A la suite de la campagne militaire en Afrique orientale allemande, la Belgique occupait non seulement le Rwanda et le Burundi, mais encore un territoire important dans l’ouest de la colonie allemande, notamment l’Ujiji, l’Uswi et le tronçon ouest de la Zentralbahn, le chemin, de fer reliant Dar-Es-Salaam sur l’océan Indien à Kigoma sur le lac Tanganyika. En fait la Belgique n’était pas intéressée par ces territoires à l’est des Grands Lacs ; ses revendications dans cette région étaient simplement le moyen d’atteindre un autre but, situé deux mille kilomètres à l’ouest. L’idée était d’utiliser les territoires occupés comme gage lors des négociations envisagées sur l’acquisition de la rive sud du fleuve Congo, qui faisait partie du territoire portugais de l’Angola. La Belgique espérait ainsi effectuer un échange, par Grande-Bretagne interposée, entre ses territoires est-africains et la rive sud. La démarche était compliquée : la Belgique céderait ses territoires est-africains à la Grande-Bretagne ; le Portugal céderait la rive sud à la Belgique; le Portugal recevrait de la Grande-Bretagne une compensation territoriale dans le coin sud-est de l’Est africain allemand. Cet échange s’avéra impossible, notamment parce que la Belgique n’obtint pas les compensations pécuniaires qu’elle cherchait à obtenir par-dessus le marché et du fait de l’intransigeance du Portugal. Il ne restait dès lors à la Belgique que de s’assurer du titre sur ses conquêtes est-africaines.

Par l’article 119 du Traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, l’Allemagne renonçait en faveur des « principales Puissances Alliées et Associées », parties contractantes au Traité, à tous ses droits sur ses possessions d’outre-mer, y compris l’Afrique orientale allemande. N’étant pas principale puissance, la Belgique pouvait être exclue du partage et elle le fut, en fait, lors d’une première répartition des colonies allemandes, arrêtée le 6 mai 1919 par le Conseil suprême des Alliés et Associés. Il y fut décidé que la Grande-Bretagne recevrait le mandat sur toute l’Afrique orientale allemande. La Belgique protesta vigoureusement auprès du Conseil des quatre puissances et entama des négociations avec le gouvernement britannique. Ces pourparlers aboutirent à l’accord Orts-Milner signé le 30 mai 1919 avant le Traité de Versailles.

Dans la première partie de cet accord la Belgique et la Grande-Bretagne s’engagèrent à demander conjointement au Conseil suprême d’accorder à la Belgique le droit d’administrer le Rwanda et le Burundi et à la Grande-Bretagne d’administrer le reste de l’ancienne colonie allemande. Cette proposition fut acceptée par le Conseil suprême le 21 août 1919. La deuxième partie de l’accord, conclue sous forme d’échange de lettres, prévoyait que la Grande-Bretagne accorderait à la Belgique des avantages économiques dont les modalités seraient fixées dans une convention particulière. Cette convention, signée le 15 mars 1921, accordait à la Belgique la liberté de transit à travers l’Afrique orientale britannique pour les personnes, la poste et les marchandises à destination ou en provenance des territoires belges, les tarifs les plus favorables sur les chemins de fer et les lignes de navigation d’Afrique orientale reliant les territoires belges à l’océan Indien, et des emplacements dans les ports de Dar-Es-Salaam et Kigoma concédés à la Belgique à bail à perpétuité moyennant une redevance annuelle d’un franc (« Belbases »).

Si la Belgique dut ainsi céder les trois quarts des territoires qu’elle occupait, elle s’en sortait encore fort honorablement vu qu’à l’origine elle devait être exclue de la partition. D’autre part, l’acquisition par la Belgique du Ruanda-Urundi fut « une des grandes ironies de l’histoire coloniale de l’Afrique ». A cause de l’échec des négociations devant mener à l’acquisition de la rive sud de l’embouchure du Congo, la Belgique gardait le Ruanda-Urundi, territoire qui ne l’intéressait pas réellement.

Le système des mandats coloniaux, arrêté à Versailles, était gouverné par trois principes que l’on trouve énoncés dans le préambule et dans l’art. 22 du Pacte de la S.D.N. (Traité de Versailles du 28 juin 1919). Ces bases du régime sont :

-que le système s’applique à des pays habités par des peuples dont on affirme qu’ils sont encore incapables de se diriger eux-mêmes ;

-que la tutelle de ces peuples est confiée à des nations désignées pour cette tâche, à cause de la prospérité de leurs finances, de leur expérience coloniale ou du voisinage, et qui l’exercent en qualité de mandataire et au nom de la Société des Nations ;

-que le bien-être et le développement de ces peuples « forment une mission sacrée de civilisation », dont il importe d’assurer l’accomplissement en prenant certaines garanties.

