Dimanche le 1erjanvier 1978, soleil et chaleur. Dian souhaitait rendre visite aux gorilles mais elle était préoccupée par l’arrivée imminente d’une équipe de la BBC qui devait tourner un film pour la série télévisée La Vie sur la terre. L’étoile du spectacle, David Attenborough, préparerait l’affaire et Dian était anxieuse, souhaitant que Karisoke fit bonne impression.

Seul Nemeye pouvait être dispensé de briquer le camp. Dian l’envoya localiser le Groupe 4 auquel nul n’avait rendu visite depuis le 28 décembre. Heureux d’éviter la corvée, il partit de bonne heure, mais les animaux ne se trouvaient dans aucun de leurs repères habituels sur les pentes sud-ouest du mont Visoke. Après plusieurs heures de recherche, il tomba finalement sur leur piste qui, par le col, conduisait au mont Mikeno. A ce moment surgit un troupeau d’éléphants très bruyants ; prudemment il fit demi-tour.

Le lendemain, le temps était si radieux que Dian ne put rester au camp. Ayant envoyé Ian et Nemeye pour localiser la tribu vagabonde d’Oncle Bert, elle partit sous prétexte de chercher des pièges de braconniers ; en fait, pour profiter de la chaleur tant désirée du soleil et pour jouir des parfums et des bruits de la forêt embuée de vapeur. Souple et agile comme un céphalophe, Nemeye conduisit Ian à vive allure vers le col. A un mille du camp, ils franchirent la frontière non signalée du Zaïre. Une heure plus tard, les deux hommes traversèrent une grande javelle de végétation brisée, écrasée et imprégnée d’excréments liquides qui témoignait du passage à bride abattue d’une douzaine de gorilles ou davantage. Ayant dit à Nemeye de rester sur place, Ian remonta la piste pour voir s’il découvrirait ce qui les avait effrayés. A une centaine de mètres le long de la piste, il pénétra dans une petite clairière et faillit trébucher sur le corps écrasé d’un chien.

Quelques pas plus loin gisait un monticule noir et informe, entouré d’un essaim de mouches à viande : c’était le corps énorme d’un gorille, si mutilé qu’il en était méconnaissable. La tête avait disparu et les bras se terminaient par des moignons sanglants dont sortaient des éclats d’os brisés. L’abdomen et la poitrine avaient été profondément éventrés et tailladés. Partout le pelage autrefois luisant était souillé, raidi par le sang coagulé et imprégné d’odeurs infectes.

Peu avant midi, Dian retournait au camp après une agréable flânerie sous les hagenias. Chemise ouverte et cheveux épars, elle se gorgeait de chaleur, de chants d’oiseaux et de l’impression que son corps retrouvait ses forces.

Elle était parvenue à la prairie du camp lorsqu’elle aperçut Ian qui, sur la piste, courait vers elle ; Nemeye suivait loin derrière. Elle s’arrêta et l’attendit. Ian était tout proche quand il cria : « Seigneur, Dian ! Je suis horrifié d’avoir à vous le dire ; Digit a été tué. »

 Il y a des moments où l’on ne peut accepter les faits par peur de briser son propre être. Tandis que j’écoutais les phrases terribles de Ian, toute l’existence de Digit depuis ma première rencontre avec lui dix ans plus tôt, alors qu’il n’était qu’une petite balle de peluche noire, envahit mon esprit. A partir de ce moment tragique, il m’a fallu vivre dans une partie isolée de moi-même.

Pendant les deux derniers jours de décembre, le Groupe 4 avait été chassé par six braconniers et leurs chiens bien loin de la sécurité relative des pentes du Visoke, jusqu’au col, puis, au Zaïre, où il y avait fort peu de chance que quelqu’un se mît en travers de leur projet. C’était là que, le 31 décembre, les animaux terrifiés et épuisés avaient été acculés.

Fidèle à son devoir de défendre sa famille, Digit, à l’arrière-garde, avait affronté la phalange d’hommes le pieu brandi et il avait chargé pour couvrir la retraite des siens. Pendant la mêlée qui s’ensuivit, Digit avait tué un des chiens, mais il fut lui aussi frappé à mort. La disparition de Digit eut sur Dian un effet catastrophique. Aucune expérience précédente, pas même son avortement ne l’avait confrontée à un coup si sauvage ni frappée d’une telle angoisse.

Et aucun autre désastre imaginable n’aurait pu la porter à un tel accès de fureur sauvage que cette boucherie sanglante. Elle s’occupa d’abord de contenir et contrôler sa peine et sa fureur. Pendant que des hommes rapportaient le corps de Digit au camp sur une civière de bambou, Dian écrivait des lettres. L’une était adressée au major général Juvenal Habyarimana, président de la République duRwanda. Vu les circonstances, la lettre est remarquablement mesurée:

Vous avez eu l’amabilité de manifester de l’intérêt pour les gorilles du parc des Volcans (…). Je suis sûre que vous vous souvenez du gorille qui s’empara de mon bloc et de mon crayon dans le film de la National Geographic et, ensuite, me les rendit doucement avant de se pelotonner pour venir dormir à côté de moi. Ce même gorille, appelé Digit, figure aussi sur un grand poster en faveur du tourisme au Rwanda ; il y dit : ” Venez me voir au Rwanda” (…). Le 31 décembre, Digit a été frappé à mort par des braconniers rwandais. Ils l’ont tué, puis ils lui ont arraché la tête et les mains avant de s’enfuir avec. Ces tueurs sont tous originaires de la commune de Mukingo. J’aimerais savoir qu’ils recevront le châtiment qu’appelle leur crime. J’aurais donné ma vie pour sauver celle de Digit mais, à présent, il est trop tard. »

Écrivant au Dr Snider de la National Geographic, elle fut moins réservée : « Jusqu’à présent, les braconniers n’avaient jamais osé s’attaquer à mes groupes de travail et je me demande si ce n’est pas le commencement de la fin, car, s’ils peuvent se soustraire au châtiment après ce massacre, combien de temps encore les autres gorilles survivront-ils ? Je sens (…) que la plupart des gorilles des autres montagnes qui défendent Mikeno ont probablement été tués pour leur tête et leurs mains (…) Je puis vous assurer que je n’ai rien fait d’illégal pour venger la mort de Digit, mais je ne peux me permettre de penser à ce qu’il a souffert (…) Mon plan d’action consiste à faire connaître cette affaire de manière aussi forte et imagée que possible à toutes les sociétés pour la protection que je peux toucher, en leur demandant d’exercer leur pression sur le gouvernement rwandais et en le menaçant de supprimer les fortes sommes d’argent destinées au parc des Volcans pour payer des gardes et un conservateur qui ne travaillent pas à la protection du parc – ce travail est fait par les gens du camp -, et de faire pression sur le gouvernement pour qu’il augmente les peines prévues contre les braconniers – un emprisonnement prolongé ou la mort – et pour qu’il autorise les gardes à tuer les braconniers dans les limites du parc. »

Puis, progressivement, Dian mit au point son plan d’action. Le 3 janvier et pendant les premières heures du 4, elle précisa avec Ian son plan de bataille. Elle le décrivit à Richard Wrangham en Angleterre.

