Les Missions Catholiques Et Leurs Cadres
Le mouvement de conversion dont se félicitait l’Eglise catholique du Rwanda au cours de la période 1917-1931 n’aurait certainement pas été déclenché si les Pères Blancs avaient travaillé par eux-mêmes, s’ils n’avaient pas bénéficié de la collaboration de personnes diverses: dirigeants rwandais et européens, etc. ou s’ils n’avaient pas su utiliser des auxiliaires multiples qu’ils ont eus. Quand nous suivons l’évolution de l’installation des Pères Blancs au Rwanda, nous trouvons que ces auxiliaires ont une grande part à revendiquer dans le développement des Missions catholiques dans ce pays. Outre l’action prosélytique générale de tout catéchumène et de tout baptisé, un rôle bien particulier a été joué par les Bakuru_b’inama – chefs de conseils ou groupes, les catéchistes, les religieux et les religieuses des Congrégations européennes et rwandaises et par le clergé indigène. Tous ces « compagnons d’armes » des Pères Blancs constituaient des organes centraux du mouvement de conversion et de l’action catholique au Rwanda ainsi que l’éventail même des structures de l’Eglise catholique dans ce pays.
Si nous étudions les cadres de l’Eglise catholique du Rwanda en partant de ceux qui étaient plus proches de la masse, nous rencontrons au premier échelon, des lacs qui s’occupaient de l’œuvre missionnaire en tant qu’avant-gardes, « éclaireurs » de l’action catholique. Ces chrétiens, les Bakuru b’inama, formaient et forment encore aujourd’hui une sorte de hiérarchie d’apostolat laïc. Leur présence et leur rôle dans le mouvement de l’expansion missionnaire ont pris naissance dans la Mission de Rwaza et elles remontent à l’année 1916-1917. Les Pères Blancs de cette station, voulant prévenir les causes de relâchement qui se manifestaient chez quelques-uns de leurs chrétiens, voulant aussi « affermir la foi de tous et assurer la persévérance du grand nombre, réunirent leurs néophytes en groupes, colline par colline. Ils demandèrent ensuite aux membres de ces groupes de se choisir eux-mêmes « pour chefs deux chrétiens plus instruits, plus influents, (ayant pour charges) de convoquer aux réunions, de les présider et de trancher des petits différends ayant trait à la Religion.
Le but de ces groupes étant « d’apprendre aux chrétiens à s’édifier mutuellement, à s’entraider dans leurs besoins spirituels et matériels et de former chez eux un esprit de corps, nous pouvons nous demander: quel a été leur résultat? Dans la Mission de Rwaza d’abord, dans les autres Missions ensuite, ces petits groupes ont eu des succès dans le domaine des pratiques religieuses chrétiennes: « D’abord, du jour au lendemain, plus de cent réunions se sont formées dans la chrétienté. Plus d’une centaine de chrétiens qui ne pratiquaient plus et n’assistaient pas à la messe dominicale sont redevenus fidèles à leurs devoirs. Beaucoup aussi ont réappris leur catéchisme et quelques-uns même leurs prières. »
Cette « ferveur » dans la chrétienté a découlé de l’autodiscipline des chrétiens dans les assemblées hebdomadaires et surtout de l’autorité qu’exerçaient les chefs des groupes auprès de leurs compagnons. Les baptisés, craignant d’être accusés chez les Pères Blancs pour avoir abandonné leurs pratiques religieuses chrétiennes, durent se montrer « zélés » afin d’éviter des punitions éventuelles. En effet, à cette époque ou les batware commençaient à prendre part à la marche vers les Missions catholiques et témoignaient de la « fermeté » de leur décision par le prosélytisme, il suffisait que les Pères signalassent une « brebis égarée » pour que celle-ci fût vite reconduite dans le « bercail » par le chef qui n’hésitait pas à punir en pareil cas. Dans ces circonstances, les chefs de groupes servaient de dénonciateurs de chrétiens irréguliers.
Mais ils étaient aussi des animateurs de la vie chrétienne dans leurs localités. Pendant la semaine, les bakuru b’inamavisitaient des chrétiens et même des catéchumènes dans leurs familles, les « édifiaient » par leurs conseils. Ils veillaient surtout à ce qu’un chrétien malade ne s’en allât pas sans sacrements, à ce qu’un catéchumène ne mourût sans recevoir le baptême in articule mortis. C’étaient eux qui prévenaient les prêtres quand il y avait un malade à visiter. Dans le cadre de l’action « sociale chrétienne », les bakuru b’inama ainsi que les membres de leurs groupes s’intéressaient aux pauvres à soulager. Aussi, les voyait-on inviter les chrétiens à aller construire une hutte pour une veuve, pour des gens éprouvés par l’incendie, etc. Ils allaient même jusqu’à solliciter, auprès des Pères Blancs, une aide pour les nécessiteux païens de leurs collines.
