“Il n’y a pas de femme meilleure que celle qui bâtit son foyer” ; “la vache ne dépasse pas le taureau” ; “la poule ne chante pas en présence du coq” (dictons).

“Le Rwandais manifeste un attachement quasi religieux à sa mère. Il arrive que des filles retardent leur mariage par amour pour elle. / La valeur d’une femme n’est pas seulement d’avoir un corps féminin ou d’être mère ; elle réside aussi dans les qualités morales personnelles. C’est ce qu’affirme un proverbe : “être femme, ce n’est pas avoir des mamelles ; la chèvre aussi en a deux.” Mais souvent les dictons mettent l’homme en garde contre sa femme ; elle est un être dont il faut se méfier : “tu te ruines pour contenter ta femme, et demain elle te quittera avec sa dot intacte.” Contre une trop forte personnalité : “les viragos ne cèdent qu’à la brutalité.” Contre la participation au pouvoir : “il est dangereux pour le ménage que la femme commande.” Contre le choc des idées… : “quand ta femme t’insulte, tais-toi si tu ne veux détruire ton foyer”. / Le signe de l’infériorité de la femme, c’était qu’elle ne pouvait pas se rendre au champ de bataille. / Les femmes ne pouvaient être mentionnées dans la poésie dynastique, à part les reines-mères quand il s’agissait de généalogies”.

Le terme de mama(“ma mère”) pouvait s’employer comme terme d’adresse envers n’importe quelle femme en signe de respect, de reconnaissance ou d’affection. Pour exprimer sa tendresse à quelqu’un on disait : “tu es l’enfant de ma mère”. Comme des beaux-frères avaient un droit d’accès à leurs belles-soeurs, on désignait chacune d’elles en disant “notre épouse” comme s’il s’agissait d’une propriété familiale collective. Si le pilier principal de la maison symbolisait le père, les piliers secondaires représentaient les épouses, d’où le dicton : “un pilier seul ne fait pas la maison.” L’homme était comparé au feu du foyer que la femme attise et alimente.

Autant on a tendance aujourd’hui à insister sur l’infériorité de la femme et sur sa dépendance vis-à-vis de l’homme, autant on exaltait autrefois le rôle qu’à l’image de la puissante reine elle pouvait jouer auprès de son mari comme conseillère associée aux décisions et comme intendante de ses biens. Du fait qu’elle était destinée à ne pas rester dans sa famille, mais à partager le sort de celui qu’elle a épousé et de tout son groupe, cela lui conférait, pensait-t-on, une psychologie particulière : elle savait faire abstraction des haines réciproques, oublier les désirs de vengeance de sa propre parenté et devenir ainsi inaccessible, en tant que mère, aux sentiments méchants des hommes.

Si le père était le chef du foyer, celui “au nom de qui” les autres agissaient, la mère était le principal agent de socialisation par qui s’opérait au jour le jour l’éducation initiale des enfants et la transmission des acquis de base. On concevait mal une éducation sans elle, et c’est contre elle qu’on se retournait en cas de méconduite. Beaucoup de récits qui relatent des malheurs auxquels des enfants ont été soumis commencent par la mort de la mère. Les jeunes savaient que, du point de vue de leur père ; leur mère n’avait pas un statut supérieur au leur. Elle avait droit à leur respect et à leur obéissance, mais les devait à son tour au chef de famille. En général les relations entre mères et enfants étaient affectueuses. Une mère âgée et veuve venait assez souvent habiter chez un de ses enfants, ce qui était plus rare du père.

Quand on parle d’autorité il faut opérer une distinction : s’il est vrai que l’épouse n’avait pas de pouvoir juridique par elle-même dans la maison de son mari, en pratique son autorité morale pouvait être très grande, appelée qu’elle était à régir tout ce qui touchait à la vie domestique et à l’éducation. Elle disposait d’une marge de manœuvre non négligeable. Elle était par excellence l’économe de la maison et la gestionnaire habituelle des biens mobiliers et de consommation, s’occupant de la cuisine et des soins aux enfants, ayant autorité sur le personnel de service et pouvant prendre des initiatives économiques, le tout sous une houlette tantôt légère, tantôt pesante de l’homme. Au besoin elle pouvait faire la grève de la cuisine et des relations sexuelles, voire retourner chez ses parents. Car les liens avec son propre groupe étaient maintenus quelle que fût la distance. Les conflits se réglaient alors de famille à famille.

