Droit coutumier ancien.

Généralités.

Nous n’envisagerons que le régime des prestations dues aux autorités relevant du mwami. Pour comprendre le régime des tributs et corvées tel qu’il existait au Ruanda-Urundi, il faut partir de ce fait liminaire que le pays était administré par une race de pasteurs batutsi qui, ne travaillant pas, devaient pour se maintenir et subvenir à leurs besoins, hormis ceux couverts par le gros bétail, avoir recours aux contributions en nature et en travail fournies par les populations assujetties.

Les uns, simples Batutsi éleveurs, trouvaient leur main-d’œuvre serve grâce au contrat de servage pastoral ; celui-ci sera examiné à l’occasion de l’étude du régime des biens.

Les autres, participant aux institutions politiques, avec d’innombrables satellites, pressuraient les régions conquises, d’impositions les plus diverses.

Le mwami étant considéré comme propriétaire absolu de tout ce qui représentait une valeur quelconque, donnait et reprenait à son gré la jouissance des terres et du bétail, s’attribuait les dépouilles du gibier, disposait du travail des artisans et de la vie des hommes.

En conséquence, tous les biens et activités étaient susceptibles de taxation, tandis que tous les sujets, hormis les Batutsi, étaient soumis aux corvées ; les pasteurs n’étaient redevables que de prestations en gros bétail.

Ruanda.

Prestations d’ordre politique.

Chaque chef devait être présent le plus souvent possible à la cour du mwami, on peut dire que certains d’entre eux ne visitaient jamais leur ressort. Les souschefs agissaient de même à l’égard de leurs chefs. C’est la courtisanerie tirant son origine dans le contrat de servage pastoral. Les chefs devaient fournir des pagesmiliciens intore recrutés parmi leurs fils et ceux des notables, au mwami qui leur faisait fournir une éducation militaire. Les chefs devaient participer aux guerres offensives décrétées par le roi et prendre d’initiative la défense du pays en cas d’attaque ou d’insurrection. Bahutu, Batutsi et Batwa étaient tous susceptibles d’être enrôlés en qualité de combattants dans les milices guerrières réparties en bataillons ingabo, spécialement aux marches frontières, sous les ordres de grands-chefs ou des princes.

Prestations dues par les éleveurs.

On leur a parfois donné le nom générique d’inkuke (de gukuka: sortir de, aller vers), toutefois ce vocable ne s’applique qu’à une seule espèce de prestation.

  1. a) Faisant partie de la section des pasteurs de l’armée. Cette prestation qualifiée d’umuheto (de l’arc) comprenait les spécifications suivantes : bétail intore, inkuke, indabukirano, iminyago, inzito, amamana (ajouter béliers et poussins de divination), intarama, inturano, injyishywa ;
  2. b) Simples éleveurs contractuels. Ceux-ci fournissaient à leur chef, plutôt en sa qualité de patron-vacher, du gros bétail intarama, imbyukuruke, injyishywa, imponoke, .inturano, ibiniha ;
  3. c) Redevances dues par les locataires de pâturages, se payaient à l’aide de bétail inyagisanze et yo gukur’ubgatsi (»).

Les prestations sub a) et b) étaient définitives ou temporaires ; sub c) elles étaient toujours définitives. Dues en ordre principal au mwami, certaines d’entre elles revenaient néanmoins au chef ou au sous-chef.

L’ikoro, tribut dû sur les produits récoltés, fabriqués et obtenus par la chasse. Les loyers de terre.

On a réuni ces tributs sous le vocable d’ikoro (de gukora: travailler), dus par les Bahutu et les Batwa, ils comprenaient :

  1. a) Les impôts valant loyer de terre rappelant la taille pesant sur les roturiers du régime féodal. Ils ont été groupés sous la dénomination d’ikoro ry’ubutaka (tribut sur la terre de culture) et d’ikoro ry’uguhunikwa ou ibihunikwa (de guhunika: engranger). Ils n’étaient dus au mwami que par les régions à forte production agricole ; partout ailleurs, chefs et sous-chefs percevaient cet impôt à leur profit tandis que leurs capitas abamotsi, collecteurs attitrés, ne manquaient pas d’y puiser à pleines mains leur part qui s’intitulait de l’euphémisme umusesekara: le trop plein (de guseseka: déborder). Ces impôts, perçus non point par individu, mais par ménage occupant une concession héréditaire isambo, se composaient, en théorie et annuellement, d’une charge ipfukire de 8 à 15 kg de haricots ou de pois, et d’un panier urutete de 25 kg de sorgho.

