Durant le premier trimestre de 1960, les options politiques se durcissent ; les milieux pro-Hutu se concertent et se regroupent dans un front commun.

L’U.N.A.R. est isolée, attaque le pouvoir tutélaire et fait confiance à l’O.N.U. pour défendre le point de vue de la monarchie. Les Tutsi du Rader se rangent provisoirement du côté des Hutu dans le front commun. La puissance tutélaire soutient activement les partis du Front commun. Celui-ci rejette en avril l’autorité du Mwami.

Les documents publiés ci-après reflètent, à quelques tentatives de médiation près, le durcissement des positions réciproques et la rupture entre le Front commun et le Mwami.

 RAPPORTS ET PRISES DE POSITION DIVERSES DES MILIEUX POLITIQUES TUTSI ET HUTU

1° Rapport sur la situation politique présenté au Mwami Kigeli V, par un Européen d’Usumbura 4 janvier 1960.

Mwami,

J’ai l’honneur de vous rendre compte de la mission d’information que vous avez bien voulu me confier.

Outre mes nombreux contacts antérieurs, j’ai, au cours de mon voyage, à Usumbura, Astrida, Nyanza, Gitarama, Kigali, Ruhengeri et aux environs des centres, rencontré une centaine de personnes, ruandais et européens, isolément et en groupe.

J’ai rencontré notamment Mgrs Perraudin, Bigirumwami, Déprimoz. Je n’ai pas pu voir l’Abbé Alexis Kagamé, en retraite.

A dessein, et aussi parce que souvent j’en ai donné la promesse, je ne citerai dans ce rapport aucun nom, me bornant à donner les conclusions d’ensemble ou citer les avis individuels lorsqu’ils m’ont paru émaner de personnes et de groupes, dignes de considération par leur importance et expérience.

J’ai commencé par m’informer auprès du Chef des Affaires Politiques à Usumbura, un désigné comme tel par Monsieur le Vice-Gouverneur Général, de la situation exacte des partis politiques au Ruanda : leur nombre, comité directeur actuel (au 24-12-1959), informations qui, je crois, doivent être légalement fournies par les partis.

J’ai dû constater que ce service ne possède, malgré d’épais dossiers, aucune information précise sur les organes directeurs des partis, arguant de la confusion, des modifications incessantes.

Il n’a pas su non plus, si des dirigeants de partis — U.N.A.R. notamment —étaient ou non inculpés ou l’objet d’un mandat d’amener, ni quels chefs d’inculpation pesaient sur ceux qui étaient en prison.

L’explication a été que ces informations arrivent avec un retard de plusieurs semaines.

On peut dès lors se poser la question à quel titre réel des personnes ont été présentées au Roi Baudouin et au Ministre comme représentants de partis politiques.

En dehors de leur propre affirmation bien entendu.

Aucun renseignement ne semble exister non plus sur les forces respectives des partis (nombre de membres cotisants inscrits). Ces partis, indistinctement, se réclament du « peuple » et leur importance relative n’est que l’objet de spéculations individuelles, influencées à leur tour par des sympathies et antipathies.

Si les comités directeurs des partis incarnent certainement un courant d’idées, personne ne saurait fournir une preuve matérielle raisonnable de l’étendue de leur influence directe auprès du peuple.

Au cours de cette mission je me suis systématiquement abstenu de discuter des événements passés et des responsabilités y afférentes, m’efforçant de maintenir les entretiens exclusivement sur le plan de l’avenir, immédiat et plus lointain.

Partis politiques

Aprosoma-Parmehutu. — Ces hommes n’ont pas l’espoir de voir leurs théories acceptées. Ils sont convaincus que les intrigues des Batutsi, le Mwami subissant l’influence de ces derniers, s’opposeront au progrès des Bahutu, et que les Batutsi tenteront toujours de détourner les institutions, quelles qu’elles soient, à leur profit exclusif et ce, avec la complicité du Mwami.

Les propositions les plus progressistes leur paraissent inacceptables aussitôt qu’ils apprennent que le Mwami y est favorable.

Ces hommes pensent qu’il faudra passer par de nouveaux combats. Ils craignent tous d’être tués tôt ou tard mais acceptent cette hypothèse en disant « d’autres prendront place et à la fin, nous gagnerons ». Ils affirment que les dirigeants, les chefs de section, les membres de l’Aprosoma et Parmehutu continuent d’être l’objet de menaces directes, notamment la nuit au moyen d’interpellations anonymes.

Leur aversion des Batutsi est telle, qu’ils affirment que les universitaires Batutsi seront boycottés, que les Bahutu refuseront de se faire soigner par les médecins Batutsi.

A l’égard du Mwami, personnellement, ils affirment que son avènement a soulevé d’immenses espoirs, car il était personnellement estimé et aimé. Mais que son attitude pendant les événements de novembre a changé cet espoir en désespoir et hostilité.

Ils pensent qu’avant deux ans le peuple lapidera la voiture du Mwami partout où elle passera.

Et pourtant j’ai cru discerner un regret, une nostalgie des illusions perdues au sujet de la monarchie. Dans quelques-uns, aussi, il me paraît y avoir eu des désillusions et humiliations personnelles remontant à Mutara Rudahigwa.

Dans ce groupe je signale, comme me paraissant des hommes de valeur : Munyangaju, Kayibanda, Makuza, représentant aussi les tendances modérées, radicales et extrémistes. Je ne cite pas ces noms dans l’ordre des tendances.

Il est à noter que, si l’Aprosoma affirme que le Parmehutu est simplement sa « section » Nord, les dirigeants Parmehutu prétendent être un parti distinct, avoir droit par conséquent dans la constitution éventuelle de conseils à un nombre de sièges égal à celui d’autres partis.

Le parti Rader a répondu à mon invitation par un refus de me rencontrer. Lors de mon entrevue avec le Colonel Logiest, j’ai déclaré que ma mission m’étant confiée par le Mwami avec l’approbation du Vice-Gouverneur Général, annoncée à la radio, je considérais l’attitude du Rader comme un affront public au Mwami. Comme le Comité Directeur du Rader était composé en grande partie de chefs et fonctionnaires de l’Administration indigène, j’ai demandé au Colonel s’il comptait prendre des mesures pour protéger le Mwami contre ces manques de respect. Je crois que le Colonel a réprimandé les intéressés, car j’ai appris que le chef Bwanakweli m’aurait cherché.

Je lui ai fait savoir que je prolongeais mon séjour à Kigali de 24 heures. Je n’ai vu personne. On doit tirer de cette attitude, délibérément offensante, la conclusion que les dirigeants de ce parti, ou bien se sentent encouragés par l’Administration ou bien estiment qu’elle est de bonne publicité auprès du public.

Les partis politiques manquent évidemment d’organisation, de locaux, de permanences. Ils ne me semblent pas avoir de doctrine économique ni même se soucier de cet aspect de la vie du pays. Leurs seules préoccupations sont d’ordre politique et pourraient aujourd’hui se résumer comme suit : être pour ou contre le Mwami et les Batutsi, chercher les moyens de détruire ou de maintenir cette autorité.

Au Congo les préoccupations exclusivement politiques ont provoqué en moins d’un an de graves mécomptes financiers, au point qu’il a fallu nommer un second ministre chargé de l’économie et que celui-ci a déjà dû annoncer l’annulation de réformes sociales « démocratiques » vieilles seulement de dix mois. Tout cela ne semble intéresser personne, ni blancs, ni noirs.

Je n’ai su découvrir aucun dirigeant officiel ou avoué de PU.N.A.R. Dans ce milieu, l’opinion a cours que quiconque se déclare dirigeant de ce parti est automatiquement mis en état d’arrestation. Ce parti semble donc s’être réfugié, par crainte réelle ou par politique, dans la clandestinité.

Milieux ruandais. — Je ne me suis pas borné évidemment à contacter seulement les partis politiques, mais j’ai vu aussi de nombreux ruandais individuellement, certains étant venus me trouver spontanément. A part quelques-uns qui ne voient de solution que dans l’action du Mwami utilisant ses pouvoirs traditionnels pour maintenir l’organisation coutumière du pays, la plupart des interlocuteurs sont d’avis que des réformes sont nécessaires et que c’est le Mwami et l’Administration qui doivent en être les initiateurs. Si la majorité de ces personnes ne partagent pas — pas encore en tout cas — l’extrémisme de certains leaders Bahutu, elles sont pourtant unanimes dans l’avis que le rôle du Mwami ne doit plus être ce qu’il était dans le passé. Il faut bien constater aussi que ces milieux attachent plus d’importance, aujourd’hui, à l’Administration qu’au Mwami.

Ces milieux — en général, je le répète, favorables à la dynastie — sont d’accord avec des observateurs européens (favorables aussi à la monarchie) pour constater que parmi la masse, la propagande Aprosoma-Parmehutu fait des progrès foudroyants en ce sens que l’hostilité envers les Batutsi se répand rapidement sous la forme de revendications à leur égard, puisant sa force dans la constatation que l’autorité des chefs et sous-chefs, Batutsi comme Bahutu, peut actuellement être bravée, que le Mwami serait prisonnier de l’Administration et par conséquent, mis par celle-ci dans l’impossibilité d’agir. Cette situation — le Mwami prisonnier des blancs — qui, il y a un mois encore, provoquait l’anxiété et l’indignation parmi le peuple, inspirait surtout — aujourd’hui — l’espoir et l’impunité.

Milieux européens. — Ces milieux s’intéressent très vivement à la situation et il n’est pratiquement personne qui n’ait d’opinion. La moitié de ces milieux est partisan d’une évolution progressive dans laquelle la monarchie jouerait le rôle qui est traditionnel en Belgique : influence plutôt que pouvoir. Un quart est plutôt en faveur de la tradition pure et simple, épurée de ses abus. Un autre quart est violent, absolu dans ses opinions et actif dans la propagande.

Les fonctionnaires, souvent, ont une attitude publique et une opinion personnelle.

