1. Séparation de corps.

La femme délaissée dans cette condition ou intabwa, continue à habiter la résidence de son mari jusqu’à sa mort. En pareil cas, il n’y a jamais restitution des gages matrimoniaux.

Répudiation – Kwirukana.

Cette modalité de la séparation de corps est habituellement préalable au divorce proprement dit, elle en diffère en ce sens qu’il n’y a pas restitution des gages matrimoniaux. La femme retourne dans sa famille ou va chercher meilleure fortune ailleurs. Le mari peut toujours réclamer (gucura) le retour de sa femme.

Divorce.

Gutandukàana (Ru.) — Kwakukana (U r.).

En fait, le divorce sera toujours précédé d’une répudiation de la femme ou de sa fuite du domicile conjugal.

  1. Divorce par consentement mutuel.

Outre la séparation de corps par consentement mutuel, la coutume révèle à présent de nombreux cas de divorce à la demande conjuguée des conjoints

Divorce à la demande de l’un des époux.

  1. Aux torts de la femme.
  2. a) Stérilité. Ce sera toujours la cause quasi générale des instances en divorce ; en effet, le but sacro-saint du mariage est d’avoir des enfants. Si cette stérilité ne devenait pas une cause de divorce, fréquemment le mari se faisait polygame ;
  3. b) Paresse, malpropreté ;
  4. c) Maladie grave et incurable ;
  5. d) Présomption de sorcellerie contre son mari, ses parents et son bétail ;
  6. e) Adultère répété ;
  7. f) Incompatibilité d’humeur ;
  8. g) Refus de cohabitation.
  9. Aux torts du mari.
  10. a) Titre matrimonial non constitué ou insufflant selon l’estimation du père de la femme ;
  11. b) Le mari rationne sa femme au point de vue alimentaire ;
  12. c) Insultes graves, coups. Il est quasi impossible que l’adultère du mari, dans le droit coutumier devienne une cause de divorce à ses torts ; en effet, la société est polygamique ;
  13. d) “Le mari a répudié sa femme et refuse de la recevoir;
  14. e) Maladie grave et contagieuse, impuissance sexuelle.
  15. Divorce suite à des insultes graves et publiques de la part d’un des époux à l’égard de la famille de son conjoint.

Ceci confirme bien le fait que le mariage en droit coutumier est avant tout une question de relations sociales. Dans ce cas, la rupture de l’alliance est proclamée par le représentant de la famille lésée, si les réconciliations tentées n’aboutissent pas. Il y a alors séparation complète des deux familles et cela sous tous les rapports. Il n’y aura plus de mariages possibles entre les deux familles durant plusieurs générations. Un préjudice à la famille étant logiquement condamné par « l’esprit familial», aussi le consulte-t-on pour se renseigner sur la conduite à suivre vis-à-vis de l’ennemi nouveau que devient l’autre famille.

Prononcé du divorce.

Dans le droit coutumier, le divorce est un arrangement entre familles et ne concerne pas directement les tribunaux.

Dans les cas graves, entre des familles de même dépendance politique et sociale, le différend était porté devant leur «patron » vacher (shebuja) qui faisait alors office d’arbitre, de juge. A présent, ce sont les tribunaux indigènes légalement constitués qui tranchent ces cas.

Actuellement, en vertu du décret du 5 juillet 1948 et de l’ordonnance du 16 mai 1949, les mariages monogamiques païens ou chrétiens peuvent être enregistrés par l’administrateur de territoire ; la procédure en matière de séparation de corps ou de divorce visant ces mariages, ne peut être poursuivie que devant les tribunaux de territoire.

Conséquences du divorce sur les gages matrimoniaux, la dot indongoranyo et les enfants.

Ces conséquences concrétisent beaucoup moins la résultante des torts des époux que celle de la constitution du titre matrimonial et de la présence d’enfants nés du mariage.

