La société indigène au Ruanda-Urundi est patrilocale et patrilinéaire pour les trois races : mutusi, muhutu et mutwa. Elle se crée et s’agrandit comme suit :

Le mugabo (la souche masculine).

C’est l’homme fait, capable de se marier et de porter le bouclier ingabo (s. e. d’aller à la guerre). En se mariant, il créera un ménage, cellule qui sera le point de départ des groupements ci-après.

L’inzu (la famille).

Ce vocable désigne d’abord la famille au sens strict, créée par le mugabo, c’est-à-dire lui, sa femme et ses enfants ; puis la famille au sens plus étendu, créée par les descendants masculins ou agnats : fils, petits-fils, arrière-petit-fils, etc., leurs femmes et leurs enfants. Il n’existe pratiquement pas de limite bien définie entre l’inzu et le groupement suivant umuryango. On vénère dans l’inzu l’esprit du fondateur défunt et l’on y pratique une exogamie relative qui sera examinée plus loin.

L’umuryango (le clan).

Le terme indigène désigne toutes les familles amazu issues d’un ancêtre commun. Un cas fréquent tant au

Ruanda qu’en Urundi, est constitué par les descendants d’un mwami déterminé qui donne son nom à un clan nouveau. Exemple pour le Ruanda : les Bahindiro constituent une branche des Batutsi Banyiginya issue du mwami Gahindiro. En Urundi, les Bezi comprennent tous les individus issus du mwami Mwezi ; il y a lieu de prendre en considération le fait qu’ils perdaient l’appellation de Bezi dès qu’en vertu d’un cycle quaternaire, un nouveau mwami Mwezi était investi, ils reprenaient alors le nom de l’umuryango du premier ancêtre fondateur. Dans Y umuryango, le culte à l’esprit de l’ancêtre fondateur est nettement relâché, mais l’on pratique l’exogamie comme dans l’inzu.

L’ubwoko (le groupe totémique ou phratrie).

Pour la facilité nous traduirons ubwoko en français par phratrie. Ce terme est parfois pris en Urundi dans le sens de race. Il concerne tous les clans groupés autour d’un ancêtre commun, réel ou mythique, et, en tous cas, autour d’un totem identique ; pour les Banyiginya, c’est la grue huppée ; pour les Bega, c’est la grenouille ; pour les Bagesera, c’est la bergeronnette, etc. Notons qu’il existe parfois un totem complémentaire à tel groupe de clans d’une phratrie déterminée. En règle générale, le nom de l’ancêtre fondateur est complètement ignoré, on ne lui rend aucun culte. Il y a lieu de noter l’existence ouverte de l’endogamie dans une phratrie aussi vaste que celle des Banyiginya ; par contre l’exogamie relative se rencontre dans toutes les autres phratries.

On ne trouve plus au Ruanda-Urundi de grandes tribus au sens réel du mot, qui consistent en l’agglomération plus ou moins nombreuse de familles placées sous l’autorité d’un même chef, vivant dans la même contrée et tirant primitivement leur origine d ’une même souche. L’on se trouve en présence de deux peuples, l’un du Ruanda, l’autre de l’Urundi, constitués par une multitude d’individus des trois races, fortement métissés, individus habitant leur pays respectif et soumis aux us et coutumes de celui-ci. L’endogamie est pratiquée au sein de chaque race, mais des fusions interraciales ont lieu fréquemment.

Chefs des groupements familiaux.

Chaque subdivision familiale possède son chef désigné dans la voie patrilinéaire par le choix d’un héritier au droit d’aînesse, question que nous examinerons lors des conséquences juridiques du décès sur les survivants. Ce chef est intitulé umukuru : le grand, ou umutware: l’administrateur, celui qui a la charge de, qui porte la responsabilité. Existent donc, correspondant à chaque groupement : l’umukuru w’inzu: chef de famille, l’umukuru w’umuryango : chef de clan, et, d’une façon rarissime, l’umukuru w’ubwoko: le chef de phratrie. Ce dernier est ipso facto chef d’un clan et d’une maison ; de même pour le chef de phratrie à l’égard de maisons déterminées.

Transmission de la parenté.

La parenté se transmet par la voie patrilinéaire : fils et filles sont Banyiginya puisque leur père fait partie des Banyiginya. En se mariant, les filles conserveront leur nom de phratrie mais, hormis le cas d’enfants naturels, elles ne transmettront pas ce nom à leur progéniture. Seul l’enfant issu d’une union illégitime pour laquelle le titre matrimonial n’a pas été constitué ou qui n’a pas été « racheté » s’insère dans la filiation matrilinéaire et prend en conséquence le nom du clan maternel ; ce cas est rare.

Adoptés.

Jadis faisaient partie des familles, les prisonniers de guerre emmenés en esclavage domestique ; ils étaient incorporés à la famille dont ils prenaient alors le nom, cette famille se chargeait éventuellement de les marier en versant elle-même les gages matrimoniaux. Ce cas ne se rencontre évidemment plus. Par contre, l’adoption d’enfants abandonnés et d’orphelins apparaît fréquemment au cours des famines et plus rarement en période normale. L’enfant adoptif prend le nom du clan de son tuteur qui veillera à lui faciliter le mariage, comme s’il s’agissait de son propre enfant.

Pacte de sang.

Nous avons donné une description du pacte de sang lors de l’examen du matérialisme des relations sociales (x). Ses conséquences ne sont pas d’ordre familial : elles demeurent sans effet sur la parenté juridique et sur la succession ; les conjurés ne se considèrent comme frères que dans l’assistance mutuelle ainsi que dans le contrat de bétail ugushega et le culte de Ryangomgombe-Kiranga, selon l’objet visé par le pacte de sang.

