Conséquences du décès sur le conjoint survivant et les enfants.

  1. — Décès du mari.
  2. Le mariage était coutumièrement régulier. Règle du lévirat (Gucura).

Il faut partir du fait que par son mariage, la femme a été incorporée dans le clan du mari défunt et qu’elle lui appartient.

  1. a) Il n’y a pas d’enfants. Si elle désire demeurer dans les biens et la famille du mari, elle doit épouser son beaufrère ; celui-ci n’aura aucun gage matrimonial à constituer. C’est la loi du lévirat (du lat. lévir : beau-frère).

Si la femme refusait de cohabiter avec son beau-frère et que la dot indongoranyo n’avait pas été remise, il y aurait lieu éventuellement à restitution des gages matrimoniaux inkwano.

  1. b) Il y a des enfants. Ils appartiennent au clan paternel, il n’est jamais question pour une mère de les « racheter ».
  2. i) En bas-âge ou uniquement des filles.

En principe, la veuve ne pouvait refuser de cohabiter avec son beau-père qui considérait les enfants comme les siens propres. Si le beau-père était trop vieux, la tutelle reviendrait de droit à l’aîné de ses fils ; mais dans ce cas, la veuve pourrait éventuellement refuser de devenir la femme de celui-ci.

  1. ii) Des enfants adultes, y compris des fils.

C’est à l’un des fils que reviendra la charge de chef de famille et, en conséquence, de tuteur de ses frères, sœurs et épouses de son père défunt. Si la veuve est encore jeune, elle pourra être sollicitée en mariage par l’un des membres de la famille du mari, ou même par l’un des fils de celui-ci, pour autant qu’elle n’en soit pas la mère. Le fait de refuser semblable sollicitation, occasionnerait le bannissement de la femme du clan marital.

Le mariage était coutumièrement irrégulier.

La veuve rentrera dans son propre clan avec ses enfants, peu importe l’âge ou le sexe de ceux-ci. Si le clan du mari défunt voulait les conserver, il devrait préalablement les « racheter » au clan maternel, « rachat » qui ne constitue jamais un gage matrimonial.

  1. — Décès de la femme.
  2. Le mariage était coutumièrement régulier. Règle du sororat.

Il n ’y aurait restitution du titre matrimonial — pour autant que le veuf le réclame — que si de l’union il n’était pas né d ’enfant et que y’indongoranyo n ’avait pas été versée.

Selon ses moyens, la famille de la défunte, enverra une vache (indorano) au veuf ou de la bière (ibiyagano) afin de le consoler.

Les relations sociales demeurent normalement inchangées, à moins que le mari ne soit suspecté d’avoir causé la mort de sa femme.

Bien que cela ne constitue pas précisément un droit pour lui, le veuf peut recevoir comme nouvelle femme, surtout s’il a des enfants en bas-âge, une sœur de la défunte ; en pareille occurrence, il n’aurait pas à constituer un nouveau titre matrimonial. E t ceci est une preuve de plus que le mariage indigène ne constitue pas un achat.

Ce sororat (du lat. soror : la sœur) est évidemment une réplique du lévirat. La nouvelle épouse portera le nom à ’inshumbushanyo. S’il devient veuf à nouveau, le mari ne recevra plus de femme de ses beaux-parents.  Le mari conserve évidemment ses enfants.

  1. Le mariage était coutumièrement irrégulier.

Le veuf ne pourra jamais revendiquer en mariage la sœur de la défunte, à moins qu’il ne constitue le titre matrimonial. Les enfants issus de l’union relèvent du clan maternel qui se chargera de les élever et de les éduquer. Le mari pourrait les « racheter » en octroyant au clan maternel un taurillon par garçon et une génisse par fille, conjoncture qui, répétons-le, ne constituera jamais un titre matrimonial inkwano.

  1. — Situation créée par le remariage.
  2. Remariage du veuf avec une étrangère au clan de sa femme défunte.

La situation juridique du veuf quant aux biens et aux enfants qu’il tient de la précédente union, sera identique à celle d’un polygame. De même que l’inkwano demeurera la propriété du clan paternel de la femme défunte, le veuf demeurera propriétaire de l’indongoranyo et des ibirongoranywa que cette femme lui avait amenés en dot.

Remariage de la veuve avec un étranger au clan du mari défunt.

La veuve perd tous ses droits et doit abandonner à la famille du mari défunt tous les biens acquis par la communauté, 1 ’ indongoranyo, les ibirongoranywa ainsi que les enfants. Il ne sera jamais question ni pour la veuve, ni pour son clan, de « racheter » ces enfants.

Aussi, le remariage d’une veuve ayant des enfants, avec un étranger, est-il rarissime ; dans la majorité des cas, elle préférera demeurer avec ses enfants dans les biens du défunt afin de leur en sauvegarder l’héritage.

