La Médecine Indigène Au Ruanda VIII
{:fr}NAISSANCE
Le travail a commencé. Les douleurs se faisant sentir davantage du côté droit font présumer que ce sera un garçon.
Les parents accomplissent les rites religieux. Ils se livrent aux mystères du culte de la secte secrète des Imandwa que préside l’hiérophante Ryangombe assisté de ses acolytes ; les esprits supérieurs sont invoqués.
Les oracles sont également consultés ; on prie les mânes de s’éloigner ; on leur promet le sacrifice d’un taurillon. Pour leur faire prendre patience, des présents leur sont faits sous forme d’offrandes symboliques déposées dans de petites huttes à esprits.
La place choisie pour l’accouchement est dans la demeure de la femme enceinte, entre le foyer et l’alcôve. On l’appelle ordinairement ikirambi ; c’est le coin de prédilection du père et de la mère, c’est là qu’on se réunit pour la veillée. En cette circonstance, c’est « mu Rweya » qu’on l’appellera, comme le nom de l’endroit où, d’après la tradition, les premiers Abatutsi tombant du ciel empyrée vinrent choir, amenant avec eux un couple de bovins et d’ovins, etc., là-bas, du côté du soleil levant.
La parturiente est à genoux ou accroupie sur la terre nue. Sa belle-mère fait chauffer de l’eau, elle y trempe les mains, presse les côtes en partant du dos vers le bas.
La première assistante croise les mains derrière la patiente qui la saisit au cou et s’y cramponne fermement lors des poussées. Une deuxième lui pose les mains au bas de la région lombaire et appuie fortement pour l’empêcher de reculer.
Dès qu’elle pousse, une troisième lui met la main sur la bouche, voire sur le nez pour retenir le souffle, car on croit que c’est le souffle de la femme qui chasse l’enfant dehors.
Parfois la praticienne fait subir des manipulations pénibles à sa cliente qui reste toute pantelante après un tel traitement, sans qu’elle puisse d’ailleurs extérioriser ses souffrances par des cris, car elle ferait la honte de son mari.
Quand l’accouchement traîne, on rappelle le père, alors qu’on avait tout fait pour l’éloigner. Derechef il quitte l’enclos pour aller cueillir des baies rouges d’une plante abortive qu’il se gardera de nommer ; il dit : Ngiye gushaka umusange… Je vais chercher celle que l ’on trouve.
Il part avec la conviction qu’il trouvera l’accouchement terminé à son retour. Sinon, il attachera la ceinture de sa femme au gros orteil de son pied droit et, s’appuyant sur une lance, il fera le tour de la hutte en implorant :
Vuka ! Vuka ! Vuka ! Nais ! Nais ! Nais !
L’enfant est né. Aussitôt la ceinture va rejoindre l’amulette sur la chaise. Ayant participé à l’accouchement, elle aussi doit être à l’honneur.
Afin d’activer le travail, les accoucheuses ont délié leur ceinture, laissé tomber leurs vêtements. Elles ont descendu tout ce qui pendait dans la demeure, rabattu les paravents, de même l’enfant doit se décrocher de la mammelle interne où il était occupé à téter.
Pour faciliter la délivrance, couper trois poignées de la plante « qui éteint le feu » ou ikizimyamuriro ; les froisser, les presser entre les paumes des mains ; donner le jus à boire à la femme et lui en verser sur la tête et dans la vulve.
D’autres plantes sont aussi employées. A piler et à cuire : indarama: celle qui me fera accoucher chez mes parents.
umuhurura: celle qui apporte le secours.
Au jus du drastique umuhoko et de l’« extirpatrice » umushyigura, ajouter du lait maternel d’une femme bienveillante et verser sur la poitrine.
Malgré toutes ces précautions, la délivrance peut encore tarder. Quelqu’un se met à courir à la fontaine du bétail après s’être muni d’un pot à lait ou d’une écuelle et d’une de ces plantes.
