Le vocable mwami provient du verbe kwama: porter des fruits dans le domaine végétal ; par extension kwama donne naissance à kwima: régner, prendre le pouvoir. En principe, le mwami est donc, de par son nom, le dispensateur éminent, au profit de ses sujets, de tous les biens que contient son pays.

Mwami est un terme que l’on rencontre fréquemment dans la partie Centro-orientale de l’Afrique pour désigner le chef d’un gouvernement indigène ploutocratique. On le retrouve notamment chez les Warega et les Babembe sous la forme de moami, sous celle de moame chez les Bakumu, de muami ou mwami chez les Bahunde, au Jomba et un peu partout au Kivu. Chez les Shilluk, c’est le nemi ; chez les Wasoa, le mohami. On retrouve le titre de mwami en Unyamwezi (Tabora) sous les variantes mtemi, memi et mvami ; chez les Toucoulaures, pasteurs au Sénégal sous le terme almami, dans le Ruwa (Congo belge) c’est mfumwami; et, entre l’Ugogo et l’Usagara (Tanganyika Territory), le vwami. Chez les Bashongo (Sankuru — Lulua, Congo belge), c’est le nyimi.

Il est intéressant de noter qu’en Uganda, le roi portait le titre d’umugabe chez les Bahima du Nkole et que mwami ne se rapportait qu’aux chefs réguliers placés sous ses ordres directs. Ndahura, fondateur de la dynastie des Bacwezi qui dirigea le fameux empire du Kitara au Bunyoro (Uganda), aurait poussé ses conquêtes vers le Sud, étendant son domaine jusqu’au Kiziba-Karagwre et vraisemblablement sur le Ruanda. L’ancien mwami Musinga nous prétendait en 1934 que ses ancêtres étaient venus du Karagwe ; d’autre part, la légende veut que les Batutsi aient immigré au Ruanda par le Mubari, province jouxtant le Karagwe. Or, les Banyiginya, famille régnante du Ruanda, constituent une lignée princière qui ne régna pas au Nkole ; là, le pouvoir est aux mains des Bega. Il est à se demander si d’abord simples chefs au Ruanda, les Batutsi-Banyiginya ne prirent pas, par la suite, le nom d’umugabe qui sert d’ailleurs encore à désigner le mwami. Notons à ce sujet que la reine-mère porte le titre d’umugabekazi, que le commandant en chef des armées portait le nom d’umugaba en même temps qu’il prenait, pour la seule durée des opérations, celui d’un ancien roi victorieux. Les quatre tambours principaux du Ruanda s’intitulent ngabe, de même qu’à chaque troupeau affecté à un kraal royal se trouvait un taureau reproducteur dénommé ngabe. Enfin, un proverbe murundi déclare « Irivuze umugabe, ntirikurwa n’umugabekazi »: la parole qui a été donnée par le roi ne peut être annulée par la reine-mère.

Il est possible qu’à l’imitation des patriarches Bahutu abahinza occupant le pays à l’arrivée des Batutsi, les chefs de ceux-ci en prirent le titre de mwami et la réputation de faiseurs de pluie ; comme l’écrit l’abbé KAGAME, le mwami du Ruanda était considéré comme le premier et le grand faiseur de pluie : jadis, c’est de lui que le peuple attendait la pluie, on disait qu’un pays sans mwami devait inévitablement connaître la famine.

L’idée de fécondité est inséparablement attachée au mot mwami. La tradition veut que quelque temps après le départ du mwami Ruganzu-Ndori, les indigènes ayant constaté que sous la domination de l’usurpateur, les femmes n’enfantaient plus, se mirent à la recherche du roi légitime qu’ils décidèrent à rentrer au pays, et les naissances redevinrent normales.

Au Ruanda-Urundi, on emploie encore le mot mwami dans le règne animal avec l’idée de fécondité extraordinaire : la reine chez les abeilles et chez les termites s’intitulent mwami, le taureau Rutenderi découvert par le roi mythique Gihanga s’appelait également mwami. On prétend que le gardien en chef du code ésotérique, l’umwiru mukuru, avait entre autres missions, celle de recueillir et de conserver les cordons ombilicaux de chacun des fils du mwami ainsi que leurs dents tombées. A en croire la légende du Ruanda, au moment de désigner le successeur royal, les cordons ombilicaux des princes étaient déposés séparément dans des pots en bois de l’érythrine antidémoniaque et ceux-ci étaient enfouis dans un champ planté de semences à haut pouvoir de fécondité : courges, sorgho, éleusine et isogi. Le champ fournissant la plus abondante récolte désignait magiquement l’héritier recherché. Le cordon ombilical était alors repris du vase pour être soigneusement conservé. En Urundi, selon la légende, devenait héritier celui des fils du mwami régnant qui naissait en tenant en main des semences de toutes les variétés cultivées dans le pays.

Il nous semble qu’il faudrait conclure de la croyance à ces rites pré mimétiques et à ces signes prémonitoires, que le peuple attendait du mwami une postérité particulièrement nombreuse ; la coutume n’envisage même pas ce qu’il adviendrait si un mwami mourait sans laisser d’héritier. Perpétuer la dynastie est la tâche primordiale en vue de laquelle le mwami est désigné.

La tradition accorde une origine divine aux bami. Conséquences.

Cette prétention à l’origine céleste de la dynastie des Banyiginya au Ruanda, avec sa répercussion en Urundi, ressort non seulement de la légende concernant la chute des premiers Batutsi au Mubari, mais encore de la généalogie même, purement mythique, des premiers rois.

