Mes Chers Concitoyens,

Excellences,

Mesdames, Messieurs,

A chaque Rwandais, à chaque habitant du Rwanda, à chaque famille rwandaise, à chacun des groupes professionnels, à toute la Nation rwandaise, je souhaite bonne et porteuse de bonheur cette grande fête du 1er mai.

Unissons-nous à toutes les forces jeunes du monde pour féliciter le Mouvement socialiste que l’Histoire indique comme le père de cette coutume, devenue aujourd’hui universelle, des fêtes du 1er  mai. Il a attiré l’attention du Monde sur des valeurs capitales qu’un certain régime social tendait à minimiser ou interpréter sans référence à la majorité des habitants de la Terre; aujourd’hui ces valeurs : le travail, le travailleur, en particulier le travailleur manuel, sa famille, ses conditions d’existence ont acquis le droit à la considération universelle et dans certaines Nations elles jouissent du respect qui leur est dû.

Félicitons aussi l’Eglise Catholique, si bien appelée Mère et Educatrice des Peuples qui, en reprenant la fête du Travail dans ses fêtes liturgiques, a sublimé plus encore les valeurs authentiques soulignées par les promoteurs du 1er mai, en rappelant la soumission de ces valeurs à la volonté du Créateur ainsi que leur sens ultime qui aboutit dans l’au delà.

Toute la Nation rwandaise doit remercier le Mouvement de la Promotion Hutu, dont le sens de l’homme, la vue claire, l’action constructive, patiente et hardie, particulièrement au cours de ces sept dernières années, a redonné à l’homme rwandais, au travailleur rwandais, celui des champs notamment, à sa famille, l’amour de vivre et le courage devant l’avenir.

Grâce à l’action du Mouvement Démocratique Républicain, les conditions de vie des masses populaires rwandaises s’améliorent authentiquement : une liberté efficace s’instaure, portée par une démocratie qui se veut toujours plus authentique, et la Nation rwandaise contribue positivement à l’établissement des conditions favorables au relèvement du standing de vie de l’Humanité.

C’est ce triple sujet qu’à l’occasion de cette fête du Travail, le Président du Rwanda va évoquer simplement et succinctement, en livrant en même temps à votre réflexion quelques considérations que j’estime de nature à prolonger la perspective de l’évolution à laquelle nous sommes arrivés.

  1. INDEPENDANCE- ORDRE PUBLIC – REALISATIONS.

Aujourd’hui, sur toute la surface du Rwanda les vieilles Féodalités ont été balayées; le spectre des lnyenzi a été mesuré et il ne représente plus qu’un fantôme : un slogan vide sur la bouche des néo-colonialistes, une échelle vermoulue entre les mains d’éventuels éléments subversifs.

Le problème des personnes déplacées a été résolu pour tous ceux qui l’ont souhaité loyalement : les personnes qui ont opté pour l’étranger s’installent et se rééduquent au travail grâce aux bonnes relations que le Gouvernement de la République entretient avec les Etats limitrophes.

Les familles rwandaises sont libres; elles sont à même de réaliser authentiquement la coopération inscrite dans la devise de la République.

Aujourd’hui, le Rwanda est indépendant : la tranquillité publique et un effort redoublé au travail ont été le signe de ces neuf mois qui viennent de suivre immédiatement la date mémorable du 1er juillet 1962.

Les forces armées étrangères sont parties avec la colonisation et ont été écartées de ce fait les difficultés inhérentes à la présence de troupes étrangères sur le territoire d’un pays indépendant. Notre jeune armée se perfectionne en s’orientant vers les utilités sociales qu’elle est appelée à jouer à l’égard de la jeunesse nationale.

Aujourd’hui, la place du Rwanda est faite, valable et utile, dans ce concert des Nations : le Rwanda est membre de l’O.N.U. et de plusieurs autres organisations internationales importantes.

La République Rwandaise est membre de l’U.A.M. : cela vise non seulement à faire profiter notre Pays des services de coopération de l’U.A.M., mais aussi à contribuer à l’union de l’Afrique. Nous avons établi des relations diplomatiques avec plusieurs pays, tant d’Europe que d’Afrique; des accords de coopération et d’assistance technique produisent déjà leurs effets bénéfiques et, entre temps, aucune entreprise contribuant valablement à la promotion du progrès national n’a arrêté ses activités.

Le relèvement du niveau de vie des masses populaires s’est poursuivi grâce au maintien et à l’orientation pratique de l’enthousiasme de ces masses. La reconversion de l’enthousiasme électoral de septembre 1961 en un effort redoublé au travail a été réalisée : la culture du café et du thé, les cultures vivrières traditionnelles, l’amélioration de l’habitat rural, l’augmentation du réseau routier communal, la formation des foyers sociaux communaux pour l’éducation de la jeunesse féminine des campagnes, les essais par l’initiative privée de cultures toutes nouvelles jusque dans les campagnes les plus retirées, le réveil à l’échelle nationale de tous les secteurs de l’artisanat, tout cela a donné des résultats réels et solides que chacun de vous peut constater de ses progrès yeux ; vous savez combien les pessimistes n’en reviennent pas et combien aussi les manœuvres des techniciens du sabotage et de la subversion deviennent vaines devant le sens pratique et décidé du Peuple rwandais et de son Gouvernement.

Toujours dans le souci d’aider le Peuple à réaliser son mieux-être, mon Gouvernement tient à mettre à la disposition des masses certains organismes essentiels comme la création d’une Banque commerciale rwandaise qui frayera le chemin à l’établissement d’institutions nationales de crédit; le démarrage en septembre prochain d’un Etablissement d’Enseignement Supérieur et Universitaire pour la formation des cadres nationaux; la réglementation et la mise en circulation d’un service de transport pour soutenir et promouvoir l’initiative privée en ce domaine si important du progrès économique et social des populations.

