra en vue d’assurer au matériel des expéditions qui emprunteront la voie du chemin de fer de l’Uganda l’entrée en franchise dans l’Afrique Orientale Britannique.
12.— Les cartes seront dressées à l’échelle du 1/200.000e et, dans des cas spéciaux, à l’échelle du 1 /100.000 e.
13.— Pendant la durée des travaux à la frontière belge-britannique, les Commissaires belges et anglais, à moins d’entente préalable entre eux, s’abstiendront respectivement de tirer des vivres des territoires qui appartiendront incontestablement à l’autre Puissance. Toutefois, ce qui précède ne s’applique pas à une bande de territoire qui s’étend à 3 kilomètres à l’Est et à 3 kilomètres à l’Ouest de la ligne Ngabua-Sabinio.
La même disposition est applicable aux travaux de la frontière allemande-britannique, mais la bande dont il vient d’être question aura dans ce cas une largeur de 10 kilomètres.
Le Gouvernement allemand se déclare disposé, pour autant que l’état des choses dans son territoire y compris les régions jusqu’ici contestées le permettra, à fournir aussi la mission belge de travailleurs, de porteurs et de vivres, moyennant le payement d’une indemnité proportionnelle.
Cette entremise ne se produira que si le Commissaire belge ne parvenait pas à se procurer dans son propre territoire les travailleurs, les porteurs et les vivres nécessaires aux besoins de sa mission. Le Commissaire belge veillera à ce que les porteurs et les travailleurs mis à sa disposition par les autorités allemandes soient traités conformément aux règlements en vigueur dans l’Afrique Orientale Allemande et à ce qu’ils soient rapatriés dès l’achèvement de la délimitation de la frontière belge-allemande. Le Gouvernement belge s’engage de son côté à prêter assistance dans les mêmes conditions à la Commission allemande.
- — Au cours de la réunion prévue au paragraphe 1 des présentes instructions, les Commissaires allemands préciseront auprès de leurs collègues britanniques l’étendue des revendications du Sultan du Ruanda sur la région indiquée par les lettres a, b, c, d, e, dans la carte annexée à la Convention.
Sur la base de cette communication, les Commissaires des deux parties s’entendront au sujet de la délimitation de la frontière à l’Est du point marqué a. Dans le cas où le Sultan du Ruanda revendiquerait toute la région marquée a, b, c, d, e, la frontière allemande-britannique suivra la ligne rouge indiquée sur la carte, jusqu’au point où elle coupe la ligne bleue et l’Allemagne remettra à la Grande-Bretagne le territoire teinté en vert sur la carte n°2 (T. S. G. S. n° 211 8b).
En vertu de la convention de frontière conclue à Bruxelles le 14 mai 1910 et par application de l’accord de délimitation de Berlin, du 26 août 1910, les travaux de mesurage furent entrepris sur la frontière ugandaise dès l’année 1911. Ils furent exécutés par les Commissaires britanniques le major JACK et le capitaine F. R. D. PRITTIE et par les commissaires allemands, le major G. SCHLOBACH et le capitaine H. FONCK, agissant de concert. Ils se terminèrent par un protocole signé à Kamwezi le 30 octobre 1911 et décrivant la frontière comme suit :
1.— Depuis le point culminant du Mont Sabinio, en passant par le point culminant du Mont Mgahinga, jusqu’au point culminant du Mont Muhavura, la ligne de partage marquée par la B. F. N° 1 placée là où la route nord-sud des volcans la coupe entre le Sabinio et le Mgahinga.
2.— L’éperon, dans une direction nord-est (dénommé dans la convention, l’éperon Mulemule-Mussongo) jusqu’au sommet du Mont Nyarubebsa, marqué par une borne de direction ; de là jusqu’à la B. F. N° II, située entre les Monts Nyarubebsa et Mussongo et sur la route vers le sud ; de là jusqu’au sommet du Mussongo, marqué par une borne de direction ; de là le long de la ligne de faîte jusqu’au sommet du Mont dénommé (X) dans la convention marqué par la B. F. n° III.
3.— Une ligne courbe comme indiquée sur la carte, marquée par les B. F. N° IV, V, VI, VII et VIII jusqu’à la B. F. n° IX qui se trouve au point dénommé (Y) dans la convention ; de là une ligne droite jusqu’au sommet du mont dénommé (Z) dans la convention, marqué par la B. F. N° X ; de là une ligne droite jusqu’au sommet sud de la crête Vugamba (Wugamba), marqué par la B. F. N° XI.
4.— La ligne de faîte de cette crête marquée comme suit : par la B. F. n° XII sur le Mont Kanyaminyenya, par des bornes de direction jusqu’à la B. F. N° XIII au point extrême-nord de la crête, par des bornes de direction jusqu’à la B. F. n° XIV, sur le Mont Mabaremere, par une borne de direction jusqu’à la B. F. N° XV, qui est à l’ouest (vrai) du confluent des rivières Vigaga (ou Kirumuru) et Mugera (ou Narugwambu) ; de là une ligne droite marquée par une borne de direction jusqu’au confluent de ces deux rivières, marquée par la B. F. n° XVI.
5.— Le thalweg de la Kirurumu jusqu’à sa source marquée par la B. F. n° XVII ; de là en ligne droite jusqu’à la B. F. n° XVIII qui est située à 4 km nord-ouest du Mont Gwassa et au point dénommé (B) dans la convention.
6.— Une ligne droite jusqu’au sommet du Mont Akasiru, marque par une borne de direction ; de là une ligne droite jusqu’au sommet du Mont Sanja, marqué par la B. F. N° XIX.
7.— Une ligne droite jusqu’à la B. F. N° XX dans la vallée à l’est du Mont Sanja et sur le sentier allant de l’est à l’ouest ; de là une ligne droite jusqu’au sommet du Mont Kisivo, marqué par la B. F. n° XXI.
8.— L’éperon du Mont Kisivo dans une direction est-nord-est et marquée par des bornes de direction jusqu’à un monticule caractéristique au pied de ce mont, marqué par la B. F. n° XXII ; de là jusqu’à une borne de direction au bord du marais ; de là, la ligne médiane du marais, comme indiquée sur la carte, jusqu’à la B. F. N° XXIII, située au pied d’un éperon dominant.
9.— La crête de cet éperon, marquée par une borne de direction, jusqu’à la B. F. N° XXIV sur le sommet ; de là la crête de la montagne marquée par des bornes de direction jusqu’au sommet du Mont Kavimbiri, marquée par la B. F. N° XXV.
- — La crête de la montagne jusqu’à la B. F. N° XXVI ; de là une ligne droite, marquée par une borne de direction dans la vallée, jusqu’au sommet de la petite colline caractéristique Nyakara marquée par une borne de direction ; de là une ligne droite jusqu’au sommet du Mont Kitanga, marqué par une borne de direction ; de là la crête de ce mont et l’éperon orienté nord et nord-est jusqu’à un monticule caractéristique dans la vallée, marqué par une borne de direction ; de là une ligne droite jusqu’à une borne de direction sur un éperon ca-ractéristique du Mont Nebishagara ; de là la crête de cet éperon jusqu’au sommet du mont, marqué par la B. F. N° XXVII.
- — Une ligne suivant la crête et un long éperon de ce mont comme indiqué sur la carte, et marquée par des bornes de direction jusqu’au sommet du Mont Magumbizi, marqué par la B. F. n° XXVIII ; de là une ligne suivant une séparation des eaux bien caractéristique jusqu’au sommet du Mont Kivisa, marqué par la B. F. N° XXIX ; de là le long d’un éperon de ce mont jusqu’à son extrémité nord, marquée par une borne de direction ; de là une ligne droite jusqu’à une borne de direction dans la vallée ; de là une ligne droite jusqu’au sommet sud du mont Ndega, marqué par la B. F. n° XXX ; de là une ligne droite jusqu’à une petite colline caractéristique sur la rive est de la rivière Muvumba (Luvumba), marquée par une borne de direction ; de là une ligne droite jusqu’au sommet d’une autre petite colline caractéristique, marquée par la B. F. n° XXXI.
- — Une série de lignes droites, comme indiqué sur la carte, suivant les contreforts est de la crête Mashuri et marquées à chaque changement de direction par une borne de direction et par les B. F. n°s XXXII et XXXIII toutes deux sur des éperons dominants.
- — Une semblable série de lignes droites, suivant le contour des versants de la vallée formée entre le massif Mashuri et l’éperon terminant le mont Kitofu (Kitoff), marquées par des bornes de direction et par les B. F. N°s. XXXIV et XXXV sur des éperons dominants ; continuant comme indiqué sur la carte, suivant les contreforts du mont Kitofu, marquées par des bornes de direction et par la B. F. n° XXXVI sur un éperon dominant à l’extrémité sud de ce mont.
- — Une ligne droite jusqu’à une borne de direction sur un éperon au sud-est de Kitofu ; de là une ligne droite jusqu’à une borne de direction sur un éperon à l’est du Kitofu ; de là une ligne droite jusqu’à un monticule au pied de cet éperon, marquée par une borne de direction ; et de là une ligne droite jusqu’à la selle entre le Kitofu et le Mavari (Mahare) marquée par la B. F. n° XXXVII.
- — Le thalweg allant vers le nord-est, marqué par une borne de direction, jusqu’à la source de la branche sud-ouest de la rivière Chizinga, marquée par le B. F. n° XXXVIII.
Pour le cas où la description de la frontière donnée ci-dessus ne correspondrait pas exactement à la ligne indiquée sur la carte annexée au présent protocole, il était expressément entendu que ce serait la frontière indiquée sur la carte qui ferait foi.
On remarque que les travaux de démarcation consignés au protocole de Kamwezi ont cessé avant d’avoir atteint le point finale la frontière qui sépare le Ruanda-Urundi de l’Uganda ; la dernière borne a, en effet, été placée à la source de la branche sud-ouest de la rivière Chizinga. C’est que la partie de cette frontière située plus à l’est est marquée sur le terrain par des lignes naturelles ; le thalweg de la rivière Chizinga et celui de la rivière Kakitumba.
Au protocole de Kamwezi était attaché un « mémorandum » rappelant, tout d’abord que, d’après les instructions de la convention de frontière, s’il était constaté que la source sud-ouest n’était pas identique avec le point (F), la frontière suivrait une ligne droite allant du point (F) à ladite source. Le mémorandum signalait ensuite que les Commissaires avaient convenu que, le point (F) ayant été trouvé très près de la source de la branche sud-ouest de la rivière Chizinga, la pensée de la convention serait mieux réalisée en amenant la frontière droit à la source, et puis le long du thalweg, plutôt que de l’amener, selon la stricte lettre de la convention, au point (F), puis de retour à la source, et ensuite le long du thalweg, ce qui donnerait, comme la carte le montre clairement, une frontière extrêmement mauvaise.
Il était aussi annexé au texte du protocole une liste complète des bornes avec leurs coordonnées respectives.
Après la première guerre mondiale, au cours de l’année 1925, il a été procédé à la vérification et à l’identification des bornes frontières, par une Commission mixte belgo-britannique où la Belgique était représentée par MM. H. PIEREN, major de la force publique, L. BORGERS et E. WOUTERS, et la Grande-Bretagne par le district commisioner Mr H. M. TUFNELL. Les travaux ont abouti à un protocole signé le 20 mars 1925, sur le lac Chahafi et conçu comme suit:
- Les documents, qui nous ont servi de base pour l’exécution de notre mission sont : le protocole — textes anglais et allemand — établi le 30 octobre 1911, par la Commission Anglo-Allemande de délimitation entre le Protectorat de l’Uganda et l’Afrique Orientale Allemande, et la carte au 1/200.000 y annexée.
2.— Notre travail de vérification et d’identification a porté sur les bornes frontières situées entre le versant Est du Muhavura et la source de la rivière Chizinga.
3.— Nous avons remplacé par des bornes en pierres les bornes : n°s XXI, XXIA, XXIB et XXVID, construites en terre lors de la délimitation en 1911.
4.— Nous n’avons retrouvé aucune trace de la borne de direction n° XXIC, signalée par la liste des bornes frontières comme érigée en terre.
Nous n’avons pas reconstruit cette borne de direction, n’ayant pu fixer son emplacement primitif et la jugeant superflue ; à cet endroit la ligne frontière est nettement déterminée par l’éperon Est-Nord-Est du Mont Kisivo.
- Nous avons constaté que la borne de direction n° XXVIIB, avait été construite en terre lors de la délimitation en 1911. Nous l’avons remplacée par une borne en pierres.
- — Nous n’avons retrouvé aucune trace de la borne de direction n° XXXA, qui, d’après le paragraphe II du protocole du 30 octobre 1911 aurait dû se trouver sur une colline caractéristique à la rive Est de la rivière Muvumba. Nous avons reconstruit cette borne à son emplacement probable et conforme à la description du paragraphe cité ci-dessus.
- — Pour assurer le respect et l’entretien des bornes frontières entre l’Uganda et le Ruanda, de commun accord nous proposons :
- a) que toutes les bornes principales soient renforcées et consolidées par un travail en ciment, et numérotées en chiffres romains.
- b) que l’Administration Belge se charge spécialement de l’entretien des bornes principales paires et des bornes de direction qui y font éventuellement suite ;
- c) que l’Administration Britannique se charge spécialement de l’entretien des bornes principales impaires et des bornes de direction qui y font éventuellement suite.
Démarcation de la frontière du Ruanda-Urundi avec le Tanganyika Territory.
Il est important de rappeler que la fixation de la frontière séparant le Ruanda-Urundi, sous tutelle belge, du Tanganyika Territory, sous tutelle britannique, s’est réalisée en trois phases : l’accord ORTS-MILNER du 30 mai 1919, la décision du Conseil de la Société des Nations, du 31 août 1923, ratifiant un accord belgo-britannique et le traité de Londres du 22 novembre 1934.
