Adhésion du peuple rwandais aux premières missions catholiques

La deuxième facette des réactions des Rwandais à la fondation des premières missions catholiques se trouve être leur adhésion à la religion et aux activités très diverses des Pères Blancs.

Il convient de souligner d’emblée que quand on parle de réactions des Africains à l’intrusion et à l’installation des hommes- blancs- en Afrique on entend souvent et presque seulement l’opposition des Africains contre les Blancs comme si le mot réaction et la réalité qu’il véhicule se confondent uniquement avec l’attitude de négation que des hommes d’Afrique ont eu en face de la nouvelle situation déclenchée par la pénétration des Occidentaux en Afrique. Le mot réaction doit s’entendre ici comme ayant en son sein à la fois le mouvement de rejet, l’attitude d’observation qui frise l’attentisme, voire l’expectative et l’action d’adhésion.

Pour ce qui est du Rwanda, on constate que pendant que l’opposition aux missionnaires persistait et se généralisait, quelques hommes du menu peuple s’approchaient timidement des missions. Certes, leur action ne fut pas d’une grande importance au cours des premières années de l’église catholique car leur nombre ainsi que leur influence sur le milieu ne représentaient pas encore une force capable de contrebalancer celle de leurs congénères opposés à l’installation des Pères Blancs. Toutefois, leur présence donna à ces derniers quelques espoirs car ils voyaient en eux leurs premiers convertis et le premier noyau de la chrétienté catholique du Rwanda. De plus, ces petites gens qui se mirent du côté des Pères les renseignèrent sur les plans d’attaque arrêtés par leurs voisins et les aidèrent à contourner, quelquefois au risque de leur vie, les pièges qui leur étaient tendus. En outre, ce furent eux qui apprirent aux missionnaires la langue du pays : le Kinyarwanda. Sans la connaissance de celui-ci, les prêtres auraient été loin d’accomplir efficacement leur mission de transmettre l’Evangile ainsi que d’autres acquis du monde occidental dont ils étaient des vrais émissaires.

En plus des douze chrétiens baganda dont Abdon Sabakati, les premiers missionnaires catholiques durent compter donc sur ces premiers adhérents rwandais pour réaliser leur but qui était d’implanter l’église sur toute l’étendue du pays en y créant des centres à partir desquels il fallait convertir des païens, atteindre des convertis et contrôler leur vie sociale qui devait se mener selon les principes de la morale chrétienne.

En face de cette réalité, il convient de connaître comment les Pères Blancs ont réussi à s’attirer la confiance de ce menu peuple alors qu’ils étaient encore en butte à l’opposition généralisée de la population rwandaise. Une analyse profonde permet de constater que pour convertir le peuple rwandais au catholicisme, les missionnaires ont tenu compte de la stratification économico-sociale existant dans le pays : ils ont commencé par les plus démunis et graduellement, ils ont gagné les hommes du commun : agriculteurs, « travailleurs », petits éleveurs, tous dominés et clients.

Encore aux prises avec les difficultés des premières années de leur installation, les Pères Blancs écrivaient en affirmant qu’une foule de Rwandais accourait à la mission et qu’ils étaient satisfaits de leur situation parce que « malgré les petites misères inhérentes à la vie apostolique, les missionnaires jouissaient d’un bonheur parfait, car ils habitaient un pays rempli de monde où il y a beaucoup à faire.

Bien qu’une telle assertion soit très significative et montre que les apôtres de Jésus ont un terrain très bien indiqué pour la prêcher, il convient de placer de tels écrits dans leur temps pour en comprendre aisément l’essence : les missionnaires, une fois débarqués en Afrique équatoriale, faisaient beaucoup de propagande pour attirer le zèle missionnaire de leurs compatriotes restés en Europe. De plus, ils cherchaient à persuader l’opinion chrétienne de l’ampleur de leur besogne au milieu des peuples avides de connaître le christianisme et la civilisation occidentale. C’est dans la mesure où leurs témoignages souvent exagérés frappaient l’attention des lecteurs européens qu’ils pouvaient s’assurer de leur soutien matériel car, faut-il le rappeler ici, « la Société des Missionnaires d’Afrique » se place dans le cadre des Sociétés philanthropiques et scientifiques fondées au XIXème siècle et dont le but principal affiché était de délivrer les peuples d’Afrique du trafic humain, l’esclavage et d’explorer le « Continent mystérieux » afin d’ y permettre l’entrée facile des Européens. Comme tout le personnel de ces sociétés, les Pères Blancs vivaient aussi substantiellement des subsides et des donations des personnes intéressées à la conversion des peuples africains restés jusque là à l’écart de la religion chrétienne et des bienfaits de la civilisation occidentale. Les missionnaires devaient donc faire une apologie de leur entreprise afin d’alerter et de s’attirer la sympathie de l’opinion Publique européenne. Autrement, comment comprendrait-on qu’ils aient écrit qu’ils « jouissaient d’un bonheur parfait » dans ce Rwanda qui les repoussait manifestement?

