Les faits

Le samedi 25 juillet 1959, à 13 heures, le Mwami Mutara III mourut inopinément à Usumbura. L’enterrement et la succession dévolue à M. J.-B. Ndahindurwa, se déroulèrent le mardi 28 juillet sur la colline de Mwima, près de Nyanza, dans une atmosphère extrêmement tendue. En effet, des bruits avaient circulé selon lesquels Mutara III était mort empoisonné par les Blancs avec la complicité des mouvements politiques opposés au groupe traditionaliste. Dans les mois qui suivirent, ce groupe allait utiliser cette version contre ses adversaires.

Le coup d’état de Nyanza (Rwanda) (Extraits)

Radio-Congo Belge annonçait le dimanche 26 juillet : «Le Mwami est mort sans postérité masculine, ce qui pose un problème dynastique, qui devra être résolu dans le cadre de la coutume. Celle-ci dispose que le successeur du Mwami doit être un de ses fils, désigné par les Biru, gardiens de la coutume après la mort du père, ou suivant le vœu du défunt. Le problème de la succession du Mwami sera donc difficile à résoudre ».

Tout le monde s’attendait, en effet, à un interrègne assez long, étoffé d’intrigues, d’une part, de tractations, d’autre part, pour résoudre au mieux des intérêts personnels ou des intérêts publics, un problème particulièrement épineux.

Le mardi 28 juillet au soir, on apprenait que le successeur du Mwami était Jean-Baptiste Ndahindurwa, un des neuf frères et demi-frères du défunt.

A cette nouvelle qui éclata comme une bombe, plus d’un connaisseur du Ruanda s’écria : « C’est un coup d’Etat ! ».

Le déroulement des événements durant ces trois journées établit indiscutablement l’exactitude de ce jugement

Les partis en présence

Il ne s’agit évidemment pas de partis politiques, mais de groupes d’individus qui ont leurs conceptions propres sur l’avenir du Ruanda, et qui sont hautement intéressés à la succession du Mwami.

On peut ainsi distinguer cinq partis de ce genre :

1) Le clan familial du disparu qui, partisan de l’autocratie traditionnelle et disposant de tous les atouts, tenta et parvint à imposer son candidat, Jean-Baptiste Ndahindurwa. Mais ceci ne veut évidemment pas dire que le nouvel élu épouse totalement les vues de ceux qui l’ont porté au pouvoir;

2) Le Conseil Supérieur du Pays, de tendance anti-autocratique mais très oligarchique, qui proposait la constitution d’une régence jusqu’après la déclaration gouvernementale sur le Ruanda-Urundi, ou à défaut, proposait un candidat dont le nom n’a pas été révélé;

3) les évolués Bahutu qui, excédés des abus du règne précédent, proposaient la constitution d’une république;

4) Le peuple hutu (80 % de la population), prostré dans la servitude, qui, comme toujours, ne pense rien et dont les sentiments sont encore pour le moment plutôt ceux du paysan de Varennes que ceux de la populace du 21 janvier 1793;

5) « Last but not least », l’Administration belge qui a pleins pouvoirs au Ruanda- Urundi, et qui entend y introduire une démocratie dont elle ne semble d’ailleurs pas se faire une idée fort nette.

Le bien du pays exigeait évidemment une pondération de ces diverses tendances, et le choix du candidat le plus apte à réaliser des réformes progressives.

Mais le génie conspirateur du clan royal allait en disposer autrement, en usant à la fois de la surprise, du fait accompli, de la menace de la violence et de l’appel abusif à la coutume.

L’atmosphère favorable

Le Mwami étant décédé inopinément, et ce, dans la ville européenne et urundienne d’Usumbura, la suspicion populaire se donna aussitôt libre cours : « Ce sont les Européens qui ont empoisonné le Mwami » et de là la conséquence : « Il faut le venger, il faut tuer des Blancs ».

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le clan royal et les autorités autochtones lui subordonnées ne firent rien pour démentir ces bruits et calmer la population.

Alors qu’au Ruanda-Urundi la sécurité des Européens est totale, et les autochtones toujours respectueux, voire obséquieux, on assista à une série d’attentats pendant les trois jours qui séparèrent le décès du Mwami de la proclamation de son successeur.

Le dimanche, le commissaire de police Van Dousselaere, en service à Nyanza, reçoit une pierre dans le dos.

Le lundi, un agent territorial de Gitarama se rendant à Nyanza, est bloqué par un arbre intentionnellement abattu sur la route ; il est pris à partie par un groupe d’autochtones armés, et il est légèrement blessé d’un coup de machette.

Le même jour, sur la même route, Mlle Laps, assistante sociale à Astrida, revenant d’une excursion en compagnie de monitrices ruandaises, est assaillie également, et des vitres de la voiture sont brisées.

Le mardi, la camionnette de l’hebdomadaire « Kinyamateka », dans laquelle se trouve notamment un frère de la mission de Kabgaye, est lapidée à onze kilomètres de Nyanza.

Le même jour, pendant l’enterrement, un Territorial qui tente de faire respecter l’ordre, est malmené par la foule.

A la même heure, entre Nyanza et Astrida, un groupe de Batwa a abattu un arbre et s’en prend aux usagers de la route.

Encore le même jour, mais après la cérémonie, l’administrateur de Kibuye, M. Nys, rentrant chez lui, tombe dans une embuscade, avec évidentes intentions homicides, tendue par une trentaine de Batwa. Il est sauvé par un détachement de gendarmerie en patrouille.

Dans une autre perspective, suite à de faux bruits répandus par des ennemis des Missions, on arrache des chapelets et des médailles, et on les piétine sans vergogne.

Il est symptomatique que tous ces attentats se sont produits dans les environs de Nyanza (sauf celui contre M. Nys, chez les Batwa de la Crète Congo-Nil particulièrement inféodés à la cour), tandis que l’on n’a signalé aucun fait du genre dans le reste du Ruanda, qui a gardé son calme habituel.

Cette constatation laisse peser de sérieux doutes sur le caractère soi-disant spontané de ces manifestations absolument anormales. La remarque vaut spécialement en ce qui concerne les Batwa, qui sont depuis toujours les exécuteurs des hautes œuvres des autorités tutsi.

Ces faits montrent malheureusement combien la sécurité des Européens est précaire au Ruanda-Urundi. Les autorités autochtones, tenant aux investissements, ont toujours déclaré donner toutes les assurances possibles quant à la protection future des personnes et des biens. Elles ont argué de l’ordre absolu qui a toujours régné dans le pays depuis quarante ans.

Certaines de ces autorités, en permettant ou même en patronnant aujourd’hui la violence pour un résultat limité et immédiat, ont donc commis une extrême maladresse, dont elles n’ont certainement pas mesuré la portée. Elles ont prouvé par là que le Ruanda-Urundi méritait tout juste la même confiance que le Congo Belge, ni plus ni moins. Pour une fois, le sens politique tutsi est pris gravement en défaut.

Mais revenons aux faits. A Nyanza même, les esprits ne sont pas moins excités. Pendant trois jours y circulent des petits groupes des trois races : Batutsi, Bahutu et

Batwa, armés, qui d’une lance, qui d’une machette, qui d’arcs et de flèches. Les Européens n’y sont pas attaqués (sauf le Commissaire Van Dousselaere et le Territorial en question pendant l’enterrement) mais la foule armée est sur place, ainsi, d’ailleurs, que de légers détachements de la Force Publique et de la police. C’est une atmosphère d’état de siège.

Au reste, il s’agit peut-être de mesures préventives de la part des autorités autochtones, car on murmure que des Bahutu vont venir s’emparer du tambour royal Kalinga, emblème et source du pouvoir du clan royal, et symbole de la servitude par des clans tutsi a contrario marginaux, des Bahutu et des Batwa. C’est dans cette lourde atmosphère que le grand coup va être porté.

Le scénario

Le mardi 28 juillet ont lieu les funérailles en présence des Autorités belges, ruandaises et urundiennes, de nombreux Européens et d’une foule ruandaise dont il est essentiel de noter la composition à cause du rôle qu’elle va jouer bientôt.

Cette foule est constituée environ par moitié de notabilités, grandes et petites (chefs, sous-chefs, notables, évolués), venus de tous les coins du Ruanda, et par moitié de gens du peuple, la plupart armés, comme dit plus haut.

Seuls, les connaisseurs remarquent que ces gens du peuple sont exclusivement des habitants des environs mêmes de Nyanza, c’est-à-dire des sujets directs de la Couronne, donc entièrement soumis aux ordres de celle-ci.

Pourquoi ces gens sont-ils armés ? Comme me le disait un Ruandais et l’opposition avec un sourire malicieux : « la coutume ne demande pas qu’on aille à un enterrement avec sa machette ».

A la colline Mwima, le cercueil est déposé sur la fosse ouverte. Lecture d’un message du Roi Baudouin, discours du Vice-Gouverneur Général Harroy, Gouverneur du Ruanda-Urundi, discours de M. Kayihura, Vice-Président du Conseil Supérieur du Ruanda.

A la fin de ce discours, M. Kayihura lit une lettre des cinq Abiru, gardiens de la coutume et confidents du Mwami, qui demandent la désignation du successeur.

Il précise que cette désignation doit être faite immédiatement, avant même l’inhumation du corps, selon la coutume.