C’est dans ce même souci entre autres que nous avons décidé de doter la République d’un aéroport de classe internationale; l’état où, après bientôt une année, en arrivent les travaux décourage tous les pessimismes et sabotages et en garantit l’achèvement dans très peu de temps; le Gouvernement possède par ailleurs des promesses fermes d’aide pour l’aménagement d’une superstructure valable et rentable.

Dans ce même ordre de choses, nos préoccupations n’ont pas manqué de se porter sur l’équipement du Pays en services techniques essentiels telle qu’une station nationale de Radiodiffusion qui, ces derniers mois, n’a cessé d’être doté de techniques indispensables à l’amélioration de son rendement et de son efficacité; telle qu’une station nationale de Télécommunication dont l’installation se poursuit lentement mais solidement.

Que ce soit par l’encouragement des cultures vivrières traditionnelles; que ce soit par la promotion des différents secteurs du développement de base; que ce soit par l’effort de démocratiser la législation, l’éducation et la culture; que ce soit par les multiples démarches dont les résultats positifs enregistrés constituent une étape importante vers l’exploitation rationnelle des ressources naturelles nationales comme notre potentiel hydraulique. notre gaz méthane du Kivu, nos énormes possibilités touristiques ; que ce soit par le souci d’équiper la Nation de services indispensables ; que ce soit par les accords de relations politiques et de coopération technique avec divers Etats ou Organismes internationaux, nous n’avons fait que réaliser concrètement notre Déclaration Gouvernementale du 26 octobre 1960, renouvelée et précisée le 26 octobre 1961, et explicitée solennellement le jour de notre Indépendance, le 1er  juillet 1962.

A l’intérieur : à l’Effort National se joint l’apport de la coopération et de l’assistance pour relever les niveaux de vie des masses rurales; à l’extérieur : une certitude objective pour la promotion de tout ce qui sert la paix dans la liberté des individus et des groupes et la coopération entre les Nations.

Toute la Nation a participé à ce double effort, et l’Assemblée Nationale très éminemment en votant des lois très importantes comme la foi fondamentale et les différentes lois organiques sur la Cour Suprême, sur les élections, la législation minière, pour n’en citer que les plus caractéristiques.

Moi-même, je n’ai pas cessé une seule fois, je n’ai pas manqué une seule occasion de provoquer et d’orienter la participation des autorités préfectorales et communales et de remonter le ressort de l’enthousiasme de toute la population rwandaise, faisant tout ce qui est en mon pouvoir pour promouvoir et renforcer une conception démocratique et sociale du Pouvoir ; nos préfets, nos bourgmestres et plusieurs de nos fonctionnaires des services techniques ont compris et réalisent que mandats et autorité ne sont octroyés que pour le service de la collectivité ainsi que pour la promotion des intérêts sociaux, économiques et culturels de celle-ci; ils réalisent, souvent avec un dévouement admirable, que le pouvoir de commander inhérent à leur mandat et à l’autorité dont ils sont investis n’est qu’un moyen pour réaliser ce service à la promotion des intérêts des subordonnés.

C’est, à notre avis l’une des plus grandes réussites dont le Mouvement Démocratique Républicain peut se féliciter dans l’Afrique de la seconde moitié du 20ème siècle. Cette réussite s’inscrit par ailleurs dans le sens du courant socialiste — au sens authentiquement humain, démocratique et constructif du terme qui travaille tout le Tiers-Monde.

  1. PAYS DE LIBERTE, DE DISCIPLINE ET DE GAITE.

Tout ce mouvement de démocratisation et de relèvement du Peuple rwandais que nous avons eu l’honneur de présider du temps de la Tutelle coloniale, du temps de la Révolution, du temps de l’Autonomie interne, et durant cette première année de notre Indépendance Nationale, a conduit le Rwanda à mieux déterminer ses objectifs à l’intérieur ainsi qu’à préciser sa mission historique sur l’échiquier mondial.

Aujourd’hui, le Rwanda est le pays de la Liberté, de la Discipline et de la Gaîté. Avec l’effondrement des féodalismes, la dictature a été écartée : la teneur de notre Constitution d’une part et d’autre part l’expérience et l’évolution des masses populaires garantissent la liberté du Rwanda.

Et non seulement notre pays est un pays de liberté pour ses propres enfants, mais cette liberté est assortie d’une gaîté particulière pour les étrangers qui nous visiteront et séjourneront dans cette région la plus touristique de toute l’Afrique.

Cette qualité physique du Rwanda n’eut servi à rien si le Mouvement Républicain n’avait fait du Rwanda une Démocratie disciplinée et libre.

Libre et gai, le Rwanda est Pays qui veut démocratiser tout ce qui entre sur son sol. Ce sol étant le patrimoine commun de tous les Rwandais, tout ce qui y entre, tous ceux qui l’utilisent doivent contribuer au progrès de tous les Rwandais.

Assistance technique, coopération de l’extérieur, investissement de capitaux, tout doit, s’il ne l’était, se démocratiser, c’est-à-dire contribuer réellement au progrès de tous les Rwandais.

C’est ainsi que, en vue de coordonner les offres d’assistance et les investissements, afin d’éviter l’instauration d’une concurrence stérile ou la réinstallation de l’exploitation du Peuple, ainsi que dans le but de susciter un accroissement équilibré des investissements de provenance extérieure, mon Gouvernement oriente positivement l’assistance et la coopération technique et financière extérieures, ce secteur si important de la vie nationale des pays sous-développés.

  1. LA COOPERATION ET L’ASSISTANCE A ORIENTER.

Constatation.