En plus de leur action auprès de leurs concitoyens, les chefs des groupes se tenaient en étroite liaison avec la Mission. Quand la distance n’y mettait pas obstacle, ils s’y rendaient une fois pendant la semaine ainsi que le dimanche ou au moins le dimanche seulement pour faire état de la marche de la chrétienté de leurs localités, chose que les missionnaires ne pouvaient pas régulièrement savoir sans leur rapport. Dans ce cas, les bakuru b’inama étaient l’œil du curé comme ils étaient les agents d’exécution de ses directives. En effet, une fois par mois, ils prenaient part à l’assemblée des chefs des groupes: « C’est là que le pasteur (le curé) donne ses directives, après s’être informé de l’état moral et spirituel de chaque région ». Dans les rapports qu’ils faisaient, il n’était pas seulement question des baptisés. Ils parlaient également des catéchumènes etétablissaient plus ou moins la tactique à employer pour gagner les gens encore à l’écart de l’instruction religieuse chrétienne. Pour s’acquitter de cette dernière tâche, ils collaboraient étroitement avec des catéchistes dont les attributions originales trouvaient à s’appliquer, non de loin en loin, mais chaque jour, au milieu des catéchumènes et qui, par ce fait même, connaissaient assez bien les problèmes de ces aspirants et pouvaient suggérer des solutions capables de stimuler leur « zèle » au catéchuménat et au prosélytisme.
Mise à part cette contribution dans le contrôle de l’état de la chrétienté locale, les catéchistes assumaient un rôle bien spécifique dans Le mouvement des conversions: ils communiquaient l’enseignement religieux aux catéchumènes. Dans ce cadre, leur apport mérite d’être souligné parce que sans eux, les missionnaires, très peu nombreux par rapport à la population rwandaise, auraient vu leurs efforts condamnés à des succès assez lents dans le catéchuménat. A peine celui-ci aurait-il pu peut-être prospérer autour des Missions pour devenir inexistant dans les coins reculés où les Pères Blancs n’auraient pas eu un accès facile et régulier:
Pour parer à ce handicap éventuel de l’expansion du catholicisme, les missionnaires créèrent de bonne heure des succursales dotées des ibibeho = hangars devant servir de salles de catéchuménat et des catéchistes auxquels il était toujours donné une petite propriété à exploiter pour les besoins en produits agricoles. En plus du catéchisme qu’ils enseignaient, ces catéchistes devaient réunir hebdomadairement tous les postulants pour les prières. Ils se chargeaient, à la place des prêtres, de recruter des nouveaux adeptes, de leur rendre visite, de les inciter eux aussi à la « persévérance » et de maintenir ainsi leur marche vers le baptême. Dans le cas où parmi les catéchumènes il se trouvait des jeunes gens (8 à 20 ans), les catéchistes avaient la charge de leur donner « aussi les connaissances profanes élémentaires: lecture, écriture, calcul. »
En fin de compte, les catéchistes entretenaient autour d’eux un mouvement et une action missionnaires presque identiques à ceux que menaient les prêtres à la Mission. Ils agissaient comme des représentants officiels des Pères Blancs. D’où quelques tentations souvent remarquées d’afficher leur importance auprès de leurs voisins, d’agir comme des détenteurs des pouvoirs spirituel et temporel et de mettre des abus: »Devenus propriétaires de lopins de terre, ils les mettaient en culture par les catéchumènes, à titre de rémunération, de corvée. D’autres, contre tout droit, menaçaient de rafler tous les enfants d’une famille pour les inscrire parmi les postulants. « Cependant, se reprenaient-ils, nous abandonnerions nos prétentions draconiennes, si vous, les parents, vous consentiez à racheter vos garçons et filles avec quelques houes ou du petit bétail. » Les pauvres simplets versaient la rançon et le catéchiste s’enrichissait sans trop de soucis. »
C’était au temps des premières conversions. Ce comportement pouvait avoir des mauvaises répercussions sur les conversions des gens. Mais, dans cette Société rwandaise où toute personne qui détenait un pouvoir du Roi ou du Blanc faisait la loi, ces agissements passaient pour normaux de temps en temps. Dans le cas où il y avait exagération, les chefs de groupes, les bakuru b’inama intervenaient et dénonçaient les catéchistes chez les Pères. Pour corriger ces manquements, les supérieurs des stations convoquaient périodiquement les catéchistes à la Mission pour les instructions et des recommandations pouvant remédier aux lacunes et aux erreurs. Pour diminuer aussi ces dernières, les Pères Blancs multiplièrent le nombre de catéchistes parce qu’ils pensaient que des abus provenaient de la situation monopoliste des premiers catéchistes.