Il existe un groupe, en réalité peu en contact avec la population, et même avec la réalité matérielle tout court, ne parlant probablement pas la langue, qui professe à l’égard des Batutsi et de la monarchie une hostilité sans nuance et certainement sans charité. Il préconise des solutions « totales », sinon totalitaires d’un radicalisme tel que même les plus extrémistes des leaders Bahutu ne les partagent pas entièrement.

Ce groupe est très militant, influent en Afrique et en Belgique. C’est certainement là que les leaders Bahutu trouvent leurs doctrines, encouragements et appui. Les membres de ce groupe, eux aussi, prétendent que leur vie est menacée.

Un autre groupe, de la même classe intellectuelle, exprime par contre l’avis suivant :

L’organisation traditionnelle : Mwami, chefs et sous-chefs nommés par le Mwami et tirant leur autorité de la sienne, a donné au peuple une notion précise de gouvernement légitime, assurant l’obéissance aux lois et coutumes et permettant donc le maintien de l’ordre et l’administration de la communauté.

Pendant quarante ans la Tutelle a non seulement concouru au maintien de cette notion mais l’a considérablement renforcée en abolissant, en fait, d’autres structures intermédiaires (les roitelets Bahutu payant tribu nominal seulement à Nyanza) imposant notamment dans les territoires de Ruhengeri et Kisenyi l’autorité directe du Mwami et de ses délégués chefs et sous-chefs Batutsi.

Malgré d’innombrables abus, ce système était homogène et constituait, répètent les critiques, un instrument de valeur parce que non contesté.

En adoptant brusquement une attitude opposée, destituant, emprisonnant chefs et sous-chefs Batutsi, imposant des éléments Bahutu, le tout sans l’intervention du Mwami, brimant systématiquement tout ce qui est Batutsi, les déportant (Ruhengeri) sans égard à des droits acquis depuis cinquante ans et plus, l’Administration est en train de détruire la notion même de la légitimité d’une autorité et d’un gouvernement lui substituant simplement l’anarchie.

Selon ces personnes — qui vivent en permanence sur les collines — la population commence à se moquer ouvertement des chefs et sous-chefs, leur disant : après toi il y en aura d’autres ; on n’a qu’à se plaindre aux blancs et tu iras en prison.

Toujours selon ces personnes, les élections risquent de n’être considérées par la population, que comme un moyen commode de se débarrasser d’une autorité, et non d’en instaurer une nouvelle.

Jusqu’à ce qu’une nouvelle autorité forte s’impose à laquelle se ralliera automatiquement la masse insuffisamment diversifiée en catégories d’intérêts, matériels, professionnels, idéologiques.

Tout comme les partis ruandais en sont au stade de l’intransigeance, les divers groupes européens le sont. Je n’ai trouvé pratiquement personne qui accepte d’examiner de bonne foi une opinion adverse.

Propositions. — Si le Ruanda est plein de critiques, je n’ai trouvé personne qui fit des propositions constructives pour l’immédiat et encore bien moins pour l’avenir.

Toute discussion ou question portant sur le maintien des problèmes pratiques, matériels, de l’organisation d’un état autonome se heurtent à la plus totale indifférence. Les seules suggestions ayant un caractère pratique sont les suivantes et émanent des milieux ruandais :

1° Le Mwami – doit s’entourer- d’un conseil composer de délégués’ des partis.

Le Mwami doit accepter les hommes que les partis désignent, sans discuter ce choix.

Le Mwami doit en outre contresigner, sans discuter non plus, les décisions de ce conseil prises à la majorité. Ce conseil devrait être composé par les partis existant aujourd’hui, les partis qui pourraient être fondés dans l’avenir n’y auraient pas accès.

Aujourd’hui cela signifierait donc 2 Aprosoma, 2 Parmehutu, 2 Rader, 2 Unar.

2° Le Mwami doit faire dresser par les chefs, la liste des personnes réputées « anti-Mwami ». Le Mwami parcourrait ensuite les territoires, déclarant publiquement, qu’il n’a pas d’ennemis et que quiconque molestera ces personnes en son nom, sera punie.

3° On ne peut accorder aux partis politiques l’importance qu’ils se donnent.

Le Mwami avec le Vice-Gouverneur Général doit convoquer un congrès, 100 et même 200 personnes, groupant les comités directeurs des partis politiques, des chefs de clan Tutsi, Hutu, Twa, des représentants des milieux économiques : commerce, agriculture, élevage, salariés, administration, clergé catholique et protestant, européens.

Le Mwami et le Vice-Gouverneur Général provoqueraient des discussions autour de quelques principes et s’inspireraient, ensemble, des tendances dégagées pour créer des institutions nouvelles et formuler une doctrine de Gouvernement.

Les promoteurs de cette idée ne voient pas de difficultés dans l’utilisation du français et Kinyaruanda simultanément. Durée prévue : 8 jours.

Conclusions. — Le Mwami doit se rendre compte qu’une page de l’histoire du Ruanda est tournée.

Quelque jugement que l’on porte sur les mobiles, le bien-fondé ou même la loyauté du récent changement d’attitude de l’administration belge, il faut bien se rendre compte que son action a profondément modifié la situation et accélère tous les jours l’évolution et qu’à moins d’un nouveau — et plus qu’improbable — renversement de cette attitude, un retour au passé est impossible.

Désormais, les Batutsi occupent la situation d’une minorité menacée à son tour d’oppression et qui a besoin de protection. Le Mwami n’est plus à même aujourd’hui de la leur donner, et il existe indéniablement le goût, le plaisir, de piétiner les vaincus.

L’Administration, disposant d’une force armée, qu’elle a montée, est seule capable de se faire obéir, et par une inclinaison de la masse, son autorité morale surclasse maintenant de loin celle du Mwami.

Qu’il s’agisse du Mwami, des autorités traditionnelles, des partis politiques, leur influence respective, dans l’avenir proche, sera exactement celle que voudra le Vice-Gouverneur Général agissant sur les directives du Gouvernement belge. Seul celui-ci est aujourd’hui capable, sans risque d’opposition, d’abolir la monarchie ou d’en imposer le maintien et le respect. Il pourrait tout aussi bien instaurer l’administration directe européenne, aux applaudissements de la masse.

Il peut aussi avoir la chance d’atteindre un pareil et équitable équilibre des forces protégeant les droits de tous. Mais il me paraît exclu de considérer cette hypothèse comme réalisable si le Ruanda est livré à lui-même. Seule la Tutelle est capable de concevoir et réaliser cette structure équilibrée et de garantir à chacun qu’il ne sera pas empiété sur sa part d’autorité légitime.

Dans l’intérêt du Ruanda et celui de chacun de ses habitants, il me paraît vital que, pendant dix ans au moins, la Tutelle subsiste avec les moyens d’action suffisants pour jouer son rôle d’arbitre. C’est le seul point sur lequel tous mes interlocuteurs, ruandais surtout, ont été d’accord. Il faudrait obtenir à ce sujet un engagement formel de la Belgique afin de créer dans l’esprit de tous, un véritable « pivot » de sécurité, et décourager les tendances extrémistes.

M’inspirant des traditions nationales, je ne doute pas que le Gouvernement belge ne souhaite voir la monarchie jouer un rôle important dans l’avenir du Ruanda et lui transmettre un jour ce rôle d’arbitre. Il dépend donc, à mon avis, du Mwami lui-même que cette hypothèse se réalise.

Le Mwami doit avant tout rétablir des relations confiantes et cordiales avec la Tutelle. Il doit se persuader qu’il a cessé d’être le Chef d’une aristocratie, qui gouverne le peuple pour devenir le chef direct de tout le peuple. En termes mathématiques simplistes, le Mwami doit accorder 85 % de sa sollicitude aux Bahutu et 15 % aux autres.

Je lui conseille de rompre avec les traditions passées, de faire de son intronisation une cérémonie entièrement publique, de prendre résidence à Kigali à côté du Résident ou du futur Gouvernement, de constituer à ses côtés un secrétariat et cabinet compétent mais apolitique, de rompre avec le système patriarcal des audiences qui — aujourd’hui — de par la majorité de Batutsi qui en profitent, fait apparaître le Mwami comme trop exclusivement accaparé par eux et sympathisant. Il faut adopter le système européen dans lequel les audiences personnelles du Roi sont soigneusement dosées et étudiées, le reste étant refoulé vers les membres du cabinet.

Le Mwami doit aussi rétablir sa popularité personnelle par de fréquents déplacements, soigneusement préparés à leur tour.

Enfin, le Mwami doit personnellement étudier les problèmes économiques, car c’est par cette connaissance qu’il établira plus tard son influence réelle et durable sur les Gouvernements successifs.

J’ignore quels sont les intentions et sentiments personnels du Vice-Gouverneur Général à l’égard du Mwami. Mais l’impression que m’a laissée tout le reste de l’Administration me fait conseiller au Mwami de se rendre en Belgique pour y discuter de son statut futur.

J’ai rencontré aussi les délégués de la Ligue des Droits de l’Homme en Belgique.

Par leur entremise, le Mwami pourrait obtenir gratuitement, une consultation juridique portant sur la possibilité de faire invalider par le Conseil d’Etat, les ordonnances créant le régime militaire au Ruanda.

A première vue, il ne semble pas possible d’obtenir une invalidation directe.

Mais une invalidation indirecte semble probable en faisant déclarer illégales des mesures d’exécution telles que la nomination unilatérale de chefs et sous-chefs.

Il n’est pas douteux qu’une telle situation serait embarrassante pour l’Administration.

Je déconseille pourtant cette action. D’abord elle aggraverait la confusion et le désordre des esprits. Ensuite, le Mwami ne paraît plus être en position de pouvoir se montrer agressif. Son intérêt personnel, celui de la monarchie, sont dans la conciliation.

Tout en étant conscient des suspicions qui s’attachent à mon opinion, je reste d’avis que la proposition du Mwami du 27 novembre 1959, amplifiée par sa note du 30 novembre 1959, est la meilleure pour résoudre les problèmes qui se posent.

Les principales objections que j’ai rencontrées au prudent énoncé de ce projet sont les suivantes, selon les milieux :

1° Cela émane du Mwami et cache donc de mauvaises intentions.

2° il n’y a pas de garantie que ces ministres seront… de bons chrétiens.

