Mes chers concitoyens,

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,

Monsieur de Président de la Cour Suprême, Excellences,

Mesdames,

Messieurs,

 

Nous nous sommes réunis ici pour fêter le premier Anniversaire de l’Indépendance Nationale de la République Rwandaise (en même temps que la Fête Nationale du Rwanda).

En effet, c’est le premier juillet de l’an dernier qu’à ce même stade, devant le Représentant de l’ONU, devant les Délégués de plus de cinquante nations, en présence d’un grand nombre d’autres personnalités étrangères, que fut effectué solennellement la passation des pouvoirs totale et définitive entre le Haut Représentant de la Belgique d’une part et le Président entouré de son Gouvernement, de l’Assemblée Nationale, de la Cour Suprême et du Peuple d’autre part. La souveraineté de la Nation rwandaise était consacrée.

Nous retracions alors devant le Monde libre et devant notre Peuple le programme envisagé par notre Gouvernement et dont plusieurs points étaient déjà, grâce au régime de l’autonomie interne, en cours de réalisation.

BILAN DE NOTRE 1ère ANNEE D’INDEPENDANCE

Pour qui voudrait examiner le Bilan de cette première année de l’Indépendance du Rwanda, je donne deux références : la première est le pays lui-même: qu’il visite la République, interroge, établisse des comparaisons. La deuxième référence est mon Message du 1er mai dernier, dans sa première partie.

Là j’ai relevé ce qu’a fait le Président, le Gouvernement et le Peuple Rwandais : notre action en ce qui concerne le perfectionnement de l’appareil politique et administratif; nos réalisations sur le plan social et économique, dans le domaine de l’équipement des Services Publics du Pays; les initiatives prises sur le plan de l’Education Nationale et de la formation de cadres nationaux ; notre action dans le domaine des Relations et de la Coopération internationales.

Dans ce même Message j’ai indiqué l’esprit dans lequel tout a été réalisé ou entrepris : l’esprit démocratique imposant une austérité raisonnable en faveur du relèvement des masses populaires, en faveur aussi du réalisme dans ce que Nous avions à entreprendre. En tout le Gouvernement et le Peuple Rwandais a évité toute démagogie, toute dépense de prestige, tout bruit non rentable et sans aucune efficacité pour la promotion de la Coopération internationale.

Nous relevions il y a 60 jours que, somme toute, le bilan de la première année de notre Indépendance Nationale, était positif; il l’a été en dépit des nombreuses difficultés inhérentes à tous débuts; il l’a été en dépit des séquelles de l’ancien régime charriées par les quelques traînards féodaux que dans le temps nous avons décrit comme « des gueulards irresponsables, détachés du Peuple, collaborateurs secrets du colonialisme capitaliste, vivant d’une mendicité hypocritement couverte d’un pseudo-nationalisme, paresseux d’habitude, aventuriers de tradition, gentils de métiers, bandits à l’occasion, dominés par une fausseté quasi congénitale, incapables d’opter définitivement pour un bord politique déterminé » .

Le bilan de cette première année de l’Indépendance Nationale a été positif en dépit de quelques éléments étrangers, colonialistes incorrigibles; ceux-là mêmes qu’en une circonstance nous avons décrits comme « colonialistes attardés, techniciens subtils du sabottage, entraîneurs de clinquants mannequins égoïstes ou de marionnettes sans idéal, rongeurs de la cohésion africaine, adversaires élégants de la Démocratie, capitalistes de mentalité, calculateurs petits d’esprits et dépassés par les événements africains, cyniques Roitelets en Tiers-Monde, ou petits bourgeois réfugiés à l’ombre du Sous-Développement ».

Contre ces groupes réactionnaires et subversifs, le Gouvernement Rwandais a réagi calmement, se refusant, soit à une polémique vaine, soit à des violences inutiles qui eussent pu nous faire perdre le temps que nous avions à consacrer à œuvre plus utile.

EXPRESSION DE GRATITUDE

 Cette grande journée fournit au Président du Rwanda l’occasion d’exprimer notre gratitude à tous ceux qui ont contribué à rendre notre bilan de cette année positif.

