POSITIONS DES GROUPES POLITIQUES DEPUIS LA RUPTURE DU «FRONT COMMUN» AVEC KIGELI V, JUSQU’AU DEBUT DE LES JUILLET

L’actualité politique est dominée, durant cette période, par deux problèmes : les élections communales de juin-juillet et le colloque de Bruxelles.

Le Front commun, constitué par les partis Parmehutu, Aprosoma et Rader, soutient la politique du pouvoir tutélaire et participe aux élections et au colloque. Le parti Unar, par contre, soutenu par le Mwami Kigeli V, s’opposant de plus en plus nettement à l’Administration belge, refuse sa collaboration.

L’OPINION DES MILIEUX PRO-TUTSI

1° Communiqué de l’Union Nationale Rwandaise en faveur du « boycottage » des élections communales

20 mai 1960.

Le Comité Directeur de l’Union Nationale Ruandaise (Unar) a l’honneur de porter à la connaissance des populations du Rwanda-Burundi ce qui suit :

1° Compte tenu du régime de terreur que le gouvernement colonialiste belge impose aux territoires africains sous son administration et en particulier à notre patrie, le Rwanda-Burundi,

2° Attendu que ce gouvernement a directement et indiscutablement poussé les populations autochtones à des actes qui ont abouti au désordre, aux pillages, à l’incendie, aux meurtres et à l’anarchie complète actuelle,

3° Attendu que les fonctionnaires belges, avec les partis collaborationnistes, réactionnaires et opportunistes, ont procédé à des actes de dépossession, d’emprisonnement, de massacre et de torture de milliers d’innocents, et que la responsabilité du gouvernement belge est établie,

4° Attendu que les crimes précités avaient pour but de neutraliser, d’étouffer les aspirations légitimes du peuple du Rwanda-Burundi à l’indépendance, faisant délibérément fi des dispositions de la charte des Nations

Unies, notamment en son article 76,

5° Attendu que le gouvernement belge, par son approbation tacite de la politique suivie par les gouvernements colonialistes du Rwanda-Burundi, par la conspiration du silence des Chambres belges, par la position intolérable du ministre actuel du Congo et du Rwanda-Burundi, a soutenu le gouvernement colonialiste précité,

6° Attendu que la Mission spéciale d’enquête de l’O.N.U., après avoir analysé la situation du Territoire sous tutelle, a invité la Belgique à :

  1. a) postposer les élections et les rapporter à janvier 1961 sous le contrôle et la surveillance des Nations Unies ;
  2. b) organiser le plus tôt possible une Table Ronde à Bruxelles, pour assainir le climat actuel du Rwanda-Burundi ;
  3. c) recevoir rapidement les fonctionnaires de l’O.N.U. pour aider la Belgique à redresser la situation ;
  4. d) prévoir la date de l’indépendance du territoire, et que cette Mission semble ainsi reconnaître la responsabilité du Gouvernement,

7° Attendu que le Conseil spécial, espèce de gouvernement provisoire camouflé et fantoche, imposé au Mwami et au peuple par un gouvernement colonialiste, est détesté par la majorité absolue du peuple et préconise des mesures politiques fantaisistes, consistant notamment en la déposition arbitraire du Mwami du Rwanda et l’imposition forcée de chefs et sous-chefs coutumiers provisoires, désignés par le régime d’occupation militaire, régime toujours en vigueur depuis plus de six mois et présentement rendu plus oppressif par l’arrivée massive de nouveaux contingents de soldats belges,

8° Attendu que le dernier communiqué no 13 du résident militaire du Rwanda B.E.M. Logiest invite la population à participer secrètement aux élections inconnues de l’O.N.U. pendant que les nationalistes et toute l’élite du territoire débordent les prisons, sont en exil ou dans les camps de concentration de Nyamata, et que toutes les libertés démocratiques ont été supprimées, même après le passage de la Mission d’enquête de l’O.N.U.,

