Missions Catholiques et clients Au Rwanda
Aussitôt installés dans un site convenable, les Pères Blancs se mettaient au travail de construction de leurs résidences, d’une église ou d’une classe-chapelle. Des débuts modestes, le poste se développait et finissait par prendre un caractère extérieur bien particulier qui faisait penser à un village. Il défigurait en quelque sorte le paysage traditionnel du Rwanda et agissait sans contexte sur la psychologie de la population avoisinante : jamais dans son histoire, le peuple de ce pays n’avait assisté à une pareille colonisation du sol. C’était étrange.
En effet, en 1900, le Rwanda était complètement rural avec un habitat totalement dispersé. Même dans certaines régions du pays où la population était dense, la concentration des habitants dans un système regroupé sous forme de villages ou petits centres demeurait inexistante. Chaque Rwandais avait son lopin de terre qu’il habitait et qu’il exploitait selon des méthodes culturales du temps. Le mode d’occupation du sol des Pères Blancs, c’est-à-dire des bâtiments regroupés sur un terrain d’une superficie de plusieurs ares, des vastes cours intérieures, des jardins des plantations à proximité des maisons, etc. n’avait rien de semblable dans le pays et constituait pour la population un objet de curiosité et d’attraction.
Les missionnaires s’employèrent à dire aux gens qui s’approchaient de leurs stations que leur rôle principal était de les sortir de la misère et de les élever au-dessus de ceux qui persisteront dans leur retrait ou dan leur opposition.
Des faits soutenaient leurs discours car les orphelins et les pauvres attachés à la mission passaient pour les plus privilégiés du petit peuple car ils possédaient déjà plusieurs objets rares et convoités au Rwanda : étoffes, perles, sel, etc. De plus, en travaillant chez les Père: Blancs, ces pauvres et ces orphelins échappaient en quelque sorte aux redevances coutumières en vigueur dans la société rwandaise. Enfin, la population proche de la mission se rendait de plus en plus compte que des missionnaires apprenaient à leurs travailleurs de nouveaux menus métiers prometteurs. Face à tous ces avantages que les gens appréciaient silencieusement mais avec concupiscence, il y eut un mouvement lent, certes, mais progressif vers la mission.
Travail « salarié » :
En plus des orphelins et des pauvres que les Pères Blancs logeaient à la mission, les premiers chantiers qu’ils mirent sur pied nécessitèrent l’embauche de beaucoup de personnes. Dans le premier temps, celles-ci se recrutèrent parmi des enfants et des adolescents qui échappaient à la surveillance de leurs familles. Leur travail consistait à la coupe et au transport du bois de construction ou à l’apprentissage et à l’essai de la fabrique de la brique et de la tuile. Un nommé Siméon Rutare qui fut un des premiers enfants à fréquenter les Pères Blancs de Save et qui participa aux premiers travaux de la mission témoigne :
« Pendant ce temps, on fabriquait des briques pour leurs maisons. J’allais chercher de l’argile dans la vallée de Munagi. C’était seulement les gens de Telebula [Père Brard : ndlr] qui savaient faire les briques. Nous, on ne savait pas encore… Ils construisaient, et nous, on transportait le bois, on finissait le four à briques. Enfin, on était des aides-maçons.
Pour tous les services et travaux exécutés, les Pères Blancs donnaient en récompense des perles, des épingles, du sel de cuisine et quelquefois de la cotonnade. La rareté de ces articles leur conférait une valeur importante et permettait à leurs détenteurs d’acquérir un nouveau statut socio-économique. En effet, avec des perles (leur nombre variait suivant des régions), il y avait lieu de s’acheter une ou plusieurs chèvres ; avec un certain nombre de chèvres, on pouvait se procurer une vache. Ainsi de suite, le travailleur de chez les Pères Blancs améliorait graduellement sa situation économique et sociale. Dans certains coins du Rwanda, le Mulera par exemple, pour se marier, il fallait donner aux parents de la fille huit ou douze chèvres, nombre qu’un pauvre ne pouvait pas avoir facilement. Mais embauché à la mission, il ne lui était plus difficile, grâce à son « salaire en perles, épingles, sel de cuisine ou cotonnade, de fonder un foyer et de l’entretenir dans de bonnes conditions. D’où c’était payant d’être du côté des Pères Blancs.
Voyant ces avantages, des adultes des environs de la mission manifestèrent timidement leurs intentions de se joindre aux jeunes gens déjà habitués aux langage et aux occupations matérielles des prêtres. Tout en craignant de subir de représailles de la part des autorités locales, quelques hommes faits parvinrent à se trouver du travail à la mission dans le but essentiel d’avoir des biens, de devenir riches et d’améliorer ainsi leur condition de vie :
« Quand il (le Père Lecoindre) faisait couper du bois de construction, c’était nous qui allions le transporter. Il nous payait en vêtements. Il a été le premier à nous donner des étoffes. Ce Père m’a beaucoup aidé. Avant lui, je n’avais rien, mais quand il est arrivé et que j’ai travaillé chez lui, j’ai commencé à avoir des choses. J’ai pu élever des chèvres, alors qu’avant lui, je n’avais pas de bétail. Lorsqu’il voulait aller quelque part, il m’appelait et je partais comme porteur. Quand on revenait, il me payait ».
Pères Blancs : patrons et seigneurs
Non seulement les Pères Blancs payèrent leurs travailleurs, mais encore ils les prirent comme leurs propres clients qu’ils protégèrent contre certaines exactions comme par exemple des punitions souvent arbitraires et durement supportables ou des verdicts injustement rendus. Ils y parvinrent grâce au fait que les Rwandais, les considérant au même titre que tous les autres Blancs, voyaient en eux des hommes du pouvoir colonial à la tête duquel se trouvaient des officiers allemands bien connus, tel le capitaine Bethe.
Comme ils étaient déjà dits « richissimes » des produits exotiques : perles, cotonnades, épingles etc. et comme ils paraissaient soutenus par les armes fortes des Allemands, les Pères Blancs surent soustraire leurs adeptes (catéchumènes, travailleurs et plus tard chrétiens) à plusieurs coutumes traditionnelles contraignantes, surtout des redevances et des corvées :
« Les premiers chrétiens (…) se tenaient hors des réseaux de dépendance et échappaient à la règle qui faisait de la totale soumission aux gouvernants la seule voie aux biens. Protégés par les missionnaires, ils se dispensaient des corvées et des redevances et se contentaient seulement d’observer, à l’égard des seigneurs, une attitude respectueusement polie ».
Comme ce fut le cas pour les « salaires » perçus à la mission, la protection « jamais égalée » assurée par les missionnaires provoqua une marche vers leur station. Timide d’abord, cette marche devint ouverte après 1907, lorsque le chef Kabare accepta de boire avec des adeptes des Pères Blancs, promulguant ainsi *la liberté des religions » : des gens « accoururent » à la mission en nombre sans cesse important. Se faire catéchumène ou chrétien pour pouvoir être dans les bonnes grâces des Pères Blancs ne représentait aucun danger car, se disait-on intérieurement, Kwemera ntibibuza uwanga kwanga : Dire oui ne contraint personne à ne pas dire non après. Ils travaillaient donc chez les Pères Blancs, quelques uns devenaient catéchumènes et chrétiens. Mais, chez eux, dans un cercle familial discret, ils vénéraient leurs ancêtres, ils leur faisaient des offrandes ; bref, ils pratiquaient le culte traditionnel rwandais. Ce qui importait, c’était de gagner aisément la vie sans entrer en contradiction avec les forces invisibles.
Plus le nombre de travailleurs, de catéchumènes et de chrétiens augmentait, plus l’importance des missionnaires accroissait encore davantage. Leur position et leur influence tendaient à éclipser celle des seigneurs indigènes puisque le nombre de clients qui déterminait traditionnellement le pouvoir économique, social et même politique diminuait chez ceux-ci, tandis qu’il prenait une courbe ascendante chez ceux-là. Cette situation n’était certes pas tolérable aux yeux des dirigeants rwandais car les Pères Blancs les supplantaient en douceur :
« Ils faisaient cultiver leurs champs, leurs greniers se remplissaient, leur bétail était soigné, le nombre de vaches augmentait. Ils s’enrichissaient selon les normes rwandaises, eux déjà riches de ces biens inconnus jusqu’ alors : sel, étoffes, perles, qui procuraient force satisfaction à leurs bénéficiaires. Ils devenaient donc à même de recruter, eux aussi, des dépendants dont la foule pouvait augmenter dangereusement. Enfin, il était inacceptable que les « hommes des Pères », rwandais de basse extraction, échappent à la condition commune de servilité à l’égard des biens-nés ».
C’est clair. Un glissement de pôle d’influence s’était doucement, mais sûrement, déclenché : des hommes du peuple tournaient lentement mais décidément le dos aux anciens seigneurs pour braquer leurs yeux sur les Pères Blancs, leurs nouveaux patrons et seigneurs.
Le Rwandais converti convertit le Rwandais :
Désireux d’améliorer leur bien-être, des orphelins et des malades pauvres soignés et guéris ainsi que des jeunes gens de basse extraction sociale s’approchèrent (nous venons de le voir plus haut) progressivement de la mission et s’attachèrent finalement aux Pères Blancs. Travail payé et payant et protection assurée furent surtout des éléments essentiels qui les déterminèrent à rester auprès des prêtres et qui leur donnèrent du courage pour affronter ou pour supporter des calomnies, des attaques de toutes sortes qu’ils subissaient de la part de leurs congénères : des voisiné et des autorités qui luttaient contre l’implantation des missions catholiques au Rwanda.
Dans leur opposition contre les Pères Blancs, ces Rwandais visaient à défendre des acquis d’une civilisation à ce moment menacée par des agents d’une civilisation étrangère en pleine expansion. Celle-ci, en effet, après s’être assurée du pourtour du continent noir, s’est avancée vers ses terres intérieures. Au début du XXème siècle, il ne lui restait, en Afrique équatoriale, qu’à intégrer effectivement dans sa zone d’influence le royaume du Rwanda. Comme il avait été le cas ailleurs dans plusieurs pays d’Afrique, les Blancs parvinrent à imposer leur civilisation grâce à leur supériorité militaire d’une part, grâce à leur produits alléchants et inconnus dans la région d’autre part, et enfin, grâce à l’intervention des autochtones devenus favorables aux Européens.
Ce dernier facteur fut d’une grande importance dans l’expansion européenne en Afrique car les Africains conquis ont souvent conquis leurs concitoyens à la cause de l’Europe. A l’intérieur de leurs propres pays, les Africains ont d’abord collaboré à la victoire des Blancs en leur révélant des plans d’attaque des autres Africains et en leur indiquant surtout des principaux foyers et des principaux chefs de la résistance. Ensuite, ils ont contribué à la réussite de l’Occident en entraînant leur entourage dans la voie qu’ils avaient eux-mêmes choisie. A l’extérieur, ils ont servi soit comme porteurs, soit comme militaires, soit comme interprètes entré leurs nouveaux maîtres et les peuples voisins. En définitive, leur rôle a été capital qu’il devrait davantage retenir l’attention des historiens de la colonisation. Dans le cadre du Rwanda, cette attention est attirée par le rôle que le converti a joué dans la conversion des autres Rwandais. Ce rôle se perçoit aisément à travers l’école et le recrutement des catéchumènes.
Ecole et adhésion des jeunes Rwandais
Si les Pères Blancs ont reçu de leur chef, le Cardinal Lavigerie, la permission de propager l’évangile chez les peuples païens en utilisant des moyens matériels, ils n’ont pas été moins exhortés à s’occuper de la jeunesse d’une façon particulière afin de s’assurer de la poursuite de leur mission car « qui tient la jeunesse tient l’avenir ». C’est ainsi qu’à chaque poste de mission, les Pères Blancs construisirent une école pour jeunes dans le but de se former des auxiliaires indigènes, futurs outils efficaces de la propagande de la doctrine chrétienne.
Ce fut pour cette raison qu’ils cherchèrent à relever d’abord le niveau de pensée et de conception intellectuelles de ces jeunes et qu’en même temps ils s’attelèrent à leur présenter des structures sociales, professionnelles… inspirées par la morale chrétienne. L’école fut donc dans les débuts une des principales préoccupations des missionnaires malgré des difficultés matérielles de tous ordres :
« Il nous a fallu partir de zéro… Mgr Hirth exigeait que, dans chaque mission à peine fondée, les Pères se préoccupassent de réunir quelques enfants pour leur enseigner les rudiments de la lecture et de l’écriture. L’installation ne sortait guère, d’abord, du genre misérable ; les leçons se donnaient dans un local non aménagé ou même en plein air ; parfois le dos nu du voisin servait d’ardoise pour le tracé des premiers bâtons et des premières lettres ».
Comme le nombre des enfants ne croissait pas vite et comme l’assiduité était presque nulle, les Pères Blancs durent donner de la gratification à ceux qui se présentaient à l’école : « quelques centimes par jour et, à la fin du trimestre, deux ou trois mètres de cotonnade. Donc, école payée et non payante ! « . Ce fut cette sorte de « salaire » qui retint la fréquentation des enfants à des leçons, en attendant que le temps les fasse aimer ce qu’au début ils n’avaient pas deviné captivante : l’instruction scolaire.
Celle-ci consistait à l’apprentissage du catéchisme, de l’écriture et de la lecture, du calcul et du dessin ; bref, les enfants étudiaient surtout « ces signes cabalistiques qui leur permettaient d’être scribes, instituteurs, catéchistes « . Dès 1904, quinze premiers séminaristes (dix de Save et cinq de Zaza) furent réclamés par Mgr Hirth pour Sa pépinière de Rubya à Hangiro, sur le lac Victoria en Tanzanie. Là, ils apprirent du swahili, .de l’allemand et du latin. La connaissance de ces langues étrangères donna encore plus de fierté à ces jeunes Rwandais qui savaient déjà lire et écrire leur propre langue, le Kinyarwanda. Ainsi :
« Les humbles serfs s’élevaient (..) à la situation des lettrés, de secrétaires, d’interprètes, tant auprès de leurs chefs indigènes que des maîtres européens. Ils étaient même invités à postuler le sacerdoce, qui les élevait d’un bond au niveau de leurs éducateurs. Quel relèvement subit de leur condition ! Quel accroissement inouï de prestige et même de bien-être ».
Fierté, relèvement de condition, accroissement de prestige et de bien-être de ces jeunes gens de basse extraction sociale, économique et politique, signifiaient sans équivoque (sans que cependant les concernés s’en rendissent compte) une assimilation des apports de l’Occident chrétien et un abandon progressif de la culture rwandaise. Le fait d’accéder aux écoles constituait donc un danger pour les us et les coutumes du pays. En effet, devenue objet de soins particuliers des missionnaires, la jeunesse scolarisée commençait à croire à la prétendu supériorité de la civilisation des Blancs et à la prétendue infériorité de la civilisation des Rwandais. De plus, pour se montrer digne de se nouveaux maîtres, cette jeunesse rejetait cette dernière complètement ou l’entretenait partiellement. Le degré du retour à la source de la culture des Rwandais dépendait du niveau de formation religieuse atteint et du nombre d’années passées côte à côte avec les Pères Blancs.
Un choix : refuser de fréquenter l’école des missionnaires et rester toujours dans sa pauvreté pour les seules raisons de fidélité aux traditions ou renier sa culture et soi-même pour sortir de la misère ? Il semble que les jeunes rwandais n’ont jamais envisagé de renoncer aux manières et aux croyances de leurs parents quand ils ont pris le sentier de l’école. Ils ont eu seulement en vue des avantages matériels que leur procurait l’école. Ils n’ont vu que cela au début. Même quand ils assimilaient la religion chrétienne ainsi que la morale qui en découle, ils ne pensaient pas à la destruction en eux des croyances et des comportements d’un Rwandais ; ils recherchaient l’outil du relèvement de leur condition. Seuls les Pères Blancs savaient pertinemment que l’aboutissement normal de la formation scolaire de leurs élèves était non seulement l’adoption des apports de l’Occident : la religion, des idées, des techniques…. au détriment de leurs propres acquis, mais encore la propagande en faveur des bienfaits de la mission catholique. Donc, il ressort que les Pères Blancs dépensaient leurs forces et leurs biens d’une façon calculée et surtout, ils se montraient affables envers les jeunes Rwandais parce qu’ils avaient un but précis à atteindre : se servir des jeunes pour triompher de la réticence à la conversion à la religion chrétienne.
« L’école payée » fit de l’effet sur des jeunes rwandais et les attira vers la mission. Le papier qu’on y trouvait décida lui aussi une bonne partie de jeunes gens à y adhérer. En effet, des enfants qui fréquentaient l’école s’appropriaient des feuilles de papier et les donnaient à leurs frères ou leurs amis. Avec du papier blanc fixé dans une tige de roseau, ces derniers allaient de colline à colline se disant collecteurs de redevances pour les Pères Blancs et pour la puissance coloniale allemande. Les habitants,
«d’une simplicité incurable, fascinés par ce carré blanc, d’origine incontestablement européenne, accordaient tout, persuadés que ces redevances étaient réellement transmises aux Pères Blancs, niais on devine bien les bénéficiaires réels ».
Ce n’était ni l’administration coloniale allemande, ni les Pères Blancs qui envoyaient ces gens piller la population en se servant d’un objet de si peu de valeur aux yeux de l’Européen, mais d’une véritable fascination pour les Rwandais ; ce fut un mouvement qui prit naissance parmi les écoliers et qui fut propagée par des jeunes Rwandais en quête du profit.
Pendant un temps, le papier fut à la fois une source de crainte et d’enrichissement et l’école qui en fournissait fut un lieu d’attraction vers lequel accoururent des jeunes. En 1905, les 5 stations de mission ne comptaient qu’une dizaine d’écoles ayant chacune environ 40 élèves ; en 1910, dix stations de mission en administraient trente trois avec environ 1.250 écoliers dont un quart était fait de filles. Cette jeunesse allait à l’école non seulement pour y chercher l’argent et la cotonnade, mais encore pour y acquérir du papier, objet alors convoité. Le Père Alexandre Arnoux qui s’est penché sur la perception de quelques objets d’origine européenne par les Rwandais écrit à propos du papier :« Parce qu’un Père avait, au long d’un entretien, pris des notes sur un calepin et les avait ensuite relues sans modifier une seule syllabe, les Banyarwanda superstitieux attribuaient une valeur divinatrice au papier ; ils en achetaient aux écoliers et demandaient à un scribe quelconque d’y griffonner quelques signes cabalistiques, sûrs qu’ils ré vêleraient l’identité d’un voleur recherché en vain ».
D’autres motifs directs et puissants ont incliné la jeunesse rwandaise à aller à l’école de la mission ; on peut citer notamment : la recherche et surtout le désir d’apprendre par cœur des versets du catéchisme pour pouvoir ensuite les réciter en présence de leurs camarades étonnés d’entendre ces choses étranges qui sortaient sans hésitation de la bouche de l’initié, le désir d’accéder un jour au grade de catéchiste, le souhait de devenir moniteur ou d’être prêtre. Ces différents nouveaux échelons de valeur donnaient beaucoup de prestige à ceux qui les franchissaient. D’où l’école devint un nouvel instrument de promotion aussi bien sociale qu’économique. De ce fait, elle assura aux Pères Blancs l’adhésion de beaucoup de jeunes Rwandais issus du petit peuple.
Des adhérents font adhérer leurs congénères
Afin d’accroître davantage le nombre de recrues, les Pères Blancs exigèrent de leurs initiés, des écoliers et des catéchumènes, la présentation d’au moins deux personnes convaincues comme eux des bienfaits de la mission, décidées comme eux d’entretenir des bonnes relations avec les prêtres et résolues comme eux d’accéder au baptême. Cette mesure provoqua un mouvement de prosélytisme inattendu : on enregistra ici et là des écoliers ou des catéchumènes qui présentèrent dans un délai d’un an seulement de 60 à 80 nouveaux adhérents. L’action des prosélytes s’étendit d’abord et principalement sur leurs propres familles et sur leurs amis. Elle trouva sa résonnance dans le cercle social ordinaire et habituel des ouailles ; ce qui leur permit d’agir efficacement sur leurs congénères encore réfractaires car ils connaissaient bien leurs côtés forts ainsi que leurs côtés faibles.
La tactique de développer chez les premiers adhérents, en majorité jeunes, le goût de convertir leurs compatriotes donna dans l’immédiat et même à long terme des résultats très positifs en faveur des missions catholiques : les enfants entraînèrent dans leur sillage leurs parents en leur parlant de nombreux bienfaits que leur réservait l’adhésion au christianisme et en y insistant chaque jour au cours des causeries qu’animent, les soirs, assis autour du foyer, les membres de la famille nucléaire rwandaise. Vieux et vieilles jadis opposés à la doctrine des Pères Blancs finirent par se rallier au « parti » de leurs enfants Soucieuses d’excuser leur défection au paganisme, ces nouvelles recrue; quelquefois aux cheveux gris émettaient des réflexions du genre : « que voulez-vous ? Ah, les enfants d’aujourd’hui : Ils sont intraitables. Puis qu’ils ne cherchent plus à nous entendre, faut-il au moins que nous marchions avec eux.
Bien sûr, ce n’était là qu’une justification qu’on étalait au grand jour et devant le grand public. En réalité les vieux se rendaient au catéchuménat parce que leurs enfants avaient réussi à briser en eux l’opposition contre les Pères Blancs et surtout parce qu’ils se disaient que s’ils n’allaient pas à la mission, leurs enfants finiraient par perdre des avantages qu’ils y tiraient. Alors, ils se laissaient instruire et à leur tour, mais plus discrètement que les jeunes gens, ils convertissaient leurs voisins. Ainsi, de loin à loin, le prosélytisme produisait ses effet; et la conversion des Rwandais devenait une affaire des Rwandais, surtout après 1907.
En effet, après 7 années de séjour des Pères Blancs aux Rwanda, après 7 années d’opposition de la cour contre la mission, Kabare, chef incontesté de l’équipe autochtone alors au pouvoir et observateur souple et ouvert, se demandait anxieusement si son parti :
« n’allait pas se laisser dépasser, submerger, par le flot des roturiers formés par les Pères et employés par les Européens. Ils sentait qu’à bref délai une conversion de front devrait intervenir, à peine pour les batutsi d’une complète déchéance ».
Pour les dirigeants, l’évolution des adhérents à la mission demeurait un problème crucial auquel il fallait trouver une solution parce que l’avenir du régime en place semblait en dépendre irrémédiablement. Il leur fallait trouver et indiquer la voie nouvelle à suivre. Pour Kabare, il revenait aux chefs et aux autres Tutsi influents d’emboîter le pas de leurs troupes sans quoi ils « s’exposaient à être coupés d’elles et à les voir passer sous d’autres enseignes. Par conséquent, il s’avérait désormais nécessaire, voire impératif de laisser d’abord à leurs sujets la liberté d’embrasser la religion de leur choix. Ensuite, il revenait aux dirigeants d’adhérer eux-mêmes à la mission et aux divers acquis des Européens et de laisser surtout leurs enfants rejoindre les fils des Hutu à l’école du missionnaire. C’était tout un programme ! Mais il montre que l’opposition contre la mission catholique avait ainsi vécu et que les Pères Blancs s’implantaient fermement dans le pays.