{:fr}U Paganisme Monothéiste Et National.

 Nous avons considéré jusqu’ici ce qu’on pourrait appeler, faute d’ex-pression plus adéquate, les institutions civiles du Ruanda : famille, clan, race, société, état, culture, et nous avons pu nous con-vaincre que tout y baigne dans une atmosphère de surnaturel. Rien n’y est purement civil, tout y est, pour ainsi dire, ecclésiastique et religieux. Familles et races sont d’origine céleste ; aïeuls et rois reçoivent après leur mort Une façon d’apothéose, l’autorité à tous ses degrés

est théocratique ; prospérité des cultures et des troupeaux, fécondité des mères, victoires sur l’ennemi, agrandissement territorial ont des causes mystiques et magiques ; les grands personnages de l’Etat s’honorent d’être des augures et des pontifes, Imana est un Dieu national et Ryangombé est le génie protecteur du pays.

 

Pas plus ici qu’en Egypte, en Grèce et à Rome on ne peut saisir l’esprit qui anime les individus et la collectivité si l’on fait abstraction des croyances et des pratiques religieuses. Temporel et spirituel, empire et sacerdoce, clercs et laïcs, ce sont là catégories et éléments sociaux, qui, distincts et séparés à nos yeux depuis le christianisme, fusionnent chez les anciens si intimement qu’aucun conflit ne saurait surgir entre eux. Dieu et César dans les conceptions antiques ne sont qu’un. Or le Ruanda d’hier c’est de l’antiquité vivante, directement observable. Pour l’entendre il faut se faire une âme de jadis : antiquior animus.

La religion au Ruanda — nous employons ce mot bien qu’il n’ait pas d’équivalent dans la langue indigène est un paganisme de même caractère que celui des civili-sations classiques. On y retrouve le culte des ancêtres, les mânes et les revenants, les puissances occultes, les mira-cles et les reviviscences, les métamorphoses et métempychoses, les dieux naturalistes humanises, les anthropomorphismes, les offrandes et les expiations, la divination, et la magie, les liturgies et les péans, les téraphims et les talismans, les collèges sacerdotaux d’aruspices et de sacrificateurs, les mystères, leurs orgies et leur discipline du secret. Mais c’est un paganisme moins évolué, plus voisin de ses origines, moins chargé de symbolisme et d’allégories. Il ne s’est pas mué et développé en polythéisme. Pas de familles de dieux et de déesses, pas d’histoires scabreuses, pas de morts et de résurrections de personnes divines. Le Ruanda ne reconnaît et ne révère réellement qu’un Dieu, un Dieu non idéal, abstrait, théorique, mais vivant, concret et pour ainsi dire de chair et d’os. Son Mana ou Imana i est article, — qui en ses traits les plus populaires rappelle tantôt le Zeus de l’Olympe et tantôt le Iahveh Elohim des patriarches, est pratiquement unique, n’ayant pas de concurrent dans les limites de la cité. On peut parler ici d’un paganisme. monothéiste. Le phénomène est loin d’être isolé, comme l’on sait. L’Urundi voisin en offre une réplique ; Dieu s’y nomme également Imana.

C’est à l’étude de cette religion touffue et complexe, — beaucoup moins toutefois que celles des contrées méditerranéennes que les chapitres qui suivent sont consacrés. Nous y faisons entrer les conceptions et Observances relatives, non seulement à la divinité elle-même, mais encore à l’âme ou à ce qui en tient lieu, au monde matériel et à ses virtualités occultes, à la technique de l’aruspice et de la magie, au culte des mânes et aux initiations des mystères, au personnel des griots. Nous commençons par Dieu, Mana du Ruanda, croyance et culte.

Sources Et Travaux Sur Le Mana Du Ruanda.

IMANA du Ruanda n’a pas jusqu’ici fait l’objet d’une étude spéciale et synthétique. Le sujet a cependant été abordé, plutôt en passant, mais objectivement avec textes à l’appui, par les PP. Arnoux, Pagès, Schumacher. Les PP. Loupias et Hurel ont apporté une contribution à cette étude par, leur relation de mythes et leur édition de contes et proverbes. Ilest à peine besoin de dire qu’il ne s’est rencontré chez les indigènes aucun Plutarque, aucun Varron, pour réfléchir sur la nature d’Imana et décrire son culte. Tout travail de ce genre est d’origine européenne.

