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  1. Le Climat.

La chaleur et les frimas, la pluie et le beau temps, le vent et les orages, la limpidité et l’opacité du ciel sont conditionnés dans un pays par la latitude et l’altitude, par la proximité ou l’éloigne-ment de la côte.

Au Ruanda, situé dans la zone torride, la latitude est compensée par l’altitude, aussi la chaleur est-elle modérée. L’altitude moyenne des régions les plus habitées paraît être de L850 mètres ; l’écart est environ de 400 mètres en plus ou en moins pour les terres les plus hautes et pour les plus basses. Aux deux extrêmes, la station de Nyamashéké est à 1.550 mètres; celle de Rambura à 2.400 mètres; Kabgayi se situe à mi-distance, à 1.867 mètres ; ici les moyennes oscillent entre 13 et 23 degrés centigrades. La moyenne générale du Ruanda s’établit autour de 18 degrés.

Il n’y a pas de période chaude et de période froide, ni hiver et été proprement dits ; la température reste à peu près constante d’un bout à l’autre de l’année ; la variation diurne a plus d’amplitude que la variation moyen-ne annuelle. Mais il y a une alternance de saisons humides et de saisons sèches. Les premières coïncident avec les périodes d’équinoxe, fin mars et fin septembre, les secondes avec celles des solstices, en décembre et en juin. Le soleil au zénith aspire une mai-se énorme de vapeurs qui, se condensant à une hauteur d’environ 3.000 mètres, constituent un plafond nuageux entre ciel et terre. C’est ce que les Anglais appellent le « cloud ring », « l’anneau de nuages », qui enveloppe la terre dans la zone équatoriale et se déplace vers le nord ou vars le sud suivant les allées et venues du soleil.

 

L’ascension de l’air chaud vers les régions élevées de l’atmosphère sous l’équateur thermal provoque l’afflux de masses d’air de remplacement, provenant des latitudes basses au nord et au sud. Cet air est dévié de la direction des méridiens par la rotation de la terre, et reçoit un aiguillage de biais. Ce sont les alizés, soufflant du nord-est dans l’hémisphère boréal et du sud-est dans l’hémisphère austral.

Ils se rencontrent et se neutralisent dans le ciel du Ruanda, plaçant ainsi le pays dans la zone des calmes équatoriaux. Mais les remous, les phénomènes locaux de convection, les heurts de masses d’air chargées d’électricités contraires engendrent de violents orages, parfois avec grêle, presque quotidiens aux saisons humides.

Ces orages viennent généralement du sud-est. C’est que l’alizé austral est particulièrement saturé d’humidité issu de l’océan Indien, gorgé d’eau par l’évaporation marine, — plus intense pendant l’été, c’est-à-dire ici pendant les mois d’hiver de l’hémisphère boréal, — ne rencontrant pas sur son chemin d’aspérités montagneuses qui l’expriment et le vident, il arrive au massif Urundi-Ruanda dans un état de sursaturation, qui entretient et prolonge la saison des pluies à l’équinoxe du printemps pendant parfois quatre mois, de février à mai, période la moins chaude de l’année en raison de l’abondance des précipitations atmosphériques.

L’alizé boréal, au contraire, qui souffle du nord-est, ayant traversé des zones continentales élevées et la large bande de l’équateur thermal, est certainement moins humide et plus chaud, en sorte que la saison des pluies équinoxiales d’octobre-novembre, en relation avec lui, est plus courte et moins abondante.

Au surplus, une véritable sécheresse — encore est-elle rarement absolue — ne se constate généralement que dans la période juillet-août, l’été rouandien (Rwandais NDLR), si l’on peut s’exprimer ainsi. Alors la campagne, qui était ‘restée jusque là constamment verdoyante, jaunit comme un désert. Seuls les kraals avec leurs bananeraies posent quelques teintes émeraudes sur l’étendue fauve des monts. Encore que le ciel ne soit plus couvert par le plafond des nuages, l’air a moins de transparence que jamais, troublé qu’il est par les cendres impalpables des incendies de brousse et par les poussières balayées sur les sols chauves. Une brume sèche masque pendant la journée le féérique décor des volcans, à Raz même, à leur pied.