C’est d’abord la Population rwandaise qui a si bien compris qu’il était nécessaire de répondre aux appels du Président et du Gouvernement : elle s’est appliquée au travail, elle a su user de calme et de tolérance.

C’est ensuite toutes les autorités rwandaises, préfectorales et communales ; c’est la fonction publique qui a eu à combattre les manœuvres qui auraient voulu faire de l’un ou l’autre fonctionnaire, une marionnette vendue, distraite de l’objectif national, et révoltée contre l’austérité que le réalisme impose. Des éléments de ces divers secteurs, par dévouement à la cause du Peuple, ont forcé l’admiration de tous ceux qu’intéressent l’ordre et la paix du Pays et l’avancement de notre Peuple. Ils ont constitué pour les populations un cadre actif, compréhensif et soucieux du progrès du bien commun.

C’est aussi les Organismes internationaux et les Nations Amies.

Notre Pays est reconnaissant à l’ONU et à ses Organismes spécialisés pour la première aide en experts de tous domaines.

C’est ensuite à la Belgique, à la France, aux Etats-Amis de l’UAM, à la République Fédérale d’Allemagne, que nous exprimons notre profonde gratitude.

C’est aussi à plusieurs Etats-Amis, comme la Chine, Israël, le Congo, le Tanganyika, le Canada, la Suisse, le Japon, l’Angleterre, les Etats-Unis, l’Uganda, que va notre gratitude pour tant de marques de sympathie qu’ils ont eu à notre égard durant notre première année de l’Indépendance.

De la part de notre frère le Burundi, Nous avons rencontré une compréhension qui est d’autant plus estimable qu’elle pouvait se compliquer par le contentieux laissé par le colonisateur, que nous avons essayé de démêler progressivement dans la plus exquise fraternité.

Toutes les forces actives, démocratiques, tant intérieures qu’extérieures, nous ont encouragé en plusieurs manières. A toutes Nous exprimons notre reconnaissance, Nous confirmons notre amitié, Nous renouvelons la promesse de Notre collaboration dans le cadre de la liberté et de l’Unité africaines.

ATTITUDES FONDAMENTALES DU GOUVERNEMENT.

a) La tolérence :

A l’égard des groupes non enthousiastes vis-à-vis du programme gouvernemental, le Président et le Gouvernement Rwandais maintiendront leur attitude fondamentale de tolérance, que ce soit à l’égard du groupe des vieux féodaux dont les rangs se rétrécissent de jour en jour, que ce soit à l’égard de celui des colonialistes attardés dont les rangs sont gagnés par un découragement significatif, Notre attitude restera tolérante, libérale; la mesure de cette tolérance sera la tranquillité publique, la promotion du relèvement démocratique de vie des masses, enfin la mise en pratique des principes démocratiques dans tous les secteurs de la vie Nationale.

 La discipline des partis politiques :

A cette occasion je dirai un mot sur le sens que nous donnons aux partis politiques, Nous ne sommes pas pour le parti unique, formé par des méthodes dictatoriales. Nous sommes pour la Démocratie, pour une Démocratie réaliste et constructive.

Nous acceptons une opposition constructive; son utilité est principalement de maintenir la cohésion de la majorité et d’attirer l’attention de l’Exécutif sur certains détails de la promotion du progrès national.

Cependant nous tenons qu’une prolifération de partis politiques distrait la population, rend incohérent le progrès du pays et cause un piétinement préjudiciable à la Nation.

En pratique, nous préférons qu’il y ait un parti majoritaire, d’une majorité « écrasante », flaquée d’une minorité d’opposition en excluant cette foule de particules des francs tireurs aventuriers, dont le rôle de conciste souvent qu’à cultiver un parlementarisme irresponsable couvrant de basses ambitions personnelles, sans rapport avec le bien commun de la Nation.