Premier coup de théâtre, et premier appel abusif à la coutume. Jadis les funérailles, c’est-à-dire le dépôt sur une claie de la dépouille mortelle après fumigation, avaient lieu plusieurs semaines après le décès, sinon davantage.

C’est avant la fin de cette cérémonie que le nom du successeur devait être en tout cas annoncé. Il pouvait donc se passer de nombreux jours avant la proclamation du nouveau Mwami.

En exigeant maintenant cette proclamation après trois jours seulement, à l’occasion d’une cérémonie très différente (inhumation au lieu de fumigation), la coutume apparaît bien sollicitée.

Que dire ensuite de la grave incorrection de présenter cette exigence au Gouverneur impromptu et en public ? L’intention de prendre celui-ci de court, est évidente.

On n’oubliera pas ce déshonorant accroc à la traditionnelle politesse tutsi. Le Gouverneur demande la traduction du discours, et il déclare en réponse qu’il doit concilier les nécessités d’une saine gestion du pays avec les respectables préoccupations de la coutume.

Mais voici que la foule — dont une partie est armée — s’agite. Des cris s’élèvent, les assistants frappent des mains par- dessus la tête, le cercle se rétrécit autour du cercueil mêlant officiels et assistants.

C’est ce moment critique que choisit le Mwiru Kayumba, dont l’intervention n’a pas été prévue au protocole, pour prendre d’autorité la parole. Il confirme la nécessité de désigner le successeur du Mwami avant de confier la dépouille de celui-ci à la terre. Il provoque la foule :

— Oui, je connais le nouveau Mwami, il est parmi nous.

La foule répond :

— Dis-nous son nom !

— C’est Jean-Baptiste Ndahindurwa.

Une immense clameur s’élève, et le peuple acclame le nouveau Mwami sorti de la foule, sans même plus s’inquiéter du cercueil qui attend toujours, sur la fosse, les derniers hommages.

Deuxième coup de théâtre, deuxième appel abusif à la coutume, abandon de toute dignité devant la mort.

La bienséance élémentaire demandait, encore une fois que le Mwiru, dépositaire de la désignation, informât préalablement et en privé le Gouverneur de la teneur de son secret, puisqu’il appartenait à celui-ci de donner ou de refuser l’investiture (art. 15 du décret du 14 juillet 1952).

Mais les auteurs de coups d’Etat se préoccupent bien peu de bienséance, et ils trouvent la politique de la surprise et du fait accompli beaucoup plus efficiente.

Comme l’a dit le communiqué de Radio-Congo Belge cité plus haut, la coutume veut que les Biru révèlent quel fils du Mwami doit lui succéder, soit selon le vœu exprimé par celui-ci, soit à leur propre gré en cas de non-désignation par le défunt. Cela est exact et, dès lors, quatre remarques doivent être faites.

Première remarque. Le Mwami n’avait pas de fils. Une application stricte de la coutume en matière successorale était donc impossible. En conséquence, elle dut être violée, tout comme furent volontairement violées la coutume de la fumigation, celle du choix entre les quatre cimetières traditionnels et celle des sacrifices humains. Comme on le voit, on prend ou on laisse de la coutume, ce que bon semble.

Deuxième remarque. La procédure de désignation par l’intermédiaire des Biru apparaît en 1959 bien archaïque. Cette méthode était évidemment nécessaire aux époques de transmission orale des traditions et des volontés royales. Mais est-elle encore de saison en un temps où le Mwami conduit sa voiture américaine au lieu de se faire porter en hamac par ses serfs ?

Les Ruandais ont-ils appris l’écriture pour rien ? Si le Mwami voulait désigner son successeur, il était élémentaire de le faire par écrit, en enveloppe scellée, déposée en lieu sûr. L’Administration belge n’avait-elle pas pensé si loin ?

Troisième remarque. Il semble assez probable que le Mwami Mutara n’avait pas désigné Jean-Baptiste Ndahindurwa pour son successeur. En effet, à qui connaît le Ruanda, ses intrigues et ses rivalités féroces, l’affichage précipité d’un nom apparaît comme un moyen suprême auquel on dut avoir recours pour couper court à des compétitions interminables.

D’autre part, le Mwami défunt s’était peu préoccupé des études et de l’élévation sociale du nouvel élu, ce qui paraît inconcevable dans le cas où il aurait eu des vues sur lui.

Quatrième remarque. Le nouveau Mwami semble donc avoir été désigné par les Biru, c’est-à-dire, non selon les préférences de ceux-ci, mais sous la pression évidente des membres les plus influents de la famille royale et de la cour. Certains pensent même que quatre ou cinq personnes seulement ont eu une influence décisive dans ce choix.

Voilà donc une coterie d’une demi-douzaine de féodaux tout-puissants, qui imposent un monarque de leur choix à deux millions de sujets, sans même consulter préalablement le Conseil Supérieur du Pays (seul organe représentatif, d’ailleurs encore très imparfait), ni l’Administration belge, nantie théoriquement de tous les pouvoirs.

Et cela en plein XX e siècle, et tandis que cette Administration a sans cesse le mot de démocratie à la bouche. L’abus est flagrant.

La réaction du Gouverneur

On a lu plus haut la déclaration de principe du Gouverneur après le premier coup de théâtre, c’est-à-dire après la demande de désignation immédiate.

Après le second coup de théâtre, c’est-à-dire après la proclamation inattendue du nom devant la foule excitée, le Gouverneur répète ses réserves, mais il annonce sa décision prochaine.

La foule comprend alors que le Gouverneur ne fait pas d’objections et, tandis qu’elle acclame le nouveau Mwami, la dépouille de l’ancien est descendue dans la tombe sans l’hommage des cœurs auquel elle a droit.

La cérémonie terminée, le Gouverneur prend longuement contact avec la Députation Permanente du Conseil Supérieur, avec le Vice-Gouverneur Général Lafontaine, avec ses conseillers personnels et avec le candidat.

Il obtient de celui-ci l’engagement solennel de régner en souverain constitutionnel selon les règles démocratiques que la Belgique introduira prochainement dans le pays. Sur ce, le Gouverneur se déclare prêt à procéder à l’investiture, et il présente ses félicitations au nouveau Mwami Kigeli V. La décision est annoncée à la foule.

Les avis restent partagés sur l’opportunité de cette solution de compromis. Le petit clan royal a magistralement réussi son coup d’Etat : son candidat est passé, immédiatement, en dépit de tous les autres partis. Mais l’Administration a sauvé ce qui lui paraît l’essentiel, en obtenant une promesse solennelle de régime démocratique.

Etait-il possible et souhaitable, après les deux coups de théâtre successifs, après la proclamation du nom du candidat devant une foule stylée, armée et menaçante en regard d’un maigre contingent de forces de l’ordre, de refuser l’investiture et de remettre tout le choix en question ? Je n’en jugerai pas.

Mais il reste qu’on n’a pas de mots assez sévères pour condamner les auteurs (je ne dis pas : le bénéficiaire) d’un coup d’Etat, qui a quasiment obligé le gouvernement belge de s’incliner.

Quand on songe que pour l’engagement d’un simple agent temporaire, le Gouverneur du Ruanda-Urundi doit en référer nominativement au Gouverneur Général, que pour la prise d’une ordonnance législative, pouvoir lui soit reconnu par la loi, il doit administrativement en référer d’abord au Ministre, on mesure toute l’incohérence qu’il y a à voir ce même Gouverneur prendre sur lui, en une heure de temps, l’investiture d’un Mwami.

Cette considération prouverait, à elle seule déjà, que la plus haute Autorité du Ruanda-Urundi a eu la main forcée.

Vers l’avenir

Tout le monde est d’accord que le choix était en soi assez heureux, et que l’élu était un des candidats les plus intéressants parmi les neuf prétendants.

Quels sont maintenant les sentiments des divers partis vis-à-vis de lui ? L’unanimité est-elle faite? Pas précisément.

Le clan royal triomphe.

L’administration se réjouit de son succès démocratique.

Au Conseil Supérieur du Pays, les sentiments sont plus nuancés. Certains membres reprochent amèrement au Vice-Président Kayihura de s’être rallié, en dernière minute (sous quelles pressions?) à la thèse du clan royal, en demandant à la fin de son discours la désignation immédiate.

Mais devant le fait accompli, ces messieurs, fins politiciens et bons opportunistes, ont acclamé follement le nouveau Mwami.

Quant aux évolués Bahutu, ils sont très mécontents. Ils se rebellent contre la procédure suivie. Le Gouverneur est rentré à Usumbura porteur de nombreuses lettres de protestation, dont certaines, d’ailleurs, émanent de clans tutsi marginaux.

Le projet de république des Bahutu n’avait aucune chance d’aboutir pour le moment. Mais la manière autocratique dont le nouvel élu a été imposé au peuple, est un nouvel argument pour leur thèse. On n’avait pas besoin de ce nouveau grief dans l’interminable liste de justes revendications des serfs Bahutu.

Section 2. — LA NAISSANCE DES PARTIS POLITIQUES

La parole sera désormais donnée aux groupements politiques officiellement constitués. Ceux-ci ne tarderont d’ailleurs pas à publier chartes et programmes.

  • 1. « UNION NATIONALE RWANDAISE » (UNAR) ET SES PARTISANS

Créée en mai 1959, l’«Union Nationale Rwandaise » s’est officiellement déclarée parti politique le 3 septembre 1959.