« D’abord, je vais payer comptant chaque individu qui peut donner des informations pour localiser les tueurs. Ensuite, je vais faire imprimer un nouveau jeu d’affiches disant : « Venez et visitez-moi au Rwanda », avec le cadavre de Digit, sans tête ni mains, dans unepose aussi proche que possible de la photo de l’affiche originale. Je sais que c’est macabre, mais cela pourrait avoir de l’effet sur les gens qui achètent des têtes et des mains. Troisièmement, nous allons préparer un documentaire de trente minutes, intitulé : Vie et mort de Digit. Enfin, nous vendrons à tous les magazines spécialisés de protection de la nature que je peux atteindre l’histoire de Digit, avec des photos de sa vie et de sa mort. »

Ian Redmond proposa le lancement d’une campagne internationale sur le thème « La Mort de Digit », afin de recueillir de l’argent pour recruter, équiper et entraîner des patrouilles anti-braconniers qui porteraient la guerre chez l’ennemi.

Dian fut d’abord angoissée par l’idée et troublée par le caractère illégal du financement d’une telle guerre par le Centre de recherche de Karisoke. Finalement, elle conclut qu’il n’y avait pas d’autre choix. Sous son égide, ces patrouilles pourraient faire ce pour quoi les gardes du parc étaient payés, mais qu’ils n’accomplissaient pas. Ces patrouilles pourraient aussi résister à la place des gorilles, des céphalophes et de toutes les autres créatures pour lesquelles le parc était destiné à constituer un sanctuaire.

Ce fut l’origine de ce qui ultérieurement devint le Fonds Digit. C’est ainsi que Dian fit ses premiers pas dans les limbes réservés à ceux qui transgressent, avec les meilleures intentions du monde, le caractère sacré de l’autorité légalement constituée. Elle se lança dans un type d’action qui creusa un fossé infranchissable entre elle et la majorité de la communauté scientifique dont elle était un membre non conformiste, de même qu’entre elle et ces organismes de protection, pourvoyeurs de monnaie, qui tiennent à la respectabilité quelque en soit le coût.

Ian passa le matin suivant à filmer le corps de Digit. Puis il partit pour Kigali afin de ramener le groupe de la BBC qui venait juste d’arriver d’Angleterre. En son absence, Dian reçut la visite du conservateur du parc, nerveux et en sueur accompagné de quelques-uns de ses gardes armés, venus en mission de conciliation. Elle les traita avec un mépris glacial qui les mit bientôt en fuite.

Bien qu’elle n’eût aucune preuve directe concernant l’assassin de son ami, ses soupçons approchaient la certitude : cet acte avait été commis par des chasseurs Batwa, menés par son vieil ennemi Munyarukiko. Dans sa colère et sa frustration croissantes, elle imagina une expédition vengeresse contre ce village ; si la chose s’était produite, elle aurait bienpu avoir des conséquences désastreuses car Dian se contrôlait difficilement.

Le matin suivant, en réponse à une note urgente de Dian qui demandait une autopsie des restes de Digit, le Dr Desseaux et une technicienne de laboratoire parcoururent non sans fatigue la piste « A l’instant même où nous allons commencer l’autopsie, mon forestier qui travaille à environ quinze mètres de la maison, se met à hurler en swahili : « Des braconniers ! Des braconniers ! » Le domestique accourt dans la case en criant la même chose. Le garde forestier a vu un braconnier muni d’un arc et de flèches juste en bordure du terrain du camp.

Aucun braconnier n’avait osé approcher mon camp depuis au moins trois ans. Mais, maintenant qu’ils ont pratiquement exterminé toutes les antilopes dans le parc, le seul endroit où elles prospèrent, c’est ici. S’ils ont pu s’échapper après avoir tué un gorille dans le périmètre d’étude, pourquoi ne pas tuer des antilopes dans le camp ?

Je crie à mon équipe de donner la chasse aux braconniers ; je saisis mon fusil — il n’est pas légalement déclaré — et cours derrière eux, abandonnant les deux Européens qui s’assoient sans piper mot. Je cours et tire en l’air pour empêcher le fuyard de traverser la grande prairie ouverte au-dessus du camp où il pourrait disparaître dans les zones boisées, ce qui ne nous laisserait aucun espoir de le rattraper. Mes hommes, y compris Vatiri, Nemeye et Kanyarugano, peuvent ainsi le coincer sur les pentes du Visoke et le capturent, porteur d’un arc taché de sang et de cinq flèches.

 C’est un petit Twa au visage poupin, l’un des meurtriers de Digit, comme il nous l’avoue. Le devant et le dos de sa chemise jaune déchirée sont rayés de rigoles de sang séché, celui de Digit. Il nous a fallu une bonne heure pour l’attraper. Je suis vraiment fière de mes hommes et moi-même n’avais sûrement jamais couru aussi vite depuis mes dix ans !

Nous le ramenons au camp, nous l’attachons et mes Africains commencent à le « questionner » tandis que reprend l’autopsie du pauvre Digit. C’est une tâche macabre parce que les épieux et les pangas ont perforé plusieurs organes : poumons, coeur, rate, intestins et estomac. Après avoir terminé, nous allons tous trois dans ma hutte pour un casse-croûte que personne n’a envie d’avaler. Mes Africains sont toujours dehors, autour du Twa qu’ils examinent.

 Nous ne sommes pas rentrés depuis cinq minutes que l’enfer se déchaîne. « Braconnier, braconnier ! » hurlent mes hommes. J’imagine bien sûr que notre prisonnier s’est échappé et qu’il a disparu dans la nature. En réalité, trois de ses complices se sont approchés en rampant pour le délivrer et mes hommes les ont aperçus. Mes Africains et moi nous lançons dans une nouvelle chasse que je dois bientôt abandonner, mais qu’ils poursuivent à la trace pendant deux heures, sans résultat.

 Je retourne au camp pour surveiller le Twa. Les Européens semblent alors très désireux de partir, si bien que je conduis le Twa à l’intérieur et lui attache pieds et poings aux poutres en vue d’un long interrogatoire. Je ne fais rien de vraiment illégal, bien que mes hommes et moi l’étudions très très minutieusement. Je ne peux dire à quel point il m’a été difficile de ne pas le tuer quand il a avoué être un des meurtriers de Digit. Je demande à deux de mes Africains de passer la nuit auprès de lui. Moi-même, confrontée à ce monstre, je ne puis me faire confiance.

Nous le « questionnons » jusque tard dans la nuit et, pendant cet interrogatoire, il nous livre les noms de tous les assassins de Digit. Les chefs sont Munyarukiko, Gashabizi, Ntanvungu, Rubanda et Runyaga, tous de la commune de Mukingo.

Ce qui me stupéfie plus que tout est le motif du meurtre de Digit. Un marchand Hutu avait offert au chef braconnier, Munyarukiko, l’équivalent de 20 dollars pour obtenir la tête et les mains d’un gorille au dos argenté. Digit était un jeune dos argenté. Le Hutu espérait trouver un touriste qui lui paierait beaucoup plus pour ces « souvenirs ». Cet homme avait déjà réussi à obtenir quantité de têtes et de mains de gorilles pour les vendre aux touristes. Le prisonnier Twa nous déclare qu’il sait où la tête et les mains de Digit sont enterrées, près de la maison de Munyarukiko, sous un bosquet de bambou.

 Le lendemain, j’envoie un message au chef des brigades, Paulin Nkubili : nous avons capturé un des assassins de Digit et nous ne le livrerons pas aux gardes du parc qui connaissent le moyen de « perdre » leurs prisonniers. Dès le 7, Nkubili monte au camp, escorté de trois soldats. Ils recommencent l’interrogatoire mais n’apprennent rien de plus que ce que mes hommes et moi avons déjà recueilli.