Umuse, parrain mystique.

Le substantif umuse vient de ise : le père (abase au pluriel) ; il n’est employé que pour désigner l’exécutant de la fonction ci-après. Par extension, il désigne les ancêtres au sens large.

L’umuse n’est jamais un parent direct ou indirect d’un individu déterminé, mais un représentant de l’une des phratries aborigènes que les immigrants trouvèrent installées dans le pays lors de leur arrivée. Son rôle consiste à servir d’intercesseur mystique entre les esprits de ces phratries et les membres des familles immigrées ; il consiste également à remplacer le père de famille dans certaines circonstances déterminées ; à cet égard, on peut le comparer aux attributions du parrain lato sensu.

Les phratries bahutu autochtones qui fournissent les parrains sont nommées abanyabutaka (litt. les gens du terroir, s. e. les premiers occupants du pays). On trouve parmi eux, les Bazigaba donnant les parrains aux Banyiginya et aux Bega; les Basinga aux Basita ; les Bagesera, à l’intérieur du Ruanda, deviennent parrains des autres clans ; en témoignage de réciprocité, Banyiginya et Bega fournissent des parrains aux Bazigaba. Ils jouissent de la plus parfaite considération auprès des clans qu’ils patronnent. Les membres de ceux-ci n’oseraient les interpeller par leurs noms, ce serait leur manquer gravement de respect. S’ils viennent à passer près d’une hutte en construction, ils auront droit à boire la bière réservée aux constructeurs car les Bazigaba baratanga ikibanza : ce sont les Bazigaba qui fournissent le terrain de construction ; n’abase : ce sont les ancêtres.

Le rôle du parrain apparaît notamment dans les cas suivants :

Lors de la recherche d’un emplacement pour cultiver et construire l’habitation, même en faveur du mwami ;

Il héberge la jeune fille qui, ayant été épousée par ruse et contre son goût, vient se réfugier chez lui afin de se délier magiquement du mauvais sort qui l’accable ; Il peut remplacer le père lors de la dation du nom d’un nouveau-né ;

Il peut être valablement substitué au mari, son père, frère ou successeur, dans tous les cas où la coutume prescrit l’accomplissement d’une copulation rituelle.

Il peut remplacer le frère du défunt dans les rites de purification par le feu et l’onction de beurre, consécutifs au décès (4) ;

Il peut servir de témoin solennel à des actes importants de la société indigène ;

Il enfouissait les restes de l’arme ayant servi à l’accomplissement des prescriptions rituelles d’exorcisme, arme qui tua un membre du clan dont il est le parrain.

Le mariage.

Endogamie, exogamie et interdictions.

II convient d’aborder cette question avec beaucoup de circonspection avant d’émettre une hypothèse formelle en la matière. Selon la légende, le premier mwami du Ruanda, Kigwa alias Kimanuka, Muhima des Banyiginya Basindi, serait tombé du ciel (origine du droit divin de la monarchie) en compagnie de son frère Mututsi des Bega, et de sa sœur Nyampundu. Kigwa eut des rapports avec sa sœur pour obtenir une descendance, tandis que Mututsi épousa la fille née de cette union. L’endogamie allant jusqu’à l’inceste était donc admise, semble-t-il, lors de l’entrée des rois-pasteurs au Ruanda. Une telle conception ne doit cependant pas nous étonner, le mariage entre le prince et sa sœur est signalé chez les Bashona en Rhodésie, chez les Baganda, chez les Chillouks et les Founj, ainsi que chez les Pharaons. Toutefois cette notion n’est pas spéciale à l’Afrique, elle fut relevée par Morgan aux Iles Hawaï; elle se base sur la nécessité d’une pureté absolue du sang royal. Néanmoins, s’il existe un milieu, tant au Ruanda qu’en Urundi, où l’endogamie répugne, c’est bien celui des familles royales. La généalogie du Ruanda comprend des bami de la phratrie munyiginya ayant épousé surtout des femmes Bega, Baha, Basinga, Bakono et Bagesera. En Urundi, le mwami ne pouvait jamais épouser une fille de Muganwa (prince de sang royal) ; il devait la choisir parmi une famille mututsi de bonne renommée certes, mais en tous cas non apparentée : Benengwe, Banyakarama, Banyagisaka, Bahondogo.

Dans tous les grandes phratries batutsi, à l’exception de celle des Banyiginya, l’endogamie est strictement interdite tan t au Ruanda qu’en Urundi. Au Ruanda, rien ne s’oppose à ce que le mwami épouse une femme de sa propre phratrie, c’est-à-dire des Banyiginya ; toutefois, preuve que l’inceste répugne, le Code ésotérique prescrivait que ni le fils à naître de cette union, ni par conséquent sa mère, ne pouvaient régner. Les Banyiginya du Ruanda pratiquent l’endogamie dans la phratrie ubwoko, mais l’exogamie par rapport au clan umuryango. A titre d’exemple, en 1951, le chef Bideri des Banyiginya-Bahindiro (ancêtre, fondateur du clan, mwami Gahindiro) ayant pour totem la grue huppée umusambi, maria sa fille Madeleine Mukamazimpaka à Joseph Mpfizi des Banyiginya-Baka (ancêtre fondateur de la phratrie : Rwaka, fils du mwami Mazimpaka), ayant également pour totem la grue huppée.