Une commission mixte fut créée pour procéder à la démarcation de cette frontière. Le gouvernement de Sa Majesté le Roi des Belges y était représenté par le lieutenant-colonel de la force publique F. GENDARME et le major de la force publique H. PIEREN ; le gouvernement de Sa Majesté Britannique y était représenté par l’« officier administratif » du Tanganyika Territory A. H. WHITE et le fonctionnaire du Département Topographique du Tanganyika Territory H. P. ROWE. Les travaux aboutirent au protocole signé à Kigoma le 5 août 1924, par les commissaires susmentionnés. Le tracé adopté par le protocole répond à la description suivante:
1° La borne frontière n°1, placée à la rive orientale du lac Tanganika, approximativement à 4 mètres (13 pieds) du bord de l’eau, et dans le débouché du ravin Ndyakalika ; ensuite le thalweg de ce ravin en amont jusqu’à la borne frontière n°11 située à son origine
2° La crête de l’éperon jusqu’à la borne n° III, placée au sommet du mont Lusoro ;
3° La crête de l’éperon jusqu’à la borne n° IV, située au sommet de la colline Nyangongo ;
4° La crête de l’éperon jusqu’à la borne n° V, placée au sommet du mont Nganda ;
5° La crête de l’éperon jusqu’à la borne n° VI, située à l’extrémité N. O. de la montagne Mugombe ;
6° Une ligne droite d’une longueur de 66 mètres (217 pieds), dans une direction N. E. et à travers l’origine de la vallée de la rivière Nyabitaka, jusqu’à la borne n° VII, située à la source de la rivière Sesakuya ;
7° Le thalweg de la rivière Sesakuya en aval jusqu’à son confluent avec la rivière Mukelezi ; ensuite le thalweg de la rivière Mukelezi en amont jusqu’à la borne n° VIII, située à sa source dans le mont Mugombe ;
8° Une ligne de faîte dans une direction E. S. E. jusqu’à la borne n° IX, placée au point le plus bas du col qui sépare le versant de la rivière Mutambala, au S., du versant de la rivière Nyamugali, au N ;
9° Le thalweg de la rivière Nyamugali en aval jusqu’à son confluent avec la rivière Mubarazi, ensuite le thalweg de cette dernière rivière en amont jusqu’à la borne n° X, placée à l’extrémité de sa source orientale et au point le plus bas du col réunissant la colline Muharara, au sud, et la colline Materwa au N. ;
10° Le thalweg de la rivière Ndihorehi en aval jusqu’à sa jonction avec la rivière Kiyagira ; ensuite le thalweg de celle-ci en aval jusqu’à sa jonction avec la rivière Shuza ; ensuite le thalweg de cette dernière rivière en amont jusqu’au confluent avec la rivière Nyanvuvu ; ensuite le thalweg de celle-ci en amont jusqu’au confluent avec la rivière Kasuno (qui forme la branche N. de la rivière Nyanvuvu) ; ensuite le thalweg de la rivière Kasuno en amont jusqu’à la borne n° XI, située à son origine ;
11° Le long du bord de l’escarpement formant la cuve de la vallée de la rivière Shuza, dans une direction N., des lignes droites joignant les bornes N°s XI, XII, XIII, XIV, XV, XVI, XVII, XVIII, XIX et XX, cette dernière borne étant placée au col de Nyemurongozi et à la source la plus méridionale de la rivière Malagarasi ;
12° La rivière Malagarasi en aval jusqu’au confluent avec la rivière Lumpungu ; ensuite cette dernière rivière en amont jusqu’au confluent avec la rivière Mukarasi ; ensuite le thalweg de cette dernière rivière en amont jusqu’à la borne n° XXI, placée à la source de son bras oriental (dénommé aussi Mikungwe) ;
13° Une ligne droite, dans une direction N. E., jusqu’à la borne n° XXII, située sur la crête de partage des versants Mukarasi et Kumbizi (Katungura) ;
14° Une ligne droite, dans une direction N. E. jusqu’à la borne n° XXIII, placée dans la dépression de la Kumbizi (Katungura) ;
15° Le thalweg de la rivière Kumbizi (Katungura) en aval jusqu’à son confluent avec la rivière Lugusi ; le thalweg de la rivière Lugusi en amont jusqu’au confluent de la rivière Kabuyenge ; le thalweg de la rivière Kabuyenge en amont jusqu’à la borne no XXIV, située à la source de son bras occidental (dénommé aussi Mushagasha) ;
16° Une ligne droite jusqu’à la borne n° XXV, placée sur un rocher proéminent ;
17° Une ligne droite jusqu’à la borne n° XXVI, située également sur un rocher proéminent ;
18° Une ligne droite jusqu’à la borne n° XXVII placée à l’origine de la rivière Mumigomera ;
19° Le thalweg de la rivière Mumigomera, en aval jusqu’à son confluent avec la rivière Lumpungu ; la rivière Lumpungu en amont jusqu’au confluent de la rivière Lusekera ; le thalweg de cette dernière rivière en amont jusqu’à la borne n° XXVIII, située à sa source N. R. ;
20° Une ligne droite dans une direction N. E. jusqu’à la borne n° XXIX, placée sur une ligne de partage ;
21° Une ligne droite, dans une direction N. E. jusqu’à la borne n° XXX, placée sur la rive droite de la petite rivière Akahondo (Kidobogoro), et cette ligne prolongée sur une distance d’environ 37 mètres (120 pieds), jusqu’au thalweg de cette dernière rivière ;
22° Le thalweg de la petite rivière Akagondo (Kidobogoro) en aval jusqu’à son confluent avec la rivière Ruwiti ; le thalweg de la rivière Ruwiti en aval jusqu’au confluent de la rivière Kisuma ; le thalweg de cette dernière rivière en amont jusqu’au confluent de la petite rivière Mwivumba ; le thalweg de la petite rivière Mwivumba (généralement à sec) en amont, clans une direction N. jusqu’à la borne n° XXXI, située à sa source dans un col étroit de la montagne Lugarama ;
23° Le thalweg de la vallée Nyakibereko en aval dans une direction N. N. E., jusqu’à son confluent avec la rivière Kashinga ; le thalweg de la rivière Kashinga en aval jusqu’au confluent de la rivière Mkomero ; le thalweg de cette dernière rivière en amont jusqu’à la borne n° XXXII, situé à l’origine de son bras N. E. ;
24° Une ligne droite, dans une direction N. O. jusqu’à la borne n° XXXIII, placée dans le col de Rwanganiro ;
25° Une ligne droite, dans une direction N. O. et marquée par une borne de direction, jusqu’à la borne n° XXXIV, située à l’origine de la rivière Kameranzovo ;
26° Le thalweg de la rivière Kameranzovo en aval jusqu’à son confluent avec la rivière Nyabuyumbu ; le thalweg de cette dernière rivière en amont jusqu’au confluent de la petite rivière Akayeke ; le thalweg de celle-ci en amont jusqu’à la borne n° XXXV située à son origine ;
27° Une ligne droite, dans une direction N. E. jusqu’à la borne n° XXXVI, placée dans le col de Ngwa ;
28° Une ligne droite, dans une direction N. E. jusqu’à la borne n° XXXVII, située à l’origine du bras S. E. de la rivière Ngwa ;
29° Le thalweg de la rivière Ngwa en aval, subséquemment appelée Kigenda, jusqu’à son confluent avec la rivière Mweruzi ; le thalweg de cette dernière rivière en aval jusqu’au confluent de la rivière Kahumo ; le thalweg de cette dernière rivière en amont, et dans son lit méridional, jusqu’au confluent avec la rivière Mukisuma ; le thalweg de cette dernière rivière en amont jusqu’au confluent avec la rivière Mukaroba ; le thalweg de cette dernière rivière en amont, jusqu’au confluent avec la petite rivière Murohona ; le thalweg de celle-ci en amont jusqu’à la borne n° XXXVIII, placée sur un rocher situé à sa source ;
30° Une ligne droite, dans une direction N. O. jusqu’à la borne n° XXXIX, placée sur rocher situé sur une crête de la chaîne Nyami-sana ;
31° Une ligne droite dans une direction N. O. jusqu’à la borne n° XL, située à l’origine de la vallée Mururama ; le thalweg de celle-ci en aval jusqu’à la rivière Mutubiri ; le thalweg en aval de cette dernière rivière appelée subséquemment Nyakondo et Kingoro, jusqu’à son confluent avec la rivière Luteitavi ; le thalweg en aval de cette dernière rivière appelée subséquemment Magarule et Migogo (Mkagogo), jusqu’à son confluent avec la rivière Ruvuvu ; le thalweg de cette dernière rivière en aval jusqu’au confluent avec la rivière Chizanye (Ishysanye) ; le thalweg de cette dernière rivière en amont jusqu’au confluent avec la rivière Murusenye ; le thalweg en amont de cette dernière rivière, appelée subséquemment Mubitare (Nyabitare), jusqu’au confluent avec la rivière Mukana ; le thalweg de cette der-nière rivière en amont jusqu’à la borne n° XLI, située à l’origine de la vallée Mukana ;
32° Une ligne droite, dans une direction E. N. E. et marquée par une borne de direction, jusqu’à la borne n° XLII, située sur la crête de Ntaretare ;
33° Une ligne droite, dans une direction N. N. O., jusqu’à la borne n° XLIII, située sur la même crête ;
34° Une ligne droite, dans une direction N. N. E. et marquée par une borne de direction, jusqu’à la borne n° XLIV ;
35° Une ligne droite, dans une direction N. E., jusqu’à la borne n° XLV ;
36° Une ligne droite, dans une direction E. jusqu’à la borne n° XLVI, placée sur une proéminence rocheuse de la colline Kikomero ;
37° Une ligne droite, dans une direction N. E. et marquée par une borne de direction, jusqu’à la borne no XLVII, située sur le versant S. E. de la colline Karambi ;
38° Une ligne droite, dans une direction N. E., jusqu’à la borne no XLVIII, située sur le versant E. de la même colline ;
39° Une ligne droite, dans une direction N. O., jusqu’à la borne n° XLIX, placée sur la même colline ;
40° Une ligne droite, dans une direction N. et marquée par une borne de direction, jusqu’à la borne n° L, située sur la colline Lumandali ;
41° Une ligne droite, dans une direction N. N. E., jusqu’à la borne n° LI, située sur la crête de Lumandali ;
42° Une ligne droite, dans une direction N. N. E. et marquée par une borne de direction, jusqu’à la borne n° LII, située sur la même crête.
43° Une ligne droite, dans une direction N., jusqu’à la borne n° LIII, située à l’extrémité E. de la colline Kinyami ;
44° Une ligne droite, dans une direction N. N. E. et marquée par une borne de direction, jusqu’à la borne n° LIV, placée dans le col qui réunit les collines Kinyami et Bwashishi ;
45° Une ligne droite dans une direction N. E. jusqu’à la borne n° LV, située sur le versant S. E. de la colline Bwashishi ;
46° Une ligne droite, dans une direction N. N. E., jusqu’à la borne n° LVI, située sur le versant E. de la même colline ;
47° Une ligne droite, dans une direction N. N. E. jusqu’à la borne n° LVII, située sur le versant N. E. de la même colline ;
48° Une ligne droite, dans une direction N. N. E. et marquée par une borne de direction, jusqu’à la borne n° LVIII, située à l’extrémité du bras S. O. de la rivière Mwibu ;
49° Le thalweg de la rivière Mwibu en aval jusqu’à son confluent avec la rivière Kagera ;
50° De ce point en descendant la rivière Kagera jusqu’à la frontière de l’Uganda, les deux Gouvernements sont d’accord pour accepter la ligne médiane de cette rivière comme frontière entre le Ruanda et le Tanganyika Territory.
Le cours de la rivière Kagera sera levé dans la suite par la Section belge et la ligne médiane fixée provisoirement. Cette ligne sera soumise, pour acceptation, aux deux Gouvernements intéressés, qui désigneront s’il y a lieu des représentants locaux pour conclure un accord définitif ;
51° De commun accord, nous suggérons que nos Gouvernements respectifs considèrent comme frontière dans les eaux du lac Tanganika le parallèle partant de la borne n° I jusqu’à sa rencontre avec la ligne médiane au nord-sud du Lac Tanganika.
Au cas où la description de la frontière donnée ci-dessus ne serait pas rigoureusement conforme au tracé indiqué sur la carte annexée au présent protocole, il est expressément entendu que les indications de la carte feront foi.
Ainsi fait à Kigoma, aux jour, mois et an que dessus, en deux originaux dressés en langues française et anglaise.
On remarque que les gouvernements intéressés ont exprimé leur accord pour accepter comme frontière, tout le long de la rivière Kagera, la ligne médiane de cette rivière (art. 50). Toutefois, cet arrangement n’avait qu’un caractère provisoire. Cette ligne devait être soumise, pour acceptation, aux deux gouvernements intéressés lesquels, s’il y avait lieu, désigneraient des représentants locaux pour conclure un accord définitif.
Le protocole de Kigoma a été ratifié par une correspondance échangée à Bruxelles, le 17 mai 1926, entre Son Excellence, le Ministre belge des Affaires étrangères, Émile VANDERVELDE et Son Excellence l’honorable sir George GRAHAME, ambassadeur de Sa Majesté britannique à Bruxelles. La lettre du Ministre belge des Affaires étrangères était conçue comme suit :
Bruxelles, le 17 mai 1926.
Monsieur l’Ambassadeur,
« J’ai eu l’honneur de recevoir la lettre en date du 17 mai courant que Votre Excellence a bien voulu m’envoyer pour faire connaître au Gouvernement du Roi que le Gouvernement de Sa Majesté britannique approuve le Protocole, signé à Kigoma, le 5 août 1921, ainsi que les cartes qui y sont jointes, documents qui définissent la frontière entre le territoire du Tanganyika et le territoire du Ruanda-Urundi, placé sous le mandat belge.
» Le Gouvernement belge approuve également ces documents.
» Votre Excellence a bien voulu en même temps attirer l’attention du Gouvernement belge sur le paragraphe 51 du Protocole et l’inviter à admettre que, nonobstant la frontière qui passe par le lac Tanganika telle qu’elle est décrite au dit paragraphe, les droits coutumiers de pêche et de passage dont bénéficient les indigènes vivant de part et d’autre seront maintenus, mais que cette disposition ne fera pas obstacle à ce que, même en ce qui concerne ces droits de pêche et de passage, les Gouvernements respectifs conservent leur pouvoir de droit commun.
» Il ne leur sera donc pas interdit, par exemple, de percevoir des taxes sur la pêche à charge de toutes les personnes quelles qu’elles soient qui pêcheront dans leurs eaux territoriales.
» Le Gouvernement belge a l’honneur de confirmer à Votre Excellence qu’il est d’accord avec le Gouvernement de Sa Majesté Britannique en ce qui concerne ces arrangements.
» Je saisis cette occasion, Monsieur l’Ambassadeur, de renouveler à Votre Excellence les assurances de ma très haute considération.
(S) VANDERVELDE. Bruxelles, le 17 mai 1926.
Elle répondait à une lettre de même date émanant de l’ambassadeur britannique à Bruxelles et dont voici la teneur :
Monsieur le Ministre,
« J’ai l’honneur, en vertu des instructions du Secrétaire d’État Principal de Sa Majesté pour les Affaires étrangères, de faire parvenir à Votre Excellence, par la présente note, l’approbation formelle par le Gouvernement de Sa Majesté, du protocole signé à Kigoma, le 5 août 1921, ainsi que des cartes qui y sont jointes, définissant la frontière entre le Territoire du Tanganyika et le territoire du Ruanda-Urundi placé sous le mandat belge.
» Par la même occasion, j’ai été chargé d’attirer l’attention du Gouvernement Belge sur le paragraphe 51 du protocole en question et de l’inviter à admettre que, nonobstant la nouvelle frontière passant dans le lac Tanganika et définie dans ledit paragraphe, tous les droits coutumiers de pêche et de passage exercés par les indigènes vivant de part et d’autre de cette frontière seront maintenus, mais qu’en même temps, même en ce qui concerne les droits de pêche et de passage, les gouvernements respectifs conserveront leurs prérogatives découlant du droit commun et qu’il ne leur sera pas interdit, par exemple, de percevoir des taxes sur la pêche à charge de toutes les personnes, quelles qu’elles soient, qui utiliseront leurs eaux territoriales.
» Je saurais gré à Votre Excellence d’avoir la bonne obligeance de me confirmer que le Gouvernement Belge est d’accord avec le Gouvernement de Sa Majesté en ce qui concerne les arrangements indiqués dans le paragraphe qui précède.
