« Quand tu dis à l’enfant « frappe celui que tu hais », il frappe son frère de lait » (proverbe). « Les garçons d’une même famille travaillaient surtout pour en devenir le chef: ce titre était attribué en héritage par le père… au fils qui avait consacré le plus d’efforts au mieux-être de la famille : cela aiguisait l’esprit de compétition » .

L’intégration que réalise le groupe des frères et sœurs se situe au point d’intersection entre l’axe vertical et l’axe horizontal des relations : en effet, d’un côté le principe de séniorité y joue à plein, les cadets se trouvant sous la dépendance des aînés ; de l’autre, on s’y retrouve entre individus de la même génération, donc entre égaux et semblables, face aux générations qui précèdent et qui suivent. Cette conjonction explique toute l’importance de ce niveau d’analyse. Il y apparaît clairement que les relations entre les enfants étaient subtiles, complexes et ambiguës, et que-sous des apparences de fraternité cordiale pouvaient se cacher de fortes méfiances et d’inextinguibles rivalités.

Frères et sœurs jouaient ensemble jusqu’à la puberté, même si à partir de six ou sept ans les jeux commençaient déjà à se différencier progressivement. Les cousins parallèles paternels étaient assimilés linguistiquement à des frères : comme entre eux il n’y avait pas de problèmes d’héritage ni d’obligations de respect, les relations pouvaient même être plus cordiales qu’entre frères proprement dits. Les filles de l’oncle paternel étaient des « sœurs », avec qui il y avait prohibition de mariage : il fallait donc maintenir la distance, sans que pour autant la plaisanterie soit interdite. La surveillance tatillonne à laquelle les filles étaient souvent soumises contrastait avec la relative liberté d’action et d’allure dont bénéficiaient les garçons.

L’aîné des garçons, « celui qui a vu le soleil le premier », jouissait d’une certaine prééminence même s’il n’héritait pas de l’autorité paternelle, et les cadets lui devaient un respect et une obéissance particuliers. On lui demandait volontiers conseil. Quant à. la sœur aînée, appelée en bien des circonstances à exercer des fonctions quasi maternelles, son rôle était souvent considérable, même si dans son cas l’importance de l’aînesse était moins soulignée.

Les garçons, quel que Mt leur âge à eux, avaient une part d’autorité sur leurs sœurs, avant et après leur mariage, et ce quel que fit leur âge à elles. Mais une fois que ces dernières avaient atteint la puberté, ils ne pouvaient plus les forcer à obéir. Les filles (qui n’héritaient pas, sauf quelques objets dans le Nord) avaient tout intérêt à se montrer respectueuses envers leurs frères et à être en bons termes avec eux. En effet, celui que le père allait un jour désigner comme son successeur à la tête de la famille allait fort probablement avoir à régler leurs questions de mariage et de divorce : leurs destinées dépendaient alors en large part de lui. Entre des sœurs mariées des rivalités pouvaient naître, car il n’y avait pas d’interdictions sexuelles entre une femme et le mari de sa sœur.

L’atmosphère familiale était inévitablement influencée par les méfiances et la concurrence qui se développaient au sein de la fratrie à cause du système de désignation du futur chef de famille. Les rivalités pouvaient même être encouragées par les parents dans le but de stimuler les jeunes et de susciter l’émulation. En effet, plus la compétition était exacerbée, plus chacun était poussé à une forte affirmation de soi.

« C’est surtout dans l’enfance, avant que la décision du père ne soit prise officiellement, que surgissent les conflits et les rivalités. Le père ne fixe, en effet, sa volonté que lorsque ses fils ont atteint une quinzaine d’années et qu’il peut les juger ».

Il en observe les qualités et les défauts, et apprécie le dévouement, la serviabilité, le don de commandement et le prestige de chacun. Comme nous l’avons vu précédemment, l’autorité pouvait même être léguée à un petit-fils qui, sur le plan politico-familial, devenait ainsi chef de son propre père et de ses oncles.