Il semble qu’au fur et à mesure que l’on pénètre dans la masse du peuple, on approche de plus en plus de l’endogamie ; les mariages, faute de relations sociales dispersées dans le pays, devenant purement locaux, au point, que l’on recherche même le mariage entre cousins croisés. Le mariage est interdit :

1) Entre la fille et son père, entre le fils et sa mère ;

2) Entre la fille et son grand-père, entre un garçon et sa grand-mère ;

3) Entre une sœur et son frère ;

4) Entre une fille et son oncle maternel, paternel, ou ceux du conjoint ;

5) Entre un garçon et sa tante maternelle, paternelle ou celles du conjoint ;

6) Entre les enfants de deux sœurs ;

7) Entre les enfants de deux frères ;

8) Entre les petits-enfants d’un frère et d’une sœur ; ils sont considérés comme frères et sœurs, s’ils sont du même groupe totémique ;

9) Entre un homme et sa belle-mère (mère de sa femme) ; par contre, rien n’empêche le beau-père d’épouser sa belle-fille ni le beau-frère d’épouser sa belle-sœur, c’est même leur droit lorsqu’elle est veuve.

En principe, c’est le sang paternel, donc l’appartenance à un groupe totémique déterminé, hormis celui des Banyiginya, qui est pris comme base de discrimination aux interdictions de mariage entre collatéraux ; nous écrivons « en principe » car les enfants de deux sœurs, donc des cousins, relèveront du totem de leur père, c’est-à-dire presque toujours de totem s différents et cependant il y aura pour eux interdiction de se marier.

Par contre, le mariage est parfaitement admis entre les cousins issus de frère et sœur. La raison donnée étant que la sœur en épousant un individu d’un groupe totémique différent du sien, donne naissance à des enfants suivant la lignée masculine de ce groupe et par conséquent d’un autre sang paternel. Dans cet ordre d’idées, le R. P. DUFAYS s écrivait, en parlant du Kinyaga (Shangugu-Ruanda) :

« Ici, l’union entre cousins germains est particulièrement prisée et recherchée. La raison de cette vogue qui même parmi nos chrétiens plus tard, a trouvé des défenseurs décidés, est inconnue. Leur argument étant que de tout temps au Kinyaga on s’est ainsi uni».

De son côté, Sim o n s déclare qu’en Urundi ces mariages sont également très recherchés. Les mariages entre cousins croisés ont donné naissance à l’axiome : « ababyara babyalirana abageni » : les cousins (s. e. enfants de frère et sœur) engendrent l’un pour l’autre des épouses. Ces mariages entre cousins croisés peuvent avoir lieu à l’infini.

L’affirmation de certains théoriciens du totémisme prétendant qu’il n’existe jamais de mariage entre des individus appartenant à un même totem, se révèle inexacte au Ruanda-Urundi : l’endogamie existe dans tout le groupe totémique des Banyiginya ayant pour totem la grue huppée ; par ailleurs, le fait d’appartenir à des totems différents n’est pas toujours de nature à tolérer le mariage ainsi que nous l’avons vu dans les interdictions ci-dessus. Cette règle du totémisme n’avait d’ailleurs pas été énoncée par Salomon REINACH, qui en 1900, formula un code en douze articles, sorte de catéchisme du totémisme. FRAZER dans Totemism and Exogamy signala que totémisme et exogamie sont deux institutions fondamentalement distinctes par leur origine et par leur nature. Enfin F r e u d ajouta qu’à son avis, « il est presque ridicule d ’attribuer à des hommes incapables de toute prévoyance, vivant au jour le jour, des motifs hygiéniques et eugéniques dont on tient à peine compte, même dans notre civilisation ».

Il serait faux de s’imaginer que le mariage interracial n’existe pas entre Batutsi, Bahutu et Batwa ; l’on cite de nombreux cas où des Bahutu et même des Batwa anoblis par le mwami, prirent des épouses Batutsi. Au centre du Ruanda plus spécialement, l’on rencontre fréquemment des unions entre Batutsi pauvres et riches Bahutu.

Âge du mariage.

C’est la puberté qui détermine l’âge de base du mariage soit vers 13 à 15 ans ; toutefois, il est de constatation courante que les filles ne se marient pas avant l’âge de seize ans et les jeunes gens avant dix huit ans chez les Bahutu, tandis que ces âges sont reportés respectivement à dix huit et à vingt et un ans chez les Batutsi. Jadis, il se produisait des « mariages d’enfants » : il y avait versement des gages matrimoniaux et de dot entre les parents qui conservaient les enfants chez eux jusqu’à l’âge de la puberté, époque à laquelle le cérémonial du mariage avait lieu. Ceci nous édifie d’ores et déjà sur le point de savoir si le consentement des futurs conjoints est pris en considération.

Obstacles d’ordre moral au mariage.

1) Le fait d’être fille-mère ;

2) La trop grande différence de classe sociale ou d’état de fortune ;

3) La haine imprescriptible séparant certaines familles, et leur mauvaise réputation ;

4) Le caractère des futurs conjoints : paresse, malpropreté, colère, inconduite grave : vol, homicide, etc.

  1. Empêchements d’ordre physique au mariage.

Le mariage ayant pour but essentiel d’assurer la pérennité de la race, ne pourront se marier que des jeunes gens parfaitement aptes physiquement au rôle de procréation que la lignée paternelle attend d’eux. Nous savons qu’élever des enfants monstres ou difformes serait se condamner, croient les indigènes, à la mort ou aux maladies de la peau amahumane ; le fait est que l’on ne rencontre jamais ces enfants dans les milieux coutumiers, il semble donc qu’une sélection naturelle soit opérée en ce domaine.

Le mariage est interdit aux malades atteints de :

1) Syphilis (Mburugu) ;

2) Tuberculose visible (Igituntu) ;

3) Folie (Ubusazi) ;

4) Pian (Ibinyoro) pour autant qu’il y ait des lésions ouvertes graves, ou ayant laissé des ravages d’importance majeure;

5) Ozène (Isundwe: Ru.) — (Amacu: Ur.).

