Progrès Politique Des Institutions Rwandaises Des Années 1960
— Processus d’évolution politique
a) Réconciliation nationale et conférence générale
Le Conseil, répétant qu’à son avis, il faut résoudre de toute urgence le problème de la réconciliation nationale, estime, comme la Mission de visite, qu’une conférence qui grouperait les représentants de tous les partis politiques et ceux de l’Autorité administrante, pourrait jouer à cet égard un rôle de première importance.
Tout en notant la déclaration de l’Autorité administrante, selon laquelle elle avait l’intention d’organiser une conférence de cette nature, probablement au mois d’octobre 1960, le Conseil recommande que l’Autorité administrante envisage d’organiser la conférence plus tôt. Il souligne qu’il faudrait faire en sorte que tous les partis politiques y soient bien représentés.
Le Conseil adjure tous les partis et tous les chefs politiques du Ruanda- Urundi d’arriver à la conférence dans un esprit de compromis, sans rancœur et sans récriminations. Il les invite à faire un effort de compréhension réciproque pour assurer au Ruanda-Urundi un développement démocratique normal.
Le Conseil juge souhaitable que des observateurs des Nations Unies soient invités à assister à la conférence.
Le Conseil pense, comme la Mission de visite, qu’il est hautement souhaitable, du point de vue politique, de prendre aussitôt que possible des mesures d’amnistie pour les faits commis en novembre 1959, et note avec satisfaction que l’Autorité administrante a déclaré qu’elle ne s’opposait pas, en principe, à une amnistie générale.
De plus, notant que la question d’une amnistie figurera parmi les problèmes que débattra la future conférence, la Conseil presse l’Autorité administrante de continuer à envisager la possibilité de prendre sans tarder des mesures d’amnistie, et la nécessité éventuelle de mesures individuelles qui permettraient à certains représentants d’assister à la conférence.
b) Elections nationales
Le Conseil note avec satisfaction que P Autorité administrante a l’intention d’organiser, sous le contrôle des Nations Unies, au début de
1961, des élections auxquelles prendra part la population adulte, selon le système du suffrage universel, en vue de constituer des assemblées nationales pour le Ruanda et l’Urundi. Il note que la conférence qui doit avoir lieu vers la fin de 1960 discutera les dispositions relatives à ces élections. Le
Conseil estime que ces élections devraient se faire au suffrage universel direct et qu’elles devraient, dans la mesure du possible, avoir lieu simultanément dans le Ruanda et dans l’Urundi.
c) Elections communales
Le Conseil note que l’Autorité administrante se propose d’organiser des élections communales dans le Ruanda et dans l’Urundi après avoir consulté séparément le Conseil spécial provisoire et les dirigeants politiques de l’Urundi.
Il note que les deux représentants de l’Unar au Conseil spécial provisoire du Ruanda n’ont pas assisté à la réunion qui s’est tenue à Bruxelles du 30 mai au 7 juin 1960 au sujet du Ruanda et que le Comité directeur de l’Unar a déclaré que les membres de l’Unar ne participeront pas aux élections communales qui doivent avoir lieu au Ruanda entre le 27 juin et le 30 juillet 1960.
d) Réalisations des fins du régime de tutelle
Le Conseil accueille avec satisfaction la déclaration de l’Autorité administrante selon laquelle, après les élections nationales qui doivent avoir lieu au début de 1961 sous la supervision des Nations Unies, elle se propose d’organiser une conférence à laquelle participeront les représentants du Gouvernement du Ruanda et de celui de l’Urundi, pour examiner les mesures qui restent à prendre, sur le plan constitutionnel, pour que le Territoire accède à l’indépendance.
Il note avec satisfaction que l’Autorité administrante a l’intention d’inviter à cette réunion des observateurs des Nations Unies. 11 prie l’Autorité administrante de lui rendre compte, pendant l’année 1961, des résultats de cette réunion. Il espère que cette réunion tiendra compte des demandes visant à obtenir l’indépendance aussitôt que possible et que la question de l’indépendance sera inscrite au plus tard à l’ordre du jour de la seizième session de l’Assemblée générale (c’est-à-dire celle de 1961).
En raison de la communauté essentielle d’intérêts, et des données historiques et géographiques du Territoire, le Conseil est convaincu que le meilleur avenir du Ruanda-Urundi réside dans l’évolution vers un état unique, unifié et composite, comportant des dispositions relatives à l’autonomie interne du Ruanda et de l’Urundi dont il pourra être convenu entre leurs représentants.— Union administrative avec le Congo belge et relations avec la République du Congo
Le Conseil, notant que, du fait de l’accession de la République du Congo à l’indépendance le 30 juin 1960, l’union administrative entre le Ruanda-Urundi et le Congo cessera d’exister, invite l’Autorité administrante à communiquer à l’Assemblée générale, à sa quinzième session (soit à la fin de cette année 1960) (1), des renseignements sur les dispositions définitives qu’elle aura prises pour la dissolution de cette réunion.
Le Conseil note qu’une commission mixte, composée de représentants du Congo et du Ruanda-Urundi, examine la question d’accords temporaires (techniques, fiscaux et économiques) entre le Congo et le Ruanda-Urundi.
Le Conseil prie l’Autorité administrante de signaler à l’Assemblée générale, en temps utile, pour qu’elle puisse examiner la question à sa quinzième session, tous les accords provisoires qui auront pu être conclus au nom du Ruanda-Urundi avec la nouvelle République du Congo.
— Evénements de novembre 1959 au Ruanda
a) Généralités
Le Conseil, notant avec regret les événements tragiques de novembre 1959 et l’atmosphère de tension et d’inquiétude qui règne encore au Ruanda, est persuadé que la réconciliation nationale l’emporte sur tout autre besoin du Territoire sous tutelle…
b) Réfugiés
Le Conseil constate avec regret qu’à la suite des troubles de novembre 1959, plusieurs milliers d’habitants du Ruanda ont été contraints d’abandonner leurs foyers et de chercher refuge ailleurs.
