Le Régime Foncier Chez Les Banyarwanda Et Barundi Anciens
Importance des questions foncières.
Les biens fonciers revêtent une importance vitale dans un pays aussi petit que le Ruanda-Urundi, aussi pourvu en hommes et en bétail qui sont entièrement tributaires de la terre pour leur subsistance car la pauvreté de l’économie locale empêche tout recours à l’importation de produits vivriers.
Contrairement à la majorité des autres régions de l’Afrique tropicale et subtropicale où les questions foncières ne présentent guère de problèmes spéciaux eu égard aux espaces immenses offerts à l’appropriation collective, au Ruanda-Urundi, nous assistons à une lutte sourde et séculaire pour la possession du sol. Non seulement l’affermage et la vente des terrains sont largement pratiqués, mais en outre, l’appropriation clanique puis individuelle du sol sur la forêt constitue un phénomène digne de retenir l’attention.
Le Ruanda-Urundi comporte une superficie de 54.172 kilomètres carrés, il compte 3.928.896 habitants recensés, 985.110 bovidés, 1.362.236 chèvres, 430.330 moutons et 42.152 porcs.
La densité moyenne de la population est de 73 habitants au kilomètre carré, mais elle est inégalement répartie, s’abaissant parfois jusqu’à 1,5 à l’Est (Mubari — T. Kibungu) pour monter à 226 à l’Ouest (Rwankeri — T. Ruhengeri). Toute la partie Centro-occidentale est densément occupée par une population qui s’acharne sur le sol et le dégrade inconsciemment tandis que le bétail, par sa surcharge, contribue à jouer le même rôle.
Chaque famille dispose de 2,88 ha pour ses cultures, et chaque tête de gros bétail dispose de 1,63 ha de pâturage. Dans les régions plus densément occupées, ces moyennes tombent respectivement en dessous de 1,50 et de 1 ha ; or, pour permettre aux hommes de vivre normalement, il leur faut par famille, de 2 à 5 ha de terres selon la région ; et, en moyenne, chaque tête de gros bétail a besoin de 3 ha de terre de pâturage.
Ce qui aggrave cette situation, c’est que les terres cultivables sont d’un rendement insuffisant, résultat de plusieurs facteurs défavorables notamment la situation hydrographique, l’érosion, le climat et l’exploitation intensive.
On est ainsi arrivé à constater qu’il y a une surpopulation de 145.000 familles sur un total de 780.000 ; et qu’il y a un excédent de 450.000 têtes de bétail sur 985.000 actuellement recensées, pour ne rien dire de la pléthore du petit bétail.
Il résulte d’études démographiques en cours, que l’augmentation annuelle moyenne de la population pourrait être de 100.000 âmes ; si les chiffres fournis par des enquêtes ne sont pas absolument sûrs, la tendance qu’elles indiquent est en tout cas certaine et il se pourrait que la population actuelle ait doublé en 40 ans. L’autre élément à considérer est l’accroissement du bétail. Le recensement indique un total de 985.000 têtes ; le croît annuel peut être évalué à 120.000 têtes. L’excédent actuel étant de 450.000 têtes, pour le résorber ainsi que le croît, il faudra éliminer 170.000 têtes par an pendant 10 ans.
Principes fondamentaux de la propriété foncière.
En principe, c’est le mwami qui, tant au Ruanda qu’en Urundi est le propriétaire éminent de toutes les terres et des eaux du pays, même de celles qui ne sont pas exploitées : forêts, savanes, marais, lacs et rivières. L’appropriation des pays par les maisons régnantes du Ruanda et de l’Urundi est essentiellement le résultat de conquêtes d’ordre militaire. Ainsi que l’écrit SOHIER, le souverain, après avoir commandé les opérations guerrières qui devaient refouler ou subjuguer les anciens habitants, proclamait sien le territoire du nouvel état. Quels droits s’assurait le souverain sur ce territoire ? D’abord la domination politique et ensuite l’usage exclusif du sol ; désormais, tout appartient au dominateur et personne d’autre n’y a plus de droit. Les droits exclusifs que le dominateur s’arroge ainsi répondent à la définition de la propriété en droit européen.
Toutefois, ce pouvoir éminent de propriété du mwami ne correspond pas complètement à la conception romaine du droit de propriété : usus, fructus, abusus. Le mwami n’est que le dépositaire, au nom de ses ancêtres, du pays que ceux-ci ont conquis et dont il a recueilli le précieux héritage : il est comptable vis-à-vis d’eux du domaine ainsi légué ; il n’a pas le pouvoir d’aliénation. Il ne se concevrait pas, dans la mentalité indigène, que le mwami vende une partie de son pays, ou l’abandonne à des états voisins, on ne connaît même pas de cas de vente de terrain de la part du mwami à des indigènes résidant dans son propre pays. Le mwami concède la jouissance de certaines régions du royaume mais ne les aliène jamais.
Au contraire, les bami tendirent tous leurs efforts, et ce au travers de nombreux siècles, à agrandir leur pays et à en assurer l’exploitation aussi intensive que possible. Le rôle éminent des bami, représentés dans cette fonction à l’intérieur du royaume par leurs chefs et sous-chefs, consistait à mettre la terre à la disposition de leurs administrés dès qu’une demande était formulée de leur part : pasteurs, agriculteurs, potiers, forgerons, bûcherons, etc. On ne concevait pas de limite à l’exploitation du sol, si irrationnelle et épuisante qu’elle puisse nous paraître à présent.
Le mwami demeure toujours l’éminent propriétaire foncier, en conséquence si les concessions qu’il accordait étaient héréditaires, par contre elles étaient résiliables à tout moment et retombaient alors dans la réserve domaniale en cas de succession en déshérence, d’abandon ou de bannissement.
Dans les régions pratiquement indépendantes de l’autorité mututsi et fraîchement conquises par les agriculteurs bahutu sur la forêt ou sur la savane, le pouvoir éminent de la propriété reposait entre les mains du patriarche clanique, c’est le régime de l’ubukonde (Ru.) et de l’inyicire (Ur.). Ce régime exista avant l’arrivée des Batutsi politiques au Ruanda-Urundi. Toutefois, avec l’augmentation numérique des individus composant les clans défricheurs, l’autorité du patriarche finit parfois par s’estomper au point que les tenanciers posèrent des actes de réelle propriété de leur lopin de terre qu’ils vendirent à des tiers en tout ou en partie. Le régime de l’ubukonde tourna ainsi peu à peu vers celui de la petite propriété. L’affaiblissement du pouvoir des patriarches bahutu ouvrit la voie à la politique de conquête mututsi ; finalement, pour obtenir une tenure, le muhutu dut la quémander aux nouveaux maîtres contre l’octroi de tributs et de corvées ; d’homme libre, par suite du manque de cohésion clanique et inter clanique, le Muhutu devint un véritable serf taillable et corvéable à merci, évincé de sa tenure à la moindre velléité d ’insubordination ou par simple fantaisie des dirigeants batutsi.
Terres de commandement politique.
L’acquisition de terres de commandement politique ressortit au régime du droit mututsi. En même temps qu’ils les investissaient, les bami accordaient à leurs mandataires la jouissance de certains avantages inhérents au domaine foncier, avantages qui se traduisaient par le prélèvement de tributs, de corvées et de terres personnelles. La jouissance de ces terres était précaire car les commandements n’étaient pas nécessairement héréditaires.
Comme nous l’avons vu à propos de la structure politique et administrative ancienne des pays, ces commandements comprenaient :
- Les pays des bami où ils disposaient de provinces et de terres personnelles contribuant directement à leur subsistance, à celle de leur famille et de leur personnel ;
- Les provinces commandées par les chefs qui y disposaient en outre de collines relevant de leur commandement politique direct : inyarulembo (Ru.), icibare (Ur.) ;
3.Les collines commandées par les sous-chefs aidés de sous-ordres abamotsi, ibilongozi;
4. Des enclaves franches ou ibikingi (Ru.), petits commandements politiques reçus directement du mwami la plupart du temps, et ne portant que sur quelques dizaines de ménages bahutu. Sous le régime foncier du royaume du Gisaka, les notables qui arrivaient à intéresser le mwami à leur sort, obtenaient de lui le droit de prélever des amalembo disséminées parfois dans plusieurs provinces. Ce terme désigne l’ensemble des terres relevant d’une même famille, il s’agissait en moyenne d’une dizaine de fermes habitées par des individus obéissant à un même chef de famille ;
5. Des enclaves accordées en apanage aux biru, conservateurs du code ésotérique et détenteurs d’un tambour enseigne ;
6. Les localités cimetières.
Terres privées des bami, chefs, sous-chefs, etc.
Ces terres propres aux autorités indigènes, comprennent l’espace nécessaire à leurs cultures, leur résidence et au pacage du bétail attaché à leur maison. Elles portent le nom d’itongo, d’inyurgwa en Urundi ; d’urutwaliro (de gutwara, commander), d’ingobyi (le hamac), d’inyarulembo (celles qui se trouvent à proximité de l’entrée ilembo) ou d’ingaligali (personnelles) au Ruanda. Les autorités indigènes, au sein de ces terres personnelles, disposaient du droit, comme tout particulier, même après leur destitution, d’opérer des concessions de terre à des clients qui relevaient d’elles à titre strictement personnel et qui continuaient à en dépendre, même après toute cessation de fonctions officielles. Il arrivait souvent qu’un chef eut plusieurs résidences disséminées au cœur de sa province et sur lesquelles il installait une femme ou une simple concubine qui s’occupait de leur gestion. Il en était de même en ce qui concerne les résidences des bami à l’intérieur de leur pays. La reine-mère, certaines reines et enfants du mwami disposaient également de terres privées.
La jouissance de ces terres revêt un caractère héréditaire. Dans l’ancien droit coutumier, il arrivait fréquemment pour le cas où leur titulaire fut chef ou sous-chef, qu’il en était spolié lors de sa destitution ou de son bannissement.
Propriétés prélevées sur la forêt:
Ubukonde – Ruanda.
Ubukonde dérive du verbe gukonda qui signifie couper les branches d’un arbre et, par extension, couper les arbres de la forêt afin d’y obtenir une terre de culture. A l’origine, l’ubukonde est un domaine prélevé sur la forêt par des agriculteurs bahutu. L’étude du régime foncier de l’ubukonde est essentielle pour la compréhension de la propriété terrienne des Bahutu dans leur propre droit coutumier, avant l’occupation mututsi. L’ubukonde représente en effet le tout premier stade de l’occupation ou de l’appropriation du sol par des colons agriculteurs bantous prenant possession de la forêt jusqu’alors res nullius, par la voie du déboisement et des défrichements. Ainsi que le fait remarquer SOHIER, lorsqu’un groupe effectuait une migration, lorsqu’il arrivait à un territoire non occupé qui paraissait lui convenir, il en prenait possession ; petite fédération de groupements familiaux, de clans, il répartissait entre ses membres le nouveau domaine avec l’intention de se l’approprier à l’exclusion de tout autre groupe. E t l’auteur continue : quel droit s’assurait le groupe sur ce territoire ? L’usage exclusif du sol, de tout ce qui le couvre, de ce qu’il contient, de ses produits. Désormais tout appartenait au dominateur, et personne d’autre n’y avait plus de droit. Le groupement s’opposera farouchement à tout qui voudrait commander sur son domaine, mais il ne s’opposera pas moins à celui qui, même sans y revendiquer l’autorité, prétendrait y établir des cultures, chasser, récolter des produits. Les droits exclusifs que le dominateur s’arroge ainsi répondent à la définition de la propriété en droit européen. Cette propriété a pour fondement l’occupation avec la manifestation de la volonté d’acquérir. On objecterait en vain que la prise de possession ne s’accompagne pas d’une exploitation intensive de tout le territoire et d’une occupation effective de toutes ses parties. Chez nous, il en est de même pour les forêts, les terres incultes, sans qu’on songe à contester pour ce motif le droit de propriété.
Tout empiétement sur la forêt a été interdit par l’Administration belge depuis le 1-1-1932, dans un but de protection.
Le régime foncier de l’ubukonde est encore vivace à l’heure actuelle aux abords de la forêt de la ligne de partage des eaux Congo-Nil au Ruanda, on en retrouve parfois quelques résidus à l’intérieur de ce pays, et même à l’Est, en territoire de Kibungu, sous le nom d’ubukoti dénommant les terres de cultures prélevées sur les savanes boisées vacantes.
L’œuvre d’appropriation de la forêt est d’abord le fait d’une famille au sens restreint du mot ou peut-être d’un groupe de familles disparates mais également au sens restreint du mot. Par la suite, le déboisement est accompli par des familles ramifiées au sens large, groupées sous l’autorité d’un patriarche. Ainsi, trois clans Bagesera de descendance commune disposent encore à l’heure actuelle au Rusenyi (T. Kibuye) d’un ubukonde totalisant environ 210 hectares. Les membres du clan ou des sous-clans, peuvent cultiver comme ils l’entendent dans le domaine qui est imparti à leur communauté. Dans ce cas, on peut affirmer avec S o h ie r que la propriété collective n’est pas, à l’origine, une indivision entre individus qui pourraient en demander le partage. Mais le patriarche peut accorder la location de terres ou amasambu à des étrangers au clan contre redevances annuelles en houes, bière, vivres, et corvées.
Avant d’empiéter sur la forêt, les Bahutu rachetaient parfois les droits de chasse des Batwa qu’ils rencontraient à l’orée, en remettant une chèvre ou un mouton à leur chef de clan. Cette transaction s’intitulait urwugururo (de kwugurura : dégager l’entrée d’un kraal). L’abornement était ensuite réalisé en compagnie du chef mutwa en m arquant d’une entaille certains arbres repères, en prenant certains ruisseaux comme limites naturelles, ou en plantant des cucurbitacées.
A Mulemule (Bushiru — T. Kisenyi), les droits de chasse et de piégeage des pygmées ne furent pas rachetés. Ces pygmées, par la suite, vinrent solliciter des vivres chez les Bungura, nouveaux venus et se laissèrent asservir par eux.
Les différents domaines que ces Bungura conquirent sur la forêt durant une période de 200 ans s’échelonnent sur une distance de 60 km. D’autres clans participèrent à cette déforestation et s’installèrent au milieu des Bungura. La lisière de la forêt fut ainsi déplacée, à la moyenne de 300 m par an.
Dans un domaine ubukonde, l’on trouva, lors de l’enquête foncière de 1952 à Cyanzargwe (Bugoyi — T. Kisenyi), 29 chefs de clans, 230 chefs de famille et pas moins de 856 fermiers étrangers abagererwa. Ces clans étaient Bazigaba, Bagiri, Babanda, Basindi, et Basinga.
Lorsqu’un fermier y donnait satisfaction, il était relevé de son état de client foncier et admis au sein de la famille de son bailleur, on lui accordait souvent une épouse. Parfois, c’était le client qui mariait l’une de ses filles dans la famille de son bailleur, la terre obtenue de ce dernier constituant alors titre matrimonial à l’exclusion de tous autres gages matrimoniaux. Le fermier contribuait au payement de l’impôt dû au titre militaire (ikoro ry’ingabo ou ikoro ry’umuheto) par le chef de clan muhutu à l’autorité mututsi, au titre d’hommage ou de rapports de bon voisinage ; à moins que le bailleur ou ses ancêtres n’eussent fait partie d’une formation guerrière mututsi.
Autrefois, le chef de clan, fréquemment intitulé mwami, était une autorité non seulement foncière et familiale, mais également politique, dont le rôle consistait notamment, sous l’occupation mututsi, à répartir le prélèvement du tribut ikoro parmi ses parents et ses clients fonciers. En outre, il désignait ceux d’entre eux qui devaient participer en qualité de miliciens aux formations guerrières ingabo et éventuellement au servage pastoral ubuhake.