 Les principes de base qui régissent la succession au Ruanda-Urundi sont les suivants :

1° La succession est patrilinéaire, en cas de mariage régulier.

2° En conséquence, les femmes ne peuvent pas hériter du titre du chef de famille, exceptionnellement une fille unique peut hériter des biens paternels ; mais généralement elles ne deviennent qu’usufruitières. De toutes les façons, elles ne disposent guère du droit de tester, bien que la coutume évolue sur ce point.

3° Le nouveau chef de famille investi n’est pas nécessairement le fils aîné du défunt ; il prend le titre d’héritier au droit d ’aînesse. Son choix relève uniquement de la volonté souveraine exprimée par le de cujus qui peut même désigner l’un de ses petits-fils pour exercer cette fonction ; dans une succession ab intestat, ce choix est décidé par le conseil de famille, ou par le shebuja.

Testament.

Le testament se traduit par umurage, du verbe kuraga : tester ; testateur par umurazi et hériter par umuragwa ou umuzungura (du verbe kuzungura : recueillir des biens inzungu).

Formes: Eu égard à l’état d’évolution des indigènes, le testament peut revêtir plusieurs formes :

1° Oral, en présence de témoins ;

2° Oral et secret ;

3° Par écrit et éventuellement olographe.

Testament oral et secret.

Le testateur fait part de ses dernières volontés non pas à ses héritiers, mais à son patron-protecteur shebuja. Ce testament a la réputation de ne pas pouvoir être modifié par des déclarations ultérieures effectuées devant témoins.

Testaments écrits.

Signe évident de l’évolution de la société indigène, l’on a constaté, depuis plusieurs années, l’existence de testaments écrits olographes ou non.

1) Le testateur est lettré.

Au Ruanda-Urundi, s’implante de plus en plus l’usage de remettre, afin qu’il ne se perde, et de lui donner un caractère d’authenticité, une copie du testament au greffe du tribunal du mwami. Le testament dactylographié est admis par la coutume en évolution.

2) Le testateur est illettré.

Un scribe écrit ses dernières volontés sous sa dictée et devant des témoins en nombre pair. En pareille occurrence, le testament est conservé soit par le testateur ou par l’un des témoins, soit au greffe du tribunal du mwami.

Succession ab intestat.

Pour le cas où le de cujus n’a désigné aucun successeur en qualité de chef de famille et n ’a exprimé aucune volonté quant à la dévolution de ses biens, un conseil de famille auquel participera éventuellement le patron du défunt, se réunira après la période rituelle du deuil et désignera un nouveau chef de famille et, s’il échet, un exécuteur testamentaire. Ceux-ci auront pour mission de veiller à la dévolution des biens selon les règles du droit coutumier.

Désignation du chef de famille.

Le testateur peut désigner pour lui succéder en qualité de chef de famille, n’importe lequel de ses fils. Semblable conception était bien connue des Israélites (Genèse, XXV, XXVI). Au Ruanda-Urundi, le droit d’aînesse peut même être dévolu à un petit-fils.

La règle qui veut que l’héritage du commandement passe nécessairement entre les mains du descendant le plus vieux de la génération la plus ancienne encore en vie, n’est pas d’application au Ruanda-Urundi.

Dans la plaine du Tanganyika entre Rumonge et Usumbura, le père qui vient d’instituer l ’un de ses fils en qualité de chef de famille, lui remet sa lance en signe de la dignité dont il le revêt (Servir, 1945, p. 147).

Si le défunt n ’a pas désigné de chef de famille pour lui succéder, on ne délibérera à ce sujet qu’après la fin du rituel du deuil. A cet effet, se réunira un conseil de famille dont feront partie : les oncles paternels, les frères du défunt et ses ascendants patrilinéaires. A ce conseil viendra s’adjoindre le patron shebuja du défunt s’il échet ; de toute façon, on choisira un successeur recueillant la sympathie et l’agrément du shebuja. Après délibération secrète, le nouveau chef de famille est investi solennellement par le président du conseil. Dans ce choix, tous les fils du défunt nés d’unions légitimes ou illégitimes, monogamiques ou polygamiques, sont mis sur le même pied (1). Un tableau commenté fera mieux comprendre le mécanisme de la succession au titre de chef de famille.

Nous avons éliminé de ce tableau tous les noms des filles éventuelles, attendu que les femmes ne participent pas, en principe, au commandement des familles. Mpfizi crée une famille inzu et il a trois fils : Kanyarubira, Semushi et Gatorano.

A sa mort, Mpfizi désigne Semushi pour lui succéder, en qualité d’héritier au droit d ’aînesse ; en conséquence, Semushi commandera à son frère aîné Kanyarubira et à son puîné Gatorano.