La décision paternelle pouvait intervenir à n’importe quel moment, y compris sur le lit de mort. Elle ne pouvait être contestée d’emblée et on restait dévoué en apparence, mais les tensions n’en étaient pas moins inévitables. Il n’était pas rare qu’elles conduisent à de graves conflits d’héritage et de succession, voire à des conduites déviantes, surtout dans la haute classe. Ainsi le décès des rois donnait-il parfois lieu à de sérieux désordres intérieurs, quand les fils mis de côté s’opposaient à l’élu proclamé par le collège des détenteurs des secrets royaux censés exécuter le testament laissé par le monarque défunt. En désignant celui de ses enfants qu’il estimait être le plus apte à lui succéder, il désignait du même coup la future reine-mère dont la fonction était très convoitée. On rapporte que dans le Nord du pays des frères rivaux qui briguaient la faveur de leur père s’accusaient mutuellement de recourir aux services de sorciers ou de pratiquer eux-mêmes la sorcellerie.

Il faut tenir compte aussi du fait que les partages se réalisaient difficilement dans une société très faiblement monétarisée où la surface des terres cultivables et des pâturages devenait de plus en plus exiguë. Pourtant, dans son testament, un père ne pouvait pas favoriser un fils sans motif sérieux. Les attributions des héritiers étaient réexaminées par le chef de lignage ou l’autorité politique. Par contre, un fils que le père avait maudit était par le fait même exclu.

La minoration de la primogéniture, rare en Afrique, se retrouve entre autres chez les Bamiléké du Cameroun, et on a expliqué par elle l’exceptionnel dynamisme des hommes de cette ethnie en tant que commerçants et entrepreneurs: les frères qui ont été évincés doivent prouver par la richesse qu’ils parviennent à accumuler qu’ils sont tout aussi capables que celui d’entre eux qui a été choisi par le père comme successeur. Tout porte à croire que le Rwanda apparaîtra un jour comme un paradis pour psychologues qui chercheront à étudier la thématique œdipienne dans un contexte culturel extra-européen.

Si la rivalité dominait dans les relations entre frères, c’était souvent un climat d’affection et d’intimité qui s’instaurait entre frères et sœurs, particulièrement intense quand une aînée a gardé, porté, soigné à la place de la mère un cadet qu’à partir de là elle considérait un peu comme son enfant. Si les garçons, seuls héritiers, avaient du fait de leur sexe autorité sur les filles, ils ne pouvaient l’exercer par la force : ils n’y avaient d’ailleurs aucun intérêt, car ce sont leurs sœurs qui leur servaient d’ambassadrices, de messagères, d’espionnes et d’agents de publicité vantant leurs qualités et prouesses auprès des autres filles et fiancées virtuelles. Un jeune frère- ou cousin parallèle de la femme devait même se coucher entre les nouveaux mariés durant la première partie de la nuit de noces. De plus, dans cet échange de femmes, de vaches et d’autres biens entre lignages qu’était une union matrimoniale, c’était la fille qui rapportait au groupe une « dot » qui pouvait ensuite servir au mariage d’un garçon. Il était très mal vu de la part d’un homme de brutaliser sa sœur, alors que ce l’était moins quand il s’agissait de son épouse.

Dans les chantefables du Burundi, F. Rodegem relevait plusieurs histoires de couples fraternels : on y voit par exemple une sœur qui est entièrement à la dévotion de son frère aîné ; devenus orphelins, ils sont chassés par leur marâtre; le garçon se transforme en lion, et lorsque les chasseurs le tuent, la fille tantôt se suicide, tantôt le ressuscite à force de verser des larmes sur lui.

Les orphelins étaient en principe adoptés dans la parenté proche : cela les mettait à l’abri d’un abandon, mais non de conduites discriminatoires à l’intérieur de la famille d’adoption ni d’une dureté haineuse de la part des marâtres.

Il arrivait que des relations incestueuses se nouent entre enfants nés du même père mais de mères différentes, alors que cela était rare entre ceux de même père et de même mère.