A l’origine, les étrangers au clan admis sur les terres de l’ubukonde, se trouvent placés en qualité de clients fonciers sous les ordres du chef clanique ; ils doivent contribuer au travail communautaire de la construction des huttes, au brassage de la bière, à la transmission de messages, etc. Toutefois, ils ne participent pas au culte manistique des ancêtres du clan bailleur mais ne rendent hommage qu’à leurs propres ancêtres. Le taux de la location de la parcelle reçue par le client foncier est variable : un jour de corvée hebdomadaire s’il n’a reçu qu’une terre en friche, et deux jours s’il a reçu à la même occasion un pan de bananeraie. Le bailleur n’est pas nécessairement le chef de clan, mais bien souvent l’un des membres de celui-ci, c’est alors à lui qu’échoient les redevances locatives ; néanmoins, le fermier est tenu de remettre, lors de la formation du contrat, une cruche de bière au chef de clan à titre de reconnaissance de sa qualité de bailleur éminent. Ainsi, de clanique d’abord, la propriété de l’ubukonde évolua progressivement vers l’individualisme avec le morcellement.
Toutes les terres de l’ubukonde non seulement se louaient, mais se vendaient également. Avec la vente, ou pouvoir d’aliénation, on aboutit à l’exercice dans sa plénitude du droit que confère un titre de réelle propriété. On constata qu’à Gisebeya (T. Kisenyi), les terres de l’ubukonde d’un nommé Bandari, se vendaient à raison de trois houes ou d’une chèvre pour un hectare et d’un taurillon ou d’une génisse pour six hectares, la qualité du terrain étant prise en considération lors du débat du prix.
A l’heure actuelle, en territoire de Ruhengeri, eu égard à l’accroissement incessant de la population et par voie de conséquence, de la raréfaction des terres de culture, lorsque la famille d’un propriétaire foncier d’ubukonde devient trop nombreuse, celui-ci installe ses parents dans les champs de ses fermiers en usant de son droit de choisir (ugutora). Il prélève ainsi des lopins dans les meilleures terres et les met à la disposition des membres de sa famille, sans pour cela diminuer en rien les redevances dues par ses fermiers ; en ceci, gît un abus flagrant.
Mais en règle générale, avec l’augmentation numérique des membres du clan initialement installé, l’autorité du patriarche finit par graduellement disparaître en qualité de propriétaire foncier pour passer d’abord entre les mains des chefs des familles nouvellement constituées, puis des sous-clans. L’autorité du patriarche se limita par la suite à la juridiction sur les relations familiales et à arbitrer les différends pouvant surgir entre les membres des sous-clans et les étrangers installés. Toute terre faisant partie d’une succession tombée en déshérence demeure la propriété du clan représentée coutumièrement par son chef qui peut, à nouveau, en disposer.
De plus, dans l’ancien droit de l’ubukonde, la coutume voulait que toute partie laissée en jachère par son détenteur continuât à lui appartenir même après abandon, ou tout au moins à son clan.
Parallèlement à l’accroissement des familles, chaque individu se crut maître chez lui à tel point que, sans même consulter son chef de clan ou de famille, il finit par s’arroger le droit de louer ou de vendre, en tout ou en partie, le terrain qu’il occupait.
Le déclin de l’autorité des chefs de l’ubukonde n’eut pas seulement sa cause dans l’augmentation numérique des clans, mais surtout dans la politique de division et d’assimilation poursuivie inlassablement par l’occupant mututsi politique. Les clients fonciers sollicités par l’attrait que présentaient la vache et le fait de vivre dans le sillage des nobles envahisseurs, conclurent avec ceux-ci des contrats de bail à cheptel introduit par les conquérants ; ainsi, ils se détachèrent peu à peu de leurs bailleurs initiaux. Le patron pasteur n’hésita pas à émettre des prétentions sur les terres de son client, notamment en cas de succession en déshérence, d’émigration ou de bannissement. Pour le centre du Ruanda, on signala un cas typique de l’accaparement du domaine foncier et de l’autorité politique par les Batutsi Batsobe. A la colline Muhondo (T. Kigali), les représentants des chefs Batsobe s’attachèrent partout à former des masses de biens domaniaux alimentés par les fermes agricoles et les herbages enlevés à l’autorité des chefs de l’ubukonde local. Cette réserve de biens domaniaux inkungu, fut désormais l’instrument de l’emprise foncière des Batsobe et le fondement de leur pouvoir politique.
TERRES DE PACAGE
Le pacage se traduit par ubwatsi (Ru. et Ur.) et par umukenke (Ru.) qui sont des herbes.
Le Ruanda-Urundi comporte, comme nous l’avons vu 985.000 bovidés. L’élevage du gros bétail était, il y a quelques années encore, pratiqué surtout par les Batutsi, parmi lesquels se trouvaient 85% des éleveurs ; 15% seulement étaient des Bahutu. La proportion se modifie peu à peu au profit de ces derniers. C’est au Ruanda que sont établis la plupart des riches propriétaires de troupeaux ; en Urundi, le bétail est beaucoup plus répandu parmi la masse. Les éleveurs possèdent en général de 1 à 5 bêtes ; 1% seulement sont propriétaires de 50 bêtes ou plus.
Dans les chefferies comportant moins de 50 habitants par km2, et occupant un total de 23.338 km2, il existe 8 têtes de gros bétail en moyenne par km2, soit 1 par ménage dans l’Urundi et près de 3 dans le Ruanda. Malheureusement, cet équilibre n’existe que dans les régions peu habitées sous l’influence du manque de pluie.
Partout ailleurs, la densité du bétail a suivi celle des êtres humains : elle varie de 25 à 33 au kilomètre carré au Ruanda et de 9 à 24 en Urundi, mais le pourcentage des bêtes détenues par ménage diminue au Ruanda de 1,5 à 0,6 tandis q u ’il demeure sensiblement stationnaire dans l’Urundi, se chiffrant de 0,6 à 0,7 par ménage.
De 5 à 6 têtes de gros bétail par ménage au Bugesera (15 habitants au km2), cette proportion tombe à 0,5 au Mulera (205 habitants au km2) ; ici, la houe a donc repoussé la vache. Il en est de même à l’heure actuelle au Bigogwe (T. Kisenyi).
Comme il se conçoit aisément, les pâturages jouent un rôle prédominant dans des royaumes dirigés par des pasteurs pour qui non seulement la vache est un moyen de subsistance, mais également un instrument de domination politique.
A la conception muhutu de la transcendance de la terre de culture, les éleveurs envahisseurs ont superposé leur idéologie de la primauté des pacages, à telle enseigne qu’au Ruanda, ils créèrent la double institution du chef des terres arables, l’umutware w’ubutaka, et du chef des herbes, l’umutware w’umukenke, celui-ci disposant d’un pouvoir prépondérant sur le premier ; leurs compétences territoriales se superposaient habituellement, créant une source de conflits sans fin.
Ruanda.
L’acquisition des droits fonciers sur les pacages est la résultante de plusieurs facteurs qui constituent chaque fois des cas d’espèce, cas que nous pouvons résumer comme suit et que nous examinerons ensuite.
- Occupation pacifique :
- En vaine pâture ;
- A titre privatif ;
- Occupation par éviction ;
- Occupation par prise de guerre ou de commandement politique.
- Occupation par concessions ibikingi accordées par le pouvoir politique :
- D’une réserve de simple pacage ;
- D’une terre politique franche ;
- Occupation par cession ou affermage entre personnes privées.
Les détenteurs de pacage à titre privatif pratiquèrent la concession de baux à ferme non seulement à des clients éleveurs, mais également à des Bahutu agriculteurs.
L’occupation des pacages fut bien souvent réalisée par des pasteurs nomades ou semi-nomades. Vers le XVIIe siècle, des pasteurs bahima appartenant aux phratries Banyiginya et Bakono, vinrent au nord-ouest du Ruanda, dans la région du Mulera et du Bigogwe, paître leur bétail dans les jachères constituées par les cultures des Bahutu défricheurs de forêt ; c’est-à-dire dans des domaines d’ubukonde. Le bétail de ces éleveurs était, et est demeuré, leur propriété personnelle (imbata) ; ils n’en sont pas redevables aux Batutsi politiques. Lors de la saison sèche, ils amènent leurs bêtes dans la forêt de la crête Congo-Nil où elles trouvent comme nourriture de l’herbe et surtout les jeunes rejets de cette graminée prolifique qu’est le bambou. Ces éleveurs ignorent la réserve foncière de pacage ainsi que tout système d’appropriation terrienne, ils pratiquent encore à l’heure actuelle un semi-nomadisme. Ce n’est que vers la fin du XIX e siècle, que le mwami du Ruanda conféra l’administration de ces éleveurs à l’un de ses favoris qui fut nommé chef des herbes ; néanmoins, les pasteurs du Bigogwe refusèrent de s’inféoder sous le régime du contrat de servage pastoral et ils n ’envoyèrent au mwami qu’un vague tribut militaire : ikoro rgy’umuheto [ry’umuheto].
Au Mutara (Territoire de Byumba), il n’existe pas non plus de droit exclusif de pacage réservé aux éleveurs, cette absence s’explique du fait qu’il s’agit d’une région peuplée à raison de 12 habitants seulement au kilomètre carré. Les vaches de tous les éleveurs peuvent y trouver une nourriture relativement abondante sans se gêner mutuellement : un groupe de pasteurs accueille même volontiers un autre groupe, à condition que le cheptel de celui-ci ne présente pas de signes de maladie. Dans l’ancien Ndorwa (nord du Ruanda), les pasteurs vivaient par famille ou par clan, en marge des peuplements de Bahutu qui possédaient leurs propres chefs ou bami bahinza. Les pasteurs du Ndorwa étaient principalement composés d’individus appartenant aux clans Bashambo et Bahinda, ils soignaient eux-mêmes leurs bêtes et ne laissaient aux Bahutu que les travaux grossiers : construction de huttes, de kraals, abattage et dépeçage des vaches. En compensation de leurs services, les Bahutu recevaient le lait d’une bête.
Mais l’occupation des pacages par les pasteurs se réalisa parfois à titre réellement privatif. Un cas bien curieux, est celui des éleveurs de Rwankeri (T. Ruhengeri) vivant au pied du volcan Karisimbi, notamment aux collines Jaba et Busogo, dans une région qu’ils intitulent leur ubukonde, comptant environ 3.000 hectares et qui fut conquise sur la forêt, disent-ils, par leurs clients bahutu, tandis qu’ils y paissaient leur bétail.
Dans les régions à moyenne et à forte densité de population, l’immigration des pasteurs, s’établissant le plus souvent à titre sédentaire, fit éclore le régime de la réserve foncière pastorale igikingi (de gukinga : fermer, réserver) plus ou moins bien délimitée. L’occupation des pâturages s’effectuait par voie de pénétration dans les pacages de la forêt récemment abattue par les agriculteurs bahutu, ou dans les savanes.
L’installation des premiers pasteurs dans les jachères d’ubukonde à Kanyoni (Buliza – T. Kigali) s’opéra d’une manière pacifique, comme celle des Banyiginya et des Bakono au Bigogvve.
Des éleveurs appartenant aux clans Bagesera et Bashambo émigrés respectivement du Gisaka et du Ndorwa, vinrent s’installer au Bwishaza (T. Kibuye) sans solliciter d’autorisation auprès du mwami du Ruanda. Au point de vue foncier, ils étaient indépendants. Ensuite, par diplomatie, ils s’affilièrent aux formations guerrières du pays ; mais, n’ayant pas reçu de vaches des chefs de ces dernières, ils ne leur devaient aucun tribut. On releva au Bwishaza l’existence d’un domaine pastoral de 1.500 hectares appartenant encore à l’heure actuelle à un nommé Matabaro dont les ancêtres vinrent s’installer pacifiquement dans le pays, il y a plus de trois siècles. Le domaine, sous le commandement foncier du clan de Matabaro, comprend douze hommes adultes et leur ménage, deux éleveurs batutsi et quarante-huit ménages bahutu. A l’origine, les éleveurs prenaient soin euxmêmes de leur bétail.
Certains éleveurs, plus forts numériquement, comme les Banyiginya et les Baskyete à Kanyoni (T. Kigali) s’emparèrent des pâturages des plus faibles : en ce temps, la force primait le droit.
Avec l’occupation du Ruanda, par les Batutsi Banyiginya d’ordre essentiellement militaire, la dévolution des pacages fut réservée aux chefs des formations guerrières ingabo: à l’occasion des conquêtes, ceux-ci se réservaient un domaine d’une cinquantaine d’hectares ou plus, de pâturages pour les besoins de leur bétail personnel et de leur domesticité.
Parfois, les Batutsi installés lors de la conquête militaire du Ruanda, comme Rusatira, fils du mwami Ruganzu-Ndori à Muhuhuri (Itabire — T. Kibuye), s’occupaient eux-mêmes de leur bétail, en famille, et ne toléraient pas l’installation de serviteurs dans leur fief.
Leurs redevances au mwami étaient uniquement d’ordre militaire : ikoro rgy’umuheto ou ikoro rgy’ingabo, s’ils n’avaient pas de suzerain vacher. Par la suite, le pouvoir politique mututsi prit le droit d’installer dans semblables domaines non seulement des éleveurs étrangers, mais également des cultivateurs bahutu en quête de bail à ferme.
Souvent, les pasteurs pacifiques de la première heure éprouvèrent la nécessité de se placer sous la suzeraineté des chefs des milices. A titre d’exemple, on cite le cas des Baha, installés à Gakoni (Buganza-Ouest, T. Kibungu), sur un pacage de 112 hectares, qui s’inféodèrent à des Batutsi Bega. Ils avaient échangé leur situation de pasteurs indépendants contre celle de clients de chefs politiques. Leur cheptel personnel, par l’introduction de bêtes concédées par leur suzerain vacher grâce au contrat de servage pastoral, finit par dépendre entièrement de ce suzerain. Ils versaient aux chefs Bega une partie du tribut foncier prélevé sur les agriculteurs installés dans leur domaine pastoral ; et ils servaient dans leur formation guerrière Uruyange. Ainsi, dans tous les domaines, les Baha furent-ils assujettis au nouvel occupant.
Le lien rattachant les éleveurs au pouvoir central, fut d’ordre guerrier suite à l’affiliation aux armées ingabo. En fait, les éleveurs demeuraient relativement maîtres dans leur propre domaine s’ils n’avaient pas reçu de bétail du mwami ou de ses mandataires, et ils continuaient alors à conserver leur bétail en toute propriété : imbata, impahano, ingabo.
Le mwami et ses représentants accordèrent aux éleveurs qui leur en faisaient la demande, des petites réserves de pacage ibikingi (de gukinga: fermer) sans la moindre attention quant aux droits fonciers préexistants. Mais il arrivait aussi que cette réserve fut accordée par un patron foncier privé à un autre pasteur. Cette concession revêt un caractère héréditaire mais révocable. Un suzerain vacher accordait parfois une ferme agricole prélevée sur son fief pastoral, à l’un ou l’autre de ses clients ou à leurs fils, voire aux candidats clients lorsqu’ils se mariaient. A cette occasion, ces clients ne devaient que les prestations dues pour le contrat de bail à cheptel et non celles relatives à la tenure foncière agricole.
Il convient de distinguer deux catégories d’ibikingi:
- La concession foncière se réduisant à un simple droit de pacage sans aucun droit politique sur les gens et leurs terres arables. Dans ce cas, l’éleveur disposait de la faculté de mettre en culture dans la concession accordée, un lopin pour lui-même et pour un ou deux serviteurs.
- La concession à caractère politique conférant outre les droits précités, celui de commander et de percevoir tribut sur une vingtaine ou une trentaine de ménages installés dans la concession. En fait, ce cas constitua la généralité, érigeant des tas d’enclaves ou terres franches au sein des commandements réguliers, les paralysant littéralement.
