Les Juridictions Indigènes Modernes Chez Banyarwanda Et Barundi
Les Allemands, dont l’occupation du pays fut toute nominale, pratiquant une politique de stricte administration indirecte, ne se préoccupèrent pas de la Justice indigène dont ils laissaient tous les rouages entre les mains des autorités autochtones ; les bami conservèrent ainsi leur droit de vie et de mort sur leurs sujets, droit qu’ils exerçaient d’une manière aussi constante qu’arbitraire.
Dès leur arrivée en 1916, les Belges supprimèrent ce pouvoir exorbitant des bami ; ils implantèrent immédiatement leur Code pénal et une organisation judiciaire européenne pour la répression des délits de droit commun. Les litiges civils divisant les autochtones demeurèrent de la compétence des autorités coutumières ; le fonctionnement des juridictions indigènes eut pour base légale l’article 4 de l’ordonnance législative du 6 avril 1917 du Commissaire royal dans les territoires de l ’Est africain allemand, occupés par la Belgique. Ce texte très laconique reconnaissait aux bami, le droit de rendre la justice dans la mesure et de la manière fixée par la coutume et les instructions du Commissaire royal, titre que portait à cette époque le haut fonctionnaire administrant le territoire du Ruanda-Urundi. C’est donc, par de simples décisions administratives basées sur la coutume, que le fonctionnement de ces juridictions fut assuré.
Mais l’on s’aperçut rapidement des multiples inconvénients que présentait une administration de la Justice laissée entièrement entre les mains d’autorités indigènes qui se laissaient guider par leur bon plaisir et la prévarication ; de plus, étant illettrées, il n ’était pas tenu attachement des sentences rendues et les plaideurs recommençaient inlassablement les litiges tranchés. Le rapport annuel de 1925 sur l’administration du RuandaUrundi faisait remarquer que « beaucoup de chefs se désintéressent de leur fonction judiciaire et laissent les plaignants se traîner à leur suite pendant des semaines et des mois. Ou bien, leur sentence rendue, ils ne se préoccupent nullement de la faire exécuter. Ou encore, ils décident, au mépris de tout droit, en faveur du plus riche, de celui qui les paie le mieux. Au début de l’occupation belge, les indigènes n’osaient pas se plaindre. Ils se sont enhardis depuis et encombrent les postes de leurs réclamations, souvent justifiées ».
En conséquence, l’Administration prit elle-même en mains l’examen des litiges civils indigènes : le règlement des palabres fit partie de la besogne quotidienne des administrateurs de territoire. Ceux-ci actaient la plainte, convoquaient le défendeur et son chef, demandaient à ce dernier pourquoi la palabre n’avait pas été tranchée ou l’avait été mal, interrogeaient, au sujet du droit coutumier, soit le chef du défendeur soit d ’autres chefs présents au poste, décidaient en conséquence, et faisaient exécuter la décision. A Shangugu, on dispose de statistiques dès l’année 1922 : 30 affaires inscrites et jugées au tribunal indigène de territoire en cette année. Quinze juridictions semblables existaient au RuandaUrundi en 1924.
Organisés par voie de décisions administratives et du mwami, ces tribunaux connaissaient des affaires dans lesquelles les autochtones étaient défendeurs, quand les demandeurs étaient Banyarwanda, Barundi ou indigènes des Colonies voisines. Présidés par des chefs indigènes, ils étaient compétents en dernier ressort pour les contestations dont la valeur ne dépassait pas cent francs ou une tête de bétail ; présidés par l’administrateur du territoire, leur compétence était portée à 1000 francs ou 10 têtes de bétail. Ils connaissaient en premier ressort de toutes les autres affaires. Ils pouvaient édicter des peines de un mois de servitude pénale et de deux cents francs d’amende ainsi que des peines de servitude pénale subsidiaire ne dépassant pas sept jours. Les peines privatives de liberté étaient subies dans les locaux de détention du Gouvernement. Ces juridictions étaient présidées par des juges, chefs autochtones, dans tous les cas où l’administrateur n’avait pas à siéger personnellement ; le président était assisté d’assesseurs et d’un greffier indigènes.
Un tribunal indigène du pays siégeait à la résidence de chaque mwami et connaissait notamment, en appel, des sentences rendues par les juridictions de territoire ; il était présidé par le mwami, voire par le résident ou son délégué, en cas de nécessité.
En 1926, 2.706 affaires furent tranchées au Ruanda et 1619 en Urundi. Le tribunal indigène de territoire se composait d’un juge, de cinq assesseurs et d’un greffier ; les amendes et les frais étaient versés au Fonds du Mwami qui subsidiait la lutte contre les famines. Il arriva souvent que l’administrateur territorial présidât cette juridiction.
Le pouvoir de condamner à la détention fut enlevé en 1929 aux juridictions indigènes.
Le Gouverneur général du Congo belge et du RuandaUrundi signa en date du 5 octobre 1943 une ordonnance législative n° 348/AIMO organisant les juridictions indigènes au Ruanda-Urundi d’une manière complète. Cette ordonnance a fait l’objet d’un commentaire très intéressant ; elle sera passée en revue dans le corps de la présente étude.
Droit pénal. — Droit civil.
Auteurs, coauteurs et complices.
Les subtiles distinctions établies par notre Code pénal, Livre I, à l’égard des auteurs, co-auteurs et complices étaient inconnues du droit coutumier ancien.
Qu’ils fussent co-auteurs ou complices, tous les participants à une infraction étaient passibles d’une répression identique pour chacun, répression calquée sur celle punissant l’auteur du délit perpétré.
L’auteur moral d’une infraction, l’umugambanyi, qui avait présidé le conseil inama préalable à l’exécution, était puni en qualité d’auteur, même s’il n’avait pas pris part au délit.
Toutefois, le devin umupfumu qui avait désigné la personne supposée coupable d’envoûtement, laquelle payait bien souvent cette divination de sa vie, n’était jamais poursuivi.
- Droit actuel.
Les juridictions indigènes n’appliquant les coutumes qu’en ce qu’elles ont de conforme à l’ordre public, doivent évidemment s’inspirer des règles reprises au Code pénal en cette matière
Tentative punissable d’infraction.
Droit coutumier ancien.
Celui-ci connaissait parfaitement la tentative punissable d’infraction, et la réprimait comme un délit accompli, hormis la peine de mort. C’est ainsi que le voleur mis en fuite après avoir pratiqué l’effraction d’un kraal contenant du bétail, s’il n ’avait été tué sur le champ, se voyait appliquer non seulement toutes les peines prévues pour la soustraction frauduleuse de bovins, mais en outre, était condamné au paiement de dommages-intérêts à l’égard de l’occupant du kraal.
- Droit actuel.
Les juridictions indigènes peuvent appliquer l’ancienne coutume pour autant qu’elle ne soit pas contraire à l’ordre public universel.
Concours de plusieurs infractions.
Droit coutumier ancien. Le coupable était puni pour chaque infraction en particulier sans ramener le total des peines à un maximum quelconque.
Le coupable, selon le prescrit de l’article 25 de l’O.-L. 348 du 5-10-1943, doit être puni pour chaque infraction en particulier, mais le tribunal indigène compétent doit réduire le total des servitudes pénales ou des amendes prononcées à deux mois et à deux mille francs maximum, respectivement.
Condamnation conditionnelle.
Cette modalité de la condamnation est inconnue du droit coutumier.
Des circonstances aggravantes, atténuantes et élusives d’infraction.
Droit coutumier ancien.