Mais les indigènes ont des traditions assez fermes sur les croyances et les pratiques relatives à Imana, traditions qui se sont cristallisées dans des sortes de documents conservés dans les seules archives des mémoires. Ces documents sont de trois sortes.

Premièrement les noms de personnes et les formules du langage courant, exclamations et proverbes. Les parents ont coutume, comme les anciens juifs, de donner à leurs enfants, huit jours après leur naissance, un nom ou prénom, emprunté à un trésor traditionnel ou inventé de toutes pièces pour la circonstance. Parmi ceux de ces vocables qui reviennent le plus souvent, on en peut relever une trentaine, peut-être plus, qui sont théophores, soit que le nom d’Imana y entre explicitement en composition, soit qu’il y soit fait simplement allusion. Ces mots composés évoquent soit une opération d’Imana, la création par exemple, soit un acte de culte du fidèle : ainsi « je l’adore ». Les locutions usuelles, les souhaits et apostrophes, les proverbes évoquent aussi un attribut ou une oeuvre d’Imana, Noms et formules, ce sont là des données très sûres, parce que populaires, condensant la croyance et la fixant à la façon des adages et des dogmes dans les théologies évoluées. On pourrait appliquer ici l’axiome : lex orandi lex credendi.

Une seconde source est constituée par les formules des griots, des sacrificateurs, des imandwa, en usage à la cour et dans le mystère de Ryangombé incantations, adjurations, hymnes ou péans. Encore que le culte extérieur s’adresse directement à d’autres êtres surnaturels qu’Imana, le nom et la pensée de celui-ci n’en sont pas exclus.

Enfin, au plus bas degré pour la valeur doctrinale, mais au premier pour la richesse des détails et la candeur des sentiments exprimés, se présente à nous ce qu’on pour-mit appeler la mythologie d’Imana. Des cosmogonies, des récits d’origine, des fables et des contes, farcis d’anthropo-morphismes, le mettent en scène. Il y apparaît, écrit le P. Hurel, « tel que le peuple se le représente, puissant, supérieur à tout et à tous, mais personnellement débonnaire. On l’aime plus qu’on ne le craint il est juste, ce qui n’est pas sa moindre perfection aux yeux de ses fidèles sujets ».

D’où proviennent les divers traits dont se compose la physionomie d’Imana ? Sont-ils autochtones ou sont-ils importés du dehors ? Imana appartient-il spécialement à l’une ou à l’autre des trois races qui peuplent le Ruanda ?

Adhuc sub judice lis est. C’est un fait que le Mana du Ruanda groupe aujourd’hui sous son allégeance tous les régnicoles, quelles que soient leur condition et leur race, aucune autre dénomination divine n’est accréditée dans le pays. Qu’en fut-il à l’origine ? Bien que le nom même de Mana n’ait pas de signification particulière en kinyarwanda, il y a lieu de croire que le personnage qui le por-te fait partie du patrimoine spirituel des Bahutu. Les Batutsi, d’immigration récente, lui ont ajouté certains traits aisément reconnaissables : ils ne l’ont pas introduit. Ils l’ont adopté vraisemblablement avec l’ensemble -des institutions constituant la culture des populations qu’ils s’étaient assujetties.

Quelle que soit sa provenance, voici comme il -apparaît d’après les éléments de connaissance en notre possession.

La Toute Puissance Créatrice : La Cosmogonie Ruandaise.

La première mesure que le Ruandais, semblable en cela sans doute à. tous les humains, prend de cet Etre grand, supérieur, suprême, qu’il nomme 1m-ana ou Dieu, c’est celle d’une cause toute-puissante, initiale et universelle, de qui procèdent tous les êtres du monda visible et du monde invisible. Il se sent vis-à-vis d’elle dans la relation de créature à créateur, de fils à père.