La couche d’eau provenant des précipitations atmosphériques au cours d’une année a l’épaisseur moyenne de 1.200 millimètres, épaisseur qui se réduit à moins d’un mètre dans les régions basses à l’ouest et à l’est, et monte à plus de deux mètres sur les hauteurs (1). Elle suffit à entretenir végétation, lacs, rivières et sources, en dépit de l’évaporation intense. L’eau sourd en tout temps au bas des pentes et rend ainsi possible la colonisation et la présence des habitations sur presque tous les points du territoire. Mais les sources ne sont nulle part très copieuses, parce que la nature du sol, uniformément cristallin, ne se prête guère qu’au ruissellement, contrairement aux terrains calcaires, où des fissures favorisent les infiltrations et partant la circulation souterraine ainsi que l’accumulation d’abondantes nappes d’eau. Ce n’est que dans la région des laves, pays de grottes et d’avens, que l’on observe les pertes de rivières et leur rejaillissement soudain, comme dans nos causses d’Europe. L’aridité y est telle à la saison sèche que les paysans doivent couvrir des distances de plusieurs lieues pour abreuver leur bétail, par exemple dans la plaine de Rwéréré au Bugoyi.

L’ensemble de ces traits a incliné certains géographes à ranger le Ruanda dans la catégorie des contrées à climat soudanais, non tropical, en dépit de la latitude.

  1. — Le Manteau De La Végétation.

E Ruanda dut n’être à l’origine qu’une immense forêt, le climat le voulant ainsi : forêt équatoriale, dite de montagne, avec ses hautes futaies, ses lianes, son sous-bois impénétrable, avec son gigantesque poclocarpe, le mufu, son mutoyi, une sapotacée qui donne le meilleur bois de charpente

La moyenne est à Nyundo de 1478 mm, à Zaza de 812 mm. et de menuiserie, ses bégonias grimpants et ses fougères arborescentes,- ses massifs de bambous hauts de’ 15 et 25 mètres, dans les secteurs les plus humides, savane, maquis, brousse, à végétation arbustive et épineuse, dans lei régions les plus arides. Aujourd’hui le Ruanda n’est plus dans l’ensemble qu’une morne prairie à herbe courte, pâturée en petits groupes par d’innombrables bovins. Collines et ballons apparaissent sur d’immenses espaces nus et dévastés, encore que couverts partout d’un manteau de verdure.

C’est l’homme qui est l’auteur de cette relative désolation. Le cultivateur bantu a défriché en grand, mais à sa manière, qui est brutale et sommaire, en mettant le feu, ce qu’il pratique encore quand il veut débroussailler. A ce régime rien ne résiste. Si l’on veut de l’arbre, il faut le planter, vient partout.

Cependant, ici et là, s’est conservée la forêt primitive, notamment sur l’épine dorsale qui sépare le bassin du Nil de celui du Congo, et puis encore sur les flancs des anciens volcans, où l’on retrouve, en zones étagées, tou-te la gamme des associations végétales, jusqu’à la flore alpine inclusivement. Hors de ces débris, épaves d’une destruction obstinée et persévérante, l’arbre n’apparaît guère qu’isolé dans les champs et autour des kraals. Des boqueteaux — ibigabiro — signalant au loin sur les croupes les nécropoles princières et les résidences éphémères des souverains. L’arbre que l’indigène plante le plus communément autour de sa hutte, c’est le sycomore -umuvumu, qui peut devenir énorme — « Ficus sycomorus in-gens ». On y voit aussi l’euphorbe cactiforme candélabre -umuduha, portant sur chacune de ses branches un gros cierge d’autres euphorbiacées au latex jaillissant, le mukoni, le muyenzi , le dracéna papahu igihondohondo — épanouissant son panache de longues feuilles au som-met d’un tronc fibreux, l’érythrine corail -umuko, qui se couvre de fleurs rouges, arbrisseau respecté sous lequel se célèbrent les initiations au culte de Ryangombé , l’aloès -igikakaruberrabe. Parfois au loin sur terrain sec apparaît l’acacia parasol -umunyinya, « Acacia spirifera », inclinant sa fronde plate comme pour inviter le voyageur à se reposer sous son ombre. Toute cette végétation est neuve pour l’européen, encore qu’il retrouve à côté et en abondance la fougère à l’aigle -igishurushuru, le myosotis, le chardon, la menthe, la sauge et tant d’autres plan-tes, sous la forme qu’il connaît et aussi dans des variétés arborescentes et frutescentes, telle l’acanthe -igitovu, » Acanthus Flamandii ».