Le Pacte prévoyait trois types de mandat « suivant le degré de développement du peuple, la situation géographique du territoire, ses conditions économiques et autres circonstances analogues ». Ces trois types, d’après l’art. 22 du Pacte, sont définis comme suit :

-Mandat A: appliqué à des communautés ayant appartenu à l’Empire ottoman (Mésopotamie, Syrie, Palestine). Celles-ci ont atteint un degré de développement tel que leur existence, comme nations indépendantes, peut être reconnue provisoirement, à condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration, jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules.

-Mandat B: L’autonomie n’étant pas encore possible, le mandataire « assure l’administration » de ces territoires (Cameroun, Togo, Afrique orientale allemande). Cette administration doit s’exercer au bénéfice des populations indigènes et est soumise à certaines conditions: garantie de la liberté de conscience et de religion, sans autre limitation que celle que peut imposer le maintien de l’ordre public et les bonnes mœurs; prohibition de certains abus, tels que traite des esclaves, trafic des armes et de l’alcool; interdiction d’établir des fortifications ou bases militaires ou navales et de donner aux indigènes une instruction militaire, si ce n’est pour la police ou la défense du territoire; garantie aux autres membres de la Société des Nations des conditions d’égalité pour les échanges et le commerce.

-Mandat C: Compte tenu de la faible densité de leur population, de leur éloignement des centres de civilisation, de leur contiguïté géographique au territoire du mandataire ou d’autres circonstances, certains territoires (Sud-Ouest africain et les îles du Pacifique austral ayant appartenu à l’Allemagne) sont administrés sous les lois du mandataire comme partie intégrante de son territoire, sous réserve des garanties stipulées pour les mandats B dans l’intérêt de la population indigène.

 

Le mandat belge sur le Ruanda-Urundi est un mandat de type B. La décision des « Principales Puissances Alliées et Associées » de confier le mandat sur le Ruanda-Urundi à la Belgique fut entérinée le 20 juillet 1922 par le Conseil de la S.D.N. Confirmant le mandat attribué au roi des Belges une décision du Conseil en date du 1 août 1923 statuait sur ses termes.

Le statut juridique du mandat de la Société des Nations est fort particulier. Inspiré du « Trust » anglo-saxon, le mandat colonial ou international ne saurait être assimilé au mandat civil. Bien que la Société des Nations n’ait ni désigné les mandataires, ni délimité les frontières des territoires sous mandat, la puissance acceptant un mandat l’exerce comme mandataire et au nom de la Société. L’Allemagne ayant renoncé à ses droits de souveraineté sur ses possessions d’outre-mer au profit des « Principales Puissances Alliées et Associées », c’est de ces puissances que les Etats mandataires doivent tenir leur mandat. Il y eut, en d’autres termes, une double opération : l’attribution du mandat d’abord qui est le fait des principales puissances, ensemble partie contractante au Traité de Versailles ; l’exécution du mandat ensuite qui se fait en tant que mandataire et au nom de la Société des Nations. Ou encore : le mandant n’est pas identique à l’organe ayant attribué le mandat.

Cette situation appelle bien naturellement la question de la nature des droits de souveraineté exercés par la puissance mandataire. Plusieurs théories ont été avancées à ce propos. La doctrine de la souveraineté des puissances mandataires, que celles-ci défendirent initialement, s’avéra intenable. La théorie qui nous semble la plus correcte – notamment parce qu’elle tient compte du principe de la non-annexion adopté par la Conférence de la paix – défend la thèse que la souveraineté, ayant appartenu aux communautés et populations autochtones jusqu’au moment où elle leur fut enlevée par la domination allemande et turque, leur est revenue automatiquement du fait de la renonciation, par les anciens empires allemand et turque, à leurs droits et titres sur les territoires en question. Ces communautés et populations étant cependant reconnues non encore capables de se gouverner elles-mêmes, l’exercice des attributions souveraines se poursuit provisoirement par l’intermédiaire de nations plus développées en qualité de tuteurs. Cette théorie est la plus conforme à l’idée du mandat international. En pratique cependant, force est de constater que la puissance mandataire exerçait les attributs de la souveraineté sur les territoires sous mandat. Cette souveraineté n’était toutefois pas entière; elle était limitée par (i) l’obligation de respecter les prescriptions du mandat, (ii) l’obligation de Faire annuellement rapport à la Société des Nations, (iii) l’acceptation de soumettre tout différend relatif à l’interprétation et à l’application des dispositions du mandat non susceptible d’être réglé par négociation, à la Cour permanente de Justice internationale, et (iv) le droit des habitants d’adresser des pétitions à la Société des Nations.