Si le divorce provient d’une mésentente réciproque entre les deux époux, il ne concerne pas leurs familles ; il y a alors rupture du lien entre les conjoints, et leur mésentente ne lèse en rien l’alliance que les deux familles ont contractée. En principe, les familles qui ont de vieilles relations, ne reprennent pas la dot, mais concèdent une autre fille. En cas de divorce du chef d’insultes graves de la part d’un des époux à l’égard de l’autre famille, le remboursement immédiat de la dot est toujours opéré comme sanction à la rupture des relations familiales. Ordinairement, quatre cas peuvent se présenter :

1) Les gages matrimoniaux et la dot indongoranyo ont été remis et il y a des enfants nés légitimement du mariage. Il n’y aura jamais remboursement des gages matrimoniaux ni de la dot ; s’ils sont en bas âge, les enfants demeureront jusqu’à leur puberté sous la surveillance de leur mère contre une indemnité de garde intizo octroyée par le père. De toutes les façons, les enfants relèvent du clan paternel, et il n’y a jamais lieu à leur répartition entre les conjoints.

2) Les gages matrimoniaux et la dot indongoranyo ont été remis, mais il n’est pas né d’enfants légitimes du mariage. Il n’y a lieu à aucune restitution ; éventuellement la famille de la femme fournira une nouvelle épouse sans exiger la remise d’un titre matrimonial supplémentaire.

3) Les gages matrimoniaux ont été constitués, mais il n’y a pas eu remise de dot indongoranyo et il n’est pas né d’enfants légitimes du mariage.

Si le mari l’exige, il y aura lieu à restitution des gages matrimoniaux inkwano.

4) Les gages matrimoniaux n’ont pas été constitués, ou l’ont été insuffisamment et des enfants sont nés légitimement du mariage.

De droit, les enfants relèvent du clan maternel, ainsi que leur mère. Pour obtenir ses enfants, le père devrait les « racheter » ; mais en aucun cas, ce rachat ne constituerait un titre matrimonial ni un droit à la dot indongoranyo.

111 bis. Conséquences du divorce sur les biens.

Les biens acquis par la femme avant son mariage : vaches, clients, parures, etc. demeurent sa propriété, par contre, ceux acquis durant le mariage deviennent la propriété du mari, hormis les terres dotales. Le mari conserve toujours ses biens et doit veiller à l’entretien de ses enfants, même s’ils demeurent temporairement sous la garde de leur mère divorcée

Les biens en général.

La propriété.

Au Ruanda-Urundi, on ne divise pas les objets susceptibles d’appropriation en biens immobiliers et mobiliers, mais en biens individuels et domaniaux. Il convient donc de se départir de la plupart de nos conceptions européennes au sujet du droit de propriété avant d’en aborder l’étude dans ce pays. Remarquons à ce sujet que les Africains professent l’opinion que « le gros bétail est toujours considéré comme bien immobilier » ; en fait, ils n’effectuent guère de différences entre les biens mobiliers et les biens immobiliers.

Le concept de la propriété chez les peuples primitifs demeure en relation directe avec le grand principe ethnologique de la rémanence de la personnalité sur les objets qui furent au contact direct ou indirect d ’un être humain : en portant des vêtements, des bâtons, des armes, en façonnant des instruments, en habitant sa hutte, en cultivant sa terre, en touchant son bétail ou en dormant à proximité immédiate, le primitif et tout spécialement le Muhutu, croit que sa personnalité s’est incorporée dans ces objets, même si elle n ’a consisté qu’en un simple transit, comme le fait de la femme du Ruanda qui confie sa puissance fécondante aux semences en les imbibant de sa salive au moment de les planter. De cette conception de la rémanence de la personnalité, est sortie l’idée de l’appropriation personnelle.

Biens d’appropriation individuelle.

i) Les objets fabriqués par la main de l’homme : pirogues, haches, serpes, armes, pots, instruments aratoires, bière, nourriture, bijoux, parures, vêtements, charmes, ustensiles de ménage, greniers, meubles, ruches, et la hutte qu’il n’est pas rare de voir transporter d’un endroit à l’autre, preuve qu’elle n ’est pas juridiquement attachée au fonds sur lequel elle fut construite;

ii) Les semences et boutures plantées par l’homme ou par la femme, qui disposeront de droits personnels sur les fruits à venir. Les bananiers que l’on trouve en pleine brousse, en des endroits inoccupés depuis dix ans, demeurent le bien de celui qui les avait plantés, dans le régime du droit coutumier muhutu ancien de l’ubukonde. Par contre, le droit mututsi considère tout abandon de terre comme perte de propriété tant du fonds que de ce qu’il porte, biens qui sont alors versés dans la réserve domaniale inkungu dont l’éminent propriétaire est le mwami ;