Bien qu’il n’existe en langue indigène aucune expression spéciale pour traduire ces diverses circonstances, en fait, les juges en tenaient largement compte, à leur manière. La coutume accordait une importance plus ou moins grande à l’infraction commise, moins en raison de son caractère objectif qu’en raison des circonstances subjectives, eu égard non seulement à la personne du coupable, mais encore à celle de la victime, et, dans certains cas spéciaux, aux modalités de temps dans lesquelles certains actes avaient été posés.
a) Circonstances aggravantes : La récidive incorrigible.
Le vol de gros bétail commis de nuit dans les dépendances d’une hutte habitée.
Le vol de vivres, et de récoltes sur pied, même en quantités minimes, commis en période de famine.
Toute infraction de meurtre, coups, injure, calomnie, moquerie, félonie commise à l’égard des autorités instituées et surtout du mwami ; le simple fait d’être suspecté, suite à une délation, suffisait pour perdre la vie.
Le crime commis sur des êtres sans défense, comme la femme ou les enfants d’autrui, surtout s’ils étaient parents ou alliés de hauts personnages.
La gravité du tort ou de la perturbation sociale réelle ou supposée provoquée par l’infraction, soit en matière politique, soit dans le domaine des tabous : interdiction de procréer en période de deuil national, de travailler, d’accoupler les animaux sous peine de mort.
b) Circonstances atténuantes :
La folie.
L’ivresse, pour autant qu’il n’y ait pas eu homicide.
Le degré d’envoûtement prétendu par l’auteur.
La plus ou moins haute position sociale.
La qualité de client d’un grand personnage.
c) Circonstances élusives d’infraction :
L’exercice des droits paternels en matière de suppression d’enfants difformes, de filles-mères, etc.
Le vol, pour certaines catégories de personnes, tels les Banyamugogo, gardiens des cimetières des bami, les membres des familles de voleurs de bétail protégées par la Cour, comme ceux surnommés Abagenza nka ; sous le règne de Cyilima Rugwe, les Abakamba avaient également obtenu la faveur de voler impunément des bovins.
La haute personnalité du coupable.
Mwami et chefs pouvaient tuer à leur guise, même pour leur bon plaisir, sans avoir à répondre de leurs crimes (x) ; au contraire, les parents de la victime devaient offrir un cadeau au coupable en signe d’absence de toute haine. Nous savons par ailleurs, de science personnelle que tous, chefs et sous-chefs, n’hésitaient jamais à spolier leurs gens, à les chasser de leurs biens, à les accabler de corvées excessives, à exiger d’eux, en pure concussion, des biens et des sommes qui ne leur étaient pas dus. Tous ces délits de droit commun se passaient dans l’impunité la plus complète ; bien plus, les autochtones ne songeaient même pas à se plaindre, toute doléance eut été vouée non seulement à l’échec auprès de l’administration indigène, mais aurait suscité des représailles imprescriptibles. En conclusion, l’on pouvait vérifier constamment la réalité des deux adages : « selon que vous serez grand ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » et par ailleurs, « les loups ne se mangent pas entre eux ».
Tous les justiciables sont maintenant égaux en droit devant les tribunaux indigènes qui tiennent compte de circonstances aggravantes, atténuantes ou élusives d’infraction d ’une manière objective, telles que la gravité du délit, la mauvaise intention, la récidive, le jeune âge, l’ivresse involontaire, l’absence de discernement, etc. En cette matière, il est à noter l’évolution heureuse de la compréhension des juges qui estiment à présent que la peine doit être proportionnée à la gravité de la faute, et l’amende en rapport avec l’état de richesse du coupable.
La prescription des litiges civils, des infractions, de tout manquement et des peines est inconnue de la coutume. La mort du coupable non puni n’entravait point l’exercice du droit de vengeance sur les biens. Seul le mwami pouvait interdire cet exercice.
En vertu de l’art. 27 de l’O.-L. 348, les juridictions indigènes sont tenues de respecter les règles coutumières ; toutefois, pour le cas où des faits seraient à la fois connus par la coutume et par la loi écrite comme les vols, les coups et blessures, et pour tous ceux qui sont dévolus spécialement à ces juridictions par le législateur, les tribunaux sont tenus de s’inspirer des règles du droit écrit concernant la prescription. Par ailleurs ils ont marqué une tendance formelle, à plusieurs reprises, d’admettre la prescription en matière civile, notamment à l’occasion des contestations foncières.
Responsabilité délictuelle et quasi délictuelle.
Hormis le cas de circonstance élusive d’infraction due à la haute personnalité de l’auteur, ou à sa qualité de devin n’ayant fourni qu’une simple indication sur la personne du coupable présumé, on était responsable non seulement des dommages que l’on commettait soi-même, mais encore de ceux commis par ses enfants, femmes, serviteurs, clients et animaux.
C’est ainsi que si un enfant incendiait une hutte, par inadvertance :
Son père devait aider à la reconstruire et à reconstituer les biens qu’elle abritait ;
Il devait soigner les personnes brûlées ; En cas de mort d’homme, lui et les siens devaient payer le prix du rachat du sang, faute de quoi une vendetta s’en serait suivie.
Si un chien tuait une chèvre, le propriétaire du chien devait la remplacer ou payer des valeurs équivalentes. Si un chien avait mordu une personne, son maître était tenu au payement de dommages-intérêts. Si le bétail avait détruit des plantations, le pasteur du commun devait dédommager les préjudiciés.
Si au cours d’une chasse, un chasseur blessait ou tuait un compagnon, il était tenu de payer des dommages-intérêts ; s’il y avait inimitié entre la victime et l’auteur, celui-ci était immanquablement soupçonné d’homicide.
Le serviteur umushumba, en Urundi, qui blessait ou tuait involontairement quelqu’un en abattant des arbres pour le compte de son patron, n’était pas civilement responsable de son acte, il incombait à son patron de pourvoir aux indemnisations coutumières.
Par contre, le propriétaire d ’une hutte menaçant ruine qui y accordait l’hospitalité, n ’était pas tenu responsable des conséquences de son écroulement pour l’hôte : celui-ci ayant eu l’occasion de se rendre compte de l’état des lieux avant d ’y entrer.
Les grandes lignes du droit coutumier ancien ont été conservées mais la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle a été étendue à tous les justiciables.
Les Peines.
Buts poursuivis et caractère de la peine par la répression, dans l’ancien droit coutumier.
But social.
Le but essentiel poursuivi par la peine est avant tout d’ordre social, il ne vise pas seulement à la punition du coupable, mais tend à assurer l’équilibre et la sauvegarde delà société selon les conceptions, souvent superstitieuses, de l’époque. D’où les nombreuses applications de la peine de mort et du bannissement. Étaient appelés à disparaître. :
Les insurgés vrais ou supposés, contre l’autorité investie ;
Les criminels (ou leurs parents) et les voleurs ;
Les enfants monstres, ceux des filles-mères, les filles enceintes, les enfants conçus au cours d’une période de deuil ; les incestueux, les filles aux seins non développés (impenebere) , certains jumeaux, etc. ;
Ceux qui accomplissaient un acte de vie, culture ou rapports sexuels, durant une période de deuil national en faveur du mwami, etc.
Aspect collectif.
En principe, les peines corporelles étaient appliquées au coupable ; toutefois, en vertu de la mentalité collective, n’importe quel membre de la famille du criminel, voire celle-ci au complet, pouvait payer de sa tête la peine de mort décidée contre le condamné ; la peine frappait donc indifféremment les coupables et les innocents.
La même responsabilité collective existait en ce qui concerne le payement des amendes compensatoires des frais, des restitutions, des dommages-intérêts : toute la famille du condamné était tenue d ’y collaborer.
Large réparation des torts causés.