– C’est lui, l’européen, et tout d’abord le missionnaire Père Blanc, qui a ramené l’arbre systématiquement, moins pour l’ornementation que pour l’utilité, comme bois de chauffage et de construction. Il a introduit, ainsi qu’il le fait partout, des essences exotiques, le mimosa, le filao casuarine, le cyprès, le grévilléa et surtout l’eucalyptus. Il procède par plantations massives, mettant la puissance de l’administration au service de la -cause vitale du reboisement. Non seulement le long des routes, mais sur le versant des collines et sur le sommet des monts surgissent pépinières et bosquets. Avec le temps le Ruanda deviendra un bocage comme certaines contrées d’Europe.

Imprévoyant, n’obéissant qu’à des exigences immédiates, l’agriculteur indigène ne s’intéresse guère qu’aux cultures vivrières. Son petit domaine rural est à la fois un verger et un potager, qu’il ne travaille qu’à la houe. Une partie est plantée en bananiers, son seul arbre fruitier, qui lui donne son cidre, comme chez nous le pommier, des fibres pour son vêtement, une pâture pour son bétail. Le reste produit par lopins sur les versants et par planches dans les hortillonnages des bas-fonds, les légumes, base de l’alimentation, haricots et pois, les patates douces, la co-locase et l’igname, une oseille, l’isogi, auxquels s’ajoutent les cucurbitacées, puis les céréales, sorgho, éleusine, maïs, fournissant le pain, ou plutôt la gaude, et servant à la fabrication de la bière, enfin le tabac. Le Noir trouve son euphorie à boire des spiritueux et à fumer.

Ces cultures ne suffisent pas à le mettre à l’abri des disettes. Aussi l’européen, après avoir importé la pomme de terre, dés céréales nouvelles, froment surtout, et aussi seigle, orge, sarrasin, avoine, bien accueillies, du reste, le force-t-il à planter le manioc, dont la racine sous la terre résiste aux longues sécheresses, le caféier, la variété arabica notamment, dont le producteur mange parfois la cerise et qui lui permet par la vente de se constituer un petit pécule. ,

Au demeurant, cette terre da Ruanda paraît apte à devenir une cosmopolis de l’univers végétal. On réussit à y acclimater des essences les plus variées Le manguier et le papayer d’Asie, les ananas d’Amérique, les agrumes, oranger, mandarinier, citronnier de la Méditerranée, la – vigne et le figuier, presque tous les arbres fruitiers d’Eu-rope, du Mexique et de l’Afrique australe, à peu près toutes les plantes potagères, et, en outre, encore -qu’avec peu de succès, le coton, la canne à sucre, les arachides, le riz, le théier. Toutefois le cacaoyer, le palmier-dattier et l’olivier, ces plantes si secourables, sont exclues de cette naturalisation en masse des ressortissants végétaux de toute la planète.

Mais il est plus facile dans tous les domaines ide bâtir à neuf que de restaurer le vieux. La, prairie,- née spontanément des défrichements par le feu, ne donne qu’une herbe dure, rase, peu savoureuse, peu Chargée en principes nutritifs, tout au plus capable de lutter avec avantage contre le chiendent envahissant La régénération des pâturages est une des tâches qui s’imposent à la colonisation européenne, sans doute une des moins aisées à réaliser.

 

9. — Animaux Sauvages Et Animaux Domestiques

Le Ruanda a conservé sa faune primitive, une’ dès plus imposantes et des plus opulentes qui soit au monde, celle des pachydermes, des félins, des grands reptiles, des bovidés, des équidés, des primates anthropomorphes, des échassiers, des rapaces, des colibris. Mais cette faune a partiellement suivi la forêt, son habitat, dans son recul séculaire. Les engins de chasse modernes, importés par les européens,, auraient tôt fait de l’exterminer, si l’on ne prenait des mesures de protection pour la sauver. C’est pourquoi le gouvernement belge, en 1925, a délimité une réserve, le Parc _National Albert, dont le périmètre chevauche sur la colonie du Congo et englobe l’aire des grands volcans ainsi que des restes de la forêt vierge. L’éléphant y vit en troupes, l’hippopotame pullule dans les rivières, le gorille et le chimpanzé habitent le Mikéno le lion, le léopard, le cerval, le buffle, l’élan, le sanglier phacochère, le cochon sauvage, y trouvent un refuge, tandis que l’hyène, le chacal, l’antilope, l’énorme python, se produisent un peu partout au dehors. ‘Une seconde réserve à l’est, dite Parc national de la Kagera, protège depuis 1934 des troupeaux de zèbres. Le crocodile infeste en trop grand nombre les cours d’eau. La loutre du Kivu fournit à l’indigène sa -fourrure de luxe. Le rhinocéros, la girafe, l’autruche sont absents.