Le mandat, tel que défini par la décision du Conseil de la Société des Nations en date du 31 août 1923, fut approuvé par la loi belge du 20 octobre 1924. Une loi de la même date approuva le traité du 18 avril 1923 avec les Etats-Unis d’Amérique concernant le mandat belge sur le Ruanda-Urundi et le protocole du 21 janvier 1924 modifiant cette convention. Le défaut de ratification par les Etats-Unis du Traité de Versailles obligeait, en effet, les puissances mandataires à négocier la reconnaissance par eux de leurs mandats.

Les deux premiers articles du mandat ont trait à la délimitation territoriale du mandat belge. Il faut mentionner ici, en quelques lignes et sans entrer dans les détails, l’affaire du Gisaka. Aux termes de l’accord Orts-Milner la Belgique avait dû céder à la Grande-Bretagne, à l’intérieur du Rwanda, une bande d’environ 5000 kilomètres carrés à l’ouest de la rivière Akagera, de manière à permettre la construction, à travers cette région dite du « Gisaka », du chemin de fer du Cap au Caire que les Britanniques projetaient. On avait ainsi amputé une partie du royaume de Musinga, mwami du Rwanda, lui arrachant une de ses principales richesses, les troupeaux de bétail extrêmement nombreux dans cette région. Un tel morcellement, fait au mépris de l’unité du royaume indigène, rompait l’équilibre dans la région, notamment parce que certains vassaux du mwami Musinga, tout en lui restant traditionnellement tributaires, tomberaient sous la juridiction britannique du point de vue colonial. Les gouvernements belge et britannique se rendirent compte qu’une révision du tracé s’imposait et ils conclurent un nouvel accord par lequel le Gisaka et d’autres régions situées à l’ouest de l’Akagera furent rétrocédés à la Belgique.

L’art. 3 du mandat rend le mandataire responsable de la paix, du bon ordre et de la bonne administration du territoire. Il est obligé d’accroître par tous les moyens en son pouvoir le bien-être matériel et moral des habitants et de favoriser leur progrès social.

Les art. 4 à 8 comportent des clauses qui peuvent être réparties en quatre catégories : clauses en faveur de la paix (art. 4), clauses en faveur des indigènes (art. 5 et 6), clauses économiques destinées à assurer la liberté commerciale et l’égalité entre les ressortissants des Etats membres de la Société des Nations (art. 7) et clauses en faveur de la liberté de conscience et des cultes (art. 8).

L’art. 10 définit les principes selon lesquels les territoires doivent être administrés : « La puissance mandataire aura pleins pouvoirs d’administration et de législation sur les contrées faisant l’objet du mandat. Ces contrées seront administrées selon la législation de la puissance mandataire comme partie intégrante de son territoire et sous réserve des dispositions qui précèdent. La puissance mandataire est, en conséquence, autorisée à appliquer aux régions soumises au mandat sa législation sous réserve des modifications exigées par les conditions locales, et à constituer ces territoires en unions ou fédérations douanières, fiscales ou administratives avec les territoires avoisinants relevant de sa propre souveraineté ou placés sous son contrôle, à condition que les mesures adoptées à ces fins ne portent pas atteinte aux dispositions du présent mandat ». Le titre confirmatif du mandat reconnaît donc à la Belgique un pouvoir général d’administration. Celui-ci doit être compris au sens le plus étendu qu’il possède en droit international : outre les attributions du pouvoir exécutif, il implique tous les droits du pouvoir législatif.

Les articles 9, 11 et 13 enfin comportent des obligations imposées à la puissance mandataire. Celle-ci devra étendre aux territoires sous mandat le bénéfice des conventions internationales générales, applicable à son territoire limitrophe (le Congo belge); elle doit présenter au Conseil de la Société des Nations un rapport annuel contenant tous renseignements sur les mesures prises en vue d’appliquer les dispositions du mandat; elle accepte que tout différend entre elle et un autre membre de la Société des Nations, relatif à l’interprétation ou à l’application des dispositions du mandat et ne pouvant être réglé par négociation, sera soumis à l’arbitrage de la Cour permanente de justice internationale.