A côté de leur exagération, les écrits des Pères Blancs reflètent une certaine réalité du moment : malgré l’opposition qui régnait dans le pays et qui visait à barrer la route aux missionnaires, la population (quelques dirigeants même) venait à la mission. Le vrai motif de son affluence des débuts n’a pas échappé à la perception des Pères Blancs qui y ont vu la curiosité pour les objets exotiques et le désir de s’en acquérir. Toutefois, leur erreur a été de penser que tous ceux qui venaient vers leur station seraient, immédiatement après la distribution des cadeaux, l’objet de conversion alors qu’en réalité la majorité de personnes qui se présentaient à la mission ne visaient que : tantôt une aiguille, tantôt un morceau de cotonnade ou une perle, etc. Cette majorité n’envisageait, à ce moment là, aucune autre forme de relations avec les missionnaires desquels elle cherchait à soutirer uniquement ce dont elle avait besoin.

Une infime minorité cependant (quelques orphelins notamment), allait à la mission avec une certaine détermination d’approcher les prêtres et d’essayer de gagner leur sympathie. Dans les débuts, cela ne se faisait pas sans éprouver de la peur car les missionnaires, comme tous les autres Blancs, étaient, aux yeux des Rwandais, des « anthropophages » : ibilyabantu. Mais, cette minorité y allait à ses risques et périls car elle n’avait rien à perdre et rien à sauver. Elle espérait plutôt que ces nouveaux venus pouvaient peut-être améliorer son sort qui n’avait rien d’enviable. D’où elle manifestait sa détermination à se mettre du côté des missions par des petits gestes et par des menus services qui signifiaient, dans la culture rwandaise : et soumission et obéissance. Ainsi, le matin, quand ces petites gens se présentaient devant les Pères, ils les saluaient les deux mains jointes et les yeux tournés vers le sol, contrairement aux autres qui ne les approchaient que pour prendre quelques objets exotiques et qui, en d’autres temps et moments, les regardaient avec dédain. Quelques fois nos démunis apportaient aux Pères du bois de chauffage, de l’eau, etc.

Les missionnaires qui ne cherchaient qu’un tel esprit de bienveillance et une telle prédisposition du cœur ne se firent pas trop longtemps prier pour accueillir chez eux quelques jeunes gens qui s’étaient avancés vers la mission non pas avec l’intention de devenir des premiers chrétiens rwandais mais avec le désir d’améliorer, dans la mesure du possible, leur condition sociale et économique. Ce furent d’abord des orphelins qui se présentèrent chez les Pères. Ils y furent suivis par des malades. Ceux-ci, n’ayant pas pu être guéris par les médicaments traditionnels rwandais, espéraient trouver soulagement chez les Pères Blancs qui étaient considérés non seulement comme porteurs des objets rares et convoités mais aussi comme faiseurs de nombreux miracles et comme guérisseurs très réputés.

En recevant ces nécessiteux les missionnaires mettaient en pratiques des indications du Cardinal Lavigerie qui leur avait fait remarquer :

1° que dans les missions qu’ils allaient créer en Afrique équatoriale, leur apostolat devrait se borner, durant un temps fort long, à l’exercice de la charité qui se manifesterait d’abord par la pratique de cette recommandation de Jésus Christ à ses apôtres : « Infirmos curate » : Soignez les malades,

2° que le dispensaire, les œuvres d’assistance, la participation à l’amélioration de la vie économique et sociale de l’indigène et les écoles seraient les meilleurs moyens d’accès aux peuples et les outils indispensables de les conquérir ou du moins de les adoucir pour se faire finalement accepter au milieu de leurs tribus et même de leurs lignages jalousement fermés dans un *susceptible fanatisme ».

Soins aux malades

Avant l’arrivée des Pères Blancs, les Rwandais pratiquaient des médications réellement efficaces : Kurumika : appliquer des ventouses scarifiées, Kwotsa : faire des pointes de feu, Kunga : faire la réduction des articulations luxées ou de fractures, etc. Ils usaient même de l’asepsie avec le procédé du beurre fondu qui consistait à porter un morceau de métal à l’incandescence, à y déposer du beurre qui, tout bouillant, tombait dans la blessure encore saignante.

Cependant, si nos ancêtres réussissaient à combattre certaines maladies, d’autres, très nombreuses et très dangereuses, leur résistaient. Il y a lieu de citer à titre d’exemple : le paludisme, la tuberculose, les maux des yeux, spécialement le trachome et les plaies horribles qui, dit-on, détruisaient la chair et par endroits, mettaient les os à nu.

A peine installés dans leurs premières stations de mission, les Pères Blancs se mirent à soigner des habitants des environs qui osaient se présenter. La première maladie à être traitée fut la plaie, non pas parce qu’elle était la plus répandue dans le pays, mais parce que, semble-t-il, elle était vite vue par les prêtres. Les remèdes et les méthodes antiseptiques employés par les missionnaires se révélèrent tout de suite beaucoup plus efficaces que les traitements médicaux des Rwandais. Constatant la supériorité des médicaments des Pères Blancs, les malades toujours reçus et gratuitement soignés ne tardèrent pas à affluer à nombre important à la mission : « on en comptait parfois jusqu’à 500 dans une matinée. Le Père chargé des soins médicaux n’arrivait pas à soigner tout le monde ; ses forces avaient une limite.

Ainsi par exemple, selon la diaire de la mission de Save dans lequel il manque toutefois les données de la période allant du 1er Juin 1902 jusqu’au 29 Juin 1903, les Pères de cette mission ont soigné pendant les cinq premières années 13.400 malades qui sont répartis dans le temps comme suit :

 

Du 8 Février 1900 au 31 Mai 1900 : 800 malades soignés

Du 1Juin       1900 au 31 Mai 1901 : 3.100 malades soignés

Du 1Juin       1901 au 31 Mai 1902 : 4.500 malades soignés

Du 30 Juin    1903 au 30 juin 1904 : 5.000 malades soignés

Total                                                     13.400 malades soignés.

 

Si la moyenne annuelle des quatre années pour lesquelles les données sont connues est de 3.350 malades soignés, et la moyenne mensuelle de 279, on pourrait avoir tendance à penser que les efforts des Pères Blancs n’ont pas été énormes. Mais, si on se rappelle que les années 1900 à 1904 furent très difficiles et furent celles au cours desquelles le contact entre les Pères Blancs et les indigènes était presque impensable, on se ravisera et on admettra que ces résultats constituaient un pas important de la réussite des Pères Blancs.

En effet, même si tous ceux qui étaient soignés et guéris ne s’attachaient pas à la mission pour devenir catéchumènes, tous gardaient toutefois une certaine attitude de reconnaissance envers les prêtres : ils ne pouvaient pas les attaquer ; au contraire, ils pouvaient les prévenir (ils les ont prévenu effectivement) des attaques projetées par leurs voisins. Cela était important pour les Pères Blancs encore en butte à une opposition des autorités indigènes et de la grande majorité du peuple car, plus le nombre de malades soignés augmentait, plus les hommes du peuple leur faisait confiance et desserraient leur résistance. Ainsi, les soins médicaux prodigués s’avéraient efficaces pour vaincre progressivement la lutte contre la religion chrétienne comme cela a été constaté au Sahara où la réputation des Pères Blancs a été plus ou moins assise grâce aux soins aux malades :

« Viens chez moi, disait un caïd du sud de Metlili soigné et guéri par les Pères Blancs du poste, tu choisiras l’endroit qui te conviendra le mieux, je t’y ferai bâtir une maison et tu resteras toujours au milieu de nous ».

De plus, il y a lieu de noter que partout en Afrique où les missionnaires sont passés, ceux qui ont personnellement fait l’expérience de leurs soins médicaux en ont parlé à leurs parents et à leurs amis et les ont souvent exhorté et convaincu d’aller vérifier eux-mêmes. C’est ainsi qu’en réalité le nombre de malades soignés augmentait sans cesse et qu’avec lui l’attitude des populations devenait de plus en plus favorable envers les Pères Blancs. Parallèlement, ceux-ci voyaient croître le nombre d’adeptes de la religion chrétienne. Certes, les deux phénomènes n’avaient pas un même élan, mais le premier influençait sans conteste le second et en déterminait le rythme, lent fût-il.

Au Rwanda ce rythme fut effectivement lent à cause de la structure religieuse, sociale et économique en vigueur dans le pays. Pour les Rwandais, se mettre du côté des missionnaires signifiait sans ambages être réfractaire aux traditions du pays, à sa religion et à ses lois. Plus est, selon l’opinion populaire rwandaise, l’attachement à la mission constituait un risque grave pour la prospérité de la famille et de la région. Aux yeux de plusieurs Rwandais, adhérer à la religion chrétienne relevait du domaine de la pathologie et on disait des premiers catéchumènes qu’ils étaient ibiroge : ceux qui ont bu du poison, ou encore, ils étaient traités de ibigome: rebelles.

Tous ces vocables très chargés de signification négative avaient des conséquences malheureuses pour le converti. D’une part, celui-ci se voyait rejeté par les membres de sa famille et refusé par tout son milieu social car les gens craignaient d’être contaminés par sa présence et d’emporter le mauvais sort qu’il était supposé véhiculer. Cela lui prévalait le statut de igicibwe : le banni. D’autre part, on disait du converti qu’il était ikigome : rebelle, ce qui évoquait le non conformisme aux lois en vigueur dans le pays. Ce fait entrainait des punitions exemplaires allant de la bastonnade (douze coups de bâton) à l’expropriation totale des biens. En plus de ces mesures coercitives, le converti à la religion des Pères Blancs était exposé à des railleries et à plusieurs autres gestes très humiliants. Ainsi par exemple, il ne pouvait pas boire avec ses compatriotes, surtout, il lui était interdit d’utiliser le même chalumeau que les autres pour humer de la bière de bananes ou de sorgho car il était considéré comme un banni.

C’est pourquoi ceux qui avaient des familles, des biens et l’honneur à sauvegarder prenaient bien soin de rester à l’écart des missionnaires. Seuls ceux qui n’avaient pas à perdre ni même à sauver dans la société rwandaise allaient à la mission comme bon leur semblait. Ils adhéraient aux instructions des Pères Blancs sans crainte de représailles car leur état de pauvreté les reléguait déjà au dernier plan. Soignés et guéris, ces pauvres s’attachaient à leurs bienfaiteurs qui les employaient à divers travaux de la mission, les nourrissaient, les habillaient et leur apprenaient des prières, des normes de la morale chrétienne, etc. Dès lors, la mission devenait l’apanage des missionnaires et des pauvres qu’ils soignaient et qu’ils guérissaient des maladies du corps en attendant la guérison de la Maladie éventuelle de l’âme.

 Œuvres d’assistance

Durant les premières années de l’église catholique au Rwanda, les Pères Blancs se sont également occupés des œuvres sociales en rendant surtout service à des enfants abandonnés et à des orphelins.

Cette activité n’était pas nouvelle pour les Pères Blancs car partout où ils avaient exercé l’apostolat, ils avaient fondé et entretenu des crèches, des orphelinats, des ouvroirs et des asiles. Cela se faisait à l’instar du fondateur de leurs sociétés, le Cardinal Lavigerie qui entreprit en 1868, à la suite d’une année de famine qui avait frappé la population arabe de l’Afrique du nord, de sauver de la misère et de la mort des petits enfants délaissés qui rôdaient partout sans pain, sans vêtements, sans soins et sans abris.

« En quelques semaines, il en recueillit près de deux mille. C’est à leur service qu’il employa ses premiers Pères Blancs ; c’est dans les orphelinats d’El Biar, de Ben Aknoun et de Maison-Carrée qu’il les forma à cet esprit d’obéissance et de charité dont il voulait faire la marque distinctive de son institut. Ce fut une préparation féconde ».

Dans leurs missions, les Pères Blancs accueillirent des petits Rwandais orphelins ou abandonnés. Ils leur accordèrent un abri, de la nourriture, des vêtements et leur apprirent à travailler. Ceux qui parmi eux manifestèrent des aptitudes pour quelques métiers en firent l’apprentissage et la pratique sous la direction des prêtres ou des Frères coadjuteurs. Quelques-uns s’appliquèrent à la tuilerie et à la briqueterie, quelques autres devinrent ou des maçons ou des menuisiers ; enfin, une bonne partie fut orientée vers les travaux des champs et apprit à comment entretenir des plantes connues et des plantes importées : des carottes, des choux, des papayers, des avocatiers, des orangers, des manguiers… et des arbres pour le bois de chauffage et de construction. Ces métiers de type nouveau dans le pays attachèrent des jeunes gens aux Pères Blancs et leur procurèrent des moyens de pouvoir un jour gagner convenablement leur vie.