C’est pourquoi trois conditions devront être remplies par toute formation politique pour jouir de notre considération :

  1. N’être pas contre le Régime démocratique républicain tel qu’il est consacré fondamentalement par la Constitution du Rwanda,
  2. Etre national, c’est-à-dire n’être pas une formation régionale ou tribaliste, ni dirigée par des étrangers ou pour les intérêts étrangers à la promotion des masses populaires rwandaises,
  3. Ne rien prôner dans son Progaramme qui soit un retour aux modes de vie périmés. Les partis politiques ne sont que des moyens et tous les promoteurs de groupements politiques doivent le comprendre et ne jamais perdre de vue la primauté du bien commun.
  4. L’encouragement de la Jeunesse :

Je m’adresse ici particulièrement aux rangs serrés des jeunes rwandais. Regardez avec un œil aussi respectueux que critique l’activité de vos aînés. Dans la mesure de vos possibilités et de vos moyens participez à l’activité nationale.

Montez sans craite et sans légèreté les degrés de la Responsabilité. Portez le front haut et nourrissez des projets hardis et constructifs : le réalisme viendra peu à peu, au contact de la vie et de la conscience de vos responsabilités.

Cet appel va à vous spécialement, chers Etudiants rwandais : que vous soyiez sur les bancs dans vos établissements nationaux, que vous suiviez vos études outre-mer, vous devez être conscients que bientôt

 

vous serez les leaders, les cadres de votre Peuple : que vous aurez bientôt à guider son enthousiasme au travail, à être les serviteurs de sa décision à avancer toujours vers une plus grande liberté.

 

Appliquez-vous à vos études; ne négligez pas les autres moyens de formation que le développement moderne de la vie nationale et internationale vous offrent; ne laissez pas de côté les diverses activités compatibles avec votre devoir principal d’étudiant: elles vous font entrevoir les réalités dont un jour vous aurez à prendre la responsabilité.

 

Vos frères et soeurs qui n’ont pas la chance comme vous de faire des études, vous considèrent comme des privilégiés mais comptent sur vous jusqu’à preuve du contraire. Sachez que le plus profond désir du Président et du Gouvernement Rwandais est de vous sentir derrière eux ou à côté d’eux, prêts à prendre la relève pour la même cause, la cause du progrès démocratique du Peuple rwandais, de la liberté de l’Afrique, de la coopération fraternelle entre les Nations.

C’est de la collaboration nationale éclairée dans une liberté disciplinée, que sortira progressivement le Rwanda de votre idéal.

 

IV. POURSUITE DU PROGRAMME GOUVERNEMENTAL-

 

Confiant dans l’avenir, Nous poursuivons la ligne de conduite et d’action que Nous nous sommes tracées depuis la constitution du Gouvernement provisoire, que Nous avons suivi durant lu période de l’autonomie interne, que Nous avons précisé le jour de notre Indépendance Nationale il y a aujourd’hui exactement une année.

Notre Programme sera axé au cours de cette seconde année de l’Indépendance et dans les années qui suivront, sur trois points que nous voulons rappeler à l’occasion de ce premier anniversaire de notre Indépendance.

C’est en premier lieu de Développement démocratique de la vie socio-économique du Pays. Le Gouvernement Rwandais pense réaliser un développement économique et social DEMOCRATIQUE, c’est-à-dire libératrice des masses, par les principaux moyens suivants : ce sont les moyens de démarrage qui pourront développer des détails au fur et à mesure du Développement :

I. — Le pays doit disposer d’un Plan Général de Développement.

Ce plan sera un cadre idéal proposé à tous les Secteurs du Dé-veloppement. Il doit tenir compte du présent tout en fixant un objectif aussi réaliste que vaste.

Il n’absorbera pas les initiatives privées, ni les plans régionaux ou les réalisations particulières; il les intégrera suivant une doctrine déterminée et les orientera vers l’Objectif : si le Plan doit être plutôt une loi pour toutes les entreprises gouvernementales. il est à l’égard du domaine des activités non-gouvernementales, du secteur privé, une indication, une orientation assortie de dynamisme souple et d’efficacité.