iii) Les animaux de la chasse et de la pêche, dès qu’ils sont capturés ou tués ; et les objets récoltés, puisés, extraits de terrains ne faisant pas l’objet de droits privatifs au profit de tiers ;

iv) Les animaux du petit élevage vivant et gîtant au contact direct de l’homme : chèvres, moutons, porcs, poules, canards, chiens, chats ;

v) Les objets et les animaux obtenus par troc ou par achat, conjoncture qui ne constitue qu’une transmutation de la personnalité par le truchement d’un moyen d’échange résultant lui-même d’efforts personnels. Ces objets et animaux seront les plus divers et comprendront non seulement les rubriques énumérées ci-dessus, mais également du gros bétail d’acquisition strictement individuelle : imbata ou impahano. Au sujet de ce bétail imbata, le mwami Musinga disait : « Nul, pas même moi, n’a le droit d’en contester la propriété absolue ». Toutefois, ce bétail était dévolu au mwami en cas de succession tombant en déshérence dans les régions sous obédience royale ;

vi) Chez les Bahutu, la terre conquise par les défricheurs sur la forêt. D’abord propriété individuelle du premier agriculteur, elle passe ensuite à sa famille puis au clan issus de lui, pour redevenir individuelle avec l’atténuation des rapports de parenté, ou par la vente ;

vii) Les cadeaux et dons, car ils appellent toujours un contre-cadeau de la part du donataire ;

viii) Les objets obtenus par voie successorale.

Un premier corollaire de ce système d’appropriation personnelle consistera en ce que toute chose perdue pourra être revendiquée par son propriétaire d’une manière imprescriptible.

Biens domaniaux.

Dans le droit mututsi, à côté des objets susceptibles d’appropriation personnelle, nous trouvons ceux qui tombent dans le domaine de la collectivité représentée par la personne du mwami. L’existence de biens domaniaux constitue une caractéristique essentielle du droit mututsi en matière de propriété.

  1.  Susceptibles de concessions individuelles, héréditaires mais résiliables.
  2. Forêts, savanes, terres de culture ou de pacage en déshérence, abandonnées ou dont le détenteur a été banni. Ce sont les biens inkungu (Ru.) constituant la réserve où sont puisées les fermes et les concessions de pâturages accordées par le pouvoir mututsi ;
  3. Les vaines-pâtures, bas-fonds, marais et jachères convenant au pacage ;
  4. Le gros bétail qui n’est pas l’objet d’appropriation personnelle imbata, d ’où l’adage : tout le bétail appartient au mwami.
  5. Exploitables par tous et non susceptibles de concessions à caractère privatif.
  6. Les gisements de sel, minerai de fer, kaolin, ocre, etc.
  7. Les sentiers ;
  8. Les animaux sauvages et les poissons ;
  9. L’eau des sources, ruisseaux, rivières et lacs;
  10. Les forêts et savanes boisées en ce qui concerne la coupe de bois;
  11. Les arbres isolés, les broussailles, les roseaux et papyrus, pour autant qu’ils ne se trouvent pas sur un fonds grevé de droits privatifs au profit de tiers.

Et puisque ces biens font partie du domaine national relevant du mwami, ils pouvaient être taxés de redevances à son profit, à l’occasion de leur usage : bois odoriférant umugeshi envoyé à la cour pour parfumer le beurre, nattes, trophées de chasse et tout spécialement l’ivoire, peaux de grands fauves ; prestations en nature valant loyer de terre, de pâturage ou de cheptel, prestations en sel et en fer forgé, etc. Le mwami abandonnait une partie de ces redevances à ses mandataires, chefs et sous-chefs, à titre de rétribution.

Nature et exercice du droit de propriété.

i) Propriété individuelle.

Le propriétaire possède sur ses biens personnels tous les pouvoirs jusqu’à l’aliénation, que confère la propriété en droit européen : usus, fructus, abusus. Ce droit de libre et entière disposition, n ’est limité qu’à l’occasion des préjudices éventuels que son libre exercice pourrait faire courir aux tiers.

ii) Biens du domaine.