Depuis l’Indépendance de notre pays, grâce à la tranquillité publique qui règne dans le Rwanda, grâce à la stabilité de nos institutions politiques et administratives, grâce à la volonté de progrès qui travaille tous les Rwandais, suite aussi aux différentes démarches exécutées par le Président de la République et le Gouvernement, grâce à la beauté physique de notre pays et aussi à sa situation géographique stratégique, les offres de coopération et d’assistance technique et financière se multiplient : elles se présentent sous plusieurs formes, en plusieurs termes divers, de provenances diverses. Certaines viennent fermes, d’autres visiblement font un travail de sondage. Certaines souffrent de complexes divers, d’autres demandent de la part du Gouvernement des garanties souvent mal précisées ; certaines sont loquaces et promettent monts et merveilles, d’autres sont discrètes et paraissent avoir derrière elles une volonté d’aller jusqu’au bout.

Réaction de part et d’autre

Certaines de ces offres viennent de se matérialiser dans des Accords de coopération et d’assistance, et certaines voient leurs débuts de réalisation.

Un ministère vient d’être institué pour centraliser les activités concernant la coopération et l’assistance technique et financière.

Et ce, pour faciliter l’intégration de chaque « entreprise» dans l’ensemble du développement national et pour veiller à ce qu’elle vise authentiquement à l’objectif du programme gouvernemental à savoir: promouvoir le relèvement démocratique des niveaux de vie des masses populaires.

Orientation et interventions dans chaque secteur

Possibilités et offres en matière de coopération et d’assistance technique et financière sont si diverses, qu’une action sérieuse doit l’orienter : le Bien Commun, la démocratie et le souci d’efficacité appellent ici la responsabilité du Gouvernement qui doit guider les courants divers vers l’objectif national.

Sans raideur et avec cette souplesse qui caractérise ceux qui savent ce qu’ils veulent, nous devrons donner à l’Assistance et à la Coopération cette cohérence dynamique, seule garante de la réussite démocratique. Sans cette cohérence « certains agents du développement deviennent vite des vendus, certains leaders des marionnettes recolonisables ».

Le stade actuel de l’évolution, présente, de cette orientation du mouvement d’assistance et de coopération étrangère, le tableau suivant :

— Pour la formation des cadres, la promotion des valeurs culturelles  l’information, le Gouvernement a demandé l’intervention de la Belgique, de la France et du Canada.

— Pour la Santé Publique, l’intervention de la Belgique et de la Suisse a été sollicitée.

— En ce qui concerne l’équipement de la Garde Nationale, les Etats-Unis et Israël son pressentis.

— Pour la mise au point de la législation en attendant l’arrivée de nos universitaires, le pays s’est adressé à la France.

— Le développement de notre économie rurale a sollicité l’aide financière et technique de la C.E.E.; tandis que pour l’organisation d’un tourisme rentable des organismes suisses ont été pressentis.

— Pour l’infrastructure et les Travaux Publics, la République a sollicité l’intervention du Gouvernement allemand, de même que des pourparlers sont en cours pour que des organismes allemands donnent à notre pays les possibilités d’exploiter certaines ressources d’importance comme le gaz méthane et le potentiel hydraulique.

— Pour l’équipement des Services Publics, l’intervention de la Belgique, de l’O.N.U. et ses divers organismes ainsi que celle des services de coopération technique de l’U.A.M. sont sollicitées.

— En ce qui concerne la promotion d’institutions de recherches scientifiques, laquelle est en relation avec nos efforts pour l’établissement d’une Université Nationale, l’aide de la France et du Canada a été sollicitée.

— Le secteur du Développement Communautaire, le mouvement coopératif autochtone privé font appel pour les crédits dont ils ont besoin, aux Pouvoirs financiers installés dans le pays ou aux fondations non gouvernementales étrangères.

— Pour les techniciens d’exécution dont certains services gouvernementaux, administratifs et techniques, ont encore besoin, la République s’est adressée à la Belgique ; tandis que pour les experts, (pour long ou court terme) c’est actuellement la France et l’O.N.U. qui ont pu répondre à notre appel.

Ce n’est là que des domaines pour lesquels un pronostic valable est possible aujourd’hui : il se fait que c’est dans ces domaines qu’une action est de la plus extrême urgence; mais il est certain que de la bonne conduite de ces domaines dépend tout le développement qui doit suivre.

On peut sans doute constater que certains domaines n’ont pas beaucoup d’amateurs, parce que peu « rentables » peut être ou sans résultats spectaculaires, telle que la construction de logements pour fonctionnaires et travailleurs des différentes administrations, telle que la construction de bâtiments administratifs. Mais là aussi le pays sera développé grâce d’abord à son effort propre : le Gouvernement sera amené à décider une construction échelonnée sur plusieurs années, par exemple en construisant « un ministère par an ». La coopération internationale reconnaîtra une solution aussi réaliste et ne manquera pas à son devoir d’intervention.

Le Problème de Régime.

Il reste bien entendu que tout cela ne concerne que les réalisations: le problème des structures et du régime socio-économique reste posé, ici comme dans tous les pays du Tiers-Monde; c’est la tâche qui incombe aux leaders de la population et au Gouvernement tâche qui, avec le concours de tous les habitants de la République est habilité — et il en est capable — à promouvoir un régime où les Rwandais se trouveront libres, jouissant démocratiquement de possibilités de toujours rehausser leurs niveaux de vie.

Certaines pressions ne manqueront pas de tenter l’influencer pour l’installation d’un régime économique étranger à l’amélioration de la vie des masses rurales; le Gouvernement et l’Assemblée Nationale sont là pour garantir au Peuple rwandais son épanouissement dans la Liberté.

L’orientation souple de la coopération et de l’assistance étrangères, le souci de réaliser, avec tous les apports, un ensemble cohérent et équilibré, constituent déjà l’un des principaux fondements de cette Liberté efficace devenue précieuse et chère au Peuple rwandais.