La peine civile apparaît comme une réparation du tort causé, aussi large que possible, d’où le système de duplication, de triplication. En conséquence, les peines appliquées variaient selon l’état de richesse de la famille du coupable. A moins qu’il ne fut surpris en flagrant délit et tué, le voleur pouvait toujours sauver sa tête par le payement d’une forte amende compensatoire.
Dès lors, la peine de l’emprisonnement instaurée depuis l’occupation européenne du pays, demeure non seulement incompréhensible à l’indigène car n’étant ni un rachat ni une compensation, elle ne suscite guère d ’humiliation ni d ’amendement ; il suffit pour s’en convaincre de compter le nombre de récidivistes peuplant nos établissements pénitentiaires.
Sévérité excessive et confiance relative du justiciable.
Devant la mentalité fruste des justiciables, il fallait prononcer des sanctions exemplaires de nature à faire réfléchir la masse qui ne comprenait que l’exercice de la force. L’ancienne répression nous apparaît revêtue d’un caractère de formidable férocité et de sauvagerie incroyable. Néanmoins, il faut remarquer à son bénéfice que dans les litiges se mouvant entre gens du peuple, la justice tendait à réparer le mal causé par l’octroi de larges dédommagements, exemplaires eux aussi et de nature, eu égard à leur caractère collectif, à inciter les familles à faire l’éducation sociale des nouvelles générations.
Cette conception primitive de la Justice eut l’avantage d’éliminer l’anarchie tant du Ruanda que de l’Urundi, et de permettre la constitution d’États tendant à l’unification.
Les peines étaient acceptées et servilement approuvées par la masse. La plupart des peines capitales exécutées sur sentence royale étaient malheureusement dues à des calomnies, c’est pourquoi un proverbe munyarwanda affirme : « Ntihica umwami, hica rubanda »: Ce n’est pas le roi qui tue, c’est le peuple. Ce dicton nous prouve que malgré toutes les injustices commises, le peuple conservait, dans son fatalisme, un certain sens de la vérité ; aussi, bien que les peines fussent acceptées avec résignation, les indigènes n’en attendaient pas moins de leurs juges qu’ils se montrassent impartiaux.
D’autre part, si les juges étaient parfois partiaux, envers quelques favoris ; il n ’en demeure pas moins que dans l’ensemble, ils s’efforçaient de trancher les différends d ’après les prescriptions de la coutume ; en effet, agir dans un sens opposé, continuellement et méthodiquement, les aurait rendus impopulaires à la masse de leurs administrés.
Catégories des peines répressives.
Il ne doit pas nous étonner, eu égard à l’origine sémitique, croyons-nous, des dirigeants batutsi du RuandaUrundi, de rencontrer ici la même catégorie de peines que chez les Israélites.
Peine de mort.
L’homicide, en vertu de la loi du talion, entraînait la répression par l’accomplissement d’un assassinat dans la famille du criminel, à défaut de pouvoir atteindre ce dernier. On se trouve en présence du droit de vengeance familial — guhora — que pouvait suspendre le mwami dans des cas nettement déterminés.
La peine de mort pouvait également être appliquée par la victime d’un vol sur la personne des cambrioleurs surpris en flagrant délit. Par contre, si le coupable était parvenu à s’enfuir et s’il venait à être arrêté, le préjudicié ne se trouvant plus en état de légitime défense de luimême ou de ses biens, ne pouvait plus le tuer, il devait l’emmener au chef afin d’être jugé ; le tuer avec retard sur les faits, eut été commettre un crime déclenchant l’exercice du droit de vengeance.
Quant aux autres cas, la peine de mort était prononcée, en principe, par le mwami, notamment pour la répression des crimes de lèse-majesté.
Modalités d’exécution.
i) Par la lance, la faucille, la massue en bois ou toute autre arme ;
ii) Par la torture : membres tranchés, le corps était abandonné aux hyènes dans un marais, ou aux chiens ;
iii) Rupture du cou : un étau de lattes de bambou enserrait le cou, on lui imprimait un brusque mouvement de rotation jusqu’à rupture des vertèbres cervicales ;
iv) Dépeçage : la victime, étroitement ligotée, était dépecée, voire simplement scalpée, puis donnée à manger aux chiens ;
v) Crucifiement : le condamné, étendu préalablement le dos contre le sol, comme une peau de vache, était cloué par terre à l’aide de pieux en bois qui le transperçaient aux bras, aux jambes et au milieu du ventre. Cette peine était, en principe, réservée aux voleurs de vivres en temps de famine ;
vi) L’empalement. Un pieu en bois était enfoncé dans l’anus du coupable jusqu’à ressortir par la poitrine, il était ensuite fiché ostensiblement en terre. Cette peine était réservée aux voleurs de gros bétail ou de vivres à l’époque des famines ;
vii) La noyade, dans les rivières, lacs et marais pour les filles-mères ou sans seins (impenebere) et les enfants monstres, naturels ou conçus durant une période de deuil ; dans le gouffre urwobo rwa Bayanga au Bugesera ;
viii) La roche tarpéienne à Nkuli près de Rwankeri — T. Ruhengeri, Ruanda. Au temps de Rwabugiri, certains condamnés à mort étaient précipités du haut de ce rocher ;
ix) Par le feu ;
x) Par l’étranglement.
Peines corporelles.
i) La bastonnade. Étendu à plat ventre sur le sol, la tête et les membres maintenus immobiles par des aides de l’exécuteur, le condamné était frappé à coups de bâton au bas des reins, devant le juge. Primitivement, le nombre de coups n’était pas limité ; par la suite, le bâton fut remplacé par une lanière en peau d’hippopotame, instrument répandu en Afrique centrale par les Arabes esclavagistes. L’ordonnance-loi du 5 octobre 1943 avait maintenu à huit le nombre de coups pouvant réprimer une infraction à la coutume ; cette peine a été abrogée en 1951.
ii) Le ligotage n’était qu’une modalité d’application de l’arrestation préventive. Les bras ramenés derrière le dos étaient étroitement liés à l’aide de cordes mouillées s’insérant autour des coudes jusqu’à ce qu’elles pénétrassent dans les chairs. Le détenu battu, malmené, subissait toutes sortes de brimades.
iii) Mutilation par le feu. Cette peine dont nous avons encore constaté de nombreuses applications par des parents à leurs enfants, voleurs de vivres durant la famine de 1943-1944, consiste à leur introduire les avantbras dans les flammes. Les mutilations présentaient ordinairement un véritable caractère de gravité : les os des doigts étaient parfois à nu.
iv) L’aveuglement. Les yeux du condamné étaient fondus au feu à l’aide d’un fer rouge (umugera). Pour avoir désigné au R. P. BRARD, la mère du mwami Musinga, NyiraYuhi Kanjogera, le nommé Kayijuka, encore en vie, eut les yeux brûlés.
v) Mutilation de certains membres. L’on coupait les pieds et les mains à certains voleurs récidivistes, ou l’organe sexuel au complice d’adultère, voire pour simple proposition. Il s’agit d’une application du principe édicté par la loi du talion, on punit l’auteur en lui amputant le membre coupable.
Peines privatives de liberté.
La détention en tant que peine répressive était inconnue : le milieu indigène ne saurait concevoir le fait d’être logé et nourri à ne rien faire ou quasi rien.
i) Détention préventive. Le plaignant s’emparait luimême du prévenu, procédait à son ligotage, et l’emmenait devant le juge compétent. En fait, le prévenu était privé d’aliments et de boissons, l’arrestation durait jusqu’au moment du jugement qui était rendu, en règle générale, dans la huitaine. Le plaignant et ses amis procédaient à la garde du détenu, aucun local spécial n’étant prévu à cet effet.
ii) Contrainte par corps. — Le condamné était parfois maintenu en état d’arrestation par les soins du plaignant jusqu’à exécution de la sentence.
iii) Travaux forcés : le voleur de récoltes sur pied pouvait être condamné à labourer un champ au profit du préjudicié, de même que l’auteur d ’un incendie devait participer à la reconstruction de la hutte détruite ; c’est la condamnation au rétablissement du statu quo ante.
