1. La Terre Et Les Habitants

Le Ruanda, d’une superficie de 24300 kilomètres carrés, d’un cinquième moins grand que la Belgique (29.500 km.), peuplé en 1939 d’un peu moins de deux millions d’habitants, est situé au coeur de l’Afrique équatoriale dans la région des Grands Lacs entre le Kivu, auquel il s’appuie, et le lac Victoria Nyanza, vers lequel il penche, lui envoyant la presque totalité de ses eaux. La figu-re en surface plane est celle d’un carré long, étendu d’est en ouest, dont les côtés mesurent respectivement cent cinquante et deux cents kilomètres en chiffres ronds, sa ligne• médiane coïncidant avec le deuxième parallèle de latitude sud.

Ses frontières naturelles sont : à l’ouest le lac Kivu sur environ 120 km et le cours supérieur de la Rusizi, émissaire de ce lac vers le Tanganyika, au nord-ouest sur une vingtaine de lieues une ligne de hauts volcans, éteints et en activité, à l’est et au sud-est le cours de la Kagéra, au sud une traînée d’étangs et la haute vallée de la Kanyaru jusque vers son origine.

Il a pour voisins : à l’ouest et au nord-ouest le Congo Belge, qui l’a amputé de la plupart des îles du Kivu, notamment de la grande île Ijwi, acquise sous Rwabugiri, de ses cantons ultramontains du Bwishya, Gishari et Jomba au nord-est l’Uganda britannique, qui s’est annexé à ses dépens la province du Bufumbira à l’est le Tanganyika Territory, l’ancienne colonie allemande de l’Afrique Orientale sous mandat anglais au sud, l’Urundi, son frère jumeau, grand comme lui et de même langue, qui a suivi sa destinée politique et passa de la domination allemande à la tutelle belge.

  1. — Le Relief.

Son relief, comparable à celui de l’Abyssinie offre dans l’ensemble l’image d’une pénéplaine ondulée, bosselée, se relevant graduellement d’est en ouest et du sud au nord, d’une altitude moyenne de 1800 m le double de celle du Plateau Central en France, dont les croupes arrondies et les pointements aigus dépassent rarement 2.300 m., découpée en grands compartiments par les sillons longitudinaux et transversaux des artères principales, décomposée par d’innombrables vallonnements en collines étroites, et longées, souvent plates au sommet, généralement Courtes, qui se relient les unes aux autres par des étranglements et défilés en dos d’âne, portant chacune un nom propre distinct, ce qui accuse leur individualité politi que. C’est avec l’Urundi une haute forteresse, un spacieux camp retranché, que des glacis, des boulevards, des fossés profonds ou marécageux isolent au centre de l’Afrique et ont rendu quasi inaccessible aux invasions guerrières.

Ce bloc d’architecture homogène se redresse en une ride longitudinale bordant le Kivu, orientée comme lm – du sud-ouest au nord-est, dont la crête ne s’éloigne d’elle – que d’environ vingt à cinquante kilomètres à vol d’oiseau selon les points. Cette longue chaîne boisée, glacis ‘d’une tranchée gigantesque, d’une altitude moyenne de 2.500 m. atteignant 3.000 m. au piton de Muhungwé,-est la colonne vertébrale du Ruanda. Elle fait le départ entre les eaux de l’ouest, coulant vers le Kivu, et celles de l’est, tributaires du Victoria-Nyanza, ce qui lui a fait donner par les géographes le nom de « dorsale Congo-Nil », d’autant qu’elle se prolonge au sud jusqu’au Tanganyika. De son faîte le terrain dévale rapidement vers l’ouest, jusqu’à la cote 1460, niveau du lac, plus mollement vers l’est.

3—Les Volcans Eteints Et En Activité.

On altitude est de beaucoup dépassée par celle des cônes volcaniques, les Birunga qui semblent monter la garde du château, en sentinelles sur le front nord-ouest. Ils s’élancent d’un seul jet jusqu’à des élévations qui s’apparentent à celles des cimes alpestres, celles du Mont-Rose et du Cervin. On les aperçoit de partout à la ronde, ces colosses, quand l’horizon est dégagé, ce qui est assez rare. Les plus imposants, qui sont aussi les plus anciens, ne représentent plus que de nobles ruines, démantelés qu’ils sont par l’érosion ; mais ils conservent leurs formes géométriques de cônes réguliers, parfois tronqués au sommet.

