Quand on parle de la 1ère guerre mondiale, un observateur non averti voit son esprit et ses considérations se porter uniquement vers les grands pays industriels d’Europe et d’Amérique du nord alors que l’Afrique et l’Asie ont été concernées d’une manière parlante par cet évènement dont le monde entier garde encore actuellement de tristes souvenirs.

Commencée en Europe, la 1ère guerre mondiale s’est étendue et a touchée les pays colonisés qui se sont vus obligés de prendre part aux combats dont ils ignoraient le bien fondé et en ont été même le théâtre.

Le Rwanda qui, depuis la fin du XIXème siècle, était sous le protectorat allemand et appartenait donc colonialement à l’Allemagne, fut le champ de bataille où luttèrent les Allemands contre les Belges.

Les Rwandais participèrent activement à cette guerre pour deux raisons essentielles. Premièrement, ce fut à la demande allemande que la cour royale du Rwanda dut fournir des combattants recrutés essentiellement parmi les membres de la garde royale. La plupart des premiers combattants sortirent des Compagnies INDENGABAGANIZI et IZIRUGURU. Il va sans dire que la cour de Nyanza ne pouvait pas obtempérer à la sollicitation des Allemands. Deuxièmement, les autorités rwandaises décidèrent de se ranger du côté des Allemands et de prendre une part active aux combats, parce que le mwami Musinga avait obtenu des Allemands la promesse comme quoi, en cas de victoire qui ne pouvait pas faire doute à ce moment, le royaume du Rwanda serait rétabli dans ses anciennes frontières et recouvrir ses anciens districts du Bfumbira, anciens du Rucuro, du Bwishya et toute l’île Idjwi. Toute la cour et tous les grands du royaume étaient satisfaits de cette promesse car ils la voyaient vite réalisable étant donné qu’ils croyaient fermement à l’invincibilité des Allemands qu’ils savaient “durs comme du fer”.

Déroulement de la première guerre mondiale au Rwanda

Il est affirmé que ce fut le 15 Août 1914 que les Allemands violèrent par les armes la neutralité du bassin conventionnel du Congo. Ce jour, ils attaquèrent Uvira et coupèrent les lignes télégraphiques. Le 22 Août 1914, leur steamer von Wissmann de 50 tonnes mit hors de service l’Alexandre Delcommune, seul steamer belge du lac Tanganyika et s’assurèrent ainsi sans peine la maîtrise du Tanganyika sur lequel se trouvait aussi le steamer allemand Kingani de 20 tonnes. Plus tard, en Juillet 1915, les Allemands mettront encore sur le lac Tanganyika le Graf von Götzen de 350 tonnes, armé de 3 canons et d’une mitrailleuse.

Quand donc la guerre éclata sur la frontière occidentale de l’Ost Afrika, l’Allemagne avait de grandes forces en armes et munitions, en outillage militaire de tout genre et en personnel blanc et noir. On peut penser que ce fut à cause de cette situation que les Belges retardèrent la réplique et que les combats s’engagèrent à proprement parler environ un an après le déclenchement des hostilités.

Au moment où l’offensive belge commença, soit en Décembre 1915, les forces allemandes concernées par la défense du Rwanda formaient à l’ouest et au nord trois groupements principaux : Le premier groupe d’environ 1.000 hommes sous le commandement du capitaine Wintgens devait s’occuper au nord-est du lac Kivu de fortes positions sur les sommets des collines bordant la rivière Sebeya :

« Les ouvrages de campagne avec fossés profonds, bien flanqués, à l’abri d’une attaque de vive force, étaient reliés entre eux par des courtines et des boyaux de communication. Il y avait en outre des détachements défendant la rive Est du Kivu, ‘notamment à Shangugu et à Rubengera. On attribuait au capitaine Wintgens un millier d’hommes de troupes régulières soutenues par l’artillerie et des mitrailleuses».

Le deuxième groupe d’environ 700 hommes était placé sous les ordres du major von Langen. Il devait défendre la Ruzizi et avait également des détachements à Usumbura, à Kigoma et à Ujiji.

Enfin, le capitaine Godovius devait faire face aux troupes anglaises de la basse Akagera et il avait à sa disposition environ 1.500 hommes: « Toutes ces troupes étaient bien organisées, encadrées de nombreux Européens, armés de fusils à tir rapide, soutenues par une forte proportion d’artillerie et de mitrailleuses».