Le représentant éminent du droit de propriété sur les biens domaniaux est le mwami, qui est notamment qualifié Nyir’inka: propriétaire de tout le bétail. Mais les pouvoirs du mwami à l’égard de ces biens ne sont nullement ceux d’un particulier à l’égard de ses biens personnels : il ne peut, en aucun cas abuser, annihiler les biens faisant partie du domaine ; s’il détient le droit d’en user, il lui incombe surtout de les faire fructifier. Il faut considérer le mwami comme un simple dépositaire, comptable vis-à-vis de ses ancêtres, des biens domaniaux dont la gestion lui a été léguée à leur mort. En conséquence, il ne pouvait aliéner aucune portion du territoire au profit d’un prince étranger ; au contraire, tous ses efforts devaient tendre à l’accroître ; il n ’aurait jamais provoqué l’hécatombe systématique et sans utilité du bétail, du gibier, des poissons. La vente des terres domaniales est inconnue en droit coutumier mututsi.

Comme le fait très bien remarquer l’Abbé K a g a m e , en tant que chef patriarcal suprême de toutes les parentèles de son pays, le mwami est le propriétaire éminent de tous les biens meubles et immeubles du pays, le mwami est le père commun de ses sujets et il doit assurer à chacun la jouissance de son bien. Dans l’exercice de ses fonctions de dépositaire et de gérant des biens domaniaux, le mwami est représenté à l’intérieur du pays par ses chefs et sous-chefs dont les actes de gestion se terminent de plein droit et à qui toutes prestations cessent d’être dues avec l’achèvement de leur mandat politique : destitution, désistement ou décès

Personnes qui peuvent posséder.

1) Les bami.

Avant les restrictions apportées à ses pouvoirs par l’occupation européenne, le mwami jouissait de l’autorité la plus absolue. Propriétaire de tout ce qui, aux yeux de ses sujets, représente une valeur quelconque, il abandonnait ou reprenait à son gré la jouissance des terres et du bétail, s’attribuait les dépouilles du gibier, disposait de la forêt.

Le mwami détenait un réel droit de propriété sur la personne même de ses sujets s’exprimant par le droit de vie et de mort exercé bien souvent par bon plaisir.

2) Les chefs et sous-chefs politiques représentant le mwami ; les patriarches de clan bahutu là où existe encore le régime des terres amakonde.

3) Les hommes.

En principe, ils sont les seuls véritables propriétaires de tous les objets susceptibles d ’appropriation personnelle, même de ceux détenus par leurs femmes et par leurs enfants non mariés ; exception faite des dérogations figurant ci-après sub 4 et 5.

4) Les femmes.

Elles peuvent acquérir des biens tandis qu’elles sont célibataires (cf. ci-dessous « Les enfants ») ou mariées :

A l’occasion de leur mariage par les dons que leur remettent leurs parents et leurs beaux-parents ; ii) A l’occasion d’un accouchement, elles peuvent recevoir deux houes, un mouton ou une vache laitière de leurs parents, des cadeaux de leur mari, voire de leurs beaux-parents ;

Quand elles viennent rendre visite à leurs parents et qu’elles leur en expriment respectueusement le désir ; iv) Par les acquêts en cours de concubinage, pour autant qu’il n’y ait pas union coutumière régulière ; v) Chez les Bahutu, les femmes possèdent parfois l’usufruit d’un champ dont elles peuvent librement profiter des produits ;

L’accoucheuse jouit des fruits du bananier sous lequel fut enterré l’arrière-faix et les premières déjections du nouveau-né ; vii) Plus rarement, par la voie de l’héritage.

Par les terres dotales.

Remarque.

Les vaches, propriété d’une femme mariée qui devient veuve, demeurent sa propriété. Elle peut, si tel est son désir, les remettre à ses fils et à ses filles par voie successorale. Si elle se remarie, et que ses enfants sont majeurs, elle leur laissera généralement.

Les enfants.

Ceux-ci peuvent acquérir des biens, notamment en bétail, à plusieurs occasions, par la voie de donations paternelles.