Ils sont là une douzaine, groupés deux à deux, quatre à quatre. Le Karisimbi (4.506 in.), qui les dépasse tous, se coiffe par temps d’orage d’une couche éphémère de grelons ou de grésil ; le Mikéno (4.437 m.) se dresse svelte et effilé comme un obélisque ; le Sabyinio (3.647 m.), le « Père aux grosses dents »; ressemble à un rempart moyenâgeux armé de merlons et de créneaux : c’est le poteau frontière entre trois Etats. A l’ouest, au delà de la frontière actuelle, d’autres géants, d’âge plus tendre, ont gardé leur cratère et n’ont pas perdu toute activité : le Nyiragongo (3.496 m.), cheminée de forge fumante, et le Nyamulagira (3.052 rn.), dont la lave rougeoyante au fond du creuset se reflète la nuit en lueurs changeantes sur les vapeurs qui en émanent. A côté du Kivu, en 1912, un nouveau cratère s’est ouvert, déversant des torrents de lave vers le lac : le volcan Mugongo ou Lacroix à 1.665 mètres.

Ces grands appareils, se déployant en éventail sous les yeux quand on les contemple des belvédères de Nyundo ou de Rwaza, sont escortés d’une multitude de cônes plus écrasés, un millier, dit-on, parmi lesquels se distingue le superbe cratère que le géologue belge, chanoine Salée, qui l’a découvert, a appelé Classe du nom du premier évêque de l’église du Ruanda.

4 — Les Terrains Géologiques.

Les édifices volcaniques de la région des Birunga, aussi bien que les amoncellements de laves que traverse en gorge la Rusizi au sud du lac, sont superposés à un soubassement, dont l’ancienneté contraste avec leur relative jeunesse. Ce socle profondément enraciné dans les entrailles du globe est composé de roches cristallophylliennes, d’âge précambrien, pensent les géologues, anciens schistes d’origine sédimentaire, métamorphisés par l’intrusion de roches éruptives, issues du noyau igné. C’est aujourd’hui une mosaïque de gneiss, micaschistes, quartzites, arkoses, pegmatites, affleurant à la surface de la pénéplaine, traversés par des masses plus ou moins étendues de granites, de diorites, de gabbros, lardées de filons de quartz, ici et là aurifères et sidérurgiques, et chargées en maint endroit de cassitérite, un minerai d’étain.

Ces roches, lorsque les agents atmosphériques et bio-logiques les désagrègent et les fertilisent, se transforment superficiellement en une couche d’humus, qui tapisse uniformément les sommets et les pentes et qui est généralement supportée par une assise imperméable et stérile de latérite. Les limons argileux, entraînés par le ruissellement, s’amoncellent dans les bas-fonds humides, où ils constituent une ressource précieuse à la fois pour la culture maraîchère — un terrain gras et noir — et pour la fabrication de briques, tuiles, poteries, voire pour des mortiers. Pour les enduits on a recours au koalin argileux –ingwa, remplaçant le plâtre, et aux ocres de ‘diverses couleurs, jaunes, rouges, bruns. Le fer est présent partout ; il colore tout ; il imprègne la limonite concrétionnée, que l’on utilise comme pierre à bâtir, à Astrida notamment 1 mais il ne sa présente en quantité exploitable que dans les gîtes du Bubéruka et du Kana-gé ; il y a donné naissance à une petite industrie de métallurgie. On peut affirmer que, depuis des temps immémoriaux, l’homme au Ruanda est parvenu à l’âge du fer.

  1. Les Accidents Tectoniques Et Leur Répercussion Sur Le Modèle Et Sur L’hydrographie.

Si le massif montagneux du Ruanda-Urundi constitue en lui-même un môle résistant de l’écorce terrestre, dont le dynamisme orogénique a pu tout au plus gauchir la surface, la région qui l’environne à l’ouest et au nord a subi des dis-locations suivies d’effondrements, qui ont eu les répercussions les plus sensibles sur la topographie et sur l’hydrographie. Le Ruanda se trouve, en effet, coincé entre deux fossés tectoniques, jalonnés par les dépressions pro-fondes et par les volcans.

