Pour les parents rwandais, le mariage de leurs enfants était le couronnement de leur oeuvre éducative. Il permettait à deux familles de faire alliance, laissait espérer la pérennité du patrilignage du mari, marquait le passage à l’âge mûr des ‘ conjoints et conférait à la femme le seul statut valorisant possible : celui d’épouse et de mère. Il était important pour les familles qu’il soit réussi, qu’on évitât les conflits conjugaux, les abandons, les violences, les aléas du qu’en-dira-t-on, et que la légitimité de la progéniture soit assurée. L’éducation des • filles se déroulait entièrement sous le signe du mariage à venir et sans cesse on faisait allusion à leur future condition d’épouse. La virginité, en laquelle on voyait un gage d’honorabilité, de stabilité et de fécondité, était – aux yeux de beaucoup – plus importante que la beauté. « L’amour est difficile à chercher, mais n’est pas difficile à détruire » (proverbe rundi)

Une fois pubères, les filles sortaient le moins possible afin d’être mieux protégées et préservées. Leur formation était essentiellement orientée vers la tenue du ménage et la maternité, dans une ambiance de calme, de silence, de maîtrise de soi et de conformisme social. Dans la haute société, où la femme if était pas soumise à des tâches productives, tout tournait autour de la beauté corporelle et des exigences d’une sociabilité raffinée. Par derrière il y avait l’espoir, dans la famille de la future épouse, d’obtenir un jour la « dot » la plus élevée possible. Les jeunes filles étaient désignées par des termes signifiant « celle de la maison », « celle qui entretient le feu », « qui éclaire avec une torche », « qui ne monte pas sur le toit », « qui plaît », « qui cherche à plaire », etc. Pour attirer l’attention, elles se montraient particulièrement travailleuses, serviables, polies, modestes, soucieuses d’observer les convenances ; elles soignaient leur mise par des parures, des coiffures originales et d’abondantes applications de beurre sur la peau.

Dans l’ancienne société, l’idée de célibat volontaire n’avait tout simplement pas de sens. Y étaient condamnés les malades, les aliénés, les impuissants, les personnes mal formées et les filles qui ont refusé plusieurs partis et que plus personne n’osait demander en mariage. Ils résidaient en général auprès de leurs consanguins.

Il appartenait aux parents de trouver un conjoint à leurs enfants et de fournir les ressources nécessaires à la subsistance du nouveau foyer dans l’espoir de voir un jour de nombreux petits-enfants renforcer le groupe familial, réjouir leur vieillesse et perpétuer leur souvenir. La fondation d’une nouvelle unité donnait au couple une amorce d’autonomie et était pour lui le signe de l’accession à la maturité sociale et au statut d’adulte. L’époux recevait à cette occasion de son père une partie de son héritage. Pour chacun des conjoints le champ social s’élargissait du fait que des liens se nouaient avec la famille alliée, Comme il s’agissait d’une entreprise importante, il convenait que par l’intermédiaire du devin les ancêtres soient consultés.

Le mariage représentant à la fois l’union de deux individus et l’alliance de deux lignées, c’est aux deux niveaux qu’il devait en principe y avoir consentement et que toutes sortes d’influences et de pressions pouvaient s’exercer. Une fois mariée, l’épouse continuait d’appartenir en droit à son lignage d’origine, mais était appelée à donner des enfants au lignage du mari.

Que nous considérions ici la procédure du mariage avec attention se justifie du fait qu’elle représente non seulement une sorte de condensé d’un grand nombre de règles sociales, mais aussi un complexe rituel particulièrement dense, riche et significatif, bel exemple de cette pédagogie par les rites qui, selon les conceptions africaines, constitue une partie essentielle de l’éducation qu’on ne peut dissocier du reste.

Il convient de distinguer deux phases dans le déroulement des opérations : une première, plus sociale, consacrée aux tractations entre familles, pouvait prendre des mois, voire des années ; et une seconde, plus rituelle et personnelle, était consacrée à l’union du couple lui-même. Celle-ci pouvait s’envisager à partir de la puberté. Les paysans se mariaient en général précocement, dès que les parents constataient que leur enfant était capable de pourvoir de manière autonome aux travaux des champs et de gérer ses biens, donc de subvenir correctement aux besoins d’une famille. Chez les nobles, bien d’autres apprentissages étaient exigés, ce qui retardait la décision : aptitude au commandement aisance dans des relations sociales complexes, services dans les cours des grands, initiation aux savoirs et habiletés propres aux hommes de haut rang. Orphelins et orphelines délaissés par les leurs se mettaient sous la tutelle d’un « patron » afin qu’il s’occupe bénévolement de leur mariage.

Durant la phase préparatoire, quatre opérations distinctes étaient plus ou moins appelées à se chevaucher : le choix d’une fille dont on irait demander la main, le consentement du garçon à ce choix, les enquêtes préliminaires et le début des négociations entre familles.

Le choix de la fiancée

Le choix de la fiancée s’effectuait en tenant compte des règles qui régissent les prohibitions sexuelles – et donc de mariage – inhérentes au système de parenté, dont la transgression aurait relevé de l’inceste, et plus largement des diverses exigences d’endogamie et d’exogamie (de lignage, de « classe », etc.). L’endogamie de « caste » ne souffrait que de rares exceptions : pour un Tutsi, se marier du fait de sa pauvreté à une femme hutu (moins chère et plus travailleuse entraînait une perte de prestige, alors qu’à l’inverse, pour un Hutu, se marier à une Tutsi était un indice non équivoque d’ascension sociale. L’appartenance au même clan n’était pas un obstacle de principe, mais les époux ne pouvaient relever d’un même lignage et moins encore d’un même inzu(« maison »), car ils auraient été de « même sang ». En traitant des relations au sein de la parenté, nous avons déjà relevé dans le concret un certain nombre de prohibitions et d’empêchements coutumiers, mais aussi de relations privilégiées. Ainsi un jeune homme pouvait-il épouser les filles de la soeur de sa mère, mais non les filles des frères ou soeurs de son père. Dans le Nord hutu on connaissait le mariage préférentiel avec la cousine croisée matrilatérale.

Parmi les critères du choix, il y avait en premier lieu la bonne réputation du lignage et l’absence de vendetta entre les deux groupes. Pour les Hutu il importait avant tout que la future épouse soit féconde, polie, discrète et ardente au travail. En milieu tutsi intervenaient en plus des considérations de stratégie, de relations entre patrons respectifs, de richesse, d’aptitudes à la gestion et au commandement, mais aussi de beauté et de valeur érotique. La performance, sexuelle potentielle de la fille était évaluée en observant si elle avait un tendon d’Achille proéminent, signe que son vagin pouvait entrer facilement en état de tumescence.

Le choix de la fiancée intéressait forcément le groupe de parenté tout entier qui se renforçait grâce aux alliances ainsi nouées, et il devait donc être consulté au cours d’un conseil de famille. La pudeur interdisait au jeune homme – d’aborder la jeune femme directement et même de parler d’elle à ses parents. Comme dans la plupart des démarches sociales, il était obligé de passer par des intermédiaires : amis, frères, soeurs, surtout oncles et tantes paternels. Tout un système de renseignements et d’espionnage mutuel était mis en place en ces occasions de part et d’autre, puisque les habitudes culturelles interdisaient que les choses se fassent ouvertement, au grand jour. L’oracle était consulté pour savoir quelle jeune fille était la mieux à même de porter bonheur au foyer du garçon ; une fois celle-ci désignée, un refus de la part de sa famille était, pensait-on, susceptible de briser l’avenir du jeune homme : il pouvait donc en résulter une inimitié durable. Pour n’avoir pas à refuser, mieux valait parfois s’engager dans les liens du mariage et provoquer une séparation par la suite.