Le Comité Officiel se compose de : M. Rubeka François ; Vice-Président: M. Rebero Cosme, muhutu, aviculteur, ancien des Joséphites; Secrétaire: M. Ntarugera Védaste; Conseillers : MM. Nzamwita Jovite, Bulingufi Sylvestre, Nyanzunga Berckmans, Mutabaruka Augustin.

A côté de ce comité officiel, des personnalités telles que les chefs Kayihura Michel, Mungarulire, Rwagombwa, Rwagasana (secrétaire du Conseil Supérieur du Pays), jouent un rôle influent dans l’orientation du parti.

Fin septembre 1959, 7.000 cartes d’adhésion valant de 20 à 120 fr. avaient été souscrites.

L’objectif essentiel de l’UNAR est de faire pression sur l’Administration pour obtenir le plus rapidement possible l’autonomie interne.

Une fois celle-ci obtenue, l’UNAR se propose de poursuivre la lutte pour l’indépendance totale.

Il convient de signaler que, si l’UNAR groupe en majeure partie les notables tutsi bien connus pour leurs tendances nationalistes, il compte également des Hutu.

Les idées-maîtresses de l’UNAR peuvent se résumer comme suit :

— autonomie en 1960, préparant l’indépendance en 1962 ;

— négation du problème Hutu-Tutsi, introduit selon l’UNAR par les Européens ;

— retour aux traditions séculaires ;

— opposition formelle à l’Administration, dans sa configuration actuelle ;

— appel au nationalisme.

Le journal « Rwanda Nziza » est l’organe du parti.

Deux documents capitaux inaugurent sa naissance : sa « Charte de fondation » du 15 août 1959 qui ne fut jamais connue du grand public et le programme politique présenté au premier meeting tenu à Kigali le 13 septembre.

Charte de fondation du Parti « Unar » (réunion du 15 août 1959)

Principes fondamentaux

  1. — DOCTRINE

Tous les membres qui adhèrent au Parti sont convaincus qu’une indépendance immédiate est indispensable. Ils rejettent toute idée de collaborationnisme. On ne collabore pas avec celui qui ne veut pas, ou qui a des fins contradictoires au but poursuivi. Le Parti rejette toute idée d’autonomie interne, qui suppose toujours une « collaboration » qui n’est en fait qu’une ridicule et perpétuelle guerre froide, qu’illustre déjà une série d’assassinats, de divisions des Banyarwanda Bahutu-Batutsi et Batwa.

Le Parti emploiera toute son énergie à obtenir une indépendance sans condition. L’Occidental veut toujours asservir l’Afrique, l’exploiter sans pitié ni répit, et nier ainsi à l’homme noir les droits fondamentaux de l’homme. Par leur esprit matérialiste et égocentrique, les pays colonialistes nous ont montré d’une manière indiscutable, qu’« un peuple doit se civiliser lui-même » par son élite, et ne jamais s’appuyer par une Administration Etrangère, sur un autre peuple qu’il croit plus avancé. La politique de notre élite a été toujours de croire au fair-play de l’Occidental ; après l’histoire des Bahutu-Batutsi, l’histoire du manque d’écoles, la disparition de Mutara III, cette même élite jure, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendra plus… c’est trop tard.

  1. a) Collaborationnisme

Dans l’état actuel des choses, toute forme de collaborationnisme est une haute trahison vis-à-vis du Ruanda. Accepter des cadeaux, recevoir un salaire, pour donner des renseignements sur tel ou tel Munyarwanda qui travaille honnêtement pour sa Patrie, est un crime inqualifiable. Beaucoup de gens continuent à vivre d’expédients et de bassesses. Devant l’oisiveté généralisée, devant l’esprit d’intrigue et de spéculation, qui moissonne sans avoir semé, le Ruanda restera esclave pendant des siècles encore…

Le Parti doit travailler à repérer, surveiller et neutraliser tous ces traîtres.

  1. b) Divide ut imperes

Plus un Africain avance en instruction, plus il apprend avec beaucoup de gêne, beaucoup de déception, l’infâmie des Colonialistes Occidentaux. Il analyse le lynch des nègres d’Amérique, les événements d’Afrique du Sud, la guerre des bactéries au Kenya, la mouche Tsétsé au Bugesera, la guerre d’Indochine, du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord, la liquidation des Congolais à Léo, l’opposition systématique entre Kasaï et Bakongo, entre Baluba et Lulua, entre Bahutu et Batutsi. Là tout devient une chaîne de faits convergeant vers un même but : l’orgueil de l’Occidental ne lui permet pas de supporter un « autre homme qui lui est égal ». Vous devrez donc toujours dire oui… oui à tout ce qu’il dit, et alors vous serez son ami, comme le fait Ndeze.

Mais si finalement votre conscience se révolte contre un égoïsme patent, alors c’est très simple on vous donne une piqûre d’anesthésie générale. Pour avoir le précieux titre de collaborateur dites toujours : Oui.

Bien que la société ruandaise soit composée d’individus de valeur très inégale, et qu’il n’est pas équitable d’accorder la même valeur à la pensée vulgaire de l’homme ordinaire qu’au jugement perspicace de l’homme capable… Bien que le suffrage universel aboutira infailliblement à l’asservissement de la minorité lettrée par la majorité inculte, situation qui prolongera l’esclavage… Il est cependant impossible de refuser le suffrage universel aux Bahutu. Une opposition manifeste donnerait un argument de plus aux colonialistes dont la civilisation.., la loyauté est maintenant connue.

Si la minorité tutsi est vraiment capable et à la hauteur des événements, elle doit, par son énergie, influer sur l’opinion publique, étonner le monde par son organisation, son endurance, sa discipline. C’est à cela que nous voulons arriver et immédiatement. L’organisation immédiate de notre Parti s’empressera de donner aux Bahutu et Batwa les mêmes droits, et en même temps s’empressera de mâter la sottise et la trahison communes aux êtres incapables de la plus élémentaire abstraction. Par un miracle d’efforts étudiés, de renoncements persévérants, opiniâtres, nous pouvons enfin laver l’affront historique qui nous est fait par l’assassinat périodique de nos Rois (qui régulièrement sont liquidés, chaque fois que leur devoir les oblige à dire non), humiliation qui fait une brèche de plus en plus béante dans notre dignité.., aux peuples qui nous entourent.

Il. — ORGANISATION DU POUVOIR AU RUANDA

Notre Parti préconise une démocratie égalitaire, représentative, et parlementaire, ayant à la tête un monarque constitutionnel.

Notre parti luttera pour faire adopter par la nation le principe de la séparation des pouvoir.

Nos pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doivent être indépendants l’un de l’autre.

Notre monarchie aura, avec son peuple, les mêmes relations qu’avec ceux des autres pays civilisés comme la Grande-Bretagne. Le Roi, étant le symbole chez nous de Patrie, de l’unité nationale, de la grandeur du Ruanda, sera défendu par le Parti.

Manifeste du Parti Politique « Abashyirahamwe B’Urwanda » (Union Nationale Ruandaise — U.Na.R.)

13 septembre 1959.

Chers Compatriotes,

Je me suis fait un devoir de vous inviter à cette réunion du parti « Abashyirahamwe » dont vous allez tantôt connaître le caractère, les buts et l’organisation. Le fait d’y avoir répondu si nombreux est la preuve indéniable de l’intérêt que vous portez aux problèmes de notre pays et votre souci constant d’étudier les solutions qu’ils postulent.

Je vous remercie de ces bonnes dispositions, desquelles doit faire montre tout bon patriote.

Notre Rwanda est arrivé à un tournant vertigineux de son histoire où, quiconque se soucie de ses vrais intérêts, doit contribuer de son mieux à ce que ce virage soit pris avec la célérité digne d’un bon conducteur.

Il est vrai que nos forces éparses se perdent souvent en bonnes volontés impuissantes à résoudre les problèmes complexes que pose l’évolution de notre pays. A cette situation déplorable il n’y a qu’un seul remède : « L’Union de tous les Banyarwanda en vue de réaliser le vrai progrès du Rwanda dans tous les domaines ». Tel est le but du parti politique que nous avons créé et telle est la raison de notre rencontre d’aujourd’hui. Ce mouvement politique est authentiquement rwandais et s’appelle : « Abashyirahamwe b’Urwanda (Union Nationale Rwandaise) ». Notre parti se propose de travailler au progrès du pays, dans un esprit d’union nationale. Nous sommes en effet convaincus que seule l’Union de tous les Banyarwanda pourra faire de notre pays une Nation libre et prospère. C’est ainsi que nous faisons appel à tous les Banyarwanda de bonne volonté sans distinction ethnique, sociale ou religieuse. Que tous se groupent sous l’égide de notre parti en vue de conduire le Rwanda, sans heurts, mais aussi sans faiblesse, vers sa pleine émancipation politique, économique, sociale et culturelle.

C’est ainsi que le parti se propose comme but défini : l’Indépendance du Rwanda en 1962. Elle serait précédée de l’Autonomie interne, que nous réclamons pour 1960.

L’Indépendance est en effet l’aboutissement normal de la Tutelle et la Belgique, pays tutélaire ayant jusqu’ici mené à bien cette tâche exaltante et si noble, se doit à son honneur de pays civilisé et de colonisateur avisé d’aider activement notre pays à devenir un Etat moderne, politiquement stable et économiquement équilibré.

