(suite et fin)
2° KANYARWANDA I GAHIMA I. 2ème Roi + 1124-1157

  1. En ce qui regarde la lignée du Rwanda et de son ancêtre Kanyarwanda, les considérations suivantes nous semblent fort utiles. L’Aède Sekarama, mort aux environs de 1942, plus que nonagénaire, nous assura que parmi les tambours de Gihanga il y avait un qui portait le nom de Rwanda. Il ne nous fut malheureusement pas possible d’en recevoir confirmation de par ailleurs et l’information nous sembla d’autant plus douteuse que les Dépositaires du Code ésotérique n’auraient pas dû l’ignorer. L’existence de ce tambour n’est du reste pas nécessaire pour faire les rapprochements (que ledit Aède n’avaient certainement pas en vue) entre la dénomination de Rwanda et de Kanyarwanda = le propriétaire (ou maître) du Rwanda.
  2. En nous servant de la toponymie, nous découvrons un lien étroit entre la lignée des Banyiginya et le nom qui devait désigner leur Royaume. Aucun des pays qui se partageaient notre aire ne répondait à ce nom, qui est une dénomination purement nyiginya (adjectif de Banyiginya). Le nom en question se retrouve déjà hors de nos frontières historiques et peut même servir à la détermination du chemin que les Banyiginya ont suivi pour atteindre nos régions. Nous le rencontrons déjà dans le Busoga, région située à l’Est du Buganda (en Uganda). La personne qui nous communiqua cette information nous révéla que les noms des localités, en cette zone, sont ceux du premier défricheur ou premier habitant de ladite localité. Ceci ne signifierait évidemment pas encore qu’il y ait eu quelque relation entre ce personnage hypothétique et l’ancêtre reculé de la Dynastie nyiginya. Mais poursuivons un peu les indices toponymiques :
  3. Dans le Nkole en Uganda, en bordure de notre pays, nous retrouvons le même nom : le Rwanda dit de Gashara. Or dans le Mubali, — au sein de l’actuel Parc National de la Kagera, — nous apprenons que le premier ancêtre de la lignée fixa son premier campement à Rwanda dit de Binaga, où il alluma son foyerpastoral aux abords du rocher appelé Ikinani (no 51 ci-avant). Ceci nous suggère déjà que les deux premiers Rwanda relevés en Uganda plus au Nord, et idéalement situés dans la même direction vers le Rwanda près Binaga, semblent liés à un phénomène unique.
  1. Dès que le rideau s’ouvre, sous Ruganzu I Bwimba, nous constatons que le Royaume des Banyiginya porte certes le nom de Rwanda, et que sa capitale d’alors est Gasabo, dans la Commune de Gikomero (ancienne province du Bwanacyambwe), en Préfecture de Kigali. Mais que remarquons-nous de plus ? Là même, aux abords immédiats de la résidence royale, une petite localité a été dénommée Rwanda ; par opposition à ses homonymes, on l’appelle Rwanda près Ndanyoye, et plus communément Rwanda près Gasabo. En plus, une locution populaire magnifie les grandeurs du Royaume par la formule de Rwanda rugali rwa GaSabo = le vaste Rwanda de Gasabo. Et remarquez que la locution ne concerne pas la minuscule localité, mais tout le Royaume. Les Dépositaires du Code Esotérique eux-mêmes se servaient de la même formule dans l’exécution d’une cérémonie, qui symbolisait la su-périorité du Rwanda sur les royaumes rivaux.
  1. Mais ce n’est pas tout : la conquête du Nduga; — la Mésopotamie Rwandaise, — est achevée sous Mibambwe I Mutabazi. La localité de Kamonyi sur la route Gitarama-Kigali, est choisie par les Dépositaires du Code Esotérique comme la « métropole »-(c.à.d. jouissant de préséance au sens du Code) sur toutes les « capitales » à élever à l’Ouest de la Nyabarongo. Et que voyons-nous ? Immédiatement le nom de Rwanda est implanté sur place, dans les abords immédiats de Kamonyi. On l’appellera le Rwanda près Kamonyi. Les deux dernières impositions de ce nom! Rwanda, — celui concernant surtout le Rwanda près Kamonyi, — s’encadrent dans un symbolisme évident dont la signification est explicitement interprétée par les Dépositaires du Code : ce nom sert de prise de possession sur la conquête nouvelle, qui marque puissamment un tournant dans l’histoire du pays.
  2. Ce n’est du reste pas la seule dénomination que les Banyiginya imposèrent à certaines localités. C’est ainsi que Mutara I Semugeshi transféra les noms de Kigali et de Nyaruteja sur la rive de la Kanyaru, face à la frontière du Burundi. Nyaruteja est le nom du gué traditionnel (dont le statut dynastique est réglé par le Code ésotérique) par lequel on passe du mont Kigali (capitale-coeur du Rwanda) au Nduga. Le symbolisme recherché est clair : de même que la Dynastie a traversé la Nyabarongo par le gué de Nyaruteja, situé au pied du mont Kigali, ainsi fera-t-elle en traversant la Ka-nyaru pour conquérir le Burundi.