Comme il fallait éviter d’engager tout un groupe dans une alliance désastreuse, on estimait que les jeunes n’avaient pas l’expérience nécessaire pour décider par eux-mêmes et qu’il appartenait donc aux parents de procéder au choix du conjoint. Dans le concret, les pratiques étaient loin d’être uniformes: le garçon pouvait être mis devant le fait accompli, mais aussi consulté, voire laissé libre avec droit de véto des parents. Alors que lui avait tendance à voir la personne de sa future épouse, eux prenaient plutôt en considération la famille de celle-ci. Si les parents ne se souciaient pas du mariage de leur fils, celui-ci demandait à des amis de la famille d’intervenir auprès d’eux pour hâter les choses. Cela était inconcevable de la part de la fille, puisque pour elle tout dépendait de demandes venues du dehors (qui, bien entendu, pouvaient être habilement suscitées).

 Les pourparlers

Les tractations étaient mises en route par le père ou un délégué de celui-ci, d’abord sous forme voilée et indirecte, puis par de discrètes suggestions, enfin de manière de plus en plus explicite si l’affaire prenait une tournure positive. Il s’agissait de tâter le terrain et de parvenir à un arrangement provisoire, mais en laissant à l’autre partie le temps de consulter sa lignée. A cet effet, plusieurs rencontres pouvaient être nécessaires, avec des cadeaux en augmentation à char que visite. Une cruche de bière de première qualité facilitait les choses et son absence aurait été interprétée comme un manque évident de savoir-vivre. Les diverses boissons fermentées entraient dans la composition des biens fournis en tant que facilitateurs de la parole, non comme partie intégrante de la « dot » (sauf parfois dans le Nord). Chez des Tutsi une houe entourée d’une branche de momordique, voire une vache pouvaient déjà être offertes à ce stade. Les aspects financiers de l’alliance étaient abordés petit à petit.

« Lorsqu’une demande de mariage est introduite, le demandeur commencera son dis, cours en invoquant les bonnes relations d’amitié existant entre les deux familles, il demandera s’il a bien plu dans la région, tournera en rond de longs moments pour agrémenter la causerie, lancera des blagues pour s’assurer la sympathie de l’autre famille, et l’objet de la visite clôturera l’intervention. La réponse sera aussi longue. On invoquera des actions inamicales menées à leur encontre par des membres de la famille demanderesse, on lui dira que la fille est déjà fiancée, on lui présentera de petites filles parmi lesquelles il devra choisir celle qu’il souhaite demander en mariage. Pour finir, la demande sera acceptée mais en imposant des conditions… Cette pratique rentre bien dans le mode de pensée traditionnel dans lequel la réflexion commence par l’accessoire, pour aboutir à l’essentiel ».

Il fallait à tout prix éviter d’essuyer ou d’infliger un refus direct qui aurait fait perdre la face aux demandeurs. Au besoin on retardait indéfiniment la rencontre sous divers prétextes. Il pouvait arriver qu’un candidat plus âgé, éventuellement ‘déjà veuf ou divorcé, donc plus ou moins autonome par rapport à sa famille, Mène les négociations lui-même.

 Les consentements

En général, le jeune consentait tacitement au choix parental ; mais il avait le droit de le rejeter, ce qui n’arrivait que rarement. En ce cas,

« les parents commencent par le persuader d’accepter ce choix, lui en montrent le bien-fondé et les avantages que lui et la famille en retireront. S’il leur résiste, ils se fâcheront quelque peu, le forceront moralement en le menaçant de ne pas lui en faire un autre, de ne pas lui donner le nécessaire, de le laisser se débrouiller tel un orphelin, etc… Si le garçon persiste dans son refus, les parents, un peu blessés dans leur autorité et leur amour-propre, le laisseront libre et renonceront à leur choix, d’autant plus facilement que ce choix n’était pas encore porté à la connaissance de la famille de la supposée fiancée. Il n’y a donc pas à craindre d’hostilité entre familles. Ils seront cependant moins empressés de trouver une autre épouse« .

Si le fait de rompre des pourparlers déjà engagés risquait de susciter l’hostilité d’une famille influente il arrivait que le jeune homme acceptât dans l’idée de divorcer ultérieurement. C’est surtout dans les hautes couches que les garçons étaient mariés contre leur gré pour des raisons politiques ou économiques.

Bien entendu, la question du consentement se posait aussi tôt ou tard pour la fille. Celle-ci était moins libre que le garçon pour donner ou refuser son accord, la coutume l’obligeant à être plus passive. Au cas où elle n’était pas d’accord, elle s’en ouvrait, non à son père, mais à des proches susceptibles d’influer sur lui ; elle se montrait triste, maussade, peu aimable, de mauvaise volonté. Elle subissait alors d’énormes pressions morales et risquait d’être diffamée pour orgueil, mais la coutume désapprouvait qu’on utilisât la force. Elle aussi pouvait ainsi se marier avec une arrière-pensée de divorce rapide. Celui-ci pouvait même être convenu d’avance avec les parents. Quant à son consentement, il s’exprimait familièrement, sans formule officielle ou publique, par un simple geste, un sourire, un silence joyeux, une attitude positive.

« Elle devient plus sérieuse, travailleuse, plus appliquée et plus diligente aux affaires ménagères de la famille ; elle est plus obéissante à sa mère et rayonne d’une joie telle que bien peu de contrariétés pourraient arriver à l’altérer… Cette attitude ira croissant au fur et à mesure que le temps du mariage s’approchera. En pratique, cette conscience accrue des affaires familiales et ménagères et cette diligence à tout, est pour elle une préparation prochaine au mariage. » Mais elle ne doit surtout pas trop extérioriser sa joie.

« Selon les us et coutumes féminins,… une fille, qui à l’annonce d’un mariage, d’un mari ou de quelque question ayant trait aux relations conjugales, se réjouirait ou s’exalterait publiquement, trahirait une passion sexuelle dévorante, symptôme d’une infidélité présente ou future à la foi donnée à son mari, et se ferait juger comme une femme de mauvaise conduite ou de mauvaise qualité.

 Les enquêtes préliminaires

Durant toute leur enfance, et surtout à l’adolescence, les filles étaient observées de près par un très large entourage pour voir si elles étaient travailleuses, propres, serviables, de bon caractère, polies, réservées. Une fois un projet de mariage échafaudé, voire une demande engagée discrètement de la part de la famille du garçon, s’ouvrait une période parfois de plus d’un an non seulement de tractations, mais aussi d’investigations discrètes. En effet, quand les deux familles ne se connaissaient pas, on menait de part et d’autre une enquête minutieuse mais secrète sur les deux jeunes gens, leurs parents, leurs lignages, leurs biens, leurs moeurs, leur réputation, leur santé, etc. Quels étaient les antécédents familiaux ? Y avait-il des deux côtés des cas de maladies congénitales, de lèpre, de tuberculose, de pian, de folie, d’infirmités, mais aussi de sorcellerie, ou la présence de jumeaux et d’albinos ? Tout le réseau de parenté et d’amitié pouvait être mis à contribution. Mais souvent on en chargeait plus particulièrement ut personne de confiance qui avait facilement accès aux informations souhaitées.