Le but précisé postule la mise en œuvre de moyens pratiques pour l’atteindre dont le premier et principal est l’instauration d’institutions démocratiques, comportant à la tête du Rwanda une Monarchie Constitutionnelle héréditaire et des Ministères responsables. Le Mwami règne mais ne gouverne pas directement. Ainsi il sera avant tout le garant de l’Unité nationale et du prestige du Rwanda.

Le parti souhaite qu’une Constitution soit élaborée rapidement pour notre pays; il invite le Conseil Supérieur du Pays à le faire et se doit un devoir d’apporter une contribution à cet important travail.

1° Réformes institutionnelles

Le Parti propose des réformes institutionnelles profondes basées sur la séparation des pouvoirs — le législatif, l’exécutif et le judiciaire.

  1. a) Au législatif : l’U.Na.R. propose les élections libres et directes de tous les hommes adultes, à la base. Il propose, en outre, de reconnaître à tous les Rwandais de naissance, le droit d’électeur et d’éligibilité. Il invite instamment le Conseil supérieur du pays à déterminer, avant les prochaines élections, les conditions d’acquisition de la nationalité, afin que dès l’accession du Rwanda à l’autonomie interne, des étrangers, remplissant certaines conditions déterminées, puissent acquérir des droits politiques et que, dès l’indépendance du pays, ils puissent demander et obtenir la nationalité rwandaise.

L’U.Na.R. réclame pour les Conseils qui seront constitués suivant les nouvelles conceptions démocratiques des pouvoirs étendus dans leurs domaines respectifs, et de consultatifs devenir délibératifs. Il propose deux échelons de Conseils dans le pays : les sous-chefferies actuelles devant de préférence être résorbées dans les chefferies, et les Territoires ne devant plus être considérés que comme des entités purement administratives à caractère provisoire.

  1. b) Exécutif : Le Mwami est Chef suprême de l’exécutif. Le parti de Bashyirahamwe propose la création de Ministères responsables de l’Administration du pays suivant un mode à mettre au point dans le plus bref délai. Il adopte le mode de désignation des Chefs et Sous-chefs, préconisé par le Conseil Supérieur du Pays dans la note remise au Groupe de Travail du Gouvernement belge lors de son dernier passage au Rwanda.
  2. c) Judiciaire : Le parti des Abashyirahamwe se rallie pleinement au vœu du Conseil Supérieur du Pays, contenu dans la note susmentionnée, et qui s’inspire du principe de la séparation des pouvoirs pour opérer les réformes judiciaires. En attendant de pouvoir disposer de magistrats de carrière, il y a lieu d’assurer la formation rapide des cadres indispensables à l’exercice de la Justice. Il y aura lieu également de codifier et normaliser les coutumes en vigueur au Rwanda. Ce travail devrait être entrepris le plus rapidement possible par une Commission d’experts.

L’U.Na.R. prône l’intégration des deux cadres, autochtone et européen, par le renforcement du 1er qui absorberait divers éléments du 2e à titre de techniciens ou de conseillers.

2° Emancipation économique

A chaque étape de l’émancipation politique, doit correspondre une étape d’émancipation économique, d’émancipation sociale et aussi de progrès dans l’éducation et la culture. La réalisation parallèle de ces progrès est d’une nécessité absolue pour que l’émancipation politique soit sincère et efficace.

Les problèmes économiques qui se posent au Rwanda devraient faire l’objet d’une longue étude. Nous nous contenterons à présent de poser certains principes de base et d’esquisser quelques réformes, nous réservant de revenir plus longuement par la suite sur cette importante question.

Le Parti des Abashyirahamwe préconise l’élaboration d’un plan d’en- semble concernant le développement économique du pays. On ne peut laisser à la seule initiative privée le soin d’améliorer l’économie rwandaise ; c’est une œuvre nationale. Il prône une meilleure politique économique supposant une compression budgétaire tendant à éviter les dépenses inutiles ou purement de luxe. Il faut donner la priorité aux réalisations indispensables et rentables.

Il encourage l’élevage rationnel et une agriculture intensive et planifiée. Ce sont les deux éléments de base de l’économie indigène. Les travaux de mise en valeur des marais et régions inoccupées doivent être menés avec énergie et compétence. Pour la pleine réussite dans ce domaine, les réformes foncières doivent être terminées au préalable.

Il insiste sur les recommandations suivantes :

— La continuation de la prospection du sous-sol du pays et révision de la législation minière en faveur des autochtones.

— Pousser l’industrialisation du pays, seul moyen d’utiliser notre unique richesse : le potentiel humain. La rendre possible par l’exploitation des forces motrices telles que les chutes d’eau, le gaz méthane du lac Kivu.

Le Rwanda devrait s’orienter principalement vers les industries de transformation, car c’est la meilleure solution pour un pays, peu riche en matières premières, mais disposant d’un riche potentiel humain ; ainsi qu’à celles dont les matières premières se trouvent sur place : les tanneries, les industries alimentaires.

— La rationalisation du commerce indigène, notamment par l’accession aux organismes de crédit et au crédit au Colonat.

— Les prêts aux coopératives indigènes et extensions de celles-ci en milieu indigène, dans le but de les mettre à la portée du petit producteur-consommateur des cultures.

— Il faut que les artisans, commerçants et agriculteurs soient encouragés et aidés. Les classes moyennes sont un élément important dans la vie économique et sociale du pays.

— Valoriser intensément le patrimoine touristique du pays par la création tout d’abord d’un office de tourisme.

— Une meilleure politique salariale en vue de permettre l’épargne, de laquelle naîtront les capitaux pour divers investissements.

L’économie rwandaise ne pourra se développer sans l’apport des capitaux étrangers. Aussi l’U.Na.R. s’efforcera-t-il d’encourager des financiers belges et étrangers à investir au Rwanda. Il faut cependant que ces capitalistes comprennent que leurs investissements doivent non seulement servir leurs intérêts mais également contribuer, dans une large mesure, à améliorer le revenu national de notre pays et partant, le niveau de vie de la population rwandaise. Il faut également que, dans la mesure du possible, ces investissements se fassent en association avec le pays et les habitants ; ce qui assurera aux capitaux étrangers une garantie supplémentaire.

Le parti propose d’étudier et d’adopter un système de fiscalité beaucoup plus équitable, tablant sur la base des revenus.

3°  Politique sociale

L’U.Na.R. mènera une politique essentiellement progressiste en ce qui concerne les problèmes sociaux. Il mettra tout en œuvre pour la promotion sociale des populations des collines par la mise à leur portée de fonds du crédit rural, l’amélioration de l’habitat, l’extension des foyers sociaux à l’échelon colline — en favorisant l’artisanat par la création d’ateliers sociaux — lutte contre l’analphabétisme et formation des adultes par les cours du soir et les moyens d’information : la presse, la radio et le cinéma.

L’U.Na.R. s’emploiera à former la jeunesse, car elle représente l’avenir et l’espoir du Rwanda, surtout par son organisation et son éducation.

Il propose notamment l’instauration d’un Service de Travail dans les plus brefs délais possibles afin de résoudre le problème du chômage de cette jeunesse et lui assurer une formation solide. L’U.Na.R. accordera toute son attention à la formation civique de tous les Banyarwanda.

4° Enseignement

Connaissant la place primordiale que Joue l’enseignement dans un pays en plein développement, l’U.Na.R. poussera à l’élaboration d’une nouvelle politique d’enseignement comportant : la révision urgente de la Convention avec les Missions enseignantes, en vue d’assurer une plus large participation du pays dans l’organisation et la direction de l’enseignement. Notre parti est décidé à promouvoir l’éducation et la formation civique de la jeunesse estudiantine. Il propose l’adoption d’un programme rwandais équivalant au programme belge dans tous les établissements d’enseignement primaire. Il propose de renforcer l’enseignement secondaire et l’intensification du professionnel et technique.

Le Rwanda doit être doté d’un enseignement supérieur digne de ce nom. L’université d’Astrida devrait être pourvue de toutes les facultés.

De plus, le parti se propose de promouvoir les bourses d’études et des missions de perfectionnement en Belgique et dans les autres pays pour accélérer la formation des élites techniquement capables de constituer les nouveaux cadres, nécessités par le développement du pays.

Le parti mettra tout en oeuvre pour que l’enseignement touche toutes les couches sociales du Rwanda.

Le parti des Abashyirahamwe est conscient de la nécessité du développement culturel du Rwanda ; c’est pour cette raison qu’il s’efforcera de faire reconnaître et d’exalter les valeurs culturelles du Rwanda : langue, littérature, musique, danse et art indigène.

Le parti des Abashyirahamwe fera en sorte que les libertés civiles soient clairement définies pour tous les Banyarwanda, conformément aux dispositions de l’Accord de Tutelle.

5° Relations humaines

Le Parti des Abashyirahamwe se rend compte de l’importance du problème des relations entre les différents groupes ethniques du Rwanda et se propose de lutter énergiquement contre tout ce qui peut provoquer des chicanes et contre toutes menées dissolvantes et toute forme de provocation à la haine raciale.

Il condamne en outre toute discrimination raciale entre Noirs et Blancs ou entre Banyarwanda eux-mêmes.

Il fera en sorte qu’un dialogue en vue d’une franche collaboration s’établisse entre nos tuteurs et nous.