La grande faune sauvage se tient à l’écart des établissements humains et n’y joue guère un rôle plus apparent que chez nous les bêtes d’un jardin zoologique. Au contraire, les superbes échassiers, grue huppée, ibis, serpentaire, deviennent les familiers de l’homme, fréquentant tout le jour ses marais et ses plantations, tandis que des rapaces de toute espèce sillonnent les nues. Oies, canards, outardes abondent en, certains endroits, ainsi qu’une sorte d’oiseau-mouche, la nectarine.

L’indigène n’a domestiqué aucune des bêtes qu’il avait à sa portée, ni l’éléphant ni le buffle ni- le zèbre• ni le cochon sauvage, tout au plus le chat. Les seuls animaux qu’il élève, bêtes à cornes, mouton sans laine; chèvre, chien, gallinacés, sont des immigrés, qu’il a amenés avec lui d’ailleurs. Lait, beurre, viande, peaux, c’est tout ce qu’il en retire. Au reste le cheptel du Ruanda-Urundi est considérable : il atteignait en 1936 près d’un million de têtes de bétail. La glossine, mouche tsé-tsé, n’y a pas encore exercé de trop grands ravages.

L’apiculture est pratiquée au Ruanda en vue de la fabrication de l’hydromel, le poussin élevé pour les rites d’aruspicine. Le porc, introduit par les européens, a reçu bon accueil, très peu encore comme appoint à l’alimentation de l’indigène mais comme source de gain à la vente. L’âne n’a pas eu de succès ; l’indigène répugne à le soigner; plutôt que de l’utiliser comme bête de somme il reste fidèle à la pratique traditionnelle du portage à , tête d’homme. Le cheval et le mulet ne sont guère encore sortis des domaines annexés aux écoles d’agriculture et de la ferme d’expérimentation de Rubona. La plupart des messages sont encore transmis par courriers.

  1. — Régions Naturelles:

Anciens états et provinces. Le Rwanda Oriental.

Cette terre du Ruanda qui, jointe à celle de l’Urundi, représente une des régions naturelles -les mieux définies de l’Afrique, Se laisse aisément répartir en trois zones, dont l’homogénéité est encore plus accusée et qui ont joué dans _ l’histoire un rôle distinct. Ce sont comme trois bandes parallèles, alignées selon les ‘méridiens, qui divisent le Ruanda en trois parties : l’Orientale, la Médiane et l’Occidentale. Comme le terrain, ainsi qu’il a été dit, se relève graduellement d’est en ouest, ces trois fractions peuvent recevoir les dénominations approximatives de Plat-Pays, Hauts-Plateaux et Hauts-Monts.

– Le Ruanda Oriental ou Plat-Pays est un faisceau la sphère terrestre, compris entre le ’30e et le 31e degré de longitude est, ou, géographiquement, entre la dépression longitudinale où serpente la Kagéra et la ligne nord sud de la tranchée Nyabarongo-Kanyaru. On y rencontre, dans les parages de la Kagera, de Mornes surfaces planes, couvertes de halliers épineux, où abondent les termitières géantes et où gîtent les fauves,, peu arrosées par les eaux célestes et partant faiblement peuplées. C’est par cette zone surtout que le Ruanda communiquait avec l’étranger, avec l’Ankolé par la trouée du Ndorwa entre le Bubéruka et le Kakitumba, avec le Karagwé et l’Uswi vers le Victoria-Nyanza. C’est aussi la zone qui fut le plus tardivement réunie à l’état munyiginya.