6) Lèpre (Ibibembe : Ru.) — (Imibembe : Ur.) ;

Le mariage est également interdit aux incapables de fécondité :

1) Impubères ; en fait, on se trouve ici en présence d’un critérium d’âge ;

2) Au jeune homme atteint d’une impuissance chronique (Umwange) ;

3) Ou d’une impuissance passagère (Ikireremeko : Ur.) (.Ikiremba : Ru.) ;

4) A la femme dont les seins ne sont pas développés (Impenebere : Ru.) (Impinabere : Ur.) ;

5) N’ayant pas ses menstrues (Impa : Ru.) (Ingumba: Ur.);

6) N’ayant pas de poils au pubis (Ikibuga).

Mariage par rapt et par ruse.

L’étude du rituel du mariage nous apprend les moyens employés pour réaliser semblables unions. Nous savons d’autre part que ces mariages, aux yeux de la société indigène, possédaient la validité d’un mariage véritable. Par contre, nous n’ignorons pas qu’à l’heure actuelle, eu égard à l’évolution de la conception de l’indigène quant à sa liberté individuelle, des plaintes sont déposées tant auprès de l’Administration que des Missionnaires, par des filles ayant eu la main forcée.

Jurisprudence.

Constitue l’infraction de viol, le mariage coutumier par rapt. Ce mariage est contraire à l’ordre public interne et aux droits garantis à tous les indigènes. Il ne constitue pas une cause de justification, mais une circonstance atténuante de la gravité de l’infraction, permettant de descendre endessous du minimum légal (Tribunal appel R. U. 12 novembre 1948, B.J.T.I. RU, p. 412).

Polygamie.

Au Ruanda-Urundi, la monogamie est le lot de la majorité des humains.

La polygamie, signe de richesse, est née notamment du besoin d’avoir une nombreuse postérité. C’est là toute l’histoire des femmes d’Abraham : Saraï ne lui ayant pas donné d’enfants, il épousa une servante égyptienne Agar (Gen. XVI). Les femmes d’un polygame s’intitulent abakeba (s. e. les rivales). La grande polygamie de harem est inconnue au Ruanda-Urundi, un seul cas est cité par SIMONS : Kiburwa, Muhutu devin du mwami Mwezi II en Urundi, ancien chef du Buragane, possédait une trentaine de femmes. Il semble que cinq à sept femmes constituaient un maximum pour un polygame. Le mwami Musinga épousa dix femmes.

On se trouve donc en présence de la petite polygamie de kraal et, comme chez les Israélites, chaque épouse dispose d’une hutte personnelle où son mari vient la rejoindre.

Le sort des femmes de polygames est identique à celui des épouses de mariages monogamiques. Il en est de même des enfants. Les rites des mariages successifs restent les mêmes, sauf que l’époux, quatre jours après les noces, se retirera chez sa première femme et non plus chez ses parents.

En règle générale, la première femme gère les biens du ménage : instruments de cuisine, aratoires, réserves alimentaires et mobilier.

En vertu du décret du 4 avril 1950 rendu applicable au Ruanda-Urundi à dater du 1er mai 1952 par l’ordonnance du 11 décembre 1951 du gouverneur du RuandaUrundi, l’inscription des épouses des polygames a été rendue obligatoire ; toute nouvelle union polygamique a été interdite à partir du 1er mai 1952 tandis que les polygames ne peuvent plus s’installer dans les centres extra-coutumiers.

Polyandrie.

La polyandrie est inconnue au Ruanda-Urundi où l’on ne concevrait pas qu’une femme puisse épouser un homme en versant elle-même des titres matrimoniaux : nous nous trouvons au sein d’une société patriarcale et non d’une organisation matriarcale.

Toutefois, il n’en demeure pas moins vrai que l’on rencontre de nombreuses péripatéticiennes et ce, spécialement, dans la haute société.

Mariage des esclaves.

Par une ordonnance en date du 18 mars 1923, l’esclavage domestique a été aboli au Ruanda-Urundi ; en conséquence, le mariage d’esclaves n’existe plus. Il n’y a pas lieu de considérer comme un mariage d’esclaves le fait pour un patron shebuja de consentir à avancer à son client les gages matrimoniaux qui lui permettront de trouver femme ; c’est un service qu’il lui rend. En cas de rupture du contrat de servage pastoral, il pourrait retirer sa vache par le truchement de l’indongoranyo, mais la femme ne lui appartient jamais.

Gages matrimoniaux inkwano.

Considérations générales.

Nous devons éviter de parler du « prix d’achat » de la fiancée, terme qui ne correspond pas adéquatement à la réalité bien que, par esprit de cupidité et nous l’avons encore constaté en 1952 à Astrida, il peut arriver qu’un père marie sa fille au plus offrant, surtout si celui-ci est capable d’offrir une génisse.

Prix de location conviendrait mieux, surtout s’il y a apurement différé, car une femme appartenant à une autre famille est concédée à un homme afin de lui permettre d’assurer sa descendance. Si elle est stérile, elle sera reprise par la famille qui devra restituer les gages matrimoniaux ; à moins qu’elle ne cède une autre fille, ce qui a lieu fréquemment surtout lors du décès de la première femme. Dans ce cas, il n’y aura pas remise de nouveaux gages matrimoniaux.

Le professeur MAUSS du Collège de France, conseille d’éviter l’emploi du mot « dot » pour parler des biens remis par le futur à la famille de sa fiancée. Dot désigne en général les biens qu’une femme apporte en mariage et qui concourent à la mise en train du ménage. En conséquence, nous n’emploierons ce terme que pour désigner l’indongoranyo.