Avec les Européens et autres étrangers établis dans le pays, le Parti compte établir de bons rapports d’amitié vers notre objectif commun : la prospérité du Rwanda. A tous ceux d’entre eux qui établissent l’équation : indépendance égale chasser les Européens, nous disons qu’ils se trompent et s’installent dans un défaitisme paralysant : d’ailleurs il n’y a qu’à jeter un coup d’œil dans les pays africains ou asiatiques indépendants, le nombre d’Européens œuvrant dans ces pays a doublé ou triplé depuis l’indépendance. Ils doivent comprendre, notre désir légitime d’émancipation n’est pas dirigé contre eux. Notre mouvement national n’est pas inspiré par la haine mais par la fraternité et la justice. Nous savons que la réalisation de nos aspirations dépendra de nos propres efforts et nous ne manquerons pas de rappeler souvent à nos compatriotes la dure Vérité, que nous ne pouvons revendiquer nos droits que si nous prenons conscience de nos devoirs et de nos responsabilités. Mais la Communauté rwandaise de demain composée de Blancs et de Noirs n’est réalisable que dans une ambiance de respect et d’estime, mutuels ainsi que de franche amitié. Il est vrai que certains Européens, pour diverses raisons, ne s’adapteront pas aux situations nouvelles. Ceux-là partiront évidemment et ça vaudra mieux. Nous leur dirons adieu avec courtoisie.

6° Relations extérieures

  1. a) Avec le Burundi : L’U.Na.R. propose pour le Rwanda et le Burundi une confédération librement consentie avec un organe supranational dont la composition sera déterminée par les Conseils des deux pays. La préparation de cette confédération requiert dès maintenant des négociations entre les mandataires valables des deux pays.!
  2. b) Avec le Congo belge : L’U.Na.R. propose de maintenir une union économique avec ce pays, mais de supprimer l’union administrative.
  3. c) Avec l’Uganda et Tanganyika Territory : Compte tenu du nombre considérable de Rwandais établis dans les Territoires britanniques d’Afrique, avec ou sans esprit de retour, notre parti souhaite vivement l’envoi de délégués du Rwanda auprès des Gouvernements de ces pays. Il propose, en outre, d’étudier les possibilités de conclure des accords économiques avec eux. Pour le Tanganyika en particulier, il y aurait lieu d’étudier les possibilités d’une union économique.
  4. d) Avec la Belgique : Notre parti estime que le genre de ces relations sera déterminé lorsque notre pays aura accédé à l’autonomie. Il est en tout cas à prévoir qu’elles seront fonction des bons rapports respectifs des deux pays et de l’accueil que réservera la Belgique à nos aspirations nationales légitimes.
  5. e) Avec les autres pays étrangers : Notre parti entend entretenir avec eux de bonnes relations à l’avantage du Rwanda.
  6. f) Avec l’ 0.N.U. : Notre parti se propose d’envoyer, à titre d’observateur, un délégué du Rwanda au Conseil de Tutelle.

En Conclusion

Notre Parti « Abashyirahamwe » n’est pas une tribune de revendications, mais bien un mouvement d’une union nationale pour réaliser l’émancipation de notre pays dans l’ordre et la tranquillité. Il est décidé à ne pas se laisser entraîner à la violence parce que celle-ci rend les problèmes insolubles. Tous les membres et adhérents n’ont qu’un seul but : le bien de la nation rwandaise. Ce but, ils se proposent de le faire triompher dans la légalité et par des moyens pacifiques.

Ils continueront à respecter l’autorité, mais désirent que leur avis soit demandé pour tout ce qui touche l’avenir du Rwanda. Ainsi, ils estiment que l’avant-projet de la Déclaration gouvernementale, définissant l’avenir de notre pays, devrait être d’abord soumis aux organismes politiques responsables de l’avenir du Rwanda.

Notre Parti national est l’ennemi du chauvinisme et du clanisme ; il compte créer un front uni de la nation rwandaise avec la perspective qu’elle formera, avec certains pays voisins, une communauté pouvant lui assurer le plein épanouissement de ses possibilités.

Le présent Manifeste ne constitue qu’une ébauche des idées maîtresses qui guideront l’action de l’U.Na.R. Il élaborera, dans la suite, un programme détaillé et, au fur et à mesure que les problèmes se présenteront, précisera ses positions et sa doctrine.

Nous lançons un appel pressant à tous les Banyarwanda de bonne volonté, sans distinction de race, de rang social ou de religion, pour qu’ils adhèrent nombreux à notre parti « Abashyirahamwe ».

En avant pour construire un Rwanda toujours plus prospère dans la paix et la concorde nationales.

La montée de l’« Union Nationale Ruandaise » fut très rapide. Les chefs et les sous-chefs, ses fondateurs, lui consacraient non seulement des moyens matériels mais également le poids de leur influence auprès des masses.

Dans les premiers meetings, au cours desquels l’Administration belge fut prise à partie, l’ U.Na.R. comptait parmi ses orateurs, les chefs Kayihura, Mungarurire et Rwangombwa. Ceci amena l’ Administration à infliger à ces fonctionnaires la peine disciplinaire de mutation. Mais avant que celle-ci ne soit appliquée, les intéressés, appuyés par le Mwami Kigeli V, tinrent à s’expliquer et à présenter de préférence leur démission. Telle est la signification des deux lettres suivantes.

Lettre des trois chefs mutés

Nyanza, le 16 octobre 1959.

Monsieur le Vice-Gouverneur Général,

Face aux mesures de rigueur prises contre nous par votre décision du 12-10-1959, nous prenons la respectueuse liberté de vous faire connaître notre position qui est la résultante des considérations ci-après :

La peine de mutation, dont il est question dans la décision précitée, nous est infligée « pour nous être rendus coupables de manquements graves à la dignité de nos fonctions ». Permettez-nous, Monsieur le Vice-Gouverneur Général, de vous dire que nous protestons énergiquement contre cette allégation nous imputée injustement.

En effet, dans notre réponse à la demande d’explication en date du 24-9-1959 nous avons affirmé à M. le Résident du Rwanda que les interprétations incriminant les meetings de l’U.Na.R. étaient gratuites et erronées.

Nous le réaffirmons en attirant votre attention sur le fait que le seul son de cloche qui vous a dicté la décision dont nous sommes victimes émane d’une source intéressée, car s’il en était autrement, au lieu de se fier à des reportages tendancieux, nous eussions été interrogés, nos discours nous auraient été demandés pour être confrontés avec les dits reportages en vue de connaître la vérité. Mais hélas, rien ne fut fait, car la lumière eut été trop éblouissante pour certains yeux qui n’étaient pas à même de la supporter.

Le Parti auquel nous avons adhéré n’a commis que la seule faute de ne pas être en accord avec la politique prônée par M. le Résident du Rwanda et ses Adjoints et qui est celle du parti fondé par eux et leurs leaders soudoyés. Nous dénonçons à votre Autorité cette prise de position incompatible avec le rôle d’arbitre qui était dévolu à ces hauts fonctionnaires et qu’ils ont abandonné pour jouer celui d’un parti. Nul au Rwanda, n’ignore que ce parti est né à la Résidence dans les bureaux de laquelle se trouve sa direction qui est assumée principalement par les agents indigènes de ce bureau. C’est à ces derniers que des congés furent accordés pour parcourir les territoires, aux fins de récolter des adhésions. Il serait fastidieux de passer en revue tous les faits prouvant la protection accordée à ce parti par l’Administration locale pour la simple raison que ces faits patents sont incontestables. De plus, pourquoi nous adonnerions-nous à ce travail comme si nous organisions notre droit de défense; ce droit a été bousculé, bafoué par la politique partisane, unilatérale de la Résidence de Kigali.

Puisque rien ne justifie les reproches qui nous sont faits au sujet de notre dignité, les sanctions qui sont prises à notre égard sont injustes. Devons-nous croire que notre culpabilité est l’adhésion à un parti politique, ce serait peu vraisemblable.

En effet, par la lettre que les Autorités indigènes, membres de l’U.Na.R. ont adressée à M. le Résident du Rwanda le 20-9-1959, par laquelle ils lui apprenaient leur adhésion à ce parti, elles ont souligné que l’O. L. no 67/AIMO n’érige pas en incompatibilité le fait pour une autorité indigène d’appartenir à un parti politique. Cette lettre, n’ayant reçu aucune suite interdisant à ces autorités d’adhérer aux partis et du reste, votre circulaire no 221014.950, adressée récemment aux autorités indigènes de l’exécutif et du judiciaire, leur reconnaît le droit d’être membres de partis politiques ; ce n’est donc pas là que résident les raisons à la base des mesures prises contre nous, cherchons ailleurs…

Le fait d’avoir pris la parole dans les meetings de l’U.Na.R. peut-il nous être reproché ? Pas que nous sachions, puisque la liberté de parole nous est reconnue par l’Accord de Tutelle en son article 76, littera C. Cette liberté ne peut être entravée que dans le cas de sauvegarde de l’ordre public. Or, il est établi de façon incontestable que les meetings de l’U.Na.R. n’ont jamais porté atteinte à l’ordre public.

Et, puisque notre dignité est de toute évidence irréprochable, examinons si peut-être le domaine « capacité » aurait été de quelque influence dans la décision prise en notre défaveur — le second après la « dignité » dans lequel, en cas de manquement, des peines analogues sont prévues. Ici, les réalisations sont plus éloquentes que les paroles et nos mérites attestent de nos capacités. Côtés d’élite tous les trois depuis plusieurs années, nous estimons sans trop de vanité que nos chefferies respectives se classent parmi les premières du Rwanda à plus d’un point de vue. Et puisque ce n’est pas le point de vue capacité qui est contesté, nous ne nous attarderons pas à une apologie superflue.