(…) Le Conseil considère qu’il importe que la réinstallation et la réintégration des réfugiés s’effectue rapidement et sans heurts et que, chaque fois que cela sera faisable, les réfugiés soient autorisés à revenir chez eux et soient dédommagés des pertes qu’ils ont subies (…)c) Régime spécial dans le Ruanda
Le Conseil note qu’il existe dans le Ruanda un régime spécial en vertu duquel un Résident spécial détient des pouvoirs extraordinaires (…)
Il exprime l’espoir que l’Autorité administrante examinera la possibilité de lever ce régime le plus rapidement possible.
— Africanisation des cadres
Il considère qu’il y aurait lieu de mettre au point un programme à la fois intensif et complet pour former un plus grand nombre de fonctionnaires locaux pour des postes supérieurs et pour développer les institutions d’enseignement secondaire, professionnel et supérieur. Il recommande de considérer comme particulièrement urgente la question de forces de police, uniquement composées d’autochtones. Le Conseil espère que l’Autorité administrante tirera le plus grand parti des possibilités que l’Organisation des Nations Unies et les institutions spécialisées offrent pour la formation de fonctionnaires, ainsi que la possibilité de renforcer la fonction publique au Ruanda-Urundi grâce au programme OPEX.
— PROGRES ECONOMIQUE
- — Généralités
Le Conseil félicite l’Autorité administrante de la contribution qu’elle a apportée au progrès économique du Territoire (…) Notant cependant que le Ruanda-Urundi est encore financièrement tributaire de l’Autorité administrante, le Conseil exprime sa conviction que la Belgique continuera à lui apporter une aide financière. A ce propos, le Conseil note avec satisfaction que les avances consenties au Territoire sont exemptes d’intérêts et ne comportent pas de clause d’amortissement.
Le Conseil se déclare persuadé que le Bureau de l’assistance technique, l’Organisation des Nations Unies, les institutions spécialisées et le Fonds spécial examineront favorablement toute demande d’assistance qui pourra leur être présentée au nom du Territoire. Il note qu’une mission d’assistance technique va se rendre au Ruanda-Urundi (…)
- — Régime foncier
Le Conseil, notant qu’un remaniement profond du régime foncier du Territoire s’impose, exprime l’espoir que les nouveaux organes représentatifs qui vont se constituer au Ruanda-Urundi examineront d’urgence ces problèmes.
– PROGRES SOCIAL
(…) Le Conseil recommande à l’attention de l’Autorité administrante les observations de l’Organisation mondiale de la santé, particulièrement celles qui préconisent l’intégration plus complète des services curatifs et préventifs et la création d’une région pilote (…)
— PROGRES DE L’ENSEIGNEMENT
Le Conseil note que, depuis 1957, l’Autorité administrante a eu pour politique scolaire de mettre l’accent sur le développement de renseignement secondaire, technique et supérieur, mais que des considérations budgétaires ont retardé le développement de l’enseignement primaire (…) Notant que le Territoire n’a que peu de ressources, il exprime l’espoir que l’Autorité administrante apportera dans ce domaine une aide financière et technique plus grande encore, de façon que ces enseignements puissent s’améliorer et s’étendre sans porter préjudice au développement de l’enseignement primaire. Le Conseil exprime également l’espoir que l’Autorité administrante utilisera pleinement l’aide que les sources internationales peuvent apporter dans le domaine de l’enseignement et appelle son attention sur les observations et les recommandations faites par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture sur la situation de l’enseignement dans le Territoire.
Résolution adoptée par le Conseil de Tutelle
Avenir du Territoire sous Tutelle du Rwanda-Burundi.
Le Conseil de tutelle,
Ayant examiné le rapport annuel et les renseignements supplémentaires communiqués par l’Autorité administrante, ainsi que le rapport sur le Ruanda- Urundi de la Mission de visite des Nations Unies dans les Territoires sous tutelle de l’Afrique orientale (1960),
Ayant entendu les déclarations des pétitionnaires du Territoire sous tutelle du Ruanda-Urundi (4),
Notant les progrès accomplis par le Territoire sous tutelle du Ruanda-Urundi vers la réalisation des objectifs du régime de tutelle,
Notant en outre que l’Autorité administrante a déclaré qu’elle avait l’intention d’organiser en 1961, sous le contrôle de l’Organisation des Nations Unies, des élections auxquelles la population adulte prendra part selon le régime du suffrage universel,
Recommande d’inscrire à l’ordre du jour provisoire de la quinzième session de l’Assemblée générale, en tant que point distinct, la question de l’avenir du Territoire sous tutelle du Ruanda-Urundi.
30 juin 1960.
VOYAGE DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES AU RWANDA-BURUNDI (octobre 1960)
1°. Mémorandum de l’entretien du Ministre tenu à Usumbura, le 7 octobre 1960
Assistaient à cet entretien :
Messieurs le Résident Général Harroy, le commissaire général Forgeur, le secrétaire général Tordeur, le Résident spécial du Ruanda, Colonel B.E.M. Logiest, le Résident de l’Urundi, Reisdorff, l’Adjoint au Commissaire Général Guillaume, l’Attaché de Cabinet Wathar, l’Administrateur de Territoire Minot.
Exposé du Colonel Logiest relatif à l’évolution politique au Ruanda
La situation politique actuelle au Ruanda procède de facteurs très divers, entre
autres :
- L’appui total donné par l’Administration tutélaire à l’ethnie tutsi pendant une période de plus de trente ans. Cet appui a eu comme effet d’accentuer la féodalité Tutsi en réservant aux chefs Tutsi un pouvoir, qu’ils n’avaient pas selon la coutume (auparavant, les pouvoirs étaient en effet répartis entre divers chefs : chefs de bétail, de terres, militaires.., et le Hutu pouvait encore trouver protection auprès de l’un d’entre eux).
- La présence européenne qui :
— d’une part a créé une classe moyenne Hutu (agriculteurs, moniteurs, clercs),
— d’autre part, a empêché des excès trop flagrants de la féodalité Tutsi. De ce fait, insensiblement, le Hutu a considéré l’Européen comme son protecteur.