Nkuba (litt. la foudre) ou Umwami wo hejuru (le roi céleste) habitait le ciel avec sa femme Nyagasani ; ils eurent de nombreux enfants et trois d’entre eux : Mututsi, son frère Sabiseze alias Kigwa, alias Kimanuka, et leur sœur Nyampundu, tombèrent un beau jour, des nuages, au Mubari (Kibungu-Ruanda) à l’endroit Rweya près de la Kagera. Sabiseze ne trouvant pas de femme (mututsi) dans le pays, dut épouser sa sœur Nyampundu, et ils eurent un enfant Muntu (litt. l’homme), ancêtre de la dynastie des Banyiginya et une fille Sukiranya. Celle-ci fut épousée par son oncle Mututsi alias Mwega (litt. la rive opposée, du fait qu’il s’installa préalablement sur l’autre rive de la Kagera, changeant de nom de clan en Umwega, par ce stratagème, il levait l’interdit dû à l’inceste). Ayant invoqué Imana, Dieu leur envoya la vache Ingizi accompagnée du taureau Rugizi, du mouton Nyabuhoro et du bélier Rugeyo, de la poule Intunda et du coq Rutunda ainsi que du Mutwa Miwabaro et de sa femme ; des semences et le moyen de fabriquer du fer. Notons que l’ancêtre par excellence, Nkuba, est donc demeuré dans les cieux.

L ’alignement des noms des premiers bami du Ruanda suffit, par l’étymologie même, à nous convaincre que l’on a tenté de faire croire à l’origine divine de la monarchie : Nkuba (la foudre), Kigwa (qui tombe), Kimanuka (qui descend), Kijuru (du ciel), Muntu (l’homme, s. e. l’ancêtre), Kobo (par le petit trou, s. e. du ciel), Merano (l’origine), Kazi (la racine, s. e. l’origine), Randa (de kuranda: traîner, être sur terre). L’équation posée pourrait se traduire comme suit : l’homme ancêtre, origine de la dynastie des Banyiginya qui se trouve ici-bas, est descendu du ciel par un petit trou ; il a pour père le Dieu-tonnerre. Gihanga (de gi préfixe augmentatif — et de Ruhanga ou Nyamuhanga), est le dieu créateur (chez les Bahima de l’Uganda). Le fait est, qu’hormis pour Gihanga, et encore ici l’on se trouve tout simplement en présence d’un leurre, on ne trouve nulle part les tombeaux de ces premiers rois dont la liste est constamment bouleversée par les chroniqueurs. Le vocable Gihanga provient du verbe guhanga: créer.

Avec Gihanga, on assiste en effet à une recrudescence du mythe de l’origine divine de la monarchie du Ruanda, étendu aux pays voisins. Il est le créateur et le grand voyageur par excellence. C’est sous son règne que la vache, une fois de plus, serait apparue, d’abord domestiquée par Nyirarucaba, fille de Gihanga, puis celui-ci vit et s’empara d’un taureau aux cornes flottantes, Rutenderi, sortant des eaux. Gihanga, à l’instar de Nkuba, est considéré comme l’inventeur du feu, d’où le feu sacré que les biru, gardiens attitrés des traditions, devaient entretenir à la Cour.

On donne à Gihanga des fils qui seraient les ancêtres éponymes de la plupart des régions environnantes. Kanyarwanda alias Gahima pour le Ruanda, Kagesera alias Mugondo pour le Bugesera, Kanyagisaka pour le Gisaka, Kanyandorwa alias Sebugabo pour le Ndorwa, Sabugabo, père de Mushambo aurait été le fondateur de la dynastie des Bashambo au Mpororo (Uganda), Ngabo alias Kanyabungo aurait créé le Bunyanbungo (Kivu), Gafomo alias Gashubi est donné pour le Bushubi, Kanyabukunzi pour le Bukunzi (Shangugu — alors que la famille régnante était réellement mushi d’origine congolaise). En Urundi, Gihanga est présenté comme le père du premier roi de ce pays : Ntare-Rushatsi alias Rushonje-Ruzokira alias Kanyaburundi, père de l’Urundi. Au Ruanda, Musindi, fils de Gahima-Kanyarwanda devint l’ancêtre éponyme des Basindi, et il inaugura, dit-on, la dynastie actuelle des Banyiginya. Au Kivu, on prétend que Gihanga longea le lac à l’Ouest ; son fils Kanyirambi alias Gahande donna naissance au clan des Bahande (Bahavu et Kinyaga) et des Basibula (Idjwi), tandis que son autre fils Kanyindu occupa la vallée de l’Ulindi sous le nom de Nalwindi, donnant naissance aux clans des Banyindu, ancêtres des Bahinja, des Bafunda, etc. Gihanga aurait ensuite gagné l’Urundi par le pont de pierres enjambant la Ruzizi vers Bugarama. On donne en outre à Gihanga la paternité des trois races représentées comme ses fils au Ruanda, ce sont Gatutsi, Gahutu et Gatwa ; en Uganda ils s’intitulent Gakama-Mvale (le roi), Gahima (le pasteur) et Kayiru (l’agriculteur).

En fait, nous nous trouvons ici en présence d’un vieux cliché cher aux Sémites qui représentent les peuples, sans égard aux erreurs ethnographiques, comme issus d’un ancêtre commun : Noé est le père de tous les peuples : des Sémites, des Chamites, et des Européens par Japhet ; à leur tour, Sem, Cham, et Japhet deviennent les ancêtres éponymes des quelques pays connus des écrivains bibliques. Les rapports ethnographiques et géographiques réels ou supposés tels, nous sont présentés de père à fils, les noms des pays sont devenus ceux de l’ancêtre qu’on leur attribue.

La conséquence du principe de l’origine divine que se sont arrogée les dynasties, résidait dans l’omnipotence des bami s’exprimant par leur droit inconditionnel de vie et de mort sur leurs sujets, par leur propriété absolue sur toutes choses, bêtes, biens et terres se trouvant dans leur pays. Le mwami, à l’instar de sa mère du ciel Nyagasani, vocable sous lequel on le désigne parfois, était considéré comme l’éminent dispensateur de toutes choses : ni umubyeyi (c’est une mère). Le mwami était d’ailleurs comparé à Dieu : Twagira umwami, twagira Imana (avoir le mwami pour soi, c’est avoir Dieu pour soi). Étant divinité, il ne pouvait s’affilier à la secte rendant culte à la divinité chthonienne Ryangombe, c’eut été s’inféoder à un inférieur ; l’initiation à cette religion rendait impropre à tout avènement au pouvoir. De ce principe découlent encore le droit d’ordonner la guerre, de faire cesser l’exercice de la vengeance en la commuant en rachat ou véritable wehrgeld, et enfin de recourir à l’ordalie que l’on a appelé jugement de Dieu.