79.Au plus fort des luttes engagées entre le Burundi et le Rwanda sous le règne de Cyilima II Rujugira, ce monarque transféra le nom de Mwulire (l’un des quartiers du mont Kigali) et l’imposa ‘à l’ancien Runyinya, tout à côté de la paroisse actuelle de Save, en Préfecture de Butare. Le versant Nord du nouveau Mwulire reçut à la même occasion le nom de Muhima, celui de l’ancien bosquet situé au pied du Nyarugenge (actuelle ville de Kigali). Dans le langage populaire, on dit actuellement Mwulire près Save ; mais. dans le langage du Code ésotérique on dit Mwulire près Muhima. Le symbolisme que recherchait Cyilima II et ses conseillers du Code ésotérique, est dans la signification de Mwulire= Que-je me-hisse-sur-lui; que-je-le-domine, pour réaliser magiquement sa supériorité sur le Roi Mutaga III Sebitungwa, qui gouvernait alors le Burundi.

On n’en finirait pas si on devait détailler le transfert de noms symboliquement imposés par les Rois aux localités de leur choix. En ces conditions, le fait de véhiculer avec eux le nom de Rwanda ne peut  étonner personne, C’était une espèce de talisman symbolisant les conquêtes que la lignée avait en vue.

  1. Or, voyons la signification étymologique de ce nom :en dehors de la désinence « a », qui indique le stade primaire du mot (c.à.d. non encore au stade dérivé) le nom se compose de deux éléments linguistiques :

1) le classificatif RU, correspondant à. Ce, ou Celui qui (fait ceci ou cela); Ce, ou Celai qui est (ceci ou cela>) ; mais ici « RU » avec la nuance de grand.

 2) Le radical AND-a, qui a le sens générique de étendu, large, vas-te ; ou les substantifs : extension, vastité.

En mettant ensemble les deux éléments linguistiques, le classificatif RU change sa voyelle r’en « W », parce qu’elle est suivie d’une racine commençant par une voyelle. Et nous obtenons le nom de RWANDA, qui veut dire ; Grande extension. Le symbolisme de ce nom est donc hautement significatif, dès qu’on le situé dans les conceptions ésotéro-magiques de nos Banyiginya, chez lesquels, par surcroît, le nom en question ne constitue pas une exception ou un fait isolé.

Et par ricochet, nous pouvons comprendre la signification historique du premier successeur patriarcal de Gihanga : KANYARWANDA, qui veut dire étymologiquement : le maître, ou le propriétaire, de la Grande-extension ; C’est-à-dire : appelé à présider à cette entreprise Familiale de la Grande-extension d’abord symbolisée et déjà réalisée partiellement. 

3° YURI I MUSINDI. 3ème Roi ± 1157-1180

  1. Ce monarque est appelé Yuhi ly’i Gara = le Yuhi de Gara, pour le différencier de son homonyme suivant, spécifié confiné Yuhi lyo mu Karambo= le Yuhi qui séjourna au karambo. Il n’a pas été possible; jusqu’a présent, d’identifier la localité de Gara; serait-ce la forme archaïque de l’actuel Ngara, en la Commune Rubungo, (ancienne province du Bwanacyambwe) qui aurait subi une altération ? Yuhi I Musindi est l’ancêtre éponyme du clan des Banyiginya (n° 50), dont la dénomination Abasindi (au singulier Umu-sindi) est calquée sur son nom coutumier. Chose digne de remarque : parmi les fils de Gihanga, seul Rutsobe est devenu ancêtre éponyme. Pour les autres lignées, ce sont les petits-fils de Gihanga qui sont devenus les éponymes des lignées dynastiques:

4° NDAHIRO I RUYANGE: 4ème Roi, 71- de 1180-1213  

  1. Le nom dynastique de ce monarque est intimement lié, dans l’énoncé traditionnel, à celui de son fils Ndoba : Ndoba ya Ndahiro = Ndoba (fils) de »dahiro, est une formule stéréotypée, du même ordre que Yuhi ly’i Gara et Yuhi lyo mu Karambo, du n° 81. ci-avant.