- Le départ prochain envisagé des Belges du Ruanda :
Les Hutu ont estimé devoir se préparer à ce départ afin d’éviter de retomber dans leur ancien servage. Conscients de leur force, ils veulent exercer le Pouvoir.
Les Tutsi également veulent se préparer à ce départ, en retardant la création d’institutions nouvelles pour effacer plus facilement toute séquelle de présence belge et recommencer le régime du temps jadis.
- La création des partis politiques, et tout particulièrement de l’Unar :
L’Unar, parti traditionaliste, a en effet voulu s’imposer par tous moyens en prévoyant qu’il n’y aurait pas de réaction à ses exactions et ses mouvements d’intimidation.
Jusqu’en novembre 1959, il en est d’ailleurs ainsi.
A cette époque, les Tutsi estiment devoir supprimer ou intimider les deux ou trois chefs Hutu en place (sur 500 environ).
Ce fait provoque une réaction violente des Hutu (incendie d’une dizaine de milliers de cases Tutsi environ). Les troupes n’étant pas suffisantes à ce moment, cette réaction n’avait pu être enrayée immédiatement. Cette « flambée » Hutu se termine aussi rapidement qu’elle avait débuté.
On assiste alors à la réaction des Tutsi, qui veulent, eux-mêmes rétablir l’ordre :
— par l’assassinat politique des leaders Hutu ;
— en réformant l’armée traditionnelle et la lancer sur Gitarama (cœur du mouvement Hutu);
— en exerçant une pression sur les Hutu de seconde zone.
Mais les forces de l’Ordre arrivent sur place rétablissant l’ordre elles-mêmes. Les Tutsi comprennent et rentrent chez eux.
L’administration tutélaire pose à ce moment son premier acte politique : les chefs et sous-chefs Tutsi, mis en fuite ou arrêtés par les Hutu, sont remplacés par des sous-chefs intérimaires Hutu plébiscités par la population.
Second acte politique : la déclaration gouvernementale de novembre 1959, qui préconise la démocratisation du pays.
Février-mars 1960, arrivée de la Mission de visite de l’O.N.U., qui cherche une réconciliation des partis en présence.
De là dérive l’organisation du colloque de Bruxelles, auquel l’Unar refuse de participer.
On en arrive enfin aux élections communales : les Unaristes veulent d’abord y participer et refusent ensuite, sous la pression des éléments réfugiés à l’étranger.
Malgré les manoeuvres de l’Unar, ces élections sont libres ; elles se déroulent dans le calme (400 commandos seulement sont sur place pour assurer le maintien de l’ordre) et sont marquées du sérieux avec lequel les populations se rendent aux urnes.
La participation à ces élections est remarquable (78 %). 85 % des suffrages exprimés vont aux partis Hutu. De ces élections, Kayibanda apparaît comme le véritable chef de la masse Hutu (à comparer avec Nyerere).
Cette force que constitue le mouvement Hutu apparaît clairement : 210 communes sur 229 sont administrées par des conseillers communaux et bourgmestres Hutu.
Suite à ces élections les Hutu demandent l’introduction d’élections législatives au second degré.
Le Résident Spécial, venu de Belgique, n’obtient pas l’accord du Conseil des Ministres.
Depuis lors, les Hutu eux-mêmes reviennent sur cette position, acceptent le timing proposé d’évolution, enfin marquent leur accord sur l’organisation d’élections législatives en janvier 1961.
En attendant, ils demandent toutefois la mise en place immédiate d’institutions intérimaires (un conseil de 40 à 50 membres représentant toutes les tendances, et un gouvernement).
Le Parmehutu demande que la composition de ces institutions soit strictement le reflet des résultats des élections communales.
L’Unar refuse sa participation.
Le Rader adopte une position plus nuancée, estimant que ses membres peuvent participer à titre individuel à ce conseil à condition qu’ils représentent au moins un quart de l’assemblée.
L’O.N.U. sera ensuite saisie au cours de sa session de 1961 (juillet-août) des propositions de structures à établir en vue de l’accès du pays à l’indépendance, propositions qui auront été établies en suite d’une Table Ronde qui sera convoquée à Bruxelles.
Le programme actuel de l’Unar est simple : provoquer des troubles de manière à ce que l’O.N.U. en soit saisie au cours de sa session actuelle et envisager l’élimination de la Belgique. Suivraient ensuite le massacre des leaders Hutu et le rétablissement du régime féodal ancien.
Le danger que constituerait la disparition de la présence belge au Ruanda ou d’une politique de faiblesse serait une réaction violente des Hutu entraînant nécessairement le massacre général des Tutsi, sauf si ceux-ci venaient à bénéficier de protections étrangères.
Il faut attirer l’attention sur la différence qui existe entre les Unaristes locaux et ceux qui se trouvent actuellement à l’étranger (Léopoldville, Goma, Kampala, Dar-es- Salam).
Les Unaristes réfugiés à l’étranger ne cherchent que l’appui des membres africains de l’O.N.U. Forts de cet appui et de celui du M.N.C.-Lumumba, ainsi que de nombreuses sympathies qu’ils recueillent à l’étranger, et tout particulièrement à Bruxelles, convaincus par ailleurs de leur intelligence supérieure, ils sont convaincus de rentrer au Ruanda en vainqueurs, pour y dicter la loi.
Les leaders de l’Unar sur place sont certainement « récupérables ». On peut en dire autant, sauf quelques exceptions, de ceux de l’extérieur lorsqu’ils se seront rendus compte qu’il leur est impossible de bénéficier des appuis précités et de revenir en chefs au Ruanda pour rétablir le régime ancien.
Le nombre des émigrés politiques Tutsi du Ruanda peut être chiffré à une centaine environ.
Le Résident Spécial souligne ensuite la volonté et l’enthousiasme qui animent actuellement le peuple Hutu (travaux publics, agriculture, etc…). Ceux-ci veulent, en fait, faire la preuve que le nouveau régime sera bien meilleur que le précédent.