La famille au sens large intervenait pour faire de la publicité prénuptiale pour ses filles, pour ramener un père à la raison si on pensait que par son choix il se fourvoyait, au besoin en se désolidarisant et on rompant avec lui, mais aussi pour raisonner une fille réticente et finalement pour participer aux frais du mariage.

 La demande officielle

Si l’issue de l’enquête était positive et une fois le père du garçon sûr de son fait il envoyait un homme de confiance pour apporter des cadeaux et introduire une demande officielle. Cette visite revêtait un caractère solennel et formaliste en présence de témoins : des discours de part et d’autre insistaient sur l’amitié des deux familles et les perspectives d’alliance qu’elle ouvrait. Des amis du jeune homme pouvaient aussi se rendre dans la famille de la jeune fille avec des cadeaux, dont les inévitables cruches de bière. Une fois la demande officiellement agréée et les fiançailles rendues publiques, les femmes éclataient en cris de joie. Les parents de chaque fiancé étaient tenus à des rapports intimes à caractère rituel. S’ils étaient séparés, ils se rencontraient pour la circonstance, car un couple qui a vécu ensemble pouvait à tout moment avoir de nouveaux rapports.

Des deux côtés on s’affairait alors à préparer matériellement l’union par la constitution d’un trousseau et l’aménagement d’une maison, et on fixait la date des célébrations. Un mariage pouvait évidemment être retardé si la situation économique des parents ne leur permettait pas de faire face à. des dépenses qui pouvaient être fort élevées, surtout dans la bonne société où les festivités étaient Susceptibles de se prolonger pendant près de cinq jours. Des visites ultérieures étaient parfois rendues avec vaches ou petit bétail, et ces bêtes étaient gardées comme autant de témoins et de garanties des droits à venir du jeune homme sur l’épouse et ses enfants.

 La « dot »

Contrairement au sens que le mot revêtait habituellement en Europe, on a pris l’habitude en Afrique d’appele ‘dot’ les biens que la famille du jeune homme ou le jeune homme lui-même s’il était autonome) apportaient à la famille de la jeune fille en vue de la conclusion d’un mariage. Et on appelle communément ‘trousseau » les divers biens qu’apporte la jeune fille au futur ménage : vêtements, meubles, vaisselle, objets ménagers, etc. A quoi viennent s’ajouter diverses prestations exigées par le savoir-vivre, dons et contre-dons. Je garderai ici le ternie de « dot » par commodité en le munissant de guillemets, pour bien marquer que son usage communément admis est discutable.

Maquet l’a définie comme le symbole socialement reconnu du transfert légitime de fécondité d’un groupe de descendance à un autre. On lui a attribué de multiples fonctions : compensation pour la perte en nombre et en services que subit la famille donneuse ; consolation sentimentale de la perte (une vache venant maintenir vivant le souvenir de la fille) ; hommage aux parents de la femme pour avoir engendré une personne de valeur ; transfert du pouvoir paternel sur le mari ; acquisition des droits sexuels ; preuve de l’amour de l’époux ; compensation pour le trousseau amené par la femme ; acquisition du droit sur les enfants et à leur légitimation, etc. D. Nothomb parle de gages d’alliance entre les familles des futurs conjoints marquant « la prise de possession juridique de la fécondité de l’épouse au profit du clan de son époux ».

Effectivement, l’enfant reste la propriété du lignage de la femme tant que celui-ci n’a pas cédé au lignage du mari la fécondité de l’épouse par l’acceptation de la « dot ». Une fois celle-ci remise, la fille n’était plus disponible et sa famille s’engageait à la donner. Se désister et rembourser aurait été à ce stade un affront grave, source d’inimitié. Quant au mariage proprement dit, il pouvait attendre. « Signe tangible d’alliance durable », le paiement du « titre matrimonial » (de Lame) apparaît comme une pratique éminemment complexe où les différents aspects évoqués ci-dessus s’enchevêtrent inextricablement, les uns l’emportant sur les autres en fonction des lieux et des époques.

Dans le concret des négociations, le marchandage autour du « prix à payer » pouvait largement l’emporter sur les autres aspects. Comme du côté des donneurs de femme l’idée de départ était qu’une fille à marier représente une occasion de gagner une ou plusieurs têtes de bétail, il arrivait qu’on guette le prétendant le plus offrant et qu’on fasse monter les enchères en laissant jouer h concurrence.

« la dot n’est pas, pour les parents, le prix d’une fille, mais l’avantage, le profit d’être père et mère de famille d’une fille… C’est plutôt la résistance des parents à laisser partir leur fille, à s’en détacher…, qu’il s’agit de faire tomber en leur payant un prix des plus obligeants ; d’autant plus qu’un autre prétendant pourrait offrir un prix plus intéressant. L’aspect financier n’est pas caché ».

C’est donc bien autour du montant de la « dot » qu’il y avait en général débat et tractations. Une première proposition était faite par les demandeurs à femme, que les donneurs s’empressaient de refuser comme insuffisante. D’autres suivaient, et ce petit jeu pouvait durer longtemps. La vache en était le contenu idéal : on pouvait aller jusqu’à vingt têtes de bétail chez les gens riches mais huit était le nombre le plus faste au plan symbolique. On évaluait parallèle la valeur de la fille et celle de la bête. A défaut de vaches, la « dot » était payée en chèvres, en moutons ou simplement en houes ou en prestations à travail, surtout dans le Nord. On a dit que par orgueil des Tutsi auraient préféré donner leur fille gratuitement plutôt qu’en échange d’une « dot » en chèvres.

La « dot » a toujours été perçue comme un facteur de stabilité, puisque par derrière il y a la crainte de devoir la rembourser en cas de divorce.

« C’est une institution de protection de l’épouse et de garantie de la stabilité à mariage… Plus la dot est élevée, plus le mariage est stable, non pas uniquement parce que la famille, pour ne pas devoir rendre la dot, oblige la femme à respecter ses devoirs et à rester à son foyer, mais… surtout que, assurée de l’amour de son conjoint par sacrifice qu’il a consenti pour l’obtenir, la femme se sent appréciée, honorée, et lui rend cet amour ».

Une des spécificités rwandaises résidait dans l’importance que prenaient les contre-dons offerts par la famille de la femme sur le modèle des cadeau réciproques entre amis, d’abord sous forme de trousseau, ensuite sous cella appelée indondoranyo versé après le mariage et qui était de même nature souvent de même valeur que la « dot » proprement dite. Et il fallait y ajouter leu dons offerts en diverses occasions, surtout à la naissance des enfants.

Les rencontres des deux familles autour de ces fiançailles donnaient lia à une débauche de discours où tout le monde se livrait à un jeu subtil et amusant de faire-semblant, pourtant minutieusement réglé par les convenances sociales : les représentants de la parenté du garçon faisaient comme s’ils étaient des :étrangers en quête d’hospitalité, le père de famille faisait comme s’il ignorait la raison de leur venue, comme s’il ne voyait pas la vache amenée, puis comme s’il n’était pas satisfait de l’animal offert ; aux sollicitations dont il était l’objet, il répondait qu’il n’avait pas de filles à marier, qu’elles étaient encore des enfants ; toute l’assistance faisait comme si la bonne bière était mauvaise et la mauvaise bonne. Le ton était à la fiction, et le jeu consistait à n’accepter aucun propos pour sérieux tout en simulant un très grand sérieux. Entré les accords de fiançailles et le mariage il fallait compter un an chez es Hutu et parfois jusqu’à cinq ans chez les Tutsi.