Finalement je les autorise à conduire le Twa jusqu’à un quartier de sécurité militaire où il sera retenu en attendant le décret présidentiel au sujet de la nature de sa peine. Nkubili semble passablement inquiet à mon sujet. Je ne vois vraiment pas pourquoi.

J’avoue que lui remettre Twa est une des choses parmi les plus difficiles de celles que j’ai faites dans ma vie. C’est uniquement en raison du souvenir de Digit que ce misérable reste intact sur mon domaine.

Il apparaît maintenant que beaucoup de gorilles des Virungas ont été récemment tués par des braconniers. La seule population nombreuse qui demeure est celle de mes groupes d’étude. Ce pourrait être le commencement de la fin des quelque deux cents gorilles de montagne survivants. Ce n’est que si je puis susciter assez d’intérêt et de soutien que leur destruction totale peut être évitée.

 Une partie des lignes qui précèdent furent écrites bien après l’événement, quand Dian eut suffisamment surmonté le choc initial. Cependant, à la fin de la première semaine qui suivit la découverte du corps de Digit, Dian était dans un état mental alarmant et proche de l’effondrement physique. Néanmoins, elle insista pour conduire trois de ses hommes en patrouille contre les braconniers sur la colline Nelele, où les survivants de la famille de Digit s’étaient regroupés. Cette nuit-là, elle avait une température de 40° et divers symptômes de pneumonie. Son journal rapporte qu’elle fut à peine capable de quitter son lit pour accueillir les cinq membres de la BBC qui avaient gravi la montagne avec Ian Redmond. Ils arrivaient trop tard pour filmer l’enterrement de Digit dans le coin de terre réservé près de la cabane de Dian pour ses amis gorilles.

Malade comme elle l’était, Dian passa de longs moments avec Attenborough et son équipe pendant la semaine suivante ; elle assista aux prises de vue de « ses » gorilles dans l’espoir que la publicité aiderait à les sauver d’un sort comparable à celui de Digit.

Le 11 janvier, elle crachait du sang mais était encore capable de réagir à une nouvelle provocation. Ian et l’équipe de cinéastes filmaient le Groupe 5 lorsqu’ils rencontrèrent un garde armé du parc, escortant quatre touristes belges désireux de voir des gorilles. Une prise de bec s’ensuivit : le garde chassa Ian du sentier et empêcha l’équipe de continuer à filmer. Ce soir-là, à la lueur de sa lampe à acétylène, Dian rédigea une lettre cinglante au conservateur et une missive au vitriol à Alain Monfort, le conseiller en chef belge de l’ORTPN, le département du tourisme et des parcs nationaux. Les lettres étaient si incendiaires que Dian elle-même se demanda si elle n’en avait pas un peu trop fait.

Membre de rang élevé de l’aide belge au projet du Rwanda, Monfort était l’homme directement responsable de l’idée visant à utiliser à fond les gorilles de montagne pour attirer des touristes. Nombre d’escarmouches avaient déjà surgi entre Dian et lui à propos de cette affaire délicate, mais il était d’accord pour tenir les touristes à l’écart des groupes d’étude de Karisoke, dont faisait partie le Groupe 5.

Le conflit rampant entre Dian et ce Belge un peu trop zélé et de dix ans son cadet flamba brusquement. Monfort décida qu’il était temps de donner à cette « folle Américaine » une leçon nécessaire.

Inquiet à l’idée de l’attaquer de front, il décida de frapper à travers l’équipe de la BBC. Il avait l’intention de monter au camp et d’arrêter l’équipe sous prétexte qu’elle était dans le parc sans autorisation officielle, non sans avoir auparavant attiré Dian hors de la montagne en lui demandant de participer à une conférence de l’ORTPN au quartier général du parc, le 14 janvier.

Manifestement cet autocrate n’avait jamais envisagé qu’elle pourrait ne pas obtempérer. Le 14 à midi, Monfort prit la piste du Karisoke, accompagné de six gardes du parc armés. Il fut très dépité de rencontrer en chemin un des employés du camp de Dian qui lui apprit que Nyiramacibiri était encore au camp et qu’elle était d’une humeur massacrante. Furieux mais nullement disposé à l’affronter dans sa tanière, Monfort tourna ignominieusement les talons.

Attenborough et son équipe partirent dans l’après-midi du 16, jour du 46e anniversaire de Dian. Une chaîne de porteurs descendit leur matériel sur la longue piste jusqu’à un camion prêt à les conduire à l’aéroport de Ruhengeri. Le vieux véhicule cahota sur la lave brute de la route. Quand il arriva à hauteur de l’entrée du parc, un garde essaya de l’arrêter.

Pensant que l’homme faisait de l’auto-stop, le chauffeur poursuivit sa route, en criant qu’il était déjà surchargé. Ses passagers, épouvantés, virent le garde épauler son fusil et tirer une balle qui siffla juste au-dessus de leurs têtes. Le conducteur écrasa l’accélérateur. Quelques minutes plus tard, alors qu’il roulait à pleine vitesse, le camion, au détour d’un virage, tomba sur une Land Rover stationnée carrément en travers de laroute. Le conducteur bloqua ses freins et le camion s’arrêta dans un crissement de pneus.

Ce fichu bon à rien de Belge avait appris par les porteurs le moment où l’équipe de la BBC partirait et il avait préparé une embuscade. Quand le camion s’arrêta. Monfort était là avec des gardes armés et la police, exactement comme au cinéma.

Monfort informa 1e conducteur du camion, mort de frayeur, que les bazungus qu’il transportait étaient en état d’arrestation, soupçonnés d’être des mercenaires engagés pour passer en Ouganda des armes en contrebande. Puis il posta deux policiers sur le camion et envoya les Anglais abasourdis et inquiets à la base militaire de Ruhengeri. Là, il leur fut ordonné de descendre du véhicule et d’ouvrir toutes leurs caisses ; puis, Monfort les soumit à une fouille en règle.

Impossible de savoir jusqu’où Monfort aurait pu pousser cet exercice d’intimidation.

Heureusement, quelqu’un avertit le chef des brigades, Paulin Nkubili, un vrai Rwandais, chef de la justice de la région, qui se rendit au camp militaire et s’informa sur les événements. Tout doux et soumis, M. ne mentionna pas les mercenaires mais dit seulement que l’équipe de la BBC n’avait pas d’autorisation pour entrer dans le parc. Le chef le tança pour avoir traité de cette façon des visiteurs et lui déclara qu’il devrait payer le coût d’un avion charter pourKigali s’il leur faisait manquer leur vol. M. céda, non sans les avoir retenus plusieurs heures sous bonne garde.

Dian n’était pas au bout de ses problèmes avec l’ORTPN. Le 23 janvier, elle reçut un câble du Dr Payne de la National Geographic :

« Nous sommes très troublés par un rapport officiel sur un incident récent concernant vous-même et braconniers stop comprenons parfaitement votre position mais faites preuve d’une extrême prudence car votre statut d’étranger au Rwanda dépend totalement de la bienveillance du gouvernement pour poursuivre vos recherche. »

Ce télégramme fut suivi d’une lettre inquiète de Frank Crigler, ambassadeur des États-Unis au Rwanda : il informait Dian que le département d’État des États-Unis avait reçu une plainte au sujet de ses « actions illégales au Rwanda ». La source n’était pas mentionnée, mais Dian croyait savoir de qui il s’agissait. Ses soupçons semblèrent confirmés par une lettre qu’elle reçut du général DismasNsabimana, directeur de l’ORTPN :

 Mademoiselle,

 Nous regrettons sincèrement les actes de braconnage commis le 31 décembre 1977 contre le gorille Digit.