Dans les familles nobles des unions consanguines pouvaient même être arrangées délibérément pour maintenir la pureté du sang.

« Quand deux enfants ont une même mère et deux pères différents, ils se sentent davantage liés que deux enfants dont le père est commun mais qui ont des mères différentes. La figure de la seconde mère est d’habitude colorée d’une valeur négative. Les contes font un abondant usage de ce thème. Les enfants de ton père avec une autre mère ne sont pas perçus comme des frères et sœurs, mais comme des rivaux, surtout quand il s’agit d’héritage. En effet, un père de famille aura tendance à choisir comme héritier l’enfant de la femme qui vit actuellement avec lui. Ainsi on arrive parfois à des conflits réels au sein d’une même famille ».

La situation se corse encore quand il s’agit d’enfants de polygames, qui voient leurs mères habiter une maison à part et cuisiner séparément, le père allant de l’une à l’autre pour manger et dormir. Chacune défend le plus souvent avec insistance aux siens d’aller manger auprès d’une coépouse. S. Bushayija note :

« Les frères et sœurs d’origine polygamique ne s’aiment pas suffisamment comme des frères devraient s’aimer, il leur manque la plupart du temps une véritable affection fraternelle. Ils héritent souvent des rivalités, des jalousies, voire des haines que leurs différentes mères nourrissent les unes à l’égard des autres. S’il arrive qu’ils s’aiment, ce sera pour ceux qui les connaissent un sujet d’édification, d’admiration… ».

Et A. Kagame: « Les enfants issus de deux femmes héritent en général des haines de leurs mères. Dès qu’ils peuvent se faire du tort, y compris l’extermination par voie de délation à la cour, ou par inféodation à des partis politiques farouchement ennemis, ils n’y manquent pas. Comme chaque Rwandais redoute de mourir sans postérité, ou, ce qui revient au même, de voir s’éteindre sa famille par la malédiction attachée au sang fraternel versé, la polygamie n’était pas une solution prisée ».

Parmi les alliances de type horizontal il faut signaler le pacte de sang (« action de se boire l’un l’autre ») qui est censé créer des liens de fraternité et de fidélité encore plus étroits que ceux résultant de la parenté. Après une incision sur l’abdomen, on avalait devant témoins un peu de sang du partenaire. Ce rite obligeait les deux à une solidarité inconditionnelle s’ils ne voulaient pas s’exposer aux sanctions immanentes les plus graves. Cette fraternité de sang transcendait les « ethnies », mais les contractants ne pouvaient être de même lignage. Voici des paroles prononcées au moment du rite :

« Ma femme devient ta femme ; si tu loges chez moi et que tu refuses de coucher avec ma femme, que le pacte de sang te tue ; si je meurs et que tu ne t’occupes pas de mes orphelins et de la veuve, que le pacte de sang te tue. »

Les deux amis engageaient donc aussi leurs familles, parents, épouses et enfants.

Certains secrets de famille, le plus souvent liés à l’activité professionnelle ou aux fonctions spécialisées propres à un groupe de parenté, n’étaient transmis discrètement qu’à ceux des enfants qu’on jugeait dignes et capables. Les confidences pouvaient ainsi aller de père à fils ou de mère à fille, par exemple au cours de promenades dans les champs à la nuit tombante.

Image et rôle des grands-parents

« Quand les grands-parents entrent par la porte, la discipline des enfants s’envole par la fenêtre » (dicton).

