{:fr}Après le départ du mwami (roi) Kigeri, des élections consacrèrent le triomphe du parti Parmehutu, et Grégoire Kayibanda fut choisi comme premier ministre, puis comme président de la République. Au départ, il occupait aussi les fonctions de ministre de l’enseignement, qui par la suite passèrent à J.B. Rwasibo.

Aux nouveaux maîtres du Rwanda, échappés de justesse à la vindicte de l’ancien régime, la plupart eux-mêmes enseignants, l’instauration d’une société enfin libre, équitable, retrouvant son identité profonde, semblait à portée de main. Dans l’enthousiasme de la victoire, la réflexion politique est demeurée élémentaire. À condition d’éviter, toute discrimination racialo-ethnique, pensait-on, l’école ne pouvait que favoriser la réalisation d’idéaux démocratiques, et il fallait donc l’étendre au maximum telle qu’elle était. Les élèves et étudiants issus de la masse retourneraient à la masse pour la faire lever et progresser, comme avaient su le faire les intellectuels hutu aux moments cruciaux. Cela paraissait évident et devant aller de soi. Le colonisateur belge lui-même n’a pas dissimulé sa sympathie pour le nouveau régime et en a facilité l’instauration de manière décisive : il était donc perçu, non comme un obstacle à éliminer, mais plutôt comme une aide précieuse à ménager. En ces temps de l’enthousiasme, on se laissait bercer par l’idée qu’automatiquement tout irait mieux une fois qu’on aurait éliminé les séquelles du colonialisme externe et interne, à présent que le pays s’était, pensait-on, retrouvé lui-même.

On pourrait suivre au, travers des discours du président Kayibanda la manière dont vibraient en tous ces hommes issus de l’indépendance les idéaux venus de la Révolution de 1789 et du mouvement de la décolonisation. En 1964 il déclarait :

« Nous restons fidèles à l’idéal de démocratie et de liberté qui a présidé au mouvement hutu pendant la Révolution de 1959.

Dans la poursuite de notre objectif nous restons socialistes ; c’est-à-dire que voulant favoriser davantage le sens coopératif africain, respectueux d’une liberté disciplinée, poursuivant l’établissement d’une démocratie authentique à tous les plans de la vie nationale, nous voulons l’élévation du standing de vie matérielle, spirituelle et sociale des populations ouvrières et paysannes de notre pays. »

Et dans ses carnets personnels il a noté :

« Délivrer les masses populaires du règne de la peur, pour les mettre au grand soleil de la liberté, fut en vérité mon seul souci, l’inspiration de mes peines et de mes fatigues, le moteur de mes relations et de mes démarches, le but de mes travaux de jour et de nuit, la justification de mes efforts d’étude et de lecture, la ligne conductrice des grandes réunions comme des audiences individuelles ».

C’est avec d’autant plus de douleur qu’il a constaté que l’idéal de service et d’égalité s’est trouvé très vite abâtardi par un passage trop rapide de la mystique à la politique :

« L’intrigue, la corruption, les petits arrangements démagogues sont une vulgaire lâcheté. L’embourgeoisement est une ironie, une insulte à un peuple encore sous-développé et qui fait appel à ses enfants les plus favorisés, les voulant comme leaders, comme cadres techniques ou administratifs, comme animateurs dynamiques d’un progrès démocratique. L’embourgeoisement, les égoïsmes, l’intrigue, cela divisera les Rwandais, cela divisera les militants de la démocratie ; mais l’émancipation de notre peuple, cela nous unira »(1968).

« Nous demandons aux membres (de la fonction publique) non seulement d’accroître leurs compétences, mais aussi de se garder de toute manoeuvre qui approche la corruption et de toute tentation à l’embourgeoisement et à l’égoïsme. Nous considérons ces attitudes comme une trahison infâme et comme une complicité au mouvement néo-colonialiste » (1964).

Ce pays minuscule devenu souverain dut faire face à d’immenses problèmes. Il se détacha du Congo voisin et rompit avec le pays « frère » du Burundi où la classe tutsi a conservé son ancien pouvoir. Cet isolement le plaça sur le plan administratif et économique dans une situation désastreuse. La plupart des installations de l’administration centrale belge, fixées à Bujumbura, profitèrent au Burundi. Le Rwanda se trouvait coupé de l’immense espace monétaire, économique et humain dans lequel il était jusque-là intégré, qui offrait un marché à ses produits et pouvait absorber ses surplus de population au Kivu et au Katanga. Le prix payé par l’indépendance fut donc particulièrement élevé.

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