La spoliation ou confiscation civile du bétail.
Un premier avertissement avec spoliation incomplète — ukwunura — était donné par le patron. Si le client ne s’amendait pas, le patron procédait à la spoliation complète ukunyaga de tout le bétail, concédé ou personnel, de son client.
Le bannissement.
Cette peine appliquée soit à un favori tombé en disgrâce auprès du mwami ou d’un chef, soit à un client déjà puni de spoliation, soit à un agriculteur, consistait en l’expulsion de l’intéressé du ressort territorial occupé par l’autorité rendant la sentence. Le condamné au bannissement perdait tous ses biens immobiliers dont l’usufruit se trouvait dévolu à un homme-lige de l’autorité. En signe matériel d ’avertissement, le chef enlevait la pointe de bois agasongero surmontant la hutte de l’intéressé, ou en arrachait une touffe d ’herbe.
La mort civile.
Cette peine excessivement grave dans ses conséquences personnelles et sociales, a été examinée à l’occasion de la dévolution des biens par voie successorale, au chapitre relatif au déshéritement f1).
L’amende.
En droit coutumier ancien, l’amende icyiru, impongano, etc., ne constituait pas, comme dans notre législation, une peine destinée à réprimer une infraction en elle-même ; l’amende revêtait toujours outre un caractère punitif, celui d’une compensation, d’un dédommagement envers la victime ainsi que celui d ’une rémunération aux juges et assesseurs, et de frais du procès. Les amendes n’allaient jamais à une caisse publique ; prononcées en bovins contre les riches, elles s’exprimaient en chèvres et en houes contre les agriculteurs.
Exemple : l’homicide ayant fait l’objet d ’une suspension du droit de vengeance entraînait l’amende suivante, en Urundi.
a) Dédommagement :
7 ou 14 vaches à verser à la famille de la victime ;
b) Amende et frais de justice ;
2 vaches au chef, en sa qualité de juge-président ;
vache aux assesseurs abashingantahe ;
1 au sous-chef de la victime ;
1 à l’huissier messager mutahe.
Les peines en droit actuel.
Le bannissement est interdit ; la relégation, mesure administrative ne peut être ordonnée que par le Résident ou le Gouverneur.
Le prononcé de la peine de mort et de toute peine corporelle a été enlevé aux juridictions indigènes qui puisent à présent leurs moyens de répression dans l’art. 21 et 26 de l’O-L. n° 348, à savoir :
i) La servitude pénale principale, sans qu’elle puisse dépasser deux mois ;
ii) L’amende, sans qu’elle puisse dépasser deux mille francs ;
iii) La servitude pénale subsidiaire à l’amende, sans qu’elle puisse dépasser quinze jours ;
iv) La confiscation des choses formant l’objet de l’infraction ayant servi à la commettre, ou ayant été produites par elle ;
v) La contrainte par corps d’une durée maximum d ’un mois à l’égard du condamné qui refuse d’exécuter la condamnation civile ou qui n ’obtempère pas à une injonction ou à une défense prononcée par le tribunal ;
vi) Signalons que la détention préventive, qui ne peut excéder un total de huit jours, vient en déduction de la servitude pénale en cas de condamnation.
La saisie conservatoire.
Cette modalité de la mainmise forcée consiste à saisir, sur ordre du tribunal, des biens litigieux revendiqués par le demandeur, biens que le défendeur aurait intérêt à dissimuler, à dissiper ou à détourner frauduleusement. Saisis, ils prennent le nom d’inshinga.no ; ils sont maintenus dans cet état jusqu’au prononcé du jugement.
Le tribunal a la faculté d’ordonner que les biens ainsi mis en garde soient détenus par celui contre qui l’opposition a été formulée ou qu’ils soient détenus par une tierce personne désignée par le tribunal comme gardien ; dans ce cas, cette personne n’a pas le droit de jouir de ces biens ni de leurs produits, comme le lait.
Restitution et dommages-intérêts.
Celui-ci prévoyait, dans la réparation des torts causés, non seulement la restitution mais également l’octroi de larges dommages-intérêts s’élevant jusqu’à deux ou trois fois la valeur de l’objet contesté ; c’est la duplication et la triplication.
Vocabulaire :
Inkando (du verbe gukanda: masser, guérir) désigne le dédommagement accordé à un blessé.
Indishyi y ’akababaro (indishyi vient de kuriha: remettre, restituer; akababaro : douleur, tristesse, regret) désigne les dédommagements moraux.
Indihano (de kuriha : restituer) : restitution.
Impelekeza (de guherekeza : accompagner) : désigne les dommages-intérêts en duplication ou en triplication qui accompagnent la restitution proprement dite.
Umunani (litt. le huit : rien dans le droit coutumier ancien ne permet d’établir que l’objet revendiqué dans un litige ait jamais donné lieu, lors du jugement, à une multiplication par huit. On se trouve en présence d’une extension du vocable umunani dans le sens de quote-part. Partie des dommages-intérêts dévolue à un demandeur. Par extension, le terme umunani fut étendu à tous dommages-intérêts, quelle que fut l’infraction commise.
Exemples : Homicide : 7 ou 14 vaches, plus une vache y ’icimbaguzo (pour creuser la tombe), plus un taurillon yo kuca ugutwi (pour couper l’oreille) appelé encore yo gukaraba (pour se laver les mains). Le sang de ce taurillon était mélangé à de la bière bue en commun, par les familles adverses qui s’y lavaient également les mains, puis en mangeaient la viande, en signe de réconciliation.
Coups sans gravité : dix rangs de perles. Perte d’un bras : une vache pleine. Perte d’un œil : un taurillon. Perte d’une main, d’un pied : une génisse.
Dans l’évaluation des dommages-intérêts, les juges indigènes tenaient compte :
De l’importance du préjudice ;
De la richesse du condamné et de sa famille ;
De la position sociale du préjudicié.
Eu égard à cette dernière conjoncture, le payement des dommages-intérêts pouvait aller jusqu’à se retourner contre la victime ou les siens. Ainsi, en Urundi, on estimait, quand le roi tuait, que la victime était coupable et méritait son sort ; en effet, le roi ne pouvait mal faire et la famille du défunt envoyait une très belle vache au royal meurtrier tant en signe de soumission que pour lui faire savoir qu’elle ne se rendait point solidaire de la victime. Ceci fait songer à la fable de La Fontaine se terminant par la morale : « Vous leur fîtes, Sire, en les croquant, beaucoup d’honneur ».
Les juridictions indigènes allouent d’office les dommages-intérêts. Elles puisent leur pouvoir de prononcer des restitutions et des dommages-intérêts dans l’article 20 de l’O.-L. 348 qui stipule : « Les tribunaux indigènes appliquent les coutumes, pour autant qu’elles ne soient pas contraires à l’ordre public universel ». En fait, elles s’efforcent de prononcer maintenant des dédommagements objectifs, représentant l’équitable compensation des torts subis.
Notons qu’en vertu de l’article 19 de la même ordonnance, les juridictions européennes, lorsqu’elles siègent en matière répressive, peuvent renvoyer au tribunal indigène, soit la connaissance de l’ensemble d’un litige déterminé, soit de l’action civile seulement.
Payement des frais de procédure.
La Justice indigène n’était jamais gratuite, le plaignant devait toujours commencer par la remise de cadeaux divers ibikoba, consistant surtout en cruches de bière, aux juges et aux assesseurs, ceux-ci ne touchant aucune rémunération officielle ; ces dons ne lui étaient jamais remboursés, même s’il avait eu gain de cause. De son côté, le prévenu, afin de se concilier les bonnes grâces du tribunal, ne manquait pas d’y aller également de ses cadeaux. Il s’ensuit que la justice coutumière en arrivait rapidement à devenir concussionnaire, corruptible et arbitraire.
Les juges, assesseurs, greffiers, messagers et policiers sont rémunérés par les caisses administratives des circonscriptions indigènes ; sous peine de poursuites judiciaires, ils ne peuvent rien recevoir ni percevoir à titre personnel de la part de leurs justiciables, pour motif judiciaire. Quant aux frais d’inscription et de procédure, ils sont tarifés par les résidents, en vertu de l’art. 31 de l’O.-L. 348. Sauf indigence prouvée et admise par le résident, il ne peut être procédé à aucun acte à la demande d’une partie si elle n ’a, préalablement, consigné la taxe pour l ’inscription de l ’affaire entre les mains du président ou du greffier.
Tous les frais sont supportés par la partie succombante ; par conséquent, le plaignant qui a consigné la taxe d’inscription en est remboursé, s’il gagne le procès.
En outre, selon le prescrit de l’art. 32 de l ’O.-L. 348, la partie succombante doit payer un droit proportionnel de 4 % sur toutes les sommes et valeurs adjugées par le tribunal. 269. Responsabilité collective.
En vertu de la mentalité collective régissant les sociétés primitives, la famille, tant au sens strict qu’au sens étendu, était tenue responsable de tous les payements incombant au condamné. De même que lors de l’exercice du droit de vengeance, ce n’était pas nécessairement le coupable qui se trouvait atteint mais n’importe lequel de ses parents masculins, de même le payement des amendes, dommages-intérêts, restitutions et des frais incombait au clan, voire au patron pour son client et au maître pour son serviteur, rendus solidairement responsables par la coutume.
- Droit actuel.
L’amende, en vertu de la loi écrite, est une peine d ’ordre strictement individuel ; toutefois, il est constant de voir les parents et alliés du condamné se cotiser librement afin de l’aider dans le payement des diverses sommes dues par lui.
Transgressions, différends, infractions et leur répression.
Droit coutumier ancien et jurisprudence actuelle. Les juges connaissaient des :
i) Délits politiques ;
ii) Délits d’ordre magico-religieux ;
iii) Litiges civils ;
iv) Délits de droit commun.
- Délits politiques.
La répression de ces délits, dont la connaissance parvenait ordinairement au juge par la voie de la délation, relevait spécialement de la compétence du mwami. Ces délits comprenaient deux catégories :
- a) Crimes de lèse-majesté.
Geste douteux dans l’accomplissement d’une charge à la Cour comme le fait de laisser tomber, par inadvertance, une impureté dans le lait destiné au mwami.
Le fait de se trouver en présence du mwami alors qu’il était de mauvaise humeur.
Le fait d’être suspect d’envoûter le mwami.
De n’avoir pu réussir une mission confiée par le mwami.
D’avoir la réputation de qualités physiques supérieures à celles du mwami.
De prononcer des paroles imprudentes. Enfin, tout ce qui avait l’heur de déplaire au despotisme royal, sa fantaisie faisant loi ; et, ajoutons, celle de la reine-mère également. Peine de mort ou bannissement sanctionnaient ces infractions.
A l’exemple du mwami, les grands chefs agissaient bien souvent de même à l’égard de leurs sujets.
- b) Délits politiques vrais ou supposés.
Ces délits comprenaient toutes velléités d’indépendance et de félonie, le fait de ne pas percevoir les contributions en temps opportun, de ne pas les envoyer à la Cour selon les normes prescrites, etc. L’histoire de la seule chefferie de l’Im para (Shangugu-Ruanda) nous apprend que durant la période s’étendant de 1760 environ à 1893, cinq grands chefs batutsi ayant commandé cette province, connurent la peine de mort : Nyamwesa, Nzirumbanji, Rwakageyo, Ntizimira et Rwabigwi, tandis que trois autres étaient dépossédés sans peine de mort : Serutabura à deux reprises, Mpunga et Mashaza. Les chefs du Biru connurent des sorts identiques. Il est évident que la stabilité n’était pas plus belle du côté des sous-chefs.
Délits d’ordre magico – religieux.
Ces délits, vrais ou supposés, volontaires ou involontaires, concernaient les transgressions aux conceptions magico-religieuses de l’époque, transgressions envisagées dans leurs répercussions sociales éventuelles. Citons à titre exemplatif :
Insultes aux prêtres de Ryangombe-Kiranga ; Tentative d’envoûtement ;
Naissance de jumeaux de sexes différents, d’enfants naturels ou de monstres, d’enfants conçus durant une période de deuil des parents, de deuil national pour un mwami ;
Transgressions de tabous : violation de l’interdiction de cultiver ou d’avoir des rapports conjugaux durant une période de deuil national du Gicurasi ; profanation des tombeaux royaux. Le fait de cultiver lorsqu’un chien était mort sur la colline était également répréhensible ;
Interdiction, en Urundi, de cultiver le sorgho avant l’exécution de la fête annuelle des semailles umuganuro, sous peine de spoliation ;
Interdiction pour un homme, d’entrer dans la hutte de son umwisha (fille de sa sœur ou cousine germaine), sous peine de bannissement.
Litiges civils.
Ceux-ci, tranchés selon les règles du droit coutumier que nous avons passées en revue, comportaient toutes les questions relatives aux :
Divorce ;
Répudiation
; Succession ;
Légitimation d’enfants ;
Contrats de vente, de cession et de concession de gros et de petit bétail ;
Contrats de cession et de concession de terres ; Les abus de confiance, l’escroquerie et la tromperie.
Il est important de noter qu’en droit coutumier ancien, les faits de cette dernière catégorie n’étaient jamais considérés comme des infractions appelant des sanctions répressives, mais uniquement comme des différends civils entraînant l’ouverture d’un procès en restitution.
Le véritable vol, passible de peines, suppose dans la mentalité indigène, l’emploi d’effraction, d’armes et l’anonymat.
Au contraire, l’escroquerie, le détournement et la tromperie puisent leur source, à l’origine, dans un acte de cession ou de concession volontaires de la part du préjudicié. Aussi, ne pouvaient être punis ceux qui recevaient au vu et au su de toute la collectivité : shebuja pratiquant la spoliation, chefs concussionnaires, devins, charlatans, magiciens-guérisseurs, faiseurs de pluie, etc., recevant des rémunérations pour services rendus. Lorsqu’un faiseur de pluie était puni en période de sécheresse, on ne visait pas l’escroquerie commise par lui, mais on désirait réprimer son incapacité à déclencher la pluie ; il y allait bien souvent de sa tête. L’indigène ne semble pas discerner la limite qui existe entre l’usufruit et la fraude.
Délits de droit commun. Infractions contre les personnes.
Homicide.
Le droit coutumier ancien n’effectue aucune distinction entre le meurtre, l’assassinat, l’homicide involontaire, l’empoisonnement, l’envoûtement, les coups ayant entraîné la mort, qu’ils fussent volontaires ou non. Chacune de ces qualifications appelait l’exercice du droit de vengeance dont les familles se chargeaient elles-mêmes ; les femmes y échappaient, par contre, les garçons pouvaient en être l’objet ; nous avons connu le cas à Shangugu (Ruanda), en 1947. Ici encore, la justice était toute subjective, et à défaut de qualification de l’infraction accomplie, la répression tenait compte de circonstances telles que : personnalité de la victime, de l’auteur, et degré de fortune de sa parenté.