Retour éventuel de Kigeri au Ruanda :
Peut-être l’intéressé lui-même serait-il sérieusement convaincu de la nécessité de faire des concessions, mêmes importantes, et de redevenir le Mwami de tous les partis.
Néanmoins, ce retour ne manquerait pas d’être interprété par l’Unar comme une victoire et entraînerait de façon certaine de profondes réactions Hutu.
Le Résident Spécial signale en outre le danger réel pour le Mwami de parcourir actuellement le Ruanda.
Le Mwami avait antérieurement proposé la constitution d’un gouvernement composé de ressortissants belges.
Il convient cependant de préciser que le Mwami exigeait que ce gouvernement détienne tous les pouvoirs de la puissance tutélaire et que, par ailleurs, dans ce gouvernement figureraient des hommes, dont le moins que l’on puisse en dire, est qu’ils ne posséderaient pas les qualités nécessaires pour l’exercice de leurs fonctions.
Le Mwami n’a actuellement pas de conseillers européens.
2°. Mémorandum de l’audience accordée à Kigali le 9 octobre 1960 à M. Rutsindintwarane, Président de l’Unar, et M. Ncogozabahazi, membre du Conseil spécial Provisoire.
Monsieur Rutsindintwarane annonce à Monsieur le Ministre qu’il remettra demain un document exposant les thèses de l’Unar.
Le parti tient à soumettre à Monsieur le Ministre son point de vue sur de nombreux problèmes :
Celui du régime d’exception :
L’Unar n’est pas opposé à l’état d’exception susceptible d’assurer la paix publique, mais il se refuse à admettre que l’on utilise la législation d’exception contre le parti.
Le but de l’établissement du régime d’exception était de rétablir la paix publique et ce but n’a pas été atteint. Des conseillers communaux, exécutant les instructions données, du moins tacitement par l’Administration (tout au moins, l’Administration les laissant faire) expulsent des Batutsi dont l’Administration ne se soucie pas.
Pour plusieurs, l’Administration met des obstacles à la réinstallation des réfugiés demandée par certains conseillers communaux. Exemple : territoire de Biumba.
Peut-on admettre que les incendiaires de la veille soient les juges, de savoir s’ils vont ou non réinstaller les sinistrés ? Sont seulement autorisés à se réinstaller ceux d’entre eux qui ne font pas de politique active en faveur de l’Unar.
Les chefs des partis gouvernementaux veulent éliminer l’influence politique de leurs adversaires.
La liberté d’expression :
N’existe pas pour l’Unar, cependant que l’Administration aide les autres partis par son service de l’information.
Monsieur le Ministre fait remarquer que les prises de position de certains dirigeants de l’Unar, résidant à l’étranger, ne sont pas admissibles : il n’est pas vrai que 10.000 soldats belges font régner un régime de terreur au Ruanda. L’Unar doit, lui aussi, respecter la vérité.
Monsieur Rutsindintwarane regrette ces prises de position mais « exagérer est humain », d’autant que les chefs de l’Unar du Ruanda sont pratiquement dans l’impossibilité d’avoir une influence sur les gens de l’étranger et de les renseigner sur la base des obstacles que l’administration y met.
Il estime que 25.000 hommes, femmes et enfants ont quitté le Ruanda vers le Congo ou l’Uganda.
Le problème du Mwami :
Le Mwami a souhaité se rendre en Belgique. Le gouvernement s’y est opposé. Le Mwami, découragé, et désespéré, s’est rendu à Léopoldville pour exposer son point de vue à l’O.N.U. Il en a été réduit à se faire aider par le Gouvernement Central.
Il a pris des positions que le parti ne désavoue pas. L’Unar veut le libérer de la Tutelle parce que l’administration de la Tutelle est mauvaise. Le Mwami voulait demander le remplacement de l’administration locale au cours de son voyage en Europe. Il n’a pu le faire ; il ne lui restait d’autre solution que de s’adresser à l’O.N.U. Mais cette exigence peut être revue et fortement assouplie en faveur d’une collaboration avec la Belgique.
M. Rutsindintwarane voulait se rendre en Belgique :
L’administration locale s’y est opposée.
Il voulait, à cette occasion, expliquer la position de son parti avant le Colloque et avant les élections communales. Il voulait rappeler que l’O.N.U., comme l’Unar, souhaitait en principe la réunion d’une Table Ronde.
Il ne faut pas s’étonner, après cela, que l’Unar ait été mise dans l’obligation de s’abstenir au Colloque comme aux élections communales, le préalable n’étant pas réalisé.
La mise en place des conseillers communaux et la nomination des bourgmestres :
Ont été présentées comme devant ramener la paix publique. Il n’en est rien. Les bourgmestres abusent de leurs pouvoirs ; des incidents éclatent tous les jours, dont les Tutsi font les frais. Monsieur le Ministre demande si l’Unar accepte de participer aux élections législatives.
Son interlocuteur lui répond qu’il y met une condition sine qua non : le retour à la liberté d’expression, de déplacement, de réunion.
Il cite son propre cas, déclarant qu’il n’a pas le droit de se déplacer alors qu’il est le président de son parti. Comment veut-on que l’Unar se présente aux élections, si son comité central est dans l’impossibilité de prendre contact avec les candidats, de mener une propagande loyale et honnête ?
Les partisans de l’Unar sont systématiquement écartés au moment de l’africanisation des cadres.
Mémorandum de l’audience accordée à Kigali le 9 octobre 1960 à MM. Bwanakweli et Rwigemera, membres du parti Rader
Ils exposent leurs points de vue sur diverses questions, l’ensemble du problème ayant été évoqué par M. Ndazaro.
- Suppression du régime d’exception :
Qui n’a pas ramené la paix dans le pays ; qui est un régime dirigé contre l’ethnie Tutsi ; la suppression de l’état d’exception doit aller de pair avec la suppression de l’administration militaire et le remplacement de l’actuel Résident.
- Problème Kigeri :
Le prestige du Mwami reste énorme.
Un referendum organisé librement donnerait un résultat massif en faveur du Mwami.
