La Pensée Pédagogique Des Rwandais Au Temps De La Monarchie
Si l’on excepte les écoles de pages, le Rwanda ignorait les initiations pubertaires qui ailleurs en Afrique constituaient souvent des moments forts où apparaissait une pensée pédagogique systématique. Cependant, comme en d’autres cultures, il est possible de dégager à partir des multiples-éléments de la sagesse populaire un ensemble très précis et explicite d’idées relatives à la nature de l’enfant et à l’éducation à lui donner. On y trouve des faits d’observation, des conseils de bon sens, mais aussi des considérations qu’on peut qualifier de « philosophiques » si on prend ce mot en son acception la plus large.
Ainsi, à propos d’Imana, A. Kagame cite-t-il dans sa thèse sur la philosophie bantou-rwandaise de l’être les adages suivants: « on ne se vante pas du « j’ai engendré » ; c’est Dieu qui engendre », « n’engendre vraiment que Dieu, les hommes ne font qu’éduquer« , « le nom véritable est imposé par Dieu », « seul Dieu éduque (fait grandir l’enfant) vraiment », ce qui implique que les éducateurs humains n’en sont que des auxiliaires. Et l’auteur d’ajouter : « Le concept de « éduquer » comporte deux idées distinctes, et les Rwandais en ont une conscience nette ; à savoir : nourrir l’enfant (le faire grandir) et influencer l’esprit de l’enfant. Les deux idées sont attribuées conjointement à Dieu et aux parents ».
A propos de l’homme en général
– « Le cœur est le petit roi de l’homme. » – « Le cœur est dans ses replis cachés impénétrable à l’homme. » – « Il n’est point de voyageur, si matinal qui boucle l’étape qui le sépare du cœur d’un autre homme. » – « Un homme est redressé par son cœur (sa conscience) et non par la langue (la parole d’autrui). » – « Le remède de l’homme, c’est l’homme. » – « La vraie noblesse est intérieure. » – « La foudre ne frappe pas celui dont le destin est de vivre. » – « La perdrix marquée par le sort se rend à l’abreuvoir, et déjà l’épervier la guette. » – « Doucement, doucement mûrit le régime de bananes. »
– « La douleur d’autrui est supportable. » – « Les riches en biens sont aussi riches en cupidité. » – « Donne du lait au ventre qui a avalé la haine, il haïra davantage. »
-« Celui qui n’a pas encore trouvé le moyen de se venger mange avec celui qui a tué son père. » – « Celui qui a reçu la plus grande part d’héritage réclame encore celle de son frère. » – « Quiconque veut extraire le miel court le risque d’être piqué par les abeilles. »
-« Là où va la rivière, là aussi vont les pierres. » – « L’arbre tombe du côté où il penche. » – « Personne ne sait dans quelle direction vont se développer les cornes d’une génisse. » – « Celui qui est protégé par un léopard peut puiser l’eau tranquillement. »
– « Tels on bat les rythmes, tels on les danse, » – « Un chien ne sera jamais une vache. » – « Le cou peut-il dépasser la tête ? » – « Celui qui a une petite tête évite les coups. » – « Dire « vas-y » est facile, mais « je viens avec toi » est rare. »
-« Ce qui manque aux fondations n’apparaîtra pas non plus quand on couvrira le toit. » – « Quand la pointe de la lance s’émousse sur le rocher, on la dépose. » – « Les plus beaux arbres poussent en des endroits escarpés. »
-« Le vice ne meurt pas, meurt le vicieux. » – « Le cadavre (= le vicieux) ne sent pas l’odeur qu’il exhale. »
De l’enfant
– « L’enfant est comme l’argile dont on fait de bonnes et de mauvaises cruches. » – « On ne peut appeler vraie mère la mère d’un seul enfant. » – « Le petit du faucon naît comme son père avec une houppe sur la tête. »
– « Les cornes d’un jeune bélier suivent la même ligne que celles de son géniteur. » – « Une vache reconnaît son veau même dans l’obscurité. »
-« Quand l’enfant tombe, la mère pleure ; quand la mère tombe, l’enfant rit. » – « L’enfant bien porté sur le dos laisse passer ses bras » (la confiance règne). – « Une mère qui n’est pas la tienne ne sent pas la faim qui te tenaille. » – « L’enfant que tu ne parviens pas à éduquer, c’est le tien. » – « L’enfant ne craint le charbon brûlant qu’une fois qu’il l’a pris en main. » – « L’enfant qui va au puits en pleurant rapporte de l’eau sale. » – « L’enfant qui mange comme une vache mourra comme un chien » (attention aux excès ).