  1. i) Lors de l’apparition de leurs premières dents ;
  2. ii) Lors de la coupe de leurs longs cheveux ibisage, à la puberté ;

Au moment de leur installation en ménage, les garçons reçoivent une quote-part umunani de l’héritage paternel ;

  1. iv) Par voie d’héritage ;
  2. v) En toute occasion, suite à des dons d’amis, de parents, d’alliés ;
  3. vi) Chez les Bahutu, les enfants possèdent parfois l’usufruit d’un petit champ, qu’ils cultivent eux-mêmes à leur profit.
  4. Modes d acquisition de la propriété individuelle.

1) Par la production individuelle : culture, élevage, métiers. Toutefois, certains artisans fabriquant des tambours et des philtres spéciaux destinés à la Cour, ne pouvaient pas disposer librement de leur production ;

2) Achat ;

3) Héritage ;

4) Dons, cadeaux d’amitié, de bienséance et de condoléance ;

5) Échange ;

6) Rétributions, contributions et prestations reçues à l’occasion de l’exercice d’une charge sociale, d’un péage ou d’une taxe quelconque ;

7) En rémunération de services rendus ;

8) Par la chasse, la pêche ou l’exploitation de certains biens du domaine collectif : forêts, salines, mines de fer, marais à papyrus, etc.

Modes d’acquisition de l’usufruit.

1) Par la courtisanerie pour l’obtention de bétail, par le truchement du contrat de servage pastoral ;

2) Par la sollicitation d’une parcelle de terre arable, d’un pacage, par prêt ou par location ;

3) Suite à la mort d ’un propriétaire ou d ’un usufruitier, pour les veuves, les orphelins et les exécuteurs testamentaires ; donc par héritage ;

4) Par la location, l’emprunt, le dépôt de certains biens mobiliers.

Ventes et achats.

De tout temps, la société indigène a connu le contrat de vente-achat soit sur les marchés locaux, soit en dehors de ceux-ci. Les parties contractantes se font accompagner de témoins lors des transactions importantes concernant le gros bétail notamment. Le troc était général avant l’occupation européenne, la monnaie d’échange consistait alors en houes, taurillons, petit bétail et en vivres. Le recours au sel marin et aux perles, pour le troc, apparut avec la pénétration européenne en Afrique. Avec celle-ci, se répandit l’usage de l’argent qui finalement devait se substituer à toutes les valeurs d’échange admises précédemment. Si auparavant, les vaches reproductrices et les génisses ne se vendaient pas tandis que les plants de bananiers étaient propagés gratuitement ; il est de constatation courante à l’heure actuelle que rien n’échappe plus aux transactions : l’indigène cherche à faire argent de tout, voire même par la vente de l’usufruit qu’il détient sur le lopin de terre concédée par son sous-chef. Une gamme variée de produits peut être acquise sur les marchés locaux : gros et petit bétail, produits de l’agriculture, beurre, cordes, pipes, serpes, couteaux, paniers, étoffes de ficus, tabac, nattes, etc. Les vendeurs ont l’habitude de se grouper par catégories de produits offerts. Les prix furent toujours réglés par la libre concurrence : vendeurs et acheteurs n’ont pas d’obligations spéciales : à chacun d’ouvrir les yeux, car en droit coutumier, l’abus de confiance, l’escroquerie et la tromperie échappaient à la répression pénale. L’on trouve à présent, partout au RuandaUrundi, des trafiquants ambulants, d’aucuns se sont spécialisés dans le commerce du gros et petit bétail, l’on trouve des commerçants indigènes installés dans les centres de négoce.

La vente par surenchère et à la criée est inconnue des indigènes. Par contre, la vente à tempérament, après versement d’un premier acompte, est largement pratiquée pour les biens nécessitant un déboursement d’argent relativement considérable : gros bétail, bicyclette, motocyclette, voiture, etc.

La vente des biens fonciers est inconnue du droit coutumier mututsi où apparaît la cession onéreuse des usufruits agraires.

Certaines ventes étaient soumises à un accord préalable, comme à celui du patron pour la réalisation des bovins détenus par le client en vertu d’un contrat de servage pastoral. D’autres ventes étaient interdites : cession d’armes à l’ennemi, de tambours à ceux qui n’avaient pas le droit d’en battre, de charmes voués à l’envoûtement de hauts personnages et enfin des objets destinés par la coutume aux bami et aux chefs : ivoire, peaux de léopard, etc.

Prêts, emprunts et dépôts.