Le Rader est fortement partisan d’un referendum sur la présence de Kigeri et sur l’institution monarchique ; il réclame le retour du Mwami avant qu’il ne parte à l’O.N.U ; intronisation officielle et une invitation en Belgique.
L’Administration déclare qu’il appartient au peuple de se prononcer sur la personne du Mwami Kigeri, mais elle tient le Mwami à l’écart de la vie publique et refuse de lui rendre la place à laquelle il a droit.
- Problème des réfugiés :
La responsabilité de l’administration est évidente.
Le Résident Général refuse de réinstaller les réfugiés ; il refuse également de prendre des mesures compensatoires pour les biens qu’ils ont dû abandonner. Le Résident Général veut les installer dans d’autres régions du Ruanda sans leur donner aucune garantie qu’ils ne seront jamais persécutés.
Le Ministre croit savoir que l’Unar se sert des réfugiés dans un but de propagande ; ses interlocuteurs sont d’accord, mais ils veulent attirer l’attention sur le fait que cette question n’est qu’un aspect du problème qui consiste à séparer le Mwami de l’Unar. Ramener le Mwami, c’est affaiblir l’Unar.
- Elections communales :
Les électeurs qui ont participé au scrutin étaient à 80 % illettrés. Des scribes du Parmehutu ont rempli leurs bulletins, ce qui explique les résultats du scrutin.
Les élections se sont déroulées sans que les délégués du Rader aient pu pénétrer dans les bureaux de vote ; il cite son cas personnel.
Nous n’acceptons pas le résultat des élections et nous réclamons que des élections communales soient recommencées avant les élections législatives et précédées de la nomination de bourgmestres à titre provisoire dans tous les partis.
- Liberté d’expression :
La campagne électorale pour les élections communales a été précédée d’une période très courte de propagande électorale, au cours de laquelle chaque parti a été autorisé à faire effectuer cette propagande par trois délégués seulement pour tout le Ruanda.
Des restrictions constantes sont apportées aux déplacements des leaders Tutsi.
Il exhibe une feuille de route qui en fait foi : En voici la copie
TERRITOIRE DU RUANDA
RESIDENCE DU RUANDA
FEUILLE DE ROUTE
Monsieur Bwanakweli: Prosper est autorisé à se rendre de Kigali à Nyanza afin de s’occuper du partage de son bétail, de la récupération de ses biens personnels.
Il résidera soit au Kabageri, soit à Nyanza (chef-lieu du territoire) et il s’est engagé à ne pas s’occuper d’autres questions que celles qui ont justifié l’octroi de la présente feuille de route et plus exactement à s’abstenir de toute activité politique de quelque genre que ce soit.
Kigali, le 16 août 1960,
Pour le Résident Spécial, en mission :
Le Résident Adjoint L. R. REGNIER.
(manuscrit) Vu, pour accord, Bwanakweli peut s’occuper librement de ses biens.
Prière aux autorités (chef et chef de commune) de l’aider.
Nyanza, le 18 août 1960, L’Administrateur de Territoire, E. de JAMBLINNE.
- Persécution de tout ce qui est Tutsi :
Il n’y a aucun Tutsi dans la garde Territoriale ; on élimine ceux d’entre eux qui faisaient partie de la police territoriale; on élimine les Tutsi, juges ou fonctionnaires ; même dans le secteur privé, les Tutsi ne trouvent plus à s’occuper.
Si l’Administration ne veut pas l’élimination complète des Tutsi, il faut rechercher les responsables qui agissent en contradiction avec les instructions du Gouvernement et les punir.
- Conclusions :
On est passé d’un extrême à un autre.
L’Administration est partiale ; le conseil exécutif doit tempérer son action ; les agents de l’Administration, coupables de meurtres, doivent être écartés du pays.
Monsieur Bwanakweli souhaite que le Gouvernement recommande aux missions catholiques de s’abstenir de faire de la politique.
Enfin, il réclame la suppression de toute discrimination raciale entre Hutu et Tutsi, comme c’est actuellement le cas pour l’attribution de bourses d’études.
Mémorandum sur l’audience accordée à M. K. du Rader
Gitarama, le 11 octobre 1960.
La masse est crédule et le chef du Parmehutu s’en sert à des fins racistes.
Les missions catholiques et l’Administration belge sont partiales et favorables au Parmehutu.
Quels sont les remèdes à apporter à la situation actuelle ? Un préalable consiste en la présence belge.
Interdire à l’Administration de faire de la politique. Eventuellement, écarter certains de ses agents qui sont trop compromis. Missions, idem. Former une réelle élite comprenant des gens de toutes races.
La question du Mwami est secondaire. L’Administration belge doit reprendre l’autorité en main. Monsieur le Ministre insiste sur la nécessité de rétablir l’ordre.
Mémorandum sur l’audience accordée aux représentants du Rader
Usumbura, 15 octobre 1960.
Les représentants stigmatisent l’attitude partisane de l’Administration.
Cette Administration prend délibérément fait et cause pour un parti, le Parme- hutu ; actuellement, le pays vit sous la dictature de ce parti.
Les élections communales, dans les circonstances dans lesquelles elles se sont déroulées ont permis au Parmehutu de s’emparer de tous les leviers de commande à l’échelon communal.
Ce fait, ainsi que la carence d’autorité vis-à-vis des actes des bourgmestres Parmehutu, font nécessairement obstacle à l’organisation d’élections libres. Il serait en effet impossible, dans les conditions actuelles, pour un parti autre que le Parmehutu, d’assurer sa propagande à l’échelle communale.
Aussi, le Rader suggère, puisque le Gouvernement belge estime malgré tout devoir considérer les élections communales comme valables que soient mis à côté de l’Autorité de Tutelle, à l’échelon territoire, des adjoints choisis dans les diverses ethnies, ce qui assurerait la liberté des élections, par un contrôle effectif des actes des bourgmestres.
Ils rappellent, par ailleurs, leur demande de levée de l’état d’exception, actuellement générateur d’exactions et de troubles.