» Je saisis cette occasion, Monsieur le Ministre, de renouveler à Votre Excellence les assurances de ma plus haute considération ».
(s) George GRAHAME.
La frontière du Ruanda-Urundi, telle qu’elle est décrite au protocole de Kigoma, a été modifiée, sur quelques points de détail par le traité de Londres, du 22 novembre 1934.
Du régime international de Tutelle.
Le régime international de tutelle tire son origine de la Charte des Nations Unies signée à San-Francisco le 26 juin 1945. Le 26 avril 1945 s’ouvrit à San-Francisco, à l’initiative du gouvernement des États-Unis d’Amérique, une conférence à laquelle prirent part tous les grands États de l’époque. Les travaux, qui durèrent jusqu’au 26 juin 1945, donnèrent naissance à la Charte des Nations Unies et au Statut de la Cour internationale de Justice. Ces actes furent signés, dès le début, par cinquante et un États épars sur le globe terrestre, dont la Belgique. Le nombre des États adhérents s’est encore accru par la suite. En Belgique, la Charte des Nations Unies et le Statut de la Cour internationale de Justice ont été approuvés par la loi du 14 décembre 1945 ; ils ont été ratifiés le 19 décembre 1945 et le dépôt de l’instrument de ratification a eu lieu à Washington, le 27 décembre 1945.
La Charte des Nations Unies est précédée d’un remarquable préambule, oeuvre, en ordre principal, du maréchal SMUTS. C’est un vibrant rappel des grands idéaux de paix, de justice, de tolérance et de respect des valeurs essentielles humaines, une véritable profession de foi dans le progrès moral, économique et social de l’humanité. Le maréchal souhaitait que le texte en fût enseigné aux enfants, dès l’âge le plus tendre, afin qu’il se répande dans le monde et imprègne l’esprit de tous les hommes. En voici la teneur :
« Nous, PEUPLES DES NATIONS UNIES, RÉSOLUS
» à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui, deux fois en l’espace d’une vie humaine, a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances,
» à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites,
» à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international,
» à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande,
» ET A CES FINS,
» à pratiquer la tolérance, à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage,
» à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales, » à accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun,
» à recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples,
» AVONS DÉCIDÉ D’ASSOCIER NOS EFFORTS POUR RÉALISER CES DESSEINS.
La Charte des Nations Unies comprend 111 articles répartis en 19 chapitres intitulés comme suit :
Buts et principes, Membres, Organes, Assemblée générale, Conseil de sécurité, Règlement pacifique des différends, Action en cas de menace contre la paix, de rupture de paix et d’acte d’agression, Accords régionaux, Coopération économique et sociale internationale, Conseil économique et social, Déclaration relative aux territoires non-autonomes, Régime international de tutelle, Conseil de tutelle, Cour internationale de justice, Secrétariat, Dispositions diverses, Dispositions transitoires de sécurité, Amendements, Ratification et signature. Elle a été déposée aux archives du gouvernement des États-Unis d’Amérique. Les textes chinois, français, russe, anglais et espagnol font également foi. Des copies certifiées conformes ont été délivrées aux États signataires.
Les parties de la Charte qui retiennent plus particulièrement notre attention sont le chapitre XI portant une déclaration relative aux territoires non-autonomes, le chapitre XII sur le régime international de tutelle et le chapitre XIII concernant le Conseil de tutelle. Ils sont conçus comme suit:
Déclaration relative aux Territoires non-Autonomes.
Les Membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes, reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure du possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité internationales établi par la présente Charte, et, à cette fin :
- a) d’assurer, en respectant la culture des populations en question, leur progrès politique, économique et social, ainsi que le développement de leur instruction, de les traiter avec équité et de les protéger contre les abus ;
- b) de développer leur capacité de s’administrer elles-mêmes, de tenir compte des aspirations politiques des populations et de les aider dans le développement progressif de leurs libres institutions politiques, dans la mesure appropriée aux conditions particulières de chaque territoire et de ses populations et à leurs degrés variables de développement;
- c) d’affermir la paix et la sécurité internationales ;
- d) de favoriser des mesures constructives de développement, d’encourager des travaux de recherche, de coopérer avec eux et, quand les circonstances s’y prêteront, avec les organismes internationaux spécialisés, en vue d’atteindre effectivement les buts sociaux, économiques et scientifiques énoncés au présent article ;
- e) de communiquer régulièrement au Secrétaire Général, à titre d’information, sous réserve des exigences de la sécurité et de considérations d’ordre constitutionnel, des renseignements statistiques et autres de nature technique relatifs aux conditions économiques, sociales et de l’instruction dans les territoires dont ils sont respectivement responsables, autres que ceux auxquels s’appliquent les chapitres XII et XIII.
- — Les Membres de l’Organisation reconnaissent aussi que leur politique doit être fondée, autant dans les territoires auxquels s’applique le présent chapitre que dans leurs territoires métropolitains, sur le principe général du bon voisinage dans le domaine social, économique et commercial, compte tenu des intérêts et de la prospérité du reste du monde.
Régime international de tutelle.
- — L’Organisation des Nations Unies établira, sous son autorité un régime international de Tutelle pour l’administration et la surveillance des territoires qui pourront être placés sous ce régime en vertu d’accords particuliers ultérieurs. Ces territoires sont désignés ci-après par l’expression « territoires sous Tutelle ».
- — Conformément aux Buts des Nations Unies, énoncés à l’article 1er de la présente Charte, les fins essentielles du régime de Tutelle sont les suivantes :
- a) affermir la paix et la sécurité internationales ;
- b) favoriser le progrès politique, économique et social des populations des territoires sous tutelle ainsi que le développement de leur instruction ; favoriser également leur évolution progressive vers la capacité à s’administrer eux-mêmes ou, l’indépendance, compte tenu des conditions particulières à chaque territoire et à ses populations, des aspirations librement exprimées des populations intéressées et des dispositions qui pourront être prévues dans chaque accord de Tutelle ;
- c) encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue, ou de religion, et développer le sentiment de l’interdépendance des peuples du monde ;
- d) assurer l’égalité de traitement dans le domaine social, économique et commercial à tous les Membres de l’Organisation et à leurs ressortissants ; assurer de même à ces derniers l’égalité de traitement dans l’administration de la justice, sans porter préjudice à la réalisation des fins énoncées ci-dessus, et sous réserve de dispositions de l’article 80.
- — 1. Le régime de Tutelle s’appliquera aux territoires entrant dans les catégories ci-dessous et qui viendraient à être placés sous ce régime en vertu d’accords de Tutelle.
- a) territoires actuellement sous mandat ;
- b) territoires qui peuvent être détachés d’États ennemis par suite de la seconde guerre mondiale ;
- c) territoires volontairement placés sous ce régime par les États responsables et leur administration.
- Un accord ultérieur déterminera quels territoires, entrant dans les catégories susmentionnées, seront placés sous le régime de Tutelle, et dans quelles conditions.
78.— Le régime de Tutelle ne s’appliquera pas aux pays devenus Membres des Nations Unies, les relations entre celles-ci devant être fondées sur le respect du principe de l’égalité souveraine.
79.— Les termes du régime de Tutelle, pour chacun des territoires à placer sous ce régime, de même que les modifications et amendements qui peuvent y être apportés, feront l’objet d’un accord entre les États directement intéressés, y compris la puissance mandataire dans le cas de territoires sous mandat d’un Membre des Nations Unies, et seront approuvés conformément aux articles 83 et 85.
80.— 1. A l’exception de ce qui peut être convenu dans les accords particuliers de Tutelle conclus conformément aux articles 77, 79 et 81 et plaçant chaque territoire sous le régime de Tutelle, et jusqu’à ce que ces accords aient été conclus, aucune disposition du présent chapitre ne sera interprétée comme modifiant directement ou indirectement en aucune manière, les droits quelconques d’aucun État ou d’aucun peuple ou les dispositions d’actes internationaux en vigueur auxquels des Membres de l’Organisation peuvent être parties.
- Le paragraphe 1 du présent article ne doit pas être interprété comme motivant un retard ou un ajournement de la négociation et de la conclusion d’accords destinés à placer sous le régime de Tutelle des territoires sous mandat ou d’autres territoires ainsi qu’il est prévu à l’article 77.
81.— L’accord de Tutelle comprend, dans chaque cas, les conditions dans lesquelles le territoire sous Tutelle sera administré et désigne l’autorité qui en assumera l’administration. Cette autorité, désignée ci-après par l’expression « autorité chargée de l’administration », peut être constituée par un ou plusieurs États ou par l’Organisation elle-même.
82.— Un accord de Tutelle peut désigner une ou plusieurs zones stratégiques pouvant comprendre tout ou partie du territoire sous Tutelle auquel l’accord s’applique, sans préjudice de tout accord spécial ou de tous accords spéciaux conclus en application de l’article 43.
- En ce qui concerne les zones stratégiques, toutes les fonctions dévolues à l’organisation, y compris l’approbation des termes des accords de Tutelle ainsi que de la modification ou de l’amendement éventuels de ceux-ci, sont exercées par le Conseil de Sécurité.
2.Les fins essentielles énoncées à l’article 76 valent pour la population de chacune des zones stratégiques.
3.Le Conseil de Sécurité, eu égard aux dispositions des accords de Tutelle et sous réserve des exigences de la sécurité, aura recours à l’assistance du Conseil de Tutelle dans l’exercice des fonctions assumées par l’Organisation au titre du régime de Tutelle, en matière politique, économique et sociale, et en matière d’instruction, dans les zones stratégiques.
- — L’autorité chargée de l’administration a le devoir de veiller à ce que le territoire sous Tutelle apporte sa contribution au maintien de la paix et de la sécurité internationales. A cette fin, elle peut utiliser des contingents de volontaires, les facilités et l’aide du territoire sous Tutelle pour remplir les obligations qu’elle a contractées à cet égard envers le Conseil de Sécurité ainsi que pour assurer la défense locale et le maintien de l’ordre à l’intérieur du territoire sous Tutelle.
85.— 1. En ce qui concerne les accords de Tutelle relatifs à toutes les zones qui ne sont pas désignées comme zones stratégiques, les fonctions de l’Organisation, y compris l’approbation des termes des accords de Tutelle et de leur modification ou amendement, sont exercés par l’Assemblée Générale.
- Le Conseil de Tutelle, agissant sous l’autorité de l’Assemblée Générale, assiste celle-ci dans l’accomplissement de ces tâches.
Conseil de Tutelle. Composition.
86.— 1. Le Conseil de Tutelle se compose des Membres suivants des Nations Unies.
- a) les Membres chargés d’administrer des territoires sous Tutelle ;
- b) ceux des Membres désignés nommément à l’article 23 qui n’administrent pas de territoires sous Tutelle ;
- c) autant d’autres Membres, élus pour trois ans, par l’Assemblée Générale, qu’il sera nécessaire pour que le nombre total des Membres du Conseil de Tutelle se partage également entre les Membres des Nations Unies qui administrent des territoires sous Tutelle et ceux qui n’en administrent pas.
- Chaque Membre du Conseil de Tutelle désigne une personne particulièrement qualifiée pour le représenter au Conseil.
FONCTIONS ET POUVOIRS.
- — L’Assemblée Générale et, sous son autorité, le Conseil de Tutelle, dans l’exercice de leurs fonctions, peuvent :
- a) examiner les rapports soumis par l’autorité chargée de l’administration ;
- b) recevoir des pétitions et les examiner en consultation avec ladite autorité ;
- c) faire procéder à des visites périodiques dans les territoires administrés par ladite autorité, à des dates convenues avec elle ;
- d) prendre ces dispositions et toutes autres conformément aux termes des accords de Tutelle.
- — Le Conseil de Tutelle établit un questionnaire portant sur les progrès des habitants de chaque territoire sous Tutelle dans les domaines politique, économique et social et dans celui de l’instruction ; l’autorité chargée de l’administration de chaque territoire sous Tutelle relevant de la compétence de l’Assemblée Générale adresse à celle-ci un rapport annuel fondé sur le questionnaire précité.
VOTE.
- – 1. Chaque Membre du Conseil de Tutelle dispose d’une voix. 2. Les décisions du Conseil de tutelle sont prises à la majorité des Membres présents et votant.
PROCÉDURE.
- -1. Le Conseil de Tutelle adopte son règlement intérieur dans lequel il fixe le mode de désignation de son Président.
- Il se réunit selon les besoins conformément à son règlement ; celui-ci comprend les dispositions prévoyant la convocation du Conseil à la demande de la majorité de ses Membres.
- – Le Conseil de Tutelle recourt, quand il y a lieu, à l’assistance du Conseil Économique et Social et à celle des institutions spécialisées, pour les questions qui relèvent de leurs compétences respectives.
Ces textes appellent quelques commentaires.
Le chapitre XI s’applique à tous les territoires non-autonomes, quelle qu’en soit la nature et la dénomination. Il s’adresse, par conséquent, aussi bien aux colonies, comme le Congo belge, qu’aux territoires sous tutelle, comme le Ruanda-Urundi. Il n’engendre d’ailleurs aucune obligation dans le sens juridique du terme, mais se borne à enregistrer une déclaration d’attitude et de politique faite au nom des États signataires de la Charte des Nations Unies.
C’est le chapitre XII, relatif au régime international de tutelle qui, compte tenu de l’objet de cette étude, se place au centre de notre champ d’investigation. Il poursuit un double objectif, répondant, d’une part, au besoin de perfectionner le système des mandats issu du traité de paix de Versailles du 28 juin 1919 et, d’autre part, à la nécessité de réserver à d’anciennes possessions ennemies un sort conciliable tant avec la sécurité des vainqueurs, qu’avec leur généreuse renonciation aux accroissements territoriaux. La Charte n’organise cependant pas le régime de la tutelle en bloc, d’une manière complète et uniforme, à l’égard de tous les pays intéressés. Elle se contente de l’instaurer en principe, d’en indiquer les fins essentielles ainsi que les normes fondamentales et de déterminer les territoires auxquels il est susceptible de s’appliquer. Quant aux termes précis du régime, à ses conditions et modalités, à l’Autorité chargée de l’administration, ils sont fixés, pour chaque territoire, par des accords particuliers entre les États directement intéressés, pour être ensuite soumis à l’approbation de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Les idées maitresses du système peuvent être résumées comme suit :
- La Charte n’a modifié ni directement ni indirectement les situations qui existaient au moment de son avènement, mais a réservé aux accords particuliers entre les États directement intéressés la faculté de mettre ou de ne pas mettre en vigueur le régime prévu par elle.
Il est à remarquer que la notion de « État directement intéressé » n’a pas été définie à la conférence de San Francisco. La seule indication qu’on possède, quant à son interprétation, c’est que l’article 79 range expressément sous ladite notion la Puissance mandataire dans le cas de territoires sous mandat d’un membre des Nations Unies.