En plus de cette organisation et de cet encadrement, les chefs militaires allemands avaient l’avantage important d’opérer dans un terrain dont ils connaissaient bien la topographie et les ressources.

« Cette supériorité jointe aux difficultés d’accès du terrain, aux fortifications créées sur les lignes d’opérations obligées, mettaient les Allemands dans des conditions très favorables, qui expliquent leur longue résistance et aussi certaines retraites qu’ils parvinrent à exécuter ».

Les forces belges portées à la frontière de l’Est Africain Allemand, c’est-à-dire sur le lac Tanganyika, la rivière Ruzizi et au nord du lac Kivu, furent mises sous le commandement du Colonel d’Etat-major Tombeur, qui reçut le grade de Général en 1916. Ces forces comprenaient 14 bataillons, groupés en 4 régiments et ceux-ci en 2 brigades. Trois batteries de 4 pièces à tir rapide étaient attachées aux brigades, ainsi que les unités techniques et les unités auxiliaires.

Voici le tableau du détail de cette organisation tel que le donne le Lt Général Baron Wahis :

A) Brigade Nord :

3ème  régiment (VIIe, XIe et Xe bataillon)

4ème  régiment (Xle, XlIe et XIlle bataillon)

1ère et 3ème batteries de 70 millimètres St Chamond,

1ère compagnie de pionniers-pontoniers d’Afrique, une compagnie de télégraphistes.

Un service médical comprenant :

Un hôpital de base

Deux hôpitaux volants.

B)- Brigade Sud :

1er  régiment (1er ,IIe, Ille bataillons).

2ème  régiment (IVe, Ve et VIIe bataillons).

2ème  batterie de 70 mm. St Chamond (une 4ème  batterie St Chamond rejoignit les troupes après la prise de Tabora).

2ème  compagnie de pionniers-pontonniers d’Afrique.

Un service médical comprenant :

Un hôpital de base.

Deux hôpitaux volants.

Chacune des brigades comprenait en outre des services de l’intendance, de la trésorerie, de l’aumônerie, de l’auditorat et de l’arrière.

Le bataillon, unité mixte, comprenait en principe 3 compagnies d’infanterie, deux sections de mitrailleuses et une section d’artillerie de 4,7 cm. Sa force était de 700 hommes.

A chaque régiment était rattachée une section spéciale de mitrailleuses …..

Au début de la campagne de 1916, le XIVe bataillon (commandant Weiler) avait été adjoint à la brigade Nord.

Brigade Sud : lieutenant-colonel Olsen, avec le capitaine commandant A.E.M. Libert comme chef d’état-major.

En vue de l’exécution du plan d’offensive, les troupes belges occupaient des positions suivantes face aux frontières du territoire colonial allemand. La brigade nord, sous le commandement du colonel Molitor, avait son 4e régiment et le XIVe bataillon en face de la ligne allemande de la Sebeya. Ces troupes avaient de fortes positions sur le mont Goma et les plateaux au nord-est.

La brigade sud, sous les ordres du lieutenant-colonel Olsen, avait à la gauche, son 1er régiment dans la région de Kilawa, au sud-ouest du lac Kivu ; à la droite, le 2ème  régiment avait un bataillon à Luvungi et un bataillon à Uvira.

Conformément aux instructions du commandant en chef :

« La brigade Molitor fut divisé en deux groupes.

« Le premier, composé du 3e régiment renforcé par le XIVe bataillon et une batterie et demie St-Chamond devait se porter sur Lutobe où il recevait ses porteurs venus de l’Uganda.

Il avait à marcher sur Kigali, nœud de communication, grand centre de population ; éventuellement il se porterait vers l’Ouest pour couper la retraite aux troupe de la Sebea.

Le 2e groupe, composé du 4e régiment et d’une demie batterie St-Chamond, devait par des préliminaires d’attaque maintenir l’ennemi sur sa forte position de la Sebeya.

La brigade sud (colonel Olsen) devait concentrer son 1er régiment à Kilawa, pointe sud du lac Kivu et se porter sur Nyanza en refoulant les troupes de Shangugu et celles du major von Langen».