L’étendue de l’igikingi était variable. Lors de l’enquête foncière au Ruanda, l’on releva le cas d’un nommé Rwendeko qui obtint un pacage de 15,50 ha dont à l’heure actuelle 10,20 ha sont consacrés à la pâture tandis que 5,30 ha sont dévolus aux cultures vivrières et aux habitations.
On trouvait parfois une quinzaine de domaines pastoraux ibikingi dans le ressort d’une seule sous-chefferie actuelle ; certains de ces domaines ne mesuraient que 26 hectares, comme à Cyargwa [Cyarwa] (Astrida).
Non seulement l’éleveur s’installait sur l’igikingi avec ses bêtes, mais il avait tendance à y amener ses clients bahutu auxquels il concédait des lopins pour leurs besoins en terre de culture et d’habitation ; l’éleveur pouvait également y installer des étrangers. En contrepartie de semblables concessions pour l’agriculture, l’éleveur se réserva le droit, par priorité, d ’y paître son bétail dans les jachères et tout spécialement dans les éteules de sorgho et de maïs qui rejettent dans le courant de la saison sèche, alors que l’herbe est rare partout ailleurs.
Mais certains détenteurs d’un domaine pastoral ne tenaient pas à y accorder des fermes agricoles à leurs serviteurs, afin de sauvegarder leurs droits fonciers. Parfois, ils possédaient du bétail en toute propriété qu’ils avaient amené lors de leur immigration dans le pays et qu’ils ne détenaient ni du mwami ni des chefs politiques auxquels ils n’étaient redevables d’aucune redevance pastorale.
Les serfs bahutu étaient attachés à la terre et au bétail reçus. Lorsqu’un éleveur devait abandonner son domaine tout en emmenant ses troupeaux, ou encore dans le cas où il se décidait à émigrer, les Bahutu habitant son domaine, qui étaient ses serviteurs par le bétail, devaient le suivre ou, s’ils préféraient conserver leur établissement agricole, renoncer à leur bétail.
Lorsque la monarchie mututsi fut installée solidement au Ruanda, les pasteurs durent de plus en plus composer avec elle pour obtenir des pacages. Les domaines pastoraux prélevés sur des pacages vacants, ou rendus vacants s’élevaient parfois à 300 hectares comme celui du nommé Manywa à Gasambo (Biru – T. Shangugu) qui se l’attribua avec l’autorisation du mwami. Mais celui-ci m it Manywa à la disposition du chef local de formation guerrière ingabo à qui il dut présenter annuellement un taurillon au titre de redevance. Toutefois, il ne semble pas que les domaines pastoraux, eu égard à leur étendue et à l’abondance originelle du pacage, aient jamais été nettement délimités lors de l’immigration mututsi.
A l’occasion de l’instauration, par la monarchie, du chef des herbes et du chef des terres au Bwishaza, ces éleveurs durent fournir des redevances au premier. Pour le reste, les éleveurs prirent arrangement avec les délégués locaux du chef des terres afin que les Bahutu résidant sur leurs pacages leur fussent directement subordonnés ; ainsi, les éleveurs prélevèrent sur eux les redevances dues au titre de fermage dont ils conservèrent une partie à leur profit personnel tandis qu’ils cédaient l’autre au chef des terres.
Tous les éleveurs durent se soumettre au chef des herbes umutware w’umukenke là où l’institution existait, et partout ailleurs au chef de province umutware w’intebe.
Le nommé Kagisha, à son arrivée à Kicukiro dans l’Icyanya (T. Kigali), avait obtenu de Nyiringango, chef des pâturages de la province royale de Kigali, un domaine pastoral, au lieu dit Kugatare en bordure de la savane pour le prix d’une génisse.
Au début du X IX e siècle, un éleveur nommé Gatare, craignant les razzias des Batutsi au Ndorwa, quitta ce pays avec son cheptel et vint s’installer à la colline Gakoma (Buhanga – T. Astrida) où le chef politique local Rukungira, lui accorda la jouissance d’un pacage de 95 hectares contre payement d’une génisse. Gatare s’amenait avec du bétail de propriété strictement personnelle. Ses descendants n’ont jamais installé de serviteurs dans leur domaine pastoral ; de plus, ils ne s’inféodèrent à aucun chef politique.
Partout où le chef des herbes commandait, c’était à lui et non plus au sous-chef local, que les pasteurs durent s’adresser pour obtenir des concessions de pacage et à qui ils durent payer redevances. L’autorité mututsi se réserva la libre disposition des bas-fonds, des marais et des jachères eu égard à la raréfaction des herbes en saison sèche sur les collines. Parfois, des collines entières furent réservées aux seules vaches d’un chef ou du mwami, notamment aux bêtes de haute sélection inyambo. Au Rusenyi (T. Kibuye), les notables se sont réservés, d’une manière définitive, des étendues fixes de pâturage et les jachères de leurs clients agriculteurs. Au Mulera (T. Ruhengeri), les sous-chefs exercent sur les pâturages de leur ressort, des droits fonciers considérés comme inhérents à leur charge politique. Lors de leur sortie de charge, ils ne conservent aucune portion des pâturages qu’ils ont simplement gérés, et retombent au rang de pasteurs ordinaires.
Le chef des herbes et certains autres patrons fonciers pastoraux, pratiquèrent la location de parties de leurs pacages, des bas-fonds, des marais, voire des jachères. Les loyers variaient selon l’importance du cheptel et de l’étendue du pacage. En principe, ils étaient annuels et consistaient en bière pour les petits éleveurs. Mais bien souvent la durée coutumière de la convention était de deux ans, le loyer étant alors d’une génisse pour un troupeau d’une trentaine de bêtes et d’un taurillon si la durée était ramenée à un an. Les différents termes désignant les redevances foncières acquittées en gros bétail sont : inyagisanze – gukur’ubwatsi.
Le petit bétail jouit du pacage à titre gratuit, toutefois les Bahutu ne pouvaient le paître dans leurs propres jachères qu’après le passage des vaches du patron foncier, à moins qu’ils ne lui aient préalablement racheté ce droit.
Dans son programme de normalisation des tributs et corvées que l’Administration mit en application le 1-1-1932, il n’apparaît pas que la location des pacages ait été prise spécialement en considération. Elle fut confondue d’une part avec les tributs payés par les éleveurs à leurs patrons au titre de redevances pour la détention du bétail, d’autre part avec les loyers de terre que l’on imposa uniformément à tous les hommes adultes et valides au profit de l’autorité indigène. On regarda comme tribut politique les redevances dues par les seuls chefs de province au mwami. Toutes autres prestations furent considérées comme faisant partie d’obligations civiles issues de contrats réalisés entre personnes privées. En fin de compte, les éleveurs furent soumis théoriquement aux mêmes tributs et corvées fonciers que les agriculteurs puisque ces redevances furent étendues à tous les indigènes. En fait, ils n’accomplirent jamais la corvée en travail et ne fournirent pas de vivres; mais à l’heure actuelle, à l’occasion du rachat intégral des prestations, aucun éleveur n’échappe plus à ce loyer de terre. En 1932, il fut spécifié qu’aucune prestation n’était due pour les bêtes imbata détenues en toute propriété par les éleveurs, mais que le sous-chef devait mettre désormais gratuitement à la disposition des propriétaires, les pâturages nécessaires à la nourriture de ces bêtes.
Depuis lors, le droit foncier pastoral du Ruanda entra en pleine évolution et tendit nettement vers la vaine pâture avec, pour conséquence, une tendance à la suppression de toutes redevances locatives particulières. On nota au Buganza-Sud (T. Kibungu) qu’un nommé Ukulikiyimfura qui reçut sa ferme d’un patron foncier pastoral, ne lui paie plus aucune redevance ; toutefois, en saison sèche, le bailleur conserve le droit de paître son bétail dans les jachères d ’Ukulikiyimfura.
Devant l’accroissement incessant de la population et la nécessité vitale de caser les agriculteurs, le pouvoir politique mututsi établit d’office des agriculteurs dans des domaines pastoraux reçus jadis directement du mwami par les éleveurs, ou dans des pacages privés.
Ainsi, à Mironko (Buganza-Sud, T. Kigali), on constata que sur la superficie du domaine pastoral de 230 hectares environ, que le nommé Rucari tient de ses aïeux et sur lequel il exerce des droits très théoriques, les deux tiers environ sont cultivés et habités par mie population de cinquante neuf chefs de foyer et par des cultures collectives pratiquées par tous les habitants de la colline Gicukiro. Ces cultivateurs bahutu ont été imposés à Rucari en application de la coutume récente qui donne au représentant politique local le pouvoir de disposer des herbages des éleveurs dans un but d’utilité générale.
L’autorité européenne et indigène fit établir des boisements et des cultures pérennes de patates douces, de manioc, voire des cultures saisonnières ou industrielles, dans les pâturages. Le sous-chef prélève la moitié des jachères de sorgho pour y paître son bétail et celui de ses clients. Le reste est partagé entre l’ancien titulaire du pacage et les petits éleveurs locaux.
Au Mulera, la sous-chefferie Gahunga dispose de quelques pâturages en bordure de la forêt. Le pouvoir politique en prend les 2 /3, dont 1 /3 réservé au bétail du sous-chef et 1 /3 réservé au bétail du chef, le reste est pâturé ensemble par les vaches des habitants de la colline.
A Shangi (T. Shangugu), les herbages sont pâturés en commun par les vaches de tous les éleveurs bahutu et batutsi de la colline.
Lorsque des tenures accordées par le patron foncier pastoral tombaient dans l’abandon soit du fait d’émigration, de bannissement ou de succession en déshérence du locataire, leur gestion était immédiatement reprise en charge par le bailleur et non par le sous-chef local ; actuellement, c’est ce dernier qui en dispose comme de toute terre abandonnée versée à la réserve domaniale inkungu.
Urundi.
La question foncière des pâturages en Urundi ne revêt pas l’acuité sous laquelle elle se présente au Ruanda. L’Urundi est essentiellement peuplé d’agriculteurs et le gros bétail y est diffusé dans la masse. En outre non seulement l’Urundi jouit d’une superficie supérieure de 1.500 km2 à celle du Ruanda, mais son cheptel ne représente que 31 % du total du Ruanda-Urundi. Ce pays n’a jamais connu le régime politique de chefs spéciaux pour les pacages, ceux-ci étaient gérés directement par le mwami ou par les chefs de province.
L’obtention d’un pacage se réalisait après versement d’une ou de plusieurs têtes de bétail ingorore au chef. On désigne sous le vocable d’abacikire (du verbe gucika: s’enfuir, émigrer) les éleveurs venant quémander un pâturage ; tandis que le terme abacikizwa désigne les éleveurs qui émigrent sur les terres d’un chef à sa demande. En effet, s’il s’agissait d’éleveurs importants, leur présence devenait une source de revenus pour l’autorité qui allait jusqu’à leur accorder un taurillon ou une génisse en cadeau de bienvenue. Parfois même, le chef procédait à l’éviction de plusieurs de ses administrés afin d’accorder leurs terres et leurs résidences aux nouveaux venus ; ces domaines s’intitulaient alors urugo rw’ubwishikira.
L’icanya est un pâturage réservé au bétail du mwami ou d’un chef, il est situé en règle générale à proximité immédiate de leur résidence ; il arrivait qu’une partie de cette réserve fut concédée à un éleveur qui, à cette occasion, prenait le nom d’umukurikizi, il devait acquitter une redevance en bétail ingorore dite umukurikizo. En saison sèche, tout comme au Ruanda ancien, les bas-fonds et les marais étaient strictement réservés au bétail du mwami et des chefs.
On nomme ibuga (litt. plateau), le pâturage de toute saison accordé par le chef à un pasteur et à sa famille. La réserve de pâturage s’intitule iraro (de kurara : passer la nuit). Ces pacages s’obtenaient du chef moyennant le payement d’une vache de redevance ingorore. Les autres éleveurs désireux de faire paître leurs bêtes dans ces réserves, devaient acquitter des redevances en houes, bière, sel, vivres, auprès de leurs bénéficiaires. Il appert que semblables réserves de pacage n’étaient connues en Urundi qu’au Mugamba et au Bututsi, régions de grands éleveurs, tandis qu’ailleurs les pâturages étaient communs à tout le cheptel de la chefferie et constituaient, en fait, une vaine pâture.
Parmi les tributs qui étaient dus par les éleveurs et qui sont maintenant tombés en désuétude, notons :
Ingorore ou inka y’umushikiro : redevance due par les éleveurs lors de l’avènement d’un chef ;
Ingorore y ’abacikire: redevance due par les immigrants ;
Ingorore y ’ibuga, y ’ubwatsi, y’umusozi: redevance due pour la jouissance d’un pâturage à titre exclusif ;
Ingorore pour usage d’un pâturage en saison sèche à titre exclusif ;
Ingorore y ’umukwirikizo : redevance due pour paître le bétail, dans les pâturages ivyanya réservés ;
Ingorore y ’ibishakara : redevance due pour paître le bétail dans les jachères réservées.
Usucapion.
L’usucapion est tin mode d’acquisition de la propriété fondé sur une possession prolongée. Il est parfaitement connu et admis par le droit coutumier indigène.
On constate que fréquemment un individu s’arroge le droit d’occuper une ferme abandonnée. Le conseil du mwami de l’Urundi remarqua en 1952 que dans les régions peu habitées, il arrive souvent que l’on s’installe librement, quitte à signaler le fait ultérieurement au souschef. Un autre mode d’installation consiste à aller cultiver régulièrement une terre située loin de chez soi, dans une région inhabitée puis, au bout de quelques années, lorsque la terre se révèle rentable, d’en aviser le sous-chef et de s’installer à demeure sur l’emplacement mis en valeur.
Sous l’impulsion de l’Administration, on assista à une évolution rapide du droit d’occupation par usucapion ; en effet, celle-ci, afin de lutter contre les famines périodiques qui décimaient le Ruanda-Urundi, provoqua la mise en valeur de terres jusqu’alors dévolues aux pacages, ainsi que les bas-fonds et les marais. Les Bahutu y pratiquèrent la culture de plantes vivrières non saisonnières : manioc, patates douces ; puis de plantes saisonnières : pois, haricots, sorgho, maïs. Convaincus au début de leur absence de droits fonciers sur les endroits qu’ils mettaient cependant en valeur à leur profit exclusif, endroits qu’ils qualifièrent à l’imilima ya leta (champs de l’État) ; les Bahutu, avec le temps, finirent par se considérer comme de réels propriétaires des lopins qui leur étaient assignés.
Cette évolution du droit se rencontre encore en ce qui concerne les terres dévolues aux cultures industrielles encouragées par l’Administration : café, coton, palmiers à huile, arachides, etc.
Ajoutons, pour être complet, un mode de dotation de terres de culture à l’ordre du jour, celui concernant les paysannats indigènes. Dans la plaine de la Ruzizi on accorde, contre titre enregistré devant les Tribunaux locaux, des lots de quatre hectares par cultivateur, tandis que dans la montagne, l’on provoque la cession de lopins de deux ou de deux hectares et demi.
Bail à ferme.
Avant-propos.
Le bail à ferme est un contrat par lequel, celui qui concède une terre à un tiers, s’oblige à lui en laisser la jouissance durant une période déterminée ou indéterminée et moyennant une indemnité fixée entre parties eu égard à l’étendue du terrain concédé et à la durée du bail.
Parmi les bailleurs, nous trouvons les bami dans leur domaine propre ou agissant par voie d’instructions, les chefs et les sous-chefs agissant soit au titre politique dans les terres soumises à leur commandement, ou à titre privé lorsqu’il s’agit du fermage de terres d ’occupation personnelle (ingobyi, ingarigari, urutwaliro, inyurgwa). A côté de ces autorités politiques, nous trouvons tous les particuliers qui, à un titre quelconque, font figure de patrons fonciers : patriarches bahutu chefs d’un domaine ubukonde conquis sur la forêt, détenteurs de vastes tenures, pasteurs détenteurs de grands pacages, héritiers de successions à l’occasion de l’héritage de fermes dont, eu égard aux distances à parcourir, ils se trouvent dans l’impossibilité matérielle d ’assurer eux-mêmes la mise en valeur, enfin nous trouvons certains tenanciers agissant par le truchement de la sous-location et du fermage à court terme.
En l’absence de leur mari, les épouses sont autorisées à passer des contrats de bail, pour subvenir aux besoins de leur famille. Dans ce cas, elles se font assister par un membre de la famille de leur conjoint, ou d’un ami. Cependant, cette obligation n’est pas de stricte nécessité et son omission n’entraîne nullement la nullité de l’acte.
Les enfants mineurs qui reçoivent de leurs parents des terrains de labour ne peuvent les louer. En effet, ces champs leur sont accordés pour s’exercer à la vie de cultivateur et pour se constituer un petit pécule. Dans ce cas, ils ne peuvent sous-louer le champ qui leur a été concédé.
Dans le clan des fermiers, nous trouverons des Bahutu et des Batutsi pauvres, voire des Batwa cultivateurs ; en principe, le fermage n’est conclu que par des hommes. Mais les femmes peuvent devenir fermières du moment que leur mari est empêché de passer le contrat, à moins qu’elles soient veuves ou célibataires. Dans ce cas, elles sont elles-mêmes responsables de la bonne exécution des obligations qu’elles contractent.
Néanmoins si la veuve ou divorcée vient à se remarier et qu’elle continue à exploiter la champ loué, son mari contracte les mêmes obligations qu’elle.
A l’heure actuelle, n ’importe qui, Mutwa, Muhutu ou Mututsi, peut s’adresser directement à l’autorité locale pour obtenir un terrain puisé dans la réserve du domaine public contenant les terres libres et les fermes abandonnées ; parfois les demandeurs mettent le chef devant le fait accompli et occupent d’eux-mêmes un terrain vacant, c’est alors l’usucapion.
Enfin, à l’intervention de l’Administration, les Bahutu obtiennent des parcelles dont l’ensemble est dénommé amashiku. Celui-ci est prélevé dans les pâturages, les bas-fonds et les marais, dans le but de parer aux besoins
en cultures vivrières des populations, notamment en manioc et patates douces. La superficie de ces parcelles ibyati, varie de quelques ares à quatre hectares comme celles qui sont accordées pour la réalisation du paysannat indigène dans la plaine de la Ruzizi.
Bail à ferme à durée indéterminée Kugerera.
Caractéristiques.
En droit, le bail à ferme à durée indéterminée et héréditaire, est un contrat par lequel un bailleur abandonne à un tiers, moyennant une rente ou loyer, la jouissance d’un bien rural. Par extension, ferme signifie le bien rural affermé par son détenteur à celui qui doit le cultiver. Le fermier est le locataire, celui qui tient à ferme une propriété agricole, une exploitation. Au Ruanda-Urundi, le loyer consistait en produits de la terre et en travail ; actuellement, il est bien souvent constitué uniquement en argent.
Le mot kugerera signifie octroyer une terre en friche. Le bailleur prend le nom de shebuja (she: père, buja: serviteur ; d’où le protecteur, le patron) tandis que le fermier porte habituellement celui d’umugererwa (forme passive de kugerera).
Ferme se traduit à l’origine par isambu (Ru.) ou prairie, ishamvu (Ur.), terre inculte, et enfin par itongo lorsque la mise en valeur est réalisée et notamment quand la ferme est abandonnée.
Le fermier possède le droit d’établir sur ses fermes toutes constructions et toutes cultures, même pérennes, qu’il juge utiles, et d’y paître son bétail.
Le bail à ferme se rencontre sous deux formes : selon que le fermier a reçu des champs mis en valeur avec des plantations de bananiers ou selon qu’il s’est fixé sur une terre en friche.
Le contrat est toujours conclu devant deux ou plusieurs témoins et l’on conseille à présent son enregistrement devant le Tribunal indigène local.
En Urundi, certaines fermes portaient le nom d’urugo rw’umuheto pour les guerriers, d’ urugo rw’intore pour les danseurs, urugo rw’ibango pour les serviteurs tels que les coupeurs de bois, veilleurs de nuit, balayeurs, vachers, etc., lorsqu’elles étaient accordées pour récompenser des services rendus.
Dans le Ruanda méridional, ce contrat est souvent pratiqué par des Batutsi qui ne sont plus détenteurs d’un commandement politique. Ces derniers, au moment de leurs fonctions, ont pu acquérir certaines étendues de terrain. A leur destitution, ils y placent des clients qui se lient à eux tant par un contrat de bétail que par le bail à ferme ; ceux-ci doivent en même temps, la location foncière et les obligations dérivant du bétail concédé.
On rencontre fréquemment le bail à ferme dans les régions surpeuplées où la terre de culture devient rare.
Bailleurs et fermiers.
L’isambu ou itongo, que nous intitulerons désormais ferme, pouvait être sollicitée par un étranger au clan auprès d’un titulaire d ’un domaine ubukonde conquis sur la forêt, auprès des autorités indigènes, des éleveurs détenteurs d’un droit de pacage, ou même de fermiers privés.
Au Ruanda, en règle générale, le candidat fermier s’adresse au sous-chef local qui procède lui-même à la délimitation.
En Urundi, le Muhutu désireux d’obtenir une ferme s’adresse non point directement au chef, mais à l’un de ses courtisans (umutoni) ou au sous-chef local, auxquels il remettait des cadeaux ipfufu se composant de houes et éventuellement d’un taurillon. Le chef envoyait l’un de ses aides, l’umushikiriza (de gushika: arriver, gushikiriza : faire parvenir s. e. celui qui sollicite, devant la tenure convoitée) délimiter le terrain. Cet aide recevait bien souvent du requérant, un cadeau, ubushikiriza; éventuellement, le sous-chef en recevait un également. Le chef ne demandait rien de la part des requérants peu fortunés.
Parfois, la terre était obtenue en récompense de services rendus en qualité de chasseur, de vacher, de domestique ; dans ce cas le demandeur ne se trouvait pas sous les ordres du sous-chef local mais directement sous ceux du chef.
Au Ruanda, les fermiers, bagererwa, n’ont que des rapports impersonnels avec le sous-chef bailleur pour autant que celui-ci ne les ait pas installés sur ses terres personnelles.
Par contre, chez les bailleurs titulaires d’un vaste pacage personnel ou d’un domaine ubukonde les relations deviennent fréquemment personnelles à tel point que le fermier épouse parfois une fille de son bailleur, conjoncture qui a pour résultante de l’exonérer dorénavant de toute redevance. En voici un exemple relevé à Mubilizi (Kanage, T. Kisenyi).
Burumbuke, Mwega, originaire du Kingogo, est venu solliciter de Nyarubuye, ascendant au quatrième degré du chef de famille actuel un établissement dans son domaine de Mubilizi. Burumbuke logea pendant une année dans la hutte de Nyarubuye et cultiva pour lui. Comme il s’était montré obéissant et actif, Nyarubuye lui permit de se construire une habitation au milieu d’un lopin de terrain qu’il lui céda et lui donna une de ses filles en mariage. Dans la suite, Burumbuke acquitta les gages matrimoniaux : 4 chèvres. Il quitta alors la condition de vassal umugerergwa de la famille et en devint l’allié en sa qualité de gendre (umukwe). Ensuite, Burumbuke paya au prix d’une cruche de miel et de deux chèvres, le pied de la colline qui lui fut cédé. Cette cession était définitive. C’est à partir du moment où ce second paiement a été effectué que Burumbuke a cessé de fournir des prestations en journées de culture à son beau-père.
En Urundi, le fermier ou client foncier porte différentes qualifications selon l’état plus ou moins prononcé de son servage vis-à-vis du bailleur. Le plus avantagé est l’umukerwa (du verbe gukeba : morceler), il loge soit dans une hutte attenant au rugo (kraal) du patron, soit dans un rugo qui lui est propre ; il possède l’usufruit de bonnes terres et parfois d’une bananeraie appartenant au patron. En contrepartie de la jouissance de ces biens, l’umukeberwa doit à son patron l’exécution de travaux les plus variés : valet de ferme, laboureur, suivant, homme de confiance, messager. Il dispose de l’entière production de ses champs. Bien souvent, l’umukeberwa est le descendant d’une famille qui, depuis plusieurs générations, fut au service de celle de son maître. Le patron fournit parfois les gages matrimoniaux en vue de favoriser le mariage de son client foncier umukeberwa auquel il doit d’ailleurs aide et assistance ; il lui procure les instruments aratoires : serpe, houe ; il le vêt parfois ainsi que les membres de sa famille directe et lui accorde le lait d’une ou de deux vaches. En fait, Y umukeberwa fait presque partie de la famille du patron, aux joies et aux peines de laquelle il doit prendre part. L’umukeberwa n’est chassé que pour motif grave.
Après l’umukeberwa vient l’umugererwa (de kugerera : obtenir une terre en friche), fermier qui peut avoir reçu sa tenure soit d’une autorité indigène officielle agissant en tan t que telle, soit d’une autorité indigène agissant à titre privé sur ses terres personnelles, soit d’un patron foncier privé. Ordinairement, il reçoit une terre en friche qu’il s’engage à mettre en valeur. Il lui est parfois accordé Une petite terre en jachère prête à être cultivée immédiatement, et quelques plants de bananiers, afin de lui permettre d’obtenir des produits vivriers à brève échéance.
De droit, il est le seul bénéficiaire des produits de la terre qui lui a été concédée ; ce n’est donc point un métayer. Les rapports avec son bailleur sont beaucoup plus impersonnels que ceux de l’umukeberwa à l’égard de son patron ; il ne devient pas un familier et sa position est celle d ’un simple locataire.
Après les bagererwa, viennent les bashumba qui ne sont pas des fermiers au sens strict du mot, mais des serviteurs libres dont l’entretien incombe au maître. Ils ne sont pas payés en argent comme les travailleurs journaliers ordinaires, mais en nature ; en outre, ils jouissent d’une parcelle de terre mise à leur disposition par leur maître, parcelle qu’ils cultivent à leur profit personnel. On remplace de plus en plus les bashumba par des travailleurs payés en argent, engagés à la journée, nourris et logés par leur employeur qui ne leur accorde pas la jouissance de terre de culture.
Enfin vient une dernière catégorie de serviteurs, ce sont les banyarugo (litt. ceux de l’enceinte, du kraal). Ils comprenaient :
1° Les bagererwa personnels du chef qui continuaient à servir sa veuve ;
2° Des Bahutu, bagererwa d’ordre politique, possédant leurs propres terres, kraal et habitation, en qualité de fermiers, et dont les services cessaient de plein droit à la mort du chef ou lors de sa destitution. Ils étaient astreints, d’une manière permanente, au service du chef qui les rémunérait en nature ; pratiquement, les banyarugo étaient des serfs. Chez les Barundi non investis d’un pouvoir politique, munyarugo est un terme générique désignant, par extension, tous les serviteurs abakeberwa, abagererwa et abashumba.
Il peut arriver que les fermiers installés par un pasteur soient à la fois ses clients fonciers et ses clients pastoraux si, en vertu du bail à cheptel, ils ont reçu, de lui, du bétail. Lorsque le pasteur quittait la région, ses clients l’accompagnaient pour autant que le bétail reçu fut encore en vie ; sinon, ils demeuraient en place, se désintéressant de leur patron. Comme on le voit, le bétail crée des liens de droit réel et non personnel.
Le client foncier et à cheptel contractait deux espèces d’obligations se traduisant par des tributs et par des corvées. Il est parfois difficile de discerner si les obligations remplies s’adressent au bail à cheptel ou au bail à ferme. Dès lors, il appartient aux Tribunaux d’examiner avec discrimination les cas de ce genre ; il suffirait de voir le mode d’acquisition du terrain en litige par l’une ou l’autre des parties en cause.
S’il s’avère que le terrain fait partie de la propriété du prétendu bailleur, le cas se résoud. Mais une jurisprudence constante du tribunal du mwami du Ruanda, déclare non fermier personnel, le détenteur d’une terre qu’il a reçue de son shebuja, quand ce dernier exerçait un commandement politique. Le fait, pour un chef ou un sous-chef muté, de déplacer ses bagaragu et de les établir dans une nouvelle terre qu’il acquiert en tant qu’autorité politique, ne les institue pas fermiers personnels.
En effet, l’autorité indigène a l’obligation d’installer les gens qui lui en font la demande. Si pour tel ou tel sujet, elle estime pouvoir donner une parcelle de sa circonscription, cette ferme devient un bien de l’installé comme pour tout autre sujet installé dans une ferme en déshérence ou dans une terre vacante.
Pour établir qu’au moment de l’installation il a été noué un contrat de fermage personnel, le bailleur – autorité indigène – doit apporter la preuve de ce que la partie concédée lui était personnelle et non celle qu’il a occupée en vertu de ses fonctions, et fournir, s’il y a lieu, un acte authentique de la renonciation expresse du preneur à son droit d’obtenir une propriété d’ordre politique comme tout autre sujet.
Bornage, superficie et occupation.
Le plus souvent, la ferme est délimitée par le souschef ou par le bailleur en suivant des accidents naturels du terrain, des touffes d’arbres, de roseaux, d’épineux. La limite s’intitule urubibi.
Il n’existe pratiquement pas de tenures agricoles régulièrement abornées au Bugesera, et dans toutes les régions faiblement habitées.
La ferme est d’une superficie variant de quelques dizaines d’ares dans les régions surpeuplées, à plusieurs hectares parfois dans les régions peu denses.
Examinons de près l’aspect de l’occupation des fermes par les indigènes, dans une région typiquement surpeuplée du Ruanda-Urundi ; ensuite dans une autre moins peuplée, en territoire d’Astrida.
Laissons de côté la question des cultures en marais, ces lopins de terre collectifs, intitulés amashiku ne font pas partie des tenures bahutu dont, en règle générale, ils sont assez éloignés.
Kibirizi, Mvejuru : région la plus peuplée du territoire d’Astrida ; le 2-6-44, nous effectuons quelques relevés de fermes à la boussole et au décamètre, en compagnie des intéressés, du sous-chef de l’endroit Kibgana ainsi que du chef du Mvejuru. La région compte 300 âmes au km², il y a donc 33 ares de terrain par habitant. – Mais il faut tenir compte des pâturages (il existe 1 vache en moyenne par contribuable), des reboisements, des routes, des terrains incultes et de ceux occupés par les caféiers et surtout par les bananiers. – Il n’y aura donc pas 33 ares de cultures vivrières par habitant, dans cette région.
1° Ruzibonera, dont les ancêtres étaient déjà installés à l’endroit envisagé, vit sur sa ferme avec sa femme ; son fils, sa belle-fille et leurs quatre enfants, soit 8 personnes au total.
La ferme a une forme triangulaire, elle comporte 3 voisins, donc aucune possibilité d’extension, elle mesure 194 ares. Nous y trouvons, à défalquer : 2 kraals (6 ares), une caféière (3 ares), du terrain en pente abrupte et érodé (10 ares), au total 19 ares. — Nous ne décomptons pas une bananeraie de 18 ares, peu touffue, possédant du sorgho intercalairement ; d’ailleurs, en temps de disette, les bananes à bière sont consommées. Il reste donc pour assurer la subsistance de 8 personnes (194-19) : 8 = 22 ares approximativement par habitant.
Il n’y a donc pas assez de terrain pour permettre aux 4 adultes d’exécuter les prescriptions légales en matière de cultures vivrières : 4 x 60 ares = 240 ares ; en supposant qu’ils n’effectuent pas de jachère.
2° Munyaruyonga. Sa ferme a une forme polygonale, elle est complètement entourée de voisins ; le tout est copieusement planté de bananiers comestibles ou non, et de sorgho intercalairement.