Il puise une unique fois dans l’abreuvoir et retourne à la maison. Chemin faisant, sans s’arrêter, il trempe les feuilles dans le récipient et les froisse.
Cette eau bénéfique est offerte à la femme qui en boit, le restant sert à l’arroser. Cette façon de faire est souvent merveilleuse, dit-on.
Lorsque la sage-femme se décide à faire l’extraction du placenta, le cas est considéré comme presque désespéré.
Pendant ce temps, il est défendu de brûler du bois fendu imyase, car ce terme fait penser à urwase ou vulve, et à « kwas’indwi » expression qui sous-entend le septième accouchement, nombre fatidique pouvant créer des ennuis aux parents et à l’enfant.
Lorsque, ignorant des faits, un homme se présente à la porte de la demeure, vivement de l’eau est versée sur les pieds de la patiente afin de lui éviter des souffrances indicibles.
Quand un accouchement semble durer dangereusement pour la vie de la femme, on va quérir une autre accoucheuse au savoir empirique, mais renommée pour sa pratique = umugore w’uburyo. Elle se charge de dépecer l’enfant in utero.
Les Noirs croient fréquemment que le produit de la grossesse ne peut sortir quand les membres sont placés d’une manière défectueuse. Aussi l’accoucheuse choisit-elle d’abord les articulations fémorales et humérales à sectionner. La tête ne pouvant être libérée notamment pour raison de grosseur, elle n’est, paraît-il, pas écrasée. Le pronostic est fatal.
Les déchirures du périnée sont traitées au moyen d’ablutions d’eau chaude dans laquelle on a fait tremper des feuilles de Leonotis = igichumuchumu. Verser le liquide sur un siège creux ; la femme s’y assied. Quand la déchirure est importante, laver à l’urine en putréfaction isakare.
La mère garde le nouveau-né près d’elle. Une visiteuse éventuelle pourra le tenir pendant quelques instants sur les bras, à la condition qu’elle ne soit pas menstruée à ce moment-là, l’enfant serait dans ce cas recouvert d’érythème ibyinjire.
Le cordon ombilical n’est sectionné qu’après la délivrance complète, ou dans les deux ou trois heures qui suivent l’accouchement si l’on suppose une rétention placentaire. Les indigènes s’imaginent que l’extrémité rentrerait précipitamment à l’intérieur et qu’il ne serait pas possible d’extraire le délivre.
Pour dérouter les mauvaises influences, le sexe de l’enfant n ’est annoncé que quand tout est terminé et il ne recevra son nom qu’après la cicatrisation de la plaie ombilicale. Au septième accouchement, une précaution supplémentaire s’impose : d’un garçon on dira que c’est une fille et d’une fille que c’est un garçon.
L’accoucheuse dégage la langue et souffle dans l’oreille de l’enfant pour désobstruer le conduit auditif. A l’aide d’un éclat de roseau, elle gratte la peau et la nettoie avec de l’urine de la mère pour dissoudre l’enduit sébacé. Elle baigne les yeux avec du jus de la plante umutagara allongé d’eau et lui enserre le ventre dans une corde d’étoffe pour prévenir la disgrâce d’une ptôse abdominale.
Elle humecte les lèvres de l’enfant d’un peu de lait trait à l’instant d’une vache isugi pour qu’il soit favorisé par la fortune et qu’il conserve longtemps ses parents. Au poignet, elle lui attache une amulette, humble ficelle de charpie : ainsi paré pour son entrée dans l’existence, sa croissance sera protégée.
Tous ces rites doivent être minutieusement observés pour ne pas exposer le nouveau-né à être muet ou à rester un avorton.
Maintenant va commencer le rite du retrait des prohibitions dont l’enfant naît entaché. D’une section d’un gros roseau ikibingo, on a prélevé six ou huit lamelles d’une quinzaine de centimètres, dures et tranchantes ; elles sont toujours en nombre pair. Ce sont les imikebyo, tels des tranchets. Une assistante passe son doigt sous le cordon, le soulève, le touche avec chaque lamelle en même temps qu’elle parle pour la mère : Quand je te souhaiterai de mourir d’une plaie, qu’il n ’en soit rien !