Le Ndorwa, qui débordait vers le nord ‘eu delà “de la frontière actuelle, et dont le Mpororo était une province, constitua un état indépendant, gouverné par la dynastie des Bachambo (Bashambo NDLR) de la lignée munyiginya, jusqu’à son ab-sorption au XVIIIe siècle. Confrontant avec lui, le plat Mutara et le Mubari mamelonné appartenaient à la dynastie muhutu des Bazigaba : c’est là que les batutsi- localisent les fables relatives à leurs origines. Aujourd’hui ces vastes savanes, utilisées surtout comme pacages, sont en majeure partie des réserves de chasse en raison de leurs troupes de zèbres et forment le Parc national de la Kagéra.

Le Kisaka, à l’angle sud-est, fut un état hamite puissant, gouverné par la dynastie des Bagéséra, composé jadis des provinces Mirengé, Abarasa ou Gihunya, Butaraa, Migongo, Ubgiriri, réduites administrativement à trois depuis la conquête munyiginya vers 1850, dont Mirengé avec la mission de Zaza et Barasa avec le chef-lieu de Territoire Kibungo.

Le Bugéséra son voisin outre-Kagéra, jadis indépen-dant sous le sceptre des Abahondogo de la lignée des Banyiginya, est une région d’effondrement tectonique, où d’innombrables étangs s’assèchent entre deux périodes de pluie, ailleurs hérissée d’une sylve clairsemée, plus accueillante aux pasteurs batutsi, qui forment la majeure partie de la population, qu’aux cultivateurs bahutu.

Immédiatement au nord du Bugéséra et du Kisaka se déploie dans le bassin hydrographique du lac de Muhazi, vallée vérouillée et noyée, le Buganza, qui fut le berceau du premier Ruanda ainsi que de sa dynastie actuellement régnante. C’est là, à la pointe sud-ouest du lac, que se dresse l’ancienne résidence royale de Gasabo sur un ma-melon attenant à un large plateau appelé précisément Ruanda au, contact immédiat ‘de Rwamagana, autre rési-dence princière, aujourd’hui station missionnaire, s’étend le plateau dit Munyiginya. Les• stations, catholique de Kiziguro, anglicane de Gahini, sont en Buganza.

De leur domaine familial les Banyiginya se répandirent sur ce quadrilatère, à peu près délimité par la Basé, un tronçon de la Nyabarongo et la Nyabugogo, qui embrasse le Buliza, le Buyaga, le Busigi, le Bumbogo et le Bganatshyambgé (Bwanacyambwe NDLR), celui-ci avec son bois et sa fontaine historique de Muhima au pied de Kigali. Au Buyaga se Voit presque en face de Gasabo, de l’autre côte de la vallée, la nécropole des bami du Ruanda, sur le sommet de Rutaré. Ce pays a conservé ou réacquis son importance politique par la création de la capitale européenne de Kiga.

Plus au nord entre le Muléra et le Ndorwa, tenant de l’un et de l’autre, le Bubéruka, que signalent ses immenses marais mouvants, riche en minerai de fer, habité par de frustes montagnards, les bakiga, jadis repaire ‘d brigands et d’insurgés.

  1. – Le Plateau Central

La mésopotamie canandienne

Le Ruanda moyen, celui des Hauts-Plateaux, est nettement délimité par la thalweg de la ,Nyabarongo, précédée en amont de celui du Mwogo, et par la tranchée marécageuse de la Kanyaru, bref par le tracé des composantes-de la géra. C’est une véritable Mésopotamie, un Entre-Deux-Fleuves. L’aspect général est celui d’une ‘pénéplaine, l’altitude moyenne de 1.800 m, morcelée en collines des vallons fangeux. Le terroir est plus que dans livré à la culture et le peuplement -y -est très dense.

Sa position médiane le prédestinait à être un jour  le coeur du Ruanda politique. Il fut la première réalisation du plus grand Ruanda : les vainqueurs Banyiginya s’y transportèrent dès son acquisition. C’est lui que traverse aujourd’hui l’artère maîtresse de la .circulation mettant en communication l’Urundi avec l’Uganda anglais et le Congo Belge, ce qui en fait un pays de transit. La voiepasse aux capitales, à Nyanza, résidence habituelle mwami, après Astrida, qui faillit remplacer Usumbura, à Kabgayi, siège du vicariat apostolique, là elle bifurque une branche se dirigeant vers Rutshuru au Congo entre les Birunga et le Bufumbira, l’autre obliquant à l’est  vers Kigali, le chef-lieu administratif et commercial du pays  sous mandat.