Les rites nuptiaux

Les rites que nous allons évoquer variaient selon les régions, les milieux et la fortune des familles. On les accomplissait rarement dans leur intégralité. Tous n’avaient pas la même importance, et le mariage était valide même si on s’en t au minimum requis. Deux mois avant les noces il arrivait qu’on enfermât la future épouse dans une hutte pour lui faire boire d’énormes quantités de lait et la faire grossir us la surveillance des tantes paternelles. Les rites du mariage avaient lieu en principe chez le père du jeune homme, mais il arrivait que ce soit chez celui de la fiancée quand il était plus fortuné. Les parents de la fille ne pouvaient y assister. Les cérémonies, longues et compliquées, ne comportaient pas de moment précis pour le consentement : celui-ci était tacitement sous-entendu.

 Les préliminaires

Quelques semaines avant le mariage, les filles du voisinage se rassemblaient pour des « veillées nuptiales » où l’on bavardait, chantait et dansait. Puis, entre amies intimes, on se retrouvait dans le même lit pour des jeux sexuels en se caressant jusqu’à l’orgasme. Les pères respectifs consultaient les devins et priaient les esprits. Des médications protectrices étaient administrées. La veille du mariage, grands-mères, tantes et amies de la famille se réunissaient pour « les derniers conseils ».

« Prends soin de ton mari, respecte-le. Prends soin des amis de ton mari et des hôtes qui passent la nuit chez toi : qu’ils ne partent pas mécontents de toi. Ne te donne pas au tout venant sinon tu serais surnommée la « porteuse de la grande vulve qui accueille tout le monde » ; ne te donne qu’à tes maris et à tes beaux-frères, néanmoins sans en abuser jusqu’à en faire des amants ; ne te refuse jamais à eux, car ce sont eux qui prendront la relève dans le cas où tu deviendrais veuve… Ils sont équivalents à ton mari, ils sont tous tes taureaux et on ne barre pas le chemin à un taureau… Sache bien faire le lit de ton mari, sois propre : il ne faut pas que lors des rapports sexuels le mari se plaigne des mauvaises odeurs dégagées par tes parties intimes à cause d’un manque de toilette appropriée. » Etc.

Du côté du fiancé on procédait à la cueillette par une jeune fille vierge, non orpheline et indemne de maladie (parfois par un garçon « intact », c’est-à-dire dont les parents étaient encore en vie), d’une tige sarmenteuse de l’herbe umwishywa, la momordique fétide, une cucurbitacée commune, aux fleuri blanches et aux fruits rougeâtres couverts de pilosités, censée chasser les mauvais esprits, et on la tressait en forme de couronne. Autre élément essentiel du rite à venir : du lait d’une vache n’ayant jamais perdu de veau était recueilli dar un pot en bois neuf et sans défaut (« vierge »), et mélangé avec le suc amer de l’herbe mbazi (monechmasubsessile) aux petites fleurs blanches, symboles de pureté, cueillie elle aussi par un garçon « intact ». Selon les régions, la bière pouvait remplacer le lait et d’autres plantes la momordique.

Dans celle de Ruhengeri, la veille du mariage, un jeune frère du fiancé se rendait chez les parents de la jeune fille afin qu’un frère de celle-ci prenne la main de ce représentant de la famille du futur époux pour lui faire toucher les seins de sa soeur. Les filles qui étaient autour de la fiancée faisaient tout pour l’en empêcher, quitte à le brutaliser. Si malgré tout il y parvenait, c’était le signe que la famille du futur époux était à même, par sa bravoure, d’assurer la protection de la mariée.

 Le jour du mariage

Habituellement, la jeune femme était conduite à petits pas de son domicile vers la maison du mari de manière à y arriver à la tombée de la nuit, le visage caché sous une belle natte souple pour le soustraire aux regards. Elle se gardait de regarder en arrière vers sa maison d’origine, de traverser à pied ln ruisseau, de marcher dans les sentiers battus de peur d’être envoûtée au contact d’un objet posé par un sorcier, mais aussi de suivre le chemin emprunté par la vache dotale pour arriver chez son père. Les femmes et les filles qui l’encadraient étroitement sous la conduite de sa tante paternelle chantaient pour apaiser le chagrin qu’elle était censée éprouver. Une jeune mariée souriante aurait été présage de malheur. Ce convoi nuptial ouvrait solennellement les festivités qui duraient un jour chez les pauvres et jusqu’à cinq jours chez les riches. Dans les grandes familles, la fiancée arrivait en litière ; elle était accueillie par des danseurs et des chanteurs, et son beau-père lui offrait une « vache d’entrée » ; une fois dans la maison, elle s’asseyait sur les genoux de celui-ci et recevait encore en cadeau la « vache des cuisses ». La fiancée se retirait alors dans une hutte, construite pour le jeune couple dans l’enclos du père du garçon. En attendant le cortège, un grand feu a été allumé qu’on n’éteignait qu’au moment du rite central au Cours duquel la mariée ne devait pas être vue.

Après les premières libations et échanges de propos joyeux, le chargé d’affaires des parents de la femme demandait la parole ; au milieu d’un grand ‘eue il « délivrait le message des parents » : « vous nous avez demandé une main, nous vous la donnons », et il formulait des souhaits de bonheur. Le porte-parole du mari répondait dans le même sens, ou le mari lui-même quand par exemple il s’agissait d’un vieux polygame. On peut considérer ces propos comme un échange de consentements par intermédiaire.

Les rites centraux avaient lieu aux premiers chants du coq. Le fiancé, guidé par un membre du cortège de la jeune fille, en principe l’aîné de ses futurs beaux-frères, pénétrait dans la maison où se tenait cachée la jeune femme. Dans le noir il évitait de se faire remarquer. Son compagnon demandait à parler à la tante maternelle de la fiancée, qui–s-e-tenait près du lit. Celle-ci les invitait à passer dans le réduit où la jeune femme attendait avec ses compagnes. Tenant en Mains la momordique et gardant en bouche une gorgée de lait mélangé au -suc mbazi, le fiancé arrivait, avec la complicité dissimulée de la tante, à toucher la tête de sa future épouse : il y posait la couronne, lui crachait le lait à la figure et déclarait à voix haute : « je t’épouse, moi un tel » ; puis il déclamait ses hauts faits et se retirait avec son compagnon. En droit coutumier, le mariage était accompli. Chez les Twa, la fiancée crachait aussi sur le fiancé.

Sitôt après ce rite, les jeunes filles et les femmes présentes entonnaient une sorte de récital recto tono, sans paroles, d’une à deux minutes ; celui-ci était suivi de quelques cris plaintifs imitant quelqu’un qui pleure et symbolisant la jeune mariée qui déplorait le fait de devoir perdre sa virginité et quitter les siens (13ushayija, p. 119). Diverses pratiques intervenaient encore en attendant la consommation de l’union.

‘Désormais les conjoints sont considérés comme unis. L’époux enlève la couronne de la tête de son épouse et la plonge dans un pot de bière qu’il envoie… à ses parents. Ceux-ci boivent, puis effectuent un rapprochement intime. Ce rite terminé, ils renvoient la Couronne nuptiale à la mère de la jeune femme, appelée à la conserver comme une relique. Ce n’est qu’alors que le mariage pourra être consommé« .