Face à cette œuvre d’assistance sociale des Pères Blancs au Rwanda, la littérature missionnaire a eu souvent tendance de souligner uniquement les avantages que les jeunes enfants orphelins ou abandonnés par leurs parents ont tirés de leur accueil par les prêtres ainsi que de leurs diverses occupations à la mission pour montrer l’ampleur de la charité des Pères Blancs. Elle omet, peut-être volontairement, ce que le missionnaires ont gagné de la présence de ces jeunes gens à la mission. Même si c’est difficilement calculable, il est toutefois facile et possible d’en estimer au moins la portée à court et à long termes. A court terme d’abord, on peut dire que ces jeunes gens ont aidé les Pères Blancs achever vite leurs constructions provisoires, ont défriché des terrains et ont semé des champs des Pères Blancs ; ce qui a permis à ces derniers de jouir sans tarder des premières récoltes de leurs jardins. A long terme ensuite, ces jeunes gens ont été d’une grande importance dans les relations que les Pères Blancs ont eu avec le reste de la population rwandaise.

En effet, les missionnaires ont largement profité de leurs premiers adhérents pour apprendre à mieux connaître le Rwanda, ses habitants, ses coutumes et sa langue : le Kinyarwanda. Sur le plan de l’apostolat, les premiers venus à la mission ont attiré leurs congénères et ont permis progressivement le desserrement de la méfiance du peuple rwandais envers les Pères Blancs.

Certes, tout ceci ne peut pas être évalué en chiffres, mais faut-il au moins le souligner afin d’avoir une idée sur ce que les uns ont donné et reçu et sur ce que les autres ont reçu et donné. Cela brise cette façon unilatérale d’aborder l’étude de l’œuvre des missionnaires catholiques au Rwanda telle qu’elle se rencontre dans des écrits de Louis de Lacger, Alexandre Arnoux et plusieurs autres qui, devant l’action des Père: Blancs, font figure d’apologistes. Dans plusieurs endroits de leurs écrits, le Rwandais est pour ces auteurs, une personne qui reçoit seulement sans savoir donner à son tour !

Pourtant, les faits prouvent que dans les premières années de l’église catholique au Rwanda, les Peres Blancs ont eu grandement besoin des Rwandais et ont beaucoup bénéficié de leur aide et collaboration pour l’accomplissement de leur mission d’évangélisation et que les Rwandais ont eu besoin de missionnaires seulement « a posteriori ». En effet, voulant convertir la population à la religion catholique, les prêtres se sont heurtés à une opposition. Pour la vaincre, ils ont usé des moyens qu’ils avaient à leur disposition : médicaments, vêtements ; bref, ils ont employés des objets qu’ils avaient importés de l’Occident, Ils ont capté en premier lieu ceux qui étaient le plus dans la nécessité, c’est-à-dire les malades et les pauvres. Sauvés de leur misère, ils ont agi sur leur milieu : les voisins, étonnés par la bonne situation que des malheureux d’hier ont acquise grâce à leur attachement à la mission, sont allés progressivement s’y faire embaucher pour avoir eux aussi ce qui faisait déjà l’honneur de leurs frères.

C’est pourquoi il y a lieu d’affirmer avec le Père Alexandre Arnoux que des postes missionnaires «auraient vraisemblablement piétiné sur place encore de longues années, si les indigènes n’avaient pas eu l’occasion d’apprécier l’inépuisable charité des apôtres et de découvrir là un argument en faveur de la doctrine prêchée par eux».

Il est donc entendu que sans la présence des jeunes et des pauvres ou nécessiteux et sans des objets matériels alléchants importés d’Europe, les missionnaires auraient sinon essuyé un échec, du moins ils auraient été retardés dans la réalisation de leur mission. Ceci n’est pas un cas isolé ou particulier car partout où les Pères Blancs ont prêché, ce furent des pauvres ou des malades qu’ils ont soignés et guéris qui leur ont servi de guides sûrs et qui les ont introduits dans leurs milieux et dans leurs propres « tribus ».