MAUSS recommande de parler plutôt de gages donnés par le mari à la famille de la femme, nous avons vu en effet qu’ils seront restitués au mari si la femme ne réalise pas le but essentiel du mariage : assurer la pérennité patrilinéaire. Notons qu’en anglais la fiancée s’intitule « engaged ». Nous emploierons parfois l’appellation « titre matrimonial » bien que celui-ci suppose un document écrit.

La législation matrimoniale des Banyarwanda-Barundi ressemble à celle qui était en vigueur chez les Israélites où le futur devait verser à son beau-père une certaine somme, le môhar (en assyrien : tirachtu) ; par contre, le beau-père remettait à sa fille une dot ou shériqtu, équivalant ou surpassant le môhar.

Buts poursuivis et conséquences des gages matrimoniaux.

Inkwano.

En opérant la remise de gages matrimoniaux qui, la plupart du temps, ne lui appartiennent pas en propre, mais bien à ses parents masculins, le fiancé assure une véritable translation de la personnalité de son clan contre

celle de la femme qui lui sera concédée. On se trouve ici en présence de l’application d’un grand principe ethnologique selon lequel les primitifs croient à la rémanence de la personnalité de l’individu et de sa famille sur des biens leur ayant appartenu car empreints de leur contact.

Ces gages consacrent donc la fusion de relations sociales, qui dépassent nettement l’unité matrimoniale, de deux familles différentes ; relations qui n’existeraient pas sans l’accomplissement de ce rite à allure matérielle. Pour le primitif, l’appartenance à une société déterminée n’est pas une affaire de sentiment comme le patriotisme des pays évolués, mais réside dans le fait de posséder une substance que l’on a en commun avec les autres membres de cette société.

Aussi, devons-nous nous attendre à relever dans la composition des gages matrimoniaux, à côté d’objets présentant une certaine valeur, des articles de simple consommation, comme de la bière, qui serviront à réaliser des libations en commun. Cette constatation est particulièrement bien mise en évidence chez les Bahutu du Bwishaza (Kibuye) où, comme nous le verrons plus loin, les gages matrimoniaux se composent de trois houes, soit une valeur de 120 F, et de 10 à 23 cruches de bière valant 800 à 1.840 F. Ceci nous donne un argument décisif pour affirmer que les gages matrimoniaux ne constituent pas un prix d’achat, mais qu’ils tendent à réaliser une communauté sociale. Au plus la valeur de l’inkwano aura été importante, au plus la stabilité du ménage sera mieux assurée, le beau-père y ayant tout intérêt.

L’agrément des gages matrimoniaux par les beauxparents emportera des résultats excessivement importants :

1) Ils s’engagent, en principe, à fournir une épouse au requérant ;

2) Au regard du droit coutumier, il n’y aura jamais de mariage légitime sans versement des gages matrimoniaux ;

3) En conséquence, les enfants qui naîtraient d’une union libre relèveraient, de droit, du clan de leur mère. Les gages matrimoniaux apparaissent à ce sujet comme un titre de pré-légitimation des enfants vis-à-vis du clan paternel, à telle enseigne qu’en cas de divorce, il n’y aura pas de restitution des gages au mari si des enfants sont nés du mariage, la fusion sociale ayant été complète ;

4) La femme ne sera pas seulement l’épouse de son mari, mais également du clan de ce dernier. Les relations de la femme avec son beau-père ou son beau-frère ne revêtent aucun caractère délictueux aux yeux de la coutume mais seulement à l’égard de notre civilisation et de notre législation. De cette conception, découlera d’une part la loi du lé virât (frère épousant sa bellesœur veuve, sans verser de titre matrimonial), d’autre part le fait qu’un fils hérite des femmes de son père et peut en épouser (sauf sa mère). Ce fut le cas notamment en Urundi où le fils aîné du roi N tare épousa la plus jeune veuve de son père.

Composition des gages matrimoniaux.

Les gages matrimoniaux varient en importance au Ruanda-Urundi, non seulement avec l’état social des familles d’une part et les régions d’autre part, mais également avec les exigences du père de la fiancée. En Urundi, où les chèvres n’entrent jamais en ligne de compte, Sim o n s signalait les valeurs suivantes : Pour une princesse de sang : jusqu’à quinze vaches.

Chez les Batutsi riches : une vache pleine et une génisse, ou une belle vache et une génisse. Chez les Batutsi pauvres : en principe, une vache pleine.

Chez les Bahutu : une vache, si possible ; deux taurillons de boucherie dans l’Imbo, ou un taureau et un taurillon au Buragane, ou, une dizaine de houes.

En outre, il existe différents cadeaux en taurillons, génisses, houes, étoffes, sel et moutons, variant avec le rang social et la région, à offrir par le fiancé à la mère ou au frère aîné de sa future.

Pour le Ruanda, SANDRART signala que jadis chez les Batutsi, grands éleveurs, les gages matrimoniaux se composaient d’une première vache Irembo (d’entrée au kraal, s. e. en famille) suivie de sept autres ; ensemble formant l’umunani. Ces huit vaches étaient remises par le père du fiancé à celui de la fiancée ; ce dernier, lors du mariage conservait la plus belle pour lui et remettait les sept autres au mari pour l’aider à se mettre en ménage. A cette occasion, ces vaches prenaient également le nom d’indemano (de kurema: créer), de création d’un nouveau foyer. Semblable coutume aurait existé également chez les pasteurs de l’Urundi. Par extension, le terme umunani, servit à désigner toute quotepart, soit à l’occasion d’une succession, soit les dédommagements accordés par voie judiciaire.