Etant donné que, surtout après ce passage de la Mission d’enquête, les fonctionnaires belges, sous peine d’emprisonnement, forcent les citoyens à adhérer, par l’achat des cartes de membre, aux partis collaborationnistes, et que lesdites cartes donnent seules droit de cité à leurs détenteurs et sont devenues aussi des feuilles de route permettant des déplacements d’une région à une autre,

9° Attendu que cette politique irréfléchie et inutile du gouvernement colonialiste belge compromet présentement les véritables intérêts du peuple belge et est susceptible de nuire aux relations futures de l’Afrique Centrale avec l’Occident,

10° Vu l’évidence que la politique, ci-dessus décrite, accule le peuple au désespoir, ouvrant ainsi la voie à la révolution contre le colonialisme belge pratiqué dans le territoire sous tutelle,

Vu la gravité de la situation et vu l’urgence,

Le Comité Directeur de l’Union Nationale Rwandaise, agissant en vertu des pouvoirs que lui confèrent les statuts,

  1. — Ordonne à tous les membres de l’Unar :

1° A se retirer du Conseil spécial, s’ils s’y trouvent ou pourraient s’y trouver ;

2° A ne pas participer aux élections confidentielles et anti-démocratiques prévues pour le 27 juin 1960, élections imposées par l’occupation militaire et destinées à fausser tout le processus de l’indépendance nationale.

  1. — Invite solennellement les partis démocratiques et nationalistes à refuser catégoriquement ce chaos politique et à intensifier la lutte pour l’indépendance nationale.
  2. — Déclare exclu du parti au 1 or juin 1960, tout membre de l’Union Nationale Rwandaise qui participera aux travaux du Conseil spécial, et à ses élections anti-démocratiques prévues par le communiqué no 13 du Résident militaire du Rwanda. POUR LE COMITE DE L’UNION NATIONALE RWANDAISE, (Sé) RWAGASANA Michel.

2° L’Unar et ses partis affiliés rejettent les élections communales

(Télégramme envoyé de Bukavu le 30 mai 1960 au Ministre à Bruxelles.)

Vu inexistence liberté, rejetons élections hâtives.

DE JANVIER A JUILLET 1960

Exigeons convocation immédiate Table Ronde avec participation tous partis politiques.

Désapprouvons délégation Conseil spécial provisoire composée trois partis favorisés.

Exigeons élections supervisées O.N.U. après Table Ronde.

Cartel Unar, Mur, Umar, Momor, Uaar.

(Le même télégramme fut également adressé au Roi Baudouin.)

3° Lettre ouverte de l’Unar au Résident Général

Monsieur le Résident Général,

Je me permets de vous remercier bien sincèrement pour la longue et bienveillante audience que vous avez bien voulu m’accorder le 12 mai 1960.

Après longues réflexions et discussions avec mes amis et les responsables de la conduite de l’Unar, j’ai le regret de constater que rien de positif n’est sorti de notre échange de vues.

J’avais sollicité cet échange de vues à la lecture de votre allocution radiodiffusée du 9 mai 1960, dans laquelle vous faisiez allusion au durcissement de certaines positions et menaces de violence, exigeant d’exceptionnelles précautions militaires au point d’avoir justifié le déplacement de M. le Ministre de la Défense Nationale Belge.

J’ai été heureux de vous entendre dire que vos paroles, cette fois-ci, ne visaient pas l’ Unar.

Quant au deuxième passage important de votre allocution, à savoir la possibilité éventuelle de nouveaux colloques, je ne puis que vous confirmer ma déception totale.

Le 28 mars 1960, je me suis permis, la délégation de l’O.N.U. étant encore présente, de vous faire part de quatre points essentiels de la position de l’Unar. A ce jour, aucune réponse quelconque n’y a été donnée par Monsieur le Résident spécial à qui vous l’avez transmise pour compétence. On saurait difficilement établir plus clairement que les avis, les positions et souhaits de l’Unar n’ont droit à aucune considération quelconque, et sont voués d’avance au rejet ou au classement pur et simple.