Munyaruyonga y vit avec ses deux femmes et ses quatre enfants, soit 7 personnes au total. En outre, il possède quatre vaches, deux veaux, trois cochons, deux moutons et neuf chèvres. La ferme possède une superficie de 88 ares. Il faut en déduire la superficie d’un kraal (3 ares) et d ’une caféière (3 ares). Il reste pour l’agriculture vivrière 82 ares, soit un peu plus de 11 ares par personne, alors que les 3 adultes devraient avoir sous culture permanente une surface minimum de 180 ares pour satisfaire aux prescriptions réglementaires.
Munyaruyonga a obtenu du sous-chef, des terres à haricots, au sommet de Kibirizi, et des terres à patates douces dans le ravin. D’où perte de temps en déplacements pour les cultiver, et impossibilité, eu égard aux distances à parcourir, de les fumer.
A Runyinya, le 22 juin 1944, région moins peuplée (125 âmes au km²), nous devrions trouver une moyenne théorique de 80 ares par habitant ; mais le pays comporte beaucoup de gros bétail.
1° Habiyambere. Il a reçu sa ferme de Seruzamba, ancien sous-chef local ; il lui est impossible de s’étendre vers l’Est, à cause d’un obstacle, mais installé au milieu de pâturages, il lui est loisible de propager ses cultures dans d’autres directions, ce qu’il ne manque pas de faire sans s’intéresser de l’opinion du chef actuel. Habiyambere vit avec sa femme, son fils aîné, une veuve et 8 enfants, soit 12 personnes au total. La ferme normalement cultivée, y compris les terrains en jachère, mesure 320 ares dont il faut déduire 9 ares pour deux kraals et trois ares pour une caféière.
Il reste 308 ares pour les cultures vivrières, soit 25 ares par personne, ou 77 ares par adulte.
2° Rukimirana a reçu sa ferme de Rugabagaba, ancien sous-chef de l’endroit, lequel lui en indiqua les limites. Rukimirana vit sur sa ferme avec sa femme et ses cinq enfants, soit 7 personnes ; il possède une vache et un mouton.
L’isambo mesure 122 ares, dont 3 ares pour le kraal ; il reste 119 ares pour les cultures vivrières, soit 17 ares par habitant. Rukimirana et sa femme ne trouveront pas de quoi satisfaire leurs obligations légales : 2 X 60 ares = 120 ares.
A l’Est, le terrain tombe à pic ; aux autres points cardinaux, Rukimirana a des voisins ; ses possibilités d’extension sont donc nulles. Nous trouvons en territoire d ’Astrida, les moyennes suivantes, par habitant : 22 ares, 11 ares, 25 ares et 17 ares.
C’est nettement insuffisant pour assurer l’alimentation normale d’une population qui sait un régime alimentaire végétarien. Aussi, qu’il arrive un événement imprévu, mildiou, sécheresse, etc., et c’est la catastrophe.
Tributs et corvées dus au titre de fermage.
Entre personnes privées.
RUANDA.
Au Ruanda, comme en Urundi d’ailleurs, les coutumes concernant le fermage sont d’une grande diversité et marquent une singulière faculté d’adaptation aux différentes situations qui peuvent se présenter ; en outre, le taux du fermage varie de région à région.
Généralement les locataires perpétuels doivent à leur bailleur une ou deux journées de travail par semaine, ainsi qu’une ou deux cruches de bière par an.
Le preneur a reçu mie bananeraie:
Dans ce cas, il s’entendra avec le bailleur qui fixera le nombre de prestations hebdomadaires ou d’autres charges en vivres dénommées urutete (panier), ancienne mesure politique pour la perception des redevances en nature fournies aux autorités indigènes. Les bailleurs l’ont adoptée pour déterminer les obligations des preneurs. Le fait se dénomme gusoka. Le contrat peut être enregistré au tribunal indigène local pour éviter toute contestation ultérieure.
En fait, le preneur était sujet du bailleur et ne dépendait pas de l’autorité indigène pour la question foncière.
Il n’a reçu qu’un terrain inculte:
Il sera soumis par le bailleur à certaines obligations. Ces dernières ne seront pas établies ou fixées au même taux que celles frappant celui qui a reçu une bananeraie. Le preneur à bail a le droit d’y installer son habitation, d’y planter soit des arbres ou des plantations de bananiers et toutes cultures utiles.
Le loyer peut être en argent, en journées de travail, ou en tribut annuel. Il est payé à l’expiration de chaque année, ou à des époques déterminées par les parties. Les tributs en nature sont payés après la récolte saisonnière de sorgho ou de haricots.
Au Bukonya (Ruhengeri), l’établissement ne donnait pas lieu à redevance initiale. Lorsque la terre était mise en valeur, le tenancier donnait une houe et un panier de la denrée récoltée annuellement à son propriétaire. Actuellement le tenancier, installé dans les terres d’un détenteur foncier lui fournit deux jours de travail par semaine, redevance locative semblable à celle pratiquée dans les territoires d ’Astrida et de Nyanza.
Au Bugarura (Ruhengeri), les vieillards précisent que :
On évitait de demander au tenancier (umugererwa) établi dans les terres de cultures d’un membre du clan de participer à l’ikoro, sinon il eut été considéré comme apparenté à la famille. Ce tenancier versait une redevance annuelle à son bailleur. Il était donc considéré comme un locataire.
Au Gihunya (Kibungu), la redevance coutumière d’un agriculteur installé dans une ferme est de 10 heures de travail par semaine qu’il effectue à volonté en une ou deux journées.
Au Mvejuru (Astrida), un are de terrain se loue de 8 à 15 F selon la qualité du sol. La redevance coutumière de 2 jours de corvée par semaine est très vivace en territoire d ’Astrida. Il s’agit d’une règle purement muhutu. Une pratique d’agriculteur à agriculteur ; la rareté des terres dans la région du Bwanamukali renforce encore cette coutume foncière.
A Cyanzargwe (Bugoyi — T. Kisenyi), la contribution qu’acquitte actuellement un chef de foyer étranger au clan possédant, est en moyenne de 50 F par hectare et un pot de bière, les tenures sont en moyenne de 2 ha. Mais environ 30 % des locataires ne payent rien, car ils sont depuis longtemps englobés dans la famille.
Voici le tableau des redevances et prestations foncières des tenanciers de Karinda (Bugoyi — T. Kisenyi).
Mazigaba : 250 F par an et quatre jours de corvée par mois ;
Bazigira : 40 F par an ; S
Shamavu : 30 F par an ; Miruho : 20 F par an ;
Rurakabije : 15 F par an ;
Semahinja : 10 F par an ;
Gatambara : quatre jours de corvée par mois ;
Gasereganya : quatre jours de corvée par mois
Au Bushiru (Kisenyi), le taux de redevance acquittée par le tenancier au propriétaire foncier était de 4 houes et 2 cruches de bière tous les 4 ans. Le détenteur d’une ferme dans le domaine de Mihigo acquitte en outre une moyenne de vingt journées de corvée par an. En général, il amène un certain nombre de membres de sa famille et s’acquitte en une ou deux fois de cette obligation.
Le bailleur disposait toujours, surtout s’il était pasteur, du droit de paître son bétail dans les jachères de ses fermiers.
Evolution du droit.
Suite aux réformes apportées par les autorités européennes en matière de redevances foncières aux chefs indigènes, les fermiers se détachent de plus en plus de leurs bailleurs, ils finissent par se considérer tenanciers des chefs précités, et parfois réellement propriétaires de leur ferme.
Déjà, dans l’ancien droit coutumier, les Bahutu installés par le pouvoir politique dans le domaine d’un éleveur devaient des redevances et des prestations au chef de la terre umutware w’ubutaka ou w’intebe, ou à son mandataire.
Gasharo (Kigali), l’évolution de la coutume foncière, sous l’influence des directives de l’administration européenne, a procuré à des indigènes l’usage exclusif de leur ferme. Ils n’acquittent plus de prestations ni de redevance au maître du domaine primitif, mais uniquement aux autorités indigènes officielles.
Au Buyaga, la redevance en vivres, qui constituait l’essentiel des obligations du locataire, est tombée en désuétude et est remplacée par l’obligation de fournir deux journées de travail au cédant du fonds. Le caractère familial de l’exploitation foncière est remplacé par un individualisme de plus en plus grandissant.
URUNDI.
En Urundi, le fermier umugererwa devait consacrer la moitié de son temps en services divers au profit de son patron, c’est-à-dire deux jours sur les cinq que comportait la semaine coutumière, le cinquième était consacré au repos. En principe, il ne peut lui refuser aucun service. Il le remplace dans l’exécution des travaux imposés, il entretient ses clôtures, ses huttes, laboure ses champs, procède aux récoltes, veille la nuit sur le bétail, entretient les bananeraies, brasse la bière, etc. Il doit, en outre, offrir périodiquement de la bière à son patron, en guise d’hommage et de reconnaissance (ishikanwa).
Le patron a intérêt à ne pas se montrer trop exigeant, car il risquerait de perdre ses fermiers toujours libres de le quitter. Il n’en demeure pas moins que les avantages que le patron retire, ont semblé excessifs au Conseil du Mwami de l’Urundi ; en 1952, 10 membres préconisèrent de fixer le nombre des jours de corvée à un seul par semaine calendrier, tandis que sept autres suggéraient de s’en tenir à deux jours par semaine. Signalons à ce sujet que le 12 novembre 1951, le tribunal du Parquet du Ruanda a prononcé l’annulation d ’un jugement du Tribunal du mwami du Ruanda autorisant l’imposition de deux journées de corvée par semaine à un fermier, estimant que ce fait constituait une coutume, contraire à l’ordre public, eu égard au respect dû à la personnalité humaine. Le même jugement a admis que celui qui, de l’accord du propriétaire, occupe un terrain appartenant à autrui, peut en être expulsé par le bailleur, à défaut d’exécution des prestations coutumières.
En outre, le fermier devait une redevance en nature à son bailleur, redevance constituant dîme sur les récoltes, ou umwimbu (de kwimbura: emmagasiner, récolter en faveur de quelqu’un), forte d’un panier de dix à quinze kg de sorgho par an.
Comme au Ruanda, le bailleur disposait du droit de faire paître son bétail dans les jachères de haricots, pois, maïs, sorgho, etc., de son fermier.
Fermage dû aux autorités indigènes et évolution du droit.
Ce fermage comporte les tributs et corvées dus aux autorités indigènes par les fermiers qu’elles ont installés à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions politiques, et éventuellement par leurs fermiers personnels. Nous avons déjà passé cette question en revue à l’occasion de l’examen général des tributs et corvées dus aux bami, chefs et sous-chefs.
Résumons qu’au Ruanda ces prestations comportaient en ordre principal la corvée ou ubuletwa consistant en deux jours de travail par semaine coutumière de cinq jours, corvée due par le fermier chef de famille au profit du patron foncier chef de la terre umutware w’ubutaka ou sous-chef. L’Administration ramena cette corvée, le I er janvier 1932, à trois jours par an au profit du chef et à dix jours par an en faveur du sous-chef ; ces journées de corvée sont actuellement rachetées par une contrevaleur en argent. Les tributs en vivres comprenaient, sous le nom générique d’ibihunikwa (ce qui se place en grenier), un panier à claire-voie urutete de quinze kg de sorgho en épis et une charge de huit kg de pois ou de haricots, dite ipfukire, enveloppée dans des feuilles de bananiers. Ces tributs en vivres n’étaient dus que par les seuls chefs de famille. L’Administration les ramena, le 1er janvier 1932, à un kg de pois ou de haricots et à deux kg de sorgho au profit du souschef, à deux kg de pois et à quatre kg de sorgho au profit du chef. Ces tributs sont également rachetés en argent à présent.
Au Ruanda, les bananeraies faisant partie des terres des fermiers d’obédience politique ou personnelle de l’autorité indigène, étaient taxées de la prestation inyambike : régimes de bananes prélevés par des sélectionneurs abatora, envoyés à cette fin dans les bananeraies par l’autorité locale qui usait de ces régimes pour son ravitaillement personnel et celui de sa suite. L’exigence de cette prestation fut interdite par ordre de service 2213 du 26 décembre 1924 du Résident du Ruanda.
Cette prestation ne fut jamais rachetée.
Toutes ces prestations allaient au chef de terre umutware w’ubutaka et à ses mandataires.
En Urundi, l’ingorore dû en bétail à l’autorité indigène instituée comprenait parfois :
Ingorore y’ubwishikira : redevance due au chef pour l’octroi d’une terre, son payement mettait le redevable à l’abri des corvées et tributs exigés par le sous-chef.
Ingorore de succession: dû au chef par l’héritier afin de faire reconnaître ses droits en revendication sur les biens du de eu jus.
Ingorore y ’itongo: redevance due pour l’octroi d’une terre arable.
L’umwimbu (du verbe kwimbura: emmagasiner, récolter en faveur de quelqu’un) était la redevance due, annuellement, par chaque chef de famille et non par individu. Elle consistait non en bétail comme l’ingorore, mais uniquement en produits de la terre. Elle n’était due à l’autorité indigène que par leurs fermiers directs politiques ou personnels ; les fermiers relevant de patrons fonciers privés n’avaient de redevances à verser qu’à ces derniers. Les Bahutu se trouvant au service personnel du mwami et des chefs en étaient exempts. L’umwimbu consistait habituellement en une charge ou panier de sorgho, dénommé urutete, d’un poids de 10 à 15 kg et d’au moins deux cruches de bière : l’une, imbonero, destinée au chef ou au mwami, l’autre, ipfufu, destinée au personnel de ces autorités. Les cruches de bière supplémentaires, ou irari, étaient facultatives, mais toujours bienvenues. En fait, le mwami ne percevait l’umwimbu que dans ses fiefs personnels ; partout ailleurs, il en laissait la perception aux chefs locaux. L’umwimbu est actuellement racheté sous le nom d’inkuka et d’ikoro, ce dernier vocable étant d’introduction récente en Urundi.
A côté de l’umwimbu se trouvait la corvée forte de deux journées de travail sur les cinq que comportait la semaine indigène, cette prestation est également rachetée à l’heure actuelle, sous le nom d’itegeko (de gutegeka: commander, ordonner). Dès 1927, cette corvée fut ramenée à trois jours par an au profit du chef et à dix jours au profit du sous-chef.
Au Ruanda comme en Urundi, bami, chefs et souschefs détenaient un droit éminent de pacage sur les jachères de pois, haricots, maïs et sorgho, sur toutes les terres de leurs fermiers politiques et personnels.
Les éteules de sorgho et de maïs (ibishakara, ou ibisigati si elles ont une saveur sucrée) qui rejettent dès les premières pluies de saison sèche vers le quinze août, et les jachères de pois (ibishazashaza), de haricots ram pants (ibiharaharage — Ur.), de haricots à rames (ibiharoharo — Ur.) où l’herbe, faute d’avoir été sarclée avant la récolte, a pu pousser aisément, constituent des pâtures de choix pour le gros bétail lors de la saison sèche. Aussi les patrons fonciers, et tout spécialement les chefs et les sous-chefs, se les sont-ils réservées. L’on ne pourrait arguer qu’elles appartiennent de droit aux agriculteurs qui les ont mises en valeur, car les patrons fonciers, en leur concédant la ferme, se sont explicitement sinon implicitement réservé la pâture des jachères en vertu d’un usage coutumier immémorial. Les chefs et les sous-chefs disposent du droit de concéder ces jachères en tout ou en partie contre une redevance intitulée ingorore y’ibishakara (Ur.) et consistant pour les riches pasteurs, en une génisse annuellement.
L’organisation de la pâture des éteules s’intitulait, en Urundi, gutegura (apprêter) ibishakara ; cette opération se déroulait chez les fermiers non éleveurs ou abarimiramfizi (de kurima: cultiver; imfizi: taureau — d’où ceux qui cultivent pour nourrir, par après, le bétail sur leurs terres). Un simple détenteur de bétail n’était pas autorisé à paître son bétail dans ses propres jachères avant que celui du chef ou du sous-chef n’y fut passé, il ne pouvait y paître son bétail qu’en second lieu (kuragira umukura : paître le bétail dans les restes).
L’éleveur ayant obtenu, contre redevance au chef, le droit de pâture des éteules portait le nom de bénéficiaire umukurikizi ou umuragira ku mfizi. Il était également possible d’acquérir directement d’un fermier umurimiramfizi la jouissance de ses éteules en seconde pâture contre des redevances en bières versées au gardien du troupeau du chef.
Le recensement umuteguro w’imfizi, des jachères de sorgho était opéré chaque année par un délégué du chef qui établissait le calendrier de l’ordre dans lequel la pâture des éteules devait s’opérer. A l’heure actuelle, ce recensement semble tombé en désuétude, de même que le rachat du droit de pacage des éteules. Néanmoins, les chefs ont conservé le droit de paître leur bétail dans les jachères des non-éleveurs ; les sous-chefs se le sont arrogé également. Un simple éleveur ne peut plus, à présent, paître son bétail dans les éteules d’un tiers contre le gré de ce dernier.
En 1952, le Conseil du Mwami de l’Urundi fut unanimement d ’avis que celui qui a effectué une plantation de sorgho notamment, possède le droit de disposer à titre exclusif de la pâture qu’offre les éteules, soit pour les besoins de son propre bétail, soit gratuitement ou contre redevances au profit du bétail d ’autrui.
La situation du pacage dans les jachères et éteules de sorgho est sensiblement la même au Ruanda : il appartenait aux autorités indigènes ou aux patrons fonciers pasteurs. En 1951 on vit même en territoire d ’Astrida, des autorités indigènes, se basant sur le droit coutumier ancien, obliger leurs administrés à leur verser un rachat, variant de cent à cent cinquante francs, pour pouvoir paître leur bétail dans leurs propres jachères de sorgho. Cette exigence parut abusive ; néanmoins, la question n ’est pas tranchée jusqu’à présent.
L’imposition à tous les hommes adultes et valides d’un taux uniforme de tributs et de corvées tire sa base dans le sain esprit de justice distributive qui ne cessa d’animer l’administration européenne dans l’exécution de sa tutelle au Ruanda-Urundi. Elle eut pour résultats de diminuer les charges qui pesaient uniquement sur les chefs de famille, de les répartir sur tous les membres des circonscriptions indistinctement, d’en assurer le contrôle aisé, et, enfin, avec leur rachat, d’empêcher toute exaction de la part des notables.
Cette uniformisation contribua également à mieux asseoir l’autorité des notables sur leurs administrés. Mais le nouveau système eut également pour conséquence de taxer des personnes qui auparavant n ’avaient aucun loyer foncier à payer aux autorités indigènes en droit coutumier ; il atteint notamment les chefs de domaines fonciers amakonde conquis directement sur la forêt, et leurs fermiers personnels ; les chefs de domaines fonciers pastoraux indépendants qui en tous cas n’étaient jamais astreints à la corvée, et leurs fermiers personnels ; et enfin tous les fermiers dépendant directement de bailleurs privés. Pour les uns, il en résulta une taxation nouvelle, tandis que les autres eurent désormais à parer à une double taxation l’une au profit de leur patron foncier personnel, et la nouvelle au profit de l’autorité indigène. Aussi les fermiers eurent-ils tendance à se détacher de leurs bailleurs privés pour ne reconnaître comme maîtres que les chefs batutsi, et à agir comme s’ils avaient acquis une certaine indépendance dans leur ferme, indépendance qui se traduit actuellement par des ventes foncières sans solliciter l’autorisation préalable des bailleurs originels.
Résolution du contrat et éviction du fermier.
Celle-ci se produit à la suite de malentendus graves surgissant entre le bailleur et le fermier ou suite au refus réitéré de ce dernier de verser le fermage convenu ; à moins que le bailleur n’ait besoin de terre pour luimême ou pour y installer ses fils mariés.
L’éviction du fermier était surtout fréquente lorsque le pouvoir concédant appartenait au cadre des autorités indigènes officielles, c’est-à-dire mutusi. Elle était causée non seulement par suite d’une faute quelconque, une simple peccadille du fermier, mais aussi par la fantaisie de l’autorité poursuivant la satisfaction d’une vengeance à caractère personnel ou, enfin, pour favoriser l’installation de certains privilégiés, tels que parents, amis et clients pastoraux. Cette spoliation était précédée d’un avertissement consistant en l’arrachement symbolique d’une touffe d’herbes couvrant la hutte ou de la pointe agasongero la surmontant.
La ferme confisquée en Urundi était qualifiée d’inyurgwa. Tout recours du fermier auprès du mwami était habituellement voué à l’échec.
Dans l’ancien droit coutumier du Ruanda-Urundi, le déguerpissement du fermier pouvait se décider sur simple injonction du bailleur et sans payement d’aucune indemnité pour le degré de mise en valeur du terrain ni pour le rachat des habitations et des plantations pérennes ou saisonnières réalisées.
Le Conseil du Mwami de l’Urundi a admis, en 1952, que l’action en déguerpissement ne pouvait être entreprise qu’après une tentative de conciliation à l’amiable et qu’en tout état de cause, il ne devait être ordonné qu’à l’intervention des juridictions indigènes. Il décida également que le fermier avait droit à toute la récolte des cultures en cours, ainsi qu’à une indemnité du fait de la mise en valeur du fonds s’il l’avait loué à l’état de friche, et enfin à une indemnité compensatoire pour le rachat des immeubles qu’il y laissait : huttes, caféiers, arbres, bananiers, etc.
Au Ruanda, lorsque des bananiers avaient été plantés sur le terrain, le preneur laissait le tout entre les mains du bailleur qui en conservait la propriété, de même que celle des arbres plantés par le fermier, sans avoir à payer d’indemnité à ce dernier.
Cette méthode cadre-t-elle encore avec l’esprit actuel ? Dans chaque cas, le tribunal doit examiner si l’expulsion est fondée et peser les torts de chacune des parties.
Si le bailleur tient absolument à l’expulsion du fermier, il convient d’examiner si le preneur a planté des arbres ou des bananiers sur le terrain. Dans ce cas, une indemnité compensatoire s’impose, en appliquant l’idée de l’enrichissement du bailleur en matière contractuelle.
A présent, le bailleur ne peut congédier le fermier sans juste motif mais sur décision du tribunal qui apprécie si le preneur a manqué à ses obligations. Dans ce cas, le tribunal entend les parties et examine le bien fondé des revendications du bailleur. Si ce dernier devient exigeant, le tribunal fixe au preneur le loyer à payer suivant l’étendue du champ. A ce moment, il appartient au preneur de se décider s’il continuera l’exploitation du terrain ou s’il l’abandonnera.
Bail à ferme à court terme Kwatisha.
Ce bail s’intitule kwatisha (du verbe kwata: diviser en différents lots qui prennent le nom d’ibyati). En règle générale, ce bail est sollicité par des indigènes agriculteurs qui ne possèdent pas suffisamment de terres arables à leur disposition immédiate ; à moins qu’ils ne désirent mettre en valeur des terres situées dans une région d’altitude différente de la leur, et qui leur permettent d’autres récoltes. Ainsi, au Rwerere (T. Kisenyi) à 2.000 et 2.300 mètres d’altitude ou Rukiga, où les terres conviennent spécialement bien à la culture des pois, des indigènes de basse altitude ou mayaga, viennent y louer des parcelles pour une saison agricole de neuf mois, mais renouvelable. Ailleurs au Ruanda, la durée du bail à ferme de courte durée est également d’une saison agricole ; mais on y recherche fréquemment la location de champs situés en bordure, ou dans les bas[1]fonds, en prévision des cultures de saison sèche. Il arrive fréquemment qu’un cultivateur se trouve à l’étroit dans sa ferme qu’il a presque entièrement plantée de bananiers qui lui sont d’un haut rapport en bière ; il éprouve alors la nécessité de louer, chez des voisins, un lopin de terre pour y effectuer ses cultures vivrières.
Au Ruanda, ce contrat est couramment pratiqué par les indigènes, de sous-chefferie à sous-chefferie, et même de chefferie à chefferie limitrophes.
Cet état naît du fait que dans telle ou telle sous-cheffe[1]rie ou chefferie, on y récolte mieux, par exemple, les pois ou le sorgho. Les habitants des environs qui n’ont pas les mêmes récoltes vont louer des terres dans cette région pour la culture de ces produits qui leur manquent et qui ne se récoltent pas ou presque pas dans leur région.
Non seulement cette circonstance oblige les amateurs à chercher des terres à louer, mais la pénurie de terres de labour oblige les cultivateurs à passer souvent ce contrat.
En Urundi, le fermage de courte durée porte égale[1]ment sur une saison agricole d’environ neuf mois : le temps d’effectuer une emblavure de haricots suivie d’une culture de sorgho. Une cruche de bière, accordée par le fermier au bailleur, amorce les pourparlers. La remise d’une autre cruche, intitulée umubando (d’ikibando, gros bâton avec lequel on bat les épis de sorgho) ou inzoga y ’ubwatsi (bière de redevance pour la tenure), prélude aux récoltes. Le loyer proprement dit se compose d’une ou de plusieurs houes ; il est dû anticipativement et à chaque reconduction du bail. Le loyer peut parfois se payer par prélèvement sur la récolte effectuée par le fermier ; dans ce cas, il s’agit de métayage.
Le contrat de location est conclu en présence de témoins sans que l’autorité publique en soit nécessairement avisée.
Pour éviter toute contestation à ce sujet, il est conseillé aux indigènes de passer le contrat devant les tribunaux locaux et d’obtenir un acte authentique ou acte de notoriété.
Lorsque la terre louée est inculte, le fermier ne paie rien pour la première année mais ne commence à payer le prix convenu qu’à partir de la deuxième année.
Quant au taux du fermage, il varie, d’une part, suivant l’étendue du champ, et d’autre part, selon l’emplacement du terrain. Le taux maximum pour le fermage est d’une chèvre ou de deux houes pour une période de neuf mois, soit environ deux à trois cents francs et au minimum trente francs. Ce loyer est fixé entre les parties. A ce jour, il n’existe aucune coutume précise réglant le taux du loyer, il varie de région à région au Ruanda-Urundi.
Au Busanza (T. Nyanza), le prix de location d’une parcelle de 10 ares, à défaut de dîme sur la récolte, est de 35 F ou d’une houe pour deux récoltes.
Au Mvejuru (Astrida), un vieillard loue sept ares de bonne terre au tarif réduit de 20 F par année agricole ; une veuve loue 9 ares de bonne terre au tarif de 80 F par an. Un indigène loue 23 ares d’excellente terre au prix de 250 F par an.
Dans le cas de bail à ferme à court terme, le fermier ne possède pas le droit d’établir une habitation et des cultures pérennes sur le terrain loué, il ne peut entreprendre que des cultures saisonnières : pois, haricots, sorgho, maïs, éleusine, patates douces, par exemple.
Le contrat arrive normalement à expiration à l’échéance du temps convenu, mais il peut être résilié d’office si le locataire ne paie pas le fermage ; en ce cas, le bailleur l’empêchera de labourer la terre concédée sur simple sommation verbale.
A l’expiration du contrat de bail, les parties peuvent prolonger le délai pour une nouvelle durée qui sera déterminée entre parties en observant les usages locaux. Toutefois, elle est fixée par le bailleur qui peut faire connaître à quelle date il compte reprendre son champ en exploitation.
La notification de résiliation doit être faite avant que le labour ne soit commencé. Dans le cas contraire, le déguerpissement signifié au fermier au moment où il aurait commencé le labour du champ ne serait pas valable, à moins qu’il ait agi en dépit de la notification antérieure du bailleur ou en contravention avec les termes de leurs engagements. De même, le fermier pourra donner congé à son bailleur après une récolte.
Au moment du payement du loyer, les parties peuvent s’entendre sur la prolongation du contrat ou son expiration.
En cas de mort du fermier, le contrat est héréditaire, pour autant que son héritier veuille bien prendre à sa charge les engagements contractés par le de cujus ; en effet, la mort ne constitue pas une cause de résiliation.
Contrat de fermage Gufuha.
Ce contrat est toujours conclu pour une durée indéterminée, il est héréditaire. Le preneur remet d’abord au bailleur une caution consistant ordinairement en une chèvre et deux houes. A chaque récolte et à chaque brassage de bière, s’il s’agit de la location d ’une bananeraie, le fermier doit en remettre une partie au bailleur. Le jour où le bailleur réclame son terrain au fermier, il doit lui restituer le gage remis lors de la conclusion du contrat. Ce contrat de fermage donne souvent lieu à des disputes et à des procès car lors de la demande de restitution du gage, le bailleur demeure souvent passif.
La sous-location.
Les preneurs à bail perpétuel, peuvent sous-louer à bail de peu de durée, une partie de la propriété leur concédée (kwatisha).
L’autorisation du propriétaire n’est pas requise, mais il est convenable de l’en aviser, pour que le sous-locataire ne puisse prétendre dans l’avenir à un achat.
Les preneurs à bail de peu de durée, ne peuvent pas sous-louer le champ concédé. Cependant, s’ils ne peuvent exploiter le champ qu’ils avaient loué, il leur est loisible de passer le contrat à un tiers qui s’entendra avec le bailleur.
Dans le cas où le contrat est stipulé pour trois ans par exemple, et qu’il le résilie après une durée d’un an, le preneur peut passer le contrat à un tiers pour le terme qui reste à expiration.
Terres mises en gages Ingwate.
L’hypothèque est un droit réel dont est grevé un immeuble pour garantir le payement d’une créance. Au Ruanda-Urundi, il arrive parfois qu’un débiteur remette à son créancier, en présence de deux ou trois témoins, tout ou partie de sa bananeraie en rapport, au titre de gage ; l’intérêt de l’hypothèque ainsi constituée est réalisé par la récolte, dont profite le créancier, de toute la production de la partie de la bananeraie engagée, aussi longtemps que l’apurement de la dette n ’est pas éteint. Les biens ainsi placés en gages passent, par succession, aux héritiers du créancier.
Prêt de terre.
Ce prêt n’est soumis à aucune obligation de la part du bénéficiaire, il est régi par le bon vouloir et les rapports d’amitié des intéressés.
Échange de terres.
i) Champs. — En règle générale, l’échange ne porte que sur des champs de qualité et de superficie équivalentes, mais consacrés à des cultures différentes ; par exemple l’un de basse altitude et l’autre de haute altitude. Ce genre d’échange ne revêt parfois qu’une durée limitée.
ii) Fermes. — L’échange de fermes avec les plantations et les habitations qu’elles comportent, semble de plus en plus fréquent en Urundi ; il est provoqué bien souvent par suite de la mésentente régnant entre l’un des tenanciers et l’autorité indigène locale. La différence de valeur des fermes échangées est compensée par des versements en espèces ou en bétail. Ce genre d’échange est définitif. Il s’opère parfois de sous-chefferie à sous-chefferie, voire de chefferie à chefferie.
iii) Terres des femmes et des enfants.
En Urundi, ces terres s’intitulent icibare c’umugore, pour la femme, et icibare c’umwana pour l’enfant ; au Ruanda, umulima w’umugore, akalima k’umwana. En fait, il ne s’agit que d’une simple tolérance de jouissance que le chef de ménage concède aux siens, dans sa propre ferme. Femmes et enfants disposent librement du produit de leurs cultures afin de se procurer, soit par le troc, soit par la vente, différents articles qu’ils convoitent : bière, tabac, bracelets, colliers, tissus, etc. Il arrive parfois que même mariée, la femme conserve la jouissance du champ qu’enfant elle reçut de ses parents. Chez les Batutsi, et spécialement dans les maisons royales, certaines femmes, concubines, princesses et reines, recevaient le commandement de terres dont la production agricole et le bénéfice du pacage leur revenaient pour la plus grande partie.