  1. ACTION INTERNATIONALE

Discipline et attaché aux idéaux de liberté et de démocratie jusque dans son régime socio-économique, le Rwanda se trouve géographiquement placé au cœur de l’Afrique centrale, au cœur de cette Afrique de la grande culture bantoue, bien au faite des deux grandes tendances bantoues, la bantou original et le bantou métissé au contact de plusieurs apports.

Et il se fait que ces deux tendances correspondent aux deux couvertures que l’Histoire coloniale a déposées sur l’Afrique noire ; et le Rwanda ferme la fissure entre l’Afrique dite francophone et l’Afrique anglophone. N’est-ce pas là une indication certaine du rôle de trait d’union dynamique que la République rwandaise est appelée à jouer en Afrique et pour le Tiers-Monde !

Deux cultures jeunes et fortes, deux zones monétaires aussi, auxquelles la République de la Liberté aura à servir de trait d’union pour la promotion des valeurs matérielles, sociales et spirituelles de la Démocratie.

Promoteurs de la Démocratie et de la Liberté au centre du Tiers-Monde, la République rwandaise, le Mouvement Démocratique Rwandais, s’ils continuent à être soutenus par des hommes honnêtes, compétents et dévoués à la collectivité, accompliront leur rôle historique que nous venons de situer et d’interpréter.

Il faudra à cet effet garder la ligne de notre politique internationale, à savoir : le souci positif de l’objectivité et la défense de ce qui sert la paix des individus et des groupes, ainsi que la promotion de la coopération libre entre les Nations ; il faudra toujours avoir soin que la coopération internationale comme le mouvement socialiste lui-même ne cesse jamais d’être au service des familles et des personnes.

Sur le plan international, mon Gouvernement n’a jamais dissimulé ses positions vis-à-vis des problèmes qui sont à l’avant-plan de la politique africaine contemporaine.

— Interpelées dans les carrefours internationaux, des méthodes qui à l’intérieur d’un Etat briment une liberté efficace des citoyens, ne seront jamais couvertes, jamais encouragées par le Rwanda; nous connaissons trop le prix de la liberté.

Un régime national ou international qui gêne la liberté de citoyens constructifs et respectueux du Bien Commun, le cynisme, la dictature, les apartheids politiques, sociaux, économiques, les occupations militaires sous n’importe quel prétexte, les féodalités traditionnelles, l’embrigadement, doivent être combattus impitoyablement. Nous sommes convaincus que même sur le plan international l’autorité, la loi, la force publique, l’organisation politique et économique, ne sont que des moyens de promouvoir l’épanouissement des personnes humaines.

Aussi à cette occasion du premier mai, invitons-nous tous les Etats libres du Tiers-Monde à prendre des mesures énergiques pour garantir et assurer à l’intérieur des pays la Liberté, disciplinée et efficace bien entendu, à tous les citoyens.

— Une politique économique qui ne sera pas démocratique ne peut faire, de la part d’un Etat libre et jeune, l’objet d’intervention favorables. Elle est souvent inspirée par des intérêts qui font tout pour rester étrangers au fait africain, à la communauté africaine, aux masses populaires et rurales.

Nous encourageons sans arrière pensée les efforts de nos aînés de plusieurs pays africains qui cherchent la voie à une économie humaine : on a pu l’appeler le socialisme africain, nous disons une économie démocratique, c’est-à-dire celle où tous les habitants du pays disposent de facilités pour leur participation active au développement de tous les secteurs intéressants, pour leur participation au produit du travail économique; ce qui se traduit dans l’élévation générale dans toutes les couches de la population du standing de vie.

En toutes occasions, nous nous permettrons d’insister auprès des Responsables des Etats du Tiers-Monde pour qu’ils ne se laissent pas fasciner ni distraire par l’illusion des politiques de redistribution d’une partie des richesses des privilégiés; cette redistribution étant, si l’on s’en contente, vouée à l’inefficacité parce que seule elle reste insuffisante à répondre aux besoins immenses des masses pauvres et démunies; mais que dans tout le travail du Développement National, ils prennent pour objectif et critère le relèvement démocratique du niveau de vie des masses populaires par la libre participation de celles-ci à la vie économique à tous ses stades et dans tous les secteurs.

— Toute action tendant à retarder l’indépendance des territoires encore colonisés n’aura jamais l’appui du Rwanda; à l’heure où on en est de l’Histoire, la colonisation, loin de réduire le sousdéveloppement, ne fait que le renforcer et stratifier une situation qui mène l’être colonisé à une sous-existence.

Notre position n’empêche que tout doit être mis en œuvre pour que la passation de pouvoirs soit convenablement et loyalement préparée et qu’elle s’effectue dans l’ordre et l’entente de part et d’autre.

— Les manœuvres impérialistes doivent être également condamnées : certains colonisateurs essayent de forcer des territoires à rester dans des unions politiques et administratives artificielles, arrangées par la colonisation pour une exploitation plus facile ; nous estimons que les Gouvernements, les Assemblées Législatives, au besoin le recours au Référendum, sont mieux placés pour juger de l’opportunité, de la viabilité et de l’efficacité de telles unions.

A l’inverse de ce mouvement, des Puissances coupent un pays en morceaux pour en posséder un dont elles tentent de faire une colonie, un pied à-terre pour des buts souvent étrangers au progrès pacifique de l’Humanité. C’est là aussi une politique qu’un Etat libre ne peut soutenir.

— Quant à l’Unité africaine, nous estimons que si dans l’état actuel du Monde et tant que tous les territoires africains ne sont pas encore indépendants, l’idée comporte un certain nombre d’utopies, elle n’en a pas moins des éléments positifs réalisables et en voie de réalisation. Je mentionnerai les divers groupes qui se sont formés entre Pays africains, les diverses Unions qui se réalisent, je mentionnerai surtout les organisations interafricaines de coopération économique, technique ou culturelle.