Ceci résulte des titres et qualifications qu’il emploie comme synonymes d’Imana. D’abord le nom de Gihanga — « Le Fabricateur ». C’est ainsi qu’il appelle le dimanche, jour de Dieu, jour férié de la semaine rouandienne icyumweru cya Gihanga, littéralement « le blanc de Gihanga », blanc ayant le sens de propice et faste. Ce nom est porté également par le mwami mythique, créateur des arts, civilisateur de la nation. On le donne volontiers aux enfants pour les placer sous une protection auguste : il se substitue en toutes ces rencontres au nom même d’Imana. Ruhanga a le même sens : on donne ce nom divin à des lieux comme à des personnes. Gihanga, Ruhanga, sont dérivés du verbe guhanga, qui est défini par les grammairiens indigènes « faire apparaître, susciter, placer en un point de l’espace un objet qui n’y était pas, une fontaine, une maison, une moisson » — kuhashyira ikintu kitali kihasanzwe. L’idée d’une création ex nihilo n’a pas germédans le cerveau du Rouandien : on sait qu’elle fut également étrangère aux conceptions antiques. Création ne doit donc s’entendre qu’au sens de fabrication, de production, d’invention, et notamment en ce qui concerne le mode-lage du potier.

Les autres appellations communes d’Imana, Ruléma, Kaléma, Muléma, sont dérivées du verbe kulema, que l’on traduit par « produire », composer », toujours sous-entendu : avec des matériaux préexistants. Et encore Rugira, du verbe kugira, causer, faire.

Des dénominations, précisant la notion précédente, se rapportent en général, mais de l’espèce humaine en particulier Sebumba, « Père de l’argile », Sebantu, « Père des hommes », Nyirabantu, « Mère des hommes ».Ces titres divins deviennent aussi des prénoms, et leur signification réalis-te est accentuée par les vocables fréquents de-Habyarimana, « Imana engendre » et de Habiyambere « Le premier générateur »L’apparition d’existences humaines, soit à l’origine, soit dans la suite des temps, est, en effet, imagi-née et représentée comme l’oeuvre immédiate et continue du céramiste divin, ainsi qu’il sera conté plus loin.

La construction du monde par le démiurge est décri-te dans des cosmogonies de même genre que celles de l’antiquité égyptienne et sémitique. La version que nous en possédons grâce au P. Loupias (R. P. Loupas, Tradition et légende des Batutsi sur la création du monde et leur établissement au Ruanda. Anthropos, 1908 p. 1-13.), est peut-être tronquée. Il y manque la mention du chaos primitif et sa pre-mière ordonnance par la séparation d’un firmament d’avec la terre d’en bas. Cette première étape du cosmos est déjà courue lorsque l’exposé commence. Son rédacteur l’a recueilli vers 1907, comme un enseignement ésotérique, des lèvres d’un griot mututsi, Nyagasaza, qui exerce encore son art dans la région de Mutoléré en Uganda. Voici cette déposition.

Imana a d’abord créé deux pays, celui d’en haut, par-dessus les nuages, le soleil et les étoiles, et le pays d’en bas, qu’il fit sur le modèle de celui d’en haut, mais sans beauté et sans bonheur. C’est la terre que nous habitons, pays de misère, de souffrance, de travail et de révolte. Avant cette double création, il n’y avait rien : Imans exis-tait seul.

« Au ciel !mana créa toute espèce de plantes et d’ar-bres utiles et agréables, et de chaque animal le frère et la soeur. La création des hommes, frère et soeur, fut la der-nière. Ceux-ci vivaient au ciel dans la familiarité d’Imana et jouissaient sans travail de toutes les plantes et de tous les animaux créés. La souffrance et la maladie leur étaient inconnues. »

Je demandai à mon informateur, écrit en note le P Loupias, si dans ce paradis les hommes mouraient. Il n’en savait rien : « Je n’ai entendu, ni l’un ni l’autre. » D’après certaines versions les hommes mouraient, mais Imana les ressuscitait au bout de trois jours, et leur vie se poursuivait dès lors impérissable.

Nous retrouvons ici les conceptions cosmologiques communes à tous les Anciens, inspirées de la logique, de l’idée de progrès et des apparences sensibles : l’univers, hutte gigantesque couverte d’une coupole compacte, éclairée à l’intérieur par les luminaires du jour et de la nuit, reposant par des piliers sur le disque terrestre. Au-dessus de cette voûte solide, un royaume des cieux, où Imana fait sa résidence habituelle ; l’âge d’or, où l’humanité dans un état d’innocence jouissait d’un commerce familier, et continu avec le Créateurs la perte de la félicité primitive, le bannissement de cet Eden pacifique en conséquence d’un péché d’origine, celui d’une Eve, mère des vivants, dont la suite du récit, rapportée ci-dessous, nous fera connaître la nature.