Le premier de ces fossés, que l’on est convenu d’appeler, d’un nom allemand équivalent, le Grand Graben Central Africain, qui sillonne le continent sur plus de deux mille kilomètres depuis le lac Nyassa jusqu’au lac Albert et au delà, passe à sa lisière, donnant asile à la Rusizi et au lac Kivu. Le second, dit du Bufumbira, du nom de la province qu’il affecte, comblé par les énormes, épanchements de laves dont il a provoqué la montée, se branche sur le précédent au nord du lac Kivu et se dirige vers le nord-est.

Ces accidents de la tectonique, inaugurés à la fin de l’époque tertiaire et dont la série s’est prolongée jusqu’à nos jours, sont à l’origine de ces barrages de vallées, dans ces inversions de rivières, de ces captures de cours d’eau, de ces épuisements et assèchements partiels de lacs, de ces cascades et, rapides, qui donnent au pays les traits les plus singuliers, parfois les plus pittoresques, de sa physionomie.

Si le lac Kivu, par exemple, qui atteignit jadis le ni-veau de 1.650 mètres et baissa ensuite jusqu’à la cote 1460, présente aujourd’hui par les indentations de ses côtes, par ses falaises abruptes, ses îles et presqu’Îles, l’image classique d’une grande vallée noyée, s’il se déverse au sud par la Rusizi dans le Tanganyika et alimente ainsi le Congo, alors qu’auparavant il drainait ce même lac vers l’Albert, le Nil et la Méditerranée, c’est que des barrages

de laves l’ont bloqué au nord et au sud, et que la zone du Tanganyika a subi un affaissement à une époque très ré-cente, capturant ses eaux et renversant son cours.

Si les rivières longitudinales et parallèles de la Nyabarongo et de la Kanyaru, au lieu de poursuivre leur rection sud-nord, sont captées par un grand collecteur s’écoulant vers le sud-est et par là dessinent avec la Kagéra la figure bizarre d’un grand N, c’est que les volcans leur ont fait obstacle au nord et qu’un affaissement de là région du Bugéséra a déterminé un changement de n veau de base. Ainsi les eaux de la Nyabarongo ont dû rebrousser chemin, engendrant la Mukungwa, qui se trouve par suite dans une vallée dont les berges vont paradoxalement se rapprochant d’amont en avals

Les beaux lacs de Boléra et de Luhondo, de Muhazi et de Mugéséra, d’autres encore aux ramifications et digitations rappelant le lac des Quatre-Cantons ne sont que des vallées noyées.

La tranchée, où chemine paresseusement entre les lacs et les marigots la Kagera sur la bordure orientale du Ruanda, peuplée seulement d’une forêt de papyrus et d’une nuée de moustiques, était antérieurement une longue ex-pansion lacustre, analogue à celle de l’Edouard, jusqu’à ce qu’un abaissement de la nappe du Nyanza, révélé par la présence d’anciens rivages à cent mètres environ au-dessus du niveau actuel, eût amené son épuisement, au reste incomplet, et provoqué lés chutes de Rusumo.

Enfin cet état fangeux des hauts bassins de réception cette progression lente des ruisseaux à leur origine, ces verrous de vallées que les cours d’eau traversent en gorges ou en rapides, témoignent d’une perturbation récente dans les profils d’équilibre de l’ancienne pénéplaine et d’un désordre récemment introduit dans la topographie, que l’érosion superficielle n’a pas encore eu le, temps de réparer.

Au demeurant, c’est bien à ces bouleversements, à ces convulsions de l’écorce, que le Ruanda est redevable de la plupart. de ses singularités et beautés -naturelles, de ses lacs, de ses volcans anciens et récents, avec leurs, cheires de lave, leurs solfatares, fumerolles, mofettes, sources thermales, qui feront de lui avant peu une terre d’élection pour le tourisme international.

  1. — Les Sources Du Nil Chez Les Anciens Et Chez Les Modernes.