Le Gouvernement rwandais encouragera, et même par sa participation, la formation de ces Unions, l’organisation de ces coopérations utiles; sans elles l’unité africaine risque de rester trop longtemps une aspiration vague.

A ce sujet, il semble mieux de prolonger la perspective et parler de l’Unité du Tiers-Monde. En tous les cas, des relations plus concrètes et plus serrées entre tous les pays prolétaires, la collaboration de tout le Tiers-Monde, est actuellement une nécessité, non pas pour former un front d’opposition qui serait d’ailleurs stérile contre les pays riches, mais pour trouver rapidement une solution adéquate à une série de problèmes communs au Tiers-Monde, dont celui de la Paix, ou celui de l’assistance technique étrangère.

— La coopération et l’assistance technique aux pays sous développés sont un problème international parmi les plus importants. Mon Gouvernement considère qu’il serait non seulement simpliste mais totalement erroné de la considérer avec des yeux paternalistes et sous l’angle de l’aumône et de la mendicité. L’assistance et la coopération technique étrangères sont un élément de l’équilibre du Monde; il est de la même nature que celui qui s’est posé au cours des derniers siècles en Occident entre le patron capitaliste et les pauvres ouvriers, entre les seigneurs et les roturiers taillables et corvéables à merci. Il s’agit de la répartition plus équilibrée des biens matériels et spirituels.

Qu’on lui enlève donc les petits calculs de recolonisation élégante, ou de formation de marchés faciles et unilatéraux. Qu’on en élimine les manœuvres diaboliques qui, pour sauver ces buts inavoués, minent la société africaine, vont même jusqu’à essayer de faire tomber des Gouvernements pour en voir établir de plus faibles à la solde facile des recolonisateurs.

Les aînés doivent donner aux sous- développés les moyens de se développer. C’est un devoir et non un quelconque arrangement de marché. L’accomplissement d’un devoir n’empêche en rien qu’il soit réglé par des accords bilatéraux ou multilatéraux suivant le statut des interlocuteurs en présence.

Aussi estimons-nous que pour rendre plus libre et plus efficace l’opération de l’assistance, un statut standard devrait être examiné par les pays du Tiers-Monde d’une part, les pays riches d’autre part et être établie une convention cadre. Nous estimons que cette façon réduirait les tentations du néo-colonialisme économique et technique et les méfiances qui percent ici ou là dans le Tiers-Monde; on a souvent vu comment des groupes intéressés créent ou attisent ces méfiances avec une hypocrisie tout aussi colonialiste.

— Le problème de la Paix intéresse au plus haut point les pays du Tiers-Monde qui ont autre chose à faire qu’à se menacer de bombes et d’engins de calibres divers.

Ce qui est certain, c’est que dans le cas d’une guerre, les pays du Tiers-Monde, les pays sous-développés, serviraient d’instruments irresponsables.

Ce qui est certain, c’est que dans le cas d’une guerre, les pays sous-développés enregistreraient non pas une stagnation, mais une régression catastrophique.

Ce qui est certain, c’est que les préoccupations de la guerre privent le Tiers-Monde des moyens qui devraient servir à son développement.

Nous condamnons donc la guerre, toute mesure de guerre, la résistance à un contrôle international de tout ce qui constitue un danger de guerre, tout refus de recourir à la négociation pour l’arrangement des différends internationaux

Et comme la Fête du Travail peut être considérée comme le grand souvenir de la Réalisation du Cosmos, souvenir que pour rester pratiques nous rehaussons de festivités en l’honneur des perfectionnements que l’Homme, jour par jour, siècle par siècle, ajoute au Cosmos, vous me permettrez, chers concitoyens, de dire quelques mots sur l’Economie : c’est par elle principalement que les Hommes utilisent pratiquement l’Œuvre du Monde, actuellement mis à leur disposition.

Mon commentaire envisagera l’Economie plutôt sous l’un de ses angles qui engage le plus l’avenir du Tiers- Monde; il s’agira de l’Economie dans son rapport avec la Démocratie, avec le développement démocratique, avec la libération et la Liberté de l’Homme.

  1. UNE ECONOMIE DEMOCRATIQUE

Dans les pays sous-développés, qui croient aux principes démocratiques, la politique doit viser à un relèvement du standing de vie des masses populaires. Elle doit, sous peine de creuser sa propre tombe à plus ou moins longue échéance, promouvoir l’élévation de tous les niveaux de vie; nutrition, santé, logement habillement, éducation, épargne, et ce pour toutes les couches et tous les secteurs de la population.

La démocratie consiste en effet à reconnaître les masses populaires, à leur donner la possibilité d’exercer leurs droits, à rendre réelle leur force dans tous les secteurs de la vie nationale, politique, culturelle, sociale, économique, familiale, et même religieuse. La démocratie est pour la liberté, et sans la libération à ces divers points de vue, la démocratie serait un vain bruit.

Et quand il s’agit de l’Economie, c’est tout simplement qu’il faut que la force du peuple soit réalité dans la possession des biens matériels, des produits des ressources naturelles du pays, des biens importés de l’étranger. Il ne faut pas que ces biens soient concentrés dans les mains de quelques-uns cependant que la multitude, libérée des liens féodaux et des handicaps coloniaux, croupit dans la faim et dans le taudis, mange mal, est mal habillée, est éloignée des possibilités de loisirs plus élevés qui libèrent l’esprit.

Il ne faut pas que les masses populaires ne soient que des contribuables ou qu’un piédestal sur lequel s’élèvent les privilégiés de la Bourse, de la Loi économique, des réglementations fiscales.