- La Charte détermine les territoires susceptibles d’être placés sous le régime de la tutelle et les divise en trois catégories. Ce sont, tout d’abord, les territoires qui étaient sous mandat international au moment où fut conclue la convention de San Francisco, donc au 26 juin 1945. Parmi ces territoires, il faut ranger le Ruanda-Urundi. Ce sont ensuite les territoires d’outre-mer qui étaient considérés à l’époque comme pouvant être détachés des États ennemis comme par exemple les anciennes possessions de l’Italie en Afrique. Ce sont enfin les territoires qui seraient volontairement placés sous le régime de la tutelle par les États responsables de leur administration. Dans cette catégorie tombent les colonies anglaises et françaises d’Afrique ainsi que le Congo belge. A notre connaissance, il n’existe aucun cas d’application du régime de la tutelle à un territoire de la troisième catégorie, et probablement il n’en existera jamais. La faculté réservée aux États possessionnés de placer volontairement sous le régime de la tutelle internationale tout ou partie de leurs possessions, ne semble rencontrer aucun enthousiasme dans le chef des Puissances intéressées.
- Le régime de tutelle concourt, dans l’esprit de ses auteurs, à la réalisation et à la consolidation des grands idéals de l’Organisation des Nations Unies. Il doit donc tendre, dans chaque territoire où il est implanté, à affermir la paix et la sécurité internationales ; à favoriser le progrès politique, économique et social des populations sous tutelle, le développement de leur instruction et leur évolution progressive vers la capacité de s’administrer eux-mêmes ou l’indépendance, compte tenu cependant des conditions particulières à chaque territoire ; à encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. Telles sont, entre autres, la liberté des cultes, la liberté de presse et la liberté d’enseignement. Le régime de tutelle se doit aussi d’assurer l’égalité de traitement à tous les membres de l’Organisation des Nations Unies et à leurs ressortissants, dans les domaines social, économique et commercial, sous réserve toutefois des clauses de réciprocité pouvant être insérées dans les accords particuliers.
- L’autorité chargée d’administrer est désignée, dans chaque cas, par l’accord de tutelle. Une telle mission peut être confiée soit à un seul État, soit à plusieurs États agissant conjointement, soit à l’Organisation même des Nations Unies.
La Puissance chargée d’administrer le territoire sous tutelle agit sous l’autorité de l’Assemblée Générale des Nations Unies, assistée du Conseil de Tutelle. Toutefois, dans les zones déclarées stratégiques par l’accord de tutelle ou un accord ultérieur, les fonctions dévolues à l’Organisation, y compris l’approbation des termes de l’Accord de Tutelle, sont exercées par le Conseil de Sécurité, lequel aura recours au Conseil de Tutelle en matière politique, économique et sociale ainsi qu’en matière d’instruction.
Le chapitre XIII règle la composition, les fonctions et les pouvoirs du Conseil de Tutelle. Celui-ci se compose de deux groupes de membres numériquement égaux : celui comprenant tous les États chargés d’administrer des territoires sous tutelle et celui comprenant, outre les membres permanents du Conseil de Sécurité qui n’administrent pas de territoire sous tutelle : la République de Chine et l’Union des Républiques Soviétiques Socialistes, autant d’autres Membres élus pour trois ans par l’Assemblée Générale qu’il est nécessaire pour parfaire l’équilibre susmentionné.
Le Conseil de Tutelle se réunit selon les besoins. En vue de tenir l’Assemblée Générale au courant de la situation dans les territoires sous tutelle, il établit un questionnaire portant sur le progrès des habitants de chaque territoire dans les domaines politique, économique et social ainsi que dans celui de l’instruction. Des rapports basés sur ce questionnaire sont adressés annuellement à l’Assemblée Générale par les États chargés d’administrer des territoires sous tutelle.
L’Assemblée Générale et le Conseil de Tutelle placé sous son autorité ont qualité pour prendre toutes les dispositions nécessaires ou utiles conformément aux termes des accords de tutelle. Ils peuvent notamment examiner les rapports soumis par les États chargés d’administrer, recevoir et discuter en consultation avec ceux-ci les pétitions émanant des populations sous tutelle, faire procéder à des visites périodiques dans les territoires sous tutelle, aux dates convenues avec les autorités chargées d’administrer.
Tel est le régime international de tutelle mis sur pied par le traité de San Francisco du 26 juin 1945. Au moment de sa naissance, il ne formait qu’une construction juridique abstraite, sans vie réelle et sans champ déterminé d’application. Pour qu’il pût entrer en action, il fallait qu’il vînt à se concrétiser en des accords de tutelle entre les États intéressés.
Ainsi donc, au lendemain de la ratification du traité par la Belgique et de son approbation par la loi du 14 décembre 1945, rien n’était changé au mandat belge sur le Ruanda-Urundi. Pour que celui-ci pût disparaître et céder la place au régime nouveau, il fallait une initiative du gouvernement belge : celui-ci devait manifester le désir de voir placer le Ruanda-Urundi sous le régime international de tutelle et conclure un accord à cette fin. C’est ce qui se produisit, dans les conditions que nous allons relater.
Lors de la réunion de la Commission préparatoire des Nations Unies, tenue à Londres du 23 novembre au 23 décembre 1945, une recommandation fut adoptée tendant à ce que l’Assemblée Générale prît une résolution aux termes de laquelle les États qui administraient des territoires en vertu d’un mandat de la Société des Nations fussent invités à prendre, de concert avec les autres États directement intéressés, les mesures nécessaires pour la mise en application de l’article 79 de la Charte (accords de tutelle). Un tel appel aux États mandataires ne pouvait rester sans réponse. Aussi la Belgique, toujours à l’avant-garde des grands mouvements internationaux de progrès et de civilisation, lui fit-elle sans tarder un accueil favorable. Le 18 janvier 1946, au cours de la première partie de la première session de l’Assemblée Générale à Londres, le délégué belge annonça que, désireuse de favoriser la mise en application, dans le délai le plus rapproché, du régime international de tutelle, la Belgique avait l’intention d’ouvrir des négociations en vue de placer le territoire du Ruanda-Urundi sous ce régime.
Aussitôt après cette déclaration, le gouvernement belge élabora un projet d’accord selon lequel la Belgique exercerait, conformément aux dispositions de la Charte, la tutelle sur le territoire du Ruanda-Urundi. Il consulta sur ce projet le Royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, considéré comme État « directement intéressé » aux termes de l’article 79 de la Charte, tout comme le Royaume-Uni a consulté la Belgique au sujet de la tutelle du Tanganyika Territory. Les deux pays ont marqué mutuellement leur accord sur ces textes.
Lors de la deuxième partie de la première session de l’Assemblée Générale, réunie à New-York du 23 octobre au 16 décembre 1946, la Belgique déposa aux fins d’approbation, l’accord de tutelle pour le Ruanda-Urundi. L’accord fut approuvé par l’Assemblée Générale le 13 décembre 1946, après avoir subi quelques modifications de forme ; 41 membres ont voté pour, 6 ont voté contre et 5 se sont abstenus. Il reçut l’approbation du législateur belge le 25 avril 1949. En voici la teneur :
Attendu que le territoire connu sous le nom de Ruanda-Urundi a été administré jusqu’ici conformément à l’article 22 du Pacte de la Société des Nations en vertu d’un mandat conféré à la Belgique ;
Attendu que l’article 75 de la Charte des Nations Unies signée à San Francisco le 26 juin 1945 prévoit l’établissement d’un régime international de Tutelle pour l’administration et la surveillance des territoires qui pourraient être placés sous ce régime en vertu d’accords particuliers ultérieurs ;
Attendu qu’en vertu de l’article 77 de ladite Charte, le régime international de Tutelle peut s’appliquer aux territoires actuellement sous mandat ;
Attendu que le Gouvernement belge a manifesté le désir de placer le Ruanda-Urundi sous ledit régime international de Tutelle ;
Attendu que conformément aux termes des articles 75 et 77 de ladite Charte, un territoire doit être placé sous régime international de tutelle au moyen d’un accord de Tutelle ;
En conséquence, l’Assemblée Générale des Nations Unies décide d’approuver les termes suivants du régime de Tutelle pour le Ruanda-Urundi.
1.— Le présent Accord de Tutelle s’applique à l’intégralité du territoire du Ruanda-Urundi, tel qu’il est actuellement administré par la Belgique, et tel qu’il a été délimité par l’article 1er du mandat belge et par le traité, signé à Londres, le 22 novembre 1934 par la Belgique et la Grande-Bretagne.
2.— Le présent Accord désigne, conformément à l’article 75 de la Charte, le Gouvernement belge comme Autorité chargée de l’administration du Ruanda-Urundi. Ce gouvernement assumera la responsabilité de l’administration de ce Territoire.
3.— L’Autorité chargée de l’administration s’engage à administrer le Ruanda-Urundi de manière à atteindre les buts fondamentaux du régime international de Tutelle énoncés à l’article 76 de la Charte des Nations Unies. L’Autorité chargée de l’administration s’engage, en outre, à collaborer pleinement avec l’Assemblée Générale des Nations Unies et avec le Conseil de Tutelle dans l’accomplissement de toutes leurs fonctions, telles qu’elles sont définies à l’article 87 de la Charte des Nations Unies.
Elle s’engage également à faciliter les visites périodiques du Territoire sous Tutelle auxquelles l’Assemblée Générale ou le Conseil de Tutelle pourraient éventuellement faire procéder, à convenir avec ces organes des dates auxquelles ces visites auraient lieu, ainsi qu’à s’entendre avec eux sur les questions que poseraient l’organisation et l’accomplissement de ces visites.
4.— L’Autorité chargée de l’administration assurera le maintien de la paix et du bon ordre ainsi que la bonne administration et la défense du Territoire. Elle veillera à ce qu’il apporte sa contribution au maintien de la paix et de la sécurité internationales.
5.— A cet effet et en vue de remplir les obligations découlant de la Charte et du présent Accord, l’Autorité chargée de l’administration :
- aura pleins pouvoirs de législation d’administration et de juridiction sur le Territoire du Ruanda-Urundi, et, sous réserve des dispositions de la Charte et du présent Accord, l’administrera selon la législation belge, comme partie intégrante du territoire belge ;
2.sera autorisée à constituer le Ruanda-Urundi en union ou fédération douanière, fiscale ou administrative avec les territoires limitrophes relevant de sa souveraineté, et à créer des services communs entre ces territoires et le Ruanda-Urundi, à condition que ces mesures ne soient pas inconciliables avec les fins du régime international de Tutelle et avec les dispositions du présent Accord ;
3.pourra établir sur le Territoire sous Tutelle des bases militaires, y compris des bases aériennes, élever des fortifications, entretenir ses propres forces armées et lever des contingents de volontaires.
L’Autorité chargée de l’administration pourra également prendre, dans les seules limites imposées par la Charte, toutes mesures d’organisation ou de défense propres à assurer :
4.— la participation du Territoire au maintien de la paix et de la sécurité internationales ;
5.— le respect des engagements relatifs à l’assistance et aux facilités données au Conseil de Sécurité par l’Autorité chargée de l’administration;
— le respect de l’ordre intérieur ;
— la défense du Territoire dans le cadre des accords spéciaux pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
6.— L’Autorité chargée de l’administration favorisera le développement des institutions politiques libres qui conviennent au Ruanda-Urundi. A cette fin, elle assurera aux habitants du Ruanda-Urundi une participation croissante à l’administration et aux services, tant centraux que locaux du Territoire ; elle développera la participation des habitants aux organes représentatifs de la population du Territoire dans des conditions appropriées aux circonstances particulières à celui-ci.
En bref, elle prendra toutes les mesures propres à assurer l’évolution politique des populations du Ruanda-Urundi, conformément à l’article 76b de la Charte des Nations Unies.
7.— L’Autorité chargée de l’administration s’engage à appliquer au Ruanda-Urundi les dispositions de toutes les conventions et recommandations internationales présentes ou à venir, qui pourraient être appropriées aux conditions particulières du Territoire et qui contribueraient à atteindre les buts fondamentaux du régime international de Tutelle.
8.— En établissant des lois relatives à la propriété du sol et aux droits sur les ressources naturelles, ainsi qu’à leur transfert, l’Autorité chargée de l’administration tiendra compte des lois et des coutumes indigènes, respectera les droits et protégera les intérêts ; tant présents que futurs, de la population indigène. Aucune propriété foncière indigène ou aucune propriété indigène de ressources naturelles ne pourra faire l’objet d’un transfert, excepté entre indigènes, sans avoir reçu au préalable l’approbation de l’autorité publique compétente. Aucun droit réel ne pourra être constitué sur un bien foncier indigène ou sur les ressources du sous-sol appartenant à des indigènes, en faveur de non-indigènes, si ce n’est avec la même approbation.
9.-L’Autorité chargée de l’administration prendra, sous réserve des dispositions de l’article suivant, toutes les mesures nécessaires en vue d’assurer à tous les États Membres des Nations Unies et à leurs ressortissants, l’égalité de traitement en matière sociale, économique, industrielle et commerciale et à cet effet :
- assurera à tous les ressortissants des Membres des Nations Unies les mêmes droits qu’à ses propres ressortissants en ce qui concerne l’accès et l’établissement dans le Ruanda-Urundi, la liberté de transit et de navigation, y compris la liberté de transit et de navigation par air, l’acquisition de la propriété mobilière et immobilière, la protection de la personne et des biens et l’exercice des professions et de l’industrie ;
- n’établira, à l’égard des ressortissants des Membres des Nations Unies, aucune discrimination basée sur la nationalité, en ce qui concerne l’octroi de concessions pour le développement des ressources naturelles du Territoire et n’accordera pas de concession ayant le caractère d’un monopole général ;
- assurera l’égalité de traitement dans l’administration de la justice aux ressortissants de tous les Membres des Nations Unies.
Les droits conférés par le présent article aux ressortissants des États Membres des Nations Unies s’étendent, dans les mêmes conditions, aux sociétés ou associations contrôlées par ces ressortissants et constituées selon la législation de l’un quelconque de ces États.
- — L’application des dispositions de l’article précédent est subordonnée à l’obligation générale qui incombe aux Nations Unies et à l’Autorité chargée de l’administration, de promouvoir le développement politique, économique, social et culturel des habitants du Territoire et de poursuivre les autres buts que se propose le régime de Tutelle, tels qu’ils sont définis à l’article 76 de la Charte des Nations Unies.
L’Autorité chargée de l’administration aura notamment la faculté :
- d’organiser les services et les travaux publics essentiels de la façon et dans les conditions qu’elle estimera justes ;
- de créer, dans l’intérêt du Ruanda-Urundi, des monopoles d’un caractère purement fiscal, en vue de lui procurer les ressources paraissant le mieux s’adapter aux besoins locaux ;
- chaque fois que les intérêts ou le progrès économique des habitants du Territoire du Ruanda-Urundi l’exigeront, d’organiser ou d’autoriser l’organisation, à des fins déterminées, d’autres monopoles ou entreprises présentant un caractère de monopole, sous condition d’un contrôle public convenable, pourvu que, dans le choix de toute institution chargée d’exécuter les dispositions du présent paragraphe autre que les institutions contrôlées par le gouvernement ou que celles auxquelles le Gouvernement participe, l’Autorité chargée de l’administration n’établisse à l’égard des Membres des Nations Unies ou de leurs ressortissants aucune discrimination fondée sur la nationalité.
11.— Aucune disposition du présent Accord ne donne le droit à un Membre des Nations Unies de réclamer pour lui-même ou pour ses ressortissants, ses sociétés ou ses associations, le bénéfice de l’article 9 du présent Accord, dans un domaine où il ne donne pas aux habitants, sociétés et associations du Ruanda-Urundi l’égalité de traitement avec les ressortissants, sociétés et associations de l’État auquel il réserve le traitement le plus favorable.
12.— L’Autorité chargée de l’administration développera le système de l’instruction élémentaire dans le Territoire sous Tutelle, en vue de réduire le nombre des illettrés, de perfectionner l’habileté manuelle, et d’améliorer l’éducation de la population. Elle donnera, dans la mesure du possible, les facilités nécessaires pour permettre aux étudiants qualifiés l’accès à une instruction supérieure, particulièrement dans l’ordre professionnel.
13.— L’Autorité chargée de l’administration assurera, dans l’étendue du Territoire sous Tutelle, la pleine liberté de conscience, la liberté d’enseignement religieux et le libre exercice de toutes les formes de culte qui ne sont contraires ni à l’ordre public, ni aux bonnes mœurs ; elle donnera à tous les missionnaires ressortissants de tout État Membre des Nations Unies la faculté de pénétrer, de circuler et de résider dans le Territoire sous Tutelle, d’y acquérir et posséder des propriétés, d’y élever des bâtiments dans un but religieux, et d’y ouvrir des écoles et des hôpitaux. Les dispositions du présent article n’affecteront cependant pas le devoir de l’Autorité chargée de l’administration, d’exercer le contrôle nécessaire pour assurer le maintien de l’ordre public et de la bonne administration, ainsi que la qualité et le progrès de l’enseignement.
14.— Sous la seule réserve des exigences du maintien de l’ordre public l’Autorité chargée de l’administration assurera aux populations du territoire sous Tutelle la liberté de parole, de presse, de réunion et de pétition.
15.— L’Autorité chargée de l’administration pourra, au nom du Territoire sous Tutelle, accepter de devenir membre de toute commission consultative régionale (autorité régionale), organisation technique ou autre association volontaire d’États. Elle pourra coopérer avec des organismes internationaux spécialisés, publics ou privés, et pourra se livrer à d’autres formes de coopération internationale qui ne sont pas en contradiction avec la Charte.
16.— L’Autorité chargée de l’administration présentera à l’Assemblée Générale des Nations Unies un rapport annuel sur la base du questionnaire établi par le Conseil de Tutelle, conformément à l’article 88 de la Charte des Nations Unies.
Ces rapports comprendront des informations relativement aux mesures prises pour mettre à exécution les suggestions et les recommandations de l’Assemblée Générale et du Conseil de Tutelle.
L’Autorité chargée de l’administration désignera un représentant accrédité pour assister aux séances du Conseil de Tutelle au cours desquelles les rapports de l’Autorité chargée de l’administration du Ruanda-Urundi seront examinés.
17.— Rien dans le présent Accord n’affectera le droit qu’à l’Autorité chargée de l’administration de proposer à tout moment la désignation de tout ou partie du Territoire comme zone stratégique, conformément aux articles 82 et 83 de la Charte.
18.— Les termes du présent Accord de Tutelle ne pourront être modifiés ou amendés que conformément aux articles 79, 83 ou 85 de la Charte.
19.— Tout différend, quel qu’il soit, qui viendrait à s’élever entre l’Autorité chargée de l’administration et tout autre Membre des Nations Unies, relatif à l’interprétation ou à l’application des dispositions du présent Accord de Tutelle sera, s’il ne peut être réglé par négociation ou tout autre moyen, soumis à la Cour Internationale de Justice prévue par le Chapitre XIV de la Charte des Nations Unies.
Le régime de tutelle n’est, au fond, qu’un stade évolue du régime de mandat auquel il a succédé.
En se basant, un peu trop peut-être, sur le mot trusteeship, qui figure dans le texte anglais de la Charte des Nations Unies, ainsi que sur le sens que les mots trust et trustee affecteraient en droit civil anglo-saxon, des auteurs voient dans le régime de tutelle une institution nouvelle, postérieure à la deuxième guerre mondiale et différant essentiellement du régime de mandat. A. de VLEESCHAUWER n’est pas de cet avis.
« Nous allons retrouver, écrit-il, non seulement les mêmes idées, mais jusqu’aux mêmes expressions dans la Charte des Nations Unies de 1945. Car c’est une erreur de croire que la notion du Trusteeship soit une nouveauté née avec l’Organisation des Nations Unies actuelle ».
Le Trusteeship qui exprime la responsabilité morale envers l’humanité pour le traitement des indigènes, est au contraire une notion qui est depuis toujours très anglo-saxonne et s’est infiltrée dans la doctrine coloniale devenant de plus en plus humanitaire dès le XIXe siècle. Nous la retrouvons déjà à la Conférence de Berlin de 1885 : la langue diplomatique qui était alors exclusivement le français, ne s’est pas servie des termes anglais de trust ou de trustee ou de trusteeship, mais les termes employés dans l’acte général de Berlin expriment les sentiments humanitaires que les colonisateurs reconnaissent comme entrant dans leur mission civilisatrice ».
« De même, nous l’avons vu plus haut, le Pacte de la Société des Nations de 1919 disait : « le bien-être et le développement de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation » (art. 22,1°). Or, le terme « mission » en français est encore l’expression utilisée aujourd’hui pour exprimer la notion de trust anglais. Il suffit de comparer les textes de l’Acte Général de la Conférence de Berlin de 1885, ceux du Pacte de la Société des Nations de 1919 et ceux de la Charte des Nations Unies de 1945. Dans cette dernière, nous lisons que « Les Membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes (c’est-à-dire « les Membres de l’O. N. U. qui ont des colonies »), reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires et acceptent comme une mission sacrée — en anglais : and accept as a sacred trust — l’obligation de favoriser dans toute la mesure du possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité internationales établi par la présente Charte » (art. 73, alinéa 1).
La notion fondamentale du sacred trust — « mission sacrée », du trust « tutelle » des textes de 1945 est la même que celle de la « mission sacrée de civilisation » exprimée par le « mandat » des textes de 1919, et tout cela ne diffère pas de la « mission civilisatrice » de 1885. Pour les colonies proprement dites, les Puissances coloniales continuent à assumer cette mission d’elles-mêmes ; pour les Territoires sous mandat, il y avait en 1919 un mandat et un mandataire agissant au nom du mandant ; pour les territoires sous tutelle le régime est né d’un même accord international comprenant le pays qui exerce la tutelle sous l’autorité de l’Organisation des Nations Unies, c’est-à-dire la notion anglo-saxonne de Trusteeship pour exprimer la notion latine de « Mandat ».
Un examen un tant soit peu approfondi de la matière conduit aux mêmes conclusions. Comme il a été montré précédemment, le régime de tutelle, qui tire son origine de la Charte des Nations Unies signée à San Francisco le 26 juin 1945, a repris la succession du régime de mandat issu du traité de paix de Versailles, du 28 juin 1919. Il est donc naturel que l’un ait subi l’empreinte de l’autre. Aussi, sans s’identifier avec lui, le second ressemble cependant au premier dans son principe, dans sa forme et dans bon nombre de ses modalités. Tous deux ont pour objet l’octroi à un État déterminé du pouvoir d’administrer certains territoires, sous le contrôle d’un ensemble d’autres États : la Société des Nations, dans le cas du Mandat, et les Nations Unies, dans le cas de la Tutelle.
Et d’abord, que faut-il entendre par mandat international ? D’après Louis LE FUR, c’est l’octroi à un État d’une compétence déterminée en vue de remplir certaines fonctions conférées par la Société des Nations sous la sanction d’un contrôle de cette dernière. Une telle définition ne pourrait-elle s’appliquer aussi à la notion de la tutelle internationale ? Ne suffirait-il pas de remplacer l’expression « Société des Nations » par « Nations Unies », pour qu’elle s’y adapte parfaitement.
Qu’on se garde d’ailleurs de croire que la notion de mandat, dans la doctrine coloniale, émane de la Société des Nations, au lendemain de la guerre de 1914-1918. Déjà au début du 19e siècle, il est arrivé qu’un ensemble de Puissances chargea l’une d’entre elles d’une mission précise devant s’accomplir en dehors de son territoire et qui avait le caractère d’un mandat. A titre d’exemple on peut citer le mandat donné par la Russie, la Prusse et l’Autriche à la Grande-Bretagne en 1815, en vue d’occuper les îles Ioniennes ; celui conféré à la France pour la protection des Maronites en Syrie, en 1860 ; celui qui, en 1897, avait pour objet de régler provisoirement la situation dans l’île de Crète et celui qui, en1906, accordait une mission à la France et à l’Espagne dans l’empire chérifien du Maroc.
Mais, tous ces mandats n’avaient été accordés qu’occasionnellement, en vue de telle ou telle situation déterminée. Ce qui caractérise l’innovation introduite par la Société des Nations c’est d’avoir érigé en système et organisé rationnellement une institution préexistante de droit international public. Pour mettre mieux en exergue la similitude des deux régimes, nous allons rapidement passer en revue les nombreuses analogies existant entre eux et leurs points de contact. Nous dirons un mot aussi des différences qui les séparent.
Aire d’application du régime de mandat et du régime de tutelle.
Le régime du mandat a eu pour objet, après la guerre de 1914-1918, de régler le sort des anciennes colonies allemandes et des territoires du défunt empire ottoman habités par des populations non turques. Le régime de tutelle, semblable dans son fondement essentiel, s’applique aux territoires suivants, à condition, bien entendu, de l’établissement préalable d’un accord de tutelle :
1° les territoires qui étaient sous mandat à la fin de la guerre de 1940-1945 ;
2° les territoires détachés d’États ennemis par suite de ladite guerre ;
3° les territoires qui seraient volontairement placés sous ce régime par les États responsables de leur administration.
Les régimes visent, en somme, des territoires habités par des peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes ; et les mandataires sont choisis parmi les nations développées qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géographique sont le mieux à même d’assumer une telle responsabilité et consentent de l’accepter. Ce sont donc, chez tous les deux, les mêmes principes qui servent à déterminer l’aire d’application et à désigner la Puissance administrante.
Mécanisme de la mise d’un territoire sous mandat ou sous tutelle.
Sous le régime du mandat, la mission d’un État d’administrer les territoires visés sous le numéro I ci-dessus était conférée par le Conseil Suprême des Puissances alliées et associées, lequel, en ce faisant, usait du droit qui lui était conféré par l’article 119 du traité de paix de Versailles. Elle était ensuite confirmée et précisée par le Conseil de la Société des Nations.
Sous le régime de la tutelle, une telle mission fait d’abord l’objet d’un accord de tutelle entre les Puissances directement intéressées, conformément à la Charte des Nations Unies signée à San Francisco le 26 juin 1945. L’accord de tutelle, qui désigne l’autorité chargée d’administrer, est ensuite approuvé par l’Assemblée Générale des Nations Unies. La mission conférée de la sorte (tutelle) s’exerce sous l’autorité de l’Assemblée Générale des Nations Unies, assistée à cette fin du Conseil de Tutelle. Dans les zones déclarées stratégiques par l’accord de tutelle ou un accord ultérieur, les fonctions dévolues à l’Organisation, y comprise l’approbation des termes de l’Accord de tutelle, sont exercées par le Conseil de Sécurité, lequel a recours au Conseil de Tutelle en matière politique, économique et sociale ainsi qu’en matière d’instruction.
La similitude entre les deux procédés est frappante : organisation basée, d’un côté, sur le Traité de Paix de Versailles et le Pacte de la Société des Nations et de l’autre côté, sur la Charte des Nations Unies. Fixation du régime en deux étapes : d’une part, attribution du mandat par le Conseil Suprême des Puissances Alliées et associées, suivie d’une décision confirmative du Conseil de la Société des Nations et, d’autre part, accord de tutelle conclu entre les Puissances directement intéressées, suivie d’une décision approbatrice de l’Assemblée générale des Nations Unies. Certes le régime de tutelle peut-il paraître moins rudimentaire, plus complexe et mieux équilibré que le régime du mandat, mais cette circonstance est absolument étrangère à la structure fondamentale des mécanismes comparés et à leurs engrenages essentiels.
Forme générale et ordonnance des actes qui sont à la base du mandat ou de la tutelle.
La similitude des deux régimes se reflète aussi dans la forme générale et l’ordonnance des actes qui sont à la base soit du mandat, soit de la tutelle. En effet, la décision confirmative du Conseil de la Société des Nations dans le système du mandat, et celle de l’Assemblée Générale des Nations Unies dans le système de tutelle, sont construites sur le même schéma et règlent, bien qu’en paroles souvent différentes, les mêmes objets. Après avoir, dans un bref préambule rappelé les fondements juridiques de l’acte : Traité de Paix de Versailles et Pacte de la Société des Nations, dans la première hypothèse, Charte des Nations Unies, dans la seconde, elles déterminent le territoire placé sous mandat ou sous tutelle et, pour autant que de besoin, en précisent les frontières. Les autres dispositions qui suivent, prévoient, dans un parallélisme qui saute aux yeux, une série de règles concernant la protection du territoire et de sa population, le traitement sur un pied d’égalité des États membres des Nations Unies et de leurs ressortissants, la charte des droits et devoirs publics de la Puissance occupante et des mesures d’ordre général. Nous allons reprendre chacun de ces points, pour le commenter brièvement, tout en nous confinant, pour plus de simplicité, dans le cadre des actes relatifs au Ruanda-Urundi.
FIXATION DES FRONTIÈRES.
Lorsque le Ruanda-Urundi fut placé sous le mandat de Sa Majesté le Roi des Belges, l’article premier de la décision confirmative du Conseil de la Société des Nations, du 20 juillet 1922, contenait l’indication précise des frontières telles qu’elles avaient été fixées par l’arrangement ORST-MILNER du 30 mai 1919 et reprises dans la décision du Conseil Suprême des Puissances alliées et associées du 21 août 1919. Lorsqu’il fut placé sous la tutelle du gouvernement belge, la décision approbative de l’Assemblée Générale des Nations Unies, reprenant les termes de l’accord de tutelle, déclarait, en son article premier, que le territoire dont il s’agissait était exactement tel qu’il avait été défini par le mandat belge et par le traité conclu à Londres le 22 novembre 1934 entre la Belgique et la Grande-Bretagne. L’une et l’autre de ces décisions règlent une question de frontière. Sans doute, n’apportent-elles pas de modifications aux frontières existantes à l’époque de leur avènement, leur seul but étant d’indiquer l’aire territoriale préfixée quelles sont appelées à régir. Il n’en reste pas moins, cependant, qu’elles confirment le tracé préexistant des frontières, l’assoyant ainsi sur une base juridique supplémentaire. Dès lors, elles prennent, nolens volens, l’allure de traités de frontière.
Quoi qu’il soit, sur ce point encore, les deux décisions sont similaires et parfaitement parallèles.
MESURES TENDANT A PROTÉGER LE BIEN-TRE DE LA POPULATION
Les deux régimes, tant celui du mandat que celui de la tutelle, confèrent, à l’égard du territoire qu’ils régissent et de sa population, une mission d’éducation progressive ou comme le disent l’article 22 du Pacte de la Société des Nations et l’article 73 de la Charte des Nations Unies, une « mission sacrée » de civilisation. Dès lors, il est indispensable qu’ils comportent des mesures efficaces pour la protection du bien-être de la population et son évolution culturelle. C’est ce qu’ils font dans la réalité, l’un et l’autre, avec plus ou moins de bonheur. Certes le régime de tutelle est, à cet égard, plus explicite, plus précis et, si l’on veut, plus évolué que celui du mandat ; mais les mesures qu’il prévoit sont analogues à celles édictées par l’autre et les rejoignent dans leur finalité.
Ces mesures et les obligations qui en dérivent pour la Belgique peuvent être résumées comme suit : veiller au maintien de la paix, de la sécurité et du bon ordre ; assurer le progrès politique, économique et social de la population du Ruanda-Urundi ainsi que son instruction progressive ; accroître son bien-être moral et matériel ; protéger ses droits fonciers, prenant en considération les lois et coutumes existantes ; encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ; assurer notamment la liberté de parole, de presse, de réunion et de pétition, la liberté de conscience et d’enseignement religieux, le libre exercice de toutes les formes de cultes qui ne sont contraires ni à l’ordre public ni aux bonnes mœurs ; favoriser l’évolution progressive de la population vers la capacité de s’administrer elle-même, ou l’indépendance, en tenant compte de ses aspirations politiques.
Et, pour souligner un des traits fondamentaux de la « mission sacrée » qui leur est dévolue, trait qui domine et oriente les obligations sus-rappelées, les Membres des Nations Unies qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne sont pas encore aptes à se gouverner elles-mêmes ont, dans le préambule de l’article 73 de la Charte de San Francisco, solennellement reconnu « la primauté des intérêts des habitants » des territoires sous tutelle.
TRAITEMENT SUR UN PIED D’ÉGALITÉ DES ÉTATS MEMBRES DES NATIONS UNIES ET DE LEURS RESSORTISSANTS
C’est un titre à la grandeur de l’oeuvre accomplie par les Puissances colonisatrices d’avoir, par le Pacte de la Société des Nations d’abord, et puis par la Charte des Nations Unies, édicté, au profit des peuples non encore capables de se gouverner eux-mêmes, des mesures tendant à sauvegarder les valeurs essentielles humaines et à détruire, jusque dans leurs derniers vestiges, les coutumes et institutions barbares qui avilissaient la personne humaine et mettaient obstacle au progrès de la civilisation. Les règles rappelées sous la rubrique précédente obéissent à cette fin. Celles que nous allons envisager maintenant se placent sur un tout autre plan. Elles ont, en effet, pour objet principal d’assurer aux ressortissants des Hautes Parties contractantes (jadis États membres de la Société des Nations, aujourd’hui États faisant partie du groupement des Nations Unies) une parfaite égalité de traitement dans les domaines déterminés par elles.
Des mesures de ce genre, proscrivant tout traitement différentiel basé sur la nationalité, on en trouvait déjà antérieurement, dans diverses conventions internationales poursuivant un but analogue, notamment dans l’Acte Général de Berlin, du 26 février 1885, et dans la convention de Saint-Germain-en-Laye, du 10 septembre 1919. Pour ce qui concerne le Ruanda-Urundi, elles ont été formulées d’abord par l’article 7 de la décision confirmative du mandat belge, rendue par le Conseil de la Société des Nations, le 20 juillet 1922 ; elles ont été reprises plus tard et précisées par l’article 9 de la décision approbative de l’accord de tutelle, rendue par l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 13 décembre 1946. Aux ressortissants des États membres de la Société des Nations, à l’époque dévolue du régime du mandat, ou des Nations Unies, à l’époque courante du régime de la tutelle, elles garantissent une égalité parfaite de droits avec les ressortissants de l’État administrant (la Belgique), notamment pour ce qui concerne leur accès au territoire et leur établissement sur celui-ci ; la protection de leurs personnes et de leurs biens ; l’exercice des professions et de l’industrie ; l’acquisition de la propriété, la liberté de transit et de navigation. Aucune discrimination basée sur la nationalité n’est permise entre eux en matière de concessions pour le développement des ressources naturelles du pays. L’égalité de traitement leur est assurée aussi dans l’administration de la justice.
Le régime de 1922 et celui de 1946 se caractérisent par une grande similitude d’expression et une identité parfaite de vues. L’un et l’autre s’efforcent d’aligner sur un même plan, dans les domaines économique, social, industriel et commercial, les ressortissants belges et ceux des États compris dans le bloc des Nations Unies, sous réserve toutefois des impératifs découlant pour la Belgique de son devoir de promouvoir avant tout le développement politique, économique, social et culturel des habitants du Ruanda-Urundi et sous réserve aussi de la condition de réciprocité portée à l’article 11 de l’accord de tutelle relatif au Ruanda-Urundi.
DISPOSITIONS CONSTITUTIVES D’UNE CHARTE DES DEVOIRS DES PUISSANCES ADMINISTRANTES.
Les articles 10, 11, 12, et 13 de la décision du Conseil de la Société des Nations, du 20 juillet 1922, confirmative du mandat belge, formaient une charte des devoirs et pouvoirs publics de l’État mandataire. Des dispositions de même nature ont été prises par les articles 3, 5, 16, 17 et 19 de la décision du 13 décembre 1946 par laquelle l’Assemblée Générale des Nations Unies a approuvé l’accord de tutelle du Ruanda-Urundi. En cette matière encore, mises à part les particularités de langage et la différence des organes appelés à intervenir, les deux régimes se ressemblent étroitement, tout au moins dans leurs éléments essentiels. Tous deux accordent à la Belgique des pleins pouvoirs de législation, d’administration et de juridiction, l’autorisant à gouverner le pays sous tutelle (mandat) selon la législation belge, comme partie intégrante du territoire belge.
La Belgique est autorisée à constituer le Ruanda-Urundi en union ou fédération douanière, fiscale ou administrative avec les territoires limitrophes relevant de sa souveraineté.
En revanche, elle prend des engagements formels concernant le respect des buts fondamentaux poursuivis par les Nations Unies, sa collaboration avec l’Assemblée Générale et le Conseil de Tutelle ainsi que l’acceptation des mesures de contrôle prévues par la Charte de San Francisco.
Compétence d’une Cour internationale de justice pour régler les différends relatifs à l’interprétation ou l’application des accords de mandat ou de tutelle.
Le Pacte de la Société des Nations et, après lui, la Charte des Nations Unies, sont loin d’être des modèles de clarté et de précision. Souvent même leurs auteurs se sont complus au jeu des formules vagues et ultra-souples, afin d’ouvrir à leurs théories les plus larges possibilités d’adaptation pratique. Si de telles méthodes présentent l’avantage de faciliter parfois la conclusion des accords et la prise des engagements, elles comportent par contre le danger de la diversité d’interprétation et des litiges qui s’ensuivent. C’est pourquoi tant le régime du mandat que celui de la tutelle, prévoyant l’hypothèse de différends surgissant entre la Puissance administrante et d’autres Membres de son groupement international, sur l’interprétation ou l’application des accords de mandat ou de tutelle, se sont efforcés de mettre sur pied une organisation capable de les résoudre. A cette fin, ils se sont arrêtés à l’idée d’une Cour de justice supranationale, aux décisions de laquelle tous les États intéressés devraient se soumettre. Sous le régime du mandat, cette juridiction était la « Cour Permanente de justice Internationale » instituée par l’article 14 du Pacte de la Société des Nations ; et ce fut l’article 13 de la décision confirmative du mandat, rendue par le Conseil le 20 juillet 1922, qui constata l’accord de la Puissance mandataire d’y voir soumettre les différends considérés. Sous le régime de la tutelle, le chapitre XIV de la Charte des Nations Unies crée une juridiction similaire « la Cour Internationale de Justice » ; et l’article 19 de l’accord de tutelle du 13 décembre 1940 constate à son tour l’acceptation de l’Autorité administrante d’y voir déférer les litiges dont il s’agit.
En cette matière, la similitude des deux régimes est complète. En des termes semblables, sinon identiques, ils envisagent tous les deux la même hypothèse et adoptent, pour la résoudre, le même procédé.
Différences existant entre le régime de mandat et le régime de tutelle.
Si, comme on vient de le voir, le régime de tutelle n’est, au fond qu’un stade évolué du régime de mandat, il existe cependant entre eux des différences plus ou moins profondes qu’il importe de relever. Elles concernent notamment les mesures humanitaires, l’octroi de monopoles et le droit d’organiser une force militaire.
- — MESURES HUMANITAIRES.
L’article 5 de la décision confirmative du mandat belge sur le territoire du Ruanda-Urundi, rendue par le Conseil de la Société des Nations, le 20 juillet 1922, prescrivait expressément une série de devoirs relatifs à l’émancipation des esclaves, à la suppression de tout esclavage domestique ou autre, et du commerce d’esclaves ; à l’interdiction de tout travail forcé ou obligatoire sauf pour les travaux et services publics essentiels; à la protection des indigènes contre la fraude et la contrainte par une surveillance attentive des contrats de travail et du recrutement des travailleurs, et au contrôle sévère sur le trafic des armes et des munitions ainsi que sur le commerce des spiritueux.
Vainement chercherait-on des dispositions similaires dans l’accord de tutelle actuellement en vigueur. La raison de cette différence de texte n’est évidemment pas que les Nations Unies auraient voulu tolérer un retour à de telles pratiques. Il suffit de lire le préambule de la Charte de San Francisco, dont nous avons précédemment prôné le vibrant rappel des grands idéals de paix, de justice et de respect des valeurs essentielles humaines, pour repousser d’emblée une si monstrueuse conclusion. La véritable cause en est, d’une part, qu’à l’époque de la convention de San Francisco, le 26 juin 1945, la majeure partie de ces devoirs pouvait être considérée comme accomplie et que, d’autre part, l’accord de tutelle les consacre implicitement. Les mesures stipulées dans cet accord, en vue de protéger la population sous tutelle et d’assurer son évolution culturelle, politique, économique et sociale, non seulement s’élèvent à la hauteur de celles qui avaient été prévues sous le régime du mandat, mais en dépassent largement le niveau. Le statut international du Ruanda-Urundi a changé de nom en 1946, mais la « mission sacrée de civilisation » que la Belgique y remplit est restée la même.
- — OCTROI DE MONOPOLES.
Une deuxième différence concerne le pouvoir de l’État administrant d’accorder des monopoles. Sous le régime du mandat, la question était réglée par l’article 7, alinéa 4, de la décision confirmative du Conseil de la Société des Nations, du 20 juillet 1922. La disposition commençait par une interdiction pure et simple : « Il ne sera pas accordé de concession ayant le caractère d’un monopole général ». La sévérité de cette clause était aussitôt atténuée par deux tempéraments :
1° Droit de créer des monopoles d’un caractère purement fiscal, dans l’intérêt du territoire sous mandat, en vue de procurer à celui-ci les ressources commandées par les besoins locaux ;
2° Droit de créer des monopoles au profit soit de l’État administrant, soit d’un organisme soumis à son contrôle, en vue de développer les ressources naturelles du pays, sous la réserve toutefois qu’il n’en résultera, directement ou indirectement, aucun accaparement des ressources naturelles par l’État mandataire ou ses ressortissants ; ni aucun avantage préférentiel incompatible avec l’égalité économique, commerciale et industrielle des ressortissants des États membres de la Société des Nations.
Actuellement, le siège de la matière est dans les articles 9, 1 et 10 de l’accord de tutelle du 13 décembre 1946. La technique juridique employée est semblable à celle suivie précédemment, mais le texte et la portée des dispositions sont différentes. Dans l’un et l’autre cas, on se voit en présence d’une interdiction de principe tempérée par des dérogations. Mais, sous le régime de tutelle, les dérogations sont bien plus énergiques et souples que sous celui du mandat. L’autorité chargée d’administrer le territoire sous tutelle à la faculté :
1° de créer des monopoles d’un caractère purement fiscal, dans l’intérêt du Ruanda-Urundi, en vue de procurer à celui-ci les ressources commandées par les besoins locaux ;
2° d’organiser ou d’autoriser l’organisation, à des fins déterminées, d’autres monopoles ou entreprises présentant un caractère de monopole, chaque fois que les intérêts ou le progrès économique des habitants du territoire sous tutelle l’exigent, sous condition toutefois qu’il soit exercé un contrôle public convenable et qu’il ne soit établie, à l’égard des membres des Nations Unies ou de leurs ressortissants, aucune discrimination fondée sur la nationalité.
On remarque sans peine que la méfiance envers les monopoles, qui était auparavant à l’état aigu, s’est quelque peu dissipée au contact des Nations Unies, sans cependant avoir complètement disparu. Tout d’abord, la nature des monopoles pouvant être accordés est élargie. Ce ne sont plus nécessairement des monopoles d’un caractère purement fiscal ou créés en vue de développer les ressources naturelles du pays. D’autres monopoles ou des entreprises présentant un caractère de monopole peuvent être autorisés à des fins déterminées, chaque fois que les intérêts ou le progrès économique des habitants du territoire sous tutelle l’exigent. Ensuite, les monopoles ne sont plus exclusivement réservés à l’État administrant ou à des organismes soumis à son contrôle. Ils peuvent être accordés à des organismes non soumis au contrôle de l’État, à la condition toutefois que, pour ce qui regarde l’exploitation du monopole, il soit exercé sur eux un contrôle public convenable.
Mais ce qui subsiste intact, formant la raison profonde de la méfiance internationale à l’égard des monopoles, c’est la crainte de voir l’État administrant violer, directement ou indirectement, le principe de l’égalité économique, commerciale et industrielle entre tous les membres des Nations Unies et leurs ressortissants. C’est pourquoi l’accord de tutelle maintient, avec la même vigueur que le régime du mandat, l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité.
- – ORGANISATION D’UNE FORCE MILITAIRE
Parmi les dispositions qui réglaient le mandat belge au Ruanda-Urundi, il y en avait une de très bizarre ; ses raisons profondes étaient malaisément compréhensibles. C’était l’article 4 de la décision confirmative du Conseil de la Société des Nations, du 20 juillet 1922. Aux termes de cette clause, il était absolument interdit à l’État mandataire d’établir sur le territoire sous mandat des bases militaires ou navales, ou d’édifier des fortifications. Il lui était défendu aussi d’organiser une force militaire indigène, sauf pour assurer la police locale et la défense du territoire. Or à quoi peut servir une force militaire sinon à l’exercice de la police et la défense du territoire ? Quant à l’interdiction des bases militaires et des fortifications, le seul résultat tangible n’en pouvait être que l’affaiblissement des frontières. Si l’on avait prévu à l’époque une invasion ennemie et qu’on eût voulu la favoriser, on n’aurait certes pas agi autrement.
L’accord de tutelle, du 13 décembre 1946, a mis fin à cette situation. Aux termes de son article 5, l’Autorité chargée de l’administration du territoire et à laquelle incombe le devoir de défendre celui-ci contre toute agression, peut y établir des bases militaires, y compris des bases aériennes, élever des fortifications, entretenir ses propres forces armées et lever des contingents de volontaires.
Sur ce point, la différence entre le régime du mandat et celui de la tutelle est donc nette et tout à l’avantage de ce dernier.