Au lever du jour, l’époux venait avec son beau-frère auprès de la jeune femme : agenouillée sur une natte, elle tenait une baratte en ses mains, en présentait le col aux arrivants qui y versaient du lait, secouait l’ustensile par un mouvement de va-et-vient et faisait couler un peu du contenu dans un pot à lait. « Désormais, c’est en commun qu’ils participeront tous deux à la vie pastorale ».

Un groupe de consanguins du mari se mettait à exulter bruyamment, alors qu’un groupe de consanguins de l’épouse exprimait son chagrin par des lamentation. Elle-même fondait en larmes pour pleurer la perte de sa qualité de jeune fille. Le beau-père pouvait alors lui offrir un nouveau cadeau : la « vache de la consolation ».

Malgré des divergences, les différentes descriptions que l’on trouve dans la littérature se rejoignent pour l’essentiel. Toutes les phases du rite étaient loin d’être toujours respectées dans la mesure où elles n’étaient pas perçues comme essentielles. Par l’umwishywa la fille devenait juridiquement et coutumièrement femme, en attendant qu’elle le devînt effectivement par la consommation du mariage. Le rite de la couronne ne pouvait être accompli qu’une seule fois dans la vie ; on n’y procédait donc pas en cas de remariage. On l’omettait aussi dans le cas où la femme a été frappée par la foudre, car c’est comme si elle avait été violée par le roi ou le « dieu d’en haut » que la foudre symbolise. L’aspersion avec le lait devait se faire par surprise et la mariée pleurer immédiatement après. On retrouvait le chant-récital (impundu)spécifiquement féminin, symbole de bonheur et de joie, lors de grandes immolations sacrificielles, quand des rois se déplaçaient ou quand des guerriers revenaient du combat. La danse légère qui l’accompagnait aurait imité la danse nuptiale de la grue couronnée. –

Je ne ferai que mentionner le fait que les mariages royaux étaient réduits à la plus simple expression au plan rituel et passaient presque inaperçus. Le roi n’avait pas besoin de grandes festivités pour rehausser son prestige et devait en tout se différencier de ses sujets pour marquer sa sacralité. 11 ne payait des « dots » qu’en épousant des princesses étrangères.

 La consommation du mariage

« La jeune fille doit se battre lors de son mariage pour prouver à son mari qu’elle est bien sage ; et le jeune homme doit « faire ce qu’il faut » avec sauvagerie et sans tendresse, pour montrer qu’il est vraiment un homme et que sa femme n’est qu’un objet qui doit le satisfaire. Ceci a pour conséquence l’émotion-choc et la frigidité : la femme a peur du mari et n’a pas envie de l’approcher, sans pour autant pouvoir se soustraire à lui ».

Idéalement le premier rapport conjugal devait avoir lieu le jour même des noces pour éviter toute discontinuité entre le rite et la consommation effective. Mais à l’occasion du mariage de leurs enfants, les parents des deux côtés étaient tenus dans la plupart des régions d’accomplir un acte conjugal avant la défloration de la mariée pour marquer leur agrément de l’union et en assurer la fécondité. Si les parents de la femme, absents de la cérémonie, habitaient loin de là, il arrivait que le nouveau couple doive attendre plusieurs jours avant de pouvoir s’unir. L’idéal était que les rapports des parents des deux côtés eussent lieu simultanément.

Avant la consommation du mariage, un jeune frère ou cousin parallèle de l’épouse allait ‘passer au milieu’, c’est-à-dire se coucher dans le lit nuptial entre les deux conjoints comme pour dresser « un dernier rempart de protection entre sa soeur et cet étranger inconnu ». Le mari devait prier cet enfant de s’éloigner. Cela signifiait qu’il appartenait à la lignée de l’épouse de donner l’autorisation des premières relations sexuelles.

Pour désigner la défloration on utilisait des termes signifiant « casser », « déchirer », « entrer dans la brûlure ». On donnait des conseils au mari pour qu’il éveille la sensualité de son épouse et agisse avec doigté « tel un homme affamé qui doit néanmoins être prudent s’il mange un poisson avec des arêtes ». Ces premiers rapports, symboliquement les plus chargés, étaient perçus « en termes de mélange de fluides corporels » qu’on visait à produire d’abondance.

Selon la coutume, la jeune femme devait se débattre pour affirmer sa pudeur, sa répugnance et sa virginité. Comme elle était enduite de beurre, le mari avait difficilement prise sur son corps et devait parfois avoir recours à du sable ou à de la cendre. Les jeux de mains pouvaient durer fort longtemps et se répéter deux ou trois nuits de suite. « La pénétration devait être faite par force ». Et  la défloration était conçue « comme un viol. A l’extérieur, les camarades du mari, l’oreille collée aux parois de la hutte, suivaient l’évolution des ébats et prodiguaient leurs commentaires aux personnes présentes. C’était une des rares occasions où un certain voyeurisme était approuvé socialement. Une informatrice de D. de Lame raconte :

« Mon coeur bat fort… Je me cache au fond de l’alcôve : il me tire. Je saisis le pilier : il me tire. Je saisis une traverse : il me tire. Derrière la maison les gens rient. Ces gens étaient venus pour écouter notre combat Nous nous battons. Au dehors, les jeunes hommes l’encouragent : « Tu es une chienne vraiment ? Oh mon vieux, est-ce que la fille te résiste ? » Entre leurs cris j’entends le ricanement des hyènes. Mon coeur bat Le jeune marié leur répond : « Quand je la saisis, elle glisse ! » Car ma belle-soeur m’avait enduite de beurre parfumé. Alors je m’accroche à une traverse et je m’y blottis comme un chiot. A quoi bon me battre ? Quand les hommes ont un but, ils ne se lassent pas. Avec force, il me saisit par les ceintures et les arrache toutes… Il me tenait la tête et la cognait contre la paroi… Vous les hommes, comme vous êtes méchants Alors j’abandonne et l’homme entre chez lui… Le matin tu étais aussi sale qu’une bête ». Les vieilles femmes se plaisaient à raconter leurs exploits de lutteuses en ce moment crucial.

L’intromission une fois réussie, l’homme poussait un cri de victoire par lequel il se comparait à la foudre. Mais il arrivait qu’il ne parvienne pas à maîtriser son épouse et doive faire appel à ses amis, ce qui était évidemment une honte pour lui. Dans les conseils reçus la veille du mariage par la fille il pouvait être question de l’indulgence dont le cas échéant il fallait faire preuve à l’égard d’un époux peu entraîné ou néophyte. Mais le plus souvent celui-ci avait déjà l’expérience des rapports. Il pouvait aussi « acheter » la faible résistance de sa femme par un cadeau. L’acte devait être accompli avant l’heure où « les hyènes se mettent à hurler ». Le mariage pouvait même être suspendu quand on entendait trop tôt le cri de l’animal parce qu’il était de mauvais présage. L’épouse avait-elle ses règles durant les cérémonies, le couple n’avait que des relations symboliques en attendant la fin des saignements.

Selon les régions, l’épouse s’éclipsait aux dernières heures de la nuit alors que l’homme était encore endormi, de sorte que les deux époux ne se voyaient réellement que quelques jours après le mariage.

« A la fin de ma nuit de noces, ma honte était plus grande encore que mes craintes et très tôt le matin, j’ai quitté le lit pour être bien certaine que personne ne m’aperçoive tandis que je venais de coucher avec un homme ».