– « L’enfant qui n’a pas encore voyagé prétend que seule sa mère pétrit beaucoup de pâte. » – « Quand on dit à un enfant : « frappe celui que tu hais », il frappe celui avec qui il mange. » – « On n’enlève plus les fourmis à un enfant pleurnichard. » – « L’enfant, c’est son père. » – « L’enfant d’un léopard est aussi un léopard. » – « Même s’il grandit, l’enfant ne dépasse pas son père. » – « Le jeune rat expie toujours ce que sa mère a mangé. »
– « L’enfant ne reçoit pas le courage, il se le donne. » – « L’enfant courageux avale une bouchée de pâte, mais non sa parole. »
– « C’est toujours l’enfant d’autrui qui a tort. » – « L’enfant pleure à la vue de sa mère. » – « L’enfant qui ne veut pas écouter obéit lorsqu’il voit les yeux rouges (de colère » – « Si tu ne parviens pas à te faire obéir par ton enfant, donne-lui un autre enfant à garder. » – « Celui qui n’obéit pas à son père et à sa mère obéit au grillon. » – « Un enfant, dans sa famille, casse une tasse et en reçoit une autre. »
-« L’enfant de la domestique est puni pour avoir bu l’eau puisée par sa mère. » – « L’enfant du pauvre grandit sur le fumier » (mais il grandit quand même). – « L’enfant a mangé la perdrix et sa mère vomit les plumes » (les parents sont responsables des actes de leurs petits). – « Si à un enfant tu manges son duvet, lui mangera tes cheveux blancs. »
De l’éducation
-« Il est plus difficile d’éduquer les enfants que de les mettre au monde. » – « Le déshonneur d’une mauvaise éducation rejaillit sur les parents. » – « Une mauvaise éducation expose à devenir la risée des beaux-parents. » – « Si tu éduques mal ta fille, tu seras la risée de ton gendre. »—–« Si tu épouses une mauvaise femme, tu la répudies ; si tu engendres de mauvais enfants, c’est toi qui en es responsable. » – « Celui qui veut devenir riche en vaches doit accepter de dormir avec elles. » – « Trop de facilité dans l’éducation gâte l’enfant. » – « L’enfant qui n’a pas connu de peines ne deviendra jamais riche. » – « Si tu veux de la bonne eau, il faut te donner la peine d’aller jusqu’à la source. » – « Les chiens ne voleront pas le secret caché dans le ventre. »
– « C’est haïr son enfant que de ne pas le châtier. » – « Qui ne frappe pas son enfant ne l’aime pas. » – « Le bâton brise les os, il ne brise pas l’intention mauvaise. » – « Le bâton atteint l’os, mais non le vice. » – « L’enfant est fait par le bâton. » – « La hache abat, la serpette taille. » – « A force d’entendre « attention, mon petit », tu deviens faible de caractère. » – « L’arbre peut être redressé tant qu’il est petit. » – « Insiste en éduquant tes enfants, et eux, une fois grands, y réfléchiront. » – « La colère d’une mère ne passe pas la nuit. »
– « La bonne éducation d’un enfant est agréable aux yeux et réjouit l’âme. » – « La semence semée où elle veut ne manque pas de germer. » – « La bonne éducation ne se perd pas. » – « Une étoffe moins solide, mais entière, vaut mieux qu’une étoffe solide, mais déchirée » (un pauvre bien éduqué vaut mieux qu’un riche sans éducation). – « Qui est élevé comme un poussin épouse sa tante » (qui reste dans les jupes de sa mère en arrive à faire des bêtises par naïveté). – « Celui qui cuit des haricots n’écarquille pas les yeux » (l’éducation est une longue patience). – « Une mangue cueillie trop verte ne mûrit pas. »
– « Ce qui est caché excite la curiosité. » – « Un oiseau qui ne vole pas ne sait pas où la moisson est mûre. » – « La pierre qu’on voit n’abîme pas la houe. »