Il faudra certainement au Mwami beaucoup de courage et de volonté s’il veut surmonter la crise actuelle.

Je regrette aussi que mes conclusions ne soient pas plus agréables. Mais le devoir d’un informateur est d’éviter la complaisance. J’ai rempli cette mission, au mieux de mes moyens et lumières, et je considère maintenant mon rôle comme terminé.

Communiqué d’un groupe d’étudiants du Rwanda-Burundi

Bruxelles, le 7 février 1960.

Au moment où le Congo acquiert son indépendance, nous présentons nos meilleures félicitations aux leaders de la Table Ronde, et réitérons nos sentiments de fraternité et d’entière solidarité à tout le peuple congolais.

Par la même occasion, nous tenons à signifier à la Belgique ainsi qu’à l’Organisation des Nations Unies notre ferme volonté d’accéder à l’indépendance à la même date que le Congo. Le sort de nos pays a été trop longtemps lié, leurs intérêts sont devenus inséparables, et la rupture inconsidérée de cette union nous serait préjudiciable.

Est-il admissible qu’à l’heure actuelle, où tous les pays africains recouvrent leur liberté, le Rwanda-Burundi reste seul sous le joug du colonialisme ? N’est-il pas indécent de maintenir un pouvoir de Tutelle incapable de prévenir des troubles aussi graves que ceux dont le Rwanda vient d’être le théâtre, et soupçonné même de les avoir provoqués ?

Nous sommes conscients des problèmes graves qui se posent encore dans nos pays ; mais leur existence ne doit pas servir de prétexte pour perpétuer un régime désuet et inadéquat qui ne fait que les aggraver. Seuls les organismes constitués, issus de nos populations, y apporteront des solutions définitives.

Nous demandons en conséquence :

1° Que les libertés publiques soient assurées et garanties indistinctement à tous les partis politiques.

2° Que des élections au suffrage universel direct soient organisées dans le plus bref délai dans nos deux pays.

3° Qu’une commission internationale de l’Organisation des Nations Unies soit désignée pour sauvegarder le caractère démocratique de leur déroulement.

4° Que deux assemblées nationales issues de ces élections, ainsi que deux gouvernements, soient respectivement créés pour le Rwanda et pour le Burundi.

5° Que ces assemblées élisent en leur sein des délégués pour former une assembléegénérale de la Communauté du Rwanda-Burundi.

6° Que cette assemblée communautaire donne naissance à un exécutif, chargé de négocier, de commun accord avec le Congo, le mode de relations ultérieures avec la Belgique.

7° Que la Communauté Rwanda-Burundi et le Congo mettent sur pied des bases constitutionnelles des Etats-Unis de l’Afrique centrale.

Nous avons la profonde conviction que ces objectifs constituent seuls la meilleure sauvegarde de nos intérêts nationaux. C’est dans cette foi inébranlable que nous exhortons tous nos compatriotes à répondre chaleureusement à cet appel, pour poursuivre la réalisation complète et rapide de ces objectifs.

Le Comité Directeur :

Pour le Rwanda :

  1. RWUBUSISI Isidore, 2. GATARAYIHA Gatan.

Pour le Burundi :

  1. BARANYANKA Charles, 2. NIMUBONA Lorgio.

(Publié dans « Pourquoi Pas ? », 13 février 1960.)

 

Motion de l’Unar remise à la Mission de visite de l’O.N.U.

Usumbura, le 31 mars 1960.

A Monsieur le Président de la Mission de visite de l’O.N.U. au Ruanda-Urundi.

Monsieur le Président,

Faisant suite au bienveillant entretien que la Mission nous a accordé hier et déférents à votre désir, nous avons l’honneur de vous confirmer la position du parti U.N.A.R. à l’égard du Mwami et de la monarchie.

Ainsi que vous l’avez certainement constaté, le Mwami reste, pour l’immense majorité de la population, la seule source légitime de l’autorité. Malgré la tardivité avec laquelle ont été communiqués à la Mission les procès-verbaux des réunions de Kigali, convoquées nous fut-il dit dans le but exprès de renseigner votre Mission, un rapide examen de ces documents vous aura confirmé que le Mwami, tant l’institution que sa personne, reste la clef de la situation politique.

L’opposition à l’institution et à la personne sont le fait de certaines parties des groupes directeurs de partis politiques dont il est impossible, dans les circonstances présentes, d’apprécier l’influence réelle.

L’Union Nationale Ruandaise accepte sans réserve que dorénavant le Ruanda évolue selon les règles de la démocratie, guidée par une monarchie constitutionnelle.

Comme il y a pourtant contestation, l’U.N.A.R. est d’avis qu’il serait dangereux de faire partir le nouvel état sur une équivoque et de laisser subsister un élément de doute et de contestation aussi important : la question monarchique une fois réglée, le reste sera plus aisé.

L’U.N.A.R. croit que des élections générales auxquelles le peuple n’est pas encore habitué et dont les résultats sont influencés par de nombreux facteurs divers ne sont pas la solution du moment. Ce ne sont pas trois ou quatre douzaines d’hommes, qui doivent finalement décider du sort d’une institution plusieurs fois centenaire.

L’U.N.A.R. est par conséquent d’avis que ce serait un excellent fondement à la démocratie future que de laisser le peuple décider lui-même si, oui ou non, la monarchie doit être conservée. Il s’agit là d’une seule question, simple et connue de tous, à laquelle chacun peut répondre en connaissance de cause.

L’U.N.A.R. propose par conséquent qu’il soit procédé à un referendum général à ce sujet.

Afin que la question soit réglée définitivement sans possibilité de contestation plus tard, l’U.N.A.R. est d’avis, que les femmes aussi bien que les hommes doivent donner leur avis.

Afin d’éliminer rapidement cette obstruction majeure à la vie politique, l’U.N.A.R. est d’avis que ce referendum ait lieu avant le l er mai 1960. L’objection de l’Administration que ce délai est trop court, qu’il est difficile de recenser correctement les femmes est sans valeur pratique. En faisant voter dans chaque commune, le sous-chef et conseil présents au bureau, les erreurs de personnes seront négligeables et sans importance. Il doit être possible de faire présider chaque bureau de vote par un européen du pays, dût-on même les réquisitionner à cette fin, ce qui ne sera sans doute pas nécessaire.

Il serait indispensable, Monsieur le Président, que vous obteniez, avant votre départ, l’accord du Gouvernement belge à ce sujet. Si les diverses délégations doivent rentrer au Ruanda sans apporter aucun élément positif de solution, il est à craindre que l’irritation et l’irrésolution de la population s’accroîtront encore. Un milliard de francs — la quasi-totalité du revenu monétaire — mûrit en ce moment sur les arbres.

Il faut lever cette hypothèque d’incertitude pour ne pas compromettre la récolte.

L’U.N.A.R. souhaiterait aussi que vous obteniez de l’Administration qu’elle autorise le Mwami à prendre à ses côtés un chef de cabinet européen choisi par lui- même, librement, et autorisé à être l’interprète des avis du Mwami.

Nous voulons bien d’un Mwami constitutionnel, mais non d’un Mwami prisonnier, auquel sont systématiquement déniés les moyens d’exercer sa charge difficile et que l’on semble pousser littéralement vers des actes irréfléchis que l’on retourne alors contre lui.

Nous espérons aussi que vous userez de votre influence pour que l’U.N.A.R. cesse d’être la bête noire de l’Administration et qu’il nous soit garanti, ainsi qu’à nos militants, la même liberté d’action que celle qui est laissée à d’autres partis.

Nous espérons enfin que vous aurez obtenu de l’Administration qu’elle abandonne son hostilité à l’égard des européens résidant dans le pays et qui voudraient aider l’un ou l’autre parti par leurs conseils et leur collaboration.

Nous vous prions, Monsieur le Président, d’agréer l’expression de nos sentiments très respectueux et profondément confiants dans votre Justice.

Pour l’U.N.A.R.

RUTSINDINTWARANE J. N. Président national a.i, NCOGOZABAHIZI X.Représentant au Conseil Spécial.

 Pétition de l’Unar remise à la Mission de visite de l’O.N.U.

Cette deuxième pétition de l’Unar lia remise à la Mission de visite également le 31 mars. Elle émanait du Comité Unar à Dar-es-Salam et était signée par le secrétaire général Rwagasana. Son ton était nettement plus radical et ses propositions ne rencontraient la précédente motion que sur un point : le rejet des élections.

Monsieur le Président et

Messieurs les Membres de la Mission de Visite des Nations Unies,

Au terme de votre visite effectuée dans le Territoire sous tutelle du Ruanda- Urundi, nous prenons respectueusement la liberté de vous soumettre, ci-après, des propositions, que l’Union Nationale Ruandaise estime pouvoir apporter une solution efficace et pacifique à la situation actuelle du Ruanda-Urundi, laquelle est dramatique au Ruanda et tendue en Urundi.

Qu’il nous soit d’abord permis d’adresser, au nom de notre parti, nos vifs remerciements à l’Organisation des Nations Unies qui vient de prouver une fois de plus, sa sollicitude envers les peuples dont elle a mission de protéger. En effet, par la résolution du Conseil de tutelle en date du 4 février 1960, qui entre autres stipulations, invite notamment « la Mission de visite à faire une enquête spéciale sur les circonstances et les troubles qui ont éclaté récemment au Ruanda-Urundi », les Nations Unies ont répondu à l’appel au secours que, par le canal de notre parti, les populations leur avaient adressé. En tant qu’interprètes de ces populations, nous rendons aux Nations Unies un hommage déférent et reconnaissant.