Le lendemain matin avaient lieu « des cérémonies de réjouissance publique : danses et, en outre, chez les Tutsi, défilé solennel des troupeaux de vaches auquel participe tout le voisinage. Les parents des mariés offrent ensuite à leurs hôtes du lait et, comme cadeaux d’hospitalité, deux génisses et un taureau. Le taureau est le salaire des porteurs de palanquins ; une des génisses est destinée à la tante de la mariée, en qualité de « lait de félicitation » ; l’autre au frère de la mariée. Puis les parents de la mariée étalent les objets qui composent le trousseau et les dénombrent devant le père du marié. Enfin, ils s’en retournent avec leur escorte, accompagnés un bout de chemin par leurs hôtes » .

Chez les Hutu du Nord-Ouest, lorsqu’au matin la suite de la fiancée était sur le point de partir, le nouveau mari leur lançait hostilement une pierre et un morceau de bois. Puis il se précipitait dans la hutte pour forcer l’épouse à la copulation, et elle devait à nouveau s’en défendre énergiquement.

L’époux destinait un cadeau à ses beaux-parents pour les remercier en cas où leur fille était trouvée vierge. Par contre, si la jeune femme ne l’était pas, le mari leur envoyait, en signe de protestation, une cruche vide où était plongé un chalumeau pour dire que la femme n’avait plus le contenu auquel il s’attendait. On se méfiait d’elle désormais, car « là où une chèvre a ravagé les récoltes, elle y revient ». Pour signifier que ses petites lèvres n’étaient pas correctement allongées, on envoyait une cruche de bière dans laquelle on a déposé un tesson de calebasse.

Au cas où l’époux s’est révélé impuissant, la femme envoyait à ses parents le message suivant : ‘je me suis trouvé ici avec une autre fille« . Mais la prudence commandait d’attendre avant de décider une séparation : entre temps, un problème passager dû à l’inexpérience, à la peur ou à la fatigue pouvait trouver sa solution…

 Réclusion et rites post-nuptiaux

Pendant un temps très variable selon la richesse de la famille et ses besoins en main -d’oeuvre, le couple vivait isolé dans une hutte de la résidence du père du mari.

« Selon une antique coutume et les usages des gens bien élevés (et les Rwandais se veulent tous être bien élevés), une jeune mariée suit un statut spécial durant un temps plus ou moins déterminé : c’est le statut des hôtes. Elle est comme une hôtesse, entourée des soins et de la sympathie de la famille, encore bien plus que n’importe quel autre hôte ».

Durant cette période de réclusion post-nuptiale la jeune femme ne pouvait toucher aux ustensiles du ménage : marmites, spatules à pétrir la pâte, pierres du foyer. Ses repas étaient préparés par la belle-mère, mais elle rechignait à manger. Une amie intime lui tenait compagnie. Elle ne sortait que le soir, se cachant le visage sous une natte, faisant la gênée, pleurant, veillant à ne pas rencontrer ses beaux-parents. La belle-mère pouvait tout au plus lui parler au travers d’une cloison. A ne pas respecter ces manières elle aurait passé pour une « fille éhontée » et mis en danger son pouvoir de procréer. Puis le beau-père, la belle-mère et les gens de la maison se succédaient auprès d’elle pour la tranquilliser et lui demander de se montrer. On remarquera qu’il y a une réclusion plus ou moins marquée chaque fois que la femme perd du sang (défloration, accouchement, menstruation), ce qui la rend impure. Le mari était également dispensé de toute besogne importante.

A la fin de cette période de retrait avaient encore lieu des cérémonies complexes que tout le monde n’accomplissait pas avec la même rigueur. Le but en était de marquer le changement de statut du couple, de favoriser sa fécondité, de signifier l’acceptation progressive de la femme au sein de la famille du mari et de relâcher les liens avec sa famille d’origine, le tout en une période où elle était encore fortement exposée à des influences occultes. Elle revêtait pour la première fois une jupe faite d’une peau de vache et garnie d’une ceinture ornée d’un pompon surnommé « porte-bonheur du mari ».

« La ceinture de la femme est sans contredit d’une grande puissance magique. Que le mari parte à la guerre, ou qu’il se rende au tribunal en plaideur ou pour y être jugé, la femme s’en dévêt et la dépose sur la chaise, symbole de son époux, pour influencer les sorts en sa faveur. Lorsque, pour une raison quelconque, une mère de famille étend sa ceinture au travers du chemin, son fils ne pourra franchir une telle barrière sans commettre le plus horrible des sacrilèges. Le mari lui aussi se gardera de passer par-dessus, s’il ne veut pas être soupçonné d’en vouloir aux jours de son épouse ».

A sa ceinture à elle, la mère attachait une courgette évidée qui contenait de nombreux éléments décrits par A. Lestade : un fruit dur de la grosseur d’une noisette que la fille avalait puis récupérait dans ses déjections : le contact intime avec le corps de la jeune femme faisait que l’objet participait désormais de sa personne, ce qui avait pour effet que la mère continuait à la sentir proche d’elle ; une particule du sang desséché de la première menstruation de la fille, pour qu’elle lui reste attachée ; des graines de plantes (éleusine, sorgho, pois, etc.) symbolisant l’amour, la fécondité et la proximité de la maison ; des plumes d’oiseaux qui pépient sans cesse, pour que la jeune femme reste indifférente aux remontrances du mari, ou qui crient fort, pour qu’elle ait de l’autorité ; des épines pour la défendre contre ses rivales ; un oeil de lion pour qu’elle inspire la crainte aux autres femmes ; une graine de momordique, qu’on surnomme « celle qui parle pour ne rien dire », afin que son mari ne prête pas d’attention aux rapportages ; des herbes surnommées « celle qui lie la langue », « celle qui abaisse » et « celle qui résiste même à l’éléphant », pour qu’elle arrive à mater ses coépouses ; des morceaux de placenta de chienne et de brebis, l’un pour que le mari ne soit pas influencé par les charmes d’une autre femme, l’autre pour qu’il aime sa femme comme une brebis son agneau ; etc. La mère ne détachait cette « gourde-reliquaire » de sa ceinture qu’à son veuvage, soit pour la transmettre à sa bru, soit pour la déposer au pied de l’érythrine symbole de traditions. Si par inadvertance le mari la cassait, il mettait la vie de sa femme en danger, ce qui obligeait à conjurer rituellement le sort. Huit jours après les noces avait lieu le rite de « mise à découvert de l’épouse » pour placer le jeune ménage devant les réalités quotidiennes :

« C’est sous les auspices de la tante paternelle de la mariée qu’un cortège se rend chez les parents du mari où le couple s’est installé. En font partie le frère et la soeur de l’intéressée et leurs invités. Une fillette ouvre la marche en portant une corbeille de farine de sorgho surmontée d’une spatule, parfois aussi d’une fleur rouge d’érythrine. Sur la tête d’un garçonnet se balance un pot de lait. Les autres suivent, porteurs de cruches de bière de sorgho et d’un panier plein de mets préparés et de nourriture à cuire. Ces charges sont appelées imitwa, car elles sont l’avant-garde : d’autres suivront pour les libations de la soirée. Toutes sont blanchies au lait de kaolin. A son arrivée, le cortège est accueilli avec allégresse par les invités de la famille ».