La volonté de développer le Pays d’après un Plan figurant déjà, sous l’influence du Programme du parti majoritaire, dans la Déclaration Gouvernementale du Gouvernement Provisoire d’octobre 1960. Depuis l’Indépendance du Rwanda, cette décision préside à toutes les démarches ayant en vue de solliciter l’assistance technique et la coopération extérieures.

Si aujourd’hui la confection du Plan Général de Développement n’est pas encore achevée, c’est que voulant disposer d’un Instrument valable en une matière si vaste et si délicate, il nous a fallu attendre les résultats des travaux des experts pendant qu’également l’expérience d’une année d’Indépendance nous donnerait le temps de mettre en place les débuts d’un appareil administratif plus apte à servir un

Développement démocratique.

La nécessité d’un Plan de Développement n’est plus à prouver : c’est un moyen de mieux démocratiser notre Régime.

2. Orienter les capitaux étrangers attirés dans le Pays.

Les capitaux étrangers sont indispensables; mais un développement économique démocratique exige qu’une législation démocratique règle leur action, que la politique à leur égard ait pour critère la montée du Peuple, les bonnes conditions de travail et de salaires, l’absence de privilèges en matière de fiscalité, tout en leur déterminant des pôles dont le démarrage influence ra sûrement l’élévation des niveaux de vie des masses rurales.

Dans cette détermination des pôles et l’attribution des secteurs le Gouvernement ne peut se permettre, sans le consentement du Peuple d’accorder les monopoles : il doit au contraire, tout en endiguant une concurrence stérile, encourager le Peuple à participer au développement à ses divers stades.

Qu’il intervienne dans le cadre des investissements publics ou dans celui des investissements privés, le capital étranger, l’apport de la coopération étrangère doit être orienté vers tel ou tel secteur déterminé. Mon Message du 1er mai a photographié la situation rwandaise actuelle dans ce domaine : cette situation appelle de la part du Gouvernement plus de précisions et de détails encore.

De ce souci de précision, les différentes notes relatives à l’assistance et à la coopération technique et financière adressée depuis le premier juillet 1962 aux Gouvernements des Pays amis, constituent un premier pas important, qui peut même être considéré comme décisif.

La discipline des interventions de la coopération technique et financière permettra une activité coordonnée, efficace, pour le progrès démocratique sur le plan économique et social.

3. — Centrer notre Diplomatie sur la Coopération.

Tout en donnant l’importance requise aux problèmes politiques habituels en ce domaine de la vie internationale, nos Représentations Diplomatiques à l’Etranger consacreront le meilleur de leur temps à attirer la Coopération (assistance technique, intervention financière, ou aide en nature comme l’octroi de matériel d’équipement) au Développement social et économique de notre Pays.

L’aide, d’où qu’elle vienne, sera la bienvenue si elle est une aide authentique et qu’elle n’empiète pas sur notre option : laquelle consiste à réserver la priorité à ce qui, directement ou indirectement, mais réellement, contribue à l’élévation progressive des niveaux de vie de l’ensemble de la population.

Que le développement de notre Pays ait besoin des capitaux étrangers, c’est trop évident ; qu’il faille nous jeter les yeux fermés entre toutes les mains pleines d’or, ce serait d’un simplisme stupide : notre Diplomatie doit emmener les investisseurs à assortir leurs investissements de conditions telles que les masses populaires rwandaises puissent effectivement tirer un profit réel des installations et entreprises.

Nous déclarons au départ notre condition : si l’investisseur ou le coopérateur vient au Rwanda, c’est, bien sûr, pour tirer profit de son capital, mais aussi et inséparablement pour mettre à la disposition de toute la population un moyen de plus pour son développement.

4. — Africanisation rapide du Commerce de détail.

Nous avons ailleurs parlé de la participation de la population à toute l’activité économique. Il est clair qu’actuellement les autochtones ne disposent pas encore du capital et des connaissances pour rentrer avantageusement dans le jeu du commerce international.

Mais d’autre part, on ne voit pas l’utilité réelle d’un étranger qui occupe la place pour « détailler » du sel, du sucre, x mètres d’étoffes, etc…

Il ne s’agit pas, bien entendu, de chasser sans façon les détaillants étrangers qui peuplent le Pays jusque dans les plus reculés « centres de négoce ». Une politique honnête et énergique doit progressivement limiter ce genre d’handicaps et d’intermédiaires, pour le moins inutiles.