« Les grands-parents jouent le même rôle éducatif que les parents, mais d’une façon plus simple, plus douce et plus aimante. Avec eux les enfants se sentent plus à l’aise, plus libres et plus heureux… Ils ont tendance à tout excuser sous prétexte que les enfants sont encore petits… Ils leur donnent tout ce qu’ils demandent et ont tendance à les satisfaire dès qu’ils pleurent, ce qui les incite à pleurer pour n’importe quoi… Au repas, ils ne mangent qu’après que les petits-enfants soient pleinement rassasiés, voire gavés… Souvent ils ne leur imposent aucun travail… Ils préfèrent les corriger par des mots, au lieu du bâton, mais l’enfant ne prend pas cela au sérieux…

Lorsque le petit-fils arrive, la grand-mère dit que c’est son mari qui est venu et que personne ne doit le toucher… Les petits-enfants se comportent comme si les grands-parents étaient des camarades de même âge qu’eux… Ils sont très joyeux et enthousiastes avec eux, jusqu’à l’usage de paroles qui en d’autres relations seraient considérées comme impolies, voire insultantes. Généralement, les grands-parents aiment les enfants de leurs filles plus que ceux de leurs fils ».

Comme dans le reste de l’Afrique, les grands-parents jouaient un rôle éducatif important dans les domaines qui n’avaient pas directement trait à l’activité productive. Ils étaient souvent appelés à s’occuper d’orphelins de la famille. Les relations avec eux se caractérisaient par un climat d’intimité, de familiarité, de spontanéité, d’enjouement, de confiance, de connivence, d’indulgence et de liberté, voire- d’égalité, avec plaisanteries à thème sexuel, comme s’il fallait trouver une compensation à la réserve et à la sévérité qui pouvaient caractériser les rapports parents-enfants. Les jeunes avaient dans une certaine mesure le sentiment d’être traités en adultes. Entre grand-père et petite-fille et grand-mère et petit-fils se développait un langage simili-conjugal, et à l’inverse grand-père et petit-fils et grand-mère et petite-fille se plaisaient à simuler une rivalité amoureuse.

« Mon grand-père avait de très nombreux petits-fils et petites-filles. Nous passions des journées entières auprès de lui. Il nous appelait ses « petits rivaux qu’il devrait émasculer », ou ses « petites épouses », selon 1e cas. Il nous avait distribué des surnoms un peu bizarres, et quand on n’en avait pas dix, on n’était pas contents. Evidemment on l’insultait, lui disant qu’on lui prendrait ses femmes ou qu’on l’éconduirait, selon qu’on était garçon ou fille » .

En gros, les comportements étaient identiques qu’il s’agisse de grands-parents par affinité ou de grands-parents par consanguinité.

Il était communément admis que l’enfant soit élevé dès le plus jeune âge dans le foyer de ses grands-parents, surtout en cas de naissances trop rapprochées. Et il n’était pas rare qu’on en envoyât un à une grand-mère restée seule pour de très longues périodes afin qu’il s’habitue à elle, lui tienne compagnie, lui rende de menus services et « lui apporte la braise pour allumer la pipe ». Mais parce que les grands-parents servaient de refuge en cas de conflit avec la génération intermédiaire des parents, ces derniers avaient tendance à apprécier négativement l’éducation ainsi dispensée et prétendaient qu’elle rendait les enfants capricieux, pleurnichards et rebelles à l’effort. On appelait « enfant de grand-mère » celui qui était élevé dans la facilité ou la mollesse.

« Quand ils reviennent chez leurs parents, les enfants éduqués par les grands-parents ressentent une rupture énorme entre les deux mondes… Parfois ils admettent difficilement que leur père et leur mère soient leurs parents et ils les désignent par leurs noms, ce qui est contraire à la politesse ».

Les enfants étaient initiés aux croyances, aux mythes, aux contes et à l’ensemble du folklore littéraire et historique principalement par les grands-parents. Ceux-ci étaient aussi plus à l’aise que les parents pour parler de sexualité. Dans leur langage ils faisaient un abondant usage de proverbes, de dictons et de locutions énigmatiques. Les imigani, qui sont à la fois proverbes et fables, enracinaient sur un mode ludique dans une vision du monde, un contexte social et moral, un environnement naturel et une démarche symbolique. Par leur statut même de vieilles personnes et d’ascendants, mais aussi par la nature de ce qu’ils transmettaient, les grands-parents représentaient un lien avec le passé et étaient friands de comparaisons entre époques différentes.