Sans émettre un pronostic favorable à notre cause, quant aux résultats de l’enquête que vous venez de mener sur les incidents survenus dans ce Territoire, nous pouvons toutefois établir avec le maximum de certitude que bien des faits signalés dans nos deux mémorandums ont fait l’objet de vos constatations car ils relèvent du domaine de l’évidence. Ainsi, vous aurez sans nul doute trouvé, notamment au Ruanda, une situation générale confuse, un désordre frisant le chaos politique. Vous avez vu de près les méfaits du régime militaire d’exception, instauré prétendument pour rétablir le calme, et qui a été vite transformé en un monstrueux instrument d’oppression. Une démonstration de méthodes utilisées pour « pacifier » a été faite en votre présence avec le bilan de morts et de blessés que vous connaissez. Pareil spectacle, dont l’Administration belge du Ruanda-Urundi aurait d’ailleurs dû raisonnablement vous priver, vous a édifiés sur son comportement antérieur à l’égard des populations sans défense. Le nombre effrayant des détenus politiques qui sont tous de l’U.N.A.R., vous a fixé sur la persécution injustifiée qui s’est abattue sur ce parti. Les jugements rendus contre les détenus précités sur la base de crimes de droit commun, vous a montré combien les tribunaux militaires « jugeant sans appel » ont été instaurés, non pour rétablir et maintenir l’ordre public, mais pour compléter l’arsenal des armes du pays. La chose paraît pourtant paradoxale puisque l’indépendance cadre avec les fins du régime de tutelle, qu’elle est un droit inéluctable des pupilles.

Mais, c’est là justement le trait dominant du colonialisme : manier en virtuose les paradoxes, chercher un confort dans les équivoques, essayer de s’accrocher à des positions, même apparemment désespérées, afin de survivre.

Vous avez trouvé, au Ruanda, une structure politique bouleversée en démettant des centaines de chefs et sous-chefs régulièrement nommés et en les remplaçant par les membres des partis protégés par l’administration et ce, sans respecter ni l’esprit ni les termes de la loi.

Il ne vous a certes pas échappé, Monsieur le Président, Messieurs, que le Mwami du Ruanda a été relégué au dernier plan et que l’Administration tutélaire, allant à l’encontre de la volonté populaire, a sapé son autorité, a foulé aux pieds le principe même de l’autorité légitime.

Vous avez pu également constater que les déportations vers le Bugesera, affreuses préfigurations du partage du pays entre communautés raciales, sont une implacable réalité.

D’aucuns se demandent si l’Administration tutélaire qui abolit purement et simplement des institutions comme des jouets qui ont cessé de plaire, instaure une dictature administrative ne reculant pas devant l’arbitraire, qui annihile ses propres réformes démocratiques et passe outre ses promesses les plus solennelles, a des comptes à rendre à personne ou si elle est seule maître des destinées du Territoire sous tutelle et de ses habitants ? A ce propos, un observateur bien averti et impartial vient d’écrire fort judicieusement que : « Le Gouvernement belge, en instaurant l’administration directe, en écrasant toute opposition et critique, agit comme s’il se préparait à annexer le Ruanda au lieu de lui donner l’indépendance ».

Quant aux responsables locaux de cette situation désastreuse, les hauts fonctionnaires belges, à savoir Monsieur Harroy, Vice-Gouverneur Général et le Colonel Logiest, Résident Spécial du Ruanda, vous aurez certes constaté qu’ils n’ont plus la sérénité des chefs. Qui dit chefs, dit arbitres ; or, les fonctionnaires précités ne sont rien moins que des arbitres ; ce sont des militants des partis opposés à l’Union Nationale Ruandaise.

A travers les beaux discours de Monsieur Harroy et le fouillis de ses déclarations officielles, malgré les nombreuses ambiguïtés qui les caractérisent et surtout à cause de celles-ci, il vous a été facile de déceler sa farouche opposition contre l’U.N.A.R., ses prises de position unilatérales et injustifiables, ses mesures administratives d’une ère de paix et de liberté dont les piliers sont évidemment un régime de terreur étouffant toutes les libertés politiques.

Les communiqués officiels du Résident Spécial du Ruanda et dont nous croyons que des exemplaires vous ont été remis, reflètent nettement le favoritisme à l’égard des partis gouvernementaux (Parmehutu-Aprosoma-Rader), pour lesquels une intense propagande y est faite.

Si ce n’est pas une large diffusion des décisions, instructions ou discours des leaders de ces partis placés à la tête des chefferies, c’est une propagande ouverte pour eux, le cas dans le communiqué no 7 adressé à tous les Banyarwanda et où le Résident Spécial fait une véritable apologie pour le Parmehutu.

Devant ces faits à son passif, l’Autorité tutélaire fait-elle entrevoir un changement d’attitude ? Vous aurez certes constaté que c’est juste le contraire, car elle est résolue à appliquer intégralement la Déclaration gouvernementale dont nous avons dénoncé dans un document qui est en votre possession, le caractère rétrograde et anti-démocratique. Le décret intérimaire du 25 décembre 1959 qui en marque un début d’application et que le Conseil Supérieur du Burundi a qualifié à juste titre de « décret de domination », n’a pas échappé à vos investigations en ce qui concerne les lacunes fondamentales qu’il renferme. Voyons d’abord sur quoi débouchent « les voies » que nous ouvre ce décret intérimaire : sur « une autonomie progressive », « des gouvernements et Conseils auxquels seront octroyés de larges pouvoirs ». La date de l’indépendance n’est évidemment pas fixée et les délais qui nous en séparent ne sont pas mentionnés ; c’est avec les nouveaux Conseils que le Gouvernement estime « entamer le dialogue nécessaire ». Décidément, la politique de l’autorité tutélaire est ici déconcertante : alors que nous assistons à un mouvement général d’indépendance des pays africains, alors que cette même autorité vient de donner à ce mouvement une allure d’accélération par l’indépendance du Congo, au Ruanda-Urundi, la Belgique fait montre d’un colonialisme anachronique. Par le décret intérimaire, les pouvoirs de la tutelle générale se renforcent par le contreseing du Chef du gouvernement à tous les actes du Mwami et par les vetos de la tutelle. Ces dispositions beaucoup plus strictes que le régime antérieur montrent à quel point la prétendue « Autonomie » inaugurée par le décret précité n’est que de la pure comédie. En effet, les administrateurs-résidents ayant droit de veto sur tous les actes des divers échelons indigènes, avec pouvoir de décision de l’échelon européen supérieur, on comprend aisément qu’ils pourront imposer leur décision, laquelle serait couverte par les Conseils et l’exécutif indigènes qui portent la responsabilité de l’exécution. Parler de « progrès politique » en pareil cas, c’est vraiment faire un usage singulier du vocabulaire.

Par la création en « communes provisoires » des sous-chefferies, des circonscriptions urbaines et des centres extra-coutumiers, dans leurs limites actuelles, le décret en question illustre hautement la politique retardataire du Gouvernement tutélaire.

Au lieu de créer d’emblée des communes budgétairement viables, en prenant comme unité communale, les chefferies actuelles, l’autorité belge préfère une méthode plus lente renfermant un prétexte de retarder l’indépendance, car avec les visées colonialistes, cela ne nous étonnerait pas que les communes provisoires mettent dix ans et plus à devenir définitives.

Le législateur du décret intérimaire consacre avec une désinvolture ahurissante « l’africanisation des cadres » tant décriée et dont nous avons stigmatisé dans notre position en face de la Déclaration gouvernementale, les incompatibilités notoires avec un régime de gouvernement autochtone responsable.

Il serait fastidieux de nous attarder à relever les défauts révoltants d’un décret qui est comme un miroir reflétant fidèlement les vestiges tenaces d’un colonialisme morbide en Afrique sous administration belge ; mais face à l’impasse politique qu’il a créée, des points d’interrogations jaillissent de la majorité des populations du Territoire sous tutelle :

— Les Nations Unies laisseront-elles perdurer une situation qui porte atteinte à son honneur en préparant les pires mésaventures à ses pupilles ?

— Plus précisément, les Nations Unies laisseront-elles se dérouler au Ruanda-Urundi, les prochaines élections qui seront organisées sur la base du décret précité et sous un régime où on ne peut parler de liberté démocratique ?

— Enfin, les Nations Unies, par une intervention tardive ou insuffisante, permettront-elles à la Belgique de nous donner une indépendance semblable à celle du Cameroun, car déjà elle en a tous les signes précurseurs ?

C’est en considération du tableau d’ensemble brossé ci-dessus que nous soumettons, Monsieur le Président et Messieurs les Membres de la Mission, les propositions suivantes, estimant qu’elles sont susceptibles de porter efficacement remède à cette situation :

  1. — Nous sommes conscients des problèmes graves qui se posent encore pour notre pays, mais leur existence ne doit pas servir de prétexte pour perpétrer un régime désuet et inadéquat qui ne fait que les aggraver. Seule l’indépendance à bref délai y apportera des solutions définitives. En conséquence, nous exigeons l’indépendance du Ruanda-Urundi à la même date que celle du Congo, soit le 30 juin 1960. Nous sommes également convaincus que dans le cadre général de l’idée qui domine actuellement le monde entier et particulièrement l’Afrique, de constituer de grandes communautés, ce serait mal comprendre les nécessités du moment, manquer de clairvoyance politique que de se renfermer dans un nationalisme isolationniste. De plus, à moins d’avoir perdu tout sens de l’histoire de ce temps, toute notion d’intérêt le plus évident de nos pays, on ne pourrait songer à diminuer, encore moins à supprimer, les liens d’union existants entre le Ruanda et l’Urundi au lieu de les consolider. C’est pour cette raison que l’Union Nationale Ruandaise se prononce pour l’indépendance du Ruanda-Urundi sous la forme « d’un Etat » unitaire doté d’un même législatif et d’un exécutif commun.
  2. — Afin de discuter de la forme définitive à donner au Gouvernement indépendant du Ruanda-Urundi et de mettre à temps, les diverses institutions démocratiques, avant la proclamation de l’indépendance, nous demandons la constitution d’une Table ronde autour de laquelle se retrouveraient des responsables des destinées de notre pays, à savoir :

— une Commission des Nations Unies déléguée à cette fin ;

— des représentants de l’Autorité tutélaire ;

— des délégués des divers partis politiques représentant effectivement les populations du Ruanda-Urundi ainsi que des représentants de l’Autorité autochtone.

Cette Table ronde se réunirait début mai, de sorte que ses décisions sortent avant le mois de juin, lequel serait consacré aux élections desquelles sortiront l’Assemblée nationale et le Gouvernement et qui, en tout état de cause, devront être surveillées par une Commission de l’Organisation des Nations Unies pour sauvegarder le caractère démocratique de leur déroulement.