En 1935 nous signalions que chez les Batutsi, le titre matrimonial se composait parfois de deux génisses seulement, l’une d’elles étant l’inkwano proprement dit, l’autre étant l’impelekeza (du verbe guherekeza : accompagner, du fait qu’elle accompagnait la fiancée lors du mariage et était rendue à l’époux). Nous signalions également que le père du mari offrait une vache ibibero (des genoux) à la jeune mariée lorsque, au cours de la cérémonie du mariage, elle venait se poser sur ses genoux, geste symbolique d’alliance, qui consistait simplement à déposer le hamac la contenant. Il est de convenance d’offrir des cadeaux aux parents, notamment à la mère de la mariée. La vache impelekeza porte également le nom de gutebutsa (activer, s. e. le mariage).

La bonne règle veut que les Bahutu présentent une génisse comme titre matrimonial ; toutefois cette valeur est bien souvent remplacée par du petit bétail, des houes, de la bière, ou de l’argent : 500 à 5.000 francs.

Le chef SERUVUMBA signala que les gages matrimoniaux comprennent dans sa circonscription :

Soit une vache, 10 à 25 cruches de bière, plus une houe chez les Bahutu des montagnes (Rukiga) ; Soit trois houes en moyenne, 10 à 23 cruches de bière, plus une cruche de bière et une journée de travail par an, ou deux cruches de bière et une moyenne de quatre journées de travail par an chez les Bakiga.

Cette prestation annuelle en travail n’est subsidiaire qu’aux gages matrimoniaux ayant la houe comme base ; en conséquence, elle ne se rencontre que dans le fond bantou du pays, c’est-à-dire chez les agriculteurs bahutu. C’est le principe du servage du fiancé, Jacob a servi 14 ans chez son beau-père Laban pour obtenir un contrat qui lui assurât des enfants. Le cas du servage du fiancé pauvre, venant en contrevaleur des gages matrimoniaux a été signalé par S a n ­ d r a r t pour le Ruanda. Il peut se produire qu’un jeune homme pauvre, et souvent orphelin, se voie dans l’impossibilité absolue de se procurer les moyens nécessaires à la constitution de l’inkwano. Il propose alors à son futur beau-père de l’employer chez lui en qualité de « client » avec promesse de mettre tout en œuvre pour se procurer la vache représentant l’inkwano. Le jeune prétendant doit alors travailler gratuitement pour son futur beau-père jusqu’au jour où celui-ci estimera que l’effort fourni équivaut au montant de l’inkwano.

Conclusion.

En définitive, c’est le beau-père qui fixe le montant des gages matrimoniaux et le prétendant se soumet à ses exigences. En conséquence, l’apurement de ces gages présentera bien souvent un caractère différé allant même au-delà de la cérémonie du mariage ; le mari demeurant totalement lié au beau-père et l’union n’ayant alors que le caractère d’un contrat de location à allure instable. Le titre matrimonial est une garantie, il peut parfois y avoir mariage alors qu’il n’y a encore que promesse de versement partiel, mais s’il n’est pas apuré, la femme peut s’en retourner chez elle avec les enfants nés de l’union.

Afin d’éviter toutes contestations ultérieures, les autochtones peuvent faire enregistrer les gages versés devant les tribunaux indigènes ; l’Église catholique exige l’accomplissement de cette formalité et la production de l’acte de notoriété avant de célébrer le mariage religieux. Une récente législation (Décret du 5 juillet 1948 et ord. du Gr. Gl. en date du 16 mai 1949) a permis de faire enregistrer par les administrateurs de territoire, tous les mariages monogamiques, coutumiers ou religieux qui acquièrent de ce fait un statut légal renforçant grandement leur stabilité.

La dot de la mariée Indongoranyo (R u.), Indongoranywa (U r.).

Considérations générales.

L’indongoranyo (dérivé du verbe kurongora : marier) constitue la véritable dot, au sens usuel du mot, que les parents de la mariée octroient pour l’installation du jeune ménage en vue de sa postérité.

En droit romain, on appelait dot les biens apportés au mari par la femme ou par d’autres personnes, en vue de subvenir aux charges du ménage et notamment à l’entretien et à l’éducation des enfants.

On se trouve également en présence d’une application, conditionnelle toutefois ici, en vertu de laquelle, pour les primitifs, toute donation volontaire, tout cadeau, translatifs en eux-mêmes de la personnalité du donateur, appellent en retour une contrevaleur translative à son tour de la personnalité du donataire.

Les Banyarwanda qui nous ont exposé la doctrine de Y indongoranyo  ont cru pouvoir faire remonter son institution à l’un de leurs bami, sans même en citer le nom, alors qu’on la retrouve dans l’Urundi et ailleurs dès la plus haute antiquité : c’est Jacob qui reçoit de son beau-père Laban, dont il a épousé les filles Rachel et Léa, un don en petit bétail « tacheté, moucheté, parqueté».

Composition de l’indongoranyo.

L’indongoranyo se compose en principe, tant au Ruanda qu’en Urundi, selon l’ancien droit coutumier, d’une tête de gros bétail, réplique de celle qui fut donnée en inkwano. Actuellement elle comporte du petit bétail (ibitungwa), des houes ou de l’argent, pour ceux qui ne possèdent pas de bovins, selon la nature des gages matrimoniaux. On voit fréquemment, à présent au Ruanda, des pères de famille allant acheter pour plusieurs centaines de francs de marchandises dans les magasins, afin de monter le trousseau de leur fille ; les biens mobiliers qu’amène ainsi l’épouse s’intitulent ibirongoranywa au Ruanda ; en Urundi cette coutume n ’existe pas pour les biens mobiliers, c’est au mari qu’il incombe de les fournir. Il arrive parfois que le père de la mariée accorde une terre au jeune ménage.