Il leur est assuré que la constitution d’un gouvernement provisoire, auquel seront confiés les pouvoirs de maintien de l’ordre, entraînera nécessairement la levée de ce régime d’exception à bref délai.
Mémorandum de l’entretien accordé le dimanche 9 octobre à Kigali à l’abbé G.
Il est indispensable de limiter au maximum l’activité de l’Administration en matière politique.
Un élément de conciliation peut être la personne de Karakezi.
Le Rader lui-même le respecte, il est indemne de toute compromission et fut plébiscité par les Bahutu de sa région. Sa chefferie est un modèle du genre (création de foyers sociaux, écoles, etc…).
L’organisation d’un referendum sur la personne du Mwami telle que ou sur l’institution monarchique, ne peut que placer le Gouvernement belge devant un dilemme :
— ou bien tout se déroulera dans l’ordre et, cela aura nécessité l’intervention active de l’Administration, et les résultats seront contestés ;
— ou bien l’Administration se gardera de toute intervention et ces élections ne pourront se dérouler que dans le chaos (meurtres, incendies, dévastations, etc…).
La révolution Hutu est actuellement faite, on ne peut plus revenir sur cette question. Il faut donc certainement continuer la ligne politique actuellement suivie, mais avec moins d’interventions de l’Administration, et en essayant de provoquer une réconciliation sur une personne telle que le chef Karakezi.
Mémorandum sur l’audience accordée à Astrida le 11 octobre à M. l’abbé Stanislas Bushayija, prêtre tutsi du clergé du Rwanda
Remet une note en annexe.
En insistant sur le fait que trois questions dangereuses se posent au Ruanda :
- Mwami.
- Les relations entre Hutu et Tutsi.
- Les faiblesses de l’Administration.
Monsieur le Ministre, après avoir pris connaissance de la note, déclare qu’il est pratiquement d’accord sur toutes les conclusions.
Il demande à Monsieur l’Abbé de lui citer des noms de leaders de l’Aprosoma décidés à collaborer avec les Tutsi.
Monsieur l’Abbé cite : Nzegimana et Munyangaju (Aloys).
Monsieur l’Abbé insiste pour qu’une solution soit trouvée d’urgence au problème des réfugiés. L’Administration se doit de distinguer entre les « grands » Batutsi, partisans résolus de l’Unar et les « petits » Batutsi qui ne font pas de politique et en sont les victimes.
Monsieur le Ministre est très sensible au problème. Il ne voit de solution que dans une collaboration loyale et une bonne volonté des populations, de l’Administration et des partis politiques.
Mémorandum de l’audience accordée à M. l’abbé Innocent, vicaire délégué de Kabgayi à Gitarama, le 11 octobre 1960
- Monsieur l’Abbé attire l’attention sur la situation difficile des familles de ceux qui sont en prison.
Ces familles sont condamnées à errer dans le pays.
Le Gouvernement Belge a un devoir moral de s’en occuper.
- Autorité du pays :
Il n’y a plus d’autorité. Les bourgmestres n’ont pas les populations en main, ils ignorent tout de leurs droits et de leurs devoirs.
L’Administration se borne à laisser faire les extrémistes des partis populaires. La population est lasse, et les Tutsi qui ne sont pas protégés par les autorités en seront réduits à se faire justice.
- L’Administration devrait se tenir au-dessus des partis.
Le Ministre pose la question de savoir s’il y a encore des violences ou des expulsions dont sont victimes certaines couches de la population.
Monsieur l’abbé Innocent se borne à citer en exemple les 250 réfugiés venus ces deux derniers jours de l’est du Territoire.
- Monsieur l’abbé Innocent estime que la responsabilité de l’Administration est engagée chaque fois que des réfugiés sont spoliés de leurs terres, alors qu’aucune mesure conservatoire n’est prescrite.
Il met l’accent sur le fait que les questions qu’il a soulevées, il les a posées en tant que prêtre catholique et non en tant qu’homme politique.
Le Mwami désire rencontrer le Ministre
Le 12 octobre le Mwami fit savoir au Ministre qu’il était désireux de le rencontrer. Il projeta l’envoi d’une délégation à Usumbura afin de fixer les conditions d’une entrevue. Sa délégation était d’abord formée d’un de ses collaborateurs et de maître Croquez. Le Mwami proposa ensuite d’envoyer une délégation, composée de deux Batutsi et de Christian Jayle à titre de conseiller européen, en vue de préparer la rencontre ministre-Mwami. Le Ministre des Affaires Africaines accepta de recevoir la délégation du Mwami, composée de maître Croquez et d’un collaborateur du Mwami. Cette tentative de rencontre échoua cependant à la suite des pressions que l’entourage du Mwami exerça sur lui, en lui laissant croire qu’il s’agissait en fait d’une manœuvre de l’Administration belge.
Mémorandum sur la visite à la Mwamikazi du Rwanda, Rosali Gicanda, veuve du Mwami Mutara, le 18 octobre 1960.
Ne se plaint pas de son sort. Souhaiterait cependant que sa liste civile lui soit versée plus régulièrement.
Elle a été forcée récemment de quitter Nyundo pour regagner sa résidence de Nyanza sous le prétexte qu’elle se serait rendue dans la région de Kisenyi pour gagner le Congo. Elle affirme qu’elle se rendait à Kisenyi pour y consulter un médecin. Elle m’a assuré ne pas faire de politique et n’avoir nullement le désir de quitter le pays.
Elle se plaît à louer la considération dont fait preuve à son égard l’Administrateur de Territoire de Nyanza, M. de Jamblinne.
Mémorandum sur l’audience accordée le 9 octobre à Kigali à M. Kayibanda, représentant du Parmehutu
Toute la politique Parmehutu est basée sur la démocratie.
Des élections démocratiques ont eu lieu.
Actuellement, une phase de transition commence, qui prendra fin en janvier. Au cours de cette période, il importe :
– que soit élargi le Conseil spécial et qu’il soit constitué strictement sur la
— base des élections communales ; l’intéressé insiste sur la nécessité de la mise en place d’un conseil ainsi que sur sa composition ;
— que soit constitué un gouvernement provisoire avec le maximum de , pouvoir et dont la composition soit le reflet des résultats des élections communales; que soit désigné un chef de ce pays suivant des modalités à établir par un conseil et un gouvernement.