Les insultes courantes sont passées en revue, c’est ce qui explique la facilité avec laquelle les mères emploient les imprécations les plus grossières pour admonester leur progéniture, car elles savent qu’elles resteront sans effet. C’est ce que signifie l’expression ugutukura, réversif du verbe gutuka, insulter.
Le père ne participe pas à cette cérémonie, car il se réserve tous ses droits, jusqu’à celui de maudire un fils ingrat et révolté contre son autorité. D’autre part, la mère ne peut maudire son enfant, mais elle peut le détester, le mépriser.
Sans ligature préalable, le cordon est tranché à trois travers de doigt de l’ombilic. L’hémorragie est arrêtée en saupoudrant la plaie de cendres. Le bout est comprimé par un lien. Pour hâter sa chute, une application de pommade au beurre mélangé de suie ou de cendres de corde de papyrus brûlée à cet effet fera l’affaire.
Le délivre est enveloppé dans une vieille natte avec un peu des quatre plantes principales du pays pour passer la nuit dans un coin de la hutte ; il sera enterré dans l’arrière-cour. Toutefois, certains le donnent à un chien du sexe de l’enfant, mais craignent de dire que l’animal l’a mangé ; ils laissent croire que le chien l’a emporté : Imbwa yarandûye ingobyi… Le chien a enlevé le délivre…
Quant au bout séché du cordon, il sera gardé dans une corbeille en vannerie agaseke pour que la joie = uguseka, ne fasse pas défaut…
Le traitement subi par le cordon ombilical est souvent la cause de grosses hernies ikiromba. Un enfant qui en est porteur voit ses désirs facilement satisfaits, car on n ’aime pas le contrarier. On va jusqu’à dire que cette affliction est inhérente à la famille = ni kamere.
Contre les tranchées que l’on suppose être le résultat d’une chute tardive du cordon, la femme boit deux gorgées de jus des plantes umushîshîro et umukararambwe.Elle avale aussi, sans les mâcher, deux fèves rouges d’une espèce de haricot sauvage igiharo. Un enfant isugi lui fera une ceinture avec une liane de momordique umwishwa, dont on fait d’habitude les couronnes nuptiales.
En outre, pour tromper le sort, à l’endroit précis de l’accouchement, on pique au sol, à l’aide d’une aiguille, une minuscule fourmi (phéidole), en disant :
Haribwa urushishi… C’est la phéidole qui souffre…
Umugore ntaribwa… La femme ne souffre pas…
Ou bien, le père s’enlève un morceau de peau à la plante du pied ; il y joint des semences pointues de Bidens = inyabarasanya, une raclure d’écorce et une pelure de racine de Ficus = umutabataba. Il enveloppe le tout dans un lambeau de tissu libérien du même arbre, puis il emporte le paquet derrière la hutte. Là, il urine dessus et interpelle sa femme, ce qu’on ne peut cependant pas faire, mais, pour détourner le mauvais sort, il feint de ne pas la connaître :Yewe, Nyiranaka, nturibwa ? Eh toi, une Telle, n ’as-tu pas mal ?
De l’intérieur, elle lui répond :
Ndaribwa… Je souffre…
Le père ajoute :
Oya ! Haribwa Nyiranaka wo kwa Non ! C’est une Telle de chez
Mihigo ya Kabego !… Mihigo de Kabego qui souffre !…
Il passe ensuite l’amulette à travers la paroi de la hutte et la donne à la femme. Les semences de Bidens pilosa sont fines et pointues ; elles ressemblent à des semences de cerfeuil. Elles simulent des fléchettes. Inyabarasanya prête assonance avec kurasanya, lutter au tir à l’arc.