A leur tour, Kanyarubira, Semushi et Gatorano créent famille ; chacun, au sein de la sienne, désigne un successeur au droit d’aînesse : Mugenzi pour Kanyarubira, Sembeba pour Semushi et Sindano pour Gatorano.

D’office, Sembeba devient le chef de toute la famille au sens étendu umuryango de Mpfizi, il commandera non seulement à ses frères Gakwisi, Sebuhoro, Gatsinzi et Bubiliza, mais en outre à ses cousins germains Semuhungu, Rwanyabugigira, Mugenzi, Sindano, Buzingo et Rutagwenda ; et, s’ils sont encore en vie, à ses oncles Kanyarubira et Gatorano. A noter que si Sembeba était mineur, il pourrait être mis sous tutelle chez l’un de ses oncles Kanyarubira ou Gatorano sans inconvénient quant à la reconnaissance de son titre de chef de famille.

Tous les descendants de Mpfizi seront désormais désignés sous le nom de Bapfizi. A la quatrième génération, c’est Kimenyi qui commandera à tous les Bapfizi encore en vie. En conclusion, le titre de chef de famille est dévolu :

1° A l’héritier au droit d’aînesse, selon le choix du père ou du conseil de famille, au sein de la famille au sens restreint du mot inzu.

2° Par succession directe patrilinéaire depuis le premier chef à l ’inzu ayant succédé au fondateur, dans la famille au sens étendu ou clan.

Pouvoirs et devoirs de l’héritier chef de famille.

L’héritier au droit d’aînesse acquiert toutes les prérogatives du chef de famille et, s’il cumule la charge de chef de clan umuryango, il aura juridiction sur les clans inzu.

Recueillant tous les droits du père sur les enfants de celui-ci, de même que sur les collatéraux éventuels, c’est à l’héritier au droit d ’aînesse qu’incombera désormais le soin de consentir au mariage ou au divorce des filles, de surveiller l’usage des biens que font les garçons déjà dotés par leur père et de pourvoir à l’installation de ses autres frères.

Il obtient un droit de propriété absolue, sur tous les biens personnels du défunt et un droit de juridiction sur ceux qui dépendaient de lui. Il recueillera les armes du de cujus.

Il a droit aux pâturages ibikingi qui relevaient du de cujus.

A l’occasion du partage entre les héritiers, il a droit à une part plus élevée que les autres : itako ly’umutware (litt. la cuisse du chef), notamment en matière foncière. De toute façon, il possède un droit absolu sur les concessions terriennes indeka ou ingobyi et sur l’habitation principale du défunt. Il possède la faculté de pratiquer la revue, suivie de prélèvement, des troupeaux qui se trouvaient sous la juridiction du défunt.

Toutefois, cette charge ne lui confère pas la qualité de patron de ses frères et des autres membres de sa famille : ceux-ci ne lui seront donc jamais redevables de prestations en nature ni en travail ; ils devront s’adresser à lui pour toutes contestations dérivant de contrats de gros bétail tombant sous sa juridiction. Notons que par la suite, ces parents pourraient devenir clients du chef de famille s’ils réalisaient avec lui des contrats de vassalité par le truchement de la vache ; en cette occurrence, il leur incomberait de lui fournir les prestations coutumières prévues.

S’il est en âge de le faire, il sera exécuteur testamentaire et recueillera la charge de la tutelle des héritiers mineurs légitimes et illégitimes. Il possède la haute surveillance des actes de gestion accomplis par les usufruitiers.

En signe d’allégeance et selon leur état de fortune, ses frères lui remettront, individuellement, une tête de gros bétail indorano et des cadeaux ibiyagano.

Exécuteur testamentaire extraordinaire.

Comme nous venons de le voir, l’exécution testamentaire incombe à l’héritier au droit d’aînesse, toutefois il peut se faire que celui-ci soit un incapable juridique du fait de minorité notamment, dans ce cas, l’exécution sera réservée à mie personne désignée soit par le testateur soit par un conseil de famille. Ce sera bien souvent l’oncle paternel, le frère aîné du défunt, ou, à leur défaut, le patron du de cujus.

Si le patron n’avait pas été désigné pour assurer cette charge, il incomberait à l’exécuteur testamentaire de le prévenir immédiatement et de lui présenter le nouveau chef de famille. Chez les grands éleveurs on lui apportait à cette occasion une génisse inka yo kubika en signe d’allégeance pour la bonne reconduction des relations de vassalité.

Exécution testamentaire.