Mais en plus de son successeur, il eut un autre fils appelé Kingali, dont le descendant, (ou peut-être le fils direct, si nous en croyons les Mémorialistes), du nom de. Gitandura, vivait sous Rugonzu I Bwimba. C’était Gitandura l’ancien’; son descendant de .même nem, Gitandura le jeune, qui devait vivre sous Ndahiro II Cyamatare; devint l’ancêtre éponyme de la Famille des Abatandura. Gitandura l’ancien obtint pour ses descendants le privilège d’imposer le premier nom aux enfants royaux. Ce privilège lui fut accordé dans les circonstances que nous verrons plus loin sous Ruganzu I Bwimba. Ces traditions permettent de conclure que Ndahiro I Ruyange a réellement existé, puisqu’une grande Famille, jouant un rôle important à la Cour jusqu’à notre époque, affirme qu’il est son ancêtre le plus reculé.

5° NDOBA• 5ème Roi ± de 1213-1246

83—Comme nous venons de le rappeler, le nom de Ndoba et de son  père Ndahiro sont inséparablement liés dans l’énoncé traditionnel. Dans ce nom, la racine est loba, qui a le sens soit de pêcher, soit de boire de l’eau saumâtre. Le déterminatif. N qui le précède change le « L » (ou « r en « d », d’où « N-loba » devient « Ndoba ». Dans la Poésie Dynastique, les Abasindi (clan dynastique) sont souvent appelés Abaloba = descendants de  “Ndoba “. Ce monarque eut beaucoup de fils qui devinrent ancêtres épônymes des Familles suivantes :

Mukwobwa, ancêtre des Abakwobwa ;

Muturagara, ancêtre des Abaturagara ; ,

Mugunga, ancêtre des Abenemugunga ;

Munyiga, ancêtre des Abenemunyiga ;

Mupfunpfu, ancêtre des Abenemupfunpfu ;

Cyambwe, ancêtre des Abenecyambwe ;

Nyamuhanzi, ancêtre des Abenenyamuhanzi ;

Cyoba, ancêtre des Abenecyoba ;

Biharage, ancêtre des Abenebiharage ;

Neza, ancêtre des Abeneneza.

  1. A la mort de Ruganzu I Bwimba, nous verrons Cyenge, de la Famille des Abakwobwa, devenir le régent du Rwanda, et obtenir que, en souvenir de cette fonction, sa descendance exerçat désormais la présidence du corps des Abiru (détenteurs du Code ésotérique). La plupart de ces Familles jouaient un rôle important dans la célébration du Bwiru (poème dit des Abreuvoirs),. De plus Ntare I Rusatsi, fondateur de la dernière Dynastie du Burundi, aurait été Karemera, fils de Sinzi, de la Famille des Abenenyamuhanzi. Les monarques du Burundi se savaient certes descendants de Gihanga, mais ne le vénéraient pas sur le plan dynastique, en raison du fait que leur dignité n’avait pas été léguée par lui, mais avait été obte-nue par d’autres voies.

6° SAMEMBE .6ème Roi ± 12464279

  1. De même que pour les deux monarques précédents, le nom de Samembe est inséparablement lié à celui de son successeur : Nsoro ya Samembe = Nsoro (fils) de Samembe, est une locution stéréotypée. C’est un tour mnémotechnique que les Mémorialistes de la Cour semblent avoir fixé à une époque très ancienne.

Le fait que Samembe ait eu beaucoup de frères, ancêtres éponymes de grandes Familles existant encore en notre société, semble une preuve suffisante de son existence réelle. On ne comprendrait pas rationnellement pourquoi les traditions auraient forgé son nom, alors que ses nombreux frères étaient bien connus grâce à leur descendance respective bien en vue dans le pays. 

7° NSORO I MUHIGI, dit SAMUKONDO. 7ème Roi ± de 12791312

86.Ce monarque est communément appelé Nsoro Samukondo. Mais, grâce aux Abiru (détenteurs du Code ésotérique) qui nous dictaient leur précieux dépôt en 1945, nous avons appris que son vrai nom de Famille était Muhigi = le Chasseur. Celui de Samukondo était une devise guerrière, tout comme, quelques générations plus tard, celle de Muyenzi devait prévaloir sur le nom propre de Semugeshi (Mutara I Semugeshi, dit Muyenzi, fils de Ruganzu II Ndoli). Grâce aux mêmes Abiru, nous apprîmes que sous le règne de ce monarque le nommé Rwambali, de -la Famille des Abatsobe, mou-rut en Libérateur offensif (umutabazi w’umucengeli) contre le royaume du Ndorwa.