Mais par contre nous ne pouvons passer sous silence nos mérites, soulignés principalement par notre qualité d’être membres du Conseil Supérieur du Pays tous les trois, de sa Députation Permanente pour Rwangombwa et Mungarurire. Ce n’est pas en raison de ces mérites que nous protestons contre les mesures injustifiées prises contre nous, mais pour faire ressortir qu’elles sont dirigées contre des éléments non boiteux dans leur service, mais au contraire, dignes et capables dans la véritable acception du mot.

En conclusion, Monsieur le Vice-Gouverneur Général, nous protestons hautement contre la proposition de Monsieur le Résident du Rwanda, qui a entraîné les sanctions prises contre nous par votre décision du 12 octobre 1959 et partant, contre ces sanctions elles-mêmes, étant donné que les motifs qui les ont provoquées sont injustes et injustifiés.

Compte tenu du fait, qu’au regard du décret du 14 juillet 1952, aucun manquement ne peut nous être imputé, la peine de mutation qui nous frappe a d’autres motifs à la base, lesquels seraient fondés sur l’arbitraire puisqu’ils ne rentrent pas dans les dispositions légales du décret précité, ni de tout autre à notre connaissance.

Les mesures prises contre nous sont de nature à nous éliminer systématiquement de l’échiquier politique du Rwanda, en nous privant de la possibilité de nous présenter aux élections prochaines ; elles sont en conséquence partiales.

De par leur rigueur, ces mesures nous mettent devant la terrible alternative de dénier nos opinions politiques en acceptant la mutation et ainsi perdre la confiance que le peuple rwandais avait mise en nous, ou d’accepter le sacrifice de notre carrière administrative. Nous optons pour le sacrifice afin de ne pas trahir cette confiance qui est pour nous le meilleur des trésors.

Notre position est donc claire : nous capitulons devant la force en abandonnant le commandement de chefferie, mais nous nous considérons encore devant le peuple rwandais et le Mwami Kigeli V comme des autorités indigènes au même titre que nos collègues ayant gardé le commandement effectif des circonscriptions indigènes.

Nous terminons, Monsieur le Vice-Gouverneur Général, en vous faisant savoir, sans être sentencieux, que nous avons dès maintenant un avantage sur l’Administration tutélaire locale : c’est de constater qu’elle utilise la force pour brimer le droit, donc qu’elle est faible. Ce point de conduite pourrait, si vous n’y apportez remède, provoquer une rupture néfaste, pouvant entraîner un échec cuisant de la politique belge au Rwanda.

Veuillez agréer, Monsieur le Vice-Gouverneur Général, l’assurance de notre très haute considération.

Les chefs de chefferie,

(sé) KAYIHURA M. (sé) MUNGARURIRE P. (sé) RWANGOMBWA Chr.

 

Lettre du Mwami Kigeli V.

Nyanza, le 16 octobre 1959.

Monsieur le Vice-Gouverneur Général,

Gouverneur du Ruanda-Urundi,

Dans ma note du 12-10-1959, je vous ai fait savoir que la Résidence était fondatrice d’un parti politique, et je tiens à vous confirmer qu’il en est ainsi.

Je vous disais dans cette note que je comptais sur votre retour pour travailler la main dans la main, aux fins d’assurer la tranquillité dans le Rwanda. Mais je constate que la Résidence de Kigali se sert du pouvoir de l’Etat pour renforcer son parti, et détruire le parti opposé au sien. C’est un abus de pouvoir inadmissible et illégal, car il ne faut en aucune façon contraindre la liberté ni d’expression, ni d’adhésion aux idéologies saines qui commencent à prendre corps dans le pays, pour autant, bien entendu, qu’elles ne portent pas atteinte à l’ordre public.

On dirait que Monsieur le Résident et son Adjoint voudraient me pousser à les désavouer publiquement, et la chose deviendra inévitable s’ils ne changent leur tactique, car il faut sauvegarder l’équilibre dans le pays. Mais je pense que votre intervention servira à éviter que les choses n’en viennent à cette extrémité.

Le fait qu’à maints égards, l’Administration locale était en conflit avec Mutara HI est connu. Mais personnellement, j’étais convaincu qu’il s’agissait d’un conflit de personnes, et depuis mon avènement, j’ai tout fait pour que la collaboration entre les deux administrations soit amicale, afin de faire progresser le Ruanda dans le calme et la tranquillité, sous l’égide de la Belgique.

Mais les agissements de la Résidence me permettent de constater, bien à regret, qu’ils procèdent d’un conflit de principes entre le Résident et son Adjoint d’une part, et la Dynastie ruandaise d’autre part.

Dans de pareilles conditions, il n’y a plus qu’une seule possibilité qu’il reste à envisager : collaborer directement avec vous pour le bien de mon pays, puisque je me rends compte de ce que la collaboration entre le Résident et son Adjoint et moi est devenue impossible.

Ils auraient dû, en effet, se rendre compte qu’il n’échappe à personne que, s’attaquer au Chef Kayihura, c’est s’attaquer à moi personnellement, vu le rôle de tout premier plan qu’il a été appelé à jouer dans le pays depuis la mort de Mutara III, et tout particulièrement dans les circonstances qui ont entouré mon avènement, même si l’on tient à méconnaître ses qualités et sa valeur notoires sous le règne de mon prédécesseur.

Par conséquent, la mesure qui frappe la personne de Kayihura n’apparaît que comme une attaque directe à moi-même, et contre la coutume du Ruanda. Quant à ce qui est de ses deux compagnons, vous n’êtes pas sans savoir que l’opinion du pays les considère comme ses porte-parole les plus autorisés.

En tant que Umwami du Ruanda, je ne puis ne pas réagir lorsque l’opinion de mon peuple est brimée.

Je veux sans doute régner en monarque constitutionnel, mais comme je n’ai pas encore de ministres pour gouverner le pays, je dois provisoirement le diriger, et le défendre contre toute attaque, d’où qu’elle vienne.

J’ai juré d’obéir aux lois du Ruanda-Urundi, mais je tiens à vous préciser que je ne considère pas comme loi des manifestations de propagande politique libellées sous forme législative de quelque nature qu’elle soit.

Mais il y a autre chose : le décret du 14 juillet 1952, article 17, confère au Mwami le droit de nommer, avec l’agréation du Gouverneur, les chefs de chefferie. Or, Monsieur le Résident vient de s’arroger ce droit en agissant illégalement, et sans doute par provocation délibérée, car je ne puis supposer qu’il ignore ces dispositions…

Il a en effet désigné par sa note no 220, ceux qui doivent exercer la fonction de chef du Migongo-Cyesha et Buyenzi, et a même attribué aux dirigeants de son propre parti, les importantes chefferies du Bwanacyambwe et Bugoyi, sans tenir compte en tout cela, de ma présence à la tête du pays.

Si je tenais à vous préciser toutes ces choses, Monsieur le Vice-Gouverneur Général, c’est que j’estimais qu’il est de mon devoir d’attirer votre attention sur les questions, graves en conséquences. Le Ruanda a besoin de l’aide de la Belgique pour poursuivre son progrès, mais ces manœuvres qui pullulent aujourd’hui à la Résidence de Kigali, élèvent une série d’obstacles à cette collaboration si nécessaire et indispensable pour le succès de l’œuvre entreprise dans le pays par la Belgique.

C’est le Ruanda qui en souffrira évidemment, mais du moins il faudra qu’on nous rende justice et qu’on reconnaisse que toutes les responsabilités pèsent sur Monsieur le Résident et son Adjoint.

En attendant, je tiens à vous faire remarquer, Monsieur le Vice-Gouverneur Général, que toutes ces nominations de chefs par Monsieur le Résident Preud’homme, sont illégales aux termes du décret du 14 juillet 1952, spécialement dans son article 17.

Donc, je les considère comme nulles.

Ensuite, je déclare que n’importe quel munyarwanda qui acceptera de M. Preud’homme toute nomination à la fonction de chef dans des conditions analogues à celles ci-dessus rapportées ou similaires, sera un intrus, et tous les banyarwanda devront le savoir.

Enfin, M. Preud’homme et ses conseillers perdent de vue un facteur crucial pour l’époque que nous vivons ces temps-ci : nous sommes dans le deuil, puisque depuis le décès de Mutara III, l’intronisation coutumière de son successeur n’est pas encore intervenue. Or, voilà que maintenant M. le Résident suscite un deuil nouveau, en attaquant la coutume du Ruanda, dans sa disposition la plus sacrée (chef Kayihura) et l’opinion du Pays dans les trois chefs, contre lesquels il n’existe aucune accusation fondée, je tiens à l’affirmer catégoriquement

En conséquence, je ne puis que vous prévenir que le concours de toutes ces circonstances ne peut qu’entraîner le prolongement de ce deuil, jusqu’à ce que tout soit rentré dans la légalité.

Les fêtes de l’intronisation que l’on préparait ne pourront avoir lieu, vu cet état d’esprit qui règne actuellement dans le pays… Je serai intronisé le jour où toute l’opinion du Ruanda sera en mesure de prendre part aux réjouissances.