En dehors du prêt de têtes de gros bétail et de menus outils : houes, serpes, truelles, etc., l’indigène a de plus en plus recours à l’emprunt d’argent soumis à un intérêt que l’on ne peut qualifier que d ’extraordinairement usuraire. Il s’agit bien souvent de trafiquants en bétail, de commerçants autochtones ambulants, cherchant un capital leur permettant de faire démarrer leur entreprise commerciale. Le délai de remboursement est toujours préalablement fixé. Le taux de l’intérêt est entièrement libre.

La moindre somme empruntée est habituellement remboursable, dans le délai de un an par, au minimum, le double de son montant, soit en demandant un intérêt de 100%. Actuellement, bien souvent, tout emprunt entre indigènes est passible d’un intérêt de 10% par mois, soit 120% par an. En 1951, le tribunal de la chefferie du Bashumba-Nyakare (Astrida) crut devoir donner gain de cause au nommé R… qui avait prêté une somme de 800 francs, à l’un de ses congénères moyennant un intérêt mensuel de 400 francs, soit 600% par an. Ce jugement fut révisé par le tribunal du mwami. Le 6 juin 1948, Munyantwari prêta une somme de 3.000 F, à Mwebesa, au Bwanacyambwe (Kigali) en stipulant un intérêt de 800 francs, par mois, soit 320% par an. Saisi, le tribunal du Bwanacyambwe condamna Mwebesa au remboursement du capital et au payement de l’intérêt calculé pour une durée de vingt six mois, soit 20.800 francs. Ce jugement fut annulé par le tribunal du Parquet du Ruanda, le 10 décembre 1951.

Il éclate sous le sens que l’intérêt sollicité par les bailleurs de fonds est contraire à l’ordre public ; toutefois, à la décharge des usuriers, il convient de mettre en évidence l’insigne mauvaise foi des emprunteurs qui soumettent leur accord à n’importe quel intérêt mais semblent bien décidés dans la plupart des cas, à ne même pas rembourser en entier le capital reçu.

Au Ruanda-Urundi, depuis que ce territoire est administré par des nations européennes, l’usure a été considérée comme nuisible à l’intérêt général tant par l’administration belge que par l’administration allemande. Sans doute, le principe qui domine la matière des obligations, est que les conventions lient les parties. Mais il est un autre principe tout aussi certain, c’est que l’exercice d’une liberté, qui est contraire à la morale universelle, est opposée à l’essence même du respect dû à la personne humaine. Dans la mesure où la coutume permet une liberté absolue dans la fixation du taux de l’intérêt, elle ne peut être appliquée. En ce qui concerne les dépôts, le seul fait de les accepter rend le dépositaire responsable de leur bonne conservation.

Animaux et objets trouvés.

En droit coutumier, la chose trouvée n’appartient jamais à son inventeur ; dès que son légitime propriétaire se présentera, il pourra, selon certaine gratification, rentrer en possession de son bien : il n’existe pas plus de prescription ici qu’en d’autres domaines. On ne connaît qu’une exception à cette règle générale, c’est en matière d’essaim d’abeilles fugitives ; le propriétaire doit le suivre en criant constamment, afin de manifester publiquement son titre de propriété « inzuki ziraciye » : « (mes) abeilles s’enfuient », s’il n’a pu le reprendre avant la nuit, l’essaim appartiendra à son inventeur éventuel.

En ce qui concerne les menus objets : argent, houes, serpes, etc., l’auteur d’une trouvaille ne se préoccupait jamais d’en rechercher le propriétaire ; si ce dernier, par suite de ses investigations ou d’un heureux hasard parvenait à le retrouver, il devait, de droit, remettre un cadeau à l’inventeur. Cette rétribution s’intitule ikibon’amaso (littéralement : la chose — qui récompense — l’œil qui a vu). Ce droit à la gratification d’une indemnité semble bien être général dans les sociétés primitives ; on a vu des Noirs aller voler l’objet qu’ils avaient rendu parce que le propriétaire ne leur avait rien donné. En économie indigène, la récompense dépassait bien souvent la valeur de l’objet rapporté ; il en allait de même en matière de cadeaux, ceux-ci appelant toujours un contre-cadeau, à moins de commettre un impair non seulement impardonnable mais suspect de mauvaises intentions par envoûtement éventuel en se servant du don reçu comme moyen de sorcellerie.