  1. — Nous insistons pour que dès maintenant un climat de calme et de paix soit restauré au Ruanda-Urundi et que les libertés publiques soient garanties indistinctement à tous les partis politiques. Ce but ne pourra être atteint que par :

— Une amnistie générale des détenus politiques, condamnés suite aux troubles sanglants du Ruanda.

— L’octroi des garanties formelles à tous les réfugiés politiques afin qu’ils rentrent dans le pays et y poursuivent leurs diverses activités.

— La démission d’office du Vice-Gouverneur Général, Monsieur Harroy, et du Colonel Logiest, étant donné que ces hauts fonctionnaires belges sont trop impliqués dans les derniers événements du Ruanda et tant qu’ils resteront à leurs postes de direction, les troubles ne cesseront, car ils en sont comme l’élément moteur.

— La désignation d’une Commission des Nations Unies qui resterait en permanence au Ruanda-Urundi jusqu’à la proclamation de l’indépendance. Cette Commission jouerait un rôle de supervision et d’arbitrage et rien ne s’oppose à ce qu’elle soit la même que celle qui participerait à la Table ronde et surveillerait les élections.

Nous ne pouvons terminer, Monsieur le Président, Messieurs les Membres de la Mission, sans insister sur le caractère d’urgence des mesures à prendre de manière à nous éviter le pire. Nous demandons notamment à la Mission d’intervenir auprès du Secrétaire Général des Nations Unies pour qu’une réunion extraordinaire de l’ Assemblée générale se tienne afin de discuter de la question de l’accession du Ruanda-Urundi à l’indépendance à la date préconisée par les populations intéressées. Nous pensons qu’il est temps que les Nations Unies mettent fin aux procédés colonialistes qui creusent de jour en jour un fossé de séparation entre l’Afrique et l’Europe.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs les Membres de la Mission de visite, l’expression de notre très haute considération.

Le Comité :

  1. RWAGASANA, Secrétaire Général, C. REBERO, Vice-Président, M. KAYIHURA, Vice-Président. Dar-es-Salam, le 31 mars 1960

 Note remise à la Mission de visite de l’O.N.U. par l’« Entente des Jeunesses Bahutu et Batutsi »

Le 1er mars 1960.

Causes de la guerre civile au Ruanda en novembre 1959

La brusque disparition du Mwami du Ruanda a plongé le pays dans une situation assez trouble ; dans l’atmosphère encore tendue, les partis politiques nouvellement constitués tinrent un peu partout des meetings dont les propos, déjà inquiétants par eux-mêmes, furent ravivés par des tracts incendiaires. La teneur de ceux-ci, les personnalités mises en cause, les partis politiques contre lesquels on appelait la violence d’une masse ignorante, donnèrent naissance à un climat de terreur. C’est dans ce cadre que se déclencha une guerre fratricide qui a endeuillé beaucoup de familles ruandaises et la nation tout entière, alors que, face à l’anticolonialisme et au désir d’émancipation de toute l’Afrique, la Belgique se disposait à révéler ses intentions quant à la nouvelle politique des pays placés sous sa tutelle.

Mais la révolution qui a plongé le Ruanda dans un bain de sang était prévisible, longtemps avant la mort du Mwami : des revendications de tous genres, dont l’O.N.U. a eu connaissance par deux fois successives, s’élevaient de tous les coins du pays contre le régime féodal traditionnel. Malgré cela les ultra-féodaux, dans leurs prétentions insensées, se cramponnaient éperdument à leurs privilèges de caste, en se montrant violemment hostiles à toute réforme démocratique. De telles positions diamétralement opposées ne laissaient pas de doute sur leur issue.

En effet, tout observateur impartial de la réalité ruandaise doit reconnaître que tous les principes et les méthodes qui ont prévalu jusqu’ici doivent être complètement repensés en fonction de l’évolution même de la population. Le peuple ruandais aspire plus que jamais à de nouvelles formes d’administration locale, basées sur de vrais principes démocratiques, établissant l’égalité de tous les citoyens dans le droit et le devoir. C’est que la politique est en réalité l’art de conduire la société, non vers le bien de quelques-uns, mais vers le bien de tous, vérité que ne veulent pas comprendre certains de nos compatriotes.

L’origine de cette guerre doit donc être cherchée, à notre sens, dans certains facteurs fondamentaux, dont l’opinion publique a eu largement connaissance par la voie de la presse.

Il s’agit, au premier chef, des injustices de la plupart des dirigeants féodaux, auxquels on n’a cessé de reprocher avec raison, une corruption généralisée. Celle-ci se traduisait entre autres par le népotisme dans les nominations aux charges publiques, la vénalité des juges, la disproportion choquante entre les traitements des chefs et les services réels rendus à la société. A ces rémunérations données, semble-t-il, davantage au prestige qu’au rendement, s’ajoutaient les exactions et manœuvres de tous genres visant à soutirer indûment sommes d’argent et biens en nature, certaines pratiques de spoliation et concussions revêtant souvent les formes de la légalité.

Une autre cause, sans aucun doute la principale, de cette révolution sanglante est à chercher dans le monopole « tutsi » et l’arriération « hutu ». Car, ce n’est un secret pour personne que le conflit sanglant, localisé à l’origine dans les rangs des partis politiques antagonistes, nouvellement créés avec des programmes opposés quant au timing nécessaire au Ruanda pour son accession à l’indépendance, s’est brusquement cristallisé entre les deux principaux groupes ethniques, les Bahutu d’une part, et les Batutsi d’autre part; ces derniers ont réussi à entraîner dans leur sillage traditionnel d’auto-défense, bon nombre de Bahutu aveugles pour marcher contre ceux-là mêmes qui défendaient leur cause, sans oublier le concours des Batwa dont l’action n’est nullement négligeable, puisqu’ils sont encore susceptibles d’être utilisés en bandes par leurs seigneurs féodaux, pour se livrer à des violences, semer l’insécurité, opérer subrepticement des coups de main et attenter sans remords à la vie des personnes.

Ainsi donc, la vraie cause de la révolution de novembre se trouve dans la volonté du peuple d’opérer progressivement une décolonisation interne.

On se souvient encore que la masse de la population, par la voie de ses leaders naturels, a demandé à la Belgique l’instauration d’un régime démocratique et ce, en présence du tuteur qui ne pourra se retirer que quand tout aura été mis bien en place et pris profondément racine. Une vigilance particulière sera toujours nécessaire pour empêcher que ce régime démocratique ne soit étouffé dans l’œuf.

Mais inutile de nous appesantir plus que de raison sur le passé : étant jeunes, nous sommes les hommes de l’avenir, lequel doit désormais retenir notre attention.

Mesures de réformes proposées par l’« Entente »

L’Entente ne croit pas à l’indépendance-fiction. Elle ne croit à l’indépendance que pour autant qu’elle soit viable et pour l’usage qu’on en fait.

Tout en saluant avec joie la Déclaration que la Belgique a récemment faite à ce sujet, l’Entente est convaincue que cette indépendance ne sera réelle et viable pour le Ruanda que grâce à une loyale collaboration de tous les Bahutu et de tous les Batutsi décidés à rompre définitivement avec un système féodal devenu incapable de répondre efficacement aux aspirations légitimes de la majorité de la population.

A son avis, pour être stable et viable, l’indépendance doit être précédée de la mise en place d’un régime démocratique, lequel requiert un certain temps d’acclimatation, compte tenu de l’influence encore vivace du régime féodal qui n’a jamais été profondément entamé. Car, il serait particulièrement affligeant que le départ ou le remplacement du tuteur, ait pour résultat de soumettre presque immédiatement les habitants du Ruanda-Urundi au règne d’une oligarchie, détournant au profit de quelques individus et au détriment de millions d’autres les bénéfices de l’institution d’un état moderne.

En présence des autorités indigènes très anciennes, permettant à la Belgique de gouverner d’une façon indirecte, on aurait pu logiquement penser que l’octroi de l’indépendance pouvait se faire rapidement et sans difficultés. Il est heureux qu’on se soit enfin aperçu que la majorité de la population vivait encore en réalité dans des conditions lamentables, qu’il s’agisse des standards de vie ou de libertés démocratiques.

En vérité, il y a encore un état de paupérisme généralisé : un petit nombre de gens relativement aisés, et une masse de gens très pauvres. La révision foncière est encore à entreprendre, les institutions féodales devenues caduques, sont encore à abolir, car la Belgique, nous n’hésitons pas à lui en faire grief, les a trop longtemps respectées, a trop peu tenu compte de la masse de la population, exploitée et opprimée en sa présence.

Pour l’Entente, il n’y a pas de démocratie possible, si l’autorité administrante devait continuer à encourager le féodalisme et si elle devait reculer devant la nécessité impérieuse de déterminer de façon impartiale les véritables responsabilités au cours de la récente guerre civile et de décider impartialement du sort des instigateurs aux crimes, qui qu’ils soient.

Pour libérer les populations asservies et les conduire plus sûrement à l’indépendance, l’Entente réclame de la Belgique, forte de l’appui moral des Nations Unies, toutes les mesures brisant les rapports féodaux : supprimer complètement le servage, réaliser une réforme agraire équitable, dissoudre les tribunaux féodaux pour y substituer des tribunaux démocratiques respectant l’équilibre entre les deux principaux groupes ethniques, réviser l’impôt de capitation, lequel frappe plus lourdement les petits, et le remplacer par l’impôt sur les revenus, donner et garantir toutes les libertés démocratiques, bref, organiser complètement le pays en matière de démocratie politique, économique et sociale.

Se trouvant en présence d’une société multiraciale, l’Entente rejette toute solution préconisant la division du pays selon les races, car pareille solution conduirait à une « microbalcanisation », théoriquement indépendante, mais moins économiquement viable dans un monde où les grands ensembles tentent de s’élaborer.