Ce descriptif offensif belge qui allait se déployer d’une manière décisive sur le Rwanda à partir du 21 Avril 1916 avait eu des préambules victorieux : le steamer Kingani est coulé le 26 Décembre 1915, le von Wissmann est coulé le 9 Février 1916 seul le Graf von Gôtzen restait menaçant et conservait aux Allemands la supériorité sur le lac Tanganyika. Mais, traqués de tous côtés, les Allemands couleront eux- mêmes ce steamer avant la reddition de Kigoma. Ils feront de même pour   l’embarcation du lac Kivu. Ainsi, les belges obtinrent la maîtrise sur les eaux du Tanganyika et du Kivu et se portèrent sur les rives droites de ces  lacs. Pour ce qui est du Rwanda, les forces offensives belges se ” déployaient dans l’ordre suivant, tel que le donne le lieutenant Général Baron WAHIS :

« Les opérations commencèrent le 21 Avril.

Un bataillon, le VIIIe avec une section d’artillerie Saint Chamond, une section du génie, précédé d’une avant-garde d’une compagnie du IXe bataillon, marcha directement sur Kigali. Les autres s’y portèrent par l’Est du lac Mohasi, pour faire tomber immédiatement toute résistance qui se serait produite à Nyanza (Ouest du lac), point facile à défendre. Le 30 Avril, le VIIIe bataillon attaqua et prit le fort de Kasibu. Il continua sa marche par l’Ouest du lac sur Kigali.

Le Xe bataillon marcha sur Batangata et porta deux compagnies vers l’Est pour faire la reconnaissance de la Kagera et tâcher d’avoir des renseignements sur les forces du capitaine Godovius.

Les IXe et XlVe bataillons arrivèrent à Kigali, le 9 Mai.

Le 15 Mai, le IXe bataillon se porta sur Mogo où s’était retirée la garnison de Kigali.

Ce même jour, une compagnie du XIVe bataillon passa la Nyawongo à l’Ouest de Kigali.

Le 16 Mai, le restant du bataillon franchit à son tour l’obstacle.

le 17, le XIVe bataillon avec 3 mitrailleuses fut acheminé sur Kirundo en vue de couper la retraite aux forces de Wintgens. D’autres troupes devaient suivre.

Le 18 Mai, un télégramme du major Rouling, commandant du 4e régiment, annonce que Wintgens a abandonné la position de la Sebea.

Le 20 Mai, le lieutenant-colonel Huyghé reçut le commandement du groupement opérant à l’ouest du Nyawarongo et comprenant les XIVe et VIIIe bataillons et une batterie Saint Chamond. Arrivé à Nyanza, le 22 Mai, il y rencontra le groupement Muller. Parti de Shangugu le 4 Mai, celui-ci avait atteint son objectif le 10, après avoir, dans un combat important, battu l’ennemi qui l’occupait.

Il apprit que le capitaine Wintgens commandant des forces allemandes du Nord avait déjà dépassé Isawi au Sud de Nyanza.

Celui-ci avait très habilement échappé à l’étreinte qui le menaçait, mais le but était en partie atteint, puisque le major Rouling avait pu, sans éprouver de fortes pertes, parvenir à déloger l’ennemi de la position bien fortifiée de la Sebea.

Le major Rouling pour ménager ses troupes avait commencé, le 5 Avril, une attaque pied à pied, mais le manque d’artillerie rendit ses progrès difficiles. Dès le 27 Avril, il s’aperçut que les Allemands préparaient l’évacuation de leurs positions.

Ils avaient évidemment des renseignements sur la marche des colonnes qui devaient les envelopper.

Pour contrarier ces préparatifs et si possible leur couper la retraite, le major Rouling fit une attaque avec un bataillon sur la droite de la position ; elle fut repoussée, le 5 Mai.

Le Bataillon se retira sur une forte position en dehors de l’aile droite ennemie.

L’arrivée d’une batterie d’artillerie de 70 mm décida le major Rouling à renouveler ses attaques et dans la journée du 11 Mai, deux ouvrages avancés furent enlevés de vive force ; la nuit suivante les Allemands abandonnèrent leurs positions.

Le manque de porteurs retarda la poursuite qui ne commença que le 14, par une marche sur Rubengera où se trouvait alors le gros des forces allemandes.

Elle fut continuée sans arrêt vers Nyundo, mais l’ennemi avait une avance de trois jours et ne fut pas rejoint.

Nous avons vu que le major Muller était arrivé à Nyanza à peu près en même temps que le lieutenant Huyghé.

Parti de Kilawa au Sud du Kivu, le 18 Avril, le major Muller avait très habilement manœuvré pour prendre Shangugu fortement occupé par l’ennemi. Un de ses trois bataillons avec une batterie de 4e, 7 passa le lac Kivu sous la protection de la canonnière “Paul Renkin” et se porta sur Shangugu par le Nord.