Cette dernière façon de réagir des Pères Blancs fut non seulement une solution aux manquements de leurs auxiliaires, mais elle devint aussi un moyen d’atteindre la population et de convertir davantage les gens au catholicisme: plus le nombre de catéchistes et de succursales augmentait, plus le chiffre de catéchumènes grossissait. Ici, il y a lieu peut-être de se demander si le nombre de postulants était à la base de celui de catéchistes ou si plutôt le nombre de catéchistes entraînait celui des catéchumènes. Aujourd’hui, c’est le nombre d’adhérents qui appelle à la création des nouvelles succursales, de même que le nombre de chrétiens préside souvent à la fondation d’une nouvelle paroisse. Mais dans les débuts, il fallait se fixer dans une localité pour attirer ses habitants au catéchisme. Autrement dit, la présence d’un catéchiste était nécessaire pour l’augmentation des postulants dans une région.
Parmi d’autres auxiliaires qui ont contribué à faciliter la tâche des Pères Blancs se trouvaient des Religieux et des Religieuses. En entrant au Rwanda, Mgr Hirth et ses prêtres amenèrent avec eux le Frère Anselme, des Frères da la Société des Pères Blancs. Vrais missionnaires eux aussi, ces Religieux se consacraient aux travaux d’installation et de développement des stations. Alors que les Pères Blancs s’employaient à l’instruction religieuse, les Frères coadjuteurs s’occupaient des cultures des champs, de la construction des maisons d’habitation nécessaires à la Mission, des salles de catéchuménat et des églises. Pour s’acquitter de leur tâche de constructeurs et de promoteurs du développement matériel de la Mission, ces Frères limitèrent leur action à la surveillance et à la direction des ouvriers qu’ils « formaient eux-mêmes patiemment ». Etant peu nombreux (ils étaient seulement 10 Frères dans tout le pays en juin 1931, c’est-à-dire un Frère par Mission exception faite pour Rwaza, Mibilizi, Rulindo, Kigali et Butare qui n’avaient aucun Frère Blanc), ils travaillaient en collaboration avec les Pères qui participaient eux aussi à des travaux de construction, de culture, etc.
Ainsi occupés, les Frères de la Société des Pères Blancs n’eurent jamais à se dépenser dans l’enseignement des jeunes rwandais. Cette tâche fut laissée aux Frères de la Charité de Gand qui, sur demande du gouvernement belge, s’occupèrent de l’école d’Astrida (Butare) et aux Frères rwandais, les Bayozefiti – Joséphistes. Les premiers, s’occupant des élèves du niveau secondaire, ce furent des Bayozefiti qui eurent à travailler avec les Pères Blancs dans les écoles primaires et pour l’enseignement du catéchisme. Née en 1912, l’œuvre des FrèresJoséphistes eut une enfance longue, elle faillit même mourir, quand en 1929 elle se réveilla. Jusqu’à cette date, elle n’avait eu qu’un seul membre, le Frère Oswald qui mourut en 1926 après dix ans de vœux. C’est dire qu’en réalité, la Congrégation des Bayozefiti a connu sa vraie fondation quand Mgr Classe a repris l' »œuvre sur des bases plus larges en 1929; le 31 août 1931, 21 jeunes gens faisaient leur première profession et fondaient les deux premières fraternités de Kabgayi et de Rwamagana ». C’est dire également que la présence des Bayozefiti auprès de la jeunesse rwandaise a été effective et assez marquée à partir de 1931.
Avant eux, une autre Congrégation religieuse, celle des Sœurs Blanches avait commencé à travailler au milieu de la population comme auxiliaire des Pères Blancs: « Le grand événement de cette année a été l’arrivée des Sœurs Blanches (le 12 mars 1909). Elles ont eu évidemment un succès de curiosité: tout le monde voulait voir ces « Babikira » d’Europe. Mais surtout leurs œuvres semblent devoir prospérer. »
Ces œuvres consistèrent d’abord aux soins des malades: les Sœurs s’occupaient du matin jusqu’à midi à distribuer des remèdes et à panser les plaies.