Pour garantir le bonheur du jeune couple, les divers ustensiles ne devaient présenter ni brèches ni fêlures ; la fillette et le garçonnet devaient avoir des parents en bonne santé.

« Le pot à pâte est placé sur les trois pierres qui composent le foyer. Les enfants sont chargés d’aller puiser de l’eau à la source. Quelqu’un les suit, leur recommandant de ne pas se retourner en cours de route. Au retour, ils aident les conjoints à verser l’eau dans le pot, à quatre reprises, en tenant tous ensemble la demi-calebasse qui sert de puisoir, et en touchant le pot à chaque fois. Une ménagère allume le feu. Quand l’eau bout, le frère de la mariée aide les époux à faire glisser la farine en maintenant le panier : respectant la coutume, ils ne le videront pourtant pas entièrement. Tous trois saisissent ensemble la spatule et, en un même mouvement, tournent la pâte qui s’épaissit… C’est à la tante que revient l’honneur de remettre un peu de pâte aux jeunes mariés qui s’en touchent mutuellement les lèvres, puis ils font quatre fois le simulacre de boire au pot à lait ».

Par ce rite, la jeune épouse était reconnue apte à vaquer aux besoins du ménage : alimenter le feu, cuire les aliments du mari, allumer sa pipe, etc. Elle pouvait désormais sortir à découvert. Elle se montrait pourtant triste, car elle savait que sous peu ses crêtes capillaires taillées en croissant, signes de virginité, allaient disparaître. Ses amies la réconfortaient par de petits cadeaux.

Une fois le moment du rasage venu, la jeune femme faisait la difficile, s’y r. refusait, pleurait, ne voulait pas se laisser faire. On conseillait au mari de l’amadouer par un cadeau. Le beau-père lui promettait une houe, une chèvre, une vache, promesses fictives appelées « acheter sa bonne volonté ». Elle finissait enfin par accepter. Assise devant la hutte sur une natte pour qu’aucun cheveu ne se perde, elle se prêtait à la coupe. Il appartenait tantôt au mari, tantôt au frère de la mariée de donner le premier coup de rasoir, puis on confiait la tâche à une personne expérimentée. Celle-ci laissait subsister une mèche, car le crâne n’était rasé complètement qu’en cas de deuil. Le frère surveillait attentivement les opérations et recueillait les crêtes coupées dans une petite corbeille pour les donner à sa mère qui les brûlait et en répandait les cendres dans les herbes de son lit. S’agissait-il d’une orpheline, les cheveux étaient brûlés devant tout le monde.

Le but de cette surveillance était d’empêcher à tout prix une personne mal intentionnée d’entrer en possession ne Mt-ce que d’un cheveu avec lequel, à l’aide d’un magicien, elle aurait pu, par jalousie, empêcher la femme de concevoir. On surveillait aussi le mari afin qu’il ne puisse s’approprier la moindre mèche par laquelle il aurait pu par magie s’attacher définitivement son épouse et l’empêcher de le quitter un jour. Pour fabriquer un tel philtre d’amour pour toujours », on ajoutait à une touffe de cheveux recueillie en cachette des substances proches de la femme : un peu de bouse de la vache donnée en dot, des brins de roseaux ramassés du côté du lit où elle dormait, des rognures d’ongle, de la terre où elle a posé ses pas, des brins de paille de son travail de vannerie, et surtout un peu de sang des premières menstrues après le mariage ; ces « semences » pour l’enraciner dans sa nouvelle demeure et empêcher un divorce étaient déposées au pied du poteau où la femme se tenait familièrement.

Selon le statut social du couple, ce temps d’acclimatation et d’initiation se multipliaient les signes du passage de l’état de jeune fille à celui de femme, mariée et où la nouvelle épouse était relativement libre et dégagée des grosses tâches au milieu de sa belle-famille, pouvait durer de deux semaines à un an. A moins de donner de soi une image très négative, on ne pouvait divorcer durant cette période de marge. Sa fin était encore marquée par des rites.

Parfumée au beurre aromatisé, revêtue d’une peau de veau, parée de colliers, de bracelets et de bandeaux, l’épouse sortait de l’enceinte. On lui tendait une natte de couchage qu’elle jetait dehors. On la complimentait pour sa bonne mine sans oublier la belle-mère qui y a pourvu. Une mélopée s’élevait alors d’un groupe de jeunes filles et les époux esquissaient publiquement un pas de danse. Les hôtes retournaient chez eux par le chemin par lequel ils étaient venus. L’événement devait être marqué par les parents des deux côtés par un rapport intime.

On a aussi décrit un rite appelé « baratter le lait et récolter le beurre » : le couple, un délégué de la famille de la mariée, le frère et la tante de celle-ci agitaient dans un mouvement synchrone une baratte remplie de lait en comptant jusqu’à neuf; puis la mariée seule continuait le travail jusqu’à obtention du beurre. Le but était de souhaiter au couple neuf enfants ou plus et de donner à l’épouse libre champ dans le traitement du lait.

Quatre jours plus tard, la nouvelle épouse effectuait une visite protocolaire à ses parents (« reprendre les jambes »), le visage voilé et accompagnée d’une femme allaitant un nourrisson. Le cortège se mettait en route au coucher du soleil. Elle était accueillie chaleureusement par les siens et entrait par la grande porte. L’époux venait se joindre à elle, et son beau-père lui rendait quelques houes provenant de la « dot » : il était désormais considéré comme gendre et autorisé à voir sa belle-mère.

Le lendemain, les deux époux sortaient munis chacun d’une houe pour un rite consistant à creuser un sillon et à retourner quelques mottes. Le soir, ils réintégraient le domicile conjugal. Pour marquer qu’elle prenait possession de la direction de son ménage, la femme touchait les pierres de l’âtre. On signale parfois qu’à ce moment elle portait pour la première fois une « couronne de maternité » et qu’on lui mettait une petite fille au dos tandis que le mari portait un petit garçon.

En entrant pour la première fois dans l’enclos de ses beaux-parents en qualité de femme, la jeune épouse déclarait rituellement : « Le rugo de mes parents est pour moi détruit, je vais construire celui d’autrui. » Par le bris d’une brindille, elle se détachait de son lignage, et pour signifier que par alliance elle s’intégrait dans celui de son mari, elle recevait de ses beaux-parents une nouvelle branchette devant servir de plant en vue de la mise en place de la haie du nouvel enclos. La jeune mariée prélevait un copeau de bois sur un des poteaux de la porte d’entrée et le conservait précieusement en signe de bienvenue dans le groupe du mari. Ces actes symboliques ne signifiaient cependant pas, au plan juridique, un renoncement à sa propre famille.

La femme était désormais autorisée à préparer la cuisine pour son mari. Le couple s’installait dans une résidence qui lui était propre, le plus souvent patrivirilocale (dans l’entourage du père du mari), parfois néolocale, rarement et à titre provisoire uxorilocale (auprès de la belle-famille du mari). Les parents de la femme complétaient le trousseau, et le mari entrait en possession de la part d’héritage venant de son père. Si la parcelle de terre transmise n’était pas assez grande, il lui fallait en demander une à l’autorité politique, ou en louer une à quelqu’un de la parenté ou hors de la famille.