En d’autres termes, tout pays qui croit à la démocratie doit viser à ce que les individus disposent d’un pouvoir d’achat, des possibilités de production qui ne soient pas handicapés par un ordre socioéconomique chargé de privilèges. Cette force d’achat, cette force de pouvoir produire, ces libertés qui sont aussi fondamentales que celles d’élire qui vous voulez, constituent une exigence d’une démocratie bien entendue et effective.

Ne serait pas démocratique un régime où trusts, cartels et autres forces capitalistes réduiraient les masses populaires à des servitudes insupportables qui nécessiteraient les réactions syndicales violentes que l’Histoire des dernières décades a connu en plusieurs pays : ce serait ce néo-colonialisme, ce colonialisme économique que toute l’Afrique pressent actuellement après son indépendance politique.

Dans ce domaine de l’économie, les pays sous développés se trouvent devant les trois voies que nous voulons évoquer.

— Celle du capitalisme que les usagers eux-mêmes commencent à abandonner.

C’est celle du bénéfice pur qui fournit au propriétaire de capitaux  l’occasion de s’enrichir aux dépens des « masses ouvrières ». Signalons qu’en pays africain cette masse n’aura même pas eu le temps de voir clairement son passage brusque de la paysannerie à la vie de l’usine.

— Celle du socialisme devant laquelle les initiateurs eux-mêmes se prennent aujourd’hui à hésiter : elle collectivise tout, souvent par le moyen d’une dictature brutale, laquelle fait fi de la liberté, ne produit pas les résultats qu’on avait escomptés.

C’est la voie alléchante pour l’africain, mais elle comporte peutêtre autant de paresse, de servitude, de déboires que la voie capitaliste.

Notons que l’embrigadement collectiviste n’a pas de chance spécialement dans un pays où, comme au Rwanda, la masse rurale vient de se libérer des servitudes féodo-colonialistes, en participant activement à la décolonisation. Un socialisme tel qu’il est pratiqué en certains pays européens ne mordra que sur des masses africaines qui n’ont participé à aucune des libérations : la féodale et l’impérialiste. Et cela met le leader rwandais dans la nécessité ou d’abdiquer devant les masses et les capitalistes néo-colonialistes, ou de poursuivre une révolution constructive sur le plan socio-économique en instaurant un régime économique et social répondant aux aspirations nouvelles.

— Celle que l’on a appelée « la troisième voie ». Dans celle-ci, l’individu, le groupe social et l’Etat, ont chacun cette liberté réelle de gagner, de posséder, de produire, d’importer, de s’équiper convenablement pour un mieux être et tout l’ordre socio-économique est structuré de manière à garantir à tous, sous l’égide de l’Etat, cette liberté et d’en promouvoir l’exercice : il est construit sur l’homme, pour l’homme.

Le processus et le résultat d’un tel ordre est, non de concentrer les richesses et les possibilités de production entre les mains de quelques privilégiés, mais de les répartir justement entre tous les citoyens de façon à élever progressivement, démocratiquement et harmonieusement, les niveaux de vie des masses populaires.

Convictions du Gouvernement Rwandais.

L’ordre socio-économique serait tout simplement criminel s’il favorisait des privilégiés étrangers; s’il orientait le développement de manière que les étrangers placent leurs capitaux dans le pays pour en tirer tout le bénéfice en ne donnant aux ouvriers « indigènes » que des salaires illusoires qui ne leur permettent pas d’avoir d’achat réel, de constituer une épargne. C’est celle-ci en effet qui principalement mettra la Communauté Nationale en mesure d’avoir ses propres capitaux, les investissements étrangers voulant toujours rester matière étrangère.

Sans doute les « indigènes » seront contents durant les premiers mois d’avoir du travail, ne fut-ce que pour trouver à quoi s’occuper surtout dans un pays surpeuplé comme le Rwanda ; ne futce que pour trouver les 500 francs de contribution personnelle minimum à la Caisse Publique.

Mais après un temps, pas si long que certains peuvent le croire, le prolétariat rural devenu «ouvrier » ne manquera de poser des problèmes sociaux d’envergure nationale. Problèmes qu’on peut réduire au départ en structurant un ordre socio-économique démocratique.

Aussi le Président et le Gouvernement Rwandais, soit dans l’élaboration du Plan Général du Développement National, soit dans les activités quotidiennes, soumettent l’économie et le régime économique au service de l’individu et de sa famille; c’est de cette manière qu’il produira une économie vraiment «humaine ».

Notre économie nationale doit être développée d’une façon harmonisée et démocratique : harmonisée entre les élévations des divers niveaux de vie; une interaction entre les différents secteurs de production devra faire la loi ; démocratique en ce sens que ce ne soit pas une race, une classe qui profite seule du bénéfice de l’ensemble de l’action économique. Le Peuple, les masses rurales, doivent, elles aussi, participer à la production, comme aux facilités de disposer d’un pouvoir d’achat qui s’accroisse toujours.

— Le but dans l’économie rwandaise devant être cette élévation générale, démocratique, du niveau de vie de toutes les couches de la population de la République, chacun doit y participer, doit pouvoir y participer. Ceci signifie que le Rwanda a opté en fait pour « la troisième voie », qui, sans avoir aujourd’hui fait sa doctrine complète, il faut le reconnaître, se trouve désormais tracée entre le capitalisme exploiteur et le socialisme étouffant.

Nous sommes convaincus que la seule rentabilité monétaire du capital investi qui laisse de côté l’homme au profit de l’argent et de la puissance politique, ne peut satisfaire l’habitant du Rwanda qui non seulement aspire à un meilleur logement, à un meilleur vêtement, à une alimentation plus saine, à une santé plus solide, à un emploi stable, mais veut aussi de toutes ses forces une éducation plus élevée et une liberté plus étendue. Et cette volonté d’équilibre dans le développement du Pays est si forte et si générale qu’elle défiera toutes les solutions paresseuses, hypocrites ou dictatoriales. C’est dans cet esprit que l’octroi de monopoles est soumis à une procédure sévère qui permettra qu’éventuellement on ait pu au préalable en peser l’utilité réelle pour le bien du Peuple.