La suite des couches entraîne une période de réclusion pour l’intéressée. Une couche d’herbe ou de feuilles vertes de bananier recouverte d’une natte est dressée dans l’espace compris entre l’âtre et le lit conjugal. C’est là qu’elle doit reposer jusqu’à la chute du cordon ombilical qui est le signal indiquant la fin de sa réclusion. Elle sera alors autorisée à faire sa sortie officielle avec son enfant pour lui donner un nom, et les rites par lesquels elle sera rendue à la vie normale seront accomplis.
Pour récompenser sa femme, le mari lui procurera à discrétion de la bière, du lait, des panades et surtout du bois à brûler. Aussi longtemps qu’elle sera couchée à terre, le feu sera alimenté nuit et jour, car il est le symbole de la vie.L e père apportera aussi la peau de mouton assouplie qui servira de berceau, puis de hotte pour le transport de l’enfant.
Cette peau est préparée de façon que les pattes de l’animal servent de courroies. Celles de devant sont attachées autour du cou du porteur, celles de derrière autour de la taille. De cette manière, l’enfant est bien maintenu sur le dos de la mère. Il peut être entièrement caché et sortir la tête à volonté. Cette façon de porter l’enfant est très commode et le petit s’y habitue tellement
que d’instinct il étend ses petites jambes à angle droit avec son corps, aussitôt qu’il se sent soulevé. La mère peut se déplacer, faire son ouvrage, et même cultiver son champ en portant son enfant sur le dos. Ainsi bercé, souvent il s’endort.
La façon d’agir du père n’a pas un caractère d’obligation dont la transgression serait sanctionnée par la coutume. C’est à ce geste que l’épouse reconnaîtra le degré d’affection que lui porte son époux. Au reste, parents, frères, soeurs, amis, tous s’y associent, car l’enfant est toujours reçu avec joie par la famille.
Notons cependant que lorsqu’une femme enceinte est répudiée ou quitte son mari, celui-ci sera tenu malgré tout, sous peine de méconnaître ses droits paternels, de « récompenser » la mère en lui envoyant les cadeaux d’usage et le berceau. C’est ce qui la décidera à revenir chez lui pour donner un nom à l’enfant, ainsi que pour les événements ultérieurs : l’apparition des dents, le sevrage, la coupe des cheveux longs ibisagi. Si la mère cohabite avec un autre homme et que ces objets ne puissent lui parvenir, le père de l’enfant les fera remettre à son beau-père et ce dernier décidera à qui revient l’enfant selon que la dot a été payée ou non. Si la vache remise en échange de la fiancée est toujours là, il n ’y a pas à hésiter, l’enfant doit revenir au vrai père lors du sevrage.
Pendant la grossesse, les rapports sexuels sont permis ; ils sont interdits en période marginale. Ils seront repris par la suite d’une façon normale. Une femme qui commettrait un adultère pendant ces jours là n ’aurait plus d’enfant.
Pendant cette période encore, elle ne peut sortir de l’enclos, à moins qu’elle ne soit très pauvre, sans aide de personne. Si elle doit quitter la hutte pour satisfaire un besoin naturel, elle le fera en prenant des précautions.
Ayant mis au monde un garçon, elle se munira d’un attribut masculin, serpe ou arc ; elle emportera une aiguille pour une fille, celle-ci devant plus tard s’occuper de travaux de sparterie.
Elle ne répondra pas à un appel venu du dehors, surtout si la personne qui l’interpelle se trouve derrière l’habitation, sauf dans le cas que nous avons expliqué plus haut. Elle doit se méfier des jeteurs de sorts.
Elle ne boit pas de boissons froides, ne consomme pas de mets froids, la tiédeur étant indispensable aura mollissement des soi-disant sécrétions durcies ibishiga, allusion à une tumeur abdominale et aux caillots sanguins. Grâce aux panades tièdes de sorgho et d’éleusine, de lait tiède non bouilli toutefois, car la cuisson du lait porte préjudice aux vaches, du sang tiède d’une bête saignée à l’instant, ces sécrétions seront expulsées avec les lochies.