L’arrivée des Sœurs Blanches nous paraît importante dans le domaine de la santé car, comptant parmi elles des Sœurs infirmières, les soins médicaux devinrent « plus efficaces », et « plus réguliers » que ceux prodigués Jusque-là par les Pères Blancs, pris par de nombreuses activités d’une Eglise naissante et moins compétents dans la science de la santé. En même temps donc, les Sœurs Blanches allégèrent la tâche des Pères mais maintinrent ou accrurent l’affluence des malades et elles inaugurèrent la permanence des dispensaires dans le pays. Avec les soins assurés par les Pères Blancs, nous sommes arrivés à un chiffre hypothétique de 45,560 malades soignés dans tout le Rwanda entre 1900 et le 30 juin 1904. Après l’arrivée des Sœurs Blanches, nous constatons que ce nombre hypothétique, soit-il, est proche de la réalité et aurait même tendance à diminuer l’effectif des soignés car, à partir de 1912-1913, les malades soignés à la Mission se comptèrent par dizaines de milliers dans tout le pays et quelquefois par milliers aussi dans certaines Missions.
En plus des soins aux malades, les Sœurs Blanches s’occupèrent des écoles pour fillettes et garçons. Elles œuvrèrent d’abord à Save puis elles s’installèrent à Nyundo, Rwaza, Zaza et Kabgayi. Leurs écoles « connurent des développements rapides et les Pères n’eurent qu’à se louer du concours de ces maîtresses pour la préparation à la communion précoce de centaines d’enfants des deux sexes. » Quand le régime secondaire d’enseignement subsidié fut introduit au Rwanda, les Sœurs Blanches s’y intégrèrent. En 1931, elles avaient sous leur direction 10 écoles totalisant 3374 élèves.
Entre toutes leurs préoccupations, les Sœurs Blanches réservèrent une place à la formation de la « gent féminine » rwandaise devant se consacrer, comme elles, au service de Dieu et à celui des âmes de leurs compatriotes. La première tentative de la fondation de la Congrégation des Benebikira – Filles de la Vierge Marie, fut entreprise en 1911, mais elle ne « prit forme qu’en 1913 lorsque Mère Ignace des Sœurs Blanches reçut à Rwaza 4 jeunes filles désirant se donner à Dieu. (L’essai) fut enfin consacré par l’entrée au noviciat de 7 postulantes le 8 décembre 1916. La première profession religieuse date du 25 mars 1919 (Sœur Yohana,+ 4 décembre 1940). » Dès lors, les Sœurs rwandaises grossirent progressivement les rangs des Religieuses travaillant dans les Missions. En juin 1930, les Benebikira étaient au nombre de 23 sur 33 Sœurs Blanches, l’année suivante, 29 sur 34.
Comme les fondatrices de leur Congrégation, les Benebikira s’occupèrent des soins aux malades, des écoles et du catéchisme. De plus, elles s’appliquèrent à la fabrication des hosties. Mais leur part dans le mouvement des conversions releva surtout de la place qu’elles donnaient aux visites dans les collines voisines et même éloignées de la Mission. Connaissant les coutumes de leurs congénères, sachant par quel côté les aborder et comment les intéresser à un sujet à l’ordre du jour: le catéchuménat, les Benebikira conquirent « plusieurs » familles au catholicisme et revigorèrent souvent les « chrétiens chancelants ».
La réussite des Religieuses et religieux rwandais auprès de leurs compatriotes ne nécessite pas une longue explication. Leur facilité d’action apostolique découlait de leur exacte connaissance de l’homme rwandais et de son milieu, du respect que les gens leur réservaient et de l’audience qu’ils leur accordaient parce qu’ils étaient des leurs. Aussi pouvons-nous dire que l’une des grandes composantes du succès des missionnaires catholiques demeure le fait d’avoir formé de bonne heure des auxiliaires autochtones et de les avoir employés comme des agents de l’Eglise dans leur pays. Les Pères Blancs du cardinal Lavigerie estimèrent dès les débuts que leur tâche consistait aussi à créer un clergé séculier indigène. Leurs préoccupations furent subordonnées à cette œuvre, certaines fois même, quelques activités durent lui être sacrifiées. Cela se comprend quand nous nous représentons le petit nombre des Pères Blancs qui se destinaient à évangéliser tout un continent, l’Afrique. Dans le cas du Rwanda, comment Mgr Hirth et ses deux prêtres ainsi qu’un Frère Coadjuteur pouvaient-ils prétendre, en entrant dans le pays, atteindre plus d’un million d’habitants s’ils n’étaient pas secondés plus tard par des prêtres autochtones? Les Pères devaient obligatoirement regarder du côté de ces derniers car la Société des Missionnaires d’Afrique était loin d’envoyer suffisamment d' »ouvriers » dans la grande « moisson » qui s’étendait devant ses yeux.