En outre, l’agriculteur était imposé de l’inyambike : coupe de régimes de bananes que prélevaient des spécialistes abatora (de gutora: choisir) au profit de l’autorité locale.

  1. b) Les impôts dus par les miliciens au mwami et au chef des armées et prenant de ce fait le nom d’ingabo. En principe, ils n’auraient dû comprendre que des produits fabriqués ou obtenus à la chasse : bracelets, anneaux, houes, calebasses, ivoire, peaux de fauves, bière, bois odoriférant d’umugeshi (faux santal), vannerie, produits de la boissellerie et des salines.

En pratique, les chefs de terre ne se contentèrent pas du seul tribut en produits des cultures, mais y firent ajouter ceux résultant de l’artisanat et de la chasse ; de même les chefs des armées incorporèrent des produits de la terre aux prestations qui leur étaient dues. Un indigène relevant de chefs d’ubutaka et d’ingabo différents était donc taxé deux fois. Nous donnons ci-après, à titre d’exemple, 1 ’ikoro prélevé sur la colline Nkanka en 1926 et celui porté au mwami pour tout le Ruanda. La part que se réservaient chefs et sous-chefs sur l’ikoro prélevé au profit du mwami, s’intitulait umusogongero (de gusongera: goûter à).es corvées.

Les corvées (ubuletwa : de kuleta, traire — kuletwa, forme passive, être trait, se laisser traire — litt. travailler sans être rémunéré, d’où abaletwa : les corvéables).

  1. a) Dues par les agriculteurs bahutu au titre de loyer de terre auprès du sous-chef de colline ou du chef dans sa terre propre inyarulembo, à raison de deux jours sur cinq que comportait la semaine indigène. Le cinquième jour étant consacré au repos dominical : icyumweru cya Gihanga. Ces corvées consistaient en travaux de culture, de construction, de portage, etc.
  2. b) Dues par les miliciens bahutu au mwami pour l’entretien de ses habitations. Ces corvées étaient dues par famille.

Remarque générale: En principe, tan t au Ruanda qu’en Urundi, les veuves étaient exemptes de tous tributs et corvées.

Urundi.

Les devoirs du chef vis-à-vis du roi étaient les suivants :

1) Payer le tribut qui comportait : pour les grands, deux ou trois vaches ingorore par an ; pour certains petits chefs, un bœuf tous les deux ou trois ans seulement. Mais toute visite à la cour entraînait l’obligation morale d’apporter des cadeaux en vaches au roi, à sa mère et à son entourage;

2) Faire sa cour, c’est-à-dire se transporter chez le roi avec toute sa suite, qui montait la garde pendant le séjour ;

3) Contribuer à l’entretien du roi et de sa cour par des prestations en vivres depuis 20 ou 30 jusqu’à 200 charges par an, en bière, et en miel ;

4) Fournir de la main-d’œuvre, itegeko (ordonner), pour construire ou entretenir les kraals royaux : pour ces corvées périodiques, de grands chefs fournissaient jadis jusqu’à cinq cents hommes à la fois ;

5) Faire la guerre à l’appel du roi.

En outre, un certain nombre de chefs, et surtout de simples Batutsi ou des Bahutu, avaient à fournir des prestations spéciales semblables à l’ikoro du Ruanda : les gens de la vallée de la Ruzizi apportaient des charges de terre salée destinée à l’alimentation du bétail ; ceux de la Malagarazi des charges de sel provenant des salines de l’Uha ; d’autres encore des instruments agricoles, etc.

Le Muhutu était tenu vis-à-vis de son chef et du souschef aux devoirs suivants :

1) Payer le tribut (inkuka) valant loyer de terre.

Celui-ci n’était dû que par les détenteurs de terres ; il constituait une espèce de droit de location du terrain qu’ils cultivaient, et qui consistait surtout en bière ; il se payait aussi en vivres, outils, tissus de ficus (impuzu), voire en vaches.