Aussi, pour qu’il n’y ait pas de fausses interprétations, je m’expliquerai devant l’opinion du Ruanda, afin que mon peuple sache les raisons qui m’ont poussé à prolonger le deuil…

(sé) Kigeli V NDAHINDURWA, Mwami du Rwanda.

 

Au cours des troubles de novembre 1959 et, peu après la déclaration gouvernementale belge sur la politique à mener au Rwanda-Burundi, le Mwami Kigeli V ne manqua pas de définir sa position.

Déclaration du Mwami Kigeli V à tous les Banyarwanda

Novembre 1959.

Depuis octobre dernier, divers événements se produisirent qui modifièrent la situation au Ruanda : 1. Des partis politiques se créèrent et exposèrent leurs idées et leurs programmes. Ces partis existent et sont admis dans tous les pays s’ils ne suscitent pas de troubles et ne portent pas atteinte à la tranquillité publique. 2. Les partis politiques, même s’ils peuvent avoir des divergences d’opinions, doivent avoir en commun la préoccupation de faire progresser le pays sans nuire à ses habitants. 3. Ces derniers temps, des troubles se produisirent et se multiplièrent dans le Ruanda. Ils ont différentes origines que nous nous efforcerons de déterminer. Certains se battent, d’autres s’en prennent aux biens d’autrui. Comme vous voyez, la situation est confuse. 4. Si, comme certains le disent, les troubles et le comportement de certains sont dus à l’influence des partis politiques, je vous déclare que cette façon d’agir est mauvaise. Les partis politiques qui causeraient ces troubles, que cela soit stipulé dans leur programme ou qu’il ait été prouvé de façon certaine qu’ils les ont provoqués, devraient être poursuivis pour avoir nui au pays. 5. Autre chose que je vous communique est que le Mwami du Ruanda est le Mwami de tous. Il ne peut faire partie d’aucun parti et ne peut favoriser aucun d’entre eux. Il ne vise que le bien de tout Munyaruanda. Comme je l’ai annoncé lors de mon avènement, je suis le Mwami de tous les Banyaruanda, sans distinction de culte ni restriction. De plus j’ai promis d’être Mwami constitutionnel assisté de ministres responsables. Cela signifie que tout se fera dans le cadre d’une démocratie permettant au peuple d’intervenir par vote dans la désignation des ministres et des conseils représentatifs. Il est donc nécessaire que tout Munyaruanda puisse exprimer ses opinions. Le fait de menacer quelqu’un parce qu’il ne partage pas vos idées est anti-démocratique. C’est un acte répréhensible que les autorités doivent proscrire dans le pays. Celui qui aura contrevenu aux lois du pays sera considéré comme un ennemi du Ruanda, car je suis convaincu que les Banyaruanda aiment le Ruanda et leur Mwami. Je ne doute pas que vous vous conformerez à ces directives que je donne pour que le Ruanda puisse continuer à progresser dans la paix.

Interview accordée par Kigeli V au « Pourquoi Pas ? »

Novembre 1959.

— Que pensez-vous de la récente déclaration du Ministre concernant le Ruanda-Urundi?

— Etant donné les événements, je n’ai pas eu le temps de pouvoir étudier cette déclaration.

— Je m’excuse d’être brutal mais on dit partout, dans le Ruanda, que vos faits et gestes vous sont dictés par votre entourage. Pouvez-vous apporter quelques précisions à ce sujet?

— Selon la coutume, je suis très entouré et, comme un souverain, j’ai une cour.

Quiconque veut venir me trouver peut venir. Je ne voudrais pas être entouré seulement des gens de l’Unar car je le répète, je reçois tout le monde et je ne suis donc pas responsable si, seuls les gens de l’Unar entendent rendre souvent visite à leur Mwami.

— Il n’est donc pas question de modifier votre entourage ?

— Pas le moins du monde puisque, qui veut venir chez moi peut venir.

— Quelle est, Mwami, votre version de la cause des événements

Ici, à notre grande surprise, c’est le secrétaire seul (un Ruandais), qui répond.

Il déclare que, depuis 1952, les événements d’aujourd’hui sont préparés par des attaques systématiques dans les journaux locaux et principalement dans les journaux des missions. Le secrétaire ajoute que le but de ces attaques s’explique par le fait qu’au début de leur évangélisation, les missionnaires ont trouvé seulement des Batutsi pour les comprendre et assimiler leur religion. Ils se sont donc servi des Batutsi pour servir d’exemple mais, à présent que les Bahutu prennent conscience de la nécessité de leur émancipation, les missionnaires se tournent vers eux afin d’atteindre la masse. Comme je prends note de ces déclarations, le Mwami intervient pour préciser qu’elles émanent de son secrétaire et non de lui-même…

— La structure des chefferies et sous-chefferies est fortement ébranlée par les événements. Comment voyez-vous le moyen de remplacer les chefs et sous-chefs tués, en fuite ou compromis ?

— Il est vrai, répond Kigéli V, que la situation est grave à ce sujet. Mais on va tout simplement appliquer la déclaration gouvernementale.

— La chose est possible après les élections mais comment ferez-vous avant ?

— Je vais en discuter avec les administrations locales.

— Dans la question de l’application de la justice, intervenez-vous d’une quelconque façon?

— Non. Cela ne me regarde pas.

— Est-il vrai que vous envisagez de demander le retrait des troupes ?

— Pas maintenant. Pas avant que tout le calme ne soit revenu dans le pays

Après, il ne sera plus nécessaire de me protéger.

— On dit que vous êtes un soutien de l’Unar. Est-ce-vrai ?

— Non.

— Vous démentez donc fermement ces bruits ?

— Oui, et ces bruits proviennent, je le sais, du fait que l’Unar vient souvent chez moi.

— N’auriez-vous pas intérêt à inviter aussi les autres partis à venir chez vous ?

— Non, qui vient est le bienvenu.

— Cependant, il serait intéressant que votre prestige, qui est grand dans le pays, serve à créer un dialogue entre les partis, car ce dialogue pourrait aboutir à une entente.

— Je suis au-dessus des partis. Je consulte des individus et non des partis.

— Croyez-vous à la possibilité d’un retour définitif au calme ?

— Je l’espère.

— Si vous aviez la preuve qu’un parti quelconque sème la terreur dans le pays, prendriez-vous des mesures ?

— Certainement, je prendrais des mesures.

— Pourraient-elles aller jusqu’à la dissolution et à l’interdiction du parti ?

— Non, car des mesures semblables sont du ressort du Gouverneur et du

Résident.

Lettre des étudiants Batutsi de Lovanium au Ministre du Congo belge et du Rwanda-Burundi.

27 novembre 1959.

Nous sommes les premiers à admettre qu’il y a un problème. Problème social en soi, mais racial aux yeux de l’Administration et de quelques éléments autochtones.

Problème social, disons-nous, en effet, si c’était un problème racial, ce serait dire que tous les Bahutu ont été les opprimés et tous les Batutsi les oppresseurs. Or nous voyons que la grande majorité des Batutsi (99,9 %) se trouve dans la masse ne jouissant d’aucun privilège politique, social, culturel ou tout autre, contrairement à ce qu’on se plaît à affirmer.

Quant à la poignée des privilégiés, elle n’aurait pu asseoir son monopole politique, social et culturel, sans la connivence de l’Administration. Car enfin, en ce qui concerne le monopole politique, situation de fait et traditionnelle avant l’arrivée des Européens, nous ne pouvons voir dans son maintien que la recherche de la part du Gouvernement tutélaire d’une solution de facilité et non de justice sociale. Non seulement aucun remède ne fut porté à cette situation, mais au contraire tout fut mis en œuvre pour la maintenir et la renforcer. Tout d’abord, l’Administration clanique, structure politique de base dans les régions du Nord presque exclusivement habitées par les Bahutu, disparut avec l’importation de sous-chefs batutsi venant des autres parties du pays. Par ailleurs, la première ébauche d’enseignement créée à Nyanza fut exclusivement réservée à certains Batutsi, confirmant ainsi l’aurore du monopole culturel mututsi. Peu après fut fondée à Astrida une école officielle congréganiste assurant la formation des chefs, d’assistants administratifs, médicaux, vétérinaires et agricoles, et on prit bien soin de réserver l’entrée aux sections administratives aux enfants de chefs. Dès lors, il n’est pas étonnant de constater qu’après les 40 années de la présence belge au Ruanda-Urundi le monopole politique se soit maintenu dans quelques grandes familles Batutsi.

En ce qui concerne le monopole culturel, conséquence immédiate de l’enseignement, comment expliquer le pourcentage prépondérant des Batutsi dans la population scolaire, et surtout comment présenter ce fait comme un grief contre les Batutsi, alors que la direction de l’enseignement est assurée par les missionnaires et l’Administration ?

Et surtout comment se fait-il que ce soit seulement après 40 années que cette anomalie soit enfin constatée ? Sans doute le moment se faisait favorable pour battre sa coulpe sur la poitrine du Mututsi, et ainsi esquiver les attaques imminentes des 2 millions de Bahutu laissés jusqu’alors dans le délaissement le plus complet et le plus abject.

Et c’est sur cette toile de fond que se dessinent et explosent les derniers événements qui ont ensanglanté tout le Ruanda.