Les deux autres bataillons passèrent la Ruzizi à quelque distance en aval de Kilawa, opération difficile vu la force du courant. Ils se portèrent sur Shangugu par le Sud.

Le poste sous cette double pression tomba sans combat important.

Jusqu’au 2 Mai, le commandant de la brigade Sud maintint ces trois bataillons dans la région de Shangugu pour préparer la marche sur Nyanza. Une tête de pont fut établie sur la Ruzizi à Nyalukemba et gardée par le premier bataillon.

Le second régiment de la brigade Sud avait à couvrir le flanc droit du premier régiment. Une tête de pont fut établie sur la Ruzizi à May-a-Moto.

Le 4 mai, le Major Muller commença son mouvement sur Nyanza. Il disposait des IIe et IIIe bataillons et de la seconde batterie St-Chamond,

La nature montagneuse du pays et le manque de chemins l’obligèrent à faire un mouvement étendu vers le Nord.

Le 11 Mai seulement, il est à Mitabili où iI crée une base intermédiaire.

Le19; Combat sérieux contre des forces du major von Langen, il arrive à Nyanza.

 

Le chef Muzinga, roi du Rwanda, vint y faire sa soumission.

Cette marche à travers un pays très montagneux, n’ayant, sur la ligne suivie, pas grandes ressources, fut très bien conduite ; elle fait grand honneur au commandant des troupes.

L’ennemi qui avait passé entre les colonnes Huyghé et Muller était arrivé à Isawi.

Celui-ci dirigea de fortes reconnaissances dans cette direction et, le 23 Mai, ce poste fut occupé par un bataillon ».

La fin de la première guerre mondiale au Rwanda

 La prise de Kigali (le 9 Mai 1916), capitale administrative et nœud principal des voies de communication était un coup dur pour les forces allemandes engagées au Rwanda. La veille, le fort avait été évacué par les Allemands et les 40 soldats qui y tenaient garnison.

Tandis que Kigali tombait sous l’occupation des troupes belges, le capitaine Wintgens instruit de la manœuvre belge de l’encercler quitta ses positions fortes dans le Bugoyi dans la nuit du 11 au 12 Mai 1916. Les Rwandais qui ne comprenaient pas la fuite devant un ennemi dominé s’énervèrent et faillirent même se révolter contre Wintgens. Bon tacticien, il parvint à éviter l’encerclement de ses troupes : il passa par Murunda, Rubengera et parvint à Nyanza avant l’officier belge Muller qui était parti de Shangugu le 5 Mai 1916 et qui prit Nyanza, capitale indigène du Royaume du Rwanda le 19 Mai 1916. En se retirant de Nyanza, Wintgens laissa au mwami 2 drapeaux blancs à hisser à l’arrivée des Belges afin que la cour ne soit pas bombardée. L’un fut hissé sous les balles des Belges tandis que Senyakazana agitait l’autre devant les tirailleurs belges jusqu’à ce qu’il le remit personnellement à Muller. Après quoi le tir cessa.

La prise de Nyanza jeta la cour dans le désarroi. Tout d’abord, le mwami, les notables et le peuple rwandais en général ne comprenaient pas comment l’Allemand pouvait être évincé et chassé de son territoire. De plus, l’échec des Allemands signifiait pour les Rwandais la perte définitive des territoires naguère- appartenant au Rwanda et laissés aux Belges et aux Anglais lors des délimitations coloniales entre les pays européens engagés dans la colonisation en Afrique.

Enfin, pour Musinga, mwami du Rwanda, le départ des Allemands l’inquiétait beaucoup car d’une part il perdait en eux les défenseurs de son pouvoir, les unificateurs de son pays et les punisseurs des récalcitrants et des dissidents. Avec la fin de la guerre, il pouvait donc craindre que ceux qui ne voulaient pas de son autorité puissent se soulever de nouveau ou qu’ils pouvaient se mettre du côté des Belges et que ceux-ci pouvaient les aider. Dans les milieux politiques indigènes rwandais, on se demandait, les uns avec inquiétude, les autres avec curiosité, comment les Belges allaient diriger le pays. Allaient-ils agir, en face du pouvoir local et des institutions traditionnelles qui le sous-tendaient, comme les Allemands, c’est-à-dire, maintenir le statu quo ou allaient-ilss tout chambarder ?