Vous savez que les gardes du parc ont produit le chien tué parle gorille en présence de la population pour essayer d’identifier son propriétaire Munyarukiko, braconnier présumé mais encore en fuite. L’ORTPN a été bafoué peut-être plus que vous ne l’avez été, car cet acte est une grave atteinte à l’héritage du Rwanda.

Cependant, le fait d’inviter une équipe britannique de télévision à faire un film sur le parc des Volcans au moment de l’assassinat du gorille ne relève pas de l’esprit de franche collaboration entre l’Office et vous.

Nous savons que vous avez immédiatement autorisé les photos du gorille mor, afin de disposer du type de publicité qui pourrait discréditer le Rwanda et les parcs rwandais.

Comme il apparaît que vous ne vous êtes pas souciée de demander à un membre de l’ORTPN une autorisation pour ces photographes, nous en concluons que vous les avez sollicités immédiatement après la mort du gorille, en prétendant « que c’était là pure coïncidence».

Les répercussions de l’affaire de la BBC mirent des semaines à s’apaiser et l’antagonisme entre Monfort et Dian empira : les offices du tourisme rwandais étaient pressés d’accélérer l’exploitation des gorilles du parc, tandis que Dian résistait à ce qu’elle voyait déjà comme une autre rupture potentiellement désastreuse dans la vie de ses amis déjà assiégés.

 

Bien que janvier ait apporté à Dian une tragédie personnelle, elle demeurait capable d’une prévenance extraordinaire à l’égard des êtres en détresse. A la fin de 1977, elle fit la connaissance du personnel de l’ambassade des États-Unis et se lia d’amitié avec la femme de l’ambassadeur Crigler. Bettie Crigler se plaignait fréquemment d’être séparée de son plus jeune fils, Nacho, âgé de quatorze ans ; il était en pension aux États-Unis et, faute de moyens suffisants, ses parents ne purent le faire venir pour les vacances de Noël. Vers la fin de janvier, la détresse de Bettie tourna à la mélancolie, si bien qu’à sa manière directe, Dian décida d’agir.

 

Bien qu’elle fût comme d’habitude à court de fonds, elle écrivit au frère aîné de Nacho en joignant un chèque pour payer le billet d’avion aller-retour du garçon, afin qu’il puisse passer les vacances de Pâques à Kigali avec ses parents.

Quand les parents Crigler apprirent ce geste émouvant, ils furent abasourdis, d’autant plus qu’ils savaient les tourments qu’enduraient Dian à ce moment.

« Dian, écrivit Bettie Crigler, je suis tellement dépassée par la générosité et la gentillesse de votre offre que je ne sais absolument pas comment exprimer notre gratitude à l’égard de votre amitié. De toute ma vie, c’est la chose la plus merveilleuse que quelqu’un m’ait offerte (…). C ‘est aujourd’hui mon anniversaire, mais aucun cadeau n’a pour moi plus de sens que celui-ci. Au risque d’utiliser un cliché rebattu, je vous avoue que si j’avais eu une soeur, j’aurais été heureuse que ce fût vous. »

Ce à quoi Crigler ajouta : « Vous êtes l’une des plus folles et des plus adorables personnes que j’aie jamais rencontrées. J’ai été stupéfiée. C’était particulièrement émouvant parce que Bettie avait pleuré, ne sachant comment Nacho pourrait passer ses vacances de printemps. Elle était complètement bouleversée et anxieuse (…). Puis, le lendemain, sont arrivées les lettres de Nacho et de Jeff qui nous racontaient toute l’histoire. Bettie était stupéfaite et follement reconnaissante de votre incroyable générosité (…). »

Les Crigler furent très étonnés, mais de nombreuses personnes, qui avaient déjà bénéficié de la gentillesse de Dian au cours des années, n’en furent pas surprises.

Le 28 janvier, Dian descendit de la montagne pour la première fois depuis son retour des États-Unis.

« Elle avait l’air d’un cadavre ambulant, écrivait un de ses amis de Kigali, mais elle était prête au combat. »

Deux autres assassins de Digit avaient été pris et l’un des motifs dela venue de Dian à Kigali-était la pression qu’elle comptait exercer sur les autorités rwandaises pour que des peines suffisantes soient prononcées. Elle plaida pour l’emprisonnement à vie ; ils furent respectivement condamnés à trois et cinq ans de prison.

Elle participa également à l’ambassade des Etats-Unis à une réunion demandée par J.P. Harroy ; ce Belge, qui avait été gouverneur du Rwanda avant l’indépendance, disposait encore d’une influence considérable dans ce pays. Harroy était un partisan convaincu du plan belge d’utilisation des gorilles au bénéfice du tourisme. Cette fois-là, il prit sur lui de faire des reproches à Dian en présence de son propre ambassadeur.

Il a eu l’aplomb de dire que Digit avait été tué à cause de moi ! Si j’avais à vivre sous cette accusation, je me tirerais immédiatement une balle dans la tête. Il dit que les braconniers cherchaient à se venger parce que j’avais mis un terme à leurs activités. C’est un vieil homme sur le déclin ! S’ils avaient voulu se venger, ils l’auraient fait bien plus tôt ; ils auraient mis le feu à une cabane ou à une annexe du camp. Harroy a eu aussi le toupet de me dire que j’avais commis « une faute en arrêtant un des assassins de Digit ».

Dian sortit écumante de cette confrontation pour rejoindre deux officiels rwandais qu’elle désigne simplement comme « les numéros 2 et 3 du président ».

Je les aimais vraiment. Le président lui-même s’approcha pour dire qu’il aimerait réellement me voir, mais cette semaine était mal organisée en raison des rumeurs de coup d’État. J’insiste : au moins la peine de mort pour Munyarukiko si jamais il est pris. Les numéros 2 et 3 étaient d’accord pour qu’il soit tué — bizarrement, ils préfèrent la pendaison à une exécution militaire.

Elle sollicita aussi et obtint un entretien avec le directeur de l’ORTPN, le général Dismas Nsabimana.

Il représente l’archétype de l’homme africain important. Pompeux et arrogant, il finit cependant par être très direct avec moi, après avoir été au début un peu sec à propos de l’équipe de la BBC. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles nous nous sommes enfin accordés est qu’il a été très enthousiaste au sujet de mon « non-non » de l’an dernier, quand j’ai brûlé quelques dépendances de la maison de Munyarukiko. Il a déclaré que j’aurais dû brûler toute la maison et a été surpris d’apprendre que j’ai dû payer six cents dollars pour cette action qu’il considérait comme un succès et non comme un délit.

On imagine le profond soupir de soulagement de Dian lorsqu’elle recueillit deux nouveaux étudiants en recherche. Ils venaient juste d’arriver par avion des États-Unis et elle les convoya en haut de la montagne.