L’exécution testamentaire se poursuit ordinairement à l’amiable ; si des contestations éclataient, elles tomberaient dans la compétence matérielle des juridictions indigènes organisées. Toutefois, celles-ci n’agiront jamais d’initiative, mais à la requête des cohéritiers lésés ; d’ailleurs, une tentative de conciliation aura été préalablement entamée devant le patron du chef de famille ou auprès de l’autorité indigène locale.

Payement d es dettes.

Il appartient aux créanciers de faire valoir leurs titres en fournissant toutes preuves utiles à l’appui, à moins que le défunt n’ait eu le temps de les faire connaître à ses héritiers. Les créances seront apurées, lors de l’ouverture de la succession, à charge de la masse. Les héritiers ne sont nullement tenus de payer les dettes du défunt si celui-ci ne leur laisse aucun bien ; d’où l ’adage munyarwranda : Ntawishyuza uwapfuye : le débit n ’atteint pas le mort.

Exécution des contrats conclus par le défunt.

  1. a) Corvées coutumières : elles cessent d’être dues à la mort de leur redevable, les héritiers ne contractent aucune obligation à cet égard.
  2. b) Contrats de gros bétail ubuhake ou ubugabire.
  3. i) Le défunt était patron. En règle générale, l’exécuteur testamentaire assurera le parachèvement du contrat ébauché ; la jurisprudence de l’Urundi en fait même une obligation.
  4. ii) Le défunt était client ou sur le point de l’être.

Si le contrat était déjà conclu, les héritiers le reprenaient à leur charge ; nous nous trouvons à présent devant une évolution de la coutume vers la négative.

Si le contrat n’était pas parfait, l’exécuteur testamentaire pouvait soit se décharger de son exécution sur les héritiers, pour autant qu’ils y consentissent, soit le rompre.

Emprunts d’argents, de bétail ou d’objets de consommation alim en taire.

  1. i) Le défunt a emprunté. Les héritiers doivent remettre l’objet du litige, dans les conditions de temps et de modalités convenues, en payant éventuellement les intérêts fixés.
  2. ii) Le défunt a prêté. Les héritiers ne manqueront jamais de tenter toutes récupérations nécessaires.
  3. Louage de terres.
  4. i) De champs. — Kwatisha.

Il est loisible aux héritiers d’abandonner les champs loués par le de cujus ; toutefois, la mort n ’est jamais une cause de résiliation d ’office du contrat de location ; en conséquence, les héritiers ont toute latitude pour perpétuer la jouissance des champs en question.

  1. ii) Des pâturages. — Kuragiza — Uruhehe.

A la mort du preneur, ses héritiers doivent manifester expressément leur intention de reconduire le contrat de location.

Contrat de vente.

  1. i) Promesse de vente : celle-ci n’engage pas les héritiers.
  2. ii) Vente conclue mais non parfaite, ou vente à crédit. L’exécuteur testamentaire est tenu de payer les créances restant dues. Le vendeur n’est en effet nullement tenu de reprendre l’objet vendu au défunt ; s’il le faisait, il exigerait une réduction de prix à la reprise eu égard à l’usure de l’objet et à son emploi.

Si le de eu jus avait été lui-même vendeur, l’exécuteur testamentaire ne serait pas tenu à reprendre l’objet ; il accomplira toutes démarches utiles à la rentrée des dernières créances.

Échange — Kugurana.

L’échange n ’entraîne aucune obligation pour l’exécuteur testamentaire ; la procédure à suivre en cas d ’apurement incomplet des engagements souscrits est la même que celle décrite ci-dessus à propos des ventes non parfaites.

Le cautionnemen t — Kwishingira.

Le cautionnement est l’acte par lequel on se porte garant d’une personne engagée à n’importe quelle obligation. Les héritiers de la personne qui s’est rendue caution de l’obligation contractée par un débiteur, ne reprennent pas cet engagement à moins que la personne pour laquelle le défunt s’était porté garant vienne solliciter du représentant des héritiers de se substituer au défunt. Si la personne qui sollicite la caution est insolvable ou qu’un certain doute plane sur sa solvabilité, l’héritier sollicité en caution refusera de remplir les mêmes fonctions, surtout s’il ne connaît la personne que de loin.

Les gages. — Ingwate.

  1. i) Biens autres que le gros bétail.

Le gage se résilie le jour où le débiteur paie ou accomplit son obligation. Le bien nanti est remboursé au débiteur par le créancier. Les héritiers quels qu’ils soient, gagistes ou débiteurs, doivent accomplir les obligations contractuelles conclues par le défunt.

  1. ii) Gros et petit bétail. Les héritiers ont l’obligation de veiller à l’exécution des contrats en cours.
  2. Dépôt. — Kubitsa, gushyinguza ; ou gardiennage — kuragiza.