Les insignes des bami.

a) Ruanda.

Les insignes du pouvoir du mwami, au Ruanda, sont avant tout concrétisés par des tambours, les quatre premiers s’intitulent ngabe (dominateurs), chacun porte un nom propre.

i) Karinga ou tambour enseigne de la monarchie (litt. le gage d’espérance). Quoique n’étant pas le plus ancien, il a la préséance sur les autres. Il aurait été donné au mwami Ruganzu-Ndori par Nyamikenke, chef politicoreligieux du Busigi près de Rulindo (Kigali). Placé dans la même hutte que les autres, dit la légende, il aurait grimpé sur le tambour Cyimumugizi, ce qui lui valut les honneurs de la primauté. Il était adorné d’ibikondo, dépouilles viriles des grands ennemis, bami ou devins, tués à la guerre, et aspergé du sang des taurillons de divination bénéfique. Le Karinga n’était jamais battu. Lorsque le mwami voulait prononcer une sentence de mort, il donnait un léger coup sur ce tambour, afin de signifier que celui-ci prononçait la condamnation. D’aucuns prétendent qu’il aurait été brûlé dans l’incendie de 1896, lors du pacte de Rucuncu au cours duquel fut assassiné le mwami Mibambwe-Rutalindwa, et que l’actuel ne serait qu’un plagiat ;

ii) Cyimumugizi, litt. : Celui-là règne qui a le savoir-faire. C’est le plus ancien des tambours. Il existait sous le règne de Ndahiro Il Cyamatare ;

iii) Kiragutse, litt. : Le pays s’élargit. Création du mwami Kigeri-Rwabugiri en souvenir des conquêtes effectuées par son père Rwogera et des siennes ;

iv) Mpatsibihugu, litt. : Les pays me sont soumis. Fut confectionné en même temps que le précédent et pour le même motif ;

v) Gatsindamikiko, litt. : Celui qui se joue des jalousies et rivalités. Créé par Musinga, il servait à annoncer l’ouverture des audiences ;

vi) Ndamutsa, litt. : Je salue (au réveil, s. e. le mwami). Tambour sonnant le réveil de la Cour, le matin ;

vii) Rucabagome, litt. : Celui qui extermine les insurgés ;

viii) Ntibushuba, litt. : Ne revenez pas. Prise de guerre de Kigeri-Rwabugiri chez Kabego, roitelet de l’Ile Idjwi ;

ix) Rugiramusango, litt. : L’honoré.

Tous ces tambours ont la forme d’un sein – symbole de fécondité – reposant sur sa pointe. Ils étaient conservés, avec les autres insignes du mwami, dans une hutte spéciale : l’imiringa, dite kwa Cyilima en souvenir d’un mwami. Ils étaient tenus debout sur un coussinet d’herbes, entourés chacun d’une corde injishi semblable à celle servant à entraver les pattes arrières du bétail lors de la traite. Chaque tambour possède une « âme » constituée par un gros galet placé à l’intérieur, charme destiné à éloigner les mauvais esprits, dont les caractéristiques constituent un secret connu seulement du roi et du conservateur en chef du code ésotérique, l’umwiru mukuru. Présentés au public, les tambours étaient préalablement cachés sous des nattes ; nous y voyons une crainte du mauvais œil. Ils étaient transportés en hamac.

Outre les tambours, existent différents insignes, trophées, reliques, emblèmes : des lances de forme archaïque, cinq masses de fer, à l’une d’elle, sur laquelle le mwami devait dormir même lors de ses déplacements, l’on avait forgé deux seins, symboles de fécondité. Il y avait aussi un taureau sacré Rusanga. Le mwami et la reinemère portent un diadème igisingo, ligature de vie garnie de perles de traite et de poils blancs du singe colobus, il était surmonté précédemment d’une pointe constituée par une queue de lièvre blanc (ishyira), de ce diadème pendent sur le visage, cachant les yeux, des torsades de perles. Lors de ses déplacements importants, le mwami se munit d’un sceptre, espèce de bâton également recouvert de perles blanches et rouges, et pourvu d’une pointe de fer à la base. Précédemment, les bami possédaient encore comme insigne un singe cynocéphale, en souvenir de l’animal qui aurait guidé Ruganzu-Ndori dans sa fuite à travers une grotte. Il existe également quelques sièges intebe ayant servi à des bami illustres.

b) Urundi.

Ici encore, l’emblème de la monarchie est constitué par un tambour enseigne, le Karyenda accompagné de six autres plus petits, dont le Rukinzo qu’on devait battre au lever et au coucher du mwami, et cinq inshako. Le Karyenda était entreposé, soigneusement entouré de nattes, dans une hutte iburyenda, à lui réservée et renouvelée chaque année. Ce tambour n’était jamais sorti ni battu sauf à l’occasion du Maganuro, fête des semailles du sorgho, au cours de laquelle le mwami le frappait de trois petits coups en signe d’achèvement du rituel : umwami yaganuye. Le Karyenda ne participait pas aux cérémonies de l’avènement du roi. Outre un gardien, il possédait une « épouse » : Mukakaryenda, prêtresse de Kiranga, vierge lui vouant sa vie, mais remplacée à chaque règne. Le Karyenda était entouré d’une escorte de quatre lances sacrées reprenant les noms de règne des bami : Ntare, Mwezi, Mutaga, Mwambutsa, d’une longue fourchette à quatre dents, d’un pot de bière contenant un chalumeau touchant le tambour Karyenda et de diverses ferrailles de formes bizarres.