Les nouveaux venus semblèrent plutôt réticents face au style de vie qui régnait à Karisoke. Agée d’environ vingt-cinq ans, Amy Vedder était «mignonne comme une poupée chinoise ». Elle semblait très amoureuse de son compagnon, Bill Weber. Tous deux avaient travaillé un certain temps dans le Peace Corps, mais la première impression de Dian à leur égard n’était pas très optimiste.

Je crois que Bill est assez faible ; jamais il ne saisira un fusil et je ne le lui demanderai pas. J’aurais souhaité qu’il fût d’un matériau plus robuste. Je pense que la fille est le vrai moteur de l’attelage, mais ses yeux lancent une lueur dure.

Le projet le plus urgent de Dian était de mettre sur pied des patrouilles anti-braconniers comme elle l’avait envisagé avec Ian. Mais il fallait d’abord trouver l’argent pour payer et équiper les hommes. Le Fonds Digit devait en être le moyen financier mais isolée sur une montagne en Afrique équatoriale, Dian était dans l’impossibilité d’organiser elle-même ce fonds. Dans cette situation, elle était obligée de demander assistance.

Aux États-Unis, elle choisit son conseiller juridique Fulton Brylawski, à Washington D.C. Elle lui écrivit le 17 janvier pour lui expliquer ses difficultés : « Je demande de l’aide à tous ceux qui me semblent intéressés par les gorilles de montagne. S’ils décident de donner de l’argent au Fonds Digit, puis-je vous employer comme receveur ? (…) Je crois que je pourrais collecter cinq mille dollars pendant les prochains mois, mais je ne désire pas manipuler moi-même cet argent et je ne désire pas non plus que ce soit un autre vague plan de conservation qui dépense la moitié de la somme en prétendus frais généraux.

Je ne veux pas que Digit soit mort pour rien ; telle est la raison de ce fonds. Beaucoup, beaucoup d’autres gorilles ont souffert une mort semblable à la sienne (…). Ce n’est pas une cause perdue. Digit est l’exemple de tout ce qui peut advenir aux derniers gorilles de montagne. Nous avons une chance de sauver cette espèce, mais nous pouvons aussi nous en détourner : ils seront alors tous tués… pour leur crâne. Le parc des Volcans a été mis sur pied en 1929, par un traité international pour la protection des gorilles et de la faune sauvage. Je désire promouvoir cette loi et lui donner plus de force qu’elle n’en a jamais eu antérieurement. »

Par suite de la lenteur du courrier, l’accord de Brylawski ne parvint pas à Dian avant le début de mars. Entre-temps, elle avait concentré ses efforts sur un autre front où elle espérait des résultats rapides. Le 16 janvier, elle avait envoyé à son ami de Cambridge,Richard Wrangham, une longue description de la mort de Digit et de ses plans pour tirer parti de cette boucherie au bénéfice des gorilles survivants. Elle concluait par un appel à l’aide en adressant son message au public britannique.

Wrangham ne la déçut pas. Malgré ses propres obligations d’enseignant, il s’activa pour stimuler la sympathie bien connue des Anglais pour les animaux en détresse et pour obtenir de l’aide des organismes de conservation. Il réussit si bien à diffuser ce message qu’il était en mesure, le 27, de dire à Dian que l’horreur ressentie par le public à propos de la mort de Digit gagnait tout le Royaume-Uni. « J’ai rencontré la Société de préservation de la faune il y a deux jours (…). Ils agissent aussi vite que possible et j’espère avoir cinq cents livres à vous adresser au milieu de la semaine prochaine… Ils mettent actuellement sur pied un Fonds Digit qu’ils appelleront ” Fonds de gorille de montagne Royaume-Uni “, pour la simple raison qu’à leur avis, le nom de Fonds Digit n’attirerait pas d’argent. »

Dian lui répondit avec enthousiasme : « C’est très généreux de la part du FPS d’offrir cinq cents livres. C’est une grande nouvelle car cela signifie que je peux lancer les patrouilles ultrarapides dont mes propres Africains souhaitent accroître le nombre ; ils en ont mis un coup pour cela. »

Les nouvelles suivantes de Wrangharn furent moins heureuses.

L’Union internationale pour la Conservation de la Nature avait conclu qu’elle ne pouvait soutenir directement son action. Au contraire, « elle appuyait ardemment le projet d’un groupe de gorilles habitués à la présence de touristes pour encourager le Rwanda à protéger les animaux ». Il était sous-entendu que le groupe de gorilles choisi devait être l’un de ceux de Dian. Wrangham indiquait aussi que Sandy Harcourt, maintenant Dr Harcourt, qui avait d’abord répondu au SOS de Dian et de Wrangham avec empressement, soutenait le projet tourisme.

Ce n’était pas tout. En s’excusant beaucoup, Wrangham lui apprenait que la somme d’argent parvenue au « Fonds du gorille de montagne du FPS » irait probablement à l’ORTPN et non à Karisoke. La réaction de Dian était prévisible.

« Si des fonds sont envoyés directement au gouvernement rwandais ou, comme vous le dites, ” acheminés par l’intermédiaire des parcs nationaux “, alors, je les désavoue. Fournir de la bière aux gardes des parcs rwandais n’est pas de ma responsabilité. Soutenir les gens directement chargés de parc équivaut à laisser poursuivre la décimation des gorilles de montagne (…). J’espère que vous savez que plus le FPS donne de l’argent au gouvernement du Rwanda,plus il encourage l’assassinat des individus dans les groupes d’études »

Elle fut tout aussi véhémente à propos de l’idée selon laquelle le meilleur moyen d’aider les gorilles était le tourisme.

« Je ne vois pas comment il est possible de parler de tourisme quand le parc est encombré de tueurs de gorilles. Vous, Richard, et tant d’autres, assis sur de lointains perchoirs au-delà de l’océan, vous parlez de tourisme sans rien savoir de Digit, des braconniers et des massacres de fauves dans le parc. Des assassins doivent être capturés. Autre lot de très mauvaises nouvelles : sept gorilles d’un groupe du secteur nord-est du parc ont été tués depuis que Digit est mort mais, évidemment, ce n’est pas important pour des gens qui ne veulent s’intéresser qu’au tourisme. »

Wrangham répondit par une lettre attristée. Il disait à Dian que même le règlement de ses propres articles sur la mort de Digit avait été versé au « Fonds des gorilles de montagne » ; leur montant s’élevait à environ trois mille livres. Pis, il signala que le FPS n’enverrait pas d’argent à Dian ni au Fonds Digit à Washington.

Je leur rappellerai, écrivit Wrangham, que le fonds FPS a été créé comme fonds receveur pour les sommes versées par souscription publique et que ce fut, au début, à votre initiative (…). Le FPS a écrit au général Dismas (Nsabimana) responsable de l’ORTPN, pour lui demander ce qu’il ferait de cet argent. Dismas (Nsabimana) a répondu, avec copie au Fonds Mondial pour la vie sauvage (WWF), qu’il aimerait que soit soutenue la conception de la préservation des primates présentée par l’Union internationale pour la Conservation de la Nature/Fonds mondial pour la Vie sauvage. Ainsi, le WWF attend cela et Dismas (Nsabimana) l’attend aussi (…) mais si l’argent adressé par le public au Fonds Digit n’est pas utilisé aux fins prévues, ce sera tragique. »

Qualifier la situation de tragique était une litote. Depuis la mort de Digit, Dian avait exploré le commerce des trophées de gorilles et les résultats étaient sinistres.

A l’exception de huit spécimens, tous les gorilles qui vivent à Karisimbi ont été tués pour leur tête et leurs mains. Un médecin de Ruhengeri jure que trente-six têtes furent apportées en ville au cours de l’année 1976. Huit venaient du mont Sabyinyo que je connais. Je suppose que quatre autres venaient du mont Muhabura, les uns de la pente nord du Visoke et les autres de Karisimbi. Les Belges ont un énorme programme d’assistance à l’aide technique au bénéfice du parc des Volcans, qui collecte plus d’argent en un an que moi en quatre, mais les gardes du parc sont à présent moins payés que les miens et sont plus paresseux que jamais. Ils ne pénètrent plus jamais dans la forêt.

 Je n’ai plus d’argent, mais je poursuis mes projets en mémoire de Digit. Nous patrouillons quotidiennement. Bien que j’aie quatre étudiants, j’ai besoin de beaucoup plus d’Africains (…). Aujourd’hui, j’ai envoyé deux jeunes étudiants avec Rwerekana aux trousses de braconniers dontnous entendions les chiens aboyer sur le col ; hélas, ils n’y sont pas allés assez vite et ils ont seulement recueilli un épieu, trois chapeaux, trois pipes à haschich et un céphalophe tué juste avant leur arrivée. L’un des braconniers était Munyarukiko, un autre Gashabizi, et ils avaient cinq chiens. Ce fut un parfait exemple de l’impuissance où nous sommes, faute de recevoir l’argent du Fonds anglais Digit. Si j’avais pu engager deux ou trois Africains de plus, ils auraient attrapé tout le lot. Chaque jour de retard pris par les groupes de conservation représente toujours plus d’animaux tués. Demain ce sera la même chose, et mes économies personnelles ne peuvent aller plus loin.

A la fin de mars, Dian n’avait encore rien reçu de l’argent collecté en Angleterre au nom des gorilles. Elle écrivit à Bettie Crigler une lettre amère : « Selon le courrier de mardi, le Fonds Digit en Angleterre a rassemblé quatre mille livres. J’ai appris que je pourrais en recevoir cinq cents. Le solde ira au général Dismas pour une nouvelle Toyota. »

Au début d’avril, Richard Fitter, secrétaire de la Société pour la préservation de la Faune, écrivit à Dian : « Je suis sûr que vous serez d’accord sur le fait qu’il est essentiel que chaque projet obtienne la pleine coopération et la bénédiction des autorités qui contrôlent la vie sauvage et le tourisme au Rwanda. Afin de coordonner la collecte de fonds et la publicité, nous avons convaincu Sandy Harcourt de travailler pour le FPS, comme chef de projet du Fonds du gorille de montagne. »

Suivait une lettre de Harcourt lui-même ; il confirmait qu’il était devenu coordinateur d’un important projet de collecte de fonds. Il exprimait son opinion selon laquelle si l’on ramassait autant d’argent, l’accent principal devrait être mis sur le « tourisme » auprès des gorilles, et il questionnait Dian sur les idées qu’elle pouvait avoir à ce sujet. Il lui disait aussi qu’il avait préparé pour l’été prochain le séjour à Karisoke d’un étudiant vétérinaire, Paul Watkins, payé par le FPS, « comme moyen de vous transférer une plus large part des 4 000 livres du Fonds du gorille de montagne ».

Grinçant des dents, Dian répondit qu’elle n’avait aucun besoin d’un autre étudiant et que, même si tel était le cas, elle le choisirait elle-même. « J’ai besoin d’argent pour les patrouilles », dit-elle à Harcourt. Et, en ce qui concerne le tourisme, elle ajoutait : « En 1975, nous avons entraîné deux guides, destinés à la partie rwandaise du parc, pour guider les touristes vers les gorilles du territoire de Sabyinyo (…). Beaucoup de Land Rovers et de Toyotas donnés par le WWF (Fonds mondial pour la vie sauvage) ont été employés pour ce programme. Il y a deux ans encore, les touristes étaient régulièrement acheminés vers les gorilles de Sabyinyo. Puis Alain Monfort s’en empara et déclara que les gorilles de ce territoire étaient beaucoup trop agressifs pour que les touristes les visitent sans danger et qu’il y avait déjà trop d’éléphants ” tueurs d’hommes ” qui étaient une menace permanente pour les touristes. En conséquence, l’an passé tous les touristes ont été envoyés vers notre Groupe 5. Vous imaginez ce qu’il en est résulté pour notre programme de recherches. Qu’auriez-vous ressenti si quatre-vingts pour cent de vos contacts avec le Groupe 5 étaient interrompus par une horde d’Européens criards?” C’est maintenant le cas, bien que Dismas, directeur du Tourisme de Kigali, ait décidé que seul le Groupe 5 demeurerait un groupe de recherches.

Je ne suis qu’une personne, mais la seule personne qui soit sur le terrain. Je sais ce qu’il faut faire pour protéger les gorilles : des patrouilles longues, fatigantes, énergiques et nomades qui couvriraient la totalité des Virungas, en employant des Rwandais qui ont déjà fait leurs preuves. Ce serait là de la conservation active et non théorique. »

La réponse de Harcourt n’apporta guère de réconfort. Il soulignait que les statuts du FPS stipulaient qu’avant d’allouer plus de cinq cents livres à un projet, la société devrait examiner une proposition du demandeur ; cette proposition devrait de surcroît être approuvée par les autorités du pays concerné. Il suggéra à Dian d’envoyer un plan de son schéma d’entraînement, préparé conjointement avec le conservateur du parc, Dismas Nsabimana ; si elle agissait ainsi, disait-il, il n’y aurait aucune raison que la société refuse de lui envoyer un complément de mille livres.

Il expliqua aussi que, comme le FSP avait déjà renseigné Nsabimana sur le fonds et sur son montant, il serait indélicat de ne pas contribuer pour 2 000 livres à la construction de huttes pour les gardes, près du parc, un projet cher au coeur de Nsabimana.

« Donc, la Préservation de la Faune prévoit en ce moment de contribuer pour environ 2 000 livres prises sur le fonds pour construire des cabanes pour les gardes près du parc, selon la demande directe de Mr. Nsabimana. »

Pour Dian, c’était là un double langage sans signification et elle était furieuse contre Sandy Harcourt.

Il sait parfaitement que Dismas n’approuvera aucun plan anti-braconnage de mon cru. Cet homme important a d’autres chats àfouetter avec l’aide du projet gorilles de montagne et l’argent du sang de Digit. Je n’aurais jamais cru que Sandy changerait à ce point.

Elle était maintenant acculée à une prise de conscience cruelle :

non seulement les contributions des Britanniques bienveillants, versées en mémoire de Digit, lui seraient soustraites mais, de plus, elles seraient affectées à des projets qu’elle tenait pour secondaires ou totalement insignifiants.

Digit est mort pour rien.

Elle traça cette phrase amère en grandes lettres sur une page de son journal où se trouvent aussi des taches qui pourraient être des larmes de colère et de frustration. En mai, les 500 livres promises par le FSP près de quatre mois plus tôt, arrivèrent à Karisoke. Cela ne suffisait pas pour couvrir le coût des patrouilles, auquel Dian avait fait face depuis la mort de Digit, et elle était une fois de plus forcée de puiser dans ses propres économies dans cette interminable bataille pour tenir les braconniers au large.