« Si la plupart des enfants aiment se rendre, voire vivre chez leurs grands-parents, c’est qu’ils sont attirés par le merveilleux. En effet, le soir le petit s’assoit à côté de sa grand-mère qui lui raconte toutes sortes d’histoires ou lui chante des chansons. L’enfant est très touché par ces personnages imaginaires. Souvent il y est question d’un enfant abandonné dans la forêt, qu’un animal sauvage adopte pour pouvoir un jour le manger, mais qui sera sauvé miraculeusement. L’enfant est touché aussi par les intermèdes chantés. Quand il se retrouve avec ses camarades, il essaie de reproduire ce qu’il a entendu, sans toujours y parvenir. Il le fait en cachette, car la coutume dit que si on raconte des fables durant 1a journée, on est transformé en lézard. Quant aux chansons pour apaiser les enfants, il essaie de les mémoriser et de les ressortir chaque fois qu’un nourrisson pleure » .

L’histoire familiale reposait en grande partie sur des généalogies. C. Vidal cite le cas d’une vieille informatrice qui, orpheline très jeune, pouvait citer 47 noms répartis sur 7 générations d’ascendants dans sa lignée paternelle. Cette connaissance généalogique lui avait été transmise par son grand-père, mais elle n’a gardé aucun souvenir de cet apprentissage . Le culte des ancêtres obligeait à de fréquentes remémorations et à remonter dans leur invocation la chaîne des ascendants aussi loin que possible.

A cause de leur expérience en matière de pharmacopée, c’est souvent aux grands-mères qu’on s’adressait en premier lieu quand un enfant tombait malade.

Dans l’idéal, les vieillards étaient entourés d’attentions, de respect et d’une crainte révérencieuse. La réalité, comme on s’en doute, était parfois plus dure. D’après A. Arnoux, il arrivait que par piété filiale on hâtât la mort de vieux devenus impotents : on les étouffait en leur faisant absorber une trop grande quantité de lait.

 Autres relations

En principe, tout le groupe devait se sentir collégialement responsable de sa jeunesse, et tout l’entourage prendre part à l’éducation d’un enfant. Mais tout le monde n’était pas concerné au même titre ni au même degré pour le nourrir, le conseiller, le corriger, le punir, le soutenir. Un code informel très précis se mettait en place en fonction des liens des uns et des autres avec le père et la mère et de l’atmosphère qui a régné dans le groupe des frères et soeurs de la génération des parents. Les chefs de lignage intervenaient quand des crises éducatives graves risquaient de conduire à des perturbations au sein du groupe.

Selon la logique du système patrilinéaire, l’influence des oncles et des tantes paternels était en principe plus grande que celle des maternels.

« La famille de la mère ne voudra pas intervenir activement dans l’éducation d’un enfant, car après tout, dira-t-on, celui-ci appartient au côté paternel : si c’est un garçon, on dira qu’il sera héritier de la famille du père et pas de la leur ; si c’est une fille, on dit que la dot profitera à l’autre famille et pas à la leur. Du fait que l’enfant doive suivre la lignée de son père et que c’est la famille paternelle qui en bénéficie pour la plus grande part, celle de la mère n’est pas motivée pour s’investir. On dit qu’on n’a pas envie d’éduquer pour les autres ».

Le fait de ne pas appartenir juridiquement au patrilignage de la mère n’empêchait pourtant pas de nombreuses relations fort positives de s’établir avec ses membres.

L’enfant avait envers le frère de son père, appelé « notre père », la même attitude qu’envers son père, sauf que les relations étaient souvent plus détendues, plus cordiales, de sorte qu’il n’hésitait pas à passer par son intermédiaire pour obtenir quelque chose du père. L’oncle était souvent le premier informé des désirs de mariage. Il pouvait punir ses neveux quand c’était chez lui, raison pour laquelle on s’y réfugiait rarement : tout dépendait en fait de leurs âges respectifs (puisqu’il pouvait arriver qu’un neveu soit plus âgé que son oncle). L’oncle paternel remplaçait le père en cas d’absence ou de décès ; il prenait alors ses neveux chez lui, ce qui était plus difficilement concevable de la part d’un oncle maternel.