87.Nous avons publié dans le volume Ingcmji Karinga (tome I, p. 45-46) un petit poème que dicta l’Aède Rukenamhunzit fils de Ru-buga. Il nous a assuré que cette composition était ancienne et constituait le premier lever de rideau sur l’Ethno-histoire du Rwa-nda. Nous en donnons ci-après la traduction :

Nsoro (fils) de Samembe habitait à Giti près Yibambe

il habitait à Giti près Yibambazi,

il habitait à Giti près Nyakabungo.

Il était sur les collines du Buganza,

qui ne montent ni ne causent- la fatigue

autour de Ntsinda près Munyiginya.

II y habitait aimant la région qui l’aimait de même. –

Il y habitait possédant de nombreuses vaches,

y ayant une habitation agréable.

il y engendra deux enfants :

le garçon Bwimba et la fille Robwa.

Il importe réellement peu que ce petit poème soit ancien ou récent : n’importe qui pouvait le composer n’importe quand, à partir de ce que les Bardes ont conservé sur le règne suivant. Il est donc loin de constituer le lever de rideau et de nous révéler quoi que ce soit d’antérieur à Ruganzu I Bwimba.

  1. c) Conclusion : Pourquoi des monarques « de la Ceinture » ?
  1. Nous devons nous poser ici la question sur le pourquoi de cette répartition en « rois de la Ceinture », sans Récits et en « rois historiques » dont certains faits et gestes ont été conservés dans les Récits que nos Mémorialistes se sont transmis jusqu’à nous. On remarquera: donc qu’ici, en dernière analyse, la question porte sur l’existence des Récits, traditions purement orales, clairement distincts des traditions vitales dont il a été traité plu haut (n° 1-4).

En d’autres mots, pouvons-nous considérer ces Récits comme ayant un fondement réel, pouvant fournir la preuve que les monarques concernés ont réellement existé ? La réponse à cette ‘question est, semble-t-il, en’ principe fournie par l’existence des deux sections : si les Récits avaient été une invention pure et simple des Mémorialistes, il faudrait expliquer pourquoi ils n’en auraient pas composé en l’honneur des « Rois de la Ceinture •». Puisque les Mémorialistes restent muets à leur sujet, c’est que les Récits concernant la 2ème section ne sont pas leur invention, mais sont des traditions réelles.

89.Et pourquoi les Récits commencent-ils à. partir de Ruganzu I Bwimba ? La question ainsi posée peut sembler superflue, mais elle a son importance. Comme nous l’avons expliqué dans notre étude la notion de génération p. 24-27, il s’est produit, sous les règnes de Kigeli I Mukobanya et de son fils Mibambwe I Mutabazi, (respectivement petit-fils et arrière-petit-fils de Ruganzu I), une série d’événements qui ont provoqué l’avénement d’une monarchie absolue et, par conséquence, d’une administration centralisée du pays. Cette modification profonde nous est signalée par des traditions fermes, tantôt récits et tantôt vitales, que les Mémorialistes nous firent parvenir sans en avoir saisi eux-mêmes toute la signification sur le plan qui nous intéresse ici.

90.En prenant l’exemple sur nous-mêmes, sur notre génération, nous avons causé avec des témoins oculaires du règne de Kigeli IV Rwabugili, lesquels connaissaient bien des Récits du règne de Muta-ra II Rwogera. Il nous paraît dès lors naturel que, une fois entreprise la centralisation sous Kigeli I Mukobanya et Mibambwe I Mutabazi, tandis que la Cour amorçait les diverses institutions de- louangeurs de la lignée régnante, on ait pu conserver les bribes de récits concernant le règne de Ruganzu I Bwimba. Les prédécesseurs de ce dernier n’auraient pu en bénéficier que ci ces organes de transmission avaient existé, — ce qui était impossible, — sous le régime confédéral antérieur.

Nous avons ainsi une donnée importante pouvant expliquer ra-tionnellement pourquoi un certain nombre de générations nous soit resté inconnues, et pourquoi la section à Récits s’ouvre par le règne de Ruganzu I Bwimba. Si les Mémorialistes avaient surgi au-delà de la 4è génération, ce monarque serait parmi les « Rois de la ceinture », comme il ne serait pas le premier si un facteur déterminant les avait fait surgir une ou deux générations plus tôt.