Il existait en outre deux taureaux sacrés à robe noire tachetée de blanc : Muhabura et Semasaka, symboles de virilité et de puissance, qui n’étaient investis dans leur charge qu’après l’accomplissement d’un rituel spécial, le kwimika. Muhabura recevait pour compagnie une trentaine de vaches sélectionnées inyambo appelées également ingabekazi (litt. les femmes du dominateur) n’ayant eu qu’un seul veau encore en vie. Semasaka (litt. le père du sorgho) était confié à la garde de la vestale Mukakaryenda qui jouait un rôle de tout premier plan dans le Muganuro ; il ne pouvait pas brouter les éteules de sorgho avant cette fête. Sept vaches ingabekazi tenaient compagnie à Semasaka. Ni les vaches ni les taureaux précités ne pouvaient être abattus et mangés.

Muhabura (l’indicateur, le point de repère) devait précéder le mwami dans tous ses déplacements, il participait aux cérémonies de l’avènement du roi ; à cette occasion, celui-ci était juché sur le dos du taureau Semasaka qui était aussi de la fête.

Un mouton blanc Shinganiye, symbole de paix, suivait Muhabura. L’escorte comportait encore un bouc Rusasu, signe évident de l’origine muhutu de ta monarchie. Le mwami portait toujours une lance ainsi qu’un petit bouclier peint en rouge et blanc, protections magiques contre le mauvais sort, et insignes de sa puissance guerrière.

Le trésor royal.

Le trésor royal comporte des vêtements et des objets de parure ayant été portés par les bami défunts, conservés précieusement comme des reliques : peaux de singes colobus, pagnes, bracelets, perles de verroterie, charmes divers, etc. Ce trésor était exposé solennellement deux fois par an au Ruanda, à l’occasion des fêtes nationales des prémices agricoles (umuganuro) et du deuil ( gicurasi) ; outre cette ostentation, des individus revêtaient momentanément ces objets, réincarnant de la sorte, en vertu de la loi de similitude, les bami disparus dont ils invoquaient les mânes en ces termes, afin de les faire participer bénéfiquement aux réjouissances et sacrifices propitiatoires : Dore ibintu byawe, intore zawe, n ’ibilori byawe, n ’abagaragu bawe (regardez vos objets, vos trésors, vos perles, vos hommes-liges, etc.), c’est en votre nom que nous organisons ces réjouissances, nous restons toujours vos sujets, vos serviteurs.

Noms de règne, interdictions y attachées.

Les noms de règne en Urundi sont actuellement au nombre de quatre : Ntare, Mwezi, Mutaga et Mwambutsa.

Au Ruanda, ils semblent s’être cristallisés sur une révolution également quaternaire : Kigeri, Mibambwe, Yuhi et Mutara ou Cyilima.

Les noms de règne Nsoro, Ruganzu et Ndahiro furent supprimés par Mutara I Nsoro II Semugeshi alias Muyenzi au X V IIe siècle (?) pour les raisons suivantes : le nom de Nsoro était porté à l’époque par le mwami du Bugesera (Ruanda) alors très puissant ; le dernier Ndahiro avait perdu le tambour, enseigne du pays, entre les mains de l’ennemi ; les deux derniers Ruganzu avaient été tués par des ennemis, en pleine guerre. Le port de ces noms était donc devenu magiquement dangereux. Par contre, Nsoro-Semugeshi introduisit un nouveau nom de règne : Mutara, roi paisible, préservateur des troupeaux. Dans le même ordre d’idées, il est à présumer que l’avenir verra la disparition du nom de règne de Mibambwe, le dernier du nom ayant été assassiné dans une conjuration en 1896, dès à présent on ne prononce plus son nom qu’avec réticence.

En Urundi, les enfants du nouveau mwami étaient revêtus du nom de règne de leur père et s’appelaient Abatare, Abezi, Abataga ou Abambutsa selon le cas. Afin de les caser, leur père destituait systématiquement des Batutsi détenant des commandements territoriaux.

On pourrait penser que celui qui doit régner sous le nom de Mwezi, fils de Ntare, continuera à s’intituler Mutare; non, il deviendra Mwezi, souche des Bezi, et ainsi de même pour les autres noms de règne.

Mais il est une règle plus curieuse encore : lors de l’avènement d’un mwami, tous les descendants du mwami portant le même nom, d’un cycle précédent, perdent avec leur nom de famille, leur titre de prince muganwa, ils deviennent des nobles abafasoni. A l’avènement de Ntare II, tous les descendants de Ntare I, de princes qu’ils étaient, devinrent nobles et leur nom de Batare devint abakundo, abavubikiro, abaruma et abavuma selon celui de leur ancêtre.

A chaque nom de règne sont attachées des interdictions et des prérogatives spéciales : Yuhi doit assurer la paix parmi les hommes et le bétail, il lui est interdit de traverser la rivière Nyabarongo et l’Akanyaru (s. e. d’envoyer des expéditions guerrières hors du pays). Mutara est également un roi paisible, préservateur du bétail, il ne peut porter la guerre hors de son pays ; contraint de le faire, il devrait demeurer en-déca des frontières du Ruanda. Mibambwe et Kigeri sont des rois libérateurs et conquérants abatabazi ; en conséquence, ils pouvaient se rendre à la tête de leurs troupes hors du Ruanda. Kigeri a centralisé les prérogatives attachées précédemment à Ruganzu et à Ndahiro. Cyilima ne pouvait traverser la Nyabarongo qu’une fois dans sa vie et devait résider au Nduga, c’est un roi pasteur avec Yuhi et Mutara.

En Urundi, le mwami ne pouvait voir le lac Tanganika sous peine d’en mourir.

Mwambutsa ne pouvait franchir la rivière Ruvyironza, l’un de ses prédécesseurs du même nom ayant failli y perdre la vie sur des lances plantées sous eau par ses frères. Ntare ne pouvait franchir l’Akanyaru, un des rois étant mort à Save (Ruanda) après l’avoir traversée.