Envers la femme de l’oncle paternel, qui donnait naissance à des cousins parallèles, le comportement était en principe de type filial. Veuve, elle pouvait être épousée par le père.

On attribuait à la tante paternelle un rôle éminent, avec pouvoir de maudire neveux et nièces. Comme elle ne pouvait hériter de son père, elle se sentait libre de demander à celui-ci et à ses frères ce qu’elle désirait pour les enfants de ces derniers. On dit qu’elle les aimait (eux qui étaient de son lignage) plus que ses propres enfants (qui n’en étaient pas). Pour les mêmes raisons liées à l’appartenance lignagère, ses neveux pouvaient épouser ses filles, leurs cousines croisées, sans urgence de payer la « dot ». On avait donc de bonnes et nombreuses raisons d’aller chez ses tantes paternelles.

L’oncle maternel n’avait autorité sur les enfants de sa soeur que si les compensations matrimoniales n’ont pas été versées, et il n’intervenait en cas de besoin qu’en l’absence d’oncles paternels. Les rois auraient fait mettre à mort un de leurs oncles maternels au moment d’accéder au pouvoir pour empêcher l’intrusion de membres de la lignée féminine. On rendait facilement visite à son oncle, mais les relations devaient rester discrètes. Un oncle avait à craindre que le neveu ne séduise sa fille, ce qui risquait d’entraver d’autres alliances et de ne pas lui rapporter une « dot » convenable. Les attitudes entre oncles et neveux

« n’étaient pas complètement réciproques, en ce sens que l’oncle maternel tenait à éviter ses neveux beaucoup plus que ses neveux ne l’évitaient. Pour l’oncle, ils portaient malheur et ils étaient traités en conséquence. II ne leur était pas permis de garder les greniers de leur oncle ou de traire ses vaches et ils mangeaient avec les serviteurs. L’oncle semblait faire tout ce qu’il pouvait pour les persuader de ne pas venir chez lui. Cependant, ils lui rendaient visite parce que chez leur oncle ils rencontraient leurs cousins avec qui il leur était traditionnellement permis d’avoir des relations très familières’.

On observait que les tantes maternelles exerçaient une grande influence du fait qu’elles étaient proches de la mère. Mais les relations entre les deux sœurs pouvaient se tendre quand un de leurs maris négligeait sa femme et préférait sa belle-sœur au plan sexuel, ce qui n’était pas frappé d’interdit. L’étaient par contre sévèrement les relations entre le neveu et sa tante maternelle et les filles de cette dernière, des cousines parallèles maternelles assimilées à des sœurs. Le tabou de l’inceste existait entre les descendants de cousines parallèles jusqu’à ce qu’on oublie que les deux ascendantes avaient été des sœurs .

Les femmes des oncles et les maris des tantes étaient des « étrangers’ (sauf s’il y a eu des mariages préférentiels au sein de la parenté) et ne suscitaient donc pas de comportements particuliers, si ce n’est que les relations étaient habituellement empreintes de confiance. Tout dépendait de la tonalité des relations avec les oncles et les tantes.

Avec leurs cousines croisées maternelles (filles du frère de la mère) les garçons pouvaient établir des relations de grande familiarité, faites de plaisanteries, de farces et de jeux amoureux : aussi longtemps qu’elles n’étaient pas mariées, on ne se permettait en principe que des caresses et des gâteries ; mais après leur mariage des relations sexuelles étaient tolérées. Une tolérance similaire existait pour les femmes des fils du frère de la mère (femmes des cousins croisés). La familiarité était aussi de mise dans les relations entre cousins croisés paternels et cousins croisés maternels de sexe opposé, contrastant avec la discrétion qui devait marquer celles entre cousins parallèles.