Époque de la remise de l’indongoranyo.

Selon le droit coutumier, il ne peut jamais y avoir versement de la dot indongoranyo sans qu’il y ait eu, auparavant, remise des gages matrimoniaux inkwano.

Chez les gens aisés, Y indongoranyo accompagne parfois la jeune mariée dès son entrée en ménage. Chez d’autres, Y indongoranyo n’est versée qu’après que la vache constituant l’inkwano a vêlé pour la troisième fois ; dans le cas où cette bête serait crevée entretemps ou n ’aurait pas eu de progéniture, le gendre ne serait pas admis à revendiquer Y indongoranyo en gros bétail.

Ailleurs, Y indongoranyo est constituée par la tête de gros bétail donnée au ménage à la naissance du premier enfant, elle s’intitule vache de la fécondité (inka y ’urugore).

Toutefois, l’indongoranyo étant la dot versée par la famille de la femme, il n’y a pas nécessairement de rapport entre sa remise et la naissance d’enfants ; néanmoins, on constate que le gendre ne l’exigera pas si, du mariage, il n’est pas né d’enfants ou, si étant nés, ils sont morts

Buts et conséquences de l’indongoranyo.

Les buts poursuivis sont :

  1. a) Resserrer l’alliance des familles;
  2. b) Consolider les liens matrimoniaux en renforçant le respect mutuel que se doivent les conjoints ;
  3. c) Si c’est une vache, obtenir du lait pour les enfants issus du mariage.

Les conséquences sont les suivantes :

  1. a) L’indongoranyo est une donation effectuée au mari, la femme n’y a aucun droit, hormis l’usufruit. A la mort du mari, l’indongoranyo reviendra à ses héritiers légitimes ;
  2. b) h ’indongoranyo appartient bien au mari : si elle est la réplique d’une vache d’ubuhake remise en inkwano, elle pourra être reprise par le patron en cas de rupture des liens l’unissant à son client ;
  3. c) L’indongoranyo est le signe tangible consacrant la véritable légitimité du mariage indigène. Le mari ne pourrait refuser l’indongoranyo que s’il prévoit la répudiation prochaine de sa femme pour cause de stérilité notamment. La remise de Y indongoranyo devrait toujours être enregistrée devant les tribunaux indigènes ;
  4. d) Le fait pour un gendre d’avoir obtenu l’indongoranyo annulera tout droit de sa part au retour de l’inkwano en cas de divorce ; peu importe alors que des enfants soient nés ou non du mariage ;
  5. e) Le fait pour le mari d’avoir versé le titre matrimonial inkwano entraîne pour lui le droit d’exiger l’indongoranyo
  6. f) L’indongoranyo étant la réplique de 1 ’inkwano, il s’ensuit que la légitimation d ’enfants naturels par versement de valeurs aux parents de la femme ne peut jamais entraîner pour eux l’obligation de fournir l’indongoranyo car « rachat » des enfants n ’est jamais confondu, en droit coutumier, avec titre matrimonial.

Droits et devoirs des conjoints.

Devoirs communs aux époux.

Le mari et la femme doivent concourir, selon leur état et leurs moyens, aux besoins du ménage, à la subsistance commune ainsi qu’à celle de leurs enfants dont ils doivent veiller mutuellement, à l’éducation. Tout en tenant compte des facteurs d’ordre magique qui y président, la répartition des travaux entre le mari et la femme, est assez équitable. Les époux se doivent mutuellement assistance en cas de maladie.

La femme doit fidélité au mari tandis que celui-ci, dans l’ancien droit coutumier, en était relativement dispensé, eu égard à la faculté de créer une union polygamique ou de se rendre en voyage accompagné d’une autre femme incoreke.

Droits et devoirs du mari.

Il est avant tout le maître du foyer.

Il doit une aide et une assistance effectives à sa femme (gukamira umugore: litt. traire pour sa femme). Il doit lui fournir des vêtements, des parures et la literie ; il ne peut la rationner, ce serait une cause de divorce.

C’est au mari qu’il incombe de traire les vaches, à moins qu’il ne dispose de personnel masculin à cet effet.

Chez les Bahutu, le mari doit s’occuper de tous les travaux durs et en particulier de ceux où le fer joue un rôle : déboisement, débroussaillement, construction de l’habitation ; il doit abattre le bétail, chasser, labourer, planter des boutures, participer aux travaux imposés comme la lutte antiérosive, la mise en valeur des marais et bas-fonds et l’entretien des routes.

Il doit éventuellement émigrer temporairement, voire s’expatrier, afin de gagner l’argent frais (guhaha) nécessaire aux besoins du ménage, au paiement des impôts et au rachat des prestations coutumières.

Le mari, spécialement chez les Bahutu, a le droit d’infliger des corrections à sa femme ; le Mututsi, plus digne et plus réservé, s’en abstiendra habituellement.

Il a seul le droit d’ester et de tester pour lui-même et pour la communauté familiale. Il peut seul s’occuper de tout ce qui concerne les contrats et l’élevage du bétail, de même que des produits et sous-produits de celui-ci.

En fait, tous les métiers lui sont réservés : il est à la fois éleveur, chasseur, pagayeur, potier, menuisier, forgeron ; les travaux agricoles étant l’apanage de la femme. Dans l’ancien droit coutumier, il possédait le pouvoir de répudier sa femme pour cause de stérilité, de mortinatalité et d’infidélité.

Droits et devoirs de la femme.