Interdictions, rituel et protocole des bami.

Le mwami ne pouvait boire son bol de lait à fond afin de ne pas diminuer mimétiquement l’étendue de son pays ; pour la même raison, il ne pouvait s’agenouiller (guhina).

Le mwami ne pouvait se déplacer sans emporter l’amulette masse de fer Nyarushara qu’il déposait sous son oreiller (Ru.), ses tambours l’accompagnaient et étaient battus à sa résidence, sauf le Karinga (Ru.) et le Karyenda (Ur.).

Il ne pouvait voir le premier croissant de lune que reflété dans la jarre de lait qu’on lui présentait.

En cours de route, il devait obligatoirement camper sur des terres occupées par des représentants des premiers clans bahutu immigrés dans le pays : Abazigaba, et Abagesera et Abasinga (Ru.) ; chez les Abahanza, Abajiji, Abavumu, et Abashubi (Ur.).

Il était interdit au mwami, durant le mois de carême national Gicurasi (mai-juin) d’aller en guerre, de danser, d’avoir des rapports avec ses femmes (Ru.).

En période de guerre, lors de l’offensive, le mwami et la reine-mère devaient demeurer assis et immobiles durant tout l’engagement ; ils ne pouvaient porter leurs regards ni à gauche, ni à droite, ni surtout en arrière, conjoncture qui aurait eu pour conséquence la débandade des miliciens (Ru.).

Ni le roi ni sa mère ne pouvaient, selon la légende, mourir de vieillesse, ils devaient se suicider, d’où la circonlocution pour parler de leur mort : aranyoye (il a bu s. e. le poison).

En Urundi, le nouveau mwami à investir ne pouvait être marié, mais enfant ; il ne semble pas qu’il en fut autrement au Ruanda.

Il est interdit au mwami de manger en présence de personne, en vertu de la crainte attribuée au mauvais œil.

Si la pluie surprenait le mwami, il ne pouvait s’encourir, mais marcher dignement sous l’ondée car elle était considérée comme une bénédiction du ciel due à la magnanimité royale.

Le mwami ne pouvait boire que le lait d’une vache isugi, c’est-à-dire n’ayant pas encore perdu de veau, il ne pouvait boire le lait d’une vache roussâtre-noirâtre inyombyi, d’une vache aveugle impumyi, d’une vache ifuti dont le veau était né en présentant le siège.

Le mwami ne pouvait manger que de la viande de vache et encore devait-il s’abstenir de l’amara (les intestins), de l’umwijima (le foie) et de l’umutima (le cœur) provenant des bêtes de divination de bon augure (Ru.).

Lors de son mariage, on n’employait ni l’herbe umwishywa ni l’imbazi, les tambours se mettaient à battre lorsqu’il consommait l’acte conjugal (Ru.)

Il ne pouvait s’affilier à la secte religieuse de Ryangombe (Ru.), ni à Kiranga (Ur.).

Il ne pouvait passer à proximité des tombeaux de ses ancêtres ni entrevoir leurs fossoyeurs.

Il ne pouvait rien recevoir de la main des ramasseurs de bouse abakutsi (Ur.)

Nul ne pouvait manger du sorgho ni de l’éleusine avant qu’il n’eut goûté aux prémices des récoltes — kuganura — de mars-avril (Ru.).

En Urundi, nul ne pouvait entamer les semailles du sorgho avant que le mwami n’en eut donné le signal lors de la fête du Muganuro, en décembre.

Nul ne pouvait dépecer un crocodile, animal dont l’on supposait extrait le poison destiné au suicide du mwami (Ru.).

Nul ne pouvait fouler les tombeaux royaux. Personne, pas même les Biru, batteurs de tambours, ne pouvait se toucher la tête, sous peine de mort, avec les baguettes postiches du tambour enseigne Karinga que l’on ne frappait cependant jamais.

On ne pouvait laisser choir, sous peine de mort, le tambour réveille-matin indamutsa qui saluait quotidiennement le mwami à son lever. A ce moment des prêtres de Ryangombe venaient exorciser les lieux.

Certains objets royaux, tels les tambours, étaient intouchables du commun des mortels ; mieux, pour qu’ils ne les vissent point, et par crainte du mauvais œil, on les cachait sous des nattes.

Nul ne pouvait tendre la main au mwami, il fallait claquer des mains à trois reprises pour le saluer et a ttendre qu’il veuille tendre la sienne.

Il était interdit d’avoir des rapports sexuels, même chez les animaux domestiques qui devaient être séparés, et de cultiver, en période de deuil national pour le mwami ou pour la reine-mère.

Il était interdit d’enjamber les jambes du mwami étendu ou assis.

Toute personne passant derrière son dos, devait lui poser la main droite sur la poitrine en signe d’absence de mauvaise intention. En principe, il était interdit de passer derrière le mwami. Il était interdit d’entrer armé chez le mwami.

S’il se tenait assis, on ne pouvait lui parler debout, mais accroupi à terre : il fallait se minimiser devant sa haute personnalité et non point la dominer.

Les trayeurs du mwami devaient être des jeunes gens vierges n’ayant jamais de rapport sexuel avec des femmes, sous peine de révocation.

Il était interdit de présenter directement au mwami, les baguettes d’un tambour, il fallait d’abord les déposer par terre à son intention ; tous autres objets devaient lui être présentés tenus des deux mains.

Il était interdit, hormis aux trayeurs, de jeter un regard sur le lait du mwami ; dès qu’il était trait, le vase le contenant devait être immédiatement fermé à l’aide d’un petit couvercle conique d’herbes tressées.

Interdiction à quiconque d’assister à la préparation des repas du roi, au barattage de son beurre, et de le voir manger ou boire. Interdiction également de couper les ficus ayant poussé à l’emplacement des anciennes résidences ibigabiro et des cimetières royaux imisezero.

Personne ne pouvait précéder le mwami en promenade, hormis l’exorciste chargé de chasser les mauvais esprits devant lui.

En Urundi, le lait maternel était interdit aux enfants du mwami qui ne pouvaient être nourris qu’au lait de vache. Plus grands, ils ne pouvaient manger en présence de personne, seuls ses frères utérins se servaient dans un même plat. Du bœuf, ils ne pouvaient manger que certains morceaux déterminés. En fait, ils le mangeaient bouilli, avec des bananes cuites et de la bière épaisse. Le valet, qui les servait, leur présentait à genoux leur repas dans une corbeille fermée dont il lui était interdit de soulever le couvercle.

Le mwami avait droit à des funérailles spéciales, son corps, laissé étendu et boucané, n’était pas enterré. Autres interdictions et règles spéciales aux bami de l’Urundi : En principe, le mwami ne pouvait pas voir son successeur. Au physique, le mwami ne pouvait porter des cicatrices.

Il était interdit au mwami de boire de la bière de sorgho avant la fête des semailles, Muganuro. Il ne pouvait manger d’autre viande que celle d’ingumba (vache stérile). Il ne pouvait voir les Banyange ni aller au Bunyange (cimetières royaux), ni habiter l’ikigabiro où un autre mwami était mort.

Le mwami ne pouvait accepter de titre matrimonial de la part de son beau fils ; il ne pouvait le spolier. Le mwami ne pouvait visiter le « Rusha » (lieu de divination par aruspicine des taurillons, moutons et poussins).

S’il pleuvait et la pluie le surprenant en cours de route, il ne s’abritait jamais chez des Batutsi, mais toujours chez des Bahutu. Comme les Baganwa, il ne pouvait monter sur la colline Mugera.

Pour saluer le mwami absent depuis plusieurs jours, on s’agenouillait et on battait des mains. Le salut ordinaire, tant pour le mwami que pour le chef muganwa, consistait à se mettre à genoux et à dire « Ndagize bwakeye ».

Il était interdit de dévisager le mwami. On ne pouvait pas, pour le mwami comme pour tout supérieur, s’asseoir à la même hauteur, on se courbait ou bien on s’agenouillait devant lui.

Un mukamyi (trayeur) ne pouvait entrer dans la cuisine. Un mukevyi (serviteur) ne pouvait toucher l’icansi (vase à lait). Personne ne pouvait manger les restes du repas du mwami : ils étaient enterrés en un endroit spécial. Ceux qui avaient quelque chose à dire au mwami s’approchaient de lui à genoux et lui parlaient à voix basse, à l’intérieur de sa hutte.

Les gens de service devaient se courber assez bas pour ne pas dépasser de la tête, les pots à lait se trouvant rangés sur une sorte de buffet. Les enfants du mwami en parlant de leur père et de leur mère ne disent jamais comme les autres enfants : Dawe (mon père) ou Mawe (ma mère), mais bien : Umwami, Umwamikazi.

Lorsqu’on nettoyait les pots à lait, personne ne pouvait s’en approcher si ce n’était ceux chargés de traire les vaches. Le soir, à la rentrée des vaches royales, personne ne pouvait traverser le troupeau, hormis le mwami. Au moment où l’on trayait les vaches, personne ne pouvait pénétrer dans le kraal où s’accomplissait l’opération. Il était strictement interdit de pénétrer dans la hutte où se barattait le beurre.

Choix et position des femmes du mwami (Abami-kazi).

Au Ruanda, les femmes des bami appelées à devenir reines-mères sont choisies parmi les phratries Bazigaba, Basinga, Baha, Bakono, Bagesera et surtout Bega, toutes Batutsi. Rien ne s’oppose à ce que le mwami se choisisse une femme dans sa propre phratrie des Banyiginya, mais dans ce cas, ni le fils à naître de cette union, ni sa mère ne peuvent régner, on se trouve en présence d’une bien curieuse conséquence de l’endogamie relative, sur l’inaptitude à commander.

En Urundi, en principe, le mwami ne prend femme que dans les familles batutsi ci-après, les meilleures parmi les grandes (abanyaruguru) Benengwe, Banyakarama, Banyagisaka et Bahondogo. Il ne prenait pas femme dans les phratries royales Batare, Bezi, Bataga et Bambutsa, ni parmi celles des princes de sang royal devenus bafasoni : Bakundo, Bavubikiro, Bavuma et Baruma : nous nous trouvons à nouveau ici en présence d’une application de la règle concernant l’exogamie. Néanmoins, l’actuel mwami Mwambutsa épousa successivement une Mutaga puis une Mukundo.

L’interférence des femmes du mwami dans le domaine politique est nulle ; en fait il n’existe qu’une reine : c’est la mère du mwami régnant.

Position de la reine-m ère Umugabekazi.

Le roi doit régner conjointement avec sa mère : l’umugabekazi ou reine-mère. Faute de mère encore en vie, il fallait lui en donner une adoptive. Il semble que tout le drame de Rucuncu au Ruanda en 1896, au cours duquel le mwami Mibambwe-Rutalindwa fut assassiné, provient du fait que son père Kigeri-Rwabugiri en le désignant pour lui succéder, donna à cet orphelin de mère, une marâtre, Kanjogera, cependant femme de Rwabugiri. Kabare, frère de Kanjogera, fomenta une sédition qui organisa le coup d’état de 1896; il fit investir Yuhi-Musinga, propre fils de Kanjogera. Si la reine-mère mourait en cours de règne, il fallait nommer une mère adoptive au mwami ; en Urundi, une jeune fille pouvait remplir ce rôle : Nyenumugamba.

La reine-mère étant co-régnante, elle faisait partie du conseil de régence jusqu’à la majorité de son fils, atteinte avec le mariage. A ce titre, elle l’accompagnait dans tous ses déplacements, elle commandait comme un véritable mwami, déclarait la guerre, prononçait des sanctions judiciaires, investissait et destituait chefs et sous-chefs. La reine-mère prend le nom de règne de son fils, précédé du préfixe Nyira (Ru.) et Ina (Ur.) (Mère de) : Ina-Ntare, Ina-Mwezi, Ina-Mutaga, InaMwambutsa (Ur.) ; Nyira-Yuhi, Nyira-Kigeri, NyiraMibambwe, etc., à l’exception de la mère de Mutara qui prend celui de Nyiramavugo (Ru.) (La mère du bon conseil). Elle assistait à l’investiture de son fils.

En Urundi, les derniers mois de l’occupation allemande furent employés par la reine-mère et ses fils à une extermination féroce de la riche famille des Bavukibiro, accusés d’avoir ensorcelé le mwami Mutaga.

La veuve du roi Mwezi, Ririkumutima, décédée en 1917, faisait promener sa litière à porteurs d’une résidence royale à l’autre, et s’occupait personnellement des affaires du royaume. Dans ses visites aux autorités européennes, cette femme immobile, au parler lent, incapable d’un geste, qu’on devait presque soulever pour la conduire de sa litière à un fauteuil, se montrait aussi intelligente et plus rusée, aussi énergique et plus têtue que tous les princes de son entourage.

Lorsque son fils était devenu adulte et capable d’administrer lui-même le royaume, la reine-mère devait s’effacer et s’asseoir sur le siège inteko, manière symbolique d’exprimer le fait que sa fonction active avait cessé. Toutefois, elle continuait à participer aux grands conseils, aux intrigues, et à diriger son fils dans le bien comme dans le mal. Nyira-Yuhi suivit son fils dans l’exil à Kamembe où elle mourut le 18 octobre 1933. Lors d’une guerre d’invasion, la reine-mère et son fils devaient demeurer assis, immobiles sur l’inteko, ne pouvant regarder ni à droite, ni à gauche, ni en arrière, circonstance qui eut provoqué, croyait-on, la fuite des miliciens. On rend les mêmes honneurs à la reine-mère qu’au mwami : trois battements des mains, sans prononcer une parole. Comme son fils, elle porte une couronne de perles, aux grandes circonstances, et se tient assise à sa droite. L’exercice des pouvoirs de la reinemère cessait de droit en cas de mort de son fils, les pouvoirs passant alors à une autre. Elle a droit aux mêmes funérailles que le mwami et à des sacrifices humains : lors de la mort de Nyira-Yuhi à Kamembe, une hutte flamba comme par hasard, tuant l’une de ses servantes. Au Ruanda, les épouses prises par le mwami dans le clan des Banyiginya ne pouvaient jamais exercer les fonctions de reine-mère, leurs enfants étaient exclus de la succession au tambour. Devenues veuves, les reines-mères ne peuvent se remarier.

Le personnel du mwami en droit coutumier ancien.

a) Politique.

Outre le mwami, la reine-mère, les chefs, sous-chefs et abanyibikingi ainsi que certaines concubines placées à la tête de résidences et de fiefs royaux quelles prenaient en charge, le personnel de la Cour du mwami comportait :

Des espions, abatasi, agents secrets et mouchards, tous clients du mwami ;

Des juges de métiers Abanyarurimbi (Ur.), Abac’imanza (Ru.) ; Bahutu ou Batutsi (litt. ceux de l’urulimbi (Ur.), cour arrière du kraal royal) qui tranchaient les palabres en dernier ressort. Us étaient choisis pour leur connaissance approfondie des coutumes et pour leur servilité à l’égard du mwami ; Les bourreaux batwa, exécutant servilement les décisions royales emportant peine de mort ; Des gardes du corps — ingabo et danseurs intore — lanceurs de javelot et tireurs à l’arc s’exerçant régulièrement au métier des armes et à la gymnastique en vue d ’assurer la protection du mwami ; Les gardiens des tambours et principalement des enseignes Karinga (Ru) et Karyenda (Ur.) ;

Un messager umuguruzi w’urunyoni (Ur.) (Celui dont les jambes volent aussi vite qu’un oiseau), chargé d’annoncer au loin l’avènement du mwami ;

Les tambourineurs officiels abiru (Ru.) — abanyangoma (Ur.) ;

Les chroniqueurs ou annalistes de la Cour : abacurabwenge (litt. ceux qui forgent l’intelligence), ils ont pour mission de retenir l’histoire, les noms des bami, de leurs femmes, de leurs enfants, les batailles, les emplacements des cimetières, etc. ;

Les conservateurs, biru, des traditions ou de la législation coutumière, leur rôle consiste à maintenir l’unité et la continuité des coutumes à la Cour. Réunis sous la présidence du mwami et de la reine-mère, ils formaient avec les grands chefs une sorte de conseil des ministres (Inama).

Avant d’entrer en fonctions, les biru devaient prêter serment de ne jamais dévoiler le secret du Code ésotérique ; en même temps, ils absorbaient une boisson aux vertus magiques, l’igihango, breuvage qui devait automatiquement leur faire perdre la vie en cas de trahison.

Parmi les biru, il convient de distinguer au Ruanda :

Le mwiru gardien en chef du tambour emblème Karinga, du clan des Bakowa, président d’honneur du collège des biru et commandant de l’armée Abanyakaringa — Ishyama.

Les biru secrétaires ou biru b’ijambo auxquels le mwami confiait le nom de son héritier. Us étaient trois au Ruanda et deux en Urundi : le premier, chef d’armée, devait intervenir d’initiative en cas d’insurrection de compétition ; le second chef, ou mwami du clan des Batege, détenait en outre la charge d’annoncer le décès du roi… au tambour-emblème Karinga et d’instituer officiellement le nouveau mwami ; le troisième, chef de clan ou mwami des Batsobe, était également grand cérémoniaire lors de la fête des prémices agricoles. L’héritier n’était avisé que quelques jours après la mort de son père.

Le mwiru-pasteur, du clan des Baheka, avait pour fonctions d’instituer les taureaux sacrés insanga auprès du mwami, et de donner le premier coup de pioche indiquant l’emplacement des nouvelles résidences royales. Le mwiru chef de clan, ou mwami des Bakono, devait retenir l’ordre dans lequel les différents clans du Ruanda fournissaient les reines-mères à tour de rôle.

Le mwiru chef de clan des Batandura, gardien attitré du tambour royal Cyimumugizi, commandait une section de l’armée Ishyama et possédait le privilège d’imposer nom aux enfants royaux ; toutefois, il n’intervenait pas dans la conservation du Code ésotérique.

Le mwiru chef du clan des Benemuhinda, gardien des marteaux royaux.

Le mwiru chef d’un des clans cadets des Batezi, gardien du tambour royal Icumwe qui périt dans l’incendie de Rucuncu en 1896.

Le mwiru chef du clan des Bakuna, gardien des ceintures ligatures de vie imyeko des reines-mères.

Le mwiru des Benenyamigezi, gardien en second du tambour emblème Karinga en souvenir du fait qu’il résida dans la case de Nyamigezi, fondateur de cette famille.

Les biru-bami disposaient d’un tambour emblème et de noms de règne cycliques.

b) Personnel magico-religieux.

Les gardiens des reliques et charmes du trésor royal, abanyabyuma (les gens des masses en fer).

Les devins-guérisseurs bapfumu (Ru. et Ur.) ; en Urundi, le rôle de guérisseurs était rempli par des Bahutu abajiji, tandis que celui d’augures se voyait réservé aux pasteurs bahima abagare. Ils étaient consultés à propos de n’importe quel événement : construction, guerre, maladie, suspicion d’envoûtement, etc., et pratiquaient notamment l’aruspicine par la consultation des viscères des taurillons et des béliers amamana.

Les fossoyeurs (abanyange: Ur.), (abanyamugogo : Ru.), hommes à la bûche s. e. d’érythrine antidémoniaque.

Des cérémoniaires abaganuzi (Ur.) jouant un rôle de premier plan à l’occasion de la fête annuelle des semailles du sorgho, l’umuganuro.

Les prêtres (impara : Ru.), (ibishegu : Ur.) du culte de Ryangombe-Kiranga ; à la Cour du mwami du Ruanda, ils devaient se présenter au lever du mwami, dansant, chantant, revêtus de charmes et priant la divinité chthonienne de le protéger.

Les banyesubyo, préparateurs officiels du breuvage magique et purificateur isubyo que le mwami devait prendre chaque jour ; les banyamisumba qui plantaient l’arbre umusumba (de gusumba: dominer), là où l’on érigeait une résidence royale.

Des exorciseurs abacumbi (Ru.), abatosi (Ur.) ; des nécromanciens abashyitsi, des conjurateurs abahuzi, des fabricants de charmes abanyazaratsi ou abacunyi, des maudisseurs abahenyi.

Le général en chef, à titre honoraire et magique, des armées, umugaba, portant au front un bandeau, ligature de vie, ikamba, rappelant le diadème royal.

c) Personnel domestique.

Des trayeurs abakamyi étaient des jeunes gens batutsi de très bonne famille abanyaruguru, en Urundi, non mariés ; tout contact sexuel avec une femme les rendait inaptes à leur service. Ils devaient être de bonne santé et se soumettre mensuellement à la purge magique : eau, urine de vache et remède ; il leur incombait de se purifier les mains à l’eau froide avant et après la traite, et d’opérer loin des regards étrangers. Au Ruanda, ils risquaient leur vie à tout instant, car ils étaient fréquemment soupçonnés d’envoûtement.

Les bouchers-cuisiniers abakevyi (Ur.) intalindwa (Ru.), Bahututu abajiji et abahanza (Ur.) ; ils ne pouvaient avoir de contact ni avec des femmes ni avec le lait du mwami. Au Ruanda, ils s’intitulaient encore abahanga et abozi (laveurs).

Les concubines incoreke, grandes dames suivant le mwami dans ses déplacements, occupant certaines résidences ou fiefs, et entretenant les enfants royaux une foi devenues vieilles.

Les vachers abungere (Ur.) abashumba (Ru.) chargés de la garde du bétail royal aux pâturages, ils se recrutaient parmi les enfants batutsi de bonne famille ; en Urundi, le bétail sacré ingabe n’était gardé que par de vrais pasteurs bahima. Au Ruanda, le gardien chef du bétail du mwami devait être affilié à la secte religieuse de Ryangombe.

Les balayeurs abakutsi, Bahutu ramasseurs de bouse et d’urine de vache, qui ne pouvaient jamais entrer en contact avec le mwami.

En Urundi, un bouffon dont le dernier du nom fut Biteyamanga, un nain qui suivait le roi dans ses déplacements, faisant le fou, gesticulant, débitant des sonnettes et disant souvent leurs quatre vérités aux grands, certain qu’il était de son immunité.

Des chasseurs abahigi comprenant, en Urundi, des Batutsi et des Bahima des clans Bamampfu, Basambo, Bazirakahama, chargés d’apporter au mwami des peaux de léopard, de serval, de singe colobus, de loutre, etc.

Des apiculteurs abakuzi et des forgerons abacuzi, chargés de fournir toute leur production à la Cour.

Des brasseurs abanyanzoga, souvent suspects de tentative d’envoûtement au même titre que les trayeurs.

Des cultivateurs et préparateurs de tabac servant notamment des clystères aux grandes dames.

De simples serviteurs abanyakambere, abanyagikari, des porteurs d’eau abavomyi.

Des veilleurs de nuit abararirizi (Ru.) — abateramyi (Ur.), et des porteurs de hamac, souvent Batwa.

Des servantes abajakazi — abashashi (Ru.) — incoreke (Ur.) balayant les huttes, renouvelant les herbes de la couche du mwami et la réchauffant à l’aide de leur propre corps avant le coucher du monarque.

Des musiciens accompagnant les danseurs ; des danseurs.

Des bardes, des aèdes et des poètes divers abasizi.