Les parents attendaient de leurs enfants qu’ils leur procurent une vieillesse heureuse : plus ils leur donnaient, plus ils en attendaient. Ils espéraient un jour mourir au milieu de leurs enfants et petits-enfants : un petit-fils marcherait en tête du cortège funèbre et une belle-fille descendrait dans la fosse pour préparer la couchette de son beau-père…

La femme devait rayer de son langage le nom du père, de la mère, des oncles et des tantes de son mari, ainsi que les éléments de vocabulaire qui les composent, ce qui la forçait d’user de tout un jeu très compliqué de circonlocutions et de synonymes.

 Autres formes de mariage

La description ci-dessus du mariage idéal, qui vaut surtout pour les couches les plus aisées de la population, ne doit pas cacher le fait qu’il existait d’autres formes d’union, plus expéditives, mais efficaces même si elles étaient frauduleuses :

– Le mariage gratuit, sans contrepartie ;

– Le mariage par dédommagement : à la mort de sa femme, le mari pouvait demander la jeune soeur de celle-ci sans avoir à verser de dot ;

– Le mariage par lévirat ;

– Le mariage par surprise : il arrivait qu’un garçon éconduit dans ses démarches matrimoniales guette la jeune fille désirée en se cachant, se remplisse la bouche d’un mélange de bière, de lait et de la plante rituelle mbazi, et le lui crache à la figure à l’improviste en s’exclamant : « je t’ai épousée, je suis le fils d’un tel ». La force magique de la plante était telle qu’on ne pouvait annuler un tel mariage, mais le père du garçon devait payer une amende.

– Proche du mariage par surprise était le mariage kwiba (appelé souvent « par enlèvement ») : il consistait à imposer la couronne (« jeter la momordique ») à la fille convoitée pour mettre les parents devant le fait accompli, les forcer moralement à consentir à l’union et accélérer les tractations ;

– Le mariage par connivence : le jeune homme s’approchait de la fille pendant – qu’elle était en train de moudre du sorgho ; en tombant, la farine forme un cône, et le prétendant le tronquait du tranchant de sa main ; avec la farine ils préparaient une pâte qu’ils mangeaient ensemble ; la fille se considérait alors comme liée en qualité d’épouse.

Au Rwanda on ne pratiquait pas de mariage à l’essai pour vérifier la fécondité de la femme, comme cela peut être de coutume ailleurs ; mais chez les nobles on trouvait des « femmes d’essai » sans statut pour permettre aux fils de s’exercer aux rapports sexuels.

Consécration à un ancêtre

On appelait kurongorera umuzimul’idée que chaque femme mariée était dédiée à un ancêtre de la famille (surtout au père ou au grand-père du mari). C’était une chose qu’on disait couramment, mais qu’en réalité on ne faisait pas et dont personne ne se préoccupait réellement. Beaucoup de couples ignoraient à qui l’épouse a été dédiée

« Ce qui se dit et se fait, c’est plutôt que : lorsque le devin fait savoir qu’un ancêtre réclame une femme, les intéressés offrent symboliquement une petite fille… à l’ancêtre en question ; et la fille se mariera, sans que personne ne songe plus à l’ancêtre. Ou bien, lorsqu’il y a un vrai mariage en vue dans la famille, et que simultanément ou découvre que l’ancêtre veut aussi une femme, alors « ça tombe bien », on va lui dédier la femme de ce garçon qui va se marier » .

 Le divorce

Dans un système axé sur le renforcement des alliances et des exigences de fécondité, l’unité du couple était relativement secondaire. Le divorce, qui ne nécessitait aucune procédure formelle, ainsi que la « recomposition » des familles qu’il entraînait, étaient donc relativement fréquents. Si procès il y avait, c’était pour régler le sort des enfants et statuer sur l’éventuel remboursement de la « dot ».  « Les unions durables sont l’exception : presque tout le monde divorce et se remarie plusieurs fois ». Et aucun Rwandais ne pensait qu’en se mariant il se liait définitivement à une femme et n’excluait donc qu’il y ait des mariages ultérieurs. On parle de la « légèreté avec laquelle peuvent se faire et se défaire les unions paysannes ».

Un divorce engageait forcément les deux lignages qui avaient fait alliance. Chacun des conjoints pouvait en prendre l’initiative. Il se justifiait par les mauvais traitements subis, le refus de cohabitation, l’incapacité du mari d’entretenir sa femme, la négligence des devoirs domestiques, des adultères répétés. L’impuissance n’était pas une raison valable puisque la femme pouvait avoir des relations avec les consanguins du mari. Celui-ci pouvait répudier sa femme sans donner de raisons, les enfants lui restant acquis. Dans un premier temps, elle n’était pas forcément chassée du foyer ; mais en la négligeant sur le plan sexuel, il lui faisait comprendre qu’elle n’était plus désirée.

Les séparations étaient d’abord temporaires : la femme rentrait dans sa famille d’origine, et des deux côtés on intervenait alors dans un but de conciliation. Les pères venaient s’entretenir avec le mari. Le principal obstacle au divorce était que le père et les frères de l’épouse pouvaient être contraints à rembourser la « dot ». Or une telle demande de restitution était susceptible de déclencher des mésententes et des hostilités durables, surtout s’il y avait recours à un tribunal, et les alliances entre les deux familles pouvaient de ce fait être entravées pour longtemps. Pour éviter ces inconvénients, on préférait parfois renoncer à une telle demande, surtout dans les hautes classes et si la femme

avait eu un enfant. Les dictons mettent en garde contre un divorce irréfléchi : « Ne jette pas ton van usé pour un van neuf’ (car tu pourrais être obligé de le rechercher derrière la maison…).

Mais le divorce ne signifiait pas forcément rupture des liens amicaux entre les deux familles, et pas même entre les deux époux. Comme le fait de refuser sa fille à une famille qui la demandait pouvait susciter d’âpres rancoeurs, il n’était pas rare, avons-nous vu plus haut, qu’on consente au mariage avec l’arrière-pensée d’un divorce rapide qui, -n’étant plus affaire de lignage, mais de couple et d’individus, serait sans grandes conséquences. Le statut de « celle qui revient dans la maison du père » n’avait rien d’enviable, et si elle répétait les divorces elle finissait par avoir mauvaise réputation. Quand elle n’était pas responsable de la séparation, elle arrivait à se remarier facilement, car en ce cas la ‘dot’ exigée était moins élevée et le paiement pouvait en être échelonné. Mais -? dette instabilité potentielle n’était évidemment pas sans effets sur les enfants.

Le droit concernant ces derniers était complexe. Les jeunes enfants restaient en toute hypothèse avec leur mère divorcée jusqu’à l’âge de 7 ou 8 ans, puis ils étaient envoyés chez le père, avec le droit de pouvoir rendre plus tard visite à leur mère. Né d’une femme divorcée, un enfant appartenait au lignage ::de sa mère ; mais le géniteur pouvait l’acquérir en payant « un prix de naissance ». Si au mariage la dot n’a pas été versée, les enfants allaient vivre en cas de divorce chez les parents de la mère, à moins que le père ne se décide à payer. : Dans le cas où lors d’un divorce le prix du mariage n’était pas remboursé et qu’il n’y avait pas d’enfants, ceux nés de la femme d’un mariage ultérieur pouvaient être réclamés par le mari du mariage antérieur.

Un mari cherchait-il à reconquérir sa femme séduite par quelqu’un qui n’était pas de son lignage, il montait sur le toit du concurrent, arrachait la perche qui coiffait celui-ci et la plantait à l’envers. Si la femme ne revenait pas, elle risquait de porter malheur à son nouveau rugo, car ce renversement de l’antenne y rompait le contact avec le Divin…