Cet exemple n’est pas isolé d’ailleurs, il y a encore nos lettres du 14 mars 1960 au sujet des réfugiés du Biumba, celle du 22 mars 1960, protestant contre des mesures dirigées expressément contre l’Unar. Notre section d’Astrida possède un volumineux dossier de plaintes et lettres spécifiant nominativement des actes de violence commis à l’égard de membres de l’Unar, et laissant, depuis le 6 mars 1960 prévoir les événements qui se sont produits du 8 au 12 avril 1960.

Faut-il vous rappeler, Monsieur le Résident Général, que les résolutions de notre congrès du 17 avril 1960 sont restées sans suite.

Enfin, malgré notre insistance, nous n’obtenons pas le procès-verbal de la réunion tenue à Astrida le 13 avril 1960, au cours de laquelle, en présence de Monsieur le Résident spécial, Colonel Logiest, des membres de l’Aprosoma ont gravement injurié le Mwami, sans même s’attirer un rappel à l’ordre.

Au cours de cette même réunion, le Résident spécial a formellement promis que les victimes batutsi d’Astrida seraient jusqu’au dernier jour réintégrées dans leurs biens. Au lieu de cela, ces gens sont d’office dirigés sur Nyamata (Bugesera) et l’on procède même au déplacement d’office d’autres familles que même les émeutiers n’avaient pas inquiétées.

Les colloques nouveaux auxquels vous avez, Monsieur le Résident Général, fait allusion, consistent en fait à transporter en lieu de discussions les membres du Conseil spécial en les qualifiant de Table Ronde préparatoire, à écarter les européens du secteur privé de ces discussions et faire procéder à des élections. Tout ceci est contraire aux conclusions de l’O.N.U. qui, très explicitement, n’excluaient personne ni aucun groupe de la Table Ronde envisagée pour août 1960.

Il est pour le moins singulier qu’à des colloques organisés auxquels les partis politiques seraient invités, l’Administration envisage de décider elle-même de la composition des délégations des divers partis politiques par exclusives, qui d’ailleurs à nouveau, ne visent que l’Unar alors qu’une autre tendance politique se trouve dotée d’une double représentation, ce qui lui donne le pouvoir d’empêcher tout arbitrage ou conciliation.

Vous voudriez, contre l’avis de l’O.N.U., procéder à des élections sans même envisager de lever l’état d’exception qui ne s’applique pratiquement que contre l’Unar et au profit des autres partis dont elle couvre toutes les illégalités et sans même qu’il soit question des 40.000 réfugiés.

Enfin, Monsieur le Résident Général, vous accablez publiquement le Mwami Kigeli alors que c’est vous-même qui l’avez privé expressément de conseillers européens auxquels vous avez confié vous-même des missions importantes d’intérêt public, et dont vous avez, à plusieurs reprises, publiquement loué la compétence, le désintéressement et le sens de l’intérêt général.

Il en est de même pour l’institution monarchique et le Mwami. Au lieu de faire trancher la question par les intéressés qui sont le peuple ruandais par un referendum, vous semblez vouloir la laisser en suspens, mais entre-temps, vous laissez se développer publiquement et même par les membres du Conseil spécial, imposés par vous au Mwami, une campagne injurieuse, diffamatoire pour la personne et le dénigrement de l’institution elle-même. Et vous avalisez personnellement cette campagne en blâmant publiquement le Mwami de son refus de collaborer avec des personnes qui l’insultent dans la rue.

Il nous apparalt donc clairement que, pour des raisons qui nous échappent, l’Administration a décidé d’ignorer complètement notre parti, de l’écraser et de chercher à supprimer l’institution monarchique. Nous sommes matériellement impuissants à vous en empêcher, mais ne pouvons à aucun degré, nous associer même indirectement, à ces manœuvres ni à cette politique.