Homicide d’un mwami, d’un prince ou d’un chef. La peine de mort était appliquée non seulement au coupable, mais encore à tous les membres de sa famille dont les biens étaient confisqués. Le meurtrier était émasculé avant d’être crucifié à même le sol. Homicide d’un membre d’une famille influente. Au Ruanda, la compensation n’existait pas entre les familles royales Abanyiginya (des rois) et Abega (de la plupart des reines) : le meurtre se voyait toujours suivi d’une vendetta (guhora: venger). Si l’un des membres de ces deux clans était tué par un Mututsi d’une famille différente, tout le clan de l’assassin était bien souvent tué et pillé. En Urundi, la mort d’un chef entraînait parfois la guerre de province à province.
Homicide entre Batutsi ordinaires, Bahutu et Batwa. La famille de la victime passait à l’exercice du droit de vengeance soit sur le coupable soit sur l’un des siens, en vertu du principe de la solidarité clanique. La vendetta continuait parfois durant des générations : refusant d’admettre la culpabilité de l’auteur présumé, sa famille se vengeait à son tour, conjoncture qui entraînait une nouvelle vengeance adverse. Mais il arrivait que les familles s’entendissent, afin d’éviter des représailles sanglantes ; elles faisaient part de leur désir au chef de province qui, soit transmettait leur requête au mwami, soit provoquait la composition personnellement. Le droit de vengeance pouvait être arrêté par ordre, dûment proclamé, du mwami qui en l’occurrence faisait moins application de son droit de grâce que de son pouvoir de commuer la peine prévue en un rachat du sang.
Le rachat entraînait le déclenchement d’une procédure relativement longue entre les familles, sous la présidence du chef local, ou du mwami si les clans résidaient dans des circonscriptions différentes. Au Ruanda, le chef ordonnait habituellement que la famille de l’assassin versât huit vaches ingurano (de kugura : acheter, racheter) à celle de la victime. Dans certains cas, la valeur du rachat atteignait trente vaches sinon plus.
En Urundi, la famille du meurtrier, après avoir pris l’avis du chef local auquel elle remettait une première vache ingorore afin de se le rendre favorable, envoyait, par l’intermédiaire d’un notable, deux très belles vaches : l’icimbaguzo (de kugura) et ikuramusango (de gukura: enlever, et umusango : le préjudice), au chef de famille de la victime. Le fait de les accepter impliquait acquiescement quant à la suspension du droit de vengeance. Le notable envoyé en qualité d’intercesseur (umutahe) recevait un taurillon en gratification.
Le chef convoquait ensuite les représentants des familles adverses dans le but de débattre, en présence des assesseurs abashingantahe, le prix du rachat. Celui-ci, véritable wergeld, était variable et comportait habituellement sept vaches, parfois quatorze dans certaines régions.
L’entente étant intervenue, la famille du meurtrier devait encore fournir un taurillon ishuri yo gukaraba (taurillon pour se laver les mains) qui servait à matérialiser la paix revenue entre les communautés : elles se lavaient les mains dans son sang, puis mangeaient la bête en un repas commun. En outre, elle envoyait deux taurillons aux assesseurs.
A son tour, le clan de la victime remettait une vache au chef pour le remercier de ses bons offices. Le fratricide demeurait impuni : personne n’eut songé à réclamer le prix du sang à un frère assassin. Par contre, si un homme tuait son père, sa mère, l’un ou l’autre de ses parents paternels, son chef patriarcal réclamait le prix du sang : quatre ou cinq vaches, et le déshéritait.
Homicide d’un étranger. Puisque la famille du disparu ne peut entamer l’exercice du droit de vengeance, l’affaire se trouvait classée d’elle-même sans suite : les juridictions indigènes ne se saisissant pas d’office de la répression.
Homicide d’un voleur surpris de nuit en flagrant délit. Dans ce cas, l’exercice du droit de légitime défense était admis par tous, il n’entraînait ni l’ouverture de la vendetta ni même la compensation.
Homicide commis par un fou. Ce cas semble n’avoir jamais soulevé de vendetta, mais simplement des pourparlers en compensation. Homicide commis par le mwami ou par un grand chef. Impunité absolue ; le mwami disposait du droit de vie et de mort sur ses sujets selon son bon plaisir ; par ailleurs, les chefs l’imitaient. Il était de bon ton, pour la famille du disparu, d’offrir un cadeau au meurtrier, en témoignage, d’absence de rancune et de désolidarisation d ’avec l’attitude qu’avait adoptée la victime.
Coups et blessures simples, volontaires ou involontaires, avec ou sans circonstances aggravantes.
Aucune distinction n’était faite entre ces différentes qualifications qui toutes entraînaient la réciprocité des coups portés, selon la loi du talion. Au Ruanda, le chef, sur plainte du demandeur, entendait les parties, liait le coupable à un arbre ou le plaçait par terre afin de lui infliger la peine de la bastonnade ; il prononçait ensuite l’amende compensatoire icyiru qui comportait une partie pour le juge et le reste en faveur de la victime en qualité d’indwaza (qui guérit la maladie). Si les coups avaient été portés de Mututsi à Mututsi, le coupable versait, comme dommages-intérêts, une génisse à la victime ; entre Bahutu, le dédommagement consistait parfois en une dizaine de houes et en petit bétail. Si les coups avaient été portés par un Muhutu à son chef ; il pouvait être frappé de la peine de mort ; le moins qui l’attendait, était le bannissement avec spoliation.
En Urundi, le coupable devait également payer l’amende compensatoire icyiru la partie restant entre les mains du chef s’intitulant ingorore. Cette amende, comme au Ruanda, variait en importance avec la gravité des coups, le rang social de la victime et celui du coupable. Quant aux dommages-intérêts inkando (du verbe gukanda : masser, guérir, soigner), ils variaient selon les torts causés :
Coups sans gravité : dix rangs de perles ;
Perte d’un bras, d’une jambe : une vache pleine ;
Perte d’un œil : un taurillon ;
Perte d’une main, d’un pied : une génisse ;
Incapacité de travail : nourriture et superflu : bière (:umwerera : de kwera, purifier, améliorer, guérir) et lait.
Imputations dommageables et insultes.
L’insulte proférée entre Bahutu — qui possèdent en cela un répertoire singulièrement épicé — ne suscitait jamais l’introduction d’une procédure devant le chef : l’insulté ripostait, et l’affaire dégénérait rapidement en rixe. Par contre, comme les coups, l’insulte adressée à un supérieur valait à son auteur d’être battu, pillé et chassé, à moins qu’il ne fût tué. En Urundi, l’insulte décochée à un sous-chef ou à un assesseur, se réglait par le versement d’une houe, d’un mouton ou d ’une chèvre. Les insultes proférées aux prêtres de Kiranga étaient sévèrement réprimées, l’on bannissait le coupable après l’avoir spolié ; sa famille, toutefois, n’était pas associée à la condamnation civile.
L’insulte adressée par un supérieur à son inférieur ne soulevait évidemment que l’hilarité générale à l’adresse de ce dernier, et aucune répression
Infractions contre les propriétés.
Vol de gros bétail.
Avec l’homicide, le vol de gros bétail était la plus grave infraction de droit commun connue de l’ancien droit coutumier, à telle enseigne que le voleur surpris en flagrant délit, de nuit, pouvait être abattu sur le champ. Appréhendé, le coupable n’y échappait guère ; au matin, il était empalé ou crucifié à même le sol, publiquement.