– « Qui a encore son père n’ignore pas l’histoire de son grand-père. » – « Tu aimes ton enfant, et lui met cet amour de côté pour son enfant » (on éduque comme on l’a été soi-même). – « Qui vole avec un enfant dans le dos lui montre comment voler. »
-« L’enfant est beau quand on l’a rasé. » – « Même s’il a fait ses besoins dans la peau de chèvre qui sert à le porter, l’enfant y est quand même porté. »
Adages occasionnels à but éducatif
– « C’est celui qui a de bonnes jambes qui arrive aux fruits savoureux. » – « Qui ne cherche pas la piste ne la trouve pas. » – « La poussière aux pieds vaut mieux que la poussière au derrière. » – « Si on racontait au roi le badinage des abeilles, il ne boirait plus d’hydromel. » – « Tu construis un toit avec l’enfant du roi, et le lendemain il ty pendra. » – « Celui qui mange au moment des cultures mourra de faim au temps des moissons. » – « Dire toujours « je suis encore petit », c’est vouloir manquer de nourriture. »
-« Qui s’assoit à côté du chien sera envahi de puces. » – « On ne joue pas avec le léopard. » – « Qui va dans le pays des mangeurs de mouches, les mange crues. » – « Ce qui sort de la bouche y revient difficilement. » – « Si tu te fais petit, tu couperas des bananes » (il faut se baisser pour aller sous le bananier). – « Tu lèves la tête (geste d’orgueil) pour avoir un fruit mûr, il tombe un fruit vert. »
-« Un ruisseau précipité se détruit. » – « L’homme pressé en oublie l’objet de sa visite. » – « La hâte tue le clan. » – « Voici que la chienne s’est pressée : elle a mis bas des petits aveugles. » – « Celui qui est prudent arrive à ses fins. » – « La serpette des mauvais jours, c’est quand tu as encore de quoi la payer qu’il faut la faire forger. »
– « Un seul oeuf ne remplit pas le panier. » – « Sarcle tous les sorghos, tu ne sais pas lequel mûrira et lequel restera stérile. » – « Une main vide n’est pas baisée. » – « Un homme sans protecteur reçoit des coups jusque sur sa propre terre. » – « Qui sème des malheurs les récolte. » – « Les cris du lièvre n’ont pas empêché la brousse de brûler. » – « Le mensonge ne nourrit son homme que pendant deux ans. » – « Celui qui se révolte se grille au feu. »
-« Qui chasse l’homme ne crie pas. » – « Le marteau n’est pas plus grand que celui qui l’a forgé. » – « Des bras inégaux ne s’embrassent pas. » – « L’eau qu’on demande aux autres ne suffit pas à enlever la saleté » (il faut se prendre en mains). – « On trouve délicieuse l’eau qu’on s’est donné la peine d’aller puiser soi-même. » – « Les pieds qui vont l’un devant l’autre avancent. » – « La vache qui va brouter commence près de l’enclos. »
– « A cause d’une fille blâmable il ne faut pas étendre le discrédit sur toutes les autres. » – « Même chez les meilleurs, on découvre quelque défaut. » – « Il n’est beau visage qui n’ait quelque tache. »
– « Des voisins avares valent mieux que des ruines. » – « Le voisin fait partie de la famille. » – « Tu ris de ton voisin, et le lendemain tu te lèves comme lui. »
– « Ne raillez pas un chien qui s’est souillé à votre foyer. » – « La patronne ne pète pas devant sa servante ». – « Quiconque tend un piège à autrui y tombera lui-même. »
– « L’homme à la mauvaise langue est mort avant l’empoisonneur. » – « Qui veut la mort embrasse l’hyène. » – « En mourant on n’emporte rien. »- « Plutôt être malheureux qu’endurer le déshonneur. »