J’ai donc le regret de vous confier que, si l’Unar n’envisage aucune action contraire aux lois et ordonnances aussi discutables que celles-ci puissent l’être, notre parti désavoue à l’avance toute mesure d’exécution autre que celle prévue par l’O.N.U., c’est-à-dire une Table Ronde à Bruxelles ou au Ruanda, avec participation officielle de délégués du Parlement Belge, de l’O.N.U. et de délégués librement désignés par les divers partis et par toutes les fractions de la population du Ruanda-Urundi.

En conséquence et à la lumière de nos dernières informations, les délégués de l’ Unar se retireront de toutes les Commissions, colloques, réunions et institutions, tant que sera maintenue cette attitude manifeste de l’Administration, dirigée contre l’Unar.

Veuillez agréer, Monsieur le Résident Général, l’assurance de ma haute considération.

Pour l’Union Nationale Ruandaise, Le Président du Comité National a.i., RUTSINDINTWARANE J. N. (Publié dans « La Chronique Congolaise », Main 1960.)

  1. LES PRISES DE POSITION DES PARTIS DU FRONT COMMUN

1° Déclaration du Parmehutu (M.D.R.)

(Assemblée extraordinaire de Ruhengeri, 6 juin 1960.)

  1. — FORME DE GOUVERNEMENT

Pour la forme du gouvernement à donner au Ruanda, dit la déclaration du Mouvement Démocratique Républicain (M.D.R.), une forme républicaine est celle qui assurera le mieux la liberté des citoyens et leur égalité devant la Loi et les Représentants du Pouvoir suprême du pays.

En effet, l’expérience vient de prouver au pays que d’une monarchie féodale colonialiste et raciste à une royauté constitutionnelle le passage s’est avéré impossible :  les pleurs des veuves et orphelins de plusieurs innocents massacrés en novembre 1959, les victimes torturées à la Cour féodale, laquelle venait de jurer de régner constitutionnellement, le terrorisme que le groupe féodal tutsi, fort du nom de son chef de caste, le Mwami, a imposé au pays depuis le mois d’octobre 1959, sont un témoignage triste, mais irréfutable, de l’inviabilité de la forme mwami de gouvernement, même couverte de la qualification de constitutionnel.

D’autre part la libération politique du groupe bantu-hutu, plus de 85 % de la population ruandaise, vis-à-vis du colonialisme Tutsi, exige l’abolition de la forme mwami de gouvernement et de tous les mythes féodaux et racistes, satellites de cette dernière. L’égalité des citoyens exige un régime démocratique qui ne consacre en aucune manière la domination d’une race du Ruanda sur les autres.

C’est pourquoi le M.D.R.-Parmehutu préconise comme forme de gouvernement pour le Ruanda une forme républicaine. Les responsables auront le souci d’adapter la forme républicaine à la situation et aux aspirations du pays, ainsi qu’aux besoins d’ordre extérieur auxquels le Ruanda aura à faire face.

  1. — L’INDEPENDANCE DU RUANDA

Quant à l’indépendance du Ruanda, le M.D.R. précise ce qui suit :

1 ° L’indépendance du peuple Hutu vis-à-vis du colonialisme féodal tutsi, nous la déclarons comme fait acquis à partir de la signature de l’acte de la Tutelle, conférant au Résident civil spécial et au Collège exécutif l’intégralité du pouvoir exécutif y compris les attributions précédemment accaparées par le chef de la caste Tutsi.

Ce fait de l’indépendance du peuple Hutu, vis-à-vis du colonialisme Tutsi sera définitivement et solennellement consacré par l’abolition totale du triple mythe féodo-colonialiste Tutsi : « Kalinga – Abiru – Mwami », relevé par l’élection par le peuple ou par ses députés du Président de la République Ruandaise.

