1° LE REGNE DE RUGANZU I B’WIMBA Mine Roi ;± de 1312 à 1345

 

  1. La Cour de Ruganzu I ; sa mort en Libérateur.

 

  1. Lorsque le rideau s’ouvre enfin, avec le règne de Ruganzu I Bwimba (Ruganzu le Victorieux, Bwimba= le Courroux), le Rwanda a sa capitale Gasabo à la pointe sud-occidentale du lac Muhazi. En ce moment, le Roi est encore un jeune homme, qui nous paraît sous la tutelle de sa mère Nyiraruganzu I Nyakanga, du clan des Abasinga. Celle-ci est secondée dans sa tâche par son cousin appelé Nkuralcumbi, fils de Nyebunga. Parmi les personnages importants de la Cour, il faut noter les grands Dépositaires du Code ésotérique : Nyaruhungura, de la Famille des Abatsobe ; Cyenge, fils de Nyacyesa, de la Famille des Abakwobwa ; Gitandura (fils ?) de Kingali, qui deviendra l’ancêtre (pas éponyme) des Abatandura. —Ensuite Mukubu, fils de Mushyoma, du clan des Abaha, qui semble n’avoir peut-être pas été Dépositaire du Code ésotérique.

Le Roi a un jeune frère appelé Mwendo, et une soeur, déjà en âge de se marier, du nom de Robwa. Sa jeune femme, sans doute la plus en vue, est Nyakiyaga, fille de Ndiga, du clan des Abega.

 

92.En face du Rwanda se dressent deux royaumes puissants : au Sud le Bugesera alors gouverné par Nsoro I Bihembe et le Gisaka à l’Est, où règne Kimenyi I Musaya. Le monarque du Bugesera nous sera bientôt représenté comme ayant des relations d’amitié avec la Cour du Rwanda, tandis. que Kimenyi I Musaya voudrait annexer le domaine des Banyiginya.

Pour atteindre son but, Kimenyi I demande la Main de Robwa. Ses devins lui auraient déclaré que s’il l’épousait, de ce mariage naîtrait le futur annexeur du Rwanda. Ruganzu. I et ses conseillers, mis au courant de ces visées, ou peut-être mieux à la suite d’oracles divinatoires défavorables, s’opposèrent au mariage projeté. Mais la Reine mère et son puissant favori, Nkurukumbi, y étaient favorables : ils estimaient, quant à eux, que ce mariage fonderait une alliance profitable au pays. Leur avis l’emporta et Kimenyi I Musaya épousa Robwa.

93.Avant le mariage cependant, le Roi mit sa soeur au courant de la situation. Elle lui promit qu’elle ne donnerait pas à Kimenyi le fils de malheur. Quelque temps après, elle fit annoncer à son frère qu’elle était enceinte.’ La Cour du Rwanda décida que le sacrifice d’un Libérateur était nécessaire pour faire fructifier au centuple la mort de Robwa car elle avait décidé de se suicider avant la naissance de son aîné tant redouté. Les oracles divinatoires désignèrent Nkirukumbi pour le sacrifice volontaire de sa vie sur le champ de bataille. Mais le grand favori n’accepta pas le terrible honneur qui lui était décerné.

  1. Le sort divinatoire désigna le Roi en Personne ; avant de se Mettre en route, il décréta que le clan des « Àbasinga ne donnerait plus jamais Une Reine Mère, en punition de ce refus de Nkurukumbi qui n’avait pas accepté de verser son sang pour sauver le royaume. Le Roi n’avait Malheureusement pas encore un fils qui lui succéderait, mais sa femme attendait l’heureux événement Le Roi se déplaça donc vers la frontière orientale et attendit l’annonce de cette naissance, avant d’ouvrir les hostilités contre le Gisaka.. II apprit enfin que Nyakiyaga lui avait donné un fils : c’est Gitandura qui lui annonça la bonne nouvelle. Le messager reçut l’ordre de retourner à la Cour et d’imposer à l’enfant le nom de Rugwe. A partir de ce moment, Gitandura et sa descendance obtinrent à perpétuité le privilège d’imposer aux enfants royaux un nom, avant que le monarque ne leur imposât le sien.
  1. Ayant convoqué ses conseillers au camp, — car un Libérateur ne pouvait jamais revenir en arrière pour quelque motif que ce fût, — le Roi confia le Gouvernement du pays à Cyenge, jusqu’à l’époque où Rugwe serait d’âge à l’exercer. Ces dispositions étant prises, Ruganzu I donna le signal des hostilités et se fit tuer par les guerriers du Gisaka à la bataille livrée à Nkungu près Munyaga, dans la Commune actuelle de Rutonde (Préfecture de Kibungo) au Gisaka à cette époque. Le messager de liaison alla annoncer la nouvelle à la princesse Robwa. Au moment où Kimenyi I Musaya présentait à cette dernière le Rukurura, tambour-emblème de la Dynastie, la proclamant ainsi future Reine mère pour la consoler de la mort de son frère, Robwa se précipita contre le rebord du tambour et se tua avec l’enfant qu’elle portait en son sein. Les traditions du Rwanda la proclament à l’envi une grande héroïne et la représentent comme Libératrice du Royaume au même titre que son frère Ruganzu I Bwimba.
  1. Conclusion : Ce qui semble fondé en ce récit
  1. Comment devons-nous juger le Récit que nous venons de résumer ? Ruganzu I Bwimba fut-il réellement Libérateur désigné, suivant les règles du Code ésotérique ? N’aurait-il pas péri dans une expédition malheureuse, et les Mémorialistes n’auraient-ils pas ennobli une catastrophe la présentant comme un sacrifice héroïque, hautement patriotique ? Pour répondre à la ‘question, il faudrait expliquer certaines institutions que nous rencontrons dans le Récit, et qui se sont perpétuées jusqu’à nous.

