Les Missions Et Le Service De L’Enseignement.
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- La Victoire De L’Esprit Nouveau
La période d’un lustre qui s’étend de l’établissement définitif du mandat belge à l’avènement du mwami Rudahigwa, est caractérisée par l’acceptation décisive et finalement Officielle de la civilisation européenne et chrétienne. La classe dirigeante, jusque-là réfractaire et hostile, sauf exceptions, est maintenant conquise, et elle prend la tête du mouvement de rénovation. Il faut se rajeunir et se dépouiller, des vieilleries surannées. Il faut s’instruire, se moraliser, apprendre à honorer le Dieu unique. Les européens sont dans le vrai, ils sont ingénieux et bons, il faut se mettre à leur école et regagner le terrain perdu.
Cette mentalité l’emporte dans l’oligarchie féodale et décide du succès final. Comme cette victoire est le fruit du travail persévérant de la Mission catholique pendant un quart de siècle, la Puissance mandataire en profite pour lui annexer son service amorcé d’instruction publique et d’éducation nationale. C’est assurer parlà leur développement rapide et répondre au vœu de la population entière, patriciat et plèbe. La Mission nationale protestante ne sera pas exclue de cette collaboration.
La Cour du mwami est seule au Ruanda à se mettre en travers de ce mouvement de rajeunissement national. Elle est finalement emportée avec tout ce qui reste de l’ancien régime. Un régime moderne s’inaugure à l’ibwami avec le fils du prince déchu, un évolué catholique.
Les trois faits généraux qui commandent ce tournant de l’histoire des Banyarwanda sont dans une étroite dépendance l’un de l’autre. Le monopole, de fait accordé aux écoles des Missions, n’est rendu possible que par l’adhésion générale aux idées qu’elles propagent, et réciproquement il agit dans le sens deleur diffusion et de leur plus parfaite assimilation. Et c’est parce qu’une évolution profonde s’est accomplie dans les âmes, qu’une révolution politique peut arriver, pacifiquement et sans heurt à remplacer un gouvernement par un autre, système, et personne.
Ces trois faits, grâce auxquels en cinq années le Ruanda a changé moralement de face : adoption de l’Enseignement libre par l’Etat, conversion par familles de la noblesse de sang, substitution à l’ingoma d’un chrétien de cœur à un païen endurci, il faut les envisager dans leurs modalités et leurs suites.
- L’Introduction Du Régime Scolaire En Vigueur Dans La Colonie Du Congo
C’est en 1925 que la Puissance mandataire résolut de rompre avec la politique scolaire de l’enseignement officiel, suivie pendant près de dix ans, et à introduire dans le Territoire sous mandat le système de l’enseignement libre subsidié, qui avait fait ses preuves depuis 1906 dans sa colonie du Congo. L’appareil législatif existait; il suffisait de l’étendre avec des aménagements opportuns au-delà des frontières dans le pays limitrophe. L’organisationnouvelle impliquait une entente préalable et des conventions contractuelles avec les Missions dites nationales, représentées principalement chez les catholiques par les vicariats apostoliques.
Le Rapport officiel de 1926 rend compte dans les termes suivants de l’état des pourparlers avec les autorités religieuses:
« Les deux vicariats apostoliques ont accepté de fournir au gouvernement la collaboration demandée pour l’organisation d’un enseignement public, contrôlé et subsidié par « ‘Etat…
« En principe, chaque station de mission doit être dotée d’une école primaire complète à trois classes, dirigée par un européen. Chaque succursale aura son catéchiste et son instituteur, pour marquer l’importance attachée à l’enseignement proprement dit, les fonctions ne seront plus confondues…
« Le gouvernement a également conclu un accord avec une congrégation enseignante (celle des Frères de la Charité de Gand en activité dans le Congo Belge) en vue de la création d’une école professionnelle. Celle-Ci sera établie au cœur même du pays à l’emplacement de la nouvelle capitale (projetée, non réalisée, sinon comme chef-lieu d’administration, Astrida), de telle sorte que son influence pourra rayonner, sur toute l’étendue du Territoire. Cet établissement sera spécialement consacré à la formation d’artisans, de clercs et d’instituteurs. Les jeunes gens qui se destinent aux écoles spéciales d’assistants médicaux et vétérinaires pourront y recevoir une formation préparatoire appropriée.
« D’autre part, le gouvernement a sollicité’ le concours de la Congrégation des Sœurs Blanches d’Afrique en vue de donner une grande impulsion à l’enseignement féminin. Il s’attachera principalement au développement des écoles ménagères, où une place importante sera réservée à la diffusion des notions d’hygiène et de la connaissance des soins à donner aux nouveau-nés. « La Société belge des Missions protestantes contribuera également, dans la mesure de ses possibilités, à la réalisation du programme ci-dessus décrit. »
Le contrat avec les Vicariats apostoliques ne fut signé que le premier janvier 1930, mais un régime provisoire était entré en vigueur cinq ans auparavant, comportant le patronage de l’Etat et ses subsides à l’égard de l’enseignement libre d’Eglise.
- Les Raisons Morales Et Pragmatiques De Cette Introduction
Les raisons qui avaient déterminé l’Etat belge à créer une sorte de monopole de fait en faveur de l’enseignement missionnaire, sans pour autant se lier les mains pour des créations indépendantes, étaient à la fois d’ordre moral et d’ordre pratique.
Le Rapport sur l’administration belge du Ruanda-Urundi en 1925 porte à ce sujet au chapitre de l’Instruction publique les considérations suivantes :
« Les missions religieuses sont mieux qualifiées et mieux outillées que toute autre institution pour répandre dans le pays les bienfaits de l’instruction. Les missionnaires ont reçu une formation pédagogique spéciale. N’ayant d’autres préoccupations que celle de leur apostolat, spécialisés en vue de celui-ci dans l’étude de la langue et de la mentalité indigènes, faisant dans la même région des séjours beaucoup plus longs que les fonctionnaires de l’Etat, séjours que n’interrompent que de bien rares congés, — ils sont les meilleurs éducateurs de l’indigène. Ils s’occupent, en outre, depuis de longues années, de former des auxiliaires : un clergé indigène, un corps nombreux de catéchistes, des artisans de tous les métiers. « Sans doute, le souci fondamental des missions est celui de l’éducation religieuse. Mais l’évangélisation elle- même comporte un minimum d’enseignement général. Il appartient à l’Etat par l’octroi de subsides suffisants, d’amener les missions à perfectionner leur outillage scolaire et à développer le programme de leurs écoles. C’est ce que l’administration du Territoire à mandat s’efforce de réaliser, faisant dépendre ses subsides des efforts déployés pour l’extension de l’instruction publique ».
A l’appui de ces déclarations, le Rapport mentionne qu’un subside de 135.000 francs a été octroyé aux missions catholiques et un subside de 25.000 francs aux missions protestantes en 1925, qu’un crédit de 275.000 francs pour les premières, de 25.000 pour les secondes est inscrit au budget de 1926.
Au surplus, les milieux dirigeants en Belgique, affranchis de partis pris laïques, tenaient pour un axiome que la mission d’une puissance protectrice auprès de ses pupilles non évolués est d’éducation plus encore que d’instruction, et que l’éducation, savoir la formation morale de l’individu, relève, en ordre principal, ici surtout, de l’action religieuse.
« En Belgique, lit-on dans un document émané de l’Administration coloniale, l’école est surtout appelée à instruire, au Congo elle devra avant tout éduquer: Le milieu familial, qui est le foyer de l’éducation en Europe, exerce en Afrique une influence déprimante. L’objectif principal de l’éducateur doit être l’amélioration graduelle des moeurs indigènes : celle-ci importe plus que 1a diffusion de l’instruction proprement dite » .
« Le maître, recommande l’Inspection générale de l’Enseignement, n’oubliera jamais qu’il n’y a pas d’éducation sans religion, et que l’instruction, si elle ne va pas de pair avec une solide culture religieuse, ne forme que des citoyens qui seront d’autant plus pervertis et dangereux qu’ils seront plus instruits ».
Par ailleurs, en confiant aux Eglises la charge de l’éducation nationale des noirs, la Puissance mandataire donnait une satisfaction adéquate aux exigences de l’article 3 du titre du Mandat, qui lui recommandait instamment d’accroître « par tous les moyens en son pouvoir le bien-être…. moral… des habitants ».
Outre ces raisons de principe la Belgique se voyait contrainte par la rigueur des faits à recourir aux missions,, si elle voulait assurer dans le plus bref délai, aux moindres frais et dans le mode souhaité par la population, l’évolution intellectuelle de ses protégés. Les essais qu’elle avait tentés d’un enseignement neutre, non confessionnel, n’avaient eu, sauf à Nyanza, qu’un médiocre succès auprès des intéressés, et ne pouvaient soutenir la comparaison avec les résultats de l’Enseignement libre. Au surplus, dans l’impossibilité où elle s’était trouvée, au début surtout, de créer de toutes pièces un cadre de moniteurs indigènes pour desservir ses écoles, l’Administration avait dû se rebattre sur des sujets formés par les missions, séminaristes, frères, catéchistes, ayant renoncé à leur premier état. Enfin ses établissements étant « strictement réservés aux fils de chefs et aux notables de race mututsi elle abandonnait déjà en fait aux Eglises la formation du plus fort pourcentage de la population enfantine en âge de scolarité.
Voici en bref quel était l’état des cinq écoles créées par elle, lorsqu’elle les fondit avec les institutions religieuses ou les transforma aux environs de 1930.
L’externat de Nyanza, substitué à celui que les Pères Blancs avaient ouvert dès leur arrivée au Ruanda, « école primaire du degré supérieur pour fils de chefs, clercs et instituteurs », comptait en 1929 367 élèves inscrits, répartis en six classes, le cycle de l’enseignement étant de six années. « Il en est sorti, relate le rapport officiel, au cours de l’exercice, 71 élèves qui avaient terminé leurs études avec fruit : 43 sont entrés en qualité de secrétaires indigènes dans l’Administration,12 sont allés suivre les cours de l’école vétérinaire de Kisenyi, 15 se sont engagés au service d’entreprises particulières ».
Voilà le beau panneau du diptyque : l’autre est moins brillant. Nyanza, le milieu le plus mal famé du Ruanda, était du point de vue moral l’ambiance la moins indiquée pour la formation d’une élite. Le directeur, instituteur diplômé, en même temps délégué territorial, était trop absorbe par sa tâche administrative pour exercer efficacement sur l’école une surveillance et une influence, qui eussent été, ici plus qu’ailleurs, nécessaires. Les six moniteurs, pour la plupart anciens disciples des Pères, si franche que fût leur bonne volonté, manquaient d’autorité pour imposer une discipline et une tenue rigoureuses à des élèves dont plusieurs avaient atteint l’âge d’homme. Heureusement ces élèves étaient aux deux tiers catéchumènes ou même baptisés, et recevaient, hors du temps des classes, une culture morale et religieuse dans la chapelle succursale fondée par les Pères non loin du palais, visitée par eux deux fois par mois et desservie par un catéchiste résident.
La situation était beaucoup moins satisfaisante, àtous points de vue, dans les quatre écoles de notables, ouvertes par l’administration auprès des postes de territoire; à Tshyangugu, Ruhengeri, Gatsibo et Rukira. Provisoirement et rustiquement installées, on ne trouvait dans la plupart qu’un seul moniteur noir, enseignant dans une seule salle de classe, sous l’oeil lointain de l’administrateur. Leur quelque cinquante à cent écoliers ne les fréquentaient souvent qu’à contrecoeur, envoyés d’office par les chefs, qui eux-mêmes cédaient en cela à la pression administrative et à la menace de lourdes amendes. Lorsqu’elles furent « incorporées dans le courant de 1930 à des écoles libres subsidiées », l’Administration confessait sans plus qu’elles étaient « de très peu d’utilité ». Là aussi, par bonheur, auprès de chacune, se trouvait une chapelle-école pour fils de roturiers et catéchumènes de toute classe, où les hôtes de l’école officielle trouvaient un réconfort moral et un appui religieux, s’ils inclinaient vers l’Eglise catholique.
Les statistiques de l’année 1929, qui fut la dernière de leur éphémère existence, recensent au total 677 écoliers inscrits, qu’instruisent dix moniteurs, directeurs européens non comptés. Qu’était-ce en face des 701 chapelles -écoles de la seule Mission catholique, où enseignaient, outre les catéchistes, 467 moniteurs et monitrices, dont 297 diplômés, et que fréquentaient 21.757 enfants, dont 14.484 garçons et 8.273 filles. Les seules écoles catholiques étaient 150 fois plus nombreuses, comptaient 46 fois plus de maîtres et 32 fois plus d’élèves. Là seulement se trouvaient des écoles de filles et des institutrices. L’empressement des enfants à les fréquenter, contrastent avec l’atmosphère de contrainte et de tiédeur qui enveloppait les autres, inclinait à penser que la gent écolière des établissements d’Etat accourait spontanément vers elles, si la faculté leur en était laissée.
Ces raisons de principe et de sage opportunité, jointes à celles d’obtenir le meilleur rendement à moindre frais et dans laps de temps le plus court, ôtaient au gouvernement belge, l’idéologie laïciste cédant le pas au réalisme pratique, toute hésitation touchant l’orientation nouvelle à donner à sa politique scolaire.
Restait à savoir si les Missions étaient en mesure d’accepter les offres de collaboration du gouvernement, si elles étaient outillées en établissements et en personnel pour satisfaire aux conditions du contrat projeté. Un aperçu des moyens d’éducation dont disposait alors le vicariat apostolique permettra de se rendre compte si les démarches du Gouvernement étaient justifiées et ses espérances fondées.
- Le Patrimoine Et Le Personnel Enseignant Du Vicariat : Ecoles Centrales Et Rurales ; Catéchistes Et Moniteurs.
En 1925, lorsque le gouvernement pressentit le Vicariat apostolique, l’Eglise du Ruanda comptait douze grandes stations ou paroisses, pourvues chacune de leurs écoles centrales, mixtes ou distinctes, où enseignaient des moniteurs noirs et dix soeurs indigènes, sous la direction des prêtres blancs ou noirs et de vingt-six soeurs blanches. Chacune de ces stations était entourée d’une constellation de succursales, au nombre total de 236, soit une vingtaine moyennement pour chaque, écoles rurales autant que lieu de culte pour la plupart, où enseignaient catéchistes en moniteurs. La statistique globale accusait ainsi 200écoles, 304 catéchistes, 185 moniteurs, instruisant 17.475 élèves dont 10.013- garçons et 7.462 filles.
Or ces chiffres étaient en progression rapide. L’année suivante : 275 succursales, 336 catéchistes et moniteurs. 18.000 élèves. On a lu ci-dessus les effectifs de 1929. A cette dernière date le nombre des paroisses s’était accru de deux unités : celle d’Astrida au Mvejuru, et celle de Nyamasheke au Kinyaga, ouvertes toutes les deux en 1928, ce qui donnait une moyenne de 24 succursales par station centrale.
Quelle était, quelle est encore, la valeur professionnelle du catéchiste et du moniteur en tant qu’éducateurs et instituteurs ?
L’institution des catéchistes indigènes remontait aux toutes premières origines de l’évangélisation. On se souvient que Mgr Hirth avait emmené avec lui du Bukumbi en 1900 une douzaine de chrétiens baganda, auxquels serait confiée l’instruction des catéchumènes éventuels. La formation de jeunes internes à Isavi avait permis, quelques années plus tard, de se passer de leurs services. Dès ce moment l’ordre des catéchistes ruandais était né :il se recrutait parmi les néophytes les plus capables, lettrés et pieux, sauf le prélèvement en faveur du séminaire de prêtres.
Organe d’apostolat hiérarchiquement relié au centre de la paroisse, le catéchiste est par excellence un desservant de succursale. C’est un vicaire forain du curé, la cléricature en moins. Il est marié, vit en paysan au voisinage de la chapelle-école, cultivant avec femme et enfants sa bananeraie et son champ dans les mêmes conditions que ses congénères. Les produits de sa terre doivent suffire à sa subsistance. Il jouit d’immunités et exemptions en tant qu’attaché au service d’européens. En fait de corvées notamment il n’est astreint qu’à celles du chef de la colline, fixées présentement à une journée de travail par mois ; encore a-t-il la faculté de les racheter à raison de cinquante centimes par journée. Il paie d’ailleurs au fisc la capitation commune.
Son office ordinaire consiste premièrement dans la formation religieuse des catéchumènes, hommes, femmes,enfants, qu’il convoque trois fois par semaine pour des séances d’environ une heure et demie. Il leur fait apprendre oralement les prières, le catéchisme, l’histoire sainte, les cantiques en kinyarwanda et les chants liturgiques en latin, il les initie aux rites religieux et notamment aux sacrements de baptême, de pénitence et d’eucharistie. Il préside dans la chapelle les assemblées dominicales, la matinée et l’après-midi. Ce n’est là qu’une partie de sa tâche. Il est un agent recruteur dans son district ; il visite les malades ; il reçoit les confidences des chrétiens, dirime les controverses, aplanit les différends conjugaux, défend les faibles contre les forts. Il est dans sa sphère la grande autorité spirituelle, accordée à celle du missionnaire.
Il se tient en liaison continue avec le supérieur de la station, fréquentant l’église et les sacrements, donnant l’exemple du bon paroissien. Il est présent aux réunions de catéchistes au siège de la mission’ au moins une fois par trimestre et aux exercices spirituels de la retraite une fois l’an. Il reçoit à la succursale le missionnaire en tournée et y convoque les gens à cette occasion.
Le catéchiste est l’oeil et la main du curé. Il est à l’avant-garde de la progression conquérante. Sa fonction est un sacerdoce plutôt qu’une carrière. Son salaire est si minime qu’il peut tout au plus passer pour une indemnité. Sa profession est d’ailleurs hautement prisée et non pas seulement par les chrétiens. Celle du chef civil ne l’est pas davantage, encore que d’un autre ordre.
Le catéchiste devient instituteur dès qu’il compte parmi ses catéchumènes et chrétiens des enfants en âge de scolarité et des adultes encore non mariés. Car la règle reste en vigueur que les postulants de cette dernière catégorie ne sont pas admis au baptême, s’ils ne possèdent pas les rudiments de la lecture, leur permettant de suivre leurs prières ou leurs cantiques dans un texte écrit. C’est alors pour lui une charge supplémentaire de quatre heures, cinq jours sur sept dans la semaine. Le cycle de son enseignement s’étend sur deux années et embrasse les matières du programme du premier degré, lecture, écriture, calcul. La chapelle devient de la sorte une « petite école » ou « école rurale », sous la surveillance du missionnaire directeur de l’enseignement au centre de la station. L’enfant, mis ainsi en possession des rudiments, passe, selon le voeu de ses parents, à l’école centrale de la paroisse où une instruction du second degré lui est donnée pendant trois ans. On voit couramment petits garçons et petites filles faisant deux heures de chemin chaque matin pour venir à l’école, et autant au retour. Si leur habitation est trop lointaine, ils sont placés en pension chez des parents ou amis plus rapprochés du centre.
Lorsque la succursale s’est ainsi muée en école primaire, sans laisser d’être chapelle, le catéchistes ne pouvait suffire à la besogne, se voit adjoindre des aides, catéchistes ou moniteurs, dont il reste le doyen, et qui participent à ses obligations spirituelles comme à ses avantages temporels. Une succursale telle que Kilengeri, à dix kilomètres de Kabgayi sur la route de Nyanza, groupant autour d’elle deux mille adeptes et amenant à la paroisse pour le baptême, bon an mal an, trois ou quatre cent néophytes, emploiera neuf catéchistes et moniteurs.
Avec le développement de la chrétienté le nombre des succursales dans le rayon d’une circonscription paroissiale s’accroît jusqu’à la pléthore, monte à cent et au-delà. La distraction d’un certain nombre s’impose autour d’un nouveau centre à la périphérie. Une station se crée qui débute aussitôt avec quinze ou vingt succursales. A la fin de 1938, le Vicariat comptait, pour 27 paroisses ou stations, 1.042 chapelles-écoles, donc une moyenne de 38 pour chacune, 1.232 catéchistes et moniteurs, et enfin une population estudiantine de 68.000 en chiffres ronds, non comptés les catéchumènes illettrés.
- La Formation D’Un Personnel Enseignant Spécialisé, Laïque Et Religieux : Écoles Normales Et Séminaires
Le personnel enseignant des écoles primaires est de plus en plus exclusivement indigène. Les blancs, Pères et Soeurs, assument la direction générale et particulière, mais se réservent pour l’enseignement normal et l’enseignement professionnel ou technique. Les moniteurs laïques, qui sont encore la très grande majorité, sont préparés aux diplômes d’aptitude dans des sections spéciales des écoles centrales. Pour eux doit s’ouvrir à Zaza une école normale d’instituteurs, confiée à la direction des Frères de la Charité de Gand.
Pour l’instruction des filles dans les stations, le Vicariat apostolique dispose des Benebikira, congrégation principalement enseignante, dont les sujets au nombre de 78 en 1938 ont été préparés aux diplômes à l’école normale d’Isavi. Pour l’instruction des garçons, aussi dans les écoles centrales, l’institut des Bayozefiti est revenu à la vie en 1929, et sa croissance a étési rapide qu’il compte en 1938 une cinquantaine de sujets : ces Frères noirs suivent pendant trois ans des cours d’école normale à Kabgayi. Ils parlent couramment le français.
Enfin les séminaires fournissent aussi des maîtres. Là seulement au Ruanda se donne l’enseignement classique, secondaire et supérieur. Le français et le latin sont à la base. Le sixième seulement environ des étudiants qui entreprennent le cycle de quatorze années de préparation exigées pour la prêtrise arrivant au terme, les autres, c’est-à-dire la majorité, éliminés ou s’éliminant d’eux-mêmes à des étapes diverses de leur formation, entrent volontiers dans les cadres de l’enseignement et en constituent les éléments les plus cultivés. Le petit séminaire a possédé une section d’école normale, qui s’ouvrait aux candidats ayant renoncé à la carrière ecclésiastique et désirant se vouer à l’enseignement. Un certain nombre des données que nous venons de soumettre au lecteur anticipent sur l’avenir, sont au point d’arrivée et témoignent de l’efficacité de l’appui accordé par le Gouvernement à l’oeuvre des missions. Mais si l’on s’en tient uniquement aux chiffres de 1929 ou même de 1925, on voit quelle avance avait prise dans le domaine de l’Enseignement l’Eglise catholique, et combien elle méritait la confiance et l’aide de l’Etat. Le Rapport de 1930 présente en ces termes la synthèse des résultats obtenus dès cette époque, alors que la nouvelle politique scolaire n’en est encore qu’à la période d’essai : a 44.097 élèves suivent les cours des différentes écoles du Territoire sous Mandat. Dans ce nombre ne sont pas comptés les élèves’ des classes de caractère rudimentaire des vicariats apostoliques du Ruanda et de l’Urundi, lesquels dépassent les 20.000. Trente années de constants et laborieux ‘efforts ont abouti à ce résultat ». Pour une population globale d’environ trois millions et demi d’âmes à cette époque, ce chiffre de 64.000 lettrés ou demi-lettrés donnerait un pourcentage de 2 %, ce qui reviendrait à dire que les deux cinquièmes environ des enfants en âge de scolarité étaient déjà, atteints, plus ou moins, par les bienfaits de l’instruction.
Telles étaient les ressources que le vicariat pouvait mettre, ou était prochainement en mesure de mettre, à la disposition de la Puissance mandataire pour le service de l’enseignement public. De son côté, la Société belge des Missions protestantes, la seule qui fût « nationale », présentait dès l’année 1929, autour de ses trois stations de Kirinda, de Rubengera et d’Iremera, une couronne de trente-huit écoles, centrales et rurales, desservies par cinq professeurs blancs, les pasteurs eux-mêmes, 45 moniteurs noirs et 2.428 écoliers, dont un quart de sexe féminin.
- Conditions A Réaliser Par L’Enseignement Libre Pour L’Obtention Des Subsides
La substance des clauses du contrat signé par Mgr Classe, le premier janvier 1930, pour l’Eglise du Ruanda, est présentée dans le Rapport de 1929 sous la forme qui suit. :
« Les Sociétés de Missionnaires pourvoient elles-mêmes aux bâtiments, mobilier, fournitures des écoles sudsidiées ». Les subventions que l’Etat leur alloue pour les agrandissements nécessaires et pour les constructions à neuf ne profitent qu’à elles. Le recrutement du personnel enseignant leur incombe exclusivement. Ne sont financièrement aidés que les écoles et les maîtres qui remplissent certaines conditions d’hygiène et de capacité. « Les subsides sont attribués par classe ou école organisée. Ils varient d’après le degré d’instruction, le nombre des instituteurs et celui des élèves. L’instituteur porteur d’un diplôme d’aptitude touche un subside annuel de 600 francs pour chaque groupe d’au moins 25 élèves effectivement présents. L’école reçoit un subside de 47 francs par élève du IIème degré seulement pour entretien des locaux, frais de matériel didactique, secours aux élèves indigents ».
«Le missionnaire inspecteur », nommé par l’Evêché pour l’ensemble des écoles subsidiées, en résidence au chef-lieu du vicariat, subordonné à un inspecteur général, fonctionnaire, d’Etat, en résidence à Usumbura, « reçoit une indemnité annuelle de 15.000 francs ». Les écoles sont de deux catégories : les rurales, dans les chapelles-écoles ou succursales ; elles ne peuvent donner qu’une instruction du premier degré, à laquelle suffisent normalement deux années d’études ; elles dégrossissent les commençants et se bornent aux rudiments. , elles sont pourvues de tableaux noirs ; les petits écoliers ont à leur disposition pour le moins ardoise et crayon ;
— les centrales, situées au chef-lieu de la paroisse ; au premier degré d’instruction elles ajoutent un second qui exige trois nouvelles années d’études ; le programme pour les garçons comporte à la quatrième et à la cinquième année quelques notions et exercices pratiques de français.
Chaque école, centrale ou rurale, est pourvue d’un champ d’expérience, petite exploitation agricole, où les élèves se forment par un travail éducatif et s’initient aux perfectionnements des méthodes de culture. L’instituteur, pour avoir droit aux allocations de l’Etat, doit posséder un diplôme de troisième année d’école normale, diplôme délivré par l’inspecteur diocésain. Dans le but de ménager une transition rendue nécessaire par la rareté des instituteurs accomplis, l’Etat n’exige momentanément qu’un diplôme de moniteur. Ce ne sont donc pas toutes les écoles ni tous leurs régents qui émargent au budget du Territoire. En 1930 au Ruanda 200 écoles ou sections seulement et 302 moniteurs catholiques contre 410 stations ou chapelles-écoles et 560 maîtres sont subsidiés ; en 1938 seulement 36 écoles centrales et 340 écoles rurales, ainsi que 540 moniteurs et 64 monitrices catholiques, alors que 694 chapelles-écoles et autant de catéchistes ou moniteurs restent hors des largesses de l’Etat.
En ce qui concerne la fidélité avec laquelle le vicariat observe les conditions du contrat, on peut s’en tenir à la réponse que la Puissance mandataire faisait en 1936 à une question posée à ce sujet par la Commission permanente des Mandats. Elle déclarait que le chef du service de l’Enseignement ayant visité dans le courant de cette année les écoles de Kabgayi, de Kansi, d’Astrida et d’Isavi, il avait constaté que le programme du gouvernement y est consciencieusement appliqué, que les locaux, dans leur ensemble, sont en bon état, que le matériel scolaire répond aux nécessités locales, enfin que le nombre des élèves absents est minime, preuve de l’intérêt que les parents ont commencé à prendre à la fréquentation des écoles après s’être rendu compte des bienfaits de l’instruction. »
La Belgique n’avait donc qu’à se louer des résultats de sa politique scolaire, profitant pour le mieux aux intéressés et soulageant par surcroît les finances publiques.
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