2° Pour l’indépendance vis-à-vis de la Tutelle européenne le M.D.R.-Parmehutu préconise une formule d’indépendance progressive, seule apte à assurer la paix et la continuité nécessaire du progrès et l’équilibre socio-politique dont un avenir sain du Pays a besoin.

Notre parti attire également l’attention des responsables sur le caractère et la signification particulière que doit avoir l’indépendance du Ruanda.

En raison des invasions successives des diverses races que l’Histoire a fait cohabiter dans le pays, en raison d’une psychologie « libérale », faite aux populations par cette cohabitation plus de trois fois séculaire de races diverses, en raison de la richesse sur le plan humain que procure cette accumulation, le Ruanda ne peut concevoir l’indépendance sur la base démodée et superficielle du Colour-bar. Nous l’avons déjà dit dans notre « Appel aux Anticolonialistes ».  Le Ruanda est le pays des Bahutu et de tous ceux, blancs ou noirs, tutsi, européens ou d’autres provenances, qui se débarrasseront de visées féodo-impérialistes. Nous le confirmons même pour l’état d’indépendance.

La levée de la tutelle ne doit donc aucunement laisser entendre le retrait des blancs, tant du secteur privé que de l’Administration, qui acceptent de vivre définitivement au Ruanda, de s’intégrer à la population et de travailler dans l’égalité et la légalité au bien commun du pays.

Cette façon de voir ne s’oppose en rien à l’intervention de l’assistance technique et financière, à laquelle recourent les pays même évolués de tous les continents :

L’indépendance du Ruanda signifiera donc :

1° La suppression du parallélisme de deux cadres, blanc et noir-tutsi ; un seul cadre démocratisé devant accepter la fusion et la collaboration dans l’égalité de toutes les races habitant le Ruanda. Cette fusion, opérée sur une base démocratique et non raciste et colonialiste, nous la voulons sur le plan exécutif et administratif, judiciaire, législatif.

2° Et en conséquence, l’octroi aux fils du peuple de réels postes de commande ; le traditionnel palier socio-politique raciste : twa – hutu – tutsi – européen, devant être aboli le plus rapidement possible. Ceci implique qu’à tous les plans de la vie sociale du pays, les responsables prennent les mesures qui s’imposent pour faire naître les capacités, techniques et humaines, de toutes les couches et races de la population.

3° La levée définitive de la tutelle signifiera donc l’émancipation du pouvoir supérieur du Ruanda et celui du Burundi vis-à-vis de la tutelle du gouvernement central d’Usumbura, du Gouvernement métropolitain de Bruxelles et du contrôle du Conseil de tutelle de l’O.N.U.

C’est à la Table Ronde Ruanda – Burundi – Belgique, qui se tiendra après les élections législatives, de déterminer les modalités définitives.

Aussi notre parti réclame que « les élections communales soient immédiatement suivies des élections législatives, en août, pour doter le pays d’institutions démocratiques réellement représentatives du peuple ruandais et habilitées pour traiter du problème de l’indépendance et de l’avenir de notre pays. »

— RELATIONS EXTERIEURES

Le M.D.R.-Parmehutu précise ensuite sa position quant aux relations du Ruanda avec les pays environnants de l’Afrique. La déclaration dit : Notre parti saluera avec joie et enthousiasme la possibilité d’une confédération centrafricaine, composée des républiques du Ruanda, du Kongo et du Pays du Burundi. Des raisons d’ordre à la fois historique, humaniste, politique et économique plaident hautement pour de tels « Etats-unis » de cette partie de l’Afrique.

Des dispositions constitutionnelles assureraient l’autonomie effective et constructive de chaque République membre de la Confédération.

Vis-à-vis des pays africains et occidentaux, le pouvoir central de la Confédéra- tion Kongo, Ruanda-Urundi entretiendrait, par des pactes et alliances, les relations politiques et économiques qu’imposeