« Le rôle du milieu naturel dans la vie des peuples (et donc dans leur éducation) est d’autant plus grand que les techniques d’exploitation de l’espace sont plus élémentaires » (LêThânhKhôi)

Les données géographiques, climatiques, écologiques et biologiques conditionnent directement les modes de subsistance, d’exploitation du sol, de travail, d’alimentation, d’habitation, d’habillement, de déplacement, donc aussi, par la force des choses, les pratiques de child traininget d’éducation.

Pays de montagne situé en zone équatoriale, le Rwanda bénéficie d’un climat relativement doux, mais avec des nuits qui peuvent être froides. A mesure que la population s’est accrue, la forêt a considérablement reculé et le paysage s’est humanisé sur la plus grande partie du territoire, fait de collines qui se succèdent à l’infini, couvertes de champs, de jardins, de bananeraies, de bosquets et d’étendues herbeuses utilisées comme pâturages. L’action de l’homme est omniprésente. Les premiers voyageurs allemands ont parlé d’un immense Grasland. Comme les températures sont assez régulières et les jours d’égale longueur, c’est le régime des pluies qui détermine les saisons : au centre du pays, la « petite saison des pluies » va de septembre à novembre, suivie de la « petite saison sèche » ; puis c’est la « grande saison des pluies » qui va de février à mai, suivie de la « grande saison sèche ». Le cycle du sorgho déterminait celui des rites.

Dans le Rwanda ancien, la civilisation matérielle, en ses deux composantes majeures – la civilisation de la lance et de la vache d’un côté, celle de la houe et du mil de l’autre – était d’une grande simplicité, même dans les couches privilégiées de la population, en fort contraste avec une civilisation de cour complexe et somptueuse. Autant les compétences techniques ordinaires pouvaient être assimilées à un âge peu avancé, autant le savoir noble spécialisé exigeait de très longs apprentissages de la part de ceux qui étaient destinés à le faire leur.

A propos des relations entre milieu naturel, culture matérielle et pratiques éducatives, plusieurs questions peuvent être posées : comment les enfants étaient-ils nourris, soignés, vêtus, logés ? quelles étaient les principales activités économiques auxquelles enfants et jeunes devaient être initiés et qui donnaient donc lieu à des apprentissages spécifiques ? comment s’opérait l’élargissement de leur espace de vie, de la maison et de l’enclos à la colline, puis à la région et au pays .

Activités économiques donnant lieu à des apprentissages spécifiques

Quatre activités économiques majeures peuvent être distinguées : l’agriculture, l’élevage, l’artisanat et le commerce; s’y ajoutaient quelques activités secondaires.

a. L’agriculture

La propriété foncière était régie par des règles complexes qui variaient selon les régions et les époques. Les Hutu ont été les grands défricheurs après avoir acquis auprès des Twa des droits sur la forêt. Leurs lignages se taillaient des patrimoines terriens qu’ils redistribuaient entre leurs membres. Mais progressivement les autorités tutsi parvinrent à contrôler à leur profit la propriété issue du défrichage, imposant le passage par les chefs politiques pour occuper une terre vacante et l’acquittement de redevances, ce qui revenait à court-circuiter les lignages, cause pour eux d’appauvrissement, de perte de pouvoir et de désintégration.

L’image habituelle d’une population viscéralement (on a dit « mystiquement ») attachée à sa terre et à son terroir n’est exacte qu’en partie, car les paysans se déplaçaient plus qu’à première vue on ne pouvait le supposer, occasionnellement certes, mais aussi définitivement. Si l’aîné ou le cadet restait souvent sur les terres de ses parents, les autres fils partaient facilement, soit à la recherche de nouvelles implantations, protections, affiliations et occupations, soit par esprit d’aventure ou de rébellion. Pour faciliter l’acclimatation de l’enfant lors d’un déménagement, la mère emportait avec elle un peu de terre de son lieu de naissance pour la mélanger dans l’eau qu’elle lui donnait à boire avec de la terre du nouveau lieu d’implantation.

Les exploitations agricoles étaient très dispersées et parcellisées du fait des partages successifs, mais aussi parce qu’on multipliait à dessein les lopins pour diversifier les conditions écologiques d’exploitation. Ce n’est que dans le Nord et chez les Twa que l’on trouvait des ébauches d’habitat groupé.

« La hutte est autarcique », écrivait L. de Lacger : chaque cellule familiale vivait autant que possible de la production de ses propres champs. Il fallait donc que celle-ci soit suffisante pour garantir l’autosubsistance vivrière du groupe, avoir de quoi assurer les semailles suivantes, les sacrifices et les prestations rituelles, venir en aide aux vieux, aux malades et aux nécessiteux de la famille et du voisinage, payer devins et guérisseurs, pouvoir se procurer par échange des biens venant du dehors, disposer d’une réserve stockée en cas de mauvaise récolte, enfin fournir aux autorités politiques les redevances exigées.

Les conditions d’exploitation varient notablement en fonction de l’altitude, les zones en hauteur étant climatiquement favorisées du fait que les deux saisons sèches y sont plus courtes. Parmi les plantes cultivées, les unes permettent une seule récolte par an, les autres deux, d’autres encore sont pérennes ou échelonnées, ce qui aboutit à un calendrier agricole très complexe. Les famines pouvaient être extrêmement ravageuses et servaient de repères privilégiés à la mémoire collective. Les produits alimentaires ne circulaient sur une grande échelle qu’en cas de mauvaise récolte. Le manque d’eau posait problème dans une grande partie du pays.

La terre était répartie en zones agricoles, en pâturages et en marais. Les plantes les plus anciennement cultivées jouaient un rôle majeur au plan rituel : on comptait parmi elles le sorgho, l’éleusine (autrefois très répandue), les courges, le taro, etc. Les produits originaires d’Asie ou d’Amérique tels les pois, les haricots, les patates douces, le maïs, le bananier (bananes à cuire, bananes douces et bananes plus amères destinées à la fabrication de la « bière »), etc., devenues très typiques du pays, n’ont été implantés qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le sorgho est resté la principale céréale : résistant, s’enracinant en profondeur, il se contente de sols médiocres et peut être cultivé en des régions arides ; c’était la seule céréale cultivée par les Tutsi ; il apparaît en de nombreux rituels et lors des fêtes sous forme de pâte ou de bière. Le manioc ne s’est répandu à grande échelle qu’avec la colonisation. L’agriculture était principalement l’affaire des Hutu et des « petits » Tutsi. Les principaux outils étaient la houe, la serpette et – plus archaïque – le bâton à fouir.

L’exploitation de la terre était souvent de type horticole, s’étendant de la bananeraie proche au marais plus éloigné. La journée du paysan commençait tôt, avant le lever du soleil. S’il y avait une grande surface à traiter, on faisait appel à la solidarité des parents et des voisins. « Quand on laboure seul, le champ ne s’agrandit pas« , dit un adage. A. Lestrade écrit :

« Ils manient la houe avec une rapidité extraordinaire, lui impriment des mouvements de grande ampleur, spectaculaires parfois, en poussant un « han » caractéristique. Ou ils chantent au rythme des coups frappés au sol avec plus de précipitation encore. L’excitation les gagne… chacun poussant son voisin à un plus grand effort. Les cruches de bière qui les attendent ne sont pas étrangères à leur ardeur » (1972, p. 294).

Une fois que le soleil devenait trop pesant, on donnait le signal du retour et on s’assemblait à l’ombre des arbres qui bordaient l’enclos du propriétaire du champ pour se restaurer, rire et converser. Le maître de céans plongeait rituellement le chalumeau dans une cruche, remuait le marc et on se mettait à boire. Les femmes et les enfants se joignaient alors aux buveurs, mais en groupes distincts. Cette solidarité avait cependant des limites : quelqu’un prenait-il une seconde femme, on ne l’aidait pas forcément à titre gratuit pour construire une nouvelle maison, la polygynie étant considérée comme un luxe. Il n’était pas rare qu’on confie aux enfants une petite parcelle à cultiver par eux-mêmes.

 b. L’élevage

Une législation foncière relativement récente tendait à réserver de grandes zones de pacage au profit des seuls éleveurs tutsi. Les bovins avaient une valeur à la fois symbolique et économique. La production laitière par vache, variable selon les saisons, était à peine de l’ordre d’un litre par jour, et on ne trayait que celles qui nourrissaient un veau (dont on se servait pour amorcer la montée laiteuse). Le rendement en viande des bêtes stériles ou accidentées et des jeunes taurillons était aussi relativement faible. On répugnait à abattre des vaches en vue de la consommation ; crevées, elles étaient abandonnées aux Hutu et aux Twa. Les peaux représentaient un des apports les plus précieux. D’autres sous-produits entraient encore en ligne de compte : la bouse utilisée comme engrais et combustible ; l’urine employée pour nettoyer les barattes et les pots à lait, mais aussi dans des médications purgatives ; les cornes transformées en trompes ; les tendons dont on faisait des cordes pour les arcs ou les instruments de musique ; le beurre ranci qui servait de condiment et de cosmétique ; etc. Comme dans la civilisation rwandaise tout tournait autour de ce foyer culturel qu’était la vache, celle-ci faisait l’objet d’un vocabulaire technique très étendu en fonction de sa couleur, de sa forme et de la longueur de ses cornes, de son origine, de son appartenance à tel type de propriétaire, etc. Comme on ne mettait pas de fourrage en réserve, il arrivait qu’on pratiquât une forme saisonnière de transhumance vers la crête Congo-Nil ou les savanes de l’Est. La mise en pâturage était souvent collective.

Le gardiennage et le soin des troupeaux de bovins étaient considérés comme des activités quasi emblématiques et concernaient autant les Tutsi que les Hutu, à des niveaux certes différents. Un paysan savait s’occuper de bétail, même s’il n’en possédait pas lui-même, car il avait à prendre soin de celui de son « patron ». Les éleveurs vivaient littéralement « pour » leurs troupeaux, très soucieux non seulement de leur quantité, mais aussi de la beauté des bêtes. Pour des raisons de « pureté », il était interdit aux femmes en état de procréer de s’occuper directement des vaches, cette tâche étant réservée aux hommes, aux jeunes filles non réglées et aux femmes ménopausées.

Après la traite du matin et le nettoyage des bêtes pour les débarrasser des parasites, chiques et tiques, on les regroupait pour partir au pâturage. Les gardiens étaient habituellement des garçons entre douze et quinze ans, parfois des filles (mais c’était mal vu du fait des libertés sexuelles prêtées aux bergers) ; ils pouvaient être accompagnés de plus petits et étaient exposés à la faim, au soleil et à la pluie. Ils devaient sans cesse vérifier si le troupeau était au complet et à tout prix éviter que les bêtes n’abîment les cultures. Il leur fallait parfois aller fort loin, sur le flanc des montagnes, dans des marécages ou des champs en jachère pour trouver des pâturages suffisants. Les bêtes étaient dressées pour obéir à divers sifflements.

Vers 13 heures on les descendait au marais ou à l’abreuvoir : ce dernier devait être rempli à une source en y ajoutant de la cendre salée d’herbes des marais. On conduisait les bêtes à des sources salines s’il y en avait à proximité. Les vaches alors se reposaient et était bon d’allumer un feu pour écarter mouches et moustiques. Le plus jeune des gardiens était envoyé à la maison pour trouver quelque chose à manger ou, à défaut, aller marauder dans les champs et rapporter patates et maïs qu’on faisait griller. S’il était attrapé par les propriétaires, il pouvait être sévèrement puni (jusqu’à avoir les doigts brûlés ou un bout d’oreille coupé en cas de récidive). Il n’échappait pas non plus aux brimades et taquineries des anciens.

On profitait de cette pause du milieu de la journée pour se reposer, se livrer à toutes sortes de jeux et d’exercices, chanter et raconter des histoires (sauf des contes !). Vers 14 heures 30, c’était l’heure de retourner au pâturage, et vers 18 heures on rentrait ses bêtes dans leur enclos en les séparant de celles des voisins. Les garçons étaient loués ou blâmés selon l’état du bétail. Les signes de maladie étaient décelés en leur présence et ils assistaient aux traitements mis en route. Un nouveau feu était allumé pour écarter les moustiques et on procédait à la traite du soir. Pour se protéger de la pluie, les jeunes bergers bricolaient une sorte de long capuchon en feuilles de bananier. En veillant la nuit auprès des troupeaux, les vachers jouaient de temps à autre de la flûte ou chantonnaient pour signifier à d’éventuels voleurs de vaches qu’ils étaient aux aguets. Les veaux étaient gardés par de jeunes enfants près des enclos : on les rentrait quand le soleil devenait intense et il fallait alors couper de l’herbe pour leur litière.

« Entre petits gardiens de vaches, on parcourait les collines à la recherche d’un champ de manioc ou de patates douces pour en fouiller les mottes avec nos bâtons à fouir. Nous n’épargnions pas non plus les champs de sorgho ou de maïs. Bref, nous avions droit aux prémices de tous les champs. Mais qui nous avait donné ce droit ? Et qui pouvait nous le refuser ? Il était communément reconnu que les gardiens de troupeaux étaient entretenus aux frais de tous les cultivateurs. N’était-il pas fier et amusant de faire partie d’une bande de petits insolents prêts à défier et à braver n’importe quel passant ? Nous avions l’habitude de barrer le chemin à l’aide de nos bâtons que nous déposions au milieu du sentier. Qui osait passer la barrière sans notre accord ouvrait automatiquement les vannes à nos insultes et donnait ordre à nos catapultes de vibrer derrière son dos. Nous prenions un plaisir particulier à rouler de grosses pierres qui faisaient trembler toute la montagne avant d’aller se perdre dans le fond des ravins obscurs » (Emy, Jeunesse d’hier, 2003, p. 24).

« L’élevage était entouré d’un rituel très détaillé… Toutes les vaches étaient l’objet d’un souci individualisé ; elles portaient un nom particulier. Il existe un nombre impressionnant de vocables pour désigner les caractéristiques individuelles d’une vache. L’élevage était à l’origine d’un ensemble de métaphores, de symboles et d’un genre littéraire ».

Que de choses un enfant n’apprenait-il pas en compagnie de ses pairs et de ses aînés loin du regard des adultes!

« Mon père avait une vache, une seule et deux agneaux. Être gardien de vache, c’est comme aller à l’école. On apprend tout avec les autres bergers : les noms des collines, des arbres, des animaux, le bien et le mal, les jeux innocents et les mauvais ».

Comme beaucoup de familles associaient agriculture et élevage, les apprentissages étaient d’autant plus polyvalents. La garde des bêtes permettait aux jeunes de s’organiser entre eux de manière autonome et de prendre des responsabilités, tout en demeurant sous le contrôle lointain des adultes. Elle favorisait la débrouillardise, le sens de l’observation et une connaissance empirique, essentiellement pratique, des ressources de la nature. Elle obligeait d’assimiler les classifications des bêtes en fonction de leur sexe, de leur âge, de leurs caractéristiques physiques, de la pratique de la castration, de leur esthétique, etc. Les jeunes corps étaient soumis à de rudes épreuves car on exigeait d’eux endurance, rapidité, souplesse et frugalité.

Les dénominations traditionnelles des étapes de la croissance et des catégories d’âge se référaient principalement à la garde du troupeau : après l’état de nourrisson, puis de « sevré » (de un à trois ans), venait pour le garçon celui d’enfant qui accompagne les autres à la garde des génisses » (de trois à six ans), puis d’enfant qui garde les génisses » (de sept à neuf ans), enfin d’enfant qui peut garder les génisses toute la journée » (de dix à quatorze ans).

Le mouton, élevé principalement à des fins rituelles, était intégré à l’activité pastorale, mais n’était mangé que par les Twa. Par contre les chèvres, animaux domestiques par excellence des agriculteurs du fait de leur rusticité, étaient écartées des troupeaux. Leurs peaux servaient à l’habillement. Leur lait était consommé uniquement par les jeunes enfants. Les Tutsi considéraient leur viande comme impure. Ce sont eux qui semblent avoir introduit les gallinacés pour desraisons de magie et de divination, mais on répugnait à en manger la viande et les oeufs. Le chien était considéré comme un animal abject qu’on évitait de caresser, mais très lié à son propriétaire, comme l’affirment les adages :

« qui frappe un chien s’en prend à son patron », ou : « le chien n’est pas craint pour ses crocs, mais en raison de son maître ».

 Dans sa complémentarité, la cohabitation entre agriculteurs et pasteurs n’était pas problématique en soi tant qu’il y avait de la place pour tout le monde ; mais elle le devenait forcément (et très vite) quand pour des raisons de démographie la terre cultivable venait à manquer alors que les troupeaux avaient besoin de vastes espaces.

c. L’artisanat

L’artisanat spécialisé était relativement peu développé : forge, poterie au colombin, vannerie, sparterie, corderie, boissellerie, tannerie, pelleterie, construction et ornementation de maisons de prestige, fabrication de tambours, de pirogues et d’étoffes en écorce de sycomore. Il fallait parfois se rendre fort loin pour trouver un artisan compétent. Les activités étaient en majorité affaire de famille, voire de « caste » (comme la poterie, plus ou moins réservée à une fraction des Twa, et les fonctions se transmettaient alors de parents à enfants. Mais de très nombreux produits (spatules, assiettes, mortiers, louches, écuelles, plats, pilons, jarres à lait, pressoirs à bananes, cuves à brasser, manches d’outils, armes, nattes, etc.) pouvaient être fabriqués par tout le monde dans le cadre familial, ce qui impliquait la généralisation d’apprentissages très polyvalents.

On a relevé une très ancienne activité métallurgique, avec ses extracteurs, ses charbonniers et ses fondeurs, mais les outils ainsi produits (houes en pointe, haches, serpes, fers de lance, pointes de flèches) étaient d’usure rapide à cause de la mauvaise qualité du fer local. Pour renforcer l’idéologie royale et affirmer la supériorité de leur intelligence, les Tutsi prétendaient que ce furent leurs monarques qui ont apporté ce savoir-faire, et l’enclume figurait parmi les emblèmes royaux. La houe, sous ses multiples formes, a toujours eu une haute valeur symbolique parce qu’elle évoquait le travail de la terre des Hutu et pouvait aussi leur servir de moyen d’échange et de paiement à l’instar de la vache.

Pour la vannerie – très prisée – et les techniques annexes, on utilisait des lianes, des papyrus, diverses fibres, des herbes, des lamelles de bambou, pour fabriquer nattes, récipients, vans, paniers, paravents, assiettes, boucliers, ruches, nasses, cordes, greniers à grains, palanquins, etc. Il faut distinguer une vannerie utilitaire d’une vannerie « d’art » extrêmement fine, spécialisée dans la fabrication de petits paniers à but décoratif, auxquels les femmes tutsi consacraient des mois d’un patient travail pour occuper leurs loisirs. Elles fabriquaient aussi des panneaux décoratifs et des paravents, des étuis pour chalumeaux servant à boire la bière ou des couvercles pointus pour pots à lait. Elles couvraient divers objets de broderies de perles fines, blanches, rouges et bleues, disposées en figures géométriques : manches, cannes, fourreaux, poignées, paniers, parures de tête, de danseurs, voire de vaches, couvre-chefs pour rois et reines-mères. Parmi les nattes on pouvait distinguer celles à disposer par terre sur un lit de paille, celles plus fines servant de literie, celles utilisées pour sécher les récoltes et celles servant de cloisons et de parois à l’intérieur des maisons. Ces différents produits étaient souvent décorés de motifs géométriques à dominante jaune, noire et rouge.

La sculpture était totalement ignorée. Le sel potassique, très recherché, était principalement obtenu à partir de brûlis d’herbes et de tiges ; mais la région des Grands Lacs possède aussi des sources et des terres salées qui étaient habilement exploitées et donnaient naissance à des circuits commerciaux.

 d.Le commerce

Une notable partie des produits agricoles et artisanaux était drainée par voie administrative vers les gouvernants sous forme de redevances diverses. D’importants échanges avaient lieu également au sein de la parenté et lors des rites et des fêtes. Le commerce se faisait souvent par troc, à moins qu’on n’utilisât la houe en guise de monnaie.

Le pays connaissait des marchés éloignés les uns des autres de deux à trois heures de marche, mais leur densité était très variable selon les régions. Les hommes commerçaient plus avec du bétail, les femmes avec des produits vivriers. On pouvait distinguer deux types de commerçants : des intermédiaires faisant venir par caravanes des marchandises d’autres zones du pays ou d’au-delà des frontières, et des colporteurs, parfois eux-mêmes artisans, circulant en des espaces limités pour faire du porte à porte. Des chefs de marché assuraient la police.

 e.Les autres activités

Sur les hautes chaînes boisées abondaient les animaux des forêts tropicales que chassaient les Twa : petits éléphants de montagne, singes, léopards, antilopes, etc. Ailleurs, on trouvait les personnages préférés des fables : les lièvres et les hyènes. Ces dernières se multipliaient dans les nombreux bosquets interdits d’accès qui abritaient les sépultures royales. Pour les Tutsi, la chasse dans les régions inhabitées, avec chiens et rabatteurs, était un sport recherché ; elle leur procurait des peaux rares et de l’ivoire, mais ils ne consommaient pas le gibier. Les Hutu s’en prenaient principalement aux bêtes qui dévastaient leurs champs, leur petit bétail et leurs greniers. Au cours de leurs escapades, les enfants apprenaient à piéger les perdrix et les petits animaux de la brousse par des trappes ou des lacets. La pêche était peu pratiquée, même dans des régions où abondaient des lacs poissonneux : manger du poisson passait pour répugnant. Par contre, l’apiculture était très développée.