Leur genèse se situe, dit-on, dans la création de l’UNAR. Pour nous, il faut rechercher l’origine dans la tension qui existait depuis la publication et le classement sans suite du Manifeste des Bahutu en 1958 par les autorités compétentes et responsables. L’attitude incompréhensive et égoïste des membres du Conseil du Pays qui se voulait représentatif contribua à faire perdre la confiance des Bahutu dans cette institution. Le silence du Gouvernement devant ce comportement aggrava encore la situation. En outre cette tension fut dévotement entretenue et exploitée par une certaine presse intéressée tendant à faire dégénérer le problème social en problème racial, et surtout en jetant la responsabilité sur le dos des Batutsi. Dans l’entre-temps, le Gouvernement se réfugiait dans un silence complice.

Enfin vint l’Aprosoma, chaleureusement accueillie au début par quiconque se préoccupait des problèmes sociaux. Mais hélas, cette association ne tarda pas à se muer on ne sait comment en parti exclusivement ethnique, prêchant une haine raciale à outrance.

Et bientôt même, dans l’esprit de la masse, cette Association devait malheureusement évoluer en antiroyaliste. L’Administration fit la sourde oreille. Elle devait d’ailleurs en faire de même à l’égard des fanatiques de l’UNAR qui se permettaient des excès vis-à-vis des membres des autres partis.

Ce qui nous étonne surtout, c’est que, dépassée par les événements et acculée à en donner les explications, l’Administration rejeta toutes les responsabilités exclusivement sur le dos de PUNAR. Et cette attitude partiale du Gouvernement à l’égard des partis devait se concrétiser encore davantage. Citons quelques cas au hasard :

1° Les mesures disciplinaires prises contre les trois chefs conseillers de PUNAR alors que les leaders du RADER, dont certains jouissaient du même mandat politique que les premiers et d’autres, des fonctionnaires dans l’acception la plus stricte du mot, restaient dans l’impunité totale. D’ailleurs nous nous étonnons encore qu’au seuil mirifique de la démocratie, on ait voulu imposer des dirigeants à des populations qui n’en voulaient pas ;

2° L’interdiction par les agents de l’Administration d’assister aux meetings de l’UNAR alors qu’aucune mesure pareille n’était prise à l’égard des autres partis ;

3° Comment concilier la neutralité du Gouvernement à l’égard des partis avec le fait que le RADER a son noyau dans les bureaux de la résidence à Kigali ?

Cette attitude de favoritisme n’a pas été sans effets sur la psychologie des partis en présence et de la population en général. Par ailleurs, le retard de l’intervention militaire pour le maintien de l’ordre accrut la hardiesse des incendiaires et permit l’extension des troubles. En effet nous lisons dans « Rudipresse », organe d’information du Gouvernement, no 143 du 14 novembre 1959 en pages 5 et 6, qu’en territoire de Gitarama, berceau des émeutes, la première arrestation de malfaiteur n’eut lieu que le 8 novembre, alors que déjà le territoire était à feu et à sang depuis le 1er novembre. Nous ne saurions nous expliquer pourquoi, lorsque le Mwami Kigeli V voulut intervenir plus directement dans la pacification du pays, le Gouvernement s’y opposa. Nous ne saurions nous en expliquer les raisons d’autant plus que tout le monde savait que des malfaiteurs se servaient du nom du Mwami pour perpétrer leurs crimes. Que dire des déplacements des bandes d’incendiaires, opérant pendant le jour et toujours les mêmes bandes sur des centaines et des centaines de kilomètres sans avoir été appréhendées, alors que les avions de reconnaissance se complaisaient à les survoler ? Enfin comment justifier les mesures drastiques prises contre les gens qui étaient en légitime défense ?

Et nous ne pourrions pas nous empêcher de déplorer les informations partiales à tendances divisionnistes que l’on se complaît à présenter à l’opinion mondiale.

Une mise au point de l’U.NA.R.

L’U.Na.R. apprend avec tristesse et indignation les bruits qui sont répandus sur son compte et qui ont trouvé créance, semble-t-il, dans les milieux les plus éminents de l’Eglise Catholique, de l’Administration belge, du public européen et en Belgique !

L’U.Na.R. aurait, notamment au meeting du 13 septembre 1959 à Kigali, et dans sa propagande subséquente, exprimé des sentiments xénophobes, anti-belges, anticatholiques… Elle aurait traité les étrangers et plus spécialement les belges, de voleurs, elle aurait menacé d’action coercitive les Banyarwanda qui refuseraient d’entrer dans le Parti, et annoncé un programme politique qui aboutirait à la servitude de la masse!

On accuse maintenant l’U.Na.R. d’avoir dressé des listes noires et ordonné le meurtre des opposants, le boycott de commerçants et notabilités, détruit des bananeraies et mutilé du bétail de Banyarwanda hostiles au Parti. On prétend que des chefs appartenant au Parti se seraient organisés pour résister par la force à des décisions du Gouverneur. On met enfin à charge de l’U.Na.R., les récents événements de Kigali.

Le Comité Directeur de l’U.Na.R. unanime, fait à l’égard de ce qui précède, solennellement, la déclaration suivante :

  1. L’U.Na.R. déclare que les propos prêtés à ses orateurs au meeting du 13 septembre 1959 à Kigali, sont fondamentalement inexacts, faux et tendancieux.

Rien de tout cela n’a jamais été dit. « Le Démenti » envoyé au journal « Temps Nouveaux » est là pour l’attester. En outre, le Comité Directeur de l’U.Na.R. se tient à la disposition de quiconque voudrait avoir des précisions quant aux discours, allocutions et manifestes prononcés au cours des divers meetings tenus.

  1. L’U.Na.R. affirme son respect envers la hiérarchie de l’Eglise Catholique, sa reconnaissance envers les Missions et les Missionnaires pour leur dévouement au peuple du Rwanda.
  2. L’U.Na.R. ne méconnaît en rien la gratitude que le Rwanda doit éprouver envers la Belgique dont la générosité et la protection, présente et future, auront conduit notre peuple vers la grande famille des Etats modernes.

Par-delà les divergences, les erreurs et incompréhensions passées et présentes, cette gratitude demeurera.

  1. Les Belges seront toujours au Rwanda des amis honorés et privilégiés. L’U.Na.R. souhaite que les belges bienveillants qui se trouvent au pays, y restent pour toujours et que beaucoup d’autres viennent les rejoindre pour nous aider à construire l’avenir, ou simplement pour vivre heureux parmi nous, dans la beauté de nos paysages et l’amitié de notre peuple.
  2. L’U.Na.R. veut être le Parti de l’Union fraternelle, souhaite obtenir l’adhésion et le soutien de tous les Banyarwanda.

Le parti réprouve formellement et sans réserve le recours à la violence et la contrainte, pour lui-même, mais aussi pour les autres. Personne n’a rien à craindre de l’U.Na.R. Le Comité Directeur rejettera du Parti ceux qui ne respecteraient pas cette règle impérative. Il ne saurait d’autre part, accepter la responsabilité de propos ou actes de membres isolés — ou soi-disant membres — agissant par passion sous le coup d’une injustice ou provocation. Tout homme raisonnable doit l’admettre.

  1. Mais l’U.Na.R. rejette énergiquement toute doctrine politique à base de racisme et de division du pays. Si des hommes qui détiennent des charges publiques, quels qu’ils soient, commettent des abus, que les Autorités responsables fassent leur devoir : qu’elles enquêtent, prouvent et punissent, durement… L’U.Na.R., si ses représentants arrivent à gouverner, le fera elle-même avec rigueur.
  2. Le Programme politique de l’U.Na.R. n’est pas réactionnaire ni féodal, au contraire. Il veut le progrès, la liberté, le bien-être de tous les Banyarwanda.

Mais le Parti est jeune, souvent incompris et son organisation s’élabore progressivement. Il étudie un programme précis de Gouvernement et lance, ici-même, un appel à tous les hommes de bonne volonté, blancs et africains, et aux autres partis existants et bien intentionnés pour l’aider dans cette élaboration et dans la recherche des voies et moyens.

  1. L’U.Na.R. déclare en tout cas, solennellement, qu’elle acceptera, demain et toujours, le verdict du corps électoral s’exprimant périodiquement comme le définira la Constitution à venir.

Jamais l’U.Na.R. n’aura recours à une propagande ni des procédés d’intimidation, ne cherchera à se soustraire à la loi, ni à la tourner dans son esprit.

  1. Si l’U.Na.R. revendique une indépendance relativement rapide, c’est parce qu’elle veut que finissent les hésitations, tergiversations et demi-promesses, pour que le Rwanda puisse, sans crainte et sans contrainte, déployer son propre génie et ses aspirations.

Mais le Comité Directeur ne veut pas se rendre ridicule en prétendant que le Rwanda pourrait, en 24 heures, se passer de l’assistance et des conseils de la Belgique et de l’Administration actuelle. Elle veut les recevoir de la Belgique en tant qu’amie.

  1. L’U.Na.R. a été gravement offensée dans son honneur par les calomnies répandues. Elle espère que la présente mise au point aura rétabli la vérité, que tous les honnêtes gens le reconnaîtront, et que des mesures injustes, prises de bonne foi mais dans la hâte et l’ignorance, seront, en tout honneur, rapportées.

Vive le Mwami ! Vive le Rwanda !

Pour le Comité Directeur de l’Union Nationale Rwandaise,

Le Secrétaire, (sé) NTARUGERA V. Le Président, (sé) RUKEBA Fr.