Contrôle international.
Après avoir mis en évidence la ressemblance frappante entre le régime de la tutelle et celui du mandat et souligné leurs principales différences, nous ne pourrions, sans laisser derrière nous une lacune regrettable, passer sous silence un élément primordial, qui forme à la fois un de leurs points intimes de contact et l’une des améliorations les plus importantes réalisées par le régime de tutelle : le contrôle international. Ce contrôle forme, d’une part, un point de contact intime entre les deux régimes, parce qu’il a été instauré dans l’un aussi bien que dans l’autre et que chacun d’eux l’a organisé de manière à en faire une de ses bases essentielles. Il est, d’autre part, une amélioration dominante réalisée par le régime de tutelle parce que celui-ci, instruit par l’expérience, l’a considérablement renforcé, en lui conférant une assiette plus solide et une réglementation plus précise.
Sous le régime du mandat, le principe du contrôle international était inscrit dans l’article 22, paragraphe 7, du Pacte de la Société des Nations, aux termes duquel la Puissance mandataire devait envoyer au Conseil un rapport annuel sur les territoires qu’elle avait charge d’administrer.
Pour ce qui regarde plus spécialement les modalités du mandat belge au Ruanda-Urundi, elles étaient sommairement indiquées aux articles 11 et 12 de la décision approbative du Conseil de la Société des Nations, du 20 juillet 1922.
Ceux-ci, faisant application du principe sus-rappelé, obligeaient la Belgique à présenter au Conseil de la Société des Nations un rapport annuel répondant à ses vues et devant contenir tous les renseignements sur les mesures prises en vue d’appliquer les clauses du mandat. Ils disposaient aussi que toute modification apportée aux termes du mandat devait être préalablement approuvée par le Conseil de la Société des Nations.
Parmi les organes de contrôle appelés à intervenir dans le mécanisme des mandats, le premier rôle était réservé à la « Commission Permanente ». Elle avait pour mission notamment de recevoir et d’examiner les rapports annuels émanant des Autorités administratives et de donner au Conseil des avis sur les questions relatives à l’exécution des mandats. Sous le régime considéré, cette Commission était en vérité la cheville ouvrière et l’âme du contrôle international. Le Conseil n’intervenait qu’au stade final, pour statuer, et pratiquement en conformité des avis de la Commission.
Quant à l’Assemblée Générale de la Société des Nations, le Pacte ne lui réservait expressément aucun rôle dans l’exercice du contrôle, sous réserve cependant des pouvoirs dérivant de la compétence générale qu’elle tenait de l’article 4.
Une réglementation aussi sommaire ouvrait la voie à beaucoup d’incertitudes, d’hésitations et de controverses. Le rapport annuel pouvait-il se limiter aux quelques points spécialement visés dans le Pacte ou devait-il s’étendre à tous les aspects de la situation morale et matériel des populations sous mandat ? La Commission Permanente avait-elle le droit d’établir des questionnaires précis et d’exiger qu’il y fût répondu ?
Pouvait-elle exiger aussi qu’une documentation justificative fût annexée au rapport ? Les populations sous mandat étaient-elles habiles à adresser à la Commission Permanente des plaintes et des pétitions que celle-ci avait pour mission d’instruire ? La Commission Permanente avait-elle compétence pour donner des avis sur la politique à suivre dans l’avenir par la Puissance mandataire ou son activité se bornait-elle à l’examen des exercices écoulés et des faits accomplis ? Ces questions et bien d’autres surgirent au cours des années. Elles furent résolues sans doute. Mais, le simple fait qu’elles ont pu se poser et ne purent souvent être tranchées que par des arguments d’autorité, prouve que leurs assiettes conventionnelles étaient fragiles et discutables.
Aussi le régime de tutelle s’employa-t-il à mettre plus d’ordre et de clarté dans le mécanisme de contrôle. Loin de vouloir abandonner celui-ci ou l’atténuer, les Nations Unies tendirent, au contraire, à le renforcer, à combler ses lacunes et à remédier aux faiblesses dont il pâtissait. Car dans l’esprit de la Charte de San Francisco, plus encore que dans celui du Pacte de la Société des Nations, le contrôle international était une condition sine qua non des pouvoirs conférés à l’Autorité Administrante. C’était un frein inamovible empêchant ces pouvoirs d’aboutir à leur plein épanouissement où ils auraient atteint le stade de la souveraineté. C’était une ligne de démarcation séparant à tout jamais les territoires sous mandat ou sous tutelle des possessions d’outre-mer proprement dites, s’opposant, en parlant secundum materiam subjectam, à ce que le Ruanda-Urundi puisse être, au point de vue de l’exercice des pouvoirs, assimilé à la Colonie du Congo belge.
L’organe chargé d’exercer le contrôle, sous le régime de tutelle, c’est le Conseil de Tutelle agissant sous l’Autorité de l’Assemblée générale. C’est lui qui, dans l’ordre nouveau, se substitue à la Commission Permanente des Mandats. Il est organisé par les articles 86 à 91 de la Charte de San Francisco, lesquels déterminent sa composition, ses fonctions et ses pouvoirs, le droit de vote et la procédure. Quant à ses attributions, qui s’exercent sous l’autorité de l’Assemblée Générale, elles se résument comme suit :
1° il examine les rapports de la Puissance administrante et donne à l’Assemblée Générale des avis sur les questions y afférentes ;
2° il fait procéder à des visites périodiques dans les territoires sous tutelle, aux dates fixées par lui, d’accord avec la Puissance administrante ;
3° il reçoit les pétitions adressées aux Nations Unies par les populations sous tutelle et les étudie en consultation avec la Puissance administrante ;
4° il prend toutes autres dispositions qu’il juge opportunes, à la seule condition qu’elles soient conformes aux termes des accords de tutelle ;
5° il dresse et transmet à la Puissance administrante un questionnaire relatif aux progrès réalisés par les populations sous tutelle dans les domaines politique, économique et social ainsi que dans celui de l’instruction.
Le rapport annuel de la Puissance administrante répond à ce questionnaire.
Pour autant que de besoin et s’il le juge nécessaire, le Conseil de Tutelle recourt à l’assistance du Conseil Économique et Social ou à celle des institutions spécialisées.
Voilà donc le régime général du contrôle international adopté par la Charte de San Francisco. Quant aux engagements corrélatifs assumés par la Belgique, concernant l’Administration du Ruanda-Urundi, ils sont consignés à l’Accord de tutelle approuvé par décision de l’Assemblée Générale en date du 13 décembre 1946. Nous les résumerons comme suit :
1° la Belgique administre le Ruanda-Urundi de manière à atteindre les buts fondamentaux du régime international de tutelle énoncés à l’article 76 de la Charte des Nations Unies
2° elle collabore pleinement avec l’Assemblée Générale des Nations Unies et le Conseil de Tutelle, dans l’accomplissement de toutes leurs fonctions telles qu’elles sont définies à l’article 87 de la Charte des Nations Unies ;
3° elle facilite les visites périodiques du Ruanda-Urundi auxquelles l’Assemblée Générale ou le Conseil de Tutelle feront éventuellement procéder et convient avec ces organes des dates auxquelles ces visites auront lieu ; elle s’entend aussi avec eux sur les questions que viendraient à poser l’organisation et l’accomplissement de ces visites.
On se rend aisément compte, à la lecture de cet exposé, du renforcement et des améliorations apportées au contrôle international par le régime de tutelle. On décerne sans difficulté, la ligne dominante de la politique suivie par les Nations Unies en cette matière et le processus adopté par elles pour la réaliser. D’une part, la Charte de San Francisco définit, d’une manière beaucoup plus nette que ne l’avait fait le Pacte de la Société des Nations, les obligations qui incombent aux Autorités administrantes en général. D’autre part, les Accords de Tutelle enregistrent, dans chaque cas d’espèce, avec plus de clarté et de précision que les conventions de mandat, l’engagement de l’Autorité administrante de se conformer strictement à ses obligations internationales.
Structure étatique du Ruanda-Urundi.
Il nous reste à dire un mot d’un des problèmes les plus débattus du régime de tutelle : celui de la structure étatique des territoires y soumis et, plus spécialement, du Ruanda-Urundi.
En voici les données basales. D’une part, le Ruanda-Urundi, territoire sous tutelle, n’a pas la qualité d’État. On peut le considérer comme « État en devenir », mais actuellement, il n’a manifestement pas atteint ce stade de son évolution politique. D’autre part l’Autorité administrante, la Belgique, bien qu’elle soit un État dans le sens plénier de l’expression, n’exerce cependant ses pouvoirs dans le territoire sous tutelle, que sous le contrôle des Nations Unies. Et ce contrôle, nous pensons l’avoir prouvé, n’est pas une simple simagrée sans importance. Dans ces conditions, on se demande tout naturellement quelle est la structure étatique du Ruanda-Urundi c’est-à-dire sa position politique par rapport aux trois éléments constitutifs de toute entité étatique : la souveraineté, la population et le domaine ? En d’autres termes : Le pays est-il administré en pleine souveraineté et par qui ? Quelle est la nationalité des habitants ? Quelle est la qualité du territoire envisagé sous l’angle de l’imperium ?
Or, malgré les nombreuses études faites sur ces questions et souvent leur grande qualité tant à l’époque du régime de mandat qu’à celle du régime de tutelle, la solution n’en apparaît pas clairement. Les auteurs se contredisent entre eux et parfois l’un d’eux se contredit soi-même, se mettant tout à coup à défendre une thèse qu’auparavant il avait condamnée ; parfois ils aboutissent à une constatation négative, un procès-verbal de carence ; parfois encore ils écartent le problème de leur chemin, en prétendant qu’après tout il n’a qu’une valeur académique, puisque l’Autorité administrante, les Nations Unies et le Conseil de Tutelle parviennent toujours à se tirer d’affaire pratiquement. Qu’importe, affirme-t-on, que la Belgique soit ou non souveraine au Ruanda-Urundi, puisque pratiquement elle agit comme si elle l’était ; qu’importe la nationalité des autochtones, puisqu’il suffit de les qualifier de « ressortissants du Ruanda-Urundi » et de les traiter à l’instar des Belges pour que toute difficulté soit aplanie ; qu’importe la finalité politique du territoire, puisqu’aux termes de l’Accord de Tutelle il est administré « comme partie intégrante du territoire belge ».
Devant une situation si confuse et, à vrai dire, décourageante, faut-il cesser tout effort ? Constatant que ceux qui se sont élancés à la poursuite de la vérité et ceux qui se sont enfuis devant elle ont abouti au même résultat mélancolique du doute et de l’incertitude, faut-il abandonner l’espoir de sortir de l’impasse où les recherches risquent de s’enliser maintenant ? Tel n’est pas notre avis. Le problème est posé ; il réclame une solution.
Problème de la souveraineté
La notion de la souveraineté est étroitement liée à celle de l’État. Comme nous l’avons dit ailleurs, la souveraineté, ainsi que son étymologie l’indique (superanus), est le pouvoir de décider, en dernier ressort et dans les limites du droit, quant aux objets de sa compétence. Ce qui caractérise un tel pouvoir, c’est sa position au sommet de tous les pouvoirs. Il est le pouvoir suprême ; au-dessus de lui, il n’est pas d’autre pouvoir. Mais gardons-nous d’en conclure que le pouvoir souverain soit omnipotent ; qu’il ait le droit de tout faire ; que, par sa nature même, il soit réfractaire à toute limitation. Ce serait là commettre une grave erreur, car aux termes mêmes de la définition que nous venons de formuler, le pouvoir souverain ne peut s’exercer que dans les limites du droit. Dans l’État, dont il forme un des trois éléments constitutifs, le pouvoir souverain s’inscrit dans un complexe de limitations internes et externes. A l’intérieur, il ne s’exerce que dans le cadre des restrictions établies par la Constitution et les lois rendues en exécution de celle-ci ; à l’extérieur, il s’arrête aux barrières dressées par les droits égaux des autres États souverains.
Quant aux attributs principaux de la souveraineté, il y a lieu de distinguer aussi entre la souveraineté interne et la souveraineté externe. Pour la première, ils se résument dans l’exercice des trois grands pouvoirs : le Législatif, qui fait la loi, l’Exécutif, qui gouverne, et le Judiciaire, qui dit la justice. Pour la seconde, ils consistent à traiter avec les autres États souverains, sur un pied de parfaite égalité, notamment à conclure avec eux des conventions librement consenties.
Sous le bénéfice de ces notions préliminaires, nous sommes à même d’aborder le nœud du problème. Déjà sous le régime du mandat et dès le début de celui-ci, le problème de la souveraineté a retenu l’attention de nombreux auteurs et fait éclore une abondante littérature. Comme il se présentait alors avec des données sinon identiques du moins analogues à celles qu’il comporte aujourd’hui, les études qui lui furent consacrées conservent tout leur intérêt. Les théories qui furent échafaudées ont été exposées et commentées, d’une manière remarquablement claire et précise, par H. ROLIN, à l’époque conseiller juridique au Ministère des Affaires Étrangères de Belgique. Leurs principales tendances se résument comme suit :
1° THÉORIE ATTRIBUANT LA SOUVERAINETÉ A L’ÉTAT MANDATAIRE.
Cette théorie, qui comptait au début de nombreux adeptes, parmi lesquels H. ROLIN cite son éminent homonyme, qui fut de son vivant professeur à l’Université Libre de Bruxelles, BATY MAKOWSKI, DIÉNA et ROUARD DE CARD, ne tarda pas à faire l’objet d’une critique serrée. Malaisément conciliable avec l’institution du contrôle international, elle est aujourd’hui généralement abandonnée.
- THÉORIE ATTRIBUANT LA SOUVERAINETÉ AUX TERRITOIRES SOUS MANDAT (TUTELLE).
Une telle théorie, si elle présentait une certaine apparence de validité à l’époque du régime de mandat et pour ce qui concerne les mandats du groupe A (Syrie, Liban, Irak, Palestine et Transjordanie), elle ne pouvait être soutenue avec succès pour les mandats des groupes B et C. Quoi qu’il en soit, elle nous semble absolument indéfendable quant au Ruanda-Urundi sous tutelle belge. Dans ce territoire, comment un pouvoir souverain propre aurait-il pu naître et comment serait-il parvenu à s’épanouir ? Avant de passer sous mandat belge, le Ruanda-Urundi n’était pas un État souverain. Il faisait partie de la colonie allemande de l’Est Africain, laquelle se trouvait tout entière sous la souveraineté allemande. Lorsqu’au traité de paix de Versailles, du 28 juin 1919, l’Allemagne renonça à tous ses droits et titres sur ses possessions d’outre-mer, au profit des principales Puissances alliées et associées, le sort politique du Ruanda-Urundi fut réglé, sans qu’il existât pour lui la moindre possibilité de faire valoir des droits à une souveraineté propre. Et c’est pourtant alors que les données juridiques du problème ont été fixées.
Depuis lors, elles n’ont pas varié.
3° THÉORIE ATTRIBUANT LA SOUVERAINETÉ A LA SOCIÉTÉ DES NATIONS ET, PLUS TARD, AUX NATIONS UNIES.