Des mesures adéquates doivent discipliner le travail économique dans ce domaine en le répartissant entre les vrais « coopérateurs » disposant de capitaux et les autochtones qui débuteront au moins avec la responsabilité du commerce de détails.

Un début de ce genre est certes lui-même un mal nécessaire, mais c’est un premier pas que l’on aura effectué. Ce sera des intermédiaires inutiles en moins entre la population (dont l’accroissement démographique est aussi heureux qu’effrayant) et les moyens d’élever son niveau d’existence : cette africanisation, du commerce de détail constitue déjà un acte positif de démocratisation : les servitudes dont une telle opération peut être l’occasion peuvent être éludées par l’attention des Pouvoirs Publics et par la promotion coordonnée des autres points que Nous signalons ici.

5. — Le Contrôle des prix.

Une certaine spéculation a essayé ces derniers mois de se faufiler: il présente comme introuvables des articles stockés par ailleurs dans le Magasin et attendant que le Peuple soit forcé de se mettre à genoux et qu’on impose le prix. Du chantage a été fait : certains commerçants pour une houe ont demandé le double prix suggérant au cultivateur à chanter que l’Indépendance et le Gouvernement de l’Indépendance le privait de pouvoir s’acheter avec ses 100 Fr. une houe et une chemise pour le gosse.

Quand le Gouvernement, soucieux de la justice sociale, est intervenu le commerçant a repris les prix normaux. Entretemps « ce sont les plus déshérités qui payent » ; et c’est celui qui a qui profite.

Le même petit jeu doit être évité.

C’est dans cet esprit que nous n’avons jamais cessé de demander aux Maisons de commerce installées dans la République de substituer à leur politique de rapatriement systématique des bénéfices, une politique confiante d’investissement. Elles, comme les nouveaux investisseurs, n’ont pas à craindre de Notre part une politique de confiscation ou de nationalisation.

6. — Formation démocratique des capitaux nationaux.

— Un travail bien salarié, un effort agricole dépassant la seule autoconsommation sont des sources d’épargne.

— Une organisation nationale de l’Epargne, par un service public par lequel l’Etat peut encourager les citoyens en ce domaine tout en leur démontrant (par l’octroi des crédits) que l’utilité sociale des dépôts épargnés est une mesure positive pour promouvoir un Développement social et économique, aidera aussi à la formation de capitaux nationaux.

— La promotion d’un mouvement coopératif populaire constitue une mesure plus fructueuse encore: bien régie, la coopérative est une forme d’épargne plus immédiatement pratique et moins paternaliste. Une législation dégagée des équivoques capitalistes, une assistance technique qui est indispensable, sont autant de nécessités que le Gouvernement doit s’efforcer d’apporter à la coopération populaire.

7. — L’animation des masses.

 

Information et propagande, contacts directs des masses doivent être renforcés pour remonter leur enthousiasme, éclairer les doutes, lever les pessimismes, fortifier les convictions pour toutes les opérations gouvernementales : c’est là une tâche que ne peuvent lâcher un instant les Responsables qui ont décidé de conduire un Développement démocratique et de le réaliser dans la liberté: Nous avons souvent attiré l’attention de toutes les sections de la Fonction Publique sur l’importance capitale des ce rôle d’animation.

Et nous devons garder la conviction que sans une Administration honnête, démocratique et compétente, un développement démocratique durable est impossible.

Cette façon de faire est, selon Nous, plus rentable à longue échéance, qu’un collectivisme étouffant, usant de force, espérant réussir à coup d’amendes, ou par d’autres moyens de coercition et d’embrigadement.

Ce que l’on a appelé «l’investissement humain » ne réussit en développement qu’à coup de conviction et donc en développement démocratique, où les Conducteurs du Développement sont moins paresseux et croient plus dans les possibilités de leur Peuple, et où les agents de ce développement (et les masses populaires) n’ont plus l’appréhension de devenir un jour l’objet d’une exploitation étrangère à leurs intérêts concrets.