Unité Et  Spiritualité Relatives D’Imana.

En tout ceci Imana nous apparaît un et seul de son espèce. Il l’est par la logique même de son rôle de Créateur universel a Il n’y a pas de lieu, dit le Rouandais, où Imana ne soit. » — Ntaho Imana itari. Il l’est de toute façon pour son adorateur du Ruanda. Il n’a même ni épouse, ni enfant, ni famille : s’il engendre, ce n’est que dans le sein des créatures et par une opération miraculeuse. Aucune aventure galante, du genre de celles de Zeus-Jupiter, n’est jamais et nulle part portée à son actif.

Est-ce à dire que le Ruandais conçoive l’unicité absolue d’Imana ? L’absolu n’a point de place dans son cerveau. Lorsqu’à brûle-pourpoint on lui pose la question d’une pluralité possible de manas, il répond sans hésiter : « Peut-il y en avoir plusieurs ?» «Un Imana ne trompe pas l’autre Imana : ce serait le détruire. » Imana ntihenda indi : iba iyiriye, dit le proverbe. Une telle hypothèse répugne, en effet, à son idée d’une Cause suprême, d’une Puissance supérieure à tout Il affirmé que le Mana de l’Urundi est le même que celui du Ruanda, et il ajoute que ce Dieu unique a une prédilection pour son pays à lui.

Cependant, poussé l’épée dans les reins par des controversistes étrangers, surtout européens, qui ouvrent ses yeux sur la multiplicité des terres, des peuples et des religions, il s’esquive et répond par une défaite. Que les autres aient leur Dieu, déclare-t-il, lui il a le sien qu’il doit seul honorer, sous peine d’inconvénients graves. « On ne prie pas le Mana d’un autre, dit un de ses proverbes. Si tu pries le Mana d’un autre, tu prendras la gale. » Nta usaba Imana y’uwundi. Usaba iy’uwundi, ikaguha amaheri.

« Il faudrait dire des l3anyarwanda, remarquait le P. Arnoux en 1918, qu’ils sont monothéistes chez eux et pour eux, mais qu’ils ne voient aucune impossibilité à l’existen-ce simultanée de plusieurs créateurs, avec une sphère d’ac-tion limitée géographiquement Aujourd’hui encore, les païens mettent toujours habilement en opposition le dieu des Banyarwanda et celui des européens. Pourquoi prier de dieu des blancs ? disent-ils. Que lui devons-nous donc ? Nous sommes, nous, les enfants d’Imana ; nous ne suivrons jamais « Mungu », nom de Dieu en kiswahili, introduit par les missionnaires catholiques. »

C’est exactement la position de Jephté disant au roi des Ammonites : « Ce dont ton Dieu Charnos t’a mis en possession, ne le possèdes-tu pas ? Pourquoi, alors, ce dont Iahveh, notre Dieu, nous a mis eh possession, nous né le posséderions pas, nous ? » Argument ad hominem, qui ne jaillit pas spontanément du tréfonds de la croyance. Pour le Munyarwanda moyen il n’y a qu’un Mana, Mana y`i Rwanda, comme il n’y a qu’un mwami et une seule patrie. Les autres manas ne l’intéressent pas. C’est lm monothéisme, pratique, l’hénothéisme, si l’on veut, et la monolâtrie.

Pareillement Imana ne saurait être conçu comme un pur esprit, comme une substance absolument immatérielle. « Imana, dit le P. Pages, est comme une ombre, il res- semble au vent, personne ne peut le voir. » Sa spiritualité est de l’ordre de celle des bazimu, des spectres et des revenants. Aussi ne fait-on pas difficulté, du moins dans les contes, de le produire sous des espèces humaines, de même que Javeh Dieu, d’après la Genèse « passait à la brise du jour à travers l’Eden » et revêtait lui-même nos premiers parents « de tuniques de peaux »

 Providence, Assistance Et Munificence D’Imana

IMANA ne se contente pas, aux yeux des Ruandais, de donner l’existence et la vie aux hommes, de créer pour eux plantes et animaux. Il ne les abandonne pas à leur malheureux sort, il les accompagne partout ; il les assiste en leurs besoins, il leur dispense des biens divers et parfois les comble, il les défend et les protège ; il les guérit et les ramène, le cas échéant, des portes du tombeau, bref, il remplit vis-à-vis d’eux le rôle du père à l’égard de ses enfants, du seigneur à l’endroit de ses vassaux. Sa providence ouvre la voie à sa bienfaisance : il voit à l’avance le sort des hommes, il lit dans leur destinée ; il sait leurs nécessités ; sa débonnaireté native l’incline à y pourvoir pleinement.

Cette idée d’un Dieu Providence est encore plus richement paraphrasée et commentée que celle d’un Dieu Créateur. On en jugera par les noms propres suivants I Harorimana – « Imana voit »- (l’avenir de l’enfant) ; Bizimana – « Imana sait » ; Havugimana – « Imana prédit, toujours sous-entendu « au bénéfice de l’enfant. Ce baby est appelé «’Chose, Petite chose d’Imana » – Byimana, Tshyimana, Bigirimana, u.n « Petit Imana » – Kamana. Il a été « donné par Imana » – Mukeshimana : c’est un Adéodat, un Dieudonné. Il est un « gage confié à Imana » Ndagijimana, Imana lui accordera un bon sort – Nyiranziza, en fera un Bonaventure. Telle petite fille est• une « Ré-tentrice d’Imana » – Nyirimana; tel garçon un Emmanuel – Ngendahimana, « Imana avec nous ».

La munificence d’Imana est exaltée par les noms lubaga – « Le Dispensateur », Maniraguha ” Imana dispense », Nyirantezimana – « Imana y pourvoira », Deus providebit. Les libéralités d’un tel seigneur sont sans prix, elles ne se paient pas, sinon en service personnel : d’où le nom de Ntigulirwa, littéralement : « L’Impayable », qualification d’Imana, députée à un homme.

Les aphorismes glosent les titres :

Demain, Imana seul le connaît : Iby’ejo bibona Imana.

Imana favorise qui il lui plaît :  Ntabahwanya Imana.

Qui est comme Dieu ? Ntawe uhwana  n’Imana?

Imana a le bras long : Imana igira amaboko malemale

Imana passe tout bouclier ( ou toute armée): Iman airuta ingabo.

Confiance Et Abandon : L’Apologue Du Chemineau Inquiet.

La conséquence pratique de cette foi intrépide en la puissance, les attentions, la générosité d’Imana, c’est une confiance sans bornes, telle la féauté d’Un vassal envers son seigneur. On se fait gloire et l’on est jaloux de lui appartenir tout entier, parce qu’attendant tout de lui, on a le ferme espoir de n’être pas confondu. C’est ce qu’expriment les sentences suivantes dont plusieurs ont le caractère de devises et de maximes de conduite.

Mieux vaut courir au précipice avec Imana que marcher en plaine sans lui : Imanga y’Imana iluta ikigarama cy’shy’ijisho = Imanga y’Imana iruta ikigarama cy’ijisho. [ndlr]

 Si c’est Imana qui vous a investi, ce n’est pas levent qui pourra vous deposséder : Uhawe n’Imana ntiyamburwa n’umyaga.

On ne peut posséder que ce qu’il plaît à Imana de donner : Ntawiha icyo Imana itamuhaye.

Imana donne : ilne vendpas : Imana iraguha : Ntimugura.

Imana restitue ce qu’undésastre à ôté : Imana yamusubije ibintu bye.

A Dieu vat ! A la grâce de Dieu ! :  Ahari nzagira Imana

Dieu me garde ! Iyo mbona Imana.

Dieu merci ! Avec la grâce de Dieu : Yagize Imana, nagize Imana.

Avec l’aide de Dieu l’absent nous reviendra : None twagira Imana, ikamugarura

Pars, Imana sera ton étoile et te conduira au terme : Ugende, Imana izagusohoze, izakuzane.