De l’intelligence (le savoir-faire, la ruse) : ubgenge
– « L’intelligence d’un seul ne compte pas. » – « L’intelligence d’un seul est un sac percé. » – « Une intelligence seule vaut moins que deux » – « L’intelligence qui reste solitaire S’estompe. » – « L’intelligence qui ne quitte pas le ventre (ne s’exprime pas) pourrit. » – « Celui qui est expérimenté dépasse celui qui est intelligent. » – « L’intelligence disparaît comme la braise. » – « On est toujours à la recherche de l’intelligence. » – « L’intelligence s’acquiert dans les bananeraies » (le milieu de vie). – « Qui veut savoir, qu’il écoute. »
– « L’intelligence ne se brasse pas (ne-se fabrique pas), mais se cherche. » – « L’intelligence, tu l’apprends d’un autre. » – « Le savoir est comme le feu, on va le chercher chez les voisins. » – « Le léopard ne savait pas saisir à la nuque, il l’a vu faire. » – « L’intelligence prend son départ près du sol. » – « Ce que l’on reçoit pour rien donne peu d’intelligence. » – « On extrait l’intelligence comme le minerai dans la mine. »
– « L’intelligence n’est pas vertu. » – « L’intelligence vaut plus que l’orgueil. » – « L’intelligence dépasse la force. » – « Celui qui n’a pas d’intelligence apprécie la sienne. » – « L’homme bête est celui qui croit qu’il détient l’intelligence ». – « Qui est trop rusé brasse de la bière en y mettant trop d’eau. » – « L’intelligence d’un hôte, c’est manger et se taire. » – « L’enfant malin accepte tout ce qu’on lui donne. »
– « L’intelligence n’est pas la vie sinon le magicien ne mourrait pas » (lui qui est censé en avoir beaucoup). – « Le menuisier des cœurs ne les a pas tous faits à la même mesure. » – « Dans la parole d’un homme supérieur et sage on trouve un os » (un avis de poids). – « La vraie intelligence n’est pas celle qui vient quand on a faim. » – « L’intelligence pousse avec les cheveux blancs. »
Une devinette : « Le crocodile sort d’un cours d’eau et lèche la rosée – Réponse : les enfants de riches » (qui ne sont jamais satisfaits de ce qu’ils ont).
Dans les différents domaines que nous aborderons dans la suite, on verra à l’œuvre très nettement une pensée directrice. C. Hatungimana a parlé des trois « écoles » de l’enfant rwandais : la nature, la famille et les groupes sociaux :
– La nature est une école en ce sens qu’elle offre un immense champ à la contemplation admirative, à l’observation et à l’expérimentation ; mais c’est l’homme qui la fait parler, qui met des mots sur les choses, les investit d’une valeur symbolique, relie les phénomènes entre eux et leur donne sens.
L’instinct qui rapproche les sexes, donnée « naturelle », quasi biologique, est canalisé de manière différente par chaque société. Il en résulte que tout système familial est régi par une logique, un ensemble de règles et de principes qui lui ont propres et qui déterminent avec une précision quasi mathématique les alliances, les filiations et les appartenances, et du même coup les attitudes des uns vis-à-vis des autres qu’il s’agit d’intérioriser. Nous passons grâce à lui de la nature à la culture, autrement dit de la part « innée » à la part « apprise » des conduites humaines.
Quant aux différents groupes sociaux et à la société prise globalement, ils sont créateurs de mythes et de rites, d’arts et de jeux, d’un système de pensée et de valeurs, mais aussi de moyens pédagogiques qui en permettent la transmission, l’introjection et les identifications afférentes.