Le Parmehutu, dans toute sa campagne, a prôné des institutions républicaines.
Réconciliation des Hutu et des Tutsi :
Cette réconciliation doit s’effectuer par la mise en place et le fonctionnement des institutions. Il n’y a pas d’autre solution valable et certainement pas celle qui consisterait à un rapprochement des partis politiques.
Il y a des irréductibles, et surtout à l’étranger, et malheureusement les Tutsi locaux subissent fortement cette influence et ces manœuvres d’intimidation.
Ainsi influencés, il n’est pas certain que les Tutsi ne feraient pas de l’obstruction aux élections législatives en conditionnant leur participation au départ du Colonel Logiest, etc…, afin de retarder les élections.
Le Parmehutu n’a aucune tendance raciste et il n’y a aucune haine contre les Tutsi.
Il ne faut pas temporiser et mettre les institutions en place immédiatement — pour faciliter cette réconciliation.
Mémorandum sur l’audience accordée à Gitarama aux chefs intérimaires du territoire le 11 octobre 1960 : MM. Kanimba, Niyonzima et Ndahayo
Les intéressés déclarent que la population est très satisfaite des élections communales.
Souhaitent que les élections générales ne soient pas reportées.
- le Ministre. — Elles n’ont pas été reportées et ne le seront pas. Elles ont été fixées pour janvier 1961, avec l’accord des représentants des partis au Colloque du Ruanda.
Les chefs souhaitent qu’en attendant les élections, un Conseil provisoire et une Assemblée soient mis en place.
Réponse. — Ce sera fait dans l’immédiat.
Les chefs souhaitent que la composition du Gouvernement et de l’Assemblée tienne compte du résultat des élections communales.
Monsieur le Ministre insiste sur la nécessité d’organiser convenablement le Gouvernement. De doter les bourgmestres de pouvoirs et de responsabilités effectives. De faire régner l’ordre dans le pays.
Mémorandum sur l’audience accordée le 11 octobre 1960 à Gitarama à la délégation des bourgmestres du territoire
Monsieur Sentama expose le point de vue de la délégation, en remerciant le Ministre d’avance.
Les Batutsi de l’Unar sont la cause des troubles et n’aspirent qu’au retour du régime féodal.
Il faut passer aux élections législatives dès que possible.
Le Mwami doit être destitué et la République proclamée.
le Ministre dit que ceci n’est pas l’affaire du Gouvernement de Tutelle. « C’est votre affaire après les élections législatives. »
Mémorandum sur l’audience accordée à Gitarama le 11 octobre 1960 au bureau exécutif du Parmehutu
Kayibanda, président, expose le point de vue de la délégation.
Il se bornera à recommander une série de questions techniques, en rapport avec l’accession du Ruanda à l’indépendance.
L’indépendance doit être préparée : les Européens doivent réaliser qu’ils auront toujours un rôle à jouer, même après l’indépendance.
L’assistance technique et financière de la Belgique devrait se poursuivre au-delà de l’indépendance.
Dès maintenant, les nominations et mutations du personnel européen devraient se faire en accord avec l’exécutif provisoire.
Le parti souhaite que le Colonel Logiest reste Résident du Ruanda jusqu’à l’indépendance et insiste sur la nécessité d’une décentralisation immédiate et rapide d’Usumbura vers Kigali.
Les services d’Usumbura doivent désormais se borner à régler les questions communes entre le Ruanda et l’Urundi en nature des relations avec la Belgique et l’étranger.
L’évolution politique du Ruanda et (celle) en Urundi peuvent ne pas coïncider.
Communauté du Ruanda-Urundi :
Ne pas présumer de l’avenir, mais ne rien faire qui puisse rendre l’installation de la communauté plus difficile, sinon impossible. Concevoir la Communauté comme un organe émanant des institutions des deux pays. Le président termine en remettant une déclaration conjointe de l’Aprosoma et du Parmehutu en date du 9 octobre 1960.
Mémorandum sur l’audience accordée à Kigali à M. Joseph Gitera Habyarimana, président de l’Aprosoma le 9 octobre 1960
Gitera souhaite une réunion plénière des leaders de tous les partis, sous la présidence du Ministre, au cours de laquelle chacun aurait l’occasion de « vider son sac ».
Pour lui, le problème qui se pose au Ruanda est simple : il s’agit de choisir entre le régime féodaliste Tutsi et le régime démocratique, défendant les droits de la masse de la population.
Il appartient à la Tutelle de prendre nettement position.
L’Aprosoma est un parti républicain.
Le Ministre fait remarquer que la plupart des pays d’Europe sous régime démocratique présentent le plus de garanties lorsqu’ils coïncident avec une structure de monarchie constitutionnelle.
Habyarimana fait remarquer qu’il faut tenir compte de l’histoire du Ruanda : ou le Mwami est Hutu, et c’est l’écrasement des Tutsi ; ou le Mwami est Tutsi et c’est la lutte immédiate provoquée par les Hutu.
C’est la raison pour laquelle le parti Aprosoma propose que le Chef de l’Etat soit un président élu pour un temps par l’assemblée issue du peuple, peu importe que ce président soit Tutsi ou Hutu.
Le Ministre demande pourquoi les Bahutu n’ont pas confiance en la sincérité des Tutsi. Il faut pourtant vivre avec eux.
- Gitera répond qu’il n’y a pas de problème si le Tutsi admet qu’il ne soit plus le leader et que le régime féodal est définitivement révolu.
Il y a des Tutsi qui ont compris et qui sont affiliés à l’Aprosoma, sans être tenus en suspicion par les Hutu.
Le Ministre demande quelle est la position du parti Aprosoma en face de la question d’un referendum sur la présence de Kigeri et sur l’institution monarchique.
