Le Culte De Nyabingi
Au Rwanda, le culte de Nyabingi est toujours très en vogue dans tout le nord et le nord-ouest, c’est-à-dire dans les provinces du Kanage, Bugoyi, Bushiru, Buhoma, Rwankeri, Mulera, Bukamba, Kibali, Bukonya, Buberuka, Rukiga, Buyaga et surtout le Ndorwa. Au- delà de la frontière, il est connu dans toute la région qui entoure les volcans : le Bwishya, le Bufumbira et tout particulièrement le Ndorwa anglais.
Il semble bien que ce culte ait pris naissance à Kagarama, situé non loin de Kabare (Ndorwa anglais), car partout et toujours on entend répéter : « A Kagarama chez Nyabingi», (i Kagarama kwa Nyabingi). Ce serait aussi de Kagarama que vinrent au Rwanda ses premiers ministres (abagirwa) ; on dit également que, pour devenir mugirwa de renom, il fallait aller faire un stage chez un maître de Kagarama pour y apprendre les manières d’être et de faire de Nyabingi, imicyo ya Nyabingi.
Tout comme dans le culte de Lyangombe, certains personnages partagent avec elle les honneurs de son culte ; ce sont, d’après la croyance populaire :
Nyakajunga : son père ; Nyabunyana : sa mère ; Gahu une petite parente que certains affirment avoir été sa fille, d’autres n’en font qu’une servante (umuja) , Rutindangezi : un fidèle serviteur ; Gahaya : un parent ; Nyirabuganza-Cyangwamunda, etc. : des serviteurs et des servantes, ou peut-être des bagirwa de renom.
Quelle est l’idée que le peuple se fait de Nyabingi ? Que Nyabingi est plus grande que Lyangombe, car déjà de son vivant il lui faisait des offrandes, et maintenant il lui en fait encore ; on se demande comment ! Le peuple ne se rend pas compte que Lyangombe et son culte sont bien antérieurs à Nyabingi. Sans doute, Lyangombe est le roi des imandwa (esprits supérieurs) et des bazimu mais après tout il n’est qu’un muzimu. Nyabingi, elle, n’est jamais morte, elle vit toujours ; ce serait l’insulter que de dire qu’elle est un muzimu.
Imana (Dieu) a fait de Nyabingi une créature à part (yamuremye ukwe rwose), puisqu’elle ne meurt pas, qu’elle vit toujours et apparaît à ses ministres et à ses dévôts sous les traits d’une vieille femme à cheveux blancs et habillée de l’inkanda (peau de vache, dont se revêtent les femmes), ou encore sous la forme d’un chat ou d’un rat ! On n’a jamais rien vu de pareil ; seule Nyabingi a reçu un tel pouvoir d’Imana. Un tremblement de terre se fait-il sentir, c’est Nyabingi qui passe !
D’après la croyance populaire quasi unanime, Nyabingi est toujours restée « fille ». En pays noir, le fait est assez extraordinaire ; certains prétendent que c’était une fille aux seins non développés (umukobwa w’impenebere) ; ces filles ne sont jamais demandées en mariage ; bien pis, elles sont considérées comme des porte-malheur ; leur simple présence pouvait déchaîner la famine et d’autres calamités sur la contrée, aussi étaient-elles autrefois vouées à la mort ; on n’avait pour elles aucune pitié.
Voici quelques titres de louanges (ibisingizo) dont Nyabingi est qualifiée par ses dévôts : Umwamikazi, une reine ; Umuhimakazi, une Muhima (les rois du Ndorwa étaient des Bahima (race hamite) ; Umubyeyi, une mère ; Nyogokuru, une grand-mère ; Umukecuru umeze imvi, une vieille à cheveux blancs ; Giheko, celle qui nous porte et nous garde comme une mère son enfant ; Nyagasani, aïeule vénérée ; Nyagisingizwa, celle qui est digne de louanges ; Rutegurirwa, celle qui mérite qu’on la reçoive avec honneur ; Rwerunga-Nyamwangakwarama, etc.
Quelles offrandes fait-on à Nyabingi et aux personnages qui partagent avec elle les honneurs de son culte ?
1° Tout comme aux autres bazimu, on lui offre de la bière et des vivres ; ces offrandes sont désignées par le terme imiterekererwe ya Nyabingi.