Apprécia-t-elle le mea culpa reçu de Richard Wrangham au début de juin? « John Burton, secrétaire du FPS (…) m’a assuré que le FSP recevrait de l’argent pour votre compte, mais, ensuite, il a changé d’avis et a dit que son emploi dépendait du FSP (…). Cela fait mauvais effet qu’ils n’aient pas dit clairement ce qu’il adviendrait de l’argent une fois dans leurs mains. »

Elle n’apprécia certainement pas une deuxième lettre de SandyHarcourt.

« Paul Watkins a reçu son visa et j’ai précisé hier au FPS qu’ils lui remettraient 500 livres des fonds du projet pour ses frais de déplacement à Karisoke et pour son entretien pendant son séjour. »

Harcourt informait aussi Dian que lui et le vice-président du FPS, le Dr Curry-Lindahl, visiteraient le Rwanda l’été suivant « pour discuter et faire un rapport sur tout ce qui concerne la conservation du parc des Volcans ».

Quelque temps après, Dian écrivit à Betty Crigler :

« Je n’ai reçu que 500 livres de la somme collectée en Angleterre. Le reste sera utilisé pour des huttes pour les” gardes” et pour des billets d’avion pour les ” conservateurs “, qui voleront vers le Rwanda afin d’assurer la sécurité des gorilles (…). Un complément de 500 livres a été utilisé — je l’appelle le prix du sang de Digit — par Sandy Harcourt pour envoyer ici un jeune Anglais de 21 ans, après que je lui ai demandé qu’il ne vienne pas (…). N’ayant pas apprécié nos conditions de vie, cette petite merveille est de retour chez elle. Bon débarras

Mais moi, je suis furieuse… Digit n’est quand même pas mort pour payer des billets d’avion à des Anglais ! »

Amy Vedder et Bill Weber, que Dian désigne par l’expression « le duo, V.W. », furent rapidement suivis à Karisoke d’un autre Américain, un garçon studieux, David Watts, qui portait des lunettes de grand-mère et jouait du violon.

Tandis que Vedder et Watts se plongeaient dans les recherches sur les gorilles pour leur thèse de doctorat, Weber rassemblait du matériel sur l’écologie sociale pour son maître. Ian Redmond, désormais le vétéran du camp, consacrait la plus grande partie de son temps à des travaux anti-braconniers.

Depuis la mort de Digit, Dian vivait dans la crainte constante d’un autre désastre chez les gorilles. Au début de mars, elle apprit qu’un braconnier rwandais avait été arrêté alors qu’il partait pour le Zaïre avec un bébé gorille captif. Selon la rumeur, le jeune animal aurait été confisqué par les autorités zaïroises et se trouvait au quartier général du parc des Virungas, accolé au parc des Volcans.

Dian alerta son réseau de renseignements et, à la mi-mars, elle reçut confirmation de la rumeur et d’une nouvelle information le jeune gorille était très malade.

Elle décida d’organiser une mission de sauvetage. Le 18 mars, accompagnée des V.W., elle partit en voiture pour Gisenyi, près de la frontière du Zaïre, où elle avait de nombreux amis, indigènes et européens. Par des moyens non élucidés, elle prit contact avec un assistant-conservateur du quartier général du parc des Virungas, à Rumangabo, un jeune homme dont elle protégea l’identité par le nom de plume de Faustin. Il s’arrangea pour faire passer l’équipe de Dian au-delà de la frontière et la conduisit au « château », où Dian avait longtemps langui pendant la rébellion de Tschombé. Là, on leur montra un jeune gorille de 4 ans dont l’état de maladie et de dépérissement annonçait la mort prochaine.

Le personnel du parc avait un problème. Il avait des ordres stricts de Kinshasa, la capitale du Zaïre distante d’un millier de miles, de maintenir en vie le gorille, à tout prix, mais, quand nous arrivâmes, il était presque mort. Je dis au conservateur tourmenté que s’il me le confiait, je tenterais de le sauver et de le leur rendre.

Après un long moment de délibération, il tomba d’accord avec moi, mais on ne pouvait se méprendre sur à la crainte que lui inspirait Kinshasa. Il nous dit que le gorille ne pouvait être déplacé sans une autorisation radio de la capitale. Il était trop tard pour envoyer un appel le jour même et, entre temps, on nous donna un local degarde, où je demandai à Amy de rester avec le bébé pour la nuit, de s’occuper de lui et de lui donner l’affection dont il avait désespérément besoin. Je n’osai pas rester car j’étais illégalement au Zaïre et devais retraverser la frontière avant le crépuscule.

Je me faufilai de nouveau au Zaïre le lendemain matin avec Faustin. Nous allâmes en voiture à Goma où se trouvait une radio en mesure d’atteindre la capitale.

On nous accorda une heure pour obtenir notre communication. Il nous fallut cinquante minutes pour joindre la personne habilitée à écouter notre requête. Celle-ci nous déclara que c’était le président du Zaïre qui pouvait décider et que la réponse pourrait arriver tard dans l’après-midi par l’intermédiaire de liaisons radio locales. Nous revînmes donc au quartier général du camp pour attendre.

Finalement, à 4 heures de l’après-midi, un message tronqué apporta l’autorisation du Président de faire sortir le bébé gorille du camp. Pour des raisons inconnues, le conservateur ne voulut pas laisser le jeune animal traverser la frontière en voiture, et Bill et Amy acceptèrent de le porter dans un filet, à tour de rôle, jusqu’à Karisoke à travers les montagnes, accompagnés de gardes armés du Zaïre.

Il était alors plus de 5 heures de l’après-midi et, comme la frontière du Rwanda était fermée jusqu’au matin, je dus rester toute la nuit assise dans la voiture, entre les postes de douane, craignant à tout instant d’être arrêtée par les militaires zaïrois. Au crépuscule, je parvins à Gisenyi, et, de là, dans la montagne où le bébé venait juste d’arriver.

Il est presque mort, anémique, totalement déshydraté, émacié, et diarrhéique ; nous trouvons du sang et du mucus dans ses fientes et il est couvert de plaies suintantes, de poux et de mouches. Des cicatrices de corde cernent ses poignets mais la plus grave menace qui pèse sur sa vie vient de son pied gauche, un moignon enflé, gangrené et à demi scié, au-dessus de l’emplacement du pied, par le lacet profondément incrusté qui servit à l’attraper. Je n’avais encore jamais rien vu de semblable ; aujourd’hui seulement, nous avons découvert ses orteils, repliés et perdus dans des couches de pus et des lambeaux de peau sur la plante de ce qui auparavant était le pied.

Nous le soignons vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis cinq jours maintenant. Mais hier, j’ai pris la décision de l’amputer du pied, malgré son mauvais état général, sinon il mourra certainement. J’ai demandé à un chirurgien spécialiste de la lèpre, très qualifié, de venir l’opérer au camp le plus vite possible. Nous pouvons enfin retirer le lacet et voir s’il peut être sauvé. Je crois de moins en moins qu’un miracle puisse le garder en vie, l’opération est le dernier recours. Ce chagrin ajouté à la douleur de la mort de Digit est si frustrant qu’il ne reste rien en quoi je puisse croire.

Lolly Prescada, le chirurgien, envoya un mot d’excuse : elle ne pourrait pas monter à Karisoke avant un jour ou deux, ce que Dian estimait trop tard. Ce message arriva en même temps qu’un courrier d’Angleterre portant d’autres mauvaises nouvelles concernant le Fonds Digit. Jointes aux événements récents, ces diverses déceptions plongèrent Dian dans une profonde dépression.