Dans ce but, voici comment pratiquer la saignée. Plusieurs hommes maintiennent la vache par les cornes que l’on sait très longues. Le cou est serré dans une longe pour faire gonfler la veine jugulaire. L’opérateur est muni d’un arc ordinaire et d’une flèche spéciale dont le fer est très court et fiché dans le bois de telle manière que la veine ne soit pas transpercée de part en part. Quoique l’arc soit bandé fortement, le tireur lâche la flèche avec un mouvement de recul, comme s’il voulait l’empêcher d’aller trop loin. Le sang jaillit et est recueilli dans un pot à lait ou à eau.
La saignée requiert quelques précautions. D’abord que celui qui recueille le sang ne trempe pas les doigts dans le récipient, sinon la vache retiendrait le flux. Si la vache est pleine, quelqu’un doit se tenir prêt à arrêter l’hémorragie.
Il fait semblant de plonger la flèche dans l’eau de ruissellement, puis en touche la bête au cou, au front et sur la bosse charnue du garrot. Il continue ce geste en passant la flèche le long du dos en comptant de un à dix et en formulant :
Nimubyare inyana nsa ! Ne mettez bas que des génisses !
On agit de même pour la vache à lait, mais celui qui la trait habituellement doit s’accroupir à droite et traire quelques gouttes de lait qui tombent sur sa jambe droite et dire : Uko ngenda, niko nkama imisi yose ! Comme je marche, c’est ainsi que je trairai tous les jours !
On arrête l’écoulement en saupoudrant la plaie de cendres ; on ajoute un poil arraché à n’importe quelle vache, de la sève de Ficus et le vacher communiquera son impulsion bénéfique en y projetant un peu de salive.
Revenons à notre sujet. A moins d’être surprise par la rapidité de l’accouchement, la femme n’emploiera pas le lit conjugal, non seulement pour cause de propreté, mais parce que de sa couche provisoire elle a plus de facilité pour jeter, avec leur contenu, les feuilles ibiziranyenzi qui ont servi à essuyer l’enfant. La grand-mère maternelle se charge de les ramasser et de les traîner des deux mains un peu partout dans la hutte. Ce rite doit amener la bénédiction dans le ménage, de nombreux enfants déféqueront encore dans cette demeure.
Le jour de la première sortie de l’enfant, ces fèces seront portées en cortège au dehors avec les balayures ; jusque là on les a conservées derrière les pierres du foyer et il n’a pas été permis de balayer. La femme doit veiller à ne pas laisser disperser les roseaux formant sa couche. On ne donne pas de feu, même la plus petite braise ardente, au voisin qui réclamerait un allume-feu. Les objets du ménage ne peuvent passer la nuit dehors et aucun étranger à la famille n’est autorisé à loger dans la maison, ni, ajoutent certains, dans les communs.
Le mari ne peut traverser la rivière : l’eau est froide, sa femme en ressentirait immédiatement les contre-coups douloureux. Il est défendu de brûler les gros bois fermant la barrière de l’enclos, sauf si la femme a déjà eu des enfants des deux sexes, sinon elle persisterait à mettre au monde des enfants du même sexe.
Régime pendant la période d’allaitement.
La mère ingurgite force panades, du lait et de la bière de bananes tiédie pour faire monter son lait en abondance = guhembera. La période de l’allaitement dure plus ou moins deux ans.
L’enfant peut prendre le sein à n’importe quel moment de la journée ; les indigènes n’ont aucune idée des repas à heure fixe et ils estiment cruel de refuser de la nourriture à un enfant qui pleure. On le calme en le mettant au sein = bamuhoresha ibere.
Les femmes ruandaises sont généralement bonnes nourrices. Si la mère meurt pendant l’allaitement, une parente pourra le continuer. Sinon, et c’est le cas le plus fréquent, l’enfant sera nourri au lait de vache caillé avec tout ce que ce régime comporte de dangers. Les indigènes ignorant qu’il faut additionner le lait d’eau, le nourrisson finit par mourir d’entérite. Notons que le lait des vaches du Ruanda possède une teneur très élevée en matières grasses.