En face de cette réalité, Mgr Hirth eut en tête l’idée de former rapidement des prêtres noirs en Afrique équatoriale. Aussi, fonda-t-il un séminaire à Rubya, dans Hangiro (Tanzanie), pour y préparer quelques Africains devant renforcer le contingent des Pères Blancs et prendre part dans la « mission évangélisatrice » de leurs pays respectifs. Ce fut dans cette perspective qu’il réclama 15 jeunes rwandais, à peine baptisés, pour lesintégrer dans sa pépinière des bords du Lac Victoria. De ce premier groupe de séminaristes rwandais, sortirent six prêtres: les abbés-Donat Reberaho,Balthazar Gafuku, Joseph Bugondo, Isidore Semigabo, Jovite Matabaro et Gallican Bushishi. Les deux premiers furent ordonnés le 7 octobre 1917. D’après le Père Weekerlé, supérieur de la Mission de Kabgayi, les cérémonies d’ordination amenèrent les gens à « aimer » la Religion chrétienne.
Ces jeunes prêtres commencèrent ainsi à attirer du « monde’ vers le catholicisme:« Cette cérémonie a laissé une impression durable sur notre population de Kabyayé. (…) Les catéchumènes et plusieurs chefs païens, ainsi que les parents des heureux élus, avaient reçu l’autorisation d’entrer ce jour-là à l’Eglise. Ils virent se dérouler devant leurs yeux étonnés les belles cérémonies de l’ordination. Quand ensuite la procession sortit de l’église (…), tout le monde voulait voir les deux nouveaux prêtres, car tous sentaient que leur race était particulièrement honorée en ce jour (…). Certains païens exprimaient à haute voix le désir de se faire instruire et d’autres disaient que les nouveaux prêtres seraient un gage de bénédiction pour le pays. »
Cet événement, le premier dans l’histoire du Rwanda, en plus d’avoir donné à l’Eglise catholique des « sacrificateurs » autochtones, marquant ainsi un grand pas de la conquête de l’Évangile parmi les Rwandais, il est venu valider, comme « signe extérieur », le mouvement des conversions né avec l’entrée des Belges dans le pays. L’ordination de ces deux prêtres a été aussi le début de la réalisation du plan de Mgr Hirth: la participation du clergé indigène dans l’expansion des Missions; autrement dit, la conquête des Rwandais par les Rwandais formés à cette fin et conquis à la cause de 1″oeuvre civilisatrice » et « missionnaire » des Pères Blancs.
Dans l’esprit d’augmenter le clergé séculier indigène, Mgr Hirth avait fondé entretemps un petit et un grand séminaire au Rwanda. A l’ordination de Gafuku Balthazar et de Reberaho Donat, le petit séminaire de Kabgayi comptait 107 séminaristes tandis que le grand séminaire en dénombrait 73. A la fin de la période que nous étudions, soit en 1931, le grand séminaire Saint-Charles de Kabgayi avait formé 14 prêtres rwandais (y compris l’abbé Donat Reberaho, décédé le 1er mai 1926) et 8 prêtres burundais.
Avec les Pères Blancs, ces Abbés s’occupèrent de la vie chrétienne au Rwanda. Quelques-uns travaillèrent avec ceux-là dans les mêmes stations de Mission, quelques autres dirigèrent eux seuls certaines Missions. En 1930-1931, trois prêtres rwandais présidèrent aux destinées de la Mission de Rulindo qui avait à cette époque 5825 catholiques (baptisés et catéchumènes), les onze autres œuvrèrent dans des Missions où il y avait des Pères Blancs:
« De nos prêtres indigènes (…) nous devons donner bon témoignage. Leur esprit est certainement bon; ils sont dévoués et travaillent avec zèle dans les différents ministères qui leur sont confiés. Une bonne entente et la confiance règnent entre Pères Blancs et Prêtres indigènes, et ces chers abbés ne cachent pas leur préférence et leur désir de vivre et travailler avec les Pères Blancs plutôt que seuls dans des stations à eux. Nous ne pouvons que demander à Dieu de conserver ce bon esprit mutuel: il est pour le bien des âmes et sa gloire. »
« Dévoués » et « zélés », les prêtres rwandais contribuèrent à l’accomplissement de la mission « évangélisatrice » et « civilisatrice » des Pères Blancs. Par leur esprit de collaboration, ils aidèrent ces derniers à implanter l’Eglise catholique au Rwanda. Aussi, revenons-nous à ce point: sans la part des auxiliaires autochtones aussi, les efforts des Pères Blancs n’auraient pas suffi pour assurer l’expansion de l’œuvre missionnaire au Rwanda comme le démontre la répartition du personnel des Missions catholiques en 1930-1931.