Le souhait commun que l’on s’adresse en se séparant c’est notre « Adieu ». Kumana, dans le sens de « Soyez avec Imana ! » contraction d’une formule de salut plus longue employée à l’égard de grands personnages, du roi et de la reine par exemple, de Ryangombé dans les rites de son mystère :« Puissiez-vous rester toujours dans la compagnie d’Imana ! » Uragahorana Imana ! – « Puissiez-vous avoir toujours Imana de votre côté ! » Urakagira Imana ! L’idée est encore inspirée du régime féod.al. La garantie de bonheur, de sécurité et de richesse pour un vassal, c’est d’être maintenu, et gardé par son suzerain dans sa suite et à son service.

Certains usages sont une traduction dans la vie pratique de l’abandon total aux soins d’Imana. Ainsi, il faut craindre par trop d’empressement et de précipitation, par une activité dévorante et intempestive, par la recherche in-quiète d’une situation meilleure, de paraître se substituer à lui, d’« enjamber sur sa providence » ; comme disait saint Vincent de Paul car alors il retirerait un appui tenu pour Superflu.

C’est pourquoi le travail Cesse dans les fermes à la chute du jour : la nuit, en effet, est l’heure du divin jardinier, qui par une action secrète fait germer les graines et fructifier les bananiers : « Imana est cultivateur » Hahinga Imana. C’est pourquoi aussi il ne faut pas trop se hâter en marchant, de peur de « dépasser Intima : ab’ashatse kurusha Imana, qui est censé aller en avant, comme il est de règle pour le maitre. C’est pourquoi encore la jeune mère a grand soin le soir dans la hutte, avant de gagner – sa couche, de laisser – gusigira – quelques gouttes d’eau dans le fond de la jarre de ménage, de crainte que le divin potier, qui viendra pendant son sommeil modeler en son sein de nouvelles existences, ne crée mal – yamuremeye nabi, faute d’avoir pu mouiller ses mains comme il est né-cessaire pour polir la glaise : c’est « l’eau d’Im.arta » – utuzi tw’Imana.

Le chemineau inquiet. – Un trait édifiant illustre le danger que l’on court à s’imaginer en savoir plus qu’Imana.

Et donc, en ce temps-là, une atroce famine sévissant dans le pays, un homme, emmenant sa femme, gagna la forêt pour y faire la cueillette de fruits sauvages. Après une longue marche il tomba, comme par hasard, sur un carré de courges. Imana l’avait secouru. Il bâtit tout auprès sa chaumière. Or, la lune suivante, s’avisant que des herbes folles avaient envahi la planche, il se mit en devoir de les arracher. « Garde -t-en bien, lui dit son épouse. Imana n’a pas eu besoin de ton travail pour faire venir ces courges. Il les conservera sans toi. » L’homme ne voulut rien entendre, et sarcla le terrain. Au lendemain, toutes les belles cultures avaient séché sur pied.

« Le couple se remit en marche à la recherche d’une nouvelle provende. Imana lui vint encore en aide. Sur les bords d’une rivière il vit un grand panier à provisions – ikigega, rempli jusqu’au bord de haricots. On s’installade nouveau pour profiter de l’aubaine. Mais voici que le lendemain l’homme, se rendant compte que le panier portant à faux sur la berge risquait de chavirer, saisit un pieu aux fins de consolider son assiette. « Arrête I lui cria sa femme. Puisqu’Imana l’a posé ainsi, il ne saurait choir. » Le mari n’en fit qu’à sa tête et enfonça son piquet de sou-tènement. Pendant la nuit la rivière enfla, déborda, et entraîna le grenier d’abondance.

« On repartit en quête de nouveaux vivres ce fut en vain. Imana avait retiré sa main. L’homme, trop docile aux conseils de la prudence charnelle, succomba en cours de route d’épuisement et de fatigue. L’épouse confiante put gagner une terre moins désolée, et fut sauvée par des âmes compatissantes. »

Cet abandon à la Providence ne doit pas conduire à l’apathie quiétiste. Se contenter du sort que Dieu nous fait ne signifie pas qu’il faut se croiser les bras. « Si tu ne fais qu’invoquer Irnana les pieds sur tes chenets, dit le proverbe, tu ne récolteras que des cendres ». Usengera Imana ku ishyiga, ikagusiga ivu. Et encore : « A un la-boureur qui n’a pas eu de chance, — littéralement : qui n’a pas eu Irnana pour lui, — il reste encore ses bras ». — Umuhutu utagira Imana agira amaboko ye.

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