8. — Maintien de la solidité des Bases.

Ce sont en ordre principal et pour le moment :

a) Une Monnaie stable

Nous l’avons en union avec le Burundi; et tout le monde connaît la vigilance particulière, méticuleuse avec laquelle le Gouvernement traite tous les éléments susceptibles d’influencer ce domaine : campagne café, théiculture, tranquillité publique, avec la Banque d’Emission du Rwanda-Burundi, etc.

2) Un Budget ordinaire équilibré

Une austérité (qui devient proverbiale!) s’exerce à tous les plans de la Dépense publique. Le concours des autres conditions qui sont normales aidera cette austérité à lever progressivement le déséquilibre structurel que devait nous laisser automatiquement la levée de la Tutelle. Des pessimistes se sont écriés au sujet de notre austérité : pourvu que ça dure! Nous disons : cela dure depuis trois ans et plus. Et cela durera aussi longtemps que l’exigera le réalisme et la démocratie. Tout permet d’espérer en tous cas, que dans trois ans d’ici, le déficit structurel aura complètement disparu.

c) Ordre politique stable

Nos Institutions sont solides, basées qu’elles sont, non sur des arrangements étrangers ou sur des ambitions d’une bourgeoisie colonisée, mais sur une Constitution claire, servie elle-même par des hommes intègres et dévoués ou Peuple, et respectée par un Parti extraordinairement majoritaire dont le programme concret démocratique et accepté par un Peuple discipliné et décidé, défieront toute Subversion.

d)   Cadres nationaux sérieux.

ne grande bonne volonté qui ne manque pas de connaissances solides, un sens des responsabilités et un dévouement sans équivoque à la Démocratie, caractérisent la situation actuelle ; une relève enthousiaste, bien formée, est prête à quitter l’Université pour participer à la Constitution Nationale pendant que, d’une

part un mouvement de transformation interne s’opère au pays par un roulement de stages et de formation accélérés, et que d’autre part une Université Nationale s’établit.

 

Si dès le départ nous portons notre hardiesse jusqu’à l’installation d’un Enseignement supérieur et universitaire, c’est que plus que n’importe qui, nous sommes convaincus pour avoir pu le constater au cours de notre action, que la bonne volonté ne suffit pas, qu’une instruction de base même en domaine technique ne suffit pas à toutes les activités exigées par un Développement démocratique National.

  1. e) Choix pour le démarrage.

Car avant même que l’Assemblée Nationale n’ait pu arrêter le Plan de Développement National, il faut que l’activité affecte des points essentiels dont, quels que soient les pôles à repérer et à fixer au travail économique, le développement aura été nécessaire.

Le Gouvernement Rwandais a fixé ses préoccupations principales sur les points suivants ; il veut :

1°) installer un EQUIPEMENT EN SERVICES PUBLICS VALABLE (bâtiments pour les administrations publiques, stations de Télécommunications, station de Radiodiffusion, etc…)

2°) poursuivre le développement AGRICOLE (café, thé, orge, arachide, aménagement de certaines régions rurales);

3°) établir une INFRASTRUCTURE TECHNIQUE SUFFISANTE (axes routiers et ponts, aéroport national de classe internationale et des aéros-brousse) ;

4°) amorcer de petites industries — ne fût-ce qu’a des stades élémentaires — (thé, usine du café, hôtellerie, tannerie, bannane et tabac) ;

5°) envisager sur place en les préparant efficacement, les GRANDES PERSPECTIVES d’industrialisation (mines, gaz méthane, ressources hydro-électrique);

6°) promouvoir effectivement la formation SUPERIEURE DES CADRES NATIONAUX (bourses d’études et de stages, établissement d’une Université Nationale).

C’est dans ce même ordre que le Gouvernement veille à la promotion de l’infrastructure humaine : former la masse et l’informer de l’action et de l’esprit des dirigeants ; développement des Foyers Sociaux pour la jeunesse féminine et bientôt des Centres de formation civique, physique et professionnelle de la jeunesse rurale; c’est dans cet ordre également que Nous nous efforçons de faciliter les déplacements des gens à l’intérieur du Pays en créant des moyens communs de Transport.