Par contre, le voleur arrêté quelque temps après la perpétration des faits, relevait de la justice des autorités coutumières, l’abattre après ce délai eut été considéré comme un assassinat entraînant l’ouverture du droit de vengeance. Cette sévérité s’explique non seulement par le fait que la vache constituait le bien le plus précieux connu de l’ancienne société indigène, mais étant donné que le voleur de gros bétail était toujours armé et parfaitement décidé à faire usage de la force à la moindre alerte. En aucun cas, un parent du voleur ne pouvait subir la peine capitale à sa place. Arrêté, il était roué de coups et étroitement ligoté, les bras ramenés derrière le dos étaient enserrés de liens pénétrant jusque dans les chairs. Le coupable pouvait être envoyé, par le chef de province, à la capitale pour s’entendre condamné à la peine de mort et à la spoliation. En fait, le chef n’y envoyait que les pauvres hères ; les autres encouraient des amendes compensatoires comportant plusieurs têtes de gros bétail ibyiru au paiement desquelles, leur famille était tenue de coopérer. Au Ruanda, le voleur qui n’avait pas été tué en état de flagrant délit, était puni des peines suivantes :
1° Bastonnade et ligotage ;
2° Versement d’une amende impongano consistant en une vache, des houes ou du miel remis au chef appelé à trancher l’affaire, en vue de se concilier ses bons offices et d ’éviter la peine capitale ou la spoliation avec bannissement ;
3° Payement de dommages-intérêts à la victime, consistant en :
1 vache inzibacuho ou inshacyuho (du verbe gucya: couper, passer au travers) ; pour les dégâts commis au kraal lors de l’effraction ;
1 vache inguramaboko (de kugura: racheter, amaboko, les bras) pour se libérer de la peine du ligotage ;
Plusieurs vaches ingurano (de kugura: acheter, racheter) ou umunani, à titre de dommages-intérêts, dont l’inyibano (du verbe kwiba : voler), vache volée donnée en restitution ou sa remplaçante, et deux ou quatre bêtes supplémentaires selon l’état de fortune de la famille du coupable.
Le voleur de vaches d’un grand chef ou du mwami était irrémédiablement condamné à la peine de mort sans compensation possible.
En Urundi, la punition du voleur consistait non seulement dans la restitution de la bête soustraite ou en une autre en tous points semblable à la première, mais à ajouter une autre tête de bétail, de duplication, s’intitulant imperekeza (de guher ekeza: accompagner). La peine totale frappant l’infraction de vol de vache, pouvait se résumer comme suit :
- a) Amende : 1 vache imporora (de guhorora : apaiser) au chef ; 1 taurillon ukwihorora (idem) aux assesseurs.
- b) Dédommagement : 1 vache de restitution indihano (de kuriha, restituer) ; 1 vache de duplication imperekeza.
Si le coupable ne pouvait s’acquitter et si sa famille, lassée de ses méfaits répétés, refusait de se rendre solidaire, la peine de mort était ordonnée par le chef.
Vol de petit bétail.
Le voleur de petit bétail agissant de nuit dans les dépendances d’une hutte habitée était traité comme le voleur de gros bétail au point de vue de l’exercice du droit de légitime défense, par application de la peine de mort immédiatement.
Ce vol était courant entre Bahutu. Il arrivait que des voleurs professionnels fussent emmenés à la Cour pour y subir la peine capitale. La famille du voleur, en vertu du principe de solidarité, devait restituer au préjudicié deux ou trois fois la quantité de petit bétail soustrait. Si le voleur n’était pas récidiviste et que ses moyens lui permissent d’adoucir la sévérité du juge par différents cadeaux, il n’était pas envoyé chez le mwami et son cas était tranché sur place, les dédommagements consistaient en une génisse ou en valeurs équivalentes au produit du vol, à moins qu’il n’y ait eu restitution préalablement.
Vol de récoltes sur pied.
En temps de famine spécialement, le préjudicié avait le droit de tuer et d’empaler le voleur pris sur le fait. Arrêté alors qu’il avait réussi à prendre la fuite, le voleur était emmené devant le chef de province qui l’obligeait pour un épi de sorgho soustrait par exemple, à labourer un champ au profit de la victime. Dans les cas graves, le coupable était condamné au paiement d’une ou de plusieurs têtes de petit bétail, voire d’une génisse ou d’une dizaine de houes. Ces peines n’avaient rien d’absolu, elles variaient de région à région, selon l’importance du délit et la sévérité du juge.
Vol de menus objets mobiliers : houes, serpes, etc.
Emmené devant le chef de colline, le voleur se voyait infliger la peine de la bastonnade et était condamné à la restitution des objets volés ou à payer des dédommagements.
Destruction de végétaux et de récoltes sur pied.
Aucune sanction n’était prévue si l’infraction avait été commise par un chef ou par un shebuja influent qui volontairement ou non, envoyait son bétail paître dans les cultures d’autrui.
Commis volontairement ou involontairement entre gens d’un même milieu, spécialement entre agriculteurs bahutu, le préjudice donnait lieu à l’ouverture d’un procès devant le sous-chef de colline qui prononçait des dommages-intérêts et, dans les cas de mauvaise foi évidente, la peine de la bastonnade.
Incendie.
Cette affaire, toujours grave, relevait de la compétence du chef de province. Si l’incendie avait causé mort d’homme et qu’il y eut mésentente préalable avec le coupable, ce dernier était immanquablement suspecté d’assassinat et l’ouverture de l’exercice du droit de vengeance s’ensuivait. Dans les autres cas, le chef prononçait l’octroi de dommages-intérêts à la partie lésée et la participation du coupable à la reconstruction de la hutte détruite.
Destruction méchante d’animaux domestiques d’autrui.
Abattage d’une tête de bétail, blessures graves. Le sous-chef de colline après avoir condamné le coupable à la peine de la bastonnade, ordonnait qu’il remplaçât la bête tuée ou blessée par une bête de valeur identique.
Abattre un chien. Tuer un chien, sans nécessité, c’est atteindre directement l’honneur de son propriétaire, cet animal occupant une certaine importance dans la vie indigène : il veille sur le foyer et aide son maître à la chasse ; en outre, cet acte relevait bien souvent de la provocation. Les parties, après s’être copieusement injuriées sinon battues, se rendaient auprès du sous-chef de colline qui condamnait le coupable à la bastonnade et au payement de dédommagements consistant en une chèvre, un mouton ou quelques houes.
iii) Infractions contre la foi publique.
- Faux témoignages — faux serments.
La coutume réprimait les faux témoins ; nous en retrouvons des traces dans la jurisprudence actuelle :
Le témoin qui se rétracte au cours des débats doit être puni pour tentative de faux témoignage (T. T. Shangugu 16 avril 1949 ; Journal des tribunaux d’outremer n° 1 /1950, p. 8).
Le fait pour un témoin de contredire les allégations de la partie qui l’a cité, autorise le tribunal à considérer comme inexactes les allégations de la partie citante.
Actions téméraires et vexatoires.
La coutume du Ruanda reconnaît aux justiciables la faculté d’assigner devant les tribunaux ceux qui, de n’importe quelle manière, violent leurs droits. Cette faculté est limitée par deux principes de droit coutumier :
Le premier : peut être frappé d’amende, celui qui de mauvaise foi, intente un procès manifestement mal fondé (Uburana urubanza rw’amahugu arahanwa).
Le second : peut être condamné d’office à une amende et à des dommages et intérêts, quiconque intente un procès téméraire et qui, par ce fait, cause préjudice à autrui, soit dans l’exécution du jugement soit en retardant la solution du litige par des moyens dilatoires (Uburana urubanza rw’amahugu arahanwa kandi agatang’indishyi y ’akababaro, icyiru).