Voilà encore une théorie qui a rallié autour d’elle de nombreux partisans. Ne pouvant adopter aucun des deux systèmes précédents et obnubilés par l’idée que dans les territoires sous mandat (tutelle) il devait nécessairement y avoir une souveraineté, ils se sont raccrochés au troisième système comme à une planche juridique de salut. Parmi eux, l’on rencontre notamment BRESCHI,
CIORICEANU, SCHÜCKING, WEHBERG, BILESKI, REDSLOB, RAPPARD, VALLINI, Wolfgang SCHNEIDER et même P. FAUCHILLE.
Mais, ce système aussi nous parait inadmissible, pour deux motifs. D’abord, ni la Société des Nations, ni les Nations Unies ne peuvent être considérées comme des États ou des Super-états, c’est-à-dire des formations étatiques naturellement dotées de la souveraineté. Pour que celle-ci pût leur appartenir, il aurait fallu que les conventions internationales qui les ont créées l’eussent indiqué clairement. Ce qui n’est certainement pas le cas. Ensuite, l’existence de la souveraineté, dans leur chef, supposerait le pouvoir d’agir directement ou tout au moins de se substituer à l’Autorité administrante dans l’accomplissement des attributions de celle-ci. Or, ni la Société des Nations, ni les Nations Unies n’ont reçu une telle mission. Leur compétence est strictement limitée au contrôle international des pouvoirs conférés à l’Autorité administrante, en l’occurrence la Belgique.
Voilà le résultat qui nous conduit l’examen des diverses solutions proposées par les auteurs au problème de la souveraineté dans les territoires sous tutelle. Résultat négatif, puisqu’aucune de ces solutions n’est acceptable. Serions-nous donc vraiment acculés au procès-verbal de carence dressé, selon H. ROLIN, par M. Ladislas BUZA? Si le problème entrepris s’est révélé insoluble, c’est qu’il a été mal posé. Se demander à qui appartient la souveraineté, dans un territoire sous tutelle, ou qui a l’exercice de la souveraineté, c’est supposer résolue la question de savoir si le territoire considéré est réellement administré en pleine souveraineté. C’est partir de l’idée préconçue que tout territoire organisé serait nécessairement doté de la souveraineté. Or si, dans les relations entre États, il est souhaitable qu’il en soit ainsi, rien ne permet d’affirmer de plano qu’il en est réellement ainsi, partout et dans toutes les circonstances. Aussi remettrons-nous le problème sur le métier, pour le traiter d’une manière différente. Ramenant le sujet à ses facteurs premiers et avançant par paliers, nous examinerons successivement les trois questions suivantes : les attributs essentiels de la souveraineté s’exercent-ils au Ruanda-Urundi ? Qui est le dépositaire de ces attributs ? L’exercice s’en fait-il souverainement ?
- – Les attributs essentiels de la souveraineté s’exercent-ils au Ruanda-Urundi ?
Comme nous l’avons dit précédemment, les attributs essentiels de la souveraineté apparaissent soit à l’intérieur de l’État, soit à l’extérieur. Ceux dont la sphère d’action se situe à l’intérieur, sont au nombre de trois : le Pouvoir législatif, qui fait la loi, le Pouvoir exécutif, qui gouverne, et le Pouvoir judiciaire, qui dit la justice. Ceux dont le ressort s’étend à l’extérieur, se concentrent tous en un seul Pouvoir : celui de traiter avec les autres États sur un pied de parfaite égalité, notamment de conclure avec eux des conventions librement consenties.
Il suffit de jeter un coup d’œil sur l’accord de tutelle du 13 décembre 1946, et sur les actes de législation interne relatifs à l’organisation du Ruanda-Urundi, pour se rendre compte aussitôt que les attributs essentiels de la souveraineté interne : le Législatif, l’Exécutif et le Judiciaire, y sont représentés par des organes nombreux et variés. Leur exercice y est donc pleinement et efficacement assuré. Quant à la souveraineté externe, elle s’est révélée et confirmée dans de nombreuses conventions internationales qu’il serait oiseux d’énumérer ici.
A la première question, nous sommes, en conséquence, amenés à répondre par une affirmative sans réserve.
- – Qui est, au Ruanda-Urundi, le dépositaire des attributs de la souveraineté ?
Cette question revient à savoir lequel des trois intéressés : la Belgique, le Ruanda-Urundi et les Nations Unies, a reçu la mission d’exercer les attributs de la souveraineté dans le territoire sous tutelle ? Est-ce un seul des trois qui en est le dépositaire, ou la répartition en a-t-elle été faite entre plusieurs ?
Sur ce point encore, la réponse n’est pas douteuse. L’accord de tutelle du 13 décembre 1946 est, à cet égard, clair et formel. L’article 2 désigne le seul gouvernement belge comme autorité chargée de l’administration, et l’article 5 lui confère pleins pouvoirs de législation, de gouvernement et de juridiction, le chargeant d’administrer ledit territoire selon la législation belge, comme partie intégrante du territoire belge. Enfin, l’article 7 non seulement autorise la Belgique à conclure des conventions internationales applicables au Ruanda-Urundi, mais l’oblige même à faire bénéficier celui-ci des dispositions de toutes les conventions internationales appropriées aux conditions particulières du Territoire et qui contribueraient à la réalisation des buts fondamentaux du régime de tutelle.
Aucun des attributs de la souveraineté n’est accordé au Ruanda-Urundi.
Certes il jouit du bienfait de l’administration belge, mais n’est lui-même habile à l’exercice d’aucune parcelle du pouvoir. Il est le territoire administré et non pas l’autorité administrante.
Quant à l’Organisation des Nations Unies, le rôle en est double. Elle a pour mission, en premier lieu, d’établir, sous son autorité, un régime international de tutelle pour l’administration des territoires qui seraient placés sous ce régime en vertu d’accords particuliers. Ensuite, l’Assemblée Générale et, sous son autorité, le Conseil de Tutelle, exercent des fonctions de pure surveillance. Mais elle n’a pas qualité pour légiférer directement, ni pour faire aucun acte de gouvernement, d’administration ou de juridiction. Elle n’intervient pas dans les conventions internationales relatives aux territoires sous tutelle.
Nous concluons donc que la Belgique est le dépositaire des attributs de la souveraineté au Ruanda-Urundi et qu’elle est seule à avoir cette qualité.
- – La Belgique exerce-t-elle souverainement les attributs de la souveraineté au Ruanda-Urundi ?
Une telle question est de nature à surprendre de prime abord. On peut se demander, en effet, s’il est imaginable, en fait et en droit, qu’un État exerce les attributs de la souveraineté sans les exercer souverainement ? La souveraineté n’est-elle pas nécessairement et inséparablement liée à l’exercice de ses droits ? Pourtant, en y réfléchissant davantage, nous sommes amenés à admettre que pareille situation est juridiquement concevable et qu’en réalité elle existe au Ruanda-Urundi. C’est ce que nous allons essayer de démontrer.
L’exercice souverain du pouvoir suppose, comme nous l’avons dit précédemment, que l’autorité qui agit soit le pouvoir suprême ; qu’au-dessus d’elle, il n’y ait pas d’autre pouvoir. Lorsque donc cette autorité agit sous le contrôle d’une autorité supérieure, qui a le droit d’interpréter ses actes, de les juger et de les critiquer, elle a beau exercer les attributs de la souveraineté, elle ne les exerce pas souverainement.
Sans doute un État peut-il s’obliger conventionnellement à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose, et conserver néanmoins sa souveraineté. Car, dans semblable hypothèse, ce n’est pas la souveraineté qui subit une diminution, mais le domaine dans lequel elle s’exerce. Le pouvoir souverain est, en quelque sorte, refoulé d’une partie de son champ d’action, pour refluer vers l’autre partie ; c’est son rayon d’action qui se trouve réduit, et non pas sa substance. Dans la partie du domaine qui lui reste, la souveraineté continue à s’exercer dans sa plénitude. C’est, sur un autre plan, un phénomène semblable à celui qui se produit lorsqu’un État cède une parcelle de son territoire. Sa souveraineté est refoulée de la parcelle cédée, sans que, de ce fait, elle subisse une perte de substance. Car elle est tota in toto et tota in qualibet tarte. La seule différence entre les deux cas est que, dans l’un, ce sont les frontières territoriales qui se rétrécissent et, dans l’autre, les frontières des pouvoirs. Mais, il en va tout différemment lorsque, soit par le jeu de conventions internationales, soit pour d’autres causes, un État prend une position subordonnée par rapport à d’autres États, lorsque ses actes sont soumis au contrôle de ceux-ci. Dans pareille hypothèse, même s’il garde l’exercice de tous les attributs de la souveraineté, continuant à légiférer, à gouverner et à dire la justice, il ne les exerce pas souverainement. Il n’est pas alors le pouvoir suprême ; au-dessus de lui, il y a un autre pouvoir qui a le droit d’interpréter ses actes, de les critiquer et de les juger.
Or, telle est bien la position de la Belgique au Ruanda-Urundi. En effet, aux termes de l’article 87 de la Charte de San Francisco, du 26 juin 1945, l’Assemblée Générale des Nations Unies et, sous son autorité, le Conseil de Tutelle ont le pouvoir d’examiner les rapports soumis par l’autorité administrante ; de recevoir les pétitions et de les examiner en consultation avec ladite autorité ; de faire procéder à des visites périodiques dans les territoires administrés ; de prendre ces dispositions et toutes autres conformément aux termes des accords de tutelle. Et, par les articles 3 et 10 de l’Accord de tutelle, du 13 décembre 1946, la Belgique a pris des engagements corrélatifs quant à l’administration du Ruanda-Urundi.
Partant, nous répondons à la troisième question par la négative : ce n’est pas souverainement que la Belgique exerce au Ruanda-Urundi les attributs de la souveraineté.
Le moment est venu de tirer une conclusion finale sur le problème de la souveraineté au Ruanda-Urundi. Nous la formulons dans les trois propositions suivantes, qui découlent de l’ensemble des considérations émises ci-dessus :
1° La Belgique exerce au Ruanda-Urundi les attributs de la souveraineté ;
2° Elle les exerce seule, sans partage avec les Nations Unies ou le Territoire sous tutelle ;
3° Elle ne les exerce pas comme Pouvoir souverain, mais comme Autorité administrante soumise au contrôle des Nations Unies.
- — Problèmes de la nationalité des habitants
La structure étatique du Ruanda-Urundi soulève, comme nous l’avons signalé précédemment, trois problèmes : celui de la souveraineté, celui de la nationalité et celui du territoire. Ces problèmes sont étroitement liés entre eux par l’intégration commune de leurs éléments dans la notion d’État et la corrélativité des principes qui les dominent. Aussi la solution que nous venons d’apporter au premier d’entre eux influence-t-elle puissamment celles des autres.
Le fait que la Belgique n’a pas de souveraineté au Ruanda-Urundi a pour conséquence logique que les autochtones ne sont pas devenus Belges par le simple effet du mandat ou de l’Accord de tutelle. Et comme la souveraineté n’y appartient pas davantage aux Nations Unies ou au Territoire sous tutelle, les Ruanda-Urundais ne peuvent se prévaloir d’aucune autre nationalité. Ils sont, comme on les appelle communément, des « ressortissants du Ruanda-Urundi».
C’est là une situation de fait, regrettable peut-être, mais qui a été voulue ainsi par la Société des Nations et acceptée plus tard par les Nations Unies. Si le moindre doute pouvait naître à cet égard, il serait effacé par une décision que le Conseil de la Société des Nations a rendue en 1923 et dans laquelle il a clairement déterminé ses vues et sa volonté en la matière. Voici les règles qu’il a adoptées :
1° Le statut des habitants indigènes d’un territoire sous mandat est distinct de celui des nationaux de la Puissance mandataire et ne saurait être assimilé à ce dernier par aucune mesure de portée générale.
2° Les habitants indigènes d’un territoire sous mandat n’acquièrent pas la nationalité de la Puissance mandataire par suite de la protection dont ils bénéficient.
3° Il n’est pas contraire aux principes posés ci-dessus, sous les numéros 1 et 2, que les habitants d’un territoire sous mandat puissent, par un acte indépendant de leur volonté, obtenir par la naturalisation la nationalité de la Puissance mandataire conformément aux mesures qu’il serait loisible aux puissances mandataires d’édicter à ce sujet dans leur législation.
4° Il est à désirer que les habitants indigènes qui bénéficient de la protection d’une Puissance mandataire soient désignés en ce qui concerne chaque mandat par telle dénomination qui précise clairement leur statut sous le régime du mandat.
Problème du territoire.
Le troisième problème que pose la structure étatique du Ruanda-Urundi est celui du territoire. Le territoire du Ruanda-Urundi a-t-il la même nature juridique que celui du Congo belge et, à l’instar de celui-ci, fait-il partie intégrante du territoire de la Belgique ?
Par territoire, au sens que le droit international public attache à ce terme, on entend l’aire géographique dans laquelle un État exerce sa souveraineté. Le territoire appartient à l’État ; il forme même un de ses éléments constitutifs ; mais une telle appartenance se situe sur un plan juridique autre que celui de la propriété et lui est tout à fait étranger. Il faut distinguer, en effet, entre l’imperium, qui est un rapport de puissance, et le dominium, qui est un rapport de propriété. C’est dans la sphère du premier que se situe la notion de territoire.
Appliquant cette définition au Congo belge et constatant que la Belgique y exerce sa souveraineté, on doit conclure que le territoire du Congo belge fait partie intégrante du territoire belge. Mais la situation est différente au Ruanda-Urundi. Car la Belgique n’y étend pas sa souveraineté ; elle ne fait, comme il a été montré précédemment, qu’y exercer les attributs de la souveraineté sous le contrôle des Nations Unies. En vérité, le territoire du Ruanda-Urundi est l’aire géographique dans laquelle la Belgique exerce, non pas la souveraineté, mais les attributs de la souveraineté, en vertu de l’Accord de tutelle, du 13 décembre 1946. Il s’ensuit que la nature juridique du territoire du Ruanda-Urundi n’est pas identique à celle du territoire du Congo belge, ni à celle du territoire de la Belgique. Et partant, à cause même de la différence de leur nature juridique, le premier ne peut faire partie intégrante du dernier. C’est pourquoi l’article premier de l’Accord de tutelle dispose que la Belgique administre le territoire du Ruanda-Urundi, « comme » partie intégrante du territoire belge ; c’est-à-dire, comme s’il faisait partie intégrante du territoire belge, alors qu’en réalité il n’a pas cette qualité.
Pour terminer, nous établirons un bref parallèle entre la structure étatique du Congo belge et celle du Ruanda-Urundi. Il s’exprime en trois propositions :
Congo belge. Ruanda-Urundi.
1° Au Congo belge, la Belgique 1° Au Ruanda-Urundi, la Bel-
exerce sa souveraineté. gigue exerce les attributs de la sou-
veraineté, sous le contrôle des Nations Unies.
2° Les indigènes du Congo belge 2° Les indigènes du Ruanda-
sont des Belges. Urundi, sans nationalité détermi-
née, sont des « ressortissants du Ruanda-Urundi .
3° Le territoire du Congo belge 3° Le territoire du Ruanda-
fait partie intégrante du territoire Urundi est administré par la Bel-
belge. gigue comme partie intégrante du
territoire belge.