2) Prester les journées de travail itegeko que le chef ou le sous-chef imposaient pour la construction d’un kraal, ou tout autre motif. Fournir certaines prestations spéciales qui variaient d’une famille à l’autre et exemptaient de toute autre corvée. Pour ces prestations, on distinguait les cultivateurs (abarimyi) ; les gardiens de bétail (abungere) ; les valets de ferme chargés du nettoyage des kraals (abakutsi) ; les jeunes gens chargés de traire les vaches (abakamyi) ; les fournisseurs de bois (abashenyi) ; les sentinelles (abateramyi) ; les cuisiniers (abatetsi) ; les jeunes filles employées au service des femmes du chef (incoreke) ; les vieilles femmes chargées de la garde des enfants (abakecuru) ; les travailleurs non classés (abasuku) qui puisaient l’eau et faisaient les autres besognes ménagères. Toutes ces corvées étaient réparties dans certaines familles, qui organisaient un rôle de garde, les membres se relayant entre eux, sans que jamais plus d’un ne devait servir à la fois.

3) Jadis, certains Bahutu avaient aussi la charge du service militaire. Quand le roi appelait ses sujets à la guerre, chaque chef se mettait en campagne avec son escorte permanente (abagendanyi). Elle se composait de soldats volontaires, célibataires pour la plupart, qui servaient pendant quelques années et finissaient par recevoir une vache comme pension. Ils ne faisaient aucun travail manuel et étaient nourris par le chef. Le service n’était général que pour la défense.

Régime actuel.

Évolution du droit coutumier.

Le but poursuivi par l’Administration belge devant les abus criants que provoquait l’arbitraire des autorités indigènes à l’occasion de la collecte des tributs et de l’imposition des corvées, exemptant leurs privilégiés et surchargeant les autres, fut de veiller d’abord à ce qu’aucun excès ne fut désormais commis en la matière, ensuite il consista, progressivement et sans heurt, à diminuer les prestations dues, à les répartir équitablement ; et finalement, à en assurer le rachat en espèces. Comme on le fit très bien remarquer, ces innovations qui mettaient fin à des pratiques anciennes, furent accomplies sans produire de remous politiques si faibles soient-ils, car elles s’accordèrent toujours avec un avancement des mœurs aussi bien chez les dirigeants que parmi le peuple. Cette action eut pour corollaire une plus grande liberté de la personne humaine, une répartition plus équitable des impositions et une plus juste rétribution des services rendus par les autorités coutumières (x). En effet, parallèlement à la diminution des tributs et corvées pesant sur le peuple, et dans le but de maintenir le standing de ces autorités, l’Administration veillâtelle de son côté à les rémunérer de ses propres deniers.

  1. Lettre n° 791/A/53 du résident du Ruanda:

1) Un Mututsi dépouillant un Muhutu de ses récoltes, les lui rendra en double ;

2) Un Mututsi envoyant paître son bétail dans les plantations des Bahutu paiera à ces derniers le double des dégâts causés ;

3) Défense aux notables d’exiger des prestations non prévues par la coutume.

  1. Une ordonnance du 28-3-1923 abolit l’esclavage domestique.
  2. Par l’ordre de service 2213 /Ord. du 26-12-1924 du résident du Ruanda, sont supprimées les prestations suivantes :

Imponoke.

Indabukirano.

Abatora. Coutume par laquelle le gouvernant indigène envoyait ses gens dans les bananeraies de ses sujets marquer, puis couper les régimes nécessaires à son ravitaillement ainsi qu’à celui de sa suite.

La prestation ubuletwa qui était de deux jours sur cinq, fut ramenée à deux jours sur sept.

  1. En Urundi, le résident de l’époque, M. le gouverneur général honoraire R y c k m a n s, ramena à trois journées, par an, les corvées en travail dues au chef et à dix, celles dont bénéficiait le sous-chef.
  2. Dans son programme en date du 25 septembre 1930, M. le vice-gouverneur général VOISIN, prescrivait la surveillance, pour empêcher les abus, en matière de prestations et corvées coutumières, ajoutant que la classe dominée devait prendre conscience de ses droits. Dès le 1-1-1932, cette haute autorité fit appliquer un système de prestations simplifiées que voici :
  3. a) Ikoro (contribution en nature) :

1) Dû au mwami, fut remplacé par un tribut annuel en argent versé par chaque contribuable lors du paiement de l’impôt de capitation ;

2) Dû aux notables (Umusogongero) : inchangé.