En attendant sa venue, Lolly avait conseillé, de donner au gorille malade une solution saline, par voie orale, pour combattre la déshydratation. A la fin de l’après-midi, Dian se rendit à la cabane occupée par les V.W., où l’animal était temporairement logé.

Je descendis et rendis Bill et Amy furieux en les obligeant à donner les médicaments au bébé qui s’étrangla. Plus tard dans la nuit, Amy m’informa que le bébé était en train de mourir. Respiration artificielle. Elle la fait, il ne la fait pas. J’essaie à mon tour et j’échoue. Amy pleure. Terrible. Il déclare que je voulais la mort du bébé. Je rapporte le corps chez moi et reste éveillée toute la nuit.

Le lendemain matin, Dian porta le corps à l’hôpital de Ruhengeri. Une autopsie confirma une gangrène totale du pied blessé et une pneumonie si ancienne que les deux poumons n’étaient plus que des sacs de pus et de mucus. Les médecins conclurent que l’animal était perdu bien avant d’atteindre Karisoke.

Il n’est pas possible de savoir si Dian accepta complètement ce diagnostic. Il est certain que cet épisode la hantera pendant des années. Il est aussi certain que l’accusation d’avoir été la cause immédiate de la mort du bébé fut utilisée contre elle par des gens malveillants. La douleur causée par la mort de Digit avait été presque insoutenable ; elle fut désormais portée au niveau de l’angoisse par son échec à sauver le bébé volé.

Ne se sentant pas le courage de retourner immédiatement à Karisoke, Dian partit en voiture pour Gisenyi, dans l’espoir de se soulager de son fardeau auprès de Rosamond Cars. Malheureusement, son amie venait de partir pour les États-Unis. Bien qu’il fût déjà très tard, Dian reprit la route difficile de Ruhengeri, puis bifurqua vers le sud pour couvrir en trois heures le trajet qui la mena à Kigali.

Tout en sachant que Bettie Crigler était aussi aux États-Unis, elle alla à l’ambassade. Elle y trouva un soutien en la personne de l’ambassadeur qui la fit boire et manger ; iI écouta patiemment son histoire et lui trouva une chambre et un lit. La gratitude sincère de Dian s’exprima de façon tant soit peu énigmatique :

Tout devint vrai à l’instant où je sus que cela serait.

Les parents de Debi Hamburger, la jeune femme qui avait tant souhaité travailler avec Dian, arrivèrent à Karisoke le 7 avril. Ils apportaient ses cendres et un mémorial en bronze… Leur arrivée à ce moment-là aurait pu produire une surcharge émotionnelle insupportable chez une femme déjà tendue à se rompre ; elle eut un effet contraire.

 Simba, la femelle qui portait l’enfant de Digit, avait mis bas dans la nuit du 6; enfin une bonne nouvelle, diablement nécessaire. Le nom du petit est Mwelu, ce qui veut dire en swahili « Lumière brillante et miroitante ». Ce petit morceau de Digit reçut ce nom que nous avions antérieurement choisi pour la jeune Américaine, Debi Hamburger, qui aurait dû venir ici deux ans plus tôt, avant qu’on ne lui eût découvert un cancer du sein. Après une opération, elle était décidée à venir l’an dernier; mais il était trop tard.

J’avais déjà prévenu les étudiants que le prochain petit qui naîtrait serait appelé Mwelu, en l’honneur de Debi, une fille super. Simba programma si bien sa mise bas que le 8, je pus conduire les Hamburger voir le Groupe 4 et entendre Mwelu pleurer à fendre l’âme parce qu’elle se trouvait dans une touffe d’orties. Les parents de Debi étaient très heureux.

Le jour suivant, avec le Groupe 5, le père et la mère de Debi furent entourés de gorilles et leur bonheur me rendit aussi très heureuse. Mais, bien sûr, ils devaient repartir. Avant la fin du mois je louerai un avion pour répandre les cendres de Debi selon sa volonté au-dessus des Virungas.

Entre-temps, ruminant toujours la pénible nuit de la mort dubébé gorille, le duo V.W. décida d’aller à Kigali pour donner à l’ambassadeur Crigler leur version des faits. « Parce qu’il était un de ses très bons amis, nous pensâmes que quelqu’un devait savoir jusqu’où elle avait plongé (…). Nous n’avions nullement l’intention de la traîner dans la boue. Nous pensions (…) que le mieux â faire serait d’essayer de la convaincre de quitter le pays. »

– Leur service dans le Peace Corps les avait peut-être convaincus qu’ils étaient assez compétents pour juger une femme comme Dian Fossey. Malheureusement, l’histoire, déjà bien amplifiée, parvint aux oreilles de Monfort et d’autres Européens ; en très peu de temps, elle fut accréditée sous une version très déformée. Ivre et incapable, Dian Fossey était responsable de la mort du gorille! La femme qui se prétendait le champion dévoué des gorilles de montagne était à peine meilleure que les braconniers qu’elle persécutait. Crigler considéra cet affreux ragot pour ce qu’il était, mais ceux qui n’aimaient pas Dian l’exploitèrent au maximum.

Pendant quelque temps, elle ignora ce qu’on disait d’elle. En fait, elle jouissait des seules semaines heureuses que l’année lui apporterait. Le 8 mai, le rêve qu’elle caressait depuis huit mois devint réalité : le Dr Jean Gespar vint passer presque un mois avec elle à Karisoke. Leur intermède ne fut pas totalement idyllique. Jean était presque aussi passionné qu’elle par la vie des gorilles et le couple passa des journées entières avec les Groupes 4 et 5. Le soir, après le dîner, que Dian préparait dans la kitchenette de sa cabane, ils se promenaient la main dans la main sur la prairie, au pied des vieux volcans, écoutant les cris étranges de l’hyrax et le meuglement des guibs.

Le 10 mai, Ian Redmond retourna en Angleterre, après avoir prolongé de trois mois son séjour à Karisoke pour mettre sur pied le programme anti-braconniers. Ily réussit admirablement bien ; mais l’incapacité de la Société de Préservation de la Faune à procurer les fonds nécessaires à l’engagement et à l’entraînement de nouveaux hommes signifiait que la charge des patrouilles incombait principalement aux pisteurs du camp et à lui-même. Ce qui entraîna des frictions croissantes entre Dian et les trois étudiants en recherche, qui n’avaient aucune envie de combattre le braconnage mais désiraient l’aide de pisteurs pour poursuivre leurs projets personnels.

Les efforts de Jan pour contrôler les braconniers sur le territoire du camp avaient été efficaces, mais, au-delà, les braconniers avaient le champ libre pour leurs sinistres exploits. Deux jours avant de quitter Karisoke, au cours de sa dernière patrouille, Ian trouva et détruisit environ quarante collets dans la région du col où Digit avait été tué, preuve criante que les braconniers s’activaient toujours à la périphérie de l’aire d’étude.

Jean Gespar quitta Karisoke le 26 mai après avoir déclaré à Dian qu’il considérait sa visite comme une agréable passade, mais qu’il n’avait pas l’intention de poursuivre leur liaison.

Après son départ, Dian demeura seule dans ce camp où les autres Blancs étaient soit neutres, soit hostiles à son égard. Entourée de braconniers dont elle pouvait à peine limiter les déprédations, elle était très anxieuse quant à l’avenir.