A son avis, il faudra maintenir le territoire national dans son unité ; mais pour le rendre viable et lui éviter de futurs conflits sanglants, il s’agira de garantir au préalable le respect de la personnalité humaine et l’égalité de chances à tous les habitants du Ruanda, sans tenir compte de leur rang, ni de leurs conditions sociales ou leurs appartenances raciales. Il s’agit, en définitive, de créer, avant l’accession à l’indépendance, un climat de concorde et de fraternité, nécessaire à une coexistence pacifique de toutes les ethnies du Ruanda-Urundi.

Pour créer ce climat, l’Entente propose la refonte démocratique du cadre des autorités coutumières, trop ancrées dans l’esprit d’une coutume désuète. A ce propos, elle regrette le maintien artificiel du cadre des chefs par la Déclaration du Gouvernement Belge en novembre dernier.

Elle propose en outre l’exclusion à jamais de toutes structures politiques et administratives, consacrant les privilèges de caste et la mise en place de celles dans lesquelles l’égalité effective de tous les citoyens tient davantage compte des mérites individuels que de leurs appartenances raciale, clanique ou familiale.

Toutefois, ce climat structurel favorable qu’il s’agit de créer par la démocratisation des institutions n’est qu’un « préalable » indispensable à la seule solution définitive du problème relatif à la coexistence et à la collaboration de plusieurs races sur un même territoire : la démocratisation de l’enseignement. Celle-ci seule, dans la conjoncture à venir, pourra mettre Bahutu et Batutsi et Batwa sur un pied de parfaite égalité en permettant de se développer chez les uns comme chez les autres les élites de direction et d’encadrement des masses.

Pour lutter contre le retard des Bahutu et des Batwa dans l’instruction, l’Entente propose de développer l’enseignement secondaire et supérieur, en y introduisant systématiquement les principes démocratiques avec plus grandes facilités d’accès pour les enfants Batwa et Bahutu. A ce sujet, l’Entente se permet d’adresser un appel particulièrement pressant aux organismes spécialisés des Nations Unies, notamment l’ U.N.E.S.C.O. , pour solliciter de sa part une intervention urgente dans ce domaine.

Mais l’indépendance politique réelle doit reposer sur des fondements économiques préalables, car l’exercice des libertés démocratiques, nous l’avons déjà souligné, s’imagine mal dans un état de paupérisme généralisé dans lequel se trouve notre pays.

La question de la propriété foncière est, sans aucun doute, un problème complexe et qui ne date pas d’hier ; l’émancipation totale, tant de l’agriculteur que du petit éleveur ne pourra réellement se réaliser sans une sérieuse réforme agraire. De toute façon l’étude de cette question doit être confiée à une Commission mixte, représentation des différents intérêts en cause.

Puisqu’un minimum de conditions matérielles est un des éléments nécessaires pour l’acheminement d’un pays vers son auto-détermination, sans pour cela méconnaître l’effort financier consenti jusqu’ici par la Belgique pour notre pays, l’Entente se permet

de nouveau de faire appel à l’Organisation des Nations Unies en ce domaine, pour que ses Organismes spécialisés, dont l’aide est restée jusqu’ici très restreinte, puissent nous accorder l’urgence de leur secours.

Bref, durant la période transitoire, laquelle doit être principalement marquée par des réformes de base, le sort des petits, des pauvres, des masses déshéritées, doit être au premier plan des préoccupations de l’autorité tutélaire et des Nations Unies, pour les amener rapidement à la maturité politique, sociale et économique, qui leur fait en général actuellement défaut.

Enfin, pour ce qui est du régime de gouvernement du pays, l’Entente estime que rien de définitif ne doit être fixé en ce domaine durant la période transitoire. Quoi qu’il en soit, elle est d’avis que le Représentant de la Nation, qui qu’il soit, doit être un personnage capable de réaliser l’unité de la population dans son immense majorité et au-dessus autant des groupes ethniques que des partis politiques. Dans l’immédiat, l’«Entente des Jeunesses Bahutu et Batutsi » se contente de réclamer l’épuration et la codification de toutes les coutumes, y compris celles relatives à la désignation du Mwami, de façon à ce que le peuple sache désormais à quoi s’en tenir à ce sujet.

Les membres de l’« Entente des Jeunesses Bahutu et Batutsi »,

Tutsi :

SEBAGENI S, KALAGIRE L, RWAMWAGA C, SEBUDANDI G.

Hutu : NGIRUMPATSE E, NKUNDABAGENZI F, SEMINEGA F, BIRARA J, CYI MANA G.

Fait à Liège, le 10 janvier 1960. Remis à la Commission de l’O.N.U.,

 

Appel des partis politiques à la tolérance Le 14 mars 1960.

Nous, les dirigeants des partis politiques du Ruanda, nous étant réunis à la demande de la Mission de visite de l’O.N.U. et en présence du Résident général, du Résident spécial pour le Ruanda, du Mwami, des membres du Conseil spécial pour le Ruanda et de membres de la Mission de visite, nous nous sommes mis d’accord pour publier le communiqué conjoint suivant :

« Prenant acte de la déclaration de la Mission de visite selon laquelle :

  1. a) elle est une mission d’information mais non de décision ;
  2. b) elle est venue au Ruanda pour examiner la situation du pays, s’assurer des aspirations librement exprimées de la population et faire rapport à l’O.N.U. ;
  3. c) la question de l’avenir du Territoire sera examinée par l’Assemblée générale de l’O.N.U., qui commencera ses travaux au mois de septembre prochain ;
  4. d) la Mission ne peut mener ses travaux à bien, que si la paix et l’ordre public règnent dans le pays.

» Considérant l’intérêt supérieur de notre pays :

1 ° Condamnons solennellement tout recours à la provocation, à l’intimidation et à la violence en tant qu’instruments politiques ;

2° Demandons instamment à tous nos sympathisants de n’obéir à aucune incitation à menacer, molester, ou tuer des personnes ou encore à détruire des maisons et des biens ;

3° Demandons également à tous nos adhérents et à tous nos sympathisants de ne pas se révolter contre les détenteurs de l’autorité légale et de ne pas lancer ou répandre de faux bruits ;

4° Prions les autorités compétentes, conformément à la loi, de sévir contre tout acte menaçant le maintien de la paix et de l’ordre public ;

5° Recommandons à la population de collaborer avec toutes les autorités dans ce domaine ;

6° Demandons à tous les Banyarwanda de s’inspirer de l’accord réalisé sur la teneur de ce communiqué par les dirigeants des partis politiques pour contribuer à l’établissement d’un climat de confiance mutuelle, qui permettra à toutes les opinions de s’exprimer librement.

Fait à Kigali, le 14 mars 1960. »

Signé : Aprosoma : J. Gitera HABYARIMANA, Parmehutu : G. KAYIBANDA, Rader : P. BWANAKWELI,  Unar : J. RUTSINDINTWARANE.

Vu et approuvé par :

Le Résident général : J. P. HARROY

Le Résident spécial : Colonel BEM G. LOGIEST

Le Mwami du Ruanda : KIGERI V.

Les membres du Conseil spécial : I. NZEYIMANA (Aprosoma)

  1. NDAYAMBAJE (Aprosoma)
  2. MAKUZA (Parmehutu)
  3. MBONYUMUTWA (Parmehutu)
  4. NDAZARO (Rader)
  5. RWIGEMERA (Rader)
  6. KAREMA (Unar)
  7. NCOGOZABAHIZI (Unar)

Le président de la Mission de visite : M. SEARS. »

Mesures proposées au Mwami Kigeli V par le Conseil Spécial Provisoire du Rwanda pour contribuer à la pacification du pays.

23 mars 1960.

Objet : MESURES POUR CONTRIBUER A LA PACIFICATION

Mwami

Constitution d’un cabinet composé de 4 membres, chacun représentant un parti différent (Unar, Aprosoma, Parmehutu, Rader).

Avis:

Unar : Accord ; choix du Mwami parmi 2 candidats proposés par chaque parti. Mais en plus un chef de cabinet européen choisi par le Mwami. Que le Mwami n’ait pas actuellement de précepteur, mais se rende ultérieurement en Belgique pour parfaire sa formation politique, sous tutelle du Roi Baudouin.

Aprosoma : Accord ; choix du Mwami parmi 2 candidats proposés par partis. Pas de chef de cabinet européen, mais un précepteur européen non politisé et agréé par le Conseil Spécial.

Parmehutu: Idem.

Rader : Accord, mais les 4 membres seraient imposés par les partis.

Protocole de la Cour :

  1. a) déplacements du Mwami sur accord de son cabinet ;
  2. b) réglementation des journées du Mwami (heures, etc…) ;
  3. c) agenda des audiences avec heures fixes et limitées ;
  4. d) présence autant que possible d’un membre du Cabinet aux audiences.

De toute façon, présence de ce membre indispensable aux audiences officielles.

Avis:

Tous partis d’accord.

Résidence du Mwami à Kigali :

Avis:

Tous partis d’accord.

Reconnaissance par le Mwami des autorités intérimaires :

Avis:

Unar : Abstention, car estime qu’on n’a pas nommé en respectant équitablement toutes les appartenances politiques. Ne s’oppose pas à la reconnaissance par le Mwami, mais s’abstient.

Autres partis : Accord pour la reconnaissance immédiate.

Que le Mwami ne pose aucun acte qui ne soit approuvé préalablement par le Conseil Spécial :

A vis:

Tous d’accord.

Quand le Mwami reçoit un texte à signer, après approbation du Conseil Spécial, qu’il ne tarde pas, soit à signer, soit à faire les observations dans un délai de 8 jours, à moins que le Conseil Spécial ne prolonge ce délai.

Avis:

Unar : Accord, mais délai de 15 jours.

Autres partis : Accord avec délai de 8 jours.

Kalinga et les Biru : que le Kalinga soit remplacé par un drapeau, que les Biru soient supprimés.

Avis:

Rader : Ceci est très important : sans ce point, toutes les autres résolutions sont inutiles.

Aprosoma : Idem. Imposer un préavis de 15 jours.

Parmehutu : Qu’un arrêté réalise cette suppression.

Unar : Les Biru ont une utilité historique, il faudrait d’abord enregistrer leur tradition.