Ces règles du droit coutumier, sont à rapprocher de l’art. 76 du Code pénal Livre II qui punit l’auteur d’une dénonciation calomnieuse à une autorité judiciaire.
iv) Infractions contre l’ordre des familles.
Adultère.
Chez les Bahutu, le mari dont la femme se compromettait, pouvait battre son épouse et le complice lorsqu’il les surprenait en flagrant délit d’adultère. Ordinairement, c’était la femme qui recevait la rossée, le mari estimant que l’infraction n’aurait pu être commise sans son consentement. Toutefois, ni l’adultère commis par le beau-père avec sa bru ni celui exécuté entre beaufrère et belle-sœur ne constituaient une infraction aux yeux de la coutume. Dans le même ordre d’idées, les rapports entre un shebuja et la femme de son client étaient-ils considérés comme normaux, sinon favorisés par le client. Mais l’affaire tournait tout autrement si le client trompait ou essayait de tromper son maître. La jurisprudence de l’ancien droit coutumier renseigne qu’au X IX e siècle, sous le règne du mwami KigeriRwabugiri au Ruanda, un Mututsi, serviteur d’un grand chef, dénoncé par l’épouse de ce dernier pour proposition d ’adultère, se vit condamné par le mwami à l’émasculation. En outre, la famille du délinquant se réunissait en vue d’examiner l’éventualité de son déshéritement.
Chez les Bahutu du Buragane, de l’Imbo et de la plaine du Tanganyika en Urundi, le mari trompé, pour être entendu, devait se présenter devant les juges abashingantahe, muni d ’un objet laissé sur les lieux de l’adultère par le coupable : étoffe, couteau, etc. L’amant était puni d’une amende payable en chèvres ou en taurillon. La femme était éventuellement répudiée ; en pareille occurrence, afin de ne pas devoir remettre les gages matrimoniaux, ses parents essayaient de la renvoyer le plus rapidement possible à son mari tout en présentant des cadeaux à ce dernier.
Attentat aux mœurs et viol.
Le droit coutumier ancien peu fécond en subtilités, confondait aisément le viol avec l’adultère et l’attentat à la pudeur.
L’infraction d’attentat aux mœurs commis par un adolescent sur la personne d’une Mututsi, lui valait la peine de la bastonnade et le ligotage; éventuellement, sa famille était astreinte au paiement d’une ou de deux têtes de bétail au père de la victime.
Le viol d’une jeune fille par un homme fait, entraînait une répression sévère s’il n ’y avait pas possibilité d ’arranger l ’affaire par la conclusion d ’un mariage. L ’on sait en effet qu’un sort peu enviable attendait les fillesmères : noyade ou abandon à la mort sur une île déserte. Si le délinquant avait famille, celle-ci envisageait son déshéritement et son bannissement. Dans le cas de flagrant délit, le père de la victime pouvait légitimement tuer le séducteur ; la même peine eut été prononcée à la Cour du Mwami si l’affaire allait jusque là.
Le Muhutu qui aurait fait des propositions à une jeune fille mututsi risquait la peine de mort ; si une jeune fille se compromettait avec un Mutwa, ils encouraient tous deux la peine capitale.
Quand un jeune homme mututsi violait une fille muhutu, la question se réglait à l’amiable entre les familles, surtout si le père du jeune homme était shebuja de celui de la fille ; parfois, ce dernier recevait une vache laitière à titre d’indemnité ; mais la plupart du temps, les faits demeuraient cachés.
Au viol entre Bahutu succédait bien souvent la conclusion d’un mariage qui arrangeait les choses au mieux ; c’était aussi l’aboutissement ordinaire de tous les mariages par ruse et par rapt.
En Urundi, le père d’une fille-mère était condamné par le chef à lui verser une amende ingorore en vaches.
v) Infractions contre la sécurité publique.
L’hospitalité, dans un pays où l’indigène voyage beaucoup et où il n’existe pas d’hôtel, est fréquemment demandée et largement accordée ; gratuitement auparavant, bien souvent contre espèces à présent.
Facultative vis-à-vis des étrangers, elle est obligatoire envers les parents, les maîtres, les amis, les clients, les serviteurs et les personnes qui peuvent se recommander de ces derniers. L’hospitalité constitue un quasi contrat : si le passager vient à tomber malade ou à décéder, l’hôte s’empressera d’en aviser sa famille ; celle-ci viendra chercher le corps et les biens ; elle pourrait entamer un procès contre l’hôte en cas de soupçons graves à son adresse.
Droit d’asile.
Tant en Urundi (*) qu’au Ruanda, le prévenu qui sollicitait l’hospitalité, n’était pas livré par son hôte à ceux qui le recherchaient. Ce droit d’asile jouait même si le prévenu était membre de la famille de son hôte. Musinga, en 1934, nous citait le cas suivant : un Mututsi avait tué un autre Mututsi des Bega, parent de feu Kabare, frère de la reine-mère Nyira-Yuhi, chez lequel il vint se réfugier. L’assassin n’ayant pu être tué lors du délit, était poursuivi ; arrivent ceux qui le traquent, non seulement Kabare refuse de leur livrer son hôte, mais, le lendemain matin, afin de protéger sa retraite, il lui remet deux lances, un bouclier et une escorte forte d’une dizaine d’hommes.
Il semble que le propriétaire sollicité, ne désirait pas laisser souiller sa résidence du sang d’un criminel. Ceci nous explique pourquoi tant d’assassins et de voleurs se réfugiaient dans les régions limitrophes ; en vertu du droit d’asile qu’ils y trouvaient, ils détenaient la certitude de ne jamais être inquiétés au sujet de délits commis au Ruanda-Urundi car aucun traité d’extradition n ’a jamais existé entre ces pays primitifs.
A l’heure actuelle, l’exercice du droit d ’asile devrait être examiné sous l’angle du Code pénal, on sait en effet que cette loi punit ceux qui auront recélé ou fait recéler des personnes qu’ils savaient être poursuivies ou condamnées du chef d’une infraction punie de mort ou de cinq ans, au moins, de servitude pénale (Art. 164 du C. P., L. II).
Droit actuel.
La mise en application du Code pénal congolais pour tous les ressortissants du Ruanda-Urundi, dès l’arrivée de l’Administration belge dans ce pays, eut pour conséquence non seulement d’enlever de la compétence matérielle des juges indigènes, une grande partie des infractions qu’ils réprimaient jusqu’alors : homicides, vols qualifiés, incendies, viols, etc., mais en outre de supprimer certains faits érigés en délits car ils n’étaient pas contraires au droit public. A présent, le pouvoir occupant se réserve la connaissance de toutes les infractions punies de plus de deux mois de servitude pénale et de deux mille francs d’amende ou de l’une de ces peines seulement, ainsi que toutes celles qui n’étaient pas connues de la coutume. Par ailleurs, certains faits considérés comme purement civils auparavant, furent érigés en infractions par la loi pénale de l’occupant : détournement frauduleux, escroquerie, tromperie, etc. ; en outre des règlements pris soit par l’Administration, soit par les bami et les chefs, édictèrent des obligations et des interdictions sanctionnées de peines répressives en matière d ’hygiène publique, de sécurité, d ’agriculture vivrière, de boisements communaux, d ’entretien des caféières, d ’ivresse publique, de feux de brousse, etc. En cas d’absence de coutume, les tribunaux indigènes ju gent selon l’équité ; enfin, ils ne peuvent appliquer les coutumes contraires à l’ordre public universel (art. 20 O.-L. 348 AIMO du 5-10-1943).
Ainsi donc, la gamme des faits dévolus aux juridictions fut-elle profondément modifiée. D’autre part, on leur confia l’enregistrement des contrats civils, prémices d’un notariat indigène.