Ordinairement, l’exécuteur testamentaire ne mettra pas fin au contrat en cours ; s’il le faisait, il devrait payer les frais de gardiennage tels qu’il avaient été admis par le de cujus.

Donations.

Les charges entraînées par les donations à titre onéreux reçues par le de cujus seront apurées par l’exécuteur testamentaire ou éventuellement par les héritiers.

Titres matrimoniaux. — Inkwano.

Les titres matrimoniaux reçus par le de cujus étant tombés dans sa propriété personnelle, reviennent aux héritiers.

Partage des biens.

Le testateur décide souverainement du partage de ses biens entre ses héritiers. Le droit coutumier ne fixe aucune règle en cette matière. Cette absence d’institution est un corollaire à la fois de la faculté qu’a le père de désigner n’importe lequel de ses fils ou petit-fils en qualité d’héritier au droit d’aînesse d’une part, et, d’autre part, de déshériter qui bon lui semble.

Le testateur peut donc estimer de son droit le plus strict de fixer les parts — iminani — comme il l’entend, ou de léguer ses biens à d’autres personnes que ses fils, voire à des étrangers. Habituellement, compte tenu des enfants installés en ménage et qui par conséquent ont déjà reçu leur part d’héritage, le testament sera de nature à favoriser le nouveau chef de famille, héritier au droit d’aînesse.

Des biens meubles.

Ceux-ci comportent l’argent, les ustensiles de cuisine et les instruments de ménage.

Si la somme d’argent est importante, elle tombe dans la masse de la succession et sera répartie entre les héritiers et la veuve ; l’héritier au droit d’aînesse s’adjugeant la plus grosse part en cas de succession a b intestat. Si la somme est de peu d’importance, elle demeurera entièrement entre les mains de la veuve ou à son défaut, dans celles du nouveau chef de famille.

Les autres biens meubles relèvent du chef de famille, la veuve n’en recevra que l’usufruit.

D’office, les armes et les instruments du défunt deviennent la propriété de son héritier au titre de chef de famille, afin de prouver ostensiblement qu’il a recueilli les moyens de défendre l’autorité dont il est investi.

Du bétail et de la clientèle.

  1. i) Vaches personnelles au défunt.

Ce bétail est composé de bêtes que le défunt n’avait pas concédées à des tiers et qu’il tenait auprès de lui pour l’alimentation de sa famille (Inyarulembo, ingaligali ).

Le chef de famille en reçoit une part plus importante que les autres héritiers, mais la coutume ne fournit aucune précision quantitative à ce sujet.

Les autres enfants non encore installés en ménage, reçoivent leur part au fur et à mesure qu’ils se marient. Rappelons ici que le nouveau chef de famille a l’obligation de pourvoir à l’installation de ses frères et même de leur venir en aide s’ils sont déjà mariés.

  1. ii) Bétail appartenant aux enfants mineurs du défunt.

Il s’agit de donations coutumières qu’un père fortuné accorde à ses fils notamment lors de l’apparition des premières dents et au moment de la première coupe de leurs cheveux ibisage. Ce bétail porte le nom d’igiti: arbre ; il constitue en effet la toute première propriété des enfants et est comparable aux bois de charpente qui servent à construire les huttes. Ce bétail demeure la propriété de ceux qui l’ont reçu, même si les bénéficiaires sont des filles ; il ne tombe jamais dans la succession.

iii) Bétail de donations effectuées à la veuve.

Qu’elle ait reçu ce bétail de ses propres parents ou de feu son mari, la veuve n’en acquiert jamais la propriété mais un simple droit d’usufruit. En conséquence, des dispositions seront prises expressément pour désigner l’héritier qui les aura désormais sous sa juridiction ; faute de ce faire, la veuve pourra désigner elle-même le fils auquel elle désire voir conférer cette charge. A défaut de semblables désignations et d’héritiers issus de la veuve, lors du décès de celle-ci, son bétail reviendra au nouveau chef de famille investi.

  1. iv) Clients du défunt et bétail détenu par eux. Le sort de cette clientèle suivra celui du bétail qu’elle détient. Les liens qui unissent clients et bétail ne sont pas rompus par la mort du patron. Le partage des clients entre les héritiers a lieu non point en considération de l’importance numérique qu’ils représentent, mais eu égard à la quantité de bétail dont chacun était redevable au défunt, compte tenu du croît.

Rappelons ici que la clientèle comprend :

1° Les clients ingabo reçus du mwami et ceux provenant d’amis, de parents, ou de successions antérieures dont bénéficia le défunt ;

2° Les clients ingaligali qui furent dotés directement de bétail par le de cujus ;

3° Les clients des enfants mineurs et des épouses pourvus de bétail que ces dernières reçurent de leurs parents ou époux.