Le devoir de la femme en se mariant est de donner des enfants au mari, faute de quoi il s’ensuivrait coutumièrement répudiation ou divorce.

Elle doit habiter là où il juge bon de résider et le suivre dans ses voyages. Cette dernière conjoncture était et demeure encore rare à l’heure actuelle ; on peut dire que seuls ceux qui ont contracté un emploi au service d’Européens, emploi qui les oblige à émigrer, se font accompagner de leur épouse.

Elle a le droit de quitter son mari pour cause d’injures graves : insultes répétées conjuguées de coups, rationnement. L’éducation des enfants lui incombe, mais celle des garçons jusqu’à la puberté seulement, époque à laquelle leur père commence à s’en occuper.

Elle doit vaquer à toutes les opérations du ménage dont la vie matérielle en découle directement : labourer, cultiver, semer, sarcler, récolter, entretenir le feu, puiser l’eau, cuire les aliments. Elle doit veiller à la propreté relative de l’habitation et du kraal.

Plus elle a d’enfants, plus on accordera de considération à sa dignité de mère : n’umubyeyi.

L’épouse mututsi de haute classe se décharge des travaux domestiques sur des servantes et serviteurs ; elle est réellement maîtresse de maison discutant avec son mari de toutes questions intéressant non seulement l’éducation des enfants, la gestion des biens, mais également le domaine politique ; le rôle de la reine-mère umugabekazi était bien connu à ce sujet.

En cas de veuvage, la femme a le droit et le devoir de continuer à élever ses enfants en jouissant de l’usufruit des biens du mari défunt.

La femme mututsi se montre en public le moins possible ; lorsque l’on rend visite à son mari, à la maison, elle vient saluer le visiteur puis se retire aussitôt. Si elle doit lui adresser la parole, elle ne le fera qu’à voix basse et abrité derrière un paravent.

La femme mututsi n’est jamais astreinte au portage qui pèse sur la femme muhutu.

  1. Situation de la femme vis-à-vis de ses beaux-parents.

Tout en conservant le nom de son clan d’origine, la femme s’insère juridiquement et matériellement dans la famille de son mari. Son beau-père et ses beaux-frères possédaient des droits coutumiers sur elle, droits incompatibles actuellement avec nos idées civilisatrices et notre législation.

La femme doit faire preuve de retenue vis-à-vis de ses beaux-parents dont elle ne peut jamais prononcer le nom. Elle ne possède aucun titre à hériter de leurs biens.

Du mari vis-à-vis de ses beaux parents.

Il doit les aider dans les limites de ses moyens matériels, en effet, avec la remise du titre matrimonial, il y a compénétration clanique. Dans certaines régions comme le Bwishaza à Kibuye, le mari est astreint à certaines prestations annuelles en travail envers son beau-père. Devenu veuf, le mari peut solliciter une seconde épouse chez ses beaux-parents mais il ne pourrait jamais en obtenir une troisième. Le mari n’hérite pas des biens de ses beaux-parents ; toutefois ceux-ci peuvent faire des dons au ménage notamment chaque fois que leur fille accouche.

Des enfants vis-à-vis de leurs parents.

Toute l’autorité sur les enfants est centralisée dans la personne du père, ou de son clan en cas de mort.

Les enfants doivent se montrer déférents, respectueux et obéissants en toutes circonstances et quel que soit leur âge, envers leurs parents.

Ils leur doivent aide et assistance selon leurs moyens et leurs forces : enfants, ils se consacreront à l’agriculture, à la garde du bétail, au transport de l’eau ; adultes, ils devront veiller au logement et à la subsistance de leurs parents. Lorsque ces derniers seront morts, les enfants païens les honoreront par le truchement du culte des mânes des ancêtres : guterekera. Tout manquement aux devoirs d’obéissance était sanctionné par des corrections paternelles qui allaient, comme nous l’avons encore constaté durant la famine de 1943-1944, jusqu’à brûler les mains et les avant-bras des enfants voleurs de vivres.

Le père pouvait même tuer celui de ses enfants qui lui manquait gravement de respect (J) ; en tous cas, le déshéritement est l’une des prérogatives les plus éminentes du pouvoir paternel. Les enfants ne peuvent jamais prononcer le nom de leurs parents. C’est le père qui, en fait, choisit une femme pour son fils.

Les collatéraux paternels partagent l’autorité du père auquel ils pourront être appelés à se substituer par la tutelle. Les oncles et grands oncles paternels seront regardés comme les égaux du père et leurs conseils seront sollicités en toute occasion. Les enfants, filles comme garçons, sont dotés de biens par leur père, à l’occasion du mariage.

Des enfants vis-à-vis de la famille maternelle.

S’ils sont légitimes, tous gages matrimoniaux ayant été remis à leurs parents maternels, ou s’ils ont été « rachetés », les enfants ressortissent du clan paternel ; en conséquence, la famille de leur mère n’exerce aucune prérogative sur eux. Les enfants naturels relèvent entièrement du clan maternel dont ils prendront le nom et auront droit à la succession.

Des enfants entre eux.

En droit coutumier, les enfants sont strictement égaux entre eux ; toutefois, leurs relations fraternelles et cordiales de la prime jeunesse arrivent à s’aigrir chez les garçons lors des convoitises à l’héritage du droit d’aînesse, eu égard aux prérogatives qui y sont attachées. En effet, le titulaire de ce droit possède un ascendant nettement marqué sur ses frères et sœurs et parfois même sur ses oncles paternels, de plus il a droit à la plus grosse part des biens du de cujus. La désignation de l’héritier au droit d’aînesse est effectuée par le père parmi ses fils adultes