Cette zone médiane est partagée en deux grandes moitiés. Au sud, le Bganamukali (Bwanamukali NDLR) avec le ,Burwé, qui fut le royaume muhutu des Barengé, resserré entre la Migina et la Kanyaru, comprend toute une suite de provinces : e Ndara, où furent déportés les pirates Banyoro ; le Myeru! où Se pressent les quatre stations catholiques de B taré-Astrida, d’Isavi, de Kansi et de Mugombga ; le BuYenzi ; le Nyakalé et le Bashumba ; le Nyaruguru avec sa subdivision du Bungwé, où sont situés la mission de Kibého et le séminaire régional de Nyakibanda ; le Buhanga ; le Busanza, où se trouve la ferme d’expérimentation de Rubona. Au nord, clans la boucle anguleuse de la Nyabarongo, le Nduga, ancien royaume des bahutu Ababanda, dont le monarque le plus célèbre fut l’enchanteur Mashira. C’est aujourd’hui le domaine royal, possédé en propre par le mwami. Les provinces y sont aussi nombreuses que dans l’état méridional : le Mugongo, qui possède la capitale indigène de Nyanza et le Musényi constituant à eux deux le Nduga proprement dit; le Marangara avec Kabgayi et la nécropole royale de Gaséké; le Mayaga, bas pays en bordure de la rive gauche de la Kanyaru ; le Kabagari, sur la rive droite de la haute Nyabatonga, avec ses stations, catholique de Muyunzwé, adventiste de Gitwé ; le Rukoma avec la station protestante de Réméra ; le Ndiza, desservi par la station catholique de Kanyanza.

  1. — La Dorsale Congo-Nil Et Les Bords Du Kivu

Le Ruanda Occidental ou des Hauts-Monts s’étire en biais du sud-ouest au nord-est entre la vallée de la Nyabarongo et la fosse profonde du Kivu, parallèlement à celle-ci. Il consiste orographiquement en cette longue croupe de la dorsale Congo-Nil, semblable à un toit en bâtière, dont le versant atlantique dévale brusquement de mille mètres vers le lac. Ce faîtage est relayé au nord en fin de -carrière par le chapelet des Birunga. C’est par excellence’ sur ses crêtes le refuge de la forêt vierge, des grandes bêtes sauvages, de leurs chasseurs batwa ; c’est la région des lacs profonds, enchâssés dans les cadres grandioses, abîme du Kivu, vallées noyées du Ruhondo et du Buléra, — des cours d’eau coupés de rapides et de chutes, telle ,la Mukungwa, — des géants volcaniques de réputation mondiale et du Parc National Albert. Le climat y est ici et là plus âpre, mais la, terre n’y est pas moins fertile, notamment sur les nappes d’anciennes laves et sur les rivages lacustres.

Ici, comme sur le plateau central, les provinces sont multiples, correspondant à d’anciens états-cantons bahutu, parfois de faible dimension. Au sud, c’est l’état important du Kinyaga, colonisé largement par les Bashi -venus du Bunyabungo de l’autre côté du lac. Se rattachent à lui le Biru riverain, avec Tshyangugu (Cyangugu NDLR), chef-lieu du territoire civil, et Kamembé, lieu de relégation de l’ex-mwami Musinga ; le Kinyaga proprement dit avec les missions de Mibirizi, de Nyamashéké, le champ dé bataille d’Ishangi, la ferme d’expérimentation de Dendézi ; sur la crête, dans les rochers, à l’orée de la forêt, les petits états désuets du Busozo et du Bukunzi, reliques d’un passé révolu.

– Sur les rives du lac, le Bgishaza, avec les postes, adventiste de Ngorna, catholique de Mubuga, évangélique de Rubengéra, civil de Kibuyé, continué par le Kanagé, réputé pour ses gisements de minerai de fer, avec la mis-sion de Murunda, fait la transition vers le Bugoyi. En arrière, sur l’épine dorsale, à la lisière de la forêt, s’échelonnent le Bufundu entre les deux sources de la Nyabarongo, Mwogo et Rukarara, avec les stations, catholique de Tshyanika (Cyanika NDLR), anglicane de Kigémé ; le Bunyambiriri-Itabiré, desservi religieusement par Kaduha ; le Nyantango avec la mission jadis allemande de Kirinda ; le Budaha ; le Tshyingogo (Cyingogo NDLR) avec les mines de Gatumba, la mission de Murarnba, l’ancien poste administratif de Kabaya.