Les clients repris sous 1° et 2° seront répartis entre les héritiers, la plus grosse part tombant sous la juridiction de l’héritier au droit d’aînesse. Dans les familles de modeste condition, les enfants qui possèdent déjà des clients, ne participent pas à ce partage. Les clients repris sous 3° seront traités comme le bétail constituant la propriété individuelle des enfants mineurs et des veuves (voir ci-dessus i, ii et iii).

L’umurundo suivi de prélèvement ugutora.

Cette coutume a essentiellement pour but d’asseoir l’autorité du nouveau chef de famille. Au Ruanda, l’héritier au droit d’aînesse dispose de la faculté, lors de son avènement, mais une seule fois durant sa vie, de passer en revue tout le bétail de la clientèle relevant des membres de sa famille qui lui sont désormais subordonnés ; à cette occasion, il peut effectuer des prélèvements parmi ce bétail. Comme nous l’avons vu précédemment les membres de famille qui sont subordonnés au nouveau chef ne comprennent pas seulement ses frères, mais également ses oncles paternels, ses cousins et neveux. Cette faculté appartient aussi à chaque héritier quant au bétail de la clientèle qui lui est dévolue. Nous avons les règles présidant à l’umurundo du droit coutumier concernant les contrats de gros bétail.

  1. v) Bétail de clientèle et autre du de cujus client.

Le bétail contractuel appartenant à un défunt qui ne laisse aucun héritier, relève désormais de son patron, celui-ci possède la faculté de le concéder en tout ou en partie aux ascendants ou aux collatéraux du de cujus. En pareille occurrence, ces derniers s’empresseront de présenter un cadeau d’allégeance au patron et de lui exprimer discrètement leurs desiderata.

Si le bétail appartenait en toute propriété — imbata — au défunt, sa dévolution reviendrait, selon le droit coutumier ancien, au chef de famille survivant et, à son défaut, en cas de déshérence, au mwami. Nous reviendrons plus loin sur cette question à l’occasion de l’examen des successions en déshérence.

Transmission par héritage du servage pastoral.

Quand le client se sent vieillir, il a soin de présenter à son patron, son fils candidat au droit d’aînesse. Tout jeune, celui-ci sera affecté à la surveillance du bétail du patron, ou à quelque autre travail en rapport avec son développement physique. Précédemment, les grands chefs envoyaient leurs fils en qualité de pages intore chez le mwami. Faute de ce faire, le patron ne serait pas obligé de reconnaître l’héritier et il pourrait reprendre son bétail ; toutefois, le nouveau chef de famille s’empresserait de gagner les sympathies du maître et de lui réclamer l’usufruit du bétail. Après la clôture du deuil, l’umugaragu héritier s’empresse de présenter un cadeau d’allégeance au patron qui y répond à son tour par des présents. Si l’héritier au droit d’aînesse est mineur, le patron ne manquera pas d’aider la famille dans les devoirs qu’impose la tutelle. Si l’héritier au droit d’aînesse se refusait à admettre l’autorité du patron, celui-ci ne manquerait pas de lui reprendre ses vaches, et les cohéritiers, par ricochet, subiraient également des ennuis.

Petit bétail.

Celui-ci étant toujours l’entière propriété du défunt, il sera divisé entre les héritiers, une part plus importante itako ly’umutware étant réservée à l’héritier au droit d’aînesse.

Des immeubles.

La vente des immeubles pour sortir d’indivision est inconnue au Ruanda-Urundi.

  1. i) Habitations.

L’habitation principale du défunt revient de droit au nouveau chef de famille. Il pourra l’occuper pour autant qu’il en construise une autre pour la veuve, si celle-ci n’est pas sa mère, sinon, elle pourra résider dans cette habitation, en guise d’usufruit, jusqu’à la fin de ses jours, à moins qu’entre-temps elle n ’épouse un étranger au clan marital. Les autres habitations suivront le sort des terres sur lesquelles elles se trouvent lors du partage.

  1. ii) Terres de culture et bananeraies. Les champs du défunt seront répartis entre ses héritiers selon les endroits où ils se trouvent ; en principe, on ne divise pas en plusieurs parts les terres de culture isambo groupées en un endroit déterminé, la mère continuant à les occuper en usufruit. A sa mort, on procède parfois à une division de l’isambo entre les héritiers, les parts s’appellent imigabano, le nouveau chef de famille recevant la plus importante.