Nous avons connu des cas vraiment tragiques. Puisons dans nos souvenirs. La femme du nommé GACHACHA de Rubengera tombe malade et s’accouche prématurément. Elle meurt bientôt. Le mari tombe malade à son tour. Habitant à l’écart et sans aide de personne, il se voit dans l’obligation de laisser le nouveau-né à côté du cadavre de sa mère. Il fallut deux jours avant que nous fussions alertés. Détail touchant, c’est un tout vieux Umunyarwanda qui nous apporta l’enfant. Grâce à deux nourrices de bonne volonté qui réussirent après nos exhortations à surmonter leur répugnance à allaiter un enfant étranger à leur famille, l’enfant put survivre.
Un bébé fut abandonné dans un marais parce qu’il avait été conçu dans la période marginale qui suit un décès. Il ne pouvait être qu’un porte-malheur, donc indésirable, d’après la conception indigène. Il fut heureusement découvert par une maman qui l’entendit vagir au milieu des roseaux. Elle prépara de la bière légère et des aliments appropriés et réussit à sécréter elle-même assez de lait et l’enfant fut sauvé. Ce sont là deux faits remarquables.
L’enfant peut boire de l’eau. Si la nourrice quitte les lieux de la naissance, elle emporte avec elle un peu de terre pour la mélanger avec de la terre du nouvel endroit,à l’eau de boisson. Ainsi, l’enfant se familiarise avec lepays.
Les Ruandais conviennent que le lait, à lui seul, ne suffirait pas pour élever l’enfant. Il faut aider sa croissance par l’administration de médecines, laxatifs et vermifuges. On dit également que toute personne naît avec Rugondo ,le Roi des Vers, mais on ne tente rien pour s’en débarrasser — on le croit du reste inoffensif, car si on naît avec lui, on meurt avec lui.
Pour le prémunir contre la maladie du pian, l’enfant reçoit entre autres du jus de la plante à noeuds utunyamapfundo. Dès qu’il pourra se mouvoir dans son berceau, ce sera du jus du Clerodendron = umukuzanyana, surnommé umurerabana, c’est-à-dire « qui élève les enfants », administré comme laxatif. Quand il essaiera de s’asseoir, le vermifuge administré sera le jus de la plante umususa.
En plus du lait caillé ou fraîchement trait — jamais cuit—, la bière de bananes encore chaude de fermentation lui semblera déjà un délice, et quand il se sentira la force de grignoter, il acceptera volontiers une patate douce crue. S’il manifeste le désir de goûter à la nourriture des grands, on lui offrira de tout, même de la viande infectée de larves de ténia. Les haricots viendront en dernier lieu, car ils font gonfler le ventre.
La constipation est combattue par de fréquents lavements. La plante umuvumavuma est délayée dans de l’eau. La mère tient sur ses genoux l’enfant retourné.
A l’aide d’une tige creuse de courge ou de ricin, elle aspire le liquide et en remplit sa bouche. Entre les dents, elle garde fermement le tuyau, puis elle l’enfonce dans l’anus entrouvert et souffle le médicament à l’intérieur. Prévoyant un refoulement instantané, elle applique vivement le pouce sur l’orifice et l’y maintient pendant quelques instants. Ajoutons que les selles des enfants n’ont guère un caractère répugnant pour les mères du Ruanda.
Il existe des coutumes concernant le lait maternel et la période de l’allaitement. En voyage, lorsqu’une nourrice veut allaiter son nourrisson, elle doit s’arrêter. Sinon, elle lui fait prendre patience en attirant son attention en frappant des coudes la hotte qui lui sert à porter l’enfant sur le dos = kumuhorahoza.