 Corvées :

1) 3 jours par an et par MAV (homme adulte et valide) au chef ;

2) 10 jours par an et par MAV au sous-chef. c) Prestations politiques :

1) Chefs de province : doivent se rendre 15 jours par an à la Cour du mwami ;

2) Les sous-chefs doivent faire « la cour » à leur chef de province 10 à 12 jours par an.

  1. d) Prestations valant loyer de terre :

1) Au chef de province :

1 kg de petits pois par MAV annuellement ;

2 kg de sorgho par MAV annuellement.

2) Au sous-chef, et annuellement :

2 kg de petits pois ou haricots par MAV ;

4 kg de sorgho par MAV.

Les prestations dues en vertu de contrats particuliers relatifs au bétail ou à la sous-location des terres, demeurèrent inchangées.

Rachat des prestations coutumières.

Tribut dû au mwami : Ikoro (Ru.) — Ingorore (Ur.).

‘L’umusogongero due aux chefs et aux sous-chefs, est tombée en désuétude depuis le rachat de l’ikoro en faveur du mwami et des autres prestations.

L’ikoro fut prélevé pour la dernière fois en nature au cours de l’année 1931, nous en fûmes témoin.

A partir du 1er janvier 1932, l’ikoro fut racheté à raison de 0,50 F par contribuable et payé en même temps que l’impôt de capitation.

Son rachat est fixé, pour l’année 1953, à 2 francs.

Prestations en vivres : Ibihunikwa (Ru.) — Inkuka (Ur.). Le 15 décembre 1933 une ordonnance du RuandaUrundi prescrivit le rachat en espèces de cette contribution, pour certains territoires ; par la suite, ce rachat fut étendu à tous les ressorts. En 1953, son payement qui s’opère en même temps que celui de l’impôt de capitation, comporte : 1 F pour le chef, 3 F pour le sous-chef.

Prestation en travail : Ubuletwa (Ru) — Itegeko (Ur.).

Il apparut peu à peu, pour certaines catégories de Bahutu, notamment pour les travailleurs employés par les Sociétés minières, qu’il était nécessaire également d’assurer le rachat de cette prestation. Finalement, tous les contribuables l’acquittèrent en même temps qu’ils payaient leur impôt de capitation. En 1953, cette prestation était rachetée à raison de : 12 francs au profit du chef, 40 francs au profit du sous-chef.

Le 9 janvier 1951, le vice-gouvernement général du Ruanda-Urundi décida d ’augmenter de un franc par jour ce taux de rachat, soit 13 francs par contribuable, et de constituer à l’aide de cette somme supplémentaire une masse de manœuvre gérée par la Caisse du Pays et destinée à récompenser le zèle des chefs et des sous-chefs qualifiés « très bons » et « bons ». Au Ruanda, en 1953, la cote « très bon » rapportait 15.614 F, par an à son titulaire, et la cote « bon », 7.807 F.

L’article 20 du décret du 14-7-1952 a précisé les modalités du rachat des tributs et corvées comme suit :

Les prestations dues coutumièrement, en nature ou sous forme de travail, aux bami, chefs et sous-chefs sont remplacées par des contributions en argent à leur profit.

Le montant de ces contributions est déterminé chaque année par le mwami de l’avis conforme du conseil supérieur du pays.

Seuls les hommes adultes et valides peuvent être assujettis au paiement de ces contributions. 50. Traitement des autorités indigènes reconnues.

La question du traitement des chefs et des sous-chefs du Ruanda-Urundi est réglée par l’ordonnance 67 A. I. M. O. du 20 novembre 1944.

Il se compose de deux parties : l’une d’elles, fixe, est basée sur le nombre de contribuables administrés par l’autorité indigène bénéficiaire ; la seconde partie, mobile, varie selon le nombre d’acquits d’impôt de capitation perçus dans les sous-chefferies, et de bétail dans les chefferies.

Ce traitement est à charge du budget ordinaire du Ruanda-Urundi ; la partie fixe est établie annuellement par les administrateurs de territoire et les résidents, immédiatement avant l’ouverture de l’exercice fiscal. La partie mobile est liquidée en fin d’année, lorsque les perceptions des impôts sont connues globalement. La partie fixe est payée en fin de chaque mois.

Les bami touchent à charge du Gouvernement, des indemnités pour frais de déplacement ou de représentation (art. 21, décret du 14-7-1952).