Bien souvent, les fils du défunt seront déjà installés sur d’autres lopins de terre qu’ils auront obtenus du sous-chef. S’ils sont en bas-âge, leur mère, usant de son droit d’usufruit, continuera à cultiver la tenure paternelle afin d’assurer la subsistance des survivants ; une fois adulte et marié, le chef de famille investi pourrait entamer lui-même la mise en valeur de cette tenure ; toutefois, il lui est strictement interdit d’empêcher sa mère de l’exploiter tant qu’elle n ’est pas remariée à un étranger. Il doit adopter la même position à l’égard des autres femmes de son père polygame, à supposer même que sa propre mère fût décédée. En fait, c’est bien souvent au cadet que les champs seront finalement dévolus lors de son mariage, sans qu’il y ait lieu à partage, car ses aînés seront déjà mariés et installés.

Droits et devoirs de la veuve.

Biens propres du mari.

Elle n’hérite jamais des biens propres de son mari, elle n’en reçoit que l’usufruit qui cessera en cas de remariage à un étranger, ou à sa mort. Elle exerce ce droit d’usufruit sous le contrôle du nouveau chef de famille. Il lui est permis d’employer les biens de la succession et de s’en servir pour elle-même et les héritiers mineurs ; cette tolérance n’entraîne jamais pouvoir d’aliénation. En conséquence, la veuve ne pourrait vendre ou céder du bétail sans le consentement de l’exécuteur testamentaire. Le droit coutumier n’admet même pas la restitution de l’équivalent des biens recueillis par l’usufruitière à l’occasion de dons qu’elle se serait permis de consentir.

La veuve peut sous-louer les biens dont elle dispose : immeubles, bétail, mais moyennant consentement préalable de l’exécuteur testamentaire. Elle a le devoir d’entretenir l’habitation, le kraal, la bananeraie et le bétail du de cujus, « en bon père de famille ». Le droit d’usufruit de la veuve est inconditionnel : qu’elle ait conçu des enfants ou non avec le défunt.

L’exécuteur testamentaire doit entretenir la veuve grâce aux biens du défunt ; personne ne peut l’en évincer, ni aliéner ces biens la condamnant ainsi à péricliter dans la misère. Toutefois, la veuve ne pourrait s’opposer à l’exécution d’actes d’administration pour autant qu’ii ne lèsent ses intérêts.

Néanmoins, elle devra s’incliner devant tous actes d’administration concernant le gros bétail du défunt.

Lors du décès de la veuve, la gestion des biens reviendra à celui des héritiers qui jusque là n ’en détenait que la nue-propriété.

Notons qu’aucune règle de droit coutumier ne fait obligation à la veuve de demeurer dans l’habitation et sur les terres de feu son mari, elle pourrait retourner dans son propre clan, mais elle préférera toujours habiter auprès de l’un de ses fils, surtout de l’héritier au droit d ’aînesse.

Il est à noter que si une veuve se remarie à un étranger au clan de son premier mari et qu’elle continue à pouvoir résider dans les immeubles de ce dernier, tous les biens propres ou aux acquêts de la seconde union entreront dans la masse de la succession du défunt. Les enfants nés de la nouvelle union ne pourront pas en hériter. Le titre matrimonial pour épouser l’une des filles issues du second mariage devra être remis à la famille du premier mari qui considère la veuve comme étant devenue son propre enfant du fait de sa résidence sur ses terres.

Les acquêts.

Relèvent de la propriété de la veuve et, en tous cas, de son droit d’usufruit le plus étendu, même si elle n’a pas été épousée par remise du titre matrimonial, tous les biens obtenus aux acquêts durant l’union conjugale, pour autant que son mari n’ait obtenu aucune quottepart d ’héritage de ses propres parents. La veuve peut dès lors disposer du bétail, des immeubles ; les louer et les vendre sans le consentement du chef de famille nouvellement investi. Les biens meubles demeurent son entière propriété. Toutefois, la coutume ne reconnaissant pas aux femmes le droit de tester autrement, en cas de décès, ses biens retourneront aux héritiers patrilinéaires. Il a été jugé par le tribunal de territoire de Nyanza, le 11 avril 1945, que la bru ne devait pas partager avec sa belle-mère, les biens de feu son mari si ceux-ci sont le fruit des acquêts matrimoniaux.

Droits du veuf.

Que l’union soit légitime ou illégitime aux yeux de la coutume, tous les biens que la femme apporta dans le ménage, même ceux qui proviennent de sa propre famille, appartiennent d’office au veuf ainsi qu’à ses enfants. Si elle avait reçu des serviteurs dotés de bétail par ses parents, ils relèveraient désormais du veuf.

Toutefois, si la femme avait amené des biens provenant des acquêts d’une union précédente, et si elle venait à décéder, ces biens n’appartiendraient pas à son second mari, mais bien aux héritiers du premier.

Droits des filles.