Dans le cas de trouvaille importante consistant en petit ou en gros bétail, l’inventeur était tenu d’en aviser son chef de colline ; entre-temps, il détenait la libre disposition des produits de ce bétail. En cas de mort de la bête, sa peau devait être remise au chef qui la tenait à la disposition du propriétaire ; l’inventeur pouvait évidemment en consommer la viande.

L’ivoire trouvé revenait de droit au chef de province ou au mwami ; ceux-ci ne manquaient jamais de remettre un cadeau au donateur : un taurillon par exemple.

A l’heure actuelle, toute la matière est réglée par le droit écrit. L’inventeur d ’un objet perdu, ne pourrait le conserver sans se rendre coupable de l’infraction de ce frauduleux prévue et punie par le décret du 24 décembre 1929 formant l’article 102 du Code pénal, Livre II. Quant à l’ivoire provenant d’éléphants trouvés morts ou abattus en état de légitime défense, il doit être remis à l’Administration, en vertu de l’article 1G du décret du 21 avril 1937, contre certaines rémunérations.

Contrat de mutualité ikilemba.

Ce contrat n’est pratiqué que par les indigènes extracoutumiers. Deux amis conviennent que chaque mois, à tour de rôle, l’un remettra à l’autre l’entièreté de son salaire, quel qu’en soit le montant. Ce contrat a pour but d’augmenter, momentanément, le pouvoir d’achat du bénéficiaire. Il a été signalé au Congo belge, que cette convention s’exécute parfois entre amis touchant des salaires inégaux et qu’il se poursuit lorsque l’un d ’eux se trouve sans emploi.

Contrat de travail.

Ce contrat est courant entre Bahutu. En matière de construction de huttes, la règle coutumière consiste à réunir quelques amis qui effectueront le travail en compagnie du propriétaire lequel leur offrira bière et nourriture. On observe bien souvent le même procédé chez les Bakiga, habitant les hautes montagnes, qui désirent activer la réalisation de certaines emblavures. Chez le primitif, le travail collectif en rangs serrés, scandé par le rythme des chants et instigué par la présence d’une cruche de bière, avance toujours rondement.

Mais un véritable contrat de louage de services existe au sein des collectivités indigènes. Il s’agit d’autochtones émigrant à la recherche de travaux agricoles rémunérés en espèces (guhaha : Ru. – gutara : Ur.) ; ils sont logés et nourris par leur employeur qui leur remet en outre un salaire journalier variant de six à neuf francs actuellement. Ils sont soumis aux plus lourds travaux de labour, sous l’œil de la maîtresse de céans qui ne leur laisse guère de répit.

D’autres indigènes prêtent leurs services en qualité de boys, de cuisiniers à certains évolués : clercs, infirmiers, chauffeurs, commerçants, trafiquants en bestiaux ; en règle générale, ils sont mal rémunérés et ne touchent que 50 à 150 francs, par mois. Par contre, ils reçoivent la nourriture et le gîte gratuitement.

Il va de soi que le contrat de travail entre indigènes et maîtres civilisés demeure régi par les règles du droit écrit en vertu du décret du 16-3-1922.

  1. Petits animaux domestiques.

Le mwami dispose d’un droit de propriété plutôt théorique sur le petit bétail. La chèvre est l’animal d’élevage de l’agriculteur ; le Mututsi la déteste. Par contre, ce dernier réquisitionnait à profusion et sans rémunération, poussins et béliers amamana pour les besoins de la divination. Il réquisitionnait également le miel pour en tirer son hydromel. Depuis le 1er janvier 1932, ces prestations qui s’incorporaient dans le tribut politique, ont été rachetées en espèces, leur réquisition est donc interdite et vaudrait à leur auteur d’être poursuivi pour concussion. A présent, l’indigène dispose donc de l’entière propriété et du libre usage de ses chèvres, moutons, porcs, poules, canards et ruches, comme il l’entend. Les chèvres constituaient autrefois une véritable monnaie d ’échange ; on les retrouve encore parfois comme prix pour l’acquisition de gros bétail et, au Ruanda, dans la constitution des gages matrimoniaux.