1) Comment le clan des Abasinga a-t-il pu être écarté du privilège de donner des Reines mères à la lignée ? Tous -admettent le fait et le rattachent au refus de Nkurukumbi de Mourir volontairement sur le champ de bataille, en qualité de Libérateur. L’interdit aux dépens dudit Clan est un fait réel, attribué à Ruganzu I Bwimba.

Ledit Clan peut-il avoir accepté une décision en sa défaveur, si celle-ci n’avait pas été décrétée à un moment donné et par qui de droit ?

2) Le dernier représentant officiel de la Famille des Abatandura, le nommé Bihubi, qui habitait à Buringa (Commune du même nom, en l’ancienne province du Marangara, en Préfecture de Gitarama) imposait régulièrement le premier nom aux enfants de Yuhi V Musinga, avant que le monarque ne leur imposât le nom coutumier. Et il le faisait en vertu du privilège traditionnel reconnu à sa Famille. Comme l’imposition du nom au nouveau-né est un acte religieux de première importance, et que ledit privilège relève surtout du Code ésotérique (tradition vitale, cfr no 55), comment expliquer que la Famille des Abatandura se soit arrogé ce privilège, rattaché à la décision de Ruganzu I Bwimba, si le fait n’avait pas eu lieu à un moment donné et reconnu par les milieux intéressés de la Cour?

3) Le fait qu’un monarque devienne Libérateur et se livre en personne à la mort, ne peut paraître d’autre part surprenant. Il s’agit ici d’un domaine magique où notre raisonnement éclairé est tout à fait étranger. L’acte d’investiture, par lequel le monarque recevait la dignité royale, est décrit dans le poème d’Intronisation, qui est le premier du Code ésotérique. Le dialogue est ainsi engagé :

Les Abiru Intronisateurs :

Voici le Tambour que ton père t’a légué :…

Agiras-tu selon ses exigences ?

Le monarque :

J’agirai selon ses exigences !

Les Abiru Intronisateurs :

Lorsqu’il sera attaqué, combattras-tu pour lui ?

Le Monarque :

Lorsqu’il sera attaqué, je combattrai pour lui.

Les Abiru Intronisateurs :

S’il l’exige de toi, verseras-tu ton sang pour lui, mourras-tu pour lui ?

Le Monarque :

– Je verserai mon sang pour lui, je mourai pour lui.

C’est après cette promesse de livrer sa vie pour le pays (symbolisé pax le Tambour-emblème) que le monarque recevait cet insigne de sa dignité. Il se faisait remplacer, bien entendu, par des Libérateurs en ce sacrifice suprême de la vie, et une fois désignés ils étaient investis de la dignité royale, afin que leur sang royal versé volontairement obtînt infailliblement l’effet attendu. Dans ces conditions, il n’est nullement surprenant que tel monarque puisse se livrer en personne. Ce que nous venons de rappeler, d’autre part, laisse saisir la raison profonde de l’interdit lancé contre le Clan des Abasinga : ils ne pouvaient plus avoir une part à la dignité royale pour laquelle leur représentant avait refusé de livrer sa vie.

  1. En resumé, le récit sur le règne de Ruganzu I Bwimba semble renfermer des éléments qu’il serait difficile de mettre raisonnablement en doute. H n’est pas invraisemblable, non plus, que le suicide de sa sœur Robwa ait eu lieu, si nous le considérons dans ce contexte. Le monarque serait ainsi un Libérateur réel, tandis que le suicide de sa soeur aurait été élevé au rang d’une mort libératrice en raison de l’intention qui animait l’héroïne.

4) Je dois ajouter que cette tradition est fort ancienne, puisque le Gisigo no 1 : Umunsi ameza imilyango yose = le jour où elle devint la racine de tous les peuples, composé par Nyirarumaga sous Ruganzu II Ndoli (± 1510-1543) l’a distinctement et clairement mentionnée. (cfr plus haut no 7-10).