— Et quand le Gouvernement Rwandais donne la priorité à l’agriculture et à la petite exploitation familiale comme base de notre régime foncier, parce qu’il condamne la monoculture, vue la vulnérabilité de nos relations avec le marché extérieur ; à la petite industrie, sans oublier l’exploitation coordonnée des ressources naturelles importantes de notre pays, et sans négliger les spécialités régionales qui doivent être intégrées dans le circuit économique national; à l’animation des masses sans ignorer la nécessité des investissements étrangers qui, sans recevoir aucun des privilèges coloniaux, jouiront d’une législation démocratique claire et juste; à l’importation des biens d’équipement au préjudice des importations de luxe auxquelles des restrictions sévères seront imposées; quand nous répartissons les différents secteurs du Développement National à (‘Assistance et la Coopération étrangères ; quand nous réduisons au strict minimum viable et réellement utile les Services communs de coopération entre le Rwanda et le Burundi ; quand nous cherchons de tous les côtés les voies de sortie et d’entrée au développement du commerce; quand nous adhérons aux groupes politiques, économiques et culturels dont l’esprit et le dynamisme semblent assurés, le Président et le Gouvernement Rwandais veulent uniquement contribuer à éclaircir cette Troisième Voie, qui seule sera le complément normal et indispensable à la Révolution qu’a réalisée le Peuple Rwandais.

— Un nouvel ordre, un nouveau régime socio-économique se construit sur l’ensemble du Monde; rien ne dit que ses précisions tant scientifiques que pratiques ne seront pas trouvées, du moins perfectionnées, par les gens du Tiers-Monde, auquel nous appartenons.

La fraîcheur d’ouverture d’esprit et de cœur devant les inventions techniques modernes, le sens farouche — parfois inconscient je veux bien — de la primauté de l’esprit, la volonté de s’affirmer en se développant, les transformations profondes qui travaillent l’Humanité en cette seconde moitié du 20ème siècle, la vie quotidienne des gens du Tiers-Monde, sont autant d’éléments qui favorisent notre contribution, importante, peut-être même décisive, à la formation du Nouveau Régime socio-économique universel. Le Gouvernement Rwandais entraînera toutes les forces vives et démocratiques à cette contribution.

C’est pour cela que profitant de l’occasion de ce premier mai, je convie tous les agents du Développement National à réfléchir et à se donner avec tout le zèle nécessaire à cette opération universelle qu’est le renouvellement du Régime socio-économique.

Je m’adresse à tous mais ici spécialement aux agents de la Fonction Publique. Je veux qu’on entende ici la Fonction Publique dans son sens réel, large, national : il s’agit non seulement des agents relevant immédiatement du Pouvoir Exécutif, mais aussi des magistrats de tous les échelons, des techniciens de tous les secteurs, et des fonctionnaires prestant leurs services dans les administrations parastatales; je voudrais aussi que les agents des administrations privées prennent en considération ce que j’adresse à ceux de la Fonction Publique.

  1. 6. LA FONCTION PUBLIQUE

L’importance de la Fonction Publique dans le Développement d’un pays n’est mise en doute nulle part. Vos occupations professionnelles vous le prouvent assez: leur nature, les résultats qu’elles peuvent produire si elles sont bien exécutées, manifestent l’influence capitale de la Fonction Publique sur un développement économique et démocratique.

Ces occupations sont ou de caractère technique ou de caractère simplement administratif ou quelquefois relèvent de l’un et de l’autre, surtout dans notre pays non encore arrivé à une haute technicité.

L’une et l’autre de ces catégories ont leur importance pour le progrès de la République et de vos familles. Il faut cependant que toutes les tâches qui vous sont confiées soient exécutées :

— correctement par des compétents;

— convenablement par des hommes disciplinés;

— honnêtement par des hommes intègres.

Ces impératifs vous ont été rappelés par vas supérieurs immédiats. Le Président de la République, conscient de l’importance de la Fonction Publique pour le bien commun des citoyens, vient, en ce premier mai, vous rappeler ce que vous ont dit les Autorités qui répondent immédiatement de vos services.

Je n’envisage pas ici des cas de déficience particulière —ils seront toujours traités suivant les Statuts et les Règlements et toujours en regard du Bien Commun, du respect de la Personne et de sa Famille. — je m’adresse à tous sans exception.

Votre propre intérêt, celui du pays, le progrès de la Démocratie exigent de tous les membres de la Fonction Publique qu’ils soient des hommes compétents : vous devez vous acquitter de vos charges.

Elles représentent des tâches précises qui doivent être effectuées d’une certaine manière. Et cette manière doit être connue.

Vos connaissances acquises à l’école ou par l’expérience sont réelles ; vous devez cependant réaliser qu’elles sont modestes et sont encore loin d’être tout à fait à la hauteur des responsabilités d’un fonctionnaire consciencieux.

Vous devez donc, Messieurs, profiter de tous les moyens pour augmenter vos connaissances professionnelles.

Cela n’est sans doute pas un devoir pour lequel les statuts du personnel prévoient des sanctions; ne pas le faire ne vous expose pas à voir de ce fait votre traitement réduit ou à voir vous menacé directement par l’article 50 du statut, mais « l’abrutissement » influe automatiquement sur l’avenir de votre carrière.