Le Bugoyi est une marche, adossée aux Birunga et au lac, colonisée par des immigrants allogènes, divisée en plusieurs provinces, riche en ses grands plateaux fertiles du Rwéréré et du Bigogwé, ayant son chef-lieu de territoire au poste déjà ancien de Kisényi sur le Kivu et son centre religieux à Nyundo. L’hinterland montagneux est partagé entre le Bushiru forestier, évangélisé par les ca-tholiques à Rambura et par les anglicans à Shyira, et le Rwankéri peuplé de batutsi.

Entre le Bugoyi et le Bubéruka, au pied des volcans éteints, s’étend le Muléra, où vivent des peuplades na-guère farouches, fidèles à l’antique organisation tribale. C’est un groupement de plusieurs provinces : le, Buhorna au pied du Karisimbi, avec la station adventiste de Gitwa ; le Muléra proprement dit, qui garde le chef-lieu du ter-ritoire civil, Ruhengéri ; le Bugarura, où se dresse l’importante station catholique de Rwaza ; le Bukonya avec Janja ; le Kibari avec Gitovu ; et tout au nord, le Bukamba, séparé du Bufumbira anglais par le Muhabura.

Toutes ces divisions territoriales, états, provinces, can-tons, bourgades, sont désignées indistinctement en kinyarwanda par le terme ibihugu « pays ».

  1. — La Colonisation Humaine:

Exceptionnelle densité de la population,

Les trois zones que nous avons distinguées ont été découvertes et habitées par l’homme dès les âges les plus lointains, ainsi qu’en témoignent les trouvailles archéologiques, encore peu multipliées. Les premiers arrivés furent cueilleurs, chasseurs, pêcheurs, bateliers, pâtres de petit bétail. Ce ne sont pas des passants de cette sorte qui laissent une empreinte sur un sol quelconque. Ils profitent des libéralités de la natures ils ne communiquent à la terre rien d’eux-mêmes, ils ne l’aident pas à produire. Comme elle s’épuise vite, si prodigue qu’elle soit, ils la parcourent de long en large à la poursuite du butin fuyant devant eux ou à la recherche de nouveaux cieux. L’herbe repousse sous leurs pas, la forêt se referme derrière eux; il ne reste aucun vestige palpable de leur halte éphémère.

C’est le cultivateur qui s’empare de la terre, la trensfigure, lui imprime un cachet d’humanité, crée le ‘pay-sage historique. Au Ruanda ce conquérant, ce transformateur, ce fut le paysan bantu, le muhutu. C’est lui qui a fait reculer la forêt, a tracé le premier réseau de sentes – durables, a parsemé la campagne d’enclos verts et de foyers, lui, qui, se multipliant comme les étoiles -d ciel et le sable des mers, a rempli de sa présence les soixante mille kilomètres carrés où se parle sa langue. Toute la toponymie du Ruanda-Urundi, noms de rivières, de lacs, de montagnes, de plateaux, de’ sections de col limes, se chiffrant par milliers, est empruntée à son parier et atteste sa conquête. Il n’est pas jusqu’aux usages et aux institutions de là vie privée, et même de la Vie publique, qui ne procèdent de lui pour la plus grande part.-

Cette population du bloc Ruanda-Urundi est voisine en 1940 de quatre millions d’âmes, ce ‘qui donne une densité kilométrique égale à celle de la France, double même si l’on n’a égard, comme de juste, qu’à là population rurale, la population urbaine ici n’entrant pour ainsi dire Pas encore en ligne de compte. Le mérite hors pair et là va-leur inestimable de cette situation démographique ressortent en un singulier relief si on la met en parallèle avec celle des grands territoires ambiants. Ces quatre millions d’âmes représentent, en effet, près du- tiers de la population globale du Congo Belge, quarante fois plus grand, et près de la moitié dé celle de l’ancienne .colonie allemande de l’Afrique Orientale, quinze fois ,plus étendue. Or cette disproportion ne cesse chaque jour ‘de s’accentuer, l’indice de l’accroissement annuel atteignant pour le Ruanda le taux exceptionnel de 2,65 %, ce qui détermine le doublement de sa population dans la durée d’une. seule génération.