Terres dotales des femmes.
Dans le milieu des agriculteurs bahutu du nord-ouest du Ruanda et spécialement au Mulera où elle est générale, on rencontre la pratique de doter la fiancée d’un champ intekecwa qui tombe sous la juridiction du mari. Toutefois, il convient de faire remarquer que le mari, qui accepte une terre dans cette condition, se place dans une situation d’infériorité vis-à-vis de sa femme qui ne manquera pas de lui rappeler, à chaque scène de ménage, qu’il vit sur un bien qui appartient à sa famille.
La dotation de terres à la jeune femme n’est pas exclusive aux Bahutu mais se retrouve également dans le haut milieu mututsi. Sous le règne de Cyilima-Rujugira, Mashyendegeri résidant au Nduga (T. Nyanza) épousa Mitunga, fille du mwami précité qui lui apporta en cadeau de mariage la province du Budaha (T. Kibuye).
En Urundi également, le beau-fils pouvait recevoir une terre intitulée indaro, de son beau-père ; notamment dans les domaines récemment défrichés en forêt.
En Urundi, une princesse de sang royal, Nandabunga, fille de Mwezi Gisabo, reçut la chefferie du BuyenziBweru (T. Ngozi) qu’elle commanda elle-même avec le titre de Muganwa et dans laquelle elle disposait de terres pour les besoins de son ménage et de sa domesticité. Elle se maria à deux reprises, son second mari, un simple Mututsi Munyakarama, s’appelait Inabukere. Le mari n’avait ici aucune participation au commandement. En cas de décès de la femme, les terres personnelles de celle-ci lui demeuraient acquises. Par contre en cas de divorce, il en était évincé.
Aliénabilité des propriétés et des baux à ferme par la vente.
La vente des propriétés et des baux à ferme a toujours existé entre indigènes au Ruanda-Urundi. En voici quelques exemples puisés dans l’enquête foncière effectuée en 1952 au Ruanda. Au Bukunzi (T. Shangugu), Bideri vendit en 1950, à Ntawigena, un champ de trente ares pour la somme de 400 francs. Mutigita vendit en 1950 une ferme prélevée précédemment à son profit par le chef Gitefana dans le domaine public inkungu, pour la somme de deux mille francs. En 1924, Bapfakurera acheta à Gacondo un champ d’environ quatre ares, au prix d’une chèvre et de deux houes, Bapfakurera donna également une houe au nommé Sebarera, chef de famille de Gacondo, qui soumit son accord à la vente. On trouva une vente identique à Muhondo (Kigali) ; les notables de Muhondo déclarèrent que les ventes de très petites parcelles ne sont pas rares, mais ne sont autorisées qu’à titre d’échange et de réajustement de tenures foncières. Les ventes de champs importants sont interdites par le pouvoir politique mututsi ; néanmoins, d’après les informations recueillies, il existerait actuellement une tendance marquée à la vente de parcelles sinon de propriétés entières. Au Bukunzi toujours, en 1926, Nshunguyinka vendit une bananeraie de quatre ares au Mututsi Rwanyagapfumu au prix d’une chèvre ; en outre, l’acheteur remit une houe au chef de famille. Nyagahakwa vendit à Rwamihigo un champ de 45 ares pour 900 francs ; Kamegeri vendit, en 1936, un champ de 7 ares pour 160 francs tandis que son chef de famille recevait 5 francs ; Njege vendit en 1950, 15 ares de terrain à Ngaruyinka pour 400 francs ; Njege vendit pour une somme de 550 francs, à son profit personnel en sa qualité de chef de famille, un petit champ de neuf ares trop exigu pour être partagé entre ses quatre héritiers présomptifs. Au Bukunzi, l’usage a toujours autorisé les membres des familles à vendre leurs terres en tout ou en partie ; il incombait au chef familial d’autoriser cette cession, elle se faisait autrefois contre des chèvres et des houes, aujourd’hui, contre argent. Toutefois, les notables batutsi, imbus des théories du droit mututsi du Ruanda central, ont contrarié cet usage qui empêche la formation, au profit de leurs commandements, du domaine public inkungu. Au Busozo (Shangugu), les chefs de famille s’opposaient aux ventes de terres et n’en autorisaient que la location. En 1953, au Mvejuru (T. Astrida), un hectare de bonne terre se vend 6 à 7000 francs avec les végétaux qu’il comporte : bananiers, etc.
En Urundi, l’acquisition des baux à ferme par voie d’achat a toujours été pratiquée, mais cette modalité est devenue plus fréquente de nos jours. On exige actuellement que les transactions soient enregistrées devant les tribunaux indigènes. Dans l’ancien droit coutumier de l’Urundi, la faculté de vendre une ferme n’était reconnue au tenancier que pour autant qu’il continuât à résider au sein de la chefferie. Autrement, le fermier ne pouvait rien vendre des biens immobiliers qui se trouvaient sur sa terre. Pareille transaction eut été sans valeur ; en effet, sa terre et tout ce qu’elle portait : habitations et végétaux, rentraient dans le fonds domanial et le chef en disposait comme d’une terre inoccupée ; il pouvait, de droit, s’en réserver le bénéfice. A présent, tout Murundi peut quitter sa sous-chefferie ou sa chefferie après avoir vendu valablement sa ferme, à condition toutefois que la cession soit enregistrée. La vente de la ferme qu’un fils a reçue de son père, doit recevoir l’agrément préalable de ce dernier tant qu’il est en vie. Quelle est la situation des fermiers soustraitants installés sur la ferme vendue ?
L’achat n’implique jamais un droit quelconque sur la personne des tenanciers : abakeberwa, abagererwa et abashumba, l’acquéreur peut exiger leur déguerpissement. Mais cette éviction ne peut être réalisée actuellement qu’après payement d’une indemnité équitable compensant les habitations et les végétaux que les tenanciers ne peuvent emporter. Il peut arriver que ces derniers désirent offrir leurs services au nouveau maître. En droit coutumier, ils n’avaient de prétention à émettre que sur la propriété des récoltes en cours au moment de la vente. Bien souvent les abakeberwa suivaient leur patron dans son déplacement, tandis que les abagererwa demeuraient sur place.
La question se pose sur le point de savoir quand la vente concerne une propriété et quand elle regarde un bail à ferme ; à moins qu’elle ne porte tout simplement sur la cession des habitations et des cultures se trouvant sur un terrain déterminé.
Le Munyarwanda, sous obédience mututsi, n’était pas propriétaire au vrai sens du mot, il n’était qu’un locataire, un fermier à qui il n’était pas permis d’aliéner la terre concédée. Dans le système actuel, le droit coutumier mututsi ne s’oppose plus à la vente des biens se trouvant sur le fonds, mais à l’aliénation du fonds.
Il semble que chez les vrais pasteurs, il n’existait jamais de ventes, même partielles, de pacages, et qu’elles n’étaient pratiquées que dans les milieux bahutu en ce qui concerne les terres de culture seulement.
La généralisation à tous les hommes adultes et valides du payement des redevances locatives au profit des autorités batutsi, pourrait amener à poser le principe qu’il n’existe plus à présent de vente de propriétés individuelles, mais uniquement des cessions, à titre onéreux, de baux à ferme.
Pour savoir si l’on a affaire à l’heure actuelle à une vente d’une propriété ou à la cession d’une ferme, il s’agira chaque fois de l’examen d’un cas d’espèce.
1° La partie cédante tenait sa terre soit elle-même, soit par héritage, d’une autorité indigène officielle qui concéda le bien à l’occasion de l’exercice de son mandat politique ; ou bien la partie cédante est fermière d’un bailleur relevant lui-même d’une autorité mututsi ; dans ces cas, il y a vente d’un bail à ferme et non d’une propriété ;
2° La partie cédante tenait son bien d’un chef clanique propriétaire lui-même d’un domaine ubukonde conquis sur la forêt et auquel elle payait loyer et devait solliciter l’accord préalablement à la cession ; dans ce cas encore, il y a cession d’un bail à ferme ;
3° Enfin, la partie cédante avait acquis son bien d’un patron foncier privé ou d’un chef de domaine ubukonde auquel elle ne fournissait plus aucune redevance et ne devait plus solliciter l’accord préalablement à la cession ; dans ce cas, l’on peut affirmer qu’il y a réellement vente d’une propriété.
Mais il est hors de doute que ces distinctions échappent à l’esprit peu critique des indigènes.
Succession foncière.
Les règles relatives à la succession des biens et contrats fonciers seront exposées à la section relative à la dévolution des biens par voie successorale.
Tous les baux à ferme sont transmissibles, de droit, par voie de succession, il arrive toutefois qu’un héritier renonce à la reconduction d’un contrat de fermage à court terme eu égard au prix élevé du loyer ou à l’éloignement du terrain.
La succession foncière est, en principe, patrilinéaire ; ce n’est qu’exceptionnellement qu’une fille, en l’absence d’héritiers masculins, pourrait recevoir l’héritage d’une terre.
Même si une femme cultivait à son profit personnel, du vivant de son mari, un champ icibare c’umugore (Ur.) prélevé sur la ferme maritale, elle ne pourrait en revendiquer la propriété lors du décès de son conjoint. De droit, la veuve possède l’usufruit des terres maritales jusqu’à la majorité de ses fils, ceux-ci lui en laisseront d’ailleurs la jouissance jusqu’à sa mort, dans la limite de ses besoins ; en principe, la veuve conserve durant toute sa vie, la jouissance de la hutte conjugale. La veuve ne pourrait pourvoir à la distribution des terres qu’elle occupe en usufruit sans l’autorisation du chef de famille, de l’exécuteur testamentaire et éventuellement du conseil de famille. Dans cet ordre d’idées, la veuve peut sous-louer les biens dont elle dispose. Personne ne peut évincer une veuve des biens qu’elle détient en usufruit ni aliéner ces biens, la condamnant à péricliter dans la misère. Aucune règle de droit coutumier n’oblige la veuve à demeurer sur les terres maritales : elle pourrait parfaitement bien retourner dans sa famille ; mais habituellement, elle préférera habiter auprès de l’un de ses fils, surtout s’il s’agit de l’héritier au droit d’aînesse. Dans l’ancien droit coutumier, la veuve pouvait être expulsée des terres maritales si elle refusait de subir la loi du lévirat ; cette conception outrancière tend de plus en plus à être abandonnée sous l’impulsion de nos idées civilisatrices. En principe, la veuve devait quitter son usufruit foncier si elle venait à se remarier à un étranger au clan de son mari ; toutefois la tradition connaît des exceptions à cette règle et la coutume prévoit qu’en pareil cas, tous les biens propres ou aux acquêts de la seconde union entreront dans la masse de la succession du mari défunt. Les enfants nés de la nouvelle union ne pourraient pas hériter des immeubles de ce dernier. Les veuves d’un polygame se trouvent, chacune en ce qui la concerne, dans la même position que la veuve d ’un monogame. Si elles sont établies sur des terres différentes, elles jouiront de leur usufruit chacune selon le lieu où elle résidait au moment du décès du mari. Mais ces terres, dont elles n’ont que l’usufruit, ne seront pas nécessairement dévolues à leurs propres enfants : elles peuvent l’être à l’un ou l’autre des fils du défunt selon les règles du droit coutumier successoral. En fait, on attendra la mort de la veuve avant de pourvoir à la dévolution de la terre qu’elle occupe ; les héritiers ne disposent que d’un droit de nue-propriété.
Il arrive fréquemment qu’un père, de son vivant, dote déjà ses fils, ou quelques-uns d’entre eux, d’une partie de ses terres et même si par après, le fils nanti allait édifier ailleurs sa résidence et ses cultures, les terres reçues de son père lui demeureraient acquises. Voici deux exemples extraits de l’enquête foncière qui fut réalisée en 1952 au Ruanda.
Au Rukiga (Byumba), l’on constata que la ferme d’un nommé Ntawenderundi mesurait 2,25 ha, et que Ntawenderundi a cédé à chacun de ses deux fils 50 ares ainsi qu’un emplacement pour y construire une hutte.
Au Rukoma (T. Nyanza), un fermier qui a donné le jour à trois garçons, a installé l’aîné dans 1 /3 de sa tenure, le second qui se mariera prochainement sera doté d’une superficie équivalente, le père conservera le dernier tiers pour lui et ce, jusqu’à ce qu’il soit incapable d’y cultiver. Cette dernière portion est destinée à son fils cadet encore en bas âge, qui habite avec lui.
Parfois, les terres du défunt sont dévolues dans leur entièreté à l’héritier au droit d’aînesse, mais il arrive fréquemment qu’elles soient divisées entre ses fils. L’usage à Shangi (Impara, T. Shangugu) consiste à partager les terres du défunt en autant de parts qu’il a d’héritiers. L’aîné possède une part supplémentaire appelée ingaligali ; une veuve ou une femme divorcée qui rentre dans sa famille, sera installée dans l’ingaligali ; ailleurs cette part plus importante porte le nom de mugongo (le dos) tandis que les autres prennent celui d’umusaya (morceau).
Il est important de noter que le droit coutumier ne connaît pas la vente des terres, par les héritiers, pour sortir d’indivision.
L’habitation principale du défunt revient à l’héritier au droit d’aînesse, mais il ne pourrait l’occuper que pour autant qu’il en construise une nouvelle pour la femme du défunt.
Les enfants d’une femme répudiée mais épousée après versement des gages matrimoniaux, conservent leurs droits à la succession foncière paternelle.
Les enfants naturels mâles ont-ils un droit quelconque à faire valoir vis-à-vis des biens fonciers de leur clan maternel ? Oui, a répondu le Conseil du Mwami de l’Urundi, en 1952, à une majorité de seize voix contre trois.
En principe, les enfants adoptifs ne participent pas au partage des terres ; toutefois, leur tuteur peut décider en rendant ses dernières volontés, qu’ils y seront admis. Faute d’avoir été compris dans ces dernières volontés, l’enfant adoptif ne pourrait obtenir des terres que sur avis conforme du conseil de famille et non sur décision de l’exécuteur testamentaire.
Si un homme n’a pas d’héritier, il lui est toujours loisible de léguer ses biens à son beau-fils ou à un tiers tel que son patron par exemple ; faute d’avoir exprimé ses dernières volontés en cette matière, les biens du de cujus tomberaient en déshérence dans le domaine public inkungu (Ru.), et l’autorité locale en disposerait à sa guise comme des terres abandonnées.
En cas de déshéritement, le fils maudit perd tous droits aux terres familiales.
Sort des terres abandonnées.
La mise des terres en jachère ikirare (de kurara: passer la nuit) n’est jamais considérée comme un abandon mais comme une simple mise en repos. On donne encore le nom d’indare: passer une saison endormi.
Toute ferme, tout pacage en location, abandonnés suite à la mort ou à l’émigration du titulaire sans laisser d’héritier ou d’ayant-droit, que ce soit dans le régime des propriétés prélevées sur la forêt, dans celui des pacages relevant d’un patron foncier pasteur ou dans les terres sous obédience politique mututsi, retournaient d ’office sous la juridiction du maître du fonds.
Ces terres abandonnées prirent le nom d’inkungu (Ru.), constituées en réserve domaniale nationale par les Batutsi politiques au fur et à mesure de leur pénétration, réserve dont ils s’adjugèrent la gestion à titre exclusif et dans laquelle ils puisent pour satisfaire aux demandes de fermes et de pacages qui leur sont adressées.
En ce qui concerne les fermes abandonnées dans l’ubukonde, il y a lieu de noter que les représentants politiques batutsi, suivant leur politique habituelle d’infiltration et d’accroissement de leur pouvoir aux dépens des autorités familiales autochtones, tendent à limiter le pouvoir des chefs claniques par des règles empruntées à la coutume modifiée à leur profit.