Au Rwanda, la femme est presque l’égale de l’homme ; elle a son mot à dire dans le ménage et ses avis sont écoutés, surtout si elle est mère. Elle y a donc une place qui lui revient, mais il n’en est pas moins vrai qu’elle doit rester dans son rôle de femme, et elle le sait bien“.

Un mari aisé particulièrement prévenant et attentionné veillait à ce que son épouse disposât de vaches laitières afin d’avoir du beurre et du lait pour sa cuisine et sa toilette ; il lui achetait ce qui était susceptible de lui faire plaisir et lui procurait des aides pour son travail.

Mais comme partout dans le monde, la vie de couple était exposée à bien des dérives. Les violences conjugales n’étaient pas inconnues. D. de Lame rapporte des propos entre hommes où l’un dit à l’autre : “Une femme qui n’est pas battue ne sait pas qu’elle est une femme”. Comme le signalaient les informateurs de M. Vincent, il arrivait que les parents disent du mal l’un de l’autre devant les enfants (p. ex. “tu es bête comme ta mère” ou “sale comme ton père”) sous prétexte d’éviter qu’ils ne prennent les défauts du conjoint.

Au cas où les parents étaient amenés à se séparer, les enfants restaient auprès du père, sauf les plus jeunes à titre temporaire. Cela créait évidemment des situations difficiles au plan affectif, car les enfants étaient en général plus proches de leur mère que de leur père.

Tenue pour responsable de l’éducation des enfants, spécialement des filles, la mère était censée veiller à ce que les contacts avec les semblables au sein de la classe d’âge aient valeur éducative. Même les garçons étaient sous son autorité morale jusque vers 14 ou 15 ans. Elle recueillait leurs souhaits et leurs demandes pour les présenter au père et éventuellement faire fléchir la volonté paternelle par des moyens détournés. C’était pour elle une occasion pour affirmer son rôle d’intermédiaire, de médiatrice. On pouvait en général observer une grande complicité entre mère et fille qui allait encore en s’intensifiant au fur et à mesure qu’elles avançaient en âge.

A l’instar du père, la mère pouvait aussi prononcer des malédictions, mais nous avons vu précédemment comment, pour d’avance protéger ses enfants contre le dangereux pouvoir qu’elle détenait ainsi, elle procédait à un petit rite au moment de la section du cordon ombilical, ce qui lui permettait de décharger sa mauvaise humeur sans que cela ne portât à conséquence.

Comme il fallait des garçons pour perpétuer la lignée, les femmes stériles se trouvaient dans une situation très difficile. Il en était de même, quoique dans une moindre mesure, de celles qui ne mettaient au monde que des filles. Relevons aussi l’image très négative qu’ont dans les contes populaires les marâtres et les enfants que celles-ci amènent avec elles dans une famille recomposée.

Une veuve pouvait continuer à vivre dans la maison du mari, surtout s’il y avait de jeunes enfants, et bénéficier d’une partie de ses champs et de ses bêtes, sinon elle n’avait aucun droit à la succession. Son destin normal la conduise à être prise en lévirat par un membre du lignage du mari, sans y être obligée.

Davantage liées à la maison et à l’enclos, donc au monde du dedans, les femmes étaient dans l’ensemble plus proches de la coutume et plus attachées aux traditions que les hommes. Les dires recueillis auprès de collégiens et d’étudiants résument bien les différents aspects du rôle maternel :

“La mère fait preuve d’une affection plus démonstrative avec baisers et caresses. / Pour exprimer son amour au petit, la mère emploie des paroles douces, l’embrasse, lui donne à manger et ne le gronde pas souvent ; elle pardonne facilement. / Avec sa mère, l’enfant fait tout ce qu’il veut, il fouille partout, il est à l’aise avec elle car il sait qu’elle va l’aider en tout ; il lui dit tout, il ne la craint pas. / L’enfant peut plus facilement s’opposer à sa mère qu’à son père ; il se sent plus libre et moins craintif ; il peut facilement lui exprimer ses désirs. / Par respect il ne peut prononcer son nom ni lui dire “tu” ; il ne peut toucher la tête de ses parents sans autorisation. / La mère est accusée dès qu’un enfant pose problème. / La mère a parfois peur de punir son garçon. / Il y a des enfants qui trouvent leur mère inférieure et décident de n’obéir qu’à leur père. / Lors d’une fête, quand on offre de la bière, on envoie les enfants boire avec les femmes. / Pour désigner une mère de famille on disait “celle qui porte la couronne”, ce bandeau en écorce de sorgho, parce que celui-ci symbolise la fécondité”.