Kalinga ne peut être supprimé qu’après referendum sur la forme du Gouvernement.

Considérations d’ensemble :

Avis:

Unar : si le Mwami se conforme à ces sept points et si les partis reconnaissent la monarchie et le monarque actuel, l’Unar marque son accord global et retire ses restrictions sur les sept points.

Rader : si le Mwami se conforme à ces sept points, accord de renoncer au referendum sur le principe de la monarchie, mais maintient du referendum sur la personne de Kigeli V.

Parmehutu : les sept points sont considérés uniquement dans le cadre de l’actuelle discussion en vue du rétablissement du calme.

L’avenir sera discuté à la Table Ronde. Que le Mwami se conforme aux sept points et il contribuera ainsi à rétablir le calme.

Aprosoma : même avis que le Parmehutu.

Si le Mwami ne se conforme pas à ces sept points endéans 15 jours, il fournit de ce fait la preuve de sa non-collaboration au rétablissement de la paix.

Rejet de ces mesures par Kigeli V (texte intégral de sa réponse)

Le 23 avril 1960.

AVIS ET CONSIDERATIONS

1° Constitution d’un Cabinet

La constitutionnalité d’un roi suppose une constitution du pays ; un organe législatif, un organe exécutif. De là, j’aimerais savoir le caractère légal, le rôle et les attributions exactes du Cabinet envisagé.

Le décret du 14 juillet 1952 ainsi que celui du 25 décembre 1959, définissent de façon supplétive les responsabilités dévolues au Mwami.

On pourrait également se demander si c’est en vertu de l’article 26 du décret du 14 juillet 1952 que la réunion du 23-24 mars s’est basée pour proposer la création dudit Cabinet.

Enfin, je souhaiterais également savoir, avant de me prononcer, quelle est la position de l’administration tutélaire sur cette institution.

2° Protocole de la Cour

Cette question inhérente à la constitution est subordonnée à la première.

3° Résidence du Mwami à Kigali

Cette question ne devrait même pas préoccuper le Conseil, étant donné que personnellement j’en avais déjà manifesté le désir.

4° Reconnaissance par le Mwami des autorités intérimaires

Selon la déclaration du 25 novembre 1959 de Monsieur le Résident Général, à l’époque du Vice-Gouverneur Général du Ruanda-Urundi, ces personnes ne sont pas des autorités coutumières investies mais bien les délégués de l’administration pour assurer l’intérim.

Or comme l’alinéa 2 de l’article 18 du décret du 14 juillet 1952 dispose que « l’intérim est assuré par l’Administrateur de territoire ou son délégué », dès lors, les attributions de ces personnes sont couvertes par la signature de l’autorité qui les délègue. Toute autre reconnaissance équivaudrait à une nomination, ce qui impliquerait l’obligation de suivre la procédure normale et habituellement suivie (stage et rapport d’activité pendant le stage…).

D’autre part, certains partis ayant formulé des réclamations quant à la négligence de leurs candidats, j’estime cette remarque pertinente. L’Administration devrait au plus vite en tenir compte et exiger la présentation des candidatures par les partis et assurer la représentativité proportionnelle des autorités issues des partis.

5° Que le Mwami ne pose aucun acte qui ne soit approuvé préalablement par le Conseil spécial

Il ne rentre pas dans les attributions du Conseil de contrôler mes activités. Le décret du 14 juillet 1952 prévoit en son article 31 que l’avis du Conseil est requis sur le projet de mes arrêtés. Autrement, on semblerait attribuer à ce conseil provisoire le rôle d’un ministère auprès d’un Mwami constitutionnel, cette question n’a nulle part été prévue dans l’ordonnance institutionnelle de ce Conseil provisoire.

6° Quand le Mwami reçoit un texte à signer

Je pense que le Conseil spécial provisoire me reconnaît le droit d’appréciation ; et qu’il est, dès lors, indispensable de disposer du temps suffisant. D’autre part, je demande au Conseil de tenir compte de mes avis et considérations, toutes les fois que je les lui formule.

7° Kalinga et les Biru

Cette question touchant à la dynastie et à la société ruandaise, est capitale et fondamentale. Elle ne peut être traitée de façon aussi sommaire et par un Conseil provisoire peu représentatif. Il faudrait qu’elle soit étudiée par un organe plus représentatif, spécialement celui qui sera chargé d’élaborer la constitution.

Nyanza, le 23 avril 1960.

(sé) KIGERI V.

Constitution du Front Commun et rupture avec le Mwami

En réponse à cette attitude, trois des quatre partis représentés au Conseil spécial provisoire — Aprosoma, le Rader et le Parmehutu — décidèrent de constituer un front commun et adressèrent au Roi ainsi qu’au Ministre du Congo et du Rwanda-Burundi le télégramme suivant :

Télégramme du Front commun au Ministre du Congo et du Rwanda-Burundi

Mwami refuse collaboration avec son peuple ruandais. Déclarons rupture avec Kigeli. Exigeons nomination chef intérimaire. Refusons Table Ronde. Réclamons décision du ministre. Signé : Front Commun :

Rader, Parmehutu, Aprosoma,

Le 31 avril 1960

Lettre de M. G. Kayibanda au Résident Général concernant l’ajournement des élections

Kavumu-Gitarama, 6 avril 1960.

Monsieur le Résident Général,

J’ai l’honneur d’attirer l’attention de votre haute Autorité sur les graves dangers pour l’ordre public et la démocratisation du pays que comporterait un ajournement des élections, du moins des élections communales.

Je le fais en mon nom personnel et aussi au nom du Mouvement de l’Emancipation Hutu (Parmehutu), dont j’assume la présidence. Nous comprenons sans doute les craintes du gouvernement belge devant la recommandation de la Mission de l’ O.N.U. , l’attitude du Gouvernement belge est défendable. Mais il y a aussi la réalité actuelle du Ruanda que votre Autorité n’ignore pas — votre dernier discours nous a montré que vous vous rendez compte des réalités psycho-politiques du Ruanda actuel. Nous savons, par ailleurs, que la Belgique est trop honnête pour se retirer du Territoire sans avoir mené à bout l’œuvre de démocratisation qu’elle a commencée.

Aussi, est-ce avec le ferme espoir de contribuer à l’ordre et à la démocratisation du pays du Ruanda que je vous transmets les observations suivantes, concernant l’ajournement éventuel des élections.

1° L’ajournement des élections — du moins des élections communales — détruirait l’autorité de l’administration belge tutélaire. Ce serait confirmer les faux bruits des féodaux qui présentaient les avis et ordonnances sur les élections comme des mensonges du gouvernement belge. L’autorité du tuteur européen est actuellement la seule planche de salut qui reste au peuple du Ruanda. Et en restant dans le jeu Unar (par l’ajournement des élections) on ôte au peuple cette seule planche de salut qui lui restait.

Ajourner les élections, c’est ouvrir la voie à l’anarchie complète : il est bon que l’administration sache à quoi elle s’engage en ajournant les élections. C’est l’autorité du Roi des Belges, c’est l’autorité du Résident et des Administrateurs, c’est l’autorité du Résident Général, qui est bafouée par l’éventuel ajournement des élections : votre dernière ordonnance concernant les mesures pratiques des élections indique encore bien la date du sept ; les gens le savent, les féodaux vont courir les collines en disant que les Belges avaient menti et qu’il n’y aura pas d’élections! Ne détruisez pas l’autorité belge en ajournant les élections communales.

2° Le souci de faire effectuer en même temps les élections au Ruanda et en Urundi est compréhensible ; mais il est clair qu’il est mal en accord avec les réalités, des deux pays. Le Ruanda vit dans une situation troublée, une situation anormale au fond, car tout au Ruanda est spécial, intérimaire, sauf l’autorité tutélaire la seule stable, actuellement. Le malaise du Ruanda ne peut plus durer sans exposer le pays à une nouvelle secousse. L’Urundi n’est pas dans ce cas. Du reste, le gain pour la démocratie en Urundi est hypothétique : pourquoi, pour des hypothèses, faut-il condamner les populations ruandaises à d’éventuelles secousses qui ne manqueront pas si l’on ajourne les élections ?

L’administration belge se rend-elle compte que l’ajournement des élections pourrait plutôt produire même en Urundi des effets désastreux ? Que le Ruanda puisse attendre l’Urundi pour la date des élections législatives, cela peut se comprendre, biais le malaise actuel au Ruanda exige que ne soient pas ajournées les élections communales.

3° Par l’ajournement des élections, les regards sont fixés désormais vers laTable Ronde !

Nous voyons là un piège qui servira sûrement aux menées des féodaux. Ceux-ci avaient lancé le bruit : il n’y aura pas d’élections au mois de juin ; les Belges vous trompent ! Car les Belges doivent d’abord partir et nous laisser l’indépendance. Par l’ajournement des élections, on déplacerait le centre d’intérêt vers la Table Ronde. Et si cette Table Ronde était sabotée comme il est à prévoir ! Il est à craindre, il est même certain que les féodaux vont provoquer tout un jeu d’obstructions de cette Table Ronde. A la fin, la démocratie et l’autorité du gouvernement tutélaire se trouveront dans une impasse. Il est bon que le gouvernement sache à quoi il s’engage en acceptant le déplacement du centre d’intérêt, en ajournant les élections.

Signalons que l’obstruction des élections était relativement difficile car l’opinion du peuple pouvait immédiatement intervenir ; ce qui n’est plus possible pour la Table Ronde ou tout au moins très difficile, la Table Ronde étant une réalité déjà éloignée des vues immédiates du peuple.

Nous conjurons votre haute Autorité de ne pas jeter la démocratie et le crédit du gouvernement dans une impasse.

4° fi est certain qu’au cours d’une réunion des partis politiques à Kigali les 23 et 24 mars les partis démocratiques eux-mêmes se sont prononcés pour la Table Ronde avant les élections.