Ce fleuve fameux du Nil, créateur de l’Egypte et partant un des facteurs de la civilisation occidentale, les Anciens ont unanimement affirmé qu’il venait des profondeurs de l’Afrique équatoriale, qu’il était issu de grands lacs, et que ces lacs étaient alimentés par des cours d’eau descendant de hautes montagnes neigeuses, dites de la Lune. Les Egyptiens étaient renseignés par ces Noirs, quelques-uns petits de taille et stéatopyges, qu’ils ont représentés WU vif, en relief et en couleur, sur leurs monuments. Aristote, au IVe siècle avant notre ère, résumant d’un trait les con- naissances géographiques de son temps, empruntées partiellement aux Egyptiens, écrit dans son Histoire des animaux (VIII, 2) : « Les Grecs vont jusqu’aux lacs en amont de l’Egypte, où le Nil prend sa source. Là habitent les pygmées. Ce n’est pas une fable c’est la vérité pure. Hommes et chevaux y sont, à ce que l’on raconte, de toute petite taille, et demeurent clans des cavernes. » Ptolémée, le grand compilateur alexandrin du Ire siècle après Jésus-Christ, dit des massifs montagneux qui en- voient leurs eaux au Nil blanc, les situant d’ailleurs trop au sud et trop à l’est « Les Monts de la Lune, qui nourrissent dans leurs neiges les lacs, sources du Nil, s’élèvent par 12′ 30′ de latitude australe entre les longitudes 57′ et 67°. » (Géographie, liv. IV, chap. II.). Ce nom de Lune pourrait traduire celui d’Unyamwézi, qui signifie dans la langue indigène a Pays de la Lune ». L’Unyamwézi englobe les pays d’Usukuma, d’Usumbwi, d’Unyanyembé, c’est-à-dire toute la contrée qui s’étend au sud du Victoria- Nyanza jusqu’à Tabora, sillonnée de tributaires du grand lac. Dans sa carte de l’Afrique équatoriale le même Ptolémée indique deux lacs, dont l’un est selon toute vrai- semblance le Victoria-Nyanza, et situe précisément au sud de ces lacs les Monts de la Lune.  » Des marchands, écrit Karl Peters (1), auront probablement appris dans l’Uganda qu’il y avait de l’autre côté du lac un pays appelé Unyamwézi, et ils auront rapporté cette information en Egypte.  »

Au vrai, le Nil blanc est à son origine l’émissaire du Victoria-Nyanza, et ce lac, d’une superficie égale à celles de la Belgique et de la Hollande réunies, est alimenté par des eaux provenant de tout son pourtour. Ce sont probablement ces énormes massifs d’une altitude qui dé-passe ici et là cinq et six mille mètres, dont le Nil recueille partiellement les précipitations, Birunga et Ruwenzori à l’ouest, Mont Elgon à l’est, et au delà sur le versant de l’océan Indien Kénya et Kilimandjaro, autres Atlas toits du monde, que les Anciens, observateurs lointains, ont vaguement désignés sous l’appellation commune de Monts de la Lune.

De tous les affluents du Victoria quel est celui qui polisse sa tête le plus loin et draine la plus grande masse d’eau, qui par conséquent mérite le dénomination de Ni! supérieur ? C’est la Kagéra le fait n’est plus guère con-testé de nos jours — la Kagéra dont le bassin hydrographique embrasse le Ruanda et l’Urundi presque en entier. Le Dr Baumann en 1892 remonta le Ruvubu jusqu’à son origine, où il porte le nom de Luvyironza il crut être arrivé à la tête du Nil et, de fait, il avait bien atteint la source la plus distante des eaux de la Méditerranée. Mais le Ruvubu n’est manifestement qu’un affluent de la Kagéra, qui est formée en amont de la jonction des deux branches Nyabarongo et Kanyaru. Le Dr Kandt en 1898 remonta chacune de ces rivières, et fixa à l’origine de la Rukarara le Caput Nili. Cette opinion fait aujourd’hui autorité dans la géographie classique, encore que les natifs, entre les deux torrents de la Rukarara et du Mwogo, élisent ce dernier comme tronçon supérieur de la Nyabarongo. C’est donc au Ruanda, de part et d’autre de la station missionnaire de Tshyanika, sur le flanc oriental de la dorsale séparative des eaux de la Méditerranée et de l’océan Atlantique, qu’il faut placer le point de départ de cette Kagera, que Stanley avait baptisée le Nil Alexandra.