Les problèmes de la terre

135.Avec une superficie de 54.172 kilomètres carrés et une population de 4,5 millions d’habitants, le Ruanda-Urundi est une des régions d’Afrique les plus densément peuplées (moyenne 81,51 habitants par km2 pour le Territoire sous tutelle entier – 90,14 pour le Ruanda, 73,33 pour l’Urundi; la moyenne du territoire le plus peuplé (Ruhengeri) est de 172,51; celle du territoire le moins peuplé (Kibungu) 30,66.

136.Comme la population est avant tout agricole et pastorale, qu’elle est en voie d’augmentation rapide, que le pays n’est pas industrialisé, et que les terres sont pauvres et dégradées, l’insuffisance de terres est un des problèmes les plus graves du Ruanda-Urundi. Cette situation est exposée en détail dans les rapports annuels de l’Autorité administrante, ainsi que dans l’« Étude de la population, de l’utilisation des terres et du régime foncier au Ruanda-Urundi » soumise en mars 1957 au Comité pour le développement économique rural du Conseil de tutelle.

137.L’Autorité administrante, plus que quiconque, est consciente de cette situation, que le Gouvernement du Territoire sous tutelle résumait récemment en ces termes : « Le Ruanda-Urundi souffre d’une disette croissante de terres fertiles cultivables. L’augmentation de la population accentue cette disette. L’érosion des sols cultivés la rend plus aigu plus encore, et ce malgré des prélèvements incessants et dangereux pratiqués au bénéfice des étendues cultivées, parmi les déjà trop rares et trop pauvres pâturages du pays ».

138.La Mission se contentera de traiter de quelques aspects particuliers du problème des terres : les paysannats, les secteurs pilotes, le génie rural et le régime foncier.

139.Le paysannat vise à regrouper les populations, avant tout sur des superficies encore inoccupées et dans des régions non saturées et à créer une discipline agricole permettant l’amélioration des rendements culturaux. De plus l’aspect social, (hygiène, enseignement, vie sociale) y est développé au même titre que l’aspect agricole de l’opération.

140.La Mission a visité plusieurs de ces paysannats et en premier lieu celui de la Ruzizi, situé dans la plaine alluvionnaire de la Ruzizi, près d’Usumbura, dans la région naturelle de l’Imbo, qui couvre environ 170.000 hectares. Le développement de ce paysannat a commencé en 1949. Il est occupé par les habitants de la région de l’Imbo, qu’on a regroupés, par des immigrants Barundi des hauteurs voisines, et par des saisonniers, qui eux ne restent dans le paysannat que pendant des périodes assez courtes. L’assolement se fait en fonction d’une rotation portant sur huit années. Chaque paysan reçoit 4 hectares (630 x 63 m) de terres : huit parcelles de 40 ares sont destinées aux cultures, une parcelle de 40 ares est résidentielle et une parcelle de 40 ares sert pour les reboisements. Dans la parcelle résidentielle, le paysan installe sa case et ses dépendances, plante quelques arbres fruitiers et cultive tout ce qu’il désire. Quant aux huit parcelles de terres de culture, elles sont cultivées pendant quatre ans (deux années de coton, avec arachides si possible, puis deux années de manioc avec haricots et maïs intercalaires), suivis de quatre années de jachère. En fin 1946, environ 7.485 lotissements avaient été piquetés et 5.672 occupés par autant de familles. De plus, il avait été établi un paysannat rizier sur des terrains aménagés en rizières, où 372 familles sont maintenant installées. Des travaux de drainage et d’irrigation d’eau ont été faits, et le ravitaillement en eau potable a été assuré. Sur le paysannat ont été greffées deux coopératives groupent quelque 5.000 coopérateurs.

141.L’installation du paysannat de la Ruzizi a occasionné de 1949 à 1956 des dépenses de l’ordre de 21,6 millions de francs. Les budgets de 1957 et 1958 prévoient encore 16,5 millions de francs. Le paysannat a rencontré les faveurs des habitants de la plaine, et leur installation s’y est faite sans difficulté. Au point de vue agricole, l’Administration estime que les paysans ont acquis une certaine discipline permettant la conservation du sol, par l’application d’un système rationnel d’assolements, qui aide efficacement dans la lutte contre les feux de brousse et l’érosion. D’autre part, les cultivateurs n’ont plus à perdre des heures pour se rendre à leurs champs; la disposition judicieuse des lotissements fournira éventuellement le moyen de pratiquer dans l’avenir une mécanisation agricole collective; les cultures, sont à l’abri des déprédations des animaux sauvages; le reboisement individuel peut démarrer facilement avec un léger effort de propagande; enfin, le rendement à l’hectare a été accru, grâce l’amélioration des méthodes culturales, rendue possible par une propagande plus facile, et en ce qui concerne le coton, par la désinsectisation. Le paysannat a accru les rentrées pécuniaires du paysan et a augmenté son niveau de vie.

142.La Mission a été très favorablement impressionnée par les paysannats de la Ruzizi. Elle a aussi examiné avec intérêt les plans pour les villages agricoles, comme celui de Lubirizi, comptant quatre blocs de cinquante parcelles résidentielles environ, séparées par une place publique, un centre de bâtiments administratifs pour le village (bureau, tribunal, dispensaire), un terrain de sports, et des hangars agricoles, et deux emplacements pour églises et écoles. L’Autorité administrante considère que les paysannats de fa Ruzizi constituent un exemple de ce qui doit être fait pour chacune des grandes régions peu peuplées, dont la mise en valeur intensive est projetée.

143.Fort des résultats obtenus dans les paysannats de la Ruzizi, le gouvernement a entamé il y a quelques années, avec l’aide technique de l’INEAC, l’extension des « alignements-lotissements-( Un « alignement-lotissement » est une opération aboutissant à l’alignement des cases le long d’une piste, chaque habitation ayant autant que possible, dans son voisinage toute la tenure correspondante pour la culture.)dans les régions non saturées (régions où il y a au moins deux hectares de terre à vocation agricole par homme adulte valide). Le dégorgement des régions sursaturées (régions où chaque homme adulte valide dispose de moins de 1 1/2 hectare de terres cultivables) vers les régions non saturées, se fait, d’après la distance séparant les deux régions, par glissement, par échanges individuels ou par migration. Il existe treize de ces alignements-lotissements en cours au Ruanda et en Urundi, comportant 2.446 parcelles occupées, de 2 à 4 hectares (et parfois 5 1/2 hectares si on y fait du mixed farming). La Mission a visité les paysannats du Mosso (au sud de l’Urundi) et du Ntyazo(au Ruanda, près de Nyanza) et elle en a retiré une impression très favorable. Elle estime que les programmes de paysannat, dont l’intérêt semble maintenant pleinement compris et apprécié par les autochtones, contribueront utilement à la solution malheureusement partielle du problème de l’insuffisance des terres et de l’amélioration du rendement agricole, non seulement des cultures vivrières, mais aussi des cultures industrielles, comme celle du café. En effet, la plantation rationnelle des caféiers le long des pistes, en blocs compacts, susceptibles de recevoir systématiquement des engrais et d’être l’objet de mesures de contrôle et de traitement phytosanitaire collectif et mécanique permettra une augmentation considérable de la production dans les années à venir.

144.Alors que les paysannats s’adressent plus spécialement aux terres qui ne sont que relativement peu peuplées, l’expérience des secteurs pilotes s’adresse aux zones surpeuplées. On y étudie le problème de la rationalisation générale de l’agriculture et de l’élevage, et de toutes les questions qui s’y rapportent sur le plan social, politique et foncier. En d’autres termes on y étudie les possibilités de réformer de fond en comble la vie sur les collines de manière à y susciter le meilleur équilibre entre l’homme, le sol, l’eau, la plante cultivée et le bétail, qui soit compatible avec les exigences des populations et la rigidité difficilement réductible de leurs coutumes. Deux secteurs pilotes expérimentaux ont été ainsi choisis, l’un au Ruanda, l’autre en Urundi, dans des régions typiques de surpopulation et de surpopulation.

145.L’expérience a débuté par une série de mesures et d’études. La cartographie a été réalisée sur base de photographies aériennes; le cadastre des occupations et des plantations a été dressé; la vocation des terres a été déterminée par des études pédobotaniques; des recherches ethnologiques ont déterminé l’histoire des sous-chefferies, les traditions des familles qui les occupent, la nature et l’ancienneté des droits qu’elles détiennent sur la terre ou sur l’herbe et des hypothèques de réminiscence féodale qu’y maintient le pouvoir politique;’ un économiste a fait l’inventaire des objets mobiliers et supputé les revenus des indigènes; un anthropologue agricole a étudié les méthodes et les gestes du cultivateur et du pasteur.

146.Ces études ont occupé les six premiers mois de l’expérience. Les premières transformations de l’environnement ont été réalisées ensuite. Avec le consentement des indigènes, les tenures ont été remembrées en forme de lotissements délimités, comme dans les paysannats, par la grille antiérosive préalablement réalisée; le remembrement a rendu à chaque famille indigène une parcelle de superficie au moins égale à celle qu’elle détenait; ceux dont les terres n’atteignaient pas un hectare et demi se sont vu accorder un lotissement de cette superficie. Ce minimum sera d’ailleurs porté à deux hectares sur les collines qui feront l’objet de travaux ultérieurs des secteurs pilotes. Le conseil de sous-chefferie a admis le principe de l’indivisibilité des parcelles inférieures à deux hectares.

147.Les habitations sont venues s’aligner le long d’une piste s’inscrivant sur une courbe de niveau de la colline. Graduellement, les indigènes planteront une nouvelle caféière le long de la piste et ramèneront la bananeraie derrière la nouvelle habitation. Celle-ci sera généralement une maison améliorée (bois et pisé, ou briques sèches) de type rectangulaire, marquant un grand progrès sur la hutte hémisphérique traditionnelle. Les cultures s’alignent dans les bandes que délimitent les haies antiérosives, en suivant le principe des bandes alternes qui réalise une proportion égale de culture et jachère.

148.Pour les tenures dont la superficie ne permettait pas à tous les chefs de foyer de disposer du minimum de terres nécessaire, le chef de famille a désigné un de ses dépendants pour aller s’établir en dehors de la colline-pilote. Pendant cette période d’installation, le cultivateur transplanté bénéficie de l’assistance de sa famille – indépendamment de celle du personnel en charge du secteur pilote qui a aménagé des lotissements à cette intention – et continue à bénéficier des fruits de ces plantations.

149.Ces travaux ont été réalisés par les indigènes eux-mêmes sous la direction de l’Office de valorisation des produits indigènes du Ruanda-Urundi (OVAPIRU). L’intérêt de cette expérience consiste dans le fait qu’elle est faite sur très petite échelle (dans le centre pilote de Butare que la Mission a visité, l’expérience ne portait que sur vingt-huit familles), mais d’une manière aussi minutieuse que scientifique. Le personnel d’exécution de chaque secteur est constitué d’un ingénieur agronome, un agronome et un zootechnicien, avec de plus un médecin vétérinaire pour les deux secteurs; il bénéficie des conseils d’un directeur politique appartenant au service territorial, des agronomes du gouvernement et des spécialistes de l’INEAC. Il a pour mission d’observer et d’étudier sans cesse, d’obtenir la collaboration et la confiance de la population et de ne rien entreprendre sans son assentiment.

  1. Les premières réalisations des secteurs pilotes portent surtout sur le domaine agricole. Mais un essai est également en cours sur des collines, où le problème est celui des grands domaines pastoraux des éleveurs, et où l’on tente de les remplacer par un système de fermettes entourées de pâturages suffisants.

151.Des fonctionnaires expérimentés mettent beaucoup d’espoir dans ces expériences et espèrent qu’avec le temps, les leçons tirées des secteurs pilotes fourniront des solutions valables aux problèmes de l’utilisation rationnelle des terres au Ruanda-Urundi, du remembrement foncier et de l’élimination du bétail improductif. Bien qu’il soit trop tôt pour former des conclusions définitives, la Mission estime que l’expérience des secteurs pilotes est du plus grand intérêt et mérite tous les encouragements.

152.Un autre aspect de la question des terres qui a intéressé la Mission est celle du génie rural. Suivant certaines études de l’OVAPIRU, il existerait encore au Ruanda-Urundi 400.000 hectares de terres incultes parce que trop sèches ou trop humides, mais qui seraient récupérables par des travaux de génie rural; ces travaux sont importants parce que d’eux dépend le succès de programmes coûteux et considérables, comme par exemple les paysannats, comportant des risques économiques et politiques. Ces travaux sont actuellement répartis entre une série de services et d’organismes différents tels que le service de l’agriculture, l’OVAPIRU, la mission hydrologique, etc. A la dernière session du Conseil général, le Gouverneur a proposé de créer une « mission de génie rural » destinée à préparer les grands programmes de génie rural et notamment à assurer l’exécution des six phases suivantes :

a)Etude sommaire et estimation approximative des dépenses en un site repéré comme susceptible de permettre une mise en valeur par génie rural;

b)Essai agronomique : recherche des plantes susceptibles de prospérer, essais de rendement;

c)Etude d’économie rurale : analyse des possibilités de débouchés; marketing, prix, tonnages, transport;

d)Etude politique : examen des droits préexistants, des indemnisations à prévoir, des conciliations à réaliser entre cultivateurs et éleveurs dans les zones irriguées;

e)Si les études b), c) et d) concluent favorablement, une nouvelle étude détaillée cette fois, du projet de génie rural (à faire effectuer, au besoin, par une firme spécialisée, américaine ou autre) afin de disposer de chiffres précis sur le coût de base;

f)Examen final des possibilités offertes par le projet, tant pour augmenter le revenu national que pour majorer les recettes du Trésor et amortir l’investissement.

153.Cette proposition fut très favorablement accueillie par le Conseil général. La Mission, qui rend hommage aux réalisations spectaculaires faites au cours des années précédentes, en matière de drainage, de mise en culture des fonds marécageux, de luttes antiérosives, de reforestation, etc. avec des moyens très modestes, se réjouit de voir que l’Autorité administrante va s’attaquer maintenant aux problèmes de génie rural sur une échelle beaucoup plus grande et avec des moyens beaucoup plus considérables.

154.Le régime des droits fonciers est sans doute un des problèmes les plus importants à résoudre au Ruanda-Urundi.

155.Les terres non indigènes ne constituent pas de problème, car elles sont une proportion infime par rapport à l’ensemble du Territoire et ne s’accroissent guère (163 km2 occupés par le gouvernement pour des usages publics et 221 km2 par des non-autochtones, dont 48 km.2 aux mains des missions religieuses pour le culte ou l’enseignement; la superficie totale du Territoire est de 54.172 km2). Par contre le régime de la propriété foncière indigène est extrêmement complexe. Il résulte d’études faites par des fonctionnaires de l’Administration que traditionnellement le Mwami est le seul propriétaire de toutes les terres et de toutes les eaux du pays, et cette qualité de propriétaire éminent est pour ainsi dire inaltérable car il est comptable vis-à-vis de ses ancêtres du pays que ceux-ci ont conquis et il ne peut donc en aliéner une partie. Il ne fait que concéder la jouissance des terrains.

156.Il existait des terres de pacage qui étaient, soit de simples concessions foncières sans droits politiques, ou, ce qui était plus fréquent, des concessions à caractère politique conférant des droits de commandement et de perception de tributs. Parfois des collines entières furent réservées aux seuls troupeaux du chef ou du Mwami. Devant l’accroissement incessant de la population et la nécessité vitale de caser les agriculteurs, le pouvoir politique mututsi dut établir d’office des cultivateurs dans les domaines pastoraux reçus jadis du Mwami par les éleveurs. Mais des droits pastoraux y étaient conservés sur les jachères.

157.Les terres étaient cédées aux cultivateurs par le Mwami, les chefs, les sous-chefs ou tout autre particulier qui à un titre quelconque faisait figure de patron foncier. Le bailleur s’obligeait à en laisser la jouissance aux fermiers pendant une période déterminée ou indéterminée moyennant une indemnité et toutes sortes de prestations, de services et de tributs.

158.On voit ainsi combien était puissante l’emprise foncière, aussi bien que politique des Batutsi sur la terre et sur les hommes.

159.Cependant des règles intervinrent pour assurer la stabilité des occupations et l’autochtone, s’il n’est pas encore véritablement maitre de ses terres, ne peut cependant plus en être arbitrairement dépossédé.

160.Ces coutumes à caractère féodal évoluent progressivement vers la reconnaissance de la propriété individuelle des autochtones sur les terres qu’ils habitent, cultivent et exploitent. La reconnaissance légale de la propriété foncière individuelle est exigée par le Manifeste des Bahutu, avec un système d’enregistrement au niveau de la sous-chefferie (ce qui existe d’ailleurs déjà au greffe de certains tribunaux indigènes). Mais le Manifeste conclut prudemment « qu’au sujet de la propriété foncière, il ne faudrait pas que les mesures soient prises trop rapidement, même sur proposition du Conseil de Pays, dont bon nombre des membres seraient tentés de voir le problème d’une façon unilatérale ou sans tenir compte des difficultés ou des aspirations concrètes des roturiers de métier ».

161.Le Conseil supérieur du Ruanda a mis le problème foncier à l’étude, car depuis la suppression de l’ubuhake et le partage du bétail s’est posée une série de problèmes relatifs au régime foncier des pâturages. On y discute notamment des modalités selon lesquelles les pâturages devraient être mis en valeur sous peine de les voir réduire par rachat à un prix unitaire. On y discute aussi de la possibilité de conférer un droit de propriété plus ferme qu’auparavant aux terres mises en valeur suivant certains critères.

162.La création des paysannats et les déplacements des populations soulèvent également des questions de droits fonciers complexes et difficiles à résoudre.

163.De l’avis du Gouverneur, le problème foncier ne pourra être résolu qu’avec l’aide des autorités autochtones. Mais tant que les conseils seront composés en majorité de Batutsi, bénéficiaires du régime foncier ancien, il sera nécessaire d’être très persuasif pour les amener à se rendre compte qu’il est de l’intérêt de tous de voir le régime foncier coutumier s’adapter aux conditions nouvelles. A cet égard, a-t-il dit, il sera donc nécessaire de brusquer quelque peu la coutume, mais cette attitude d’autorité doit raisonnablement se fonder sur une solide connaissance de la situation et aussi de la nature des réactions qu’une telle attitude est susceptible de susciter parmi les populations. Il a exprimé l’espoir que les secteurs pilotes et la mission de génie rural contribueront à la connaissance des éléments de ces problèmes et à leur solution.

164.La Mission ne peut que reconnaître l’importance et la complexité du problème foncier et recommander à l’Autorité administrante de continuer par tous les moyens à en hâter la solution. Elle se demande également si l’Autorité administrante ne pourrait pas éventuellement consulter des experts étrangers ou profiter de l’expérience que d’autres pays, ayant eu à faire face à des problèmes semblables, auraient pu acquérir dans ce domaine délicat. La Mission est cependant consciente du fait que les problèmes fonciers se posent probablement au Ruanda-Urundi de manière très spéciale et peut-être même unique. Mais elle note qu’en 1956 un membre du Conseil supérieur du Ruanda avait proposé qu’une commission étudiât le problème foncier à l’étranger, par exemple en Uganda. Cette proposition ne fut pas adoptée, mais il fut suggéré de se documenter auprès d’un fonctionnaire belge qui avait séjourné en Uganda et qui était de plus particulièrement au courant des questions foncières au Ruanda.

165.Le Gouverneur du Territoire sous tutelle est un ancien professeur d’université; ancien secrétaire général de l’Institut pour la recherche scientifique en Afrique centrale (IESAC) et ancien secrétaire de l’Union Internationale pour la protection de la nature, qui s’est toujours spécialement intéressé à la lutte contre la dissipation des ressources naturelles. Il possède au plus haut degré l’expérience nécessaire pour animer ces études si décisives pour l’avenir du Territoire.

 Agriculture et élevage

166.La production agricole du Ruanda-Urundi reste avant tout centrée sur les cultures vivrières. En 1956 les surfaces consacrées aux cultures vivrières avaient passé de 1.5.500 km2 à 12.900 km2, soit une diminution de 4,5 pour 100 alors que la production avait passé de 6.470.000 tonnes à 6.600.000 tonnes, soit une augmentation de 2 pour 100; mais l’Administration estime qu’il serait hasardeux de tirer des conclusions de ces chiffres. D’ailleurs, si la production vivrière avait augmenté de 2 pour 100, la population, elle, avait augmenté de 2,8 pour 100.

167.Cette production vivrière, malgré son importance, n’intervient cependant encore que très faiblement dans la naissance du revenu monétaire des paysans. Ce pourcentage est vraisemblablement en augmentation constante. Les travaux de paysannat et de génie rural qui se multiplient vont permettre progressivement l’apparition de groupes de plus en plus nombreux de producteurs et de vendeurs de vivres, tandis qu’une augmentation concomitante des productions industrielles du type café donnera à nombre de paysans les ressources en numéraire nécessaires pour l’achat des vivres indispensables à leur subsistance. Mais cette constitution de zones complémentaires, définie dans le plan décennal, n’en est encore qu’à ses débuts et la plus grande part du revenu monétaire actuel du paysan provient toujours de ses cultures de rapport et de son élevage.

168.Les mesures réglementaires destinées à détourner les menaces de famine et à parfaire l’éducation agricole, et imposant à la population des cultures vivrières de superficie annuelle minimum, sont toujours en vigueur. Il y a des années maintenant que les campagnes vivrières se déroulent, chaque saison, égales à elles-mêmes. Leur importance n’a pas décru. Mais le travail ne requérant désormais plus que de la vigilance et de l’activité, puisque le stade est franchi des nouveaux problèmes techniques à résoudre, il a semblé raisonnable à l’Administration d’en laisser la responsabilité aux chefs et aux sous-chefs auxquels pourront désormais être subordonnés les assistants et les moniteurs agricoles; ceux-ci n’avaient dépendu jusqu’ici que des seuls membres du personnel du Service de l’agriculture. Aussi en fin 1956, à titre d’expérience dans certaines chefferies, la conduite des campagnes vivrières a été confiée entièrement aux autorités autochtones locales. L’Administration estime que l’expérience semble avoir réussi et apparait donc susceptible de généralisation. Il serait, dès lors, possible de libérer ainsi un nombre appréciable d’agronomes et d’utiliser pleinement leurs compétences techniques pour les entreprises de génie rural et de paysannat sur lesquelles reposent les meilleurs espoirs de redressement agricole du pays.

169.En tête des cultures de rapport figure toujours, et malgré les efforts accomplis pour introduire de nouvelles cultures riches, la culture du café qui constitue encore malheureusement une quasi-monoculture d’exportation. Il y a environ 55 millions de caféiers au Ruanda-Urundi, dont 5 millions plantés en 1956. La production de 1956 a été en baisse par rapport à celle de 1955 (17.835 tonnes de café par rapport à 21.400 tonnes), mais la production de 1957 dépassera probablement 28.000 tonnes. En septembre, 21.000 tonnes avaient déjà été exportées.

170.Le recul de la production observé en 1956 par rapport au record de 1955 fut compensé par une hausse très sensible des cours mondiaux ce qui permit de relever largement le prix d’achat du café parche à l’indigène, à l’époque des achats les plus importants. Celui-ci oscillait alors à Usumbura autour de 34 francs le kilogramme contre 23 francs l’année précédente. Pour la campagne de 1957, ce prix fut ramené à un niveau plus bas, de l’ordre de 28 francs en moyenne.

171.Le pouvoir d’achat acquis par l’ensemble des producteurs indigènes de café, estimé de l’ordre de 600 millions de francs en 1956, passera largement cette année le cap des 700 millions, la baisse des prix étant plus que compensée par l’augmentation de la production.

172.Dans un but de protection des intérêts des planteurs, un prix minimum d’achat du café parche aux producteurs est fixé pour chaque localité; ces prix minima changent avec les variations des cours à l’exportation.

173.Par ailleurs, on observe chez les planteurs, une tendance de plus en plus marquée à se grouper soit en coopératives de statut légal, soit en associations libres, afin de pouvoir, par le groupage des productions individuelles, s’adresser directement au commerce d’exportation, dans le but d’obtenir de meilleurs prix. La Mission a visité la coopérative de Nkora, en territoire de Kisenyi qui est entrée en activité en 1957, et qui groupe 4.700 coopérateurs. Le commerce intermédiaire assure encore, toutefois, la collecte de la plus grande part de la production dans les centres commerciaux et les centres de négoce de l’intérieur.

174.Un organisme parastatal, l’Office des cafés indigènes du Ruanda-Urundi (OCIRU) fut créé en 1945 dans le but de promouvoir les débouchés du café arabica de plantations indigènes, et notamment d’en aider et améliorer la production, l’usinage et le conditionnement. Tous les cafés arabica indigènes sont classés par les soins de cet Office en différents types connus sur les marchés internationaux. La plus grande partie de la production de café du Ruanda-Urundi est exportée vers les Etats-Unis.

175.Depuis mi-septembre 1957, un nouveau pas en avant a été fait dans l’intensification de la culture du café. Ce risque est pris délibérément, malgré la conjoncture défavorable, parce qu’il correspond à une possibilité d’augmenter considérablement la production locale du café sans augmenter les surfaces sous culture. Un programme a été établi qui vise à définir les terroirs du Territoire qui conviennent particulièrement à la culture du café et se prêtent à l’application d’engrais. L’Office des cafés indigènes du Ruanda-Urundi vient de décider de le financer à raison de dix millions de francs belges par an. Ces crédits permettront à une équipe de techniciens de l’INEAC et de l’OCIRU de prospecter le pays méthodiquement afin de pouvoir utiliser rapidement les engrais minéraux, tandis que l’INEAC mène sur cette délicate question des engrais une étude fondamentale qui en apportera une solution plus élaborée mais qui devra porter sur sept à huit ans.

176.Il n’est pas douteux que, pour le moment, le café reste toujours la culture vers laquelle se tournent les principaux efforts, malgré l’incertitude du marché. A cet égard, d’ailleurs, le Ruanda-Urundi se trouve dans une position particulière parce que sa production, avec celle de la Colombie, constitue heureusement par sa qualité et son arôme, une sorte de complément du café brésilien. Il est ainsi possible d’admettre que l’augmentation de la production de certains cafés dans le monde n’est pas nécessairement pour le Ruanda-Urundi une menace.

177.Le coton, qui vient en seconde position parmi les cultures indigènes de rapport, est produit dans les régions basses de la plaine de la Ruzizi et dans la bande côtière du lac Tanganyika. L- production de coton-graines oscille depuis quelques années entre 5.000 et 7.300 tonnes et apporte aux planteurs un revenu annuel de 30 à 44 millions de francs. Le revenu moyen par planteur, pour 1956, année assez médiocre, dépasse 1.800 francs.

178.En dehors des deux principales cultures de rapport, café et coton, il faut encore citer, parmi les activités génératrices de revenus monétaires pour les indigènes, l’exploitation des palmeraies situées le long de la rive nord-est du lac Tanganyika, et, dans les régions d’altitude, la culture du tabac, de l’orge et du froment. La cueillette du ricin, stimulée par les cours élevés du produit et la réduction récente des droits de sortie, est aussi une source de revenu non négligeable. Le revenu global correspondant à ces activités agricoles secondaires peut être estimé de l’ordre de 35 à 4o millions de francs par an.

179.Quant à la production agricole non indigène, elle est très limitée : un peu de café, de thé, de sisal, de quinquina et de pyrèthre; le tout pour une valeur d’exportation de l’ordre de 25 millions de francs.

180.Le problème du bétail au Ruanda-Urundi est celui de la surcharge d’un bétail économiquement sans intérêt et pour lequel aucune solution vraiment satisfaisante n’est, en fait, intervenue. Le problème se pose dans toutes les régions pastorales de l’Afrique noire, mais il est particulièrement aigu au Ruanda-Urundi. Le rôle de la vache dans l’organisation politique et sociale du Territoire est bien connu du Conseil de tutelle. On a parlé à juste titre de la mystique de la vache au Ruanda-Urundi. Quiconque a assisté à la présentation des inyambo, au Mwami lors d’une fête coutumière ou officielle (comme celle à laquelle la Mission a eu l’occasion d’assister à Kigali) et a vu l’enthousiasme délirant que ce spectacle suscite, admettra sans peine qu’il est exact que la vache au Ruanda-Urundi est moins un animal qu’une institution.

181.Comme pourrait le faire remarquer un esprit méchant, si l’autochtone est coupable d’un amour immodéré pour un bétail si inintéressant du point de vue économique, l’autre grand coupable est le service vétérinaire. Trente ans d’action vétérinaire efficace contre les épizooties ont, en effet, presque décuplé le cheptel bovin. Aussi le plan décennal contient-il la phrase qui se passe de commentaires : « Le Ruanda-Urundi est un pays que le bétail écrase ».

182.Le problème du bétail a été résumé comme suit :

Un bétail pléthorique, encombré de non-valeurs, de production dérisoire, insuffisant à l’alimentation équilibrée de la population (overstocking);

Un cheptel dont le rôle social domine l’importance économique, et qui appartient pour ainsi dire à.tous et à personne (ubuhake);

Une exploitation selon des méthodes archaïques, subordonnées à des impératifs religieux et à des tabous immuables;

Des pâturages insuffisants, de qualité médiocre, dégradés par l’érosion, et sans propriétaires définitifs;

Un potentiel économique considérable, qui s’il était mis en valeur apporterait au pays l’équilibre économique et l’évolution sociale.

183.La solution de ce problème complexe pourrait, d’après les spécialistes, être trouvée en trois groupes d’opérations distinctes, qui seraient poursuivies simultanément :

a) Partage du bétail (suppression de l’ubuhake);

b)Elimination du bétail excédentaire (destocking);

c)Amélioration du cheptel conservé

 

1)Par l’installation des méthodes rationnelles d’élevage et l’éducation pastorale des autochtones;

2)Par la sélection du bétail et l’amélioration des pâturages;

3) Par l’amélioration de l’état sanitaire.

184.Quelles sont les réalisations de ce programme? En 1954, l’ubuhake fut aboli au Ruanda et en 1955 l’ubugabire en Urundi; les opérations de partage du bétail se sont déroulées depuis. Au Ruanda seul, en fin 1956, 79.461 partages, concernant 203.591 tête de bétail, avaient été opérés. Il a déjà été mentionné plus haut qu’on s’est aperçu depuis que le partage de bétail soulevait un nouveau problème foncier relatif aux pâturages.

185.En ce qui concerne le destocking, il s’agissait d’étudier la charge pastorale. Cette étude est faite par le Service Vétérinaire en collaboration avec l’INEAC, dans les stations de l’Etat et dans le milieu indigène. Ces essais permettront de fixer exactement la charge pastorale la plus judicieuse, et l’étendue du destocking nécessaire.

186.Pour l’élimination du bétail excédentaire et pour suppléer à la capacité d’absorption du marché intérieur, le plan décennal avait prévu la construction d’une entreprise étatique pour la conservation et le débitage des viandes et la valorisation des sous-produits. Il avait aussi été prévu de créer des associations d’éleveurs. On a provisoirement dû abandonner ces deux idées, et on s’est contenté pour le moment de des mesures pour stimuler la consommation de la viande et améliorer l’organisation des marchés. De plus un abattoir moderne sera construit à Usumbura.

187.Au point de vue destocking , on pourrait rappeler que le plan décennal proposait en 1951 de réduire le cheptel bovin, recensé à 975.000 têtes en 1949, et de le ramener à 530.000 en 1959, en éliminant chaque année près de 50.000 têtes en plus du croit normal du cheptel, estimé à 120.000 têtes par an. En 1957 on constate que le nombre de ce bétail est resté stationnaire au cours des huit dernières années se maintenant aux environs de 900 à 950.000 têtes. Quant au petit bétail, il est en augmentation constante, et s’élève à environ 1,5 million de capridés, 1,5 million d’ovidés et 6o.000suidés.

188.Par contre des progrès furent réalisés dans l’amélioration du cheptel à conserver par la création de centres vétérinaires, de fermes-pilotes et de fermettes pastorales Où les éleveurs purent améliorer leur formation pastorale; par l’étude de l’amélioration des pâturages naturels et le développement des cultures fourragères; par l’amélioration directe du bétail par la castration des mâles impropres à la reproduction; par la sélection et le marquage des bons géniteurs et la répartition en milieu indigène de taureaux sélectionnés; enfin par l’amélioration de l’état sanitaire du bétail.

189.Dans son discours au Conseil général, le Gouverneur a parlé des efforts faits et à faire pour aider les populations indigènes à mieux préserver le bétail contre les affections, à mieux le sélectionner, à mieux le nourrir et à mieux faire comprendre aussi sa véritable signification économique. Du succès de cette véritable croisade, concluait le Gouverneur, pourrait résulter pour l’économie du’ pays un bond en avant décisif pour son avenir.

190.La Mission aimerait se montrer optimiste, mais elle a plutôt tendance à croire que le chemin à parcourir est encore long pour transformer une richesse virtuelle et dangereuse par les menaces qu’elle comporte (overstocking) en une autre richesse réelle et productive, celle-là. Comme l’avait déjà fait remarquer la Mission de visite de 1948, « le problème est plus social que technique : lorsqu’on arrivera à transposer les notions de prestige et de valeur qui reposent sur le bétail en les faisant porter sur un autre objet ou une autre manifestation sociale, la solution technique du problème d’un élevage rationnel et économiquement intéressant sera aisée. »

 

Ressources minières, hydrauliques et industrielles

 

191.La production minière du Ruanda-Urundi se présente comme suit : 1955 1956

Un total d’environ 5.800 tonnes en 1956 contre 5.500 tonnes en 1955. Etant donné la chute des cours de certains produits, comme la tantalo-colombite, la valeur totale de la production de 1956 a été estimée à environ 270 millions de francs alors que celle de 1955 avait été estimée d’abord à 330 millions, puis à 228 millions de francs.

192.L’Etat n’exploite pas directement les ressources minérales, cette activité est concédée à des sociétés, et en ordre très subsidiaire à des colons miniers. Mais, en vertu des conventions qui doivent être conclues avec lui, le gouvernement se réserve le droit de contrôler ces entreprises, de leur imprimer l’impulsion conforme à l’intérêt général et de participer à leur gestion et à leurs bénéfices.

193.En 1956, les recettes publiques corollaires à l’activité minière ne dépassaient pas 8 pour 100 du budget. Elles ont continué à s’amenuiser en 1957 par suite de la réduction que la chute des cours mondiaux a imposée aux droits de sortie.

194.En 1956, les mines du Ruanda-Urundi intervenaient pour 18 pour 100 dans les exportations du pays mais cette proportion a également tendance à diminuer parce que le prix de revient des minerais exploités se situe souvent à la limite de rentabilité des gisements, et que le prix de vente des minerais en 1957 est nettement en baisse.

195.La situation de l’industrie minière n’est donc pas particulièrement encourageante, et le Gouverneur la décrivait en ces termes : « quelques sociétés minières marginales se débattant pour ne pas écrémer un sous-sol par ailleurs incomplètement exploré; une poignée de colons miniers, la plupart en prise à des difficultés et assurément peu préparés à soutenir efficacement le relèvement économique du pays ».

196.La prolongation de la durée de l’exploitation des mines actuelles pourrait être obtenue par une concentration des exploitations, une mécanisation plus poussée et des sources d’énergie à bas prix. L’exploitation des richesses minières nouvelles qu’une prospection géologique systématique du pays pourrait révéler devrait se faire d’une manière plus rationnelle que cela n’a été le cas jusqu’ici.

197.En ce qui concerne cette prospection, elle doit porter non seulement sur les minéraux déjà exploités, mais sur des produits nouveaux qui n’étaient pas intéressants autrefois et par conséquent n’ont pas été prospectés mais le seront devenus ou pourraient le devenir à l’avenir.

  1. La découverte de produits minéraux au Ruanda-Urundi n’a pas été considérée à priori comme très prometteuse; mais de toute façon le rapportaussi complet que possible de ces richesses est une tâche à accomplir de tous les habitants du Territoire.

 

  1. Or déjà dans le plan décennal pour le Ruanda-Urundi on faisait remarquer que toutle personnel attaché aux études géologique- et hydrologiques au Congo belge, comme au Ruanda-Urundi, faisait partie du cadre organique du Congo belge, et que l’insuffisance des effectifs prévus jointe aux difficultés de recrutement n’avaient permis d’effectuer au Ruanda-Urundi que des missions brèves; visant à résoudre des problèmes limités et urgents.

200.Il y a un an encore, aucun géologue n’était attaché au Territoire sous Tutelle. Depuis lors, certains progrès ont été réalisés grâce à l’aide venue des services du Gouvernement général à Léopoldville et il y a maintenant à Usumbura un conseiller minier et deux géologues.

201.Il semble cependant que le service géologique du Ruanda-Urundi ait besoin d’être renforcé et que la stabilité de son personnel dans le Territoire devrait être garantie. Il serait peut-être intéressant d’étudier en outre la création pour le Ruanda-Urundi d’un organisme analogue du « bureau minier » des territoires français, qui serait soit une société d’Etat, soit une société mixte (dont les ressources proviendraient en majorité de l’Etat, mais avec des apports des sociétés déjà intéressées au Ruanda-Urundi; ou susceptibles de s’y intéresser). Alors que le service géologique s’intéresserait à l’étude géologique générale, l’organisme nouveau s’occuperait plus spécialement (les tâches relevant de la prospection pour les ressources minérales et leur mise en exploitation éventuelle, et travaillerait en étroite collaboration avec le service géologique, qui mettrait à sa disposition ses archives et sa documentation. Réciproquement, le nouvel organisme communiquerait au service géologique et au service des mines toutes les informations qui les concernent. Ces projets pourraient peut-être envisagés dans le cadre des initiatives que le Gouverneur a estimé qu’il incomberait de prendre pour stimuler le développement et au besoin une certaine conversion de l’économie minière du Territoire.

  1. L’eau est une autre ressource précieuse du Territoire, non seulement à cause de son importance pour l’agriculture, l’élevage et la consommation de la population, mais aussi à cause des possibilités en énergie hydroélectrique. Aussi-est-il apparu indispensable d’être davantage renseigné sur l’importance réelle, comme sur la répartition dans l’espace et le temps des ressources hydrologiques du Ruanda-Urundi. Une Mission de quatre spécialistes (un météorologiste, un écologiste-botaniste, un pédologue et un géologue-hydrologue) a entamé au début de 1957 cette étude fondamentale.

203.Mais il n’y a pas de doute que les ressources potentielles du Territoire en énergie hydro-électrique sont grandes et que d’autre part le développement industriel du pays, et en particulier la rentabilité des exploitations minières demeure liée à la possibilité d’énergie électrique h bon marché. Le plan décennal avait prévu dans la vallée de la Ruzizi la construction d’une première centrale hydro-électrique capable de développer une puissance de 20.000 kW. On a renoncé au projet d’une centrale unique pour tout le Territoire, et on a estimé que la solution choisie de la construction de plusieurs centrales de moindre importance pourrait mieux en satisfaire les besoins.

204.Dans son dernier discours au Conseil général, le Gouverneur s’est élevé contre une politique de timidité à cet égard. Il a déclaré notamment que l’édification des indispensables centrales de la Ruzizi et de la Taruka s’était longuement heurtée à des objections incroyables, selon lesquelles leur maigre production serait pour de très nombreuses années largement supérieure aux possibilités d’utilisation du pays. Ce raisonnement, a déclaré le Gouverneur, ne peut être qu’un raisonnement à rebours pour qui veut l’essor économique du Ruanda-Urundi. Dans ce pays, le sauvetage n’est possible que si toutes ses régions susceptibles d’être industrialisées, une énergie hydro-électrique h bon marché est distribuée en abondance.

205.Aussi la Mission a été heureuse d’apprendre qu’Usumbura sera alimenté vers le mois de décembre 1958 par une centrale en construction sur la Ruzizi, et les principaux secteurs miniers du Ruanda pourraient l’être de leur côté en août 1959, s’il n’y a pas de retard dans les plans prévus pour la construction de la centrale de la Taruka.

206.En attendant, le gouvernement a adopté une politique de tarifs cherchant à stimuler l’économie par un abaissement du prix de l’électricité, et les réductions de tarifs ont déjà fait sentir leur effet; en effet, en 1956, la consommation à Usumbura a passé de 4,2 millions de kWh à 5,9 millions. Par rapport à 1952, la consommation en courent électrique à Usumbura a passé de 777.000 kWh pour l’usage domestique à 2.680.000 kWh, et la consommation industrielle de 271.000 à3.210.000  kWh.

207.La Mission voudrait mentionner qu’elle a été très intéressée par les travaux faits sur le lac Kivu, où l’Union chimique belge, agissant comme Conseil pour le Ministère des colonies, a été chargée d’étudier l’importance et les possibilités d’exploitation du méthane découvert dans les eaux du lac.

208.Le méthane est un gaz qui provient de la décomposition anaérobie du plancton, phénomène qui se passe dans tous les lacs. Mais par un phénomène unique (le lac Kivu est le seul cas connu) le gaz dissous dans l’eau s’est accumulé au cours des siècles; cela est vraisemblablement dû à ce que la densité des eaux de profondeur est telle que les couches profondes dans lesquelles le gaz prend naissance ne sont pas affectées par les mouvements de brassage qui se produisent normalement dans les lacs. L’importance du gisement est évaluée à l’équivalent calorifique de 50 millions de tonnes de charbon.

209.Le captage du méthane pourrait être assez facile. Un petit captage de démonstration a été installé, et a été vu par la Mission. Un captage pilote sera installé sous peu. L’exploitation des gaz du lac Kivu pourrait contribuer sérieusement au développement industriel et économique du Territoire sous tutelle.

210.Dans l’ensemble l’industrie au Ruanda-Urundi est encore dans son enfance. La réalisation récente la plus intéressante fut la mise en activité de la brasserie d’Usumbura. La Mission a aussi eu l’occasion d’assister à la pêche industrielle de nuit sur le lac Tanganyika.

211.Le Gouverneur du Ruanda-Urundi a estimé que le Territoire devait s’engager résolument dans la voie de l’industrialisation. Semblable conversion, a-t-il dit, est la seule chance de muer un indice démographique pléthorique qui constitue une menace pour l’avenir agricole du Territoire en un atout majeur, générateur de richesse, dans le cadre d’une économie industrialisée.

212.La Mission partage pleinement cet avis et souhaite que cette industrialisation puisse se réaliser.