La coutume stipulait qu’un domaine ou une ferme d’ubukonde, même laissé en friche, continuât toujours d’appartenir à son titulaire, qui pouvait subséquemment la réoccuper ou la donner en location. Actuellement les chefs batutsi ont limité l’application de cette règle au profit de leurs commandements. Si un ubukonde tombe en déshérence par suite de l’extinction de la branche familiale qui l’exploitait, ils ne permettent au chef de clan de le céder en location à des tiers que s’il réside dans la limite de leur sous-chefferie. Sinon, ils le déclarent du domaine public inkungu et en disposent d’autorité. Ce fut le cas pour la famille de Mugambi (Rusenyi — Itabire) qui, ayant abandonné son ubukonde primitif à la sous-chefferie Tema, le trouva occupé par des agriculteurs que le pouvoir politique y avait installés, et ne put en recouvrer la possession. Les Batutsi politiques agirent de même à l’égard des domaines pastoraux.
En territoire de Ruhengeri, une contestation mit aux prises le sous-chef mututsi Kayinamura et le chef muhutu de clan foncier Ruhundwamabi, celui-ci ayant refusé que le sous-chef installe, dans son domaine d ’ubukonde, deux indigènes nouveaux venus sur la colline. Le sous-chef tirant argument du départ de deux fermiers (abagererwa) de Ruhundwamabi prétendait que de ce fait, leurs fermes étaient devenues des biens inkungu et qu’il avait le droit d’en disposer parce qu’elles étaient tombées dans le domaine public de la sous-chefferie. Ruhundwamabi opposait que ce domaine lui appartenait à titre de propriété forestière (ubukonde) et qu’il entendait l’exploiter désormais directement avec les siens. Le conflit mettait ainsi aux prises la conception politique de l’appropriation foncière du droit mututsi, et la conception patrimoniale du droit muhutu des régions forestières.
Le tribunal de territoire de Ruhengeri donna tort au sous-chef, et décida :
1° Que la propriété appartenait totalement à Ruhundwamabi qui était reconnu comme possesseur foncier ;
2° Que le sous-chef n’avait aucun droit de placer dans la propriété d ’autrui des tiers venant d ’une autre sous-chefferie.
Ce jugement nous semble un anachronisme, car le sous-chef ne faisait que suivre une prérogative d’ordre politique en vigueur dans le droit mututsi. En fait, puisqu’il n’apparaît pas que le sous-chef voulait s’accaparer de la terre à titre personnel, il s’agissait moins d’un procès de droits fonciers individuels que d’un conflit d’attributions ; or les droits du conquérant constituent des droits réels de propriété (J) que l’on ne peut ni ignorer ni négliger. A lui seul, ce jugement ne peut d’ailleurs faire figure de jurisprudence, à cet effet il aurait dû être frappé d’appel auprès du tribunal du mwami. A un autre point de vue, le législateur n’a-t-il pas reconnu, par le décret du 3 juin 1906 au Congo belge, comme terres domaniales de l’É tat celles qui ne sont ni habitées, cultivées ou exploitées par les indigènes ; ou qui ont cessé de l’être ?
Jamais un individu, à moins qu’il ne soit héritier légitime, ne peut s’installer de sa propre autorité sur une terre abandonnée. Le Conseil du Mwami de l’Urundi a estimé en 1952 que toute ferme abandonnée depuis plus de deux ans revenait d’office au patron foncier avec tous les immeubles qu’elle comporte : hutte, caféiers, arbres, bananiers, etc., que ce patron foncier soit une personne privée ou une autorité indigène.
Quant aux fermes faisant partie de successions en déshérence directe, le patron foncier exigeait le payement d’un droit ingorore lorsque des parents éloignés du de cujus, grand-oncle paternel par exemple, désiraient en prendre possession en Urundi.
Il est intéressant d’examiner le point de savoir si les terres, faisant partie de successions en déshérence complète, doivent être adjugées aux circonscriptions indigènes conformément à l’art. 57 du décret du 14 juillet 1952.
Les terres occupées par les populations indigènes, sous l’autorité de leurs chefs, continuent d’être régies par les coutumes et les usages locaux. Tel est le texte de l’art. 2 du décret du Roi-Souverain en date du 14 septembre 1886 applicable au Ruanda-Urundi par ordonnance du Gr du R.-U., n° 8 du 8 mars 1927. Il faut donc s’en référer au droit coutumier pour répartir les terres abandonnées. Si, selon la coutume, le sous-chef intervenait, il conserve présentement ce droit qui est en dehors des règles sur la personnalité civile accordée aux chefferies (1). En conséquence, les terres faisant partie d’une succession en déshérence, ne pourraient être adjugées aux circonscriptions indigènes en se basant sur le prescrit de l’art. 57 du décret du 14 juillet 1952 qui stipule que l’actif de semblables successions fait partie des ressources de ces circonscriptions.
Chasse.
Cette question ne revêt que peu d’importance dans un pays peuplé de pasteurs et d’agriculteurs. En principe, c’est le chef seul qui détient les droits de chasse car, théoriquement, tout le gibier appartient au mwami. En fait, chacun chasse où il l’entend, et des battues massives sont organisées à présent afin de lutter contre les animaux déprédateurs des cultures : éléphants, buffles et phacochères. En temps ordinaire, il s’agira de plusieurs individus, parfois de dix ou douze, partant à la chasse dans des régions plus ou moins boisées, en compagnie de leurs chiens traqueurs. Si une bête est mise à mort près de la résidence d’un chef, il est de bon ton de lui offrir une partie de la viande à l’intention de ses chiens. Tout crocodile abattu devait être immédiatement submergé: le dépecer eut fait soupçonner l’auteur de tentative d’envoûtement à l’égard de la famille royale ; en effet, selon la légende, le mwami et sa mère co-régnante étaient censés mourir après avoir absorbé un poison extrait, croyait-on, de ce saurien. Son dépeçage eut entraîné la peine de mort.
La viande des animaux abattus est partagée entre les chasseurs, aucune redevance n’est due au chef à ce sujet, car toute chair qui ne provient pas de la vache est taboue pour les Batutsi. Toutefois, il n ’en va pas de même en ce qui concerne les trophées : les peaux de loutre (inzibyi), d’antilope de marais (impala), de bush-buck (inzobe), de lion (intare), de léopard (ingwe), de colobe (inkomo), de serval (imondo), les pointes d’éléphant (inzovu), et les soies garnissant le garrot du potamochère (ingurube) revenaient, pour en effectuer différents usages, aux chefs et aux bami ; ceux-ci ne manquaient pas de récompenser les donateurs. Au Ruanda, les peaux de léopards et l’ivoire étaient réservés au mwami au titre de redevance politique ikoro (2). Notons à ce sujet que l’ikoro ayant été racheté en espèces depuis le 1er janvier 1932, l’ivoire ne pourrait plus être exigé à présent au titre de tribut obligatoire.
La question des trophées est réglée par le décret du 21 avril 1937. Aucune chasse ne peut être entreprise que sous le couvert d’un permis collectif ou individuel ; au cas où un indigène abattait un éléphant dont les pointes pèsent moins de cinq kg, il devrait les remettre à l’Administration et serait même passible de poursuites judiciaires ; il va sans dire que toutes les pointes provenant d’éléphants abattus sans permis de chasse, sont confisquées par voie de justice.
Les Batwa divisaient la forêt en secteurs de chasse réservés à tel ou tel clan, il leur était interdit de chasser sur les terres d’un autre clan, toutefois ils pouvaient y saisir la bête blessée dans leur secteur.
Pêche.
Les produits de la pêche appartiennent intégralement aux pêcheurs, ni les agriculteurs bahutu ni les pasteurs batutsi ne mangeaient de poisson jusqu’à ces derniers temps ; il n’était péché que par les populations bantoues riveraines des grands lacs et immigrées du Congo belge.
Exploitation des gisements.
Cette exploitation concerne les gisements de minerai de fer inganzo, de kaolin ingwa, d’ocre igituku — agahama, d’argile pour poterie ibumba, de pierres meulières urusyo — ingasire, de pierres à aiguiser irkyazo, de galets-pilons intosho, des salines igitumba, des coquillages amasimbi — ibirezi, etc. Il n’apparaît pas que ces gisements, eu égard à leur utilité publique, aient jamais fait l’objet d’appropriations personnelles, ni de concessions à titre privatif de la part des dirigeants batutsi.
Personne, pas même le chef, ne possède de droits privatifs sur les mines de fer. Tout le monde peut en extraire le minerai ubutare sans avoir d’autorisation à demander. En Urundi, on croyait que le chef qui se serait risqué à prélever une redevance sur l’exploitation des gisements de fer, se serait exposé à une mort prématurée. Néanmoins, il se trouvait des instruments en fer dans le tribut dû au Mwami.
Les salines se rencontrent spécialement dans la plaine de la Ruzizi, il s’agit de dépôts de carbonate de magnésie provenant du lac Kivu. On trouvait des charges de ce sel dans le tribut présenté annuellement au mwami de l’Urundi, il était destiné à l’alimentation du gros bétail.
Utilisation des eaux.
L’utilisation de l’eau des sources amasoko, des eaux chaudes aux qualités curatives amashyuza — ibishuba, des ruisseaux imigezi, des rivières inzi et des lacs, ne fait l’objet d’aucun droit privatif.
Dans les régions, comme à Bugarama (T. Shangugu), où les indigènes pratiquaient coutumièrement l’irrigation des champs, les canaux d’amenée d’eau constituaient des servitudes grevant les terrains traversés. Comme il s’agissait de travaux d’utilité publique, non seulement aucune indemnité n’était due aux détenteurs de ces terrains, mais au contraire, ils devaient apporter leur concours gratuit à la création et à l’entretien des canaux.
Aux passages obligés des rivières importantes et des lacs, s’établit parfois un service de batellerie. Dans l’ancien droit coutumier, les péages amakoro (du verbe guhoza) revenaient aux chefs politiques qui commettaient des surveillants abatasi (espions) aux différents passages. Pour traverser un fleuve ou un bras de lac, le passager devait payer au passeur d’eau une dîme prélevée sur les produits qu’il transportait : vivres, tabac, anneaux de parure, etc., ou acquitter le prix du transport en nature. Bien que cette dîme fût acquise, en principe, au chef local, les bateliers avaient beau jeu pour s’enrichir à ses dépens. Les barques étaient parfois pleines à couler, tant les passeurs étaient âpres au gain.
A présent, le service public des passages d’eau est bien souvent assumé par les circonscriptions indigènes, à moins que des ponts n’aient été construits.
Utilisation des sentiers.
Le Ruanda-Urundi précolonial ignora complètement la construction des chemins et a fortiori des routes ; les sentiers Inzira se traçaient d’eux-mêmes au passage des piétons. En aucun cas, ces sentiers ne font l’objet de droits privatifs : tous les indigènes et le bétail peuvent les emprunter librement, même s’ils traversent des terrains occupés. Il arrive parfois qu’un sentier se crée brusquement suite à des passages répétés au travers d’un champ, le détenteur de ce dernier tentera d’abord d’interrompre le trafic en posant des branches d ’épineux ; si ce moyen se révèle inefficace, il recourra ensuite à la pose de pièges d ’ordre magique.
Il est d’usage, lorsque l’on circule nuitamment auprès d’habitations, de signaler sa présence par des chants. L’omission de cette formalité pourrait amener l’habitant à se croire l’objet d’une attaque imminente ou d’une tentative de vol qui l’autoriseraient à exercer son droit de légitime défense.
Exploitation des végétaux spontanés.
Chacun pouvait, en principe, se procurer librement les végétaux spontanés qui lui étaient nécessaires : coupes indispensables aux défrichements, bois odoriférant, bois de chauffage, bois de construction, bois nécessaire à la réalisation des pirogues, des instruments de ménage ou de parure, à la fabrication du charbon de bois ; herbes nécessaires à la confection des vanneries, des huttes, des kraals, des parures, du sel ; roseaux, papyrus, bambous, fruits spontanés, pour autant que ces matériaux ne se trouvassent point sur un fonds grevé de droits privatifs de culture au profit de tiers, ni sur un cimetière royal. Ces matériaux étaient prélevés dans les forêts naturelles, les savanes, les broussailles, les marais et les terrains vagues.
Les boisements naturels, notamment d’imisavi, inclus dans des fermes appartiennent de droit au bailleur qui en concède la jouissance au fermier. On vit récemment un ancien chef, en territoire d’Astrida, prélever une taxe pour l’abattage d’imisavi, parmi ses fermiers.
Si un apiculteur a accoutumé de placer ses ruches dans un arbre déterminé, personne ne pourra le couper car il sera considéré comme étant devenu sa propriété.
Certains arbres comme l’umuvugangoma (podocarpus) appartenaient au roi seul, car ils servaient à la confection des tambours, insignes du pouvoir.
En Urundi, c’eut été un sacrilège de la part des initiés au culte de la divinité chthonienne Kiranga que d’abattre les érythrines imiko considérées comme antidémoniaques ou imirinzi (gardiennes magiques).
Le bois odoriférant umugeshi (faux santal) entrait, sous forme de bûches imibavu, dans la composition du tribut ikoro remis au mwami et à ses mandataires, ainsi que certains objets de boissellerie et de vannerie.
Eu égard à la rareté du bois dans la plupart des régions du Ruanda-Urundi central, les chefs batutsi s’en réservaient souvent la coupe en des endroits déterminés par eux.
La puissance tutélaire a dû réglementer le droit de coupe du bois dans les forêts naturelles qui étaient menacées de disparition à bref délai du fait des défrichements inconsidérés opérés par les agriculteurs bahutu.
Exploitation des marchés.
Le marché s’intitule iguliro (de kugura : acheter, vendre). Les marchés indigènes ont existé de tout temps. L’on pouvait s’y procurer, par la voie du troc, les produits de l’élevage, de l’agriculture, de la cueillette et de l’artisanat : taurillons, vaches Tréhaignes, moutons, chèvres, viande de boucherie, bière, sel, bois, pois, haricots, sorgho, patates, éleusine, maïs, houes, pipes, pierres meulières, vans, paniers, manches de houes, objets de parure, etc. Certains marchés revêtent toujours une importance extraordinaire : ils sont fréquentés par des milliers d’acheteurs, de vendeurs et de badauds.
Des dîmes amahoro étaient perçues sur les produits exposés en vente, au profit du détenteur du terrain sur lequel se tenait le marché, elles apparaissent comme une taxe locative. Ainsi, les dîmes prélevées au marché de Mushwira près de Nyundo (T. Kisenyi) étaient remises au chef du clan foncier ubukonde des BagwabiroBasinga, par l’intermédiaire de surveillants qui considéraient par ailleurs leur charge comme une source d’inépuisables prébendes à leur profit personnel. Les taxes perçues consistaient en une houe pour la vente d’une vache, un bracelet en cuivre pour une chèvre ou un mouton, le boucher devait livrer un petit quartier de viande umusaya, le marchand de tabac offrait cinquante feuilles sur mille, le potier une cruche sur sept. Les surveillants exigeaient encore une dîme d’environ un kg de vivres par panier de haricots, pois, éleusine, sorgho, maïs, patates ; d’un fagot de bois, ils extrayaient trois ou quatre bûches ; ils prélevaient une gourde de bière à chaque cruche de bière.
Avec l’occupation européenne ces taxes furent progressivement prélevées en argent, puis elles tombèrent en désuétude et l’on peut affirmer que les transactions sont maintenant entièrement libres sur les marchés coutumiers.
Propriété des constructions.
Les huttes, kraals, greniers, appartiennent de droit à celui qui les a construits pour son propre usage et sur les terres duquel ils ont été érigés. En principe, on ne peut rien construire sur un fonds où l’on ne possède aucun droit réel.
Ces constructions appartiennent si bien à leur occupant qu’il arrive fréquemment d’assister au déménagement d’une hutte par le propriétaire aidé de ses amis, vers le lieu d’une nouvelle résidence.