Messieurs les Magistrats,

Vous êtes rassemblés ici pour prêter, entre mes mains, serment de fidélité à la République, de loyauté dans l’exercice de vos fonctions dans le cadre de la Constitution et des Lois et de veiller en tous points à la promotion des intérêts des populations rwandaises.

L’évolution de notre Pays est arrivée au stade délicat et combien important, d’asseoir solidement toutes nos Institutions et d’affermir le principe de la séparation des pouvoirs auquel toute la population aspire.

Le Pouvoir judiciaire auquel vous avez l’honneur d’appartenir tient une place de choix en tant que pilier et fondement des rapports humains des citoyens et en tant que protecteur des droits de chacun.

A partir d’aujourd’hui le cadre judiciaire possède son indépendance vis-à-vis des pouvoirs Législatif et Exécutif sans cependant s’accroupir dans l’isolement, compte tenu du principe de la coopération qui doit animer toutes nos institutions.

Aussi faut-il que vous méritiez de cet honneur. Si tous les fonctionnaires doivent former une équipe d’élites, les magistrats eux doivent plus que n’importe qui réunir des qualités dont les principales sont les suivantes :

—une justice impartiale sans distinction ni de race, ni de rang social, ni de sexe, ni de religion, ni d’appartenance idéologique, ni de couleur et tout dans une équité irréprochable;

—une honnêteté à toute épreuve, honnêteté durant l’enquête, honnêteté à l’audience, honnêteté dans les jugements, honnêteté dans toute la vie tant privée que publique de chaque jour;

—un désintéressement et un dévouement sans équivoque, un magistrat doit être intègre pour servir impartialement et librement la cause de la justice;

-une formation sérieuse en matière de justice, qui s’acquiert par une étude personnelle et continue;

—enfin les magistrats doivent éviter tant dans leur vie publique que privée tout ce qui pourrait ébranler la confiance des justiciables, et ainsi porter atteinte à leur dignité;

—Si à côté d’autres vous réunissez ces qualités, vous vous acquitterez honorablement de la charge que la République vous confie.

Dès votre nomination vous commencez votre stage dont la durée sera déterminée par un texte légal. Vous serez nommés à titre définitif dès que la Conseil Supérieur de la Magistrature en aura apprécié le mérite et proposé cette nomination. Les nominations et l’avancement dans les différents grades, qu’un statut va bientôt déterminer, dépendront de votre conscience professionnelle, de votre dignité dans l’accomplissement de vos diverses tâches.

Je saisis cette occasion pour vous exposer brièvement la nouvelle structure des juridictions de la République. Comme tous les autres pouvoirs, le Pouvoir judiciaire a subi sa révolution et a été démocratisé. C’est pour cela que les juridictions à caractère discriminatoire ont été supprimées, chaque justiciable, blanc ou noir, fonctionnaire ou non, comparaîtra devant n’importe quelle juridiction selon la compétence matérielle, territoriale ou personnelle de celle-ci.

Les juridictions s’échelonnent comme suit :

1° au premier échelon existe un tribunal cantonal qui fonctionne depuis plus d’un an et dont le ressort comprend une ou plusieurs communes;

2° au deuxième échelon un tribunal de première instance par Préfecture comprenant une ou deux chambres suivant le nombre plus ou moins considérable des justiciables. Ici comme au tribunal précédent la séparation est nette entre les deux pouvoirs. En effet dans son domaine le Juge Président n’a aucun compte à rendre au Préfet et inversement, le Préfet représente le pouvoir exécutif dans la préfecture, néanmoins il doit agir en coopération avec le pouvoir judiciaire.

D’autre part, il est établi auprès de chaque tribunal de 1ère instance un bureau de doléances dont le greffier receveur des requêtes est responsable. Son rôle est d’orienter les justiciables, il reprend pratiquement toutes les requêtes judiciaires qui naguère, affluaient vers le Préfet au point de vue de l’orientation des justiciables vers les différentes juridictions.

Il est le bras droit du Juge Président dans la bonne marche du tribunal. Il doit être intègre, consciencieux, et compétent;

3° au troisième échelon existe une Cour d’Appel à deux chambres, dont le ressort comprend tout le territoire national.

La compétence matérielle et personnelle de toutes ces juridictions sera déterminée incessamment par un texte légal.

4° Enfin la Cour Suprême.

Pour que la Magistrature jouisse d’une indépendance réelle, dégagée de toute pression de l’Exécutif et assure réellement le respect des personnes et des biens ainsi que la liberté des individus et des collectivités, il a paru nécessaire de créer cette nouvelle institution supérieure au même titre que le Gouvernement et l’Assemblée Législative, c’est le sommet de la branche judiciaire du pouvoir.

La Cour Suprême comprend 5 sections :

Section A. Cour Constitutionnelle, chargée de veiller à ce que les lois soient conformes à la Constitution.

Section B. Conseil d’Etat, chargé de régler les conflits de compétence entre les organes supérieures de l’Etat ou des excès de pouvoir.

Section C. Cours et tribunaux, chargé de surveiller l’exécution de la législation relative à l’organisation et à l’administration de la justice dans la République.

Section D. Cour de Cassation, chargé d’examiner certains jugements qui ont épuisé tous les cours d’appel et qui n’ont pas été acceptés par les justiciables pour violation ou mauvaise application de la loi. Ce rôle était de la compétence du parquet de la tutelle avant l’indépendance. Elle a en outre compétence au pénal, pour juger le Président de la République, les Ministres, les Députés, et les Membres de la Cour Suprême.

Section E. Cour des Comptes, seule cour n’ayant pas trait au judiciaire proprement dit, veille à ce que les fonds de l’Etat ne soient dilapidés ou distraits de l’objectif que leur a assigné l’assemblée législative. Telle est la nouvelle structure de la magistrature assise.

Quant à la Magistrature debout ou Ministère public ou Parquet, elle a pour rôle de traduire les délinquants devant le juge et de requérir contre eux l’exécution des lois au nom de la société, autrement dit, le Parquet a pour mission de protéger la société, quand ses intérêts sont mis en péril par les délinquants, donc en matière répressive, en veillant à la punition des crimes.

Le Parquet est donc sous les ordres de l’Exécutif par le canal du Ministère de la Justice. Celui-ci a en outre le contentieux du Gouvernement dans ces attributions, Il est le délégué du Gouvernement au près du Conseil de la Magistrature qui examine toutes les questions relatives aux Magistrats : nomination, révocation, avancement de grade, et de traitement etc… et ses conclusions sont présentées au Chef de l’Exécutif par le Ministre de la Justice.

Voilà l’essentiel de notre organisation judiciaire. Des textes légaux et d’instruction vous parviendront sous peu pour expliciter ce bref résumé.

J’espère que cet exposé vous aura aidé à comprendre votre rôle et vous aura incité à remplir dignement vos charges.

Je compte sur la bonne volonté de chacun pour que cette branche du pouvoir réponde aux aspirations justifiées des populations et soit développée au rythme des autres pouvoirs.

C’est dans ce sens, Messieurs les Magistrats, que je vous invite à prêter serment avec conviction et vous souhaite en même temps bonne réussite dans cette honorable carrière.

Nyanza, le 17 Juillet 1962

Le Président de la République,

Gr. KAYIBANDA