2° Comme bête, on ne peut immoler à Nyabingi qu’une vache qui, en réalité, ne sera le plus souvent qu’un taurillon. Mais, avant de lui immoler cet animal, on commence généralement par immoler une chèvre à Rutindangezi, son majordome, et à offrir un mouton à son ministre. Selon l’expression employée en cette circonstance, cette chèvre et ce mouton serviront de litière à cette vache, ihene n’intama yo gusarira cya kimasa (gusasira signifie étendre une natte pour s’y asseoir ou s’y coucher). Quand on sacrifie une vache (un taurillon) à Nyabingi, le mugirwa vient présider la cérémonie et reçoit pour sa peine la peau et une bonne partie de la viande, qu’on qualifie inyama z’ababyeyi, la viande des parents ou plus exactement des mères. On comprend dès lors que le mugirwa ait intérêt à prescrire une telle offrande.
3° Il arrive que Nyabingi réclame, par la bouche de son mugirwa, l’offrande d’une jeune fille qui, comme nous le dirons plus loin, jouera chez lui le rôle de servante.
Ce que font encore les dévôts de Nyabingi :
1° Lorsqu’ils ont préparé de la bière, ils en offrent les prémices au mugirwa. Ils se hâtent également de lui apporter les prémices de leurs récoltes de sorgho, et c’est lui qui en mangera le premier pain (umutsima). Il faut savoir qu’il existe au Rwanda une coutume qui consiste à manger la récolte nouvelle, kurya umwaka mushya, c’est-à-dire le pain de sorgho fait avec la farine des premiers épis de sorgho de la nouvelle récolte.
2° Il en est aussi qui présentent à Nyabingi, par l’intermédiaire de son mugirwa, un mouton. Ce mouton sera désormais pour eux un gage de bonheur et de paix. Il est connu sous le nom de intama y’inshingano ya Nyabingi, le mouton de l’alliance.
Où fait-on à Nyabingi et à ses acolytes les offrandes dont nous parlons ?
1° Les dévôts de Nyabingi (ingabo ze, ses soldats) lui construisent, parfois dans l’enclos (igikari) qui se trouve derrière leur hutte d’habitation, une case assez grande qu’ils qualifient du nom pompeux d’ingoro ya Nyabingi, le palais de Nyabingi ((a) On lui donne aussi le nom d’ akazu, c’est-à-dire petite case par excellence). Cette case n’a pas les dimensions d’une hutte ordinaire d’habitation, mais elle est aménagée d’une façon identique : on y trouve en effet un foyer et une alcôve pour le lit.
C’est dans cette petite case, à côté du foyer, qu’on dépose les offrandes : un peu de bière, des vivres, bref tout comme on le fait pour un muzimu qui a pour édicule une hutte d’habitation (Les bazimu en l’honneur desquels on a épousé une femme ont pour édicule la hutte même qu’habite cette femme, et c’est aussi dans cette hutte, à côté du foyer, qu’on dispose les offrandes qui le ur sont destinées).
Lorsqu’on lui immole une vache, on l’abat devant son « palais » et on enfonce ses cornes en terre, une de chaque côté de l’entrée.
Si le maître de céans a des tilles, c’est dans la case dédiée à Nyabingi que tous les soirs elles vont dormir ; lui-même y passera parfois une nuit pour tenir compagnie à Nyabingi ; quelqu’un est-il malade, on l’y transporte.
Il arrive que cette « chapelle domestique » soit tout simplement accolée au fond même de la hutte d’habitation, et ne forme qu’un tout avec. Elle est alors de dimensions beaucoup plus réduites ; on y trouve une petite table faite de branches et de roseaux, connue sous le nom d’uruhimbi sur laquelle on dépose les petites offrandes faites à Nyabingi.
Parfois même on se contente tout bonnement de fabriquer cette petite table dans l’alcôve qui se trouve au fond de toute case indigène, et qui est appelée mu mbere ou urwengero. 20 Quant aux personnages qui partagent les honneurs de son culte, on leur élève de petits édicules en tout semblables à ceux des bazimu ordinaires, et c’est dans ces édicules (amararo) qu’on dépose les offrandes qui leur sont destinées. Au nombre de 4 ou 5, ils sont disposés de chaque côté du palais de Nyabingi.
Détail enfantin, il est arrivé à l’auteur de trouver parmi ses amararo un vieux panier soutenu par quelques branches fixées en terre ; on y avait jeté une poignée de sorgho.
Le propriétaire du rugo (habitation) le lui présentait comme un grenier à vivres (ikigega) offert à Nyabingi.
C’est le mugirwa qui conseille à tel de ses clients de construire en l’honneur de Nyabingi «un palais », et c’est lui-même qui vient indiquer l’endroit précis où il doit le construire. On dit qu’à l’occasion de l’inauguration de ce « monument », on immole un taurillon à Nyabingi et que le mugirwa, qui est évidemment invité, préside les agapes.