Si c’est un garçon qu’elle porte, son postérieur ne peut pas sortir de la hotte pendant la marche. L’enfant qui n ’a pas encore de dents est dit ikibumba. Ce mot est tiré du verbe kubumba, pétrir l’argile. A cause de cette maléabilité, la mère ne peut pas sortir de la cour avec son enfant ; il est trop tendre, il serait vite la proie des maladies. Aussi, pour l’en prémunir, emportera-t-elle toujours le berceau. Au reste, il n’y a que l’enfant mort qu’on va enterrer qui n’a plus besoin de son berceau.
Une femme qui a perdu un enfant en bas âge ne peut pas allaiter celui d’une autre ; elle serait accusée de désirer et d’attirer la mort sur lui.
Celle dont le dernier-né vient de mourir peut remettre un autre de ses enfants au sein, mais auparavant elle doit accomplir un simulacre de rapport sexuel avec son mari. Ensuite, elle se frictionne la poitrine avec des médecines. La voilà purifiée et apte à reprendre l’allaitement.
Une nourrice ne peut laisser couler son lait dans le feu ; cela pourrait cependant arriver, car elle se baisse si souvent près du foyer bas, la poitrine découverte ; ses glandes tariraient, les sécrétions ayant été rôties.
Elle racle avec grand soin toute trace de son lait tombé à terre, de crainte qu’un ennemi éventuel, l’ayant vue, ne vienne faire un prélèvement qu’il jetterait au feu pour provoquer chez elle l’agalactie. Notons qu’il suffit d’un tout petit peu de cette terre pour que l’envoûteur obtienne le résultat désiré.
Dans les cas de naissances gémellaires d’enfants de même sexe, le premier sera appelé provisoirement ou définitivement Gakuru ou l’Aîné ; l’autre Gatoya ou le Puîné. En tant que dernier venu, celui-ci sera toujours allaité en dernier lieu et au même sein toujours, servi après son frère ou soeur, habillé et marié après lui.
Le sevrage comporte un rite spécial. Il consiste tout d’abord en un rapprochement sexuel des parents, appelé manger le sevrage = ukurya ubucuke ; c’est cela qui sèvre l’enfant et pas autre chose = igicutsa umwana n’icyo nta kindi, entend-on dire. A partir de ce jour, la mère s’abstiendra rigoureusement de remettre l’enfant au sein sous peine de malheur. Le père fera un cadeau à l’enfant pour le dédommager ; chez les Abatutsi détenteurs de bétail, ce sera une vache, la vache du sevrage = inkha y’ubucuke. Chez les paysans Abahutu, ce sera une pioche dont la mère pourra se servir, ou bien un collier de perles que l’enfant portera. La vache du sevrage restera la propriété de l’enfant.
S’il tarde à marcher, la mère attachera un grelot iyugi à la cheville de l’enfant. Le bruit l’excitera à se déplacer et il apprendra plus vite à marcher. Le sevrage est parfois imposé pour certaines raisons :
1) Après trois ou quatre mois d’une nouvelle grossesse
2) Lorsque l’enfant, si c’est un garçon, a craché sur la pierre à aiguiser, objet masculin, ou sur la chaise de son père, attribut de l’autorité paternelle ;
3) Lorsque l’enfant a émis une sorte de sifflement sur le sein de sa mère. Or, il n’y a que les hommes qui puissent siffler, il serait donc inconcevable de le laisser davantage au sein. De plus, les filles pas plus que les femmes ne peuvent siffler ;
4) L’enfant s’amuse dans l’enclos ; il voit son père traire la vache, l’imiter est un jeu pour lui, il va toucher le pis, il s’est sevré lui-même ;
5) Une nourrice ayant quitté son mari brusquement dans un moment de colère reviendra le lendemain au domicile conjugal, mais elle doit d’abord s’arrêter à la barrière de l’enclos. C’est là que le père apporte le nourrisson et lui met le sein de la mère en bouche : du coup le sevrage est terminé ;
6) Si la mère a le malheur de perdre ses deux premiers enfants, elle s’abstiendra d’en mettre un troisième ausein. Dans ce cas, l’allaitement sera artificiel.
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