Ce sont là pour ainsi dire des super-pôles : quoiqu’il en soit des conclusions des Experts, économistes, planificateurs ou autres, il faut que ces domaines soient développés, puisque tout autre développement moderne les présupposera; ce sont des moyens indispensables.

Mais là également, dans un Régime qui se veut démocratique, le souci effectif d’un Développement Démocratique devra toujours présider et donner une forme valable pour l’avenir.

C’est en second lieu le perfectionnement de nos relations avec les Etats limitrophes.

La fraternité africaine le demande, les exigences de nos réalités démographiques nous en font un devoir, notre développement économique et commercial l’exige.

Notre régime de coopération avec le Burundi, notre Représentation diplomatique à Léopoldville, notre Ambassade à Kampala, nos divers contacts au cours de ces derniers mois avec le Tanganyika ainsi que nos projets de collaboration sont des réalités qui demandent à être poursuivies et perfectionnées, pour l’avancement plus rapide de notre Peuple et de cette partie de l’Afrique.

C’est aussi une contribution plus fournie à l’Unité africaine, « Il est certain que le mouvement africain actuel répond à Notre aspiration à l’Unité africaine. Les différentes unions politiques, les diverses organisations interafricaines de coopération technique, économique et culturelle, ainsi que les Conférences périodiques régionales ou réunissant tous les Responsables des Etats-Africains constituent la première étape vers l’Unité.

Nous encouragerons ces unions, organisations et ces conférences: c’est ce que le Rwanda a estimé faire en adhérant à l’Union Africaine et Malgache, et en prenant une part active à la Conférence d’Addis-Abeba.

Nous devons dégager ces unions, organisations et conférences, des influences néo-colonialistes de quelque nature qu’elles puissent être. Et c’est ainsi par exemple qu’un «Statut Standard de l’assistance et de la coopération techniques » devrait être étudié et proposé à tous les Etats du Tiers-Monde, pour qu’ils s’en inspirent dans leur politique à l’égard de la Coopération et de l’Assistance technique.

Nous devrions sur la base de la Charte d’Addis-Abeba étudier un projet de timing pour l’Unité de l’Afrique : un calendrier d’opérations successives devrait être proposé aux unions politiques, aux organisations de coopération technique et économique et aux conférences au sommet pour que ces diverses Activités mènent progressivement et d’une manière réaliste vers l’Unité souhaitée.

Il faut enfin que l’objet et la nature de « l’Unité Africaine » soient précisés autrement que par le seul établissement, pour toute l’Afrique, d’Institutions simplement politiques, qui, à l’heure actuelle, ne s’allient pas assez rapidement avec les personnalités et souverainetés Nationales : cette alliance doit être précisée au cours de ce long démarrage, si l’on ne veut créer, ou lieu de l’Union, une source continuelle de conflits, ou une occasion de plus pour les divers néo-colonialismes.

Aussi Notre avis est-il que les résultats de l’action progressive des unions, organisations et conférences régionales et ou sommet contemporaines seront le meilleur fil conducteur vers une unité africaine, qui soit utile à l’Afrique et aux Africains.

Entretemps — et c’est une condition sine qua non — les territoires africains encore colonisés doivent acquérir leur indépendance et pouvoir ainsi apporter leur contribution, nécessaire, au progrès d’une Afrique libre et solidaire ».

Mes chers Concitoyens, je voudrais terminer ce Message en vous conviant toutes et tous, tous les Services de la Nation, tous les Organismes et tous les Groupes, à collaborer toujours davantage, dans une discipline serrée, et en toute liberté à l’action de votre Gouvernement. Nous resterons fidèles et dévoués au Programme qui est votre et dont la réalisation requiert toutes vos compétences et toutes vos énergies.

 

Kigali, le 1er juillet 1963.

Le Président de la République Rwandaise

Gr. KAYIBANDA.