En principe, les filles ne peuvent pas hériter des biens de leur père ; la coutume connaît toutefois quelques exceptions en cette matière chez les Batutsi. Elles peuvent recevoir des dons lors du vivant de leurs parents. De toute façon, à la mort de ceux-ci, elles ont droit à une pension alimentaire de la part des héritiers. La fille ne peut jamais succéder à son père en qualité de chef de famille, même si elle était fille unique ; dans ce cas, elle pourrait jouir d’un droit d ’usufruit le plus étendu sur les biens paternels jusqu’au moment de son mariage. A ce moment ces biens reviendront de plein droit à son clan paternel et ne tomberont jamais sous la propriété de son mari.

Une fille peut recevoir des donations aux occasions suivantes :

1° Quand elle se marie, par le truchement de la dot indongoranyo et des biens ibirongoranywa ;

2° Lorsqu’elle accouche ; selon l’état de fortune de ses parents, elle recevra deux houes, un mouton ou une vache laitière ;

3° Quand, rendant visite à ses parents, elle leur exprime respectueusement le désir d’être aidée ;

4° Lorsqu’elle perd son mari, ses frères lui construiraient une habitation si elle manifestait le désir de réintégrer le clan paternel.

Est déchue de son droit d’usufruitière des biens qu’elle avait reçus de ses parents ou de ses frères, la femme mariée ayant abandonné son mari, et vivant en concubinage public.

Une femme ne peut reprendre son titre matrimonial chez son mari si ses parents sont décédés ou si elle n’a plus de frères. Ce titre doit être gardé chez un tiers, un ami par exemple, sous la surveillance du chef de colline.

Droits des fils à l’égard des biens du clan maternel.

Si leur père a épousé leur mère selon toutes les règles coutumières et notamment avec remise du titre matrimonial, les fils n’ont jamais droit aux biens de leur grand-père maternel, celui-ci préférera toujours, à supposer qu’il n’eût pas d’héritier, les léguer à ses propres frères, afin qu’ils demeurassent dans sa famille.

En conséquence, ils n’héritent pas du droit d’usufruit que détenait leur mère.

Par contre, les enfants nés d’une union illégitime, faisant partie du clan maternel, hériteront de leur grand-père ; ils perdraient ce droit si leur père les légitimait.

Droits des parents à l’égard des biens de leurs enfants mineurs.

Les biens que pourraient posséder des enfants mineurs sont dévolus d’office à leur père ou à son héritier.

Successions vacantes, en déshérence.

On qualifie de vacante une succession dont les héritiers demeurent momentanément introuvables ; cet état n’est donc que provisoire. Si malgré les recherches effectuées on ne parvenait pas à les toucher, la succession tomberait en déshérence.

1° Gros bétail: Les vaches acquises par un contrat de concession ou de prêt seront reprises par le déposant. Celles acquises en toute propriété par le de cujus étaient habituellement enlevées par le patron bien que le droit coutumier ancien disposât qu’en pareille occurrence ce bétail revenait au mwami, propriétaire effectif de toutes les vaches de son pays.

2° Petit bétail, était repris par le shebuja ou à son défaut par le sous-chef de colline.

3° Mobilier. Comme il ne représente en règle générale que peu de valeur, personne ne s’en préoccupe et il demeure dans la hutte du défunt.

4° Immeubles. Ordinairement la hutte demeure inoccupée et finit par tomber en ruine tandis que la palissade du kraal continue à végéter indéfiniment ; c’est l’itongo.

5° Champs, bananeraies et cultures diverses deviennent des biens inkungu — sans maître — et retombent dans le domaine collectif. Seule l’autorité coutumière peut en disposer soit à son profit personnel, soit à l’avantage d’individus quelle y case.

Toute la question des biens en déshérence se trouve maintenant réglée par l’article 56 de l’ordonnance législative du 4 octobre 1943, repris par l’article 57 du décret du 14 juillet 1952, qui stipulent que l’actif des successions qui les concernent fait partie des ressources des circonscriptions indigènes. Les autorités autochtones pas plus que les tribunaux indigènes ne peuvent aller à l’encontre de ces dispositions ; en effet, ces juridictions ne peuvent plus appliquer les coutumes auxquelles ont été substituées d’autres règles par le législateur.

Les terres occupées par les populations indigènes, sous l’autorité de leurs chefs continueront d’être régies par les coutumes et les usages locaux. Tel est le texte de l’art. 2 du décret du Roi-Souverain du 14 septembre 1886 pour le Congo belge. Il faut donc se référer au droit coutumier pour répartir les terres qui seraient abandonnées par ceux qui les cultivaient ou s’en servaient pour leur élevage. Si, selon la coutume, le sous-chef intervenait ici, il conserve présentement ce droit qui est en dehors des règles sur la personnalité civile accordée aux chefferies (Note de M. le Juge Président du Tribunal de l re Instance du Ruanda-Urundi dans le Bulletin de Jurisprudence des Tribunaux Indigènes.