Le public que vous servez, l’Autorité sous laquelle vous servez, sont toujours heureux de vous voir plus compétents; « sous contrat » ou « sous statut », disposant de peu ou de plusieurs années d’études, ayant les diplômes requis ou étant assimilés, ne faites pas « l’arrivé », « (‘installé »; considérez la rapidité de l’évolution du Pays et la complexité toujours croissante des problèmes; les exigences de jour en jour diversifiées, et ne négligez rien pour élargir, améliorer et adapter vos compétences.

Le Président Kayibanda le répétera même si certains estiment que c’est de la surenchère : étudiez toujours. Vous n’ignorez pas le reproche fait aux fonctionnaires africains, même ceux munis de diplômes acquis dans les établissements de grand renom, qui est celui de ne pas continuer à étudier, ne pas suivre l’évolution de la technique dont ils avaient appris les principes et les règles en usage au moment où ils étaient sur les bancs ; vétérinaires, agronomes, assistants médicaux, juristes, économistes, développeurs; continuez à étudier pour entretenir vos connaissances, éclairer votre expérience pour les mieux adapter à la situation réelle de votre technique et aussi pour mieux participer à l’évolution aussi générale que profonde qui travaille le Monde.

— Soyez disciplinés : c’est-à-dire que vous devez régler votre activité, vos démarches sur l’orientation et les ordres donnés par votre supérieur hiérarchique.

A supposer, par impossible, que chaque habitant de la République soit diplômé en ceci ou cela, mais que chacun fasse à sa guise! La réalisation du Bien Commun sera lettre morte et c’est l’anarchie totale soutenue bien entendu par le diplôme ; celui-ci, quand il en est un, sait qu’il n’est pas la seule valeur de civilisation.

De plus, la cohérence nécessaire au développement démocratique du Pays est impossible sans la discipline dans toute la population et spécialement dans le groupe important de la Fonction Publique.

Je rappelle que confondre la discipline avec une obéissance passive et paresseuse serait tout simplement de la mauvaise volonté; l’explication de votre point de vue, la suggestion motivée, l’initiative, sont les trois moteurs d’une Discipline bien entendue, c’est par eux qu’elle devient collaboration,

—Soyez intègres: c’est-à-dire que vous vous contenterez de faire votre devoir, de toucher votre traitement statutaire et de goûter la joie de servir la Liberté.

Cela entraînera de la part de vos supérieurs une confiance, sans arrière-pensée! Ils diront de vous : « il ne peut être acheté par les colonialistes ou embrigadé par quelque traînard féodal».

Dans la situation où sont les pays sous-développés, et donc le Rwanda, où l’on craint de se trouver en présence de ce que l’on a appelle la bourgeoisie colonisée », être intègre est une qualité importante, une nécessité de la part de la Fonction Publique et le Supérieur hiérarchique qui ne serait pas sévère à cet égard risquerait de se voir suspect lui-même!

Et ceci s’adresse particulièrement aux membres de la Fonction Publique qui sont en relation directe et quotidienne avec les masses populaires comme les préfets, les bourgmestres, les comptables de préfectures ou de communes, les magistrats, juges et agents de l’ordre judicaire de toutes les catégories.

Donnez l’exemple de la compétence, de l’intégrité, de la discipline. Vous saurez rester ainsi à l’avant-garde de l’achèvement d’une Révolution, à laquelle vous avez présidé, que vous avez orientée et guidée jusqu’à l’état actuel dont le Monde démocratique ne peut que louer les résultats positifs et profondément humains.

 

 

 

 

 

 

  1. APPEL AUX LEADERS

 

Leaders politiques et économistes des pays sous-développés, conjuguez tous vos efforts, concertez-vous, usez d’un dynamisme prudent et honnête, pour que le développement social et économique de votre pays soit démocratique, et que, de même que les masses de votre peuple ont eu leurs droits à l’égard de la politique et de l’administration publique du Pays, elles puissent également se voir pourvues de toutes les possibilités de posséder, de produire, de jouir démocratiquement des richesses dont dispose la Nation, qu’elles ne restent pas esclaves dans le domaine économique.

 

Leaders politiques et économistes des pays sous-développés, vous devez également, en ce qui concerne la structuration de l’ordre socio-économique du Pays, ne pas hésiter à passer « hors des sentiers battus ». Ceci exige de vous, prudence, travaux de réflexion, études. Il faut avouer que ce travail n’est pas facile ni alléchant, surtout quand il y a dans le pays des pressions de la part d’intérêts étrangers ou de la part d’une certaine bourgeoisie colonisée consciemment ou inconsciemment, vendue ou naïve.

 

Leaders politiques et économistes et sociaux, évitez le conformisme : la paresse qui ne cherche pas ; la timidité ou plus la lâcheté qui laisse faire, laisse passer; l’esprit bourgeois qui calcule son propre profit ; l’esprit servile qui copie, transplante ce qu’il a vu à l’étranger ou étudié dans les livres sous prétexte que «cela a marché ailleurs »; l’attitude béatement superficielle qui non seulement abandonne les principes les plus ordinaires, mais trahit les intérêts les plus évidents du Peuple devant la promesse vague d’un gros investissement, en se disant: « après tout, ces types sont trop forts; il n’y a rien à faire ».

 

Leaders politiques et économistes, défendez-vous contre un esprit négativiste, qui ne fait que se plaindre, invectiver contre le capitalisme, le socialisme ou qui se perd en une démagogie stérile, « contre le communisme », sans rien réaliser de positif dans le sens de la voie nouvelle, sans au moins réduire les méfaits de certains capitalistes, inévitables dans la période des débuts.

 

Je vous invite, Chers Concitoyens, Chers Membres de la Fonction Publique, à être positifs et réalistes : marchez en cherchant, cherchez en progressant dans la Troisième Voie qui sera la voie du Tiers-Monde.

 

A Gitarama, le 1er mai 1963.

Gr. KAYIBANDA.