Son interlocuteur répond que ce choix doit être d’abord celui des autorités de tutelle. Le Ministre fait remarquer qu’aussi près de la date de l’indépendance une décision unilatérale de la Tutelle est dangereuse et serait inévitablement critiquée.
Pour M. Gitera, la Belgique tergiverse au lieu d’agir. Elle reporte la mise en place des institutions provisoires.
Le Ministre fait remarquer qu’un gouvernement provisoire sera mis en place au plus tôt, que des élections générales auront lieu en janvier, et il demande quel est le sentiment de Gitera sur l’opportunité de la création d’un conseil provisoire législatif pour la période qui précède les élections.
- Gitera est favorable en principe ; il n’en fait cependant pas une question majeure ; il fait confiance à la Tutelle sur ce point.
Il répète qu’il estime nécessaire qu’une réunion générale des délégués des partis se tienne pendant le séjour du Ministre au Ruanda.
Enfin, à titre personnel, il rappelle qu’il a été le premier leader Hutu du Ruanda et qu’il serait disposé à accepter un portefeuille ministériel dans le gouvernement.
Mémorandum sur l’audience accordée à MM. Makuza et Mbonyumutwa, membres du Conseil spécial provisoire et du parti Parmehutu, le 9 octobre 1960
- Makuza rappelle à Monsieur le Ministre qu’il a eu l’honneur de l’entretenir à Bruxelles de sa position envers les problèmes qui se posent au Ruanda. Pour lui, il n’y a pas de paix durable sans qu’une solution ait été apportée aux trois problèmes suivants :
- Chef de l’Etat ;
- Gouvernement ;
- Assemblée législative.
Le Ministre attire l’attention sur le danger que pose la présence de réfugiés au dehors du Ruanda. Ces Tutsi aigris se tourneront inévitablement vers les nations extrémistes. Ne faut-il pas envisager de les réintégrer ? Il n’invoque pas ici ni la situation du Mwami ni celle des leaders ayant été condamnés par les tribunaux.
Makuza suggère à Monsieur le Ministre de prendre connaissance du procès- verbal du Conseil spécial provisoire où il a proposé lui-même cette réintégration, mais l’Unar en a fait un instrument politique comme il organise un mouvement de jeunes filles…
Le Ministre demande si la liberté d’expression et d’opinion existe au Ruanda.
Monsieur Makuza dit que toutes les opinions peuvent s’exprimer tant qu’elles reflètent la vérité.
Le Rader s’est condamné lui-même dès qu’il a quitté le Front Commun et a repris les slogans mensongers de l’Unar. Le Rader aurait obtenu, d’après lui, 20 % des suffrages s’il n’avait pas changé de politique. Le Parmehutu n’y est pour rien.
Kigeri doit être démis. C’est le pôle d’attraction des Batutsi. Aussi longtemps que les Batutsi n’abandonnent pas leur complexe de supériorité, il n’y a pas d’entente possible.
Le Parmehutu et l’Aprosoma ont toujours eu pour souci de protéger les Batutsi, s’il n’en avait pas été ainsi, si les partis avaient un tant soit peu incité les Hutu à l’action, il ne resterait plus de Batutsi au Ruanda.
Il y a des exceptions : il y a des Batutsi qui ont compris mais la plupart d’entre eux espèrent que les européens quitteront rapidement le Ruanda et qu’ils reprendront le régime féodal. Kigeri est épris du même complexe de supériorité, il est le responsable des troubles de novembre ; il se refuse à collaborer.
Mémorandum sur l’audience accordée à Kigali le 9 octobre 1960 à MM. Munyangaju et Nzeyimana, membres du Conseil spécial provisoire et du parti Aprosoma
- Munyangaju s’en tiendra à parler du présent et de l’avenir.
Pour la période qui précède les élections, l’Aprosoma préfère voir mettre en place une assemblée élue au deuxième degré, comme le prévoit le décret, mais assisterait un conseil nommé.
L’Aprosoma réclame la mise en place immédiate d’un conseil exécutif.
Le Ministre assure que le conseil exécutif, gouvernement provisoire, sera mis en place immédiatement, mais est-il indispensable de mettre en place une assemblée provisoire de trois mois?
- Munyangaju estime que c’est indispensable pour représenter le pays.
Le Ministre souhaiterait connaître les sentiments de ses interlocuteurs au sujet du problème des Batutsi réfugiés au Ruanda ou à l’étranger. Cette situation constitue un réel danger pour l’avenir.
- Munyangaju l’admet. Mais, dit-il, ce sont les Tutsi qui refusent de se reclasser dans la société. Ceux de l’intérieur, à cause de la crainte qu’ils ont du retour du Mwami, ceux de l’extérieur, qui n’ont pas compris que le temps de la féodalité était révolu.
Monsieur le Ministre signale qu’il semble que des Banyarwanda expulsent des Tutsi.M. Munyangaju réplique que si cela est vrai, ces Banyarwanda abusent de leurs pouvoirs et doivent être punis.
L’Aprosoma accepte la collaboration avec les Tutsi si ceux-ci acceptent d’être une minorité. Les partis Tutsi peuvent améliorer leurs chances s’ils s’organisent pour mener une propagande loyale. L’exemple du Rader est révélateur : ils ont décidé de tenter leur chance aux élections puis ont changé de position. Ils ont changé de position parce qu’ils ont supposé que l’indépendance était proche, elle marquerait un retour du Mwami avec l’appui de l’étranger.
Le peuple décidera de l’avenir de l’institution monarchique. Les événements ont prouvé que le Mwami Kigeri est le chef d’une organisation criminelle dirigée contre les Hutu.
Notre position est républicaine, mais nous nous soumettrons à la décision de l’assemblée.
Monsieur le Ministre demande si ses interlocuteurs sont favorables à la création d’un gouvernement provisoire dans lequel les quatre grands partis seraient représentés.
Ils le sont, à condition que la représentation des partis s’inspire du résultat des élections communales. M. Munyangaju souhaite une réunion générale des partis pour confronter les points de vue de chacun. Il souhaite vivement arriver à un accord afin que le paysan, éternel victime des troubles politiques, puisse cultiver sa terre en paix.