C’est d’abord qu’ils ignoraient la situation de la Belgique avec la Table Ronde économique du Congo et, de plus, ils envisageaient en ordre principal la question Mwami. Vous n’ignorez pas, Monsieur le Résident Général, le malaise que cause au pays la question Mwami. Au lieu d’être le centre de l’union du pays, le Mwami est cause de malaise et division et le malaise est grave, car il s’agit de la démocratisation du pays. Pour un individu faut-il que le Gouvernement belge condamne un peuple à rester dans la féodalité et sous une dictature insupportable ? Pour qui veut l’Ordre la Paix et la Démocratie, la question Mwami devrait être résolue le plus tôt possible.

Les décrets en vigueur donnent assez de pouvoir aux autorités tutélaires pour résoudre la question. Et à manquer de hardiesse et de rapidité, on met la démocratie et l’autorité belge dans une impasse.

Certain parti propose un referendum sur le Mwami. Le coup de Mwima a-t-il été soumis au referendum ? Les commandos batwa de novembre ont été envoyés après quel referendum ? Les populations seront-elles d’abord informées sur les responsabilités de Nyanza en novembre 1959 ?

Voici, pour terminer, les mesures que notre parti propose au gouvernement tutélaire :

1° La destitution immédiate du Mwami et son remplacement par un Mwami intérimaire dont le statut sera décidé par le Conseil supérieur du pays, issu des prochaines élections.

2° Le maintien des élections communales en juin 1960 : cela permettra d’ailleurs de mesurer la valeur réelle des partis pour la composition de la Table Ronde.

3° La Table Ronde après les élections communales et avant les élections législatives : celles-ci peuvent attendre l’éventualité du Burundi.

Cette chronologie est la seule capable de sauver la démocratie pour le Ruanda et de ne pas jeter l’autorité tutélaire dans une impasse par le déplacement de centre d’intérêt. Elle seule prépare un dénouement pacifique à l’avenir immédiat et futur du pays.

Devant la situation actuelle du Ruanda, la seule planche de salut pour les populations est le gouvernement tutélaire et son autorité : ajourner les élections — du moins les élections communales — serait détruire cette planche de salut et ouvrir la voie à l’anarchie.

Déplacer le centre d’intérêt en ajournant les élections c’est jeter la démocratie et l’autorité tutélaire dans une impasse inextricable.

Vous n’êtes pas sans vous rendre compte, Monsieur le Résident Général, que déplacer le centre d’intérêt n’assure rien : car même la critique éventuelle de l’opinion internationale sera plus aggravée par un jeu qui mettrait l’autorité dans une impasse.

Déplacer la date des élections, la Table Ronde n’en devient-elle elle-même pas tout au moins hypothétique ?

Veuillez agréer, Monsieur le Résident Général, l’assurance de ma considération la plus distinguée. Pour le Mouvement de l’Emancipation Hutu : le président gr. (sé) KAYIBAND A.

 Communiqué de l’Aprosoma concernant l’ajournement des élections et la Table Ronde 22 avril 1960.

La décision prise par le Gouvernement belge d’organiser une Table Ronde dans le courant du mois d’août et de ce chef, de retarder les élections prévues pour juin, a déçu notre parti. Bien que nous ayons en effet à maintes reprises demandé la convocation d’une Table Ronde, nous entendions que celle-ci soit convoquée le plus immédiatement possible au Ruanda durant la visite de la Mission de visite de l’O.N.U., et que si cela n’était pas fait, cette Table Ronde soit remise à plus tard, c’est-à-dire après les élections de juin.

Notre position est en effet la suivante : une Table Ronde avant les élections met sur le même pied d’égalité, quant à leur représentativité tous les partis politiques.

Or, il y a certainement des partis qui sont plus influents les uns que les autres. Mais les élections n’ayant pas montré quel est le parti le plus fort, force sera au Gouvernement de donner un nombre égal de sièges à tous les partis présents et à venir. Nous nous opposons catégoriquement contre cette façon de considérer les choses, façon qui va avoir pour résultat la prolifération de plusieurs partis politiques qui n’auront d’autres motifs que d’aller faire un petit tour en Belgique ; en conséquence, nous demandons à la Belgique de ne pas ajourner les élections communales de juin.

Cependant, si la Belgique, malgré tout estime devoir se maintenir à ses avis, l’Association pour la promotion sociale de la masse — Aprosoma — qui veut à tout prix collaborer à l’assainissement du climat du Ruanda propose à cette Table Ronde du mois d’août qu’on tienne compte, pour le choix des représentants, de la composition ethnique du pays : 84 % de Bahutu, 15 % de Batutsi et 1 % de Twa. Ce n’est pas là faire du racisme, c’est être conséquent avec la réalité du Ruanda. Refuser de faire droit à cette revendication sous prétexte qu’elle présente un danger pour l’avenir, celui de voir la majorité opprimer la minorité, c’est nier le problème dans son entièreté et à coup sûr préparer l’échec de cette Table Ronde.

Il est d’autre part un point très important sur lequel nous attirons particulièrement l’attention des autorités. D’ici le mois d’août, bien des choses peuvent se passer. Tout le pays vit dans la terreur, dans l’insécurité, dans l’incertitude du lendemain. Les luttes continuent et la campagne d’agitation, de mensonges et de calomnies n’a pas cessé. Remettre à plus tard les élections, c’est donner aux agitateurs le temps de mettre en place de nouvelles formes de terrorisme et un plan d’assassinats peut-être massifs.

Les bruits les plus invraisemblables circulent et il est à croire que demain, on ne se battra plus avec des gourdins, mais avec des armes perfectionnées. S’il s’agissait d’un barrage d’une rivière quelconque, l’Aprosoma comprendrait qu’on donne aux financiers le temps d’étudier les plans, les pertes et les bénéfices, mais il s’agit ici de vies humaines. Nous nous insurgeons, par conséquent, contre toute mesure qui remet à plus tard l’examen de la pacification de ce Ruanda, où l’on s’entre-tue, brûle des habitations et démolit les biens d’autrui.

Dans le même ordre d’idées, la protection militaire qui contraint certains leaders à garder la maison, témoigne que le danger reste certain et que des êtres dangereux sont en liberté dans le pays. Nous avons en son temps demandé que toute la lumière soit faite sur les incidents de novembre et qu’aucun responsable ne soit épargné.

Après tant de missions d’enquête, nous regrettons encore une fois de constater que la justice n’a frappé que les petits et que certains dossiers judiciaires sont étouffés pour des raisons politiques. Tant que cette injustice continuera, il n’y aura pas de possibilités d’arriver à un dialogue efficace entre Hutu et Tutsi ; la même lutte continuera sans aucun doute avec plus de malice, mais non moins férocement. Nous réitérons par conséquent notre demande : il faut que tous les responsables de novembre soient jugés.

Chapitre enseignement

Comme tous les ans, la préparation des prochaines rentrées scolaires est en cours. Nous exigeons avec la plus grande force que les deux tiers des élèves acceptés soient de la classe attardée, tant dans les écoles supérieures que moyennes. Nous réclamons les deux tiers des bourses d’études pour les Bahutu et les Batwa et dans la nouvelle formule d’une formation accélérée, nous attirons particulièrement l’attention de ceux qui devront faire le recrutement de ne pas oublier ces deux classes sociales comme leurs prédécesseurs l’ont fait. Il ne peut être question, en octobre, de constater plus de rentrées Tutsi que Hutu et Twa, sous le seul prétexte que l’enseignement ne regarde pas des ethnies. Il s’agit ici d’être objectif et de voir concrètement la question du jour et sa solution.

Nous demandons également à la Belgique, qui va organiser des stages, lorsqu’elle devra s’occuper du Ruanda-Urundi, de se souvenir de ce problème majeur. Dans l’immédiat, nous croyons que des stages d’agriculteurs peuvent être organisés sous l’égide du Boerenbond par exemple ou autres organismes belges d’agriculture. Des stages identiques pourraient être demandés par la Belgique à l’organisation des Nations Unies en faveur de nos populations ? A ce sujet, nous faisons remarquer que les femmes ou les jeunes filles, qui sont très souvent oubliées, pourraient également bénéficier de ces stages dans des services sociaux et ménagers.

Accusation répandue contre nous par l’U.N.A.R.

Un parti, plus exactement des agents d’un parti, vont partout en chantant que l’Association pour la promotion sociale de la masse — Aprosoma — est un parti de vendus aux Blancs colonialistes, un parti qui ne veut pas l’indépendance, un parti de destructeurs.

Nous répétons nettement que nous souhaitons et voulons l’indépendance totale pour notre pays comme le souhaitent et le réclament tous les autres pays d’Afrique encore colonisés. Cependant, pour nous cette indépendance, pour ne pas être une fiction, doit être préparée. Cette préparation, nous demandons qu’elle soit accélérée et les différents problèmes qui opposent les Hutu et les Tutsi soient résolus sans tarder.

Nous reprochons à la Belgique d’avoir respecté trop longtemps l’administration coutumière raciste et d’avoir favorisé une race au détriment des autres. Mais cela étant, nous lui demandons de mettre en place des institutions démocratiques réelles qui nous permettront d’accéder à l’indépendance totale, c’est-à-dire pas seulement des Tutsi les plus favorisés, mais aussi des Hutu et des Twa.

Aux peuples africains qui ont souffert du colonialisme, nous demandons de nous comprendre et de nous soutenir dans nos revendications. Nous savons que les agents de l’Unar, dans un simple but de propagande, ont essayé de nous calomnier auprès d’eux. Nous leur demandons de considérer les conclusions de la Mission de visite de l’O.N.U., qui prouvent bien que nous avions raison puisqu’elle prolonge la tutelle belge et préconise la démocratisation des institutions du pays avant l’indépendance. Et s’ils doutaient de notre bonne intention ou des problèmes réels du Ruanda, nous leur conseillons d’envoyer quelques observateurs ou ici ou à la Table Ronde du mois d’août, pour se rendre compte que tout ce qu’on leur a dit n’était que des chantages politiques.

Aux Congolais, nous affirmons solennellement que notre parti — Aprosoma — souhaite ardemment conclure avec eux des liens étroits d’amitié et de collaboration, convaincu que nos deux pays ont un avenir commun en nous basant sur l’appartenance de nos masses Hutu et à la culture bantoue. Joseph GITERA — Aloys MUNYANGAJU.