Tel est le fruit d’une colonisation agricole intense. Si par elle la terre reçoit de l’homme sa discipline,, et sa fécondité, elle exerce sur lui en retour une action qui tour-ne au profit de sa prospérité économique, démographique et par suite politique.

  1. — L’Influence Du Milieu Physique Sur La Destinée Historique Du Peuple.

Dans le passé et jusqu’à l’entrée en scène de l’Europe, l’insularité du bloc Ruanda-Urundi a agi dans le sens d’une protection, d’une défense, préservant l’acquis des générations antérieures contre les atteintes d’un ravisseur étranger. Ce quadrilatère montagneux, surgi des entrailles de l’Afrique équatoriale, s’assimile en cela à celui de la Bohême, le bastion de l’Europe centrale : même isolement territorial, même superficie, même densité de population et fonction politique analogue. Quelle que soit la latitude, les massifs de hautes terres jouent partout le même rôle de forteresses naturelles, contre lesquelles viennent se bri-ser les vagues des assaillants : c’est ainsi que l’Abyssinie noire, le Liban maronite, le Djurdjura kabyle, le Monténégro serbe purent échapper à la marée arabe ou turque. Pareillement notre Bohême des Grands Lacs, ramassée sur elle-même, en possession de son unité politique, fut en mesure de se garder contre les raids de pillage, contre les rafles d’esclaves, contre les intrusions de l’étranger, les repousser le cas échéant ou les décourager. Elle ne fut jamais conquise de haute lutte par la force des armes , c’est elle plutôt qui, sortant de son réduit, essaya de s’annexer les terres -de sa périphérie, au reste sans résultats positifs.

Par ailleurs, dans ce cercle fermé et abrité, l’altitude, la salubrité de l’air, l’abondance et la qualité des eaux, la clémence du ciel, l’âpreté même relative du terroir, contraignant à l’effort, ont singulièrement favorisé la robustesse et la bonne santé des races, cependant que la vie rurale, la dissémination des demeures, l’absence d’agglomérations urbaines, la nécessité d’un labeur obstiné et persévérant, engendraient et entretenaient une sévérité relative des moeurs, leur rudesse exclusiviste, la sainteté du foyer, le respect de l’autorité à tous ses degrés, la simplicité de vie, autant de facteurs d’une natalité dont la surabondance suffit et au delà à combler les vides creusés par les fléaux, famines, contagions, querelles de clans, vendettas.

Aujourd’hui, sous un gouvernement uniquement sou-cieux de justice et de progrès social, garantissant la paix extérieure et cherchant à intégrer les petites nationalités dans une formule plus embrassante de synthèse humaine, ces anciens facteurs ont beaucoup perdu de leur actualité et de leur vertu. La population n’a plus aucun motif de se claquemurer dans des frontières étroites où elle étouffe, elle sent plutôt le besoin, si casanière qu’elle soit, de s’en évader au moins temporairement pour quérir sur des terres plus riches, telles que l’Uganda, le Katanga, la province du Kivu, la provende qui lui fait défaut. Les ressources, en effet, que son travail fait jaillir du sol, ne s’accroissent pas en proportion de ses besoins. Le terroir est pauvre en principes fécondants les réserves minières n’y sont pas inépuisables, les forces hydrauliques, quand elles seront exploitées, n’auront guère qu’un emploi local. L’absence de matières premières interdit l’espoir de grandes créations industrielles, qui résorberaient, en l’accumulant dans des cités ouvrières, le trop-plein de la population. Le grand avenir du Ruanda-Urundi ne peut être que dans une expansion colonisante. Ainsi, partout dans le monde, la montagne alimente la plaine en potentiel humain. La politique coloniale allemande projetait de canaliser l’exubérance du réservoir rouandien vers le littoral lointain de l’océan Indien, riche en terres, pauvre en hommes. La direction de ce mouvement est aujourd’hui très heureusement intervertie. L’émigration du paysan rouandien est orientée vers le nord et vers l’ouest. Déjà, grâce à elle, les solitudes du Gishari, voisines du Bugoyi, se peuplent ou plutôt se repeuplent. La progression silencieuse en tache d’huile du vacher hamite et du colon muhutu reprend ou mieux se poursuit, — car elle ne fut peut-être jamais interrompue, — pour la création d’un Nouveau Ruanda.

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