L’autorité allemande, toute nominale, suivit néanmoins une politique d’administration indirecte et, tant au Ruanda qu’en Urundi, fit de son mieux pour maintenir et renforcer l’autorité des bami, érigeant notamment leur pays respectif en résidence dès 1907, bien que l’attitude adoptée en Urundi fût d’abord contradictoire.

A leur arrivée au Ruanda-Urundi, les Belges optèrent également pour une politique de protectorat exprimée par l’art. 4 de l’ordonnance-législative 2/5 du 6 avril 1917 :

« Dans les circonscriptions constituées en Sultanats, les Résidents représentent le Gouvernement d’occupation. Ils veillent au maintien de l’ordre et de la sécurité publique. Les sultans exercent sous la direction du Résident, leurs attributions politiques et judiciaires dans la mesure et de la manière fixée par la coutume indigène et les instructions du Commissaire royal ».

La ligne de conduite poursuivie par l’Administration belge consista, dès le début de l’occupation, à assurer la paix au sein des communautés, à y faire régner la justice, à unifier chacun des pays, à respecter et à renforcer le pouvoir des bami et de leurs représentants, sans toutefois hésiter à remplacer les chefs incurablement mauvais par des candidats choisis de plein accord avec l’autorité indigène. A cette fin, maintenant les résidences, l’on entreprit en même temps que le réseau routier, une occupation effective et itinérante du pays en créant dès l’abord dix territoires au Ruanda et huit en Urundi, confiés à des administrateurs ou à des agents territoriaux. Par ailleurs, l’on constitua tant en Urundi qu’au Ruanda, des écoles pour fils de chefs, dirigées par des fonctionnaires instituteurs de métier, dont les élèves diplômés étaient envoyés en stage en qualité de clercs auprès des administrateurs, puis en cas de capacité avérée, étaient nommés sous-chefs au fur et à mesure des vacances dans les commandements des circonscriptions indigènes.

Dans un but de simplification et d’unification de ces commandements l’on décida, en 1924, qu’aucun sous-chef ne pouvait désormais devenir vassal de deux chefs différents. Au cours de la même année, l’on supprima au Mulera (Ruhengeri) la fonction de chef d’armée ingabo, cette charge étant tombée en désuétude suite à l’occupation européenne. Cette mesure fut ensuite étendue à tout le Ruanda. Dès 1926, on agit de même à l’égard des chefs de pacage umukenke, vu les difficultés incessantes qui surgissaient constamment entre ces autorités et les chefs de l’ubutaka ayant les Bahutu en charge. En 1925, l’on prit une mesure interdisant la création de nouvelles terres franches ibikingi et l’on décida de rattacher à la sous-chefferie limitrophe tout igikingi devenu vacant.

En 1930, l’Administration prit comme ligne de conduite de supprimer tous les ibikingi comportant vingt cinq ménages et moins, l’objectif visé étant d’aboutir à la constitution de sous-chefferies homogènes comportant un minimum de cent contribuables. Toutes ces mesures avaient pour résultat de diminuer les prestations pesant sur les indigènes, tout en rendant l’administration plus effective et rationnelle.

Le programme de politique indigène tracé le 25 septembre 1930 par feu le vice-gouverneur général VOISIN, comportait notamment les points suivants : «

1) Respect et renforcement de l’autorité autochtone dans la mesure où elle s’exerce suivant nos directives civilisatrices. »

2) Destitution et remplacement des chefs incapables par des candidats désignés d’accord avec le mwami. »

3) Regroupement des chefferies de façon à supprimer la dispersion des fiefs et rendre l’Administration plus aisée et plus efficace. Partir de ce principe que, sans collaboration des autorités autochtones, le pouvoir occupant se trouverait absolument impuissant et en présence de l’anarchie ».

En application de toutes ces directives inlassablement suivies depuis le début de l’occupation belge, l’on assista assez rapidement à l’unification territoriale des commandements indigènes tant au Ruanda qu’en Urundi ; l’on évinça les devins-magiciens sévissant auprès des bami, on les remplaça par des conseils de notables éclairés et capables de donner des avis valables. L ’on aboutit à ce qu’un seul chef commandât une unique province, et à ce qu’il en fut de même en ce qui regarde les souschefs sous les ordres desquels on réunit, en un seul massif parfaitement homogène, plusieurs collines géographiques comportant un minimum de trois cents contribuables.

C’est en exécution du principe de l’éviction des autorités incapables et rétrogrades, qu’en 1931, le mwami Musinga, du fait de sa résistance passive aux ordres de l’autorité européenne, et de son hostilité à l’égard des missions religieuses, fut destitué et relégué. Il fut remplacé, le 16 novembre 193:1, par son fils Rudahigwa qui prit le nom de règne de Mutara.

Toutes ces modifications furent entreprises progressivement avec toute la pondération et la prudence désirables, à tel point qu’aucun remous politique ne se produisit jamais alors que la précipitation, l’incohérence et le manque de préparation politique eussent risqué de précipiter le pays dans l’anarchie. En même temps que les incapables étaient éliminés, l’on assura une stabilité et une quiétude inconnues jusqu’alors, à tous les éléments ayant donné des preuves tangibles de bons et loyaux services.

L’ordonnance législative 2/5 du (5 avril 1917 put enfin être remplacée par un nouveau texte en date du 4 octobre 1943, conjoncture consacrant vingt-six ans d’efforts opiniâtres dévolus à l’aménagement de la structure politique indigène du Ruanda-Urundi. Cette dernière ordonnance vient d’être rénovée par le décret du 14 juillet 1952 ; celui-ci ne prévoit que trois échelons administratifs homogènes dont les deux premiers possèdent la personnalité civile : le pays commandé par un mwami, la chefferie dirigée par un chef et la sous-chefferie par un sous-chef, tous désignés conformément à la coutume et investis par l’autorité européenne. Les capitas de colline abomotsi, abahamagazi, sans être supprimés, ne sont néanmoins pas reconnus officiellement.

Au cours de ces dernières années, l’Administration, afin de rendre les chefs plus libres dans leur commandement, leur conseilla de céder à des sous-chefs en titre, les massifs inyalurembo ou ivyibare qu’ils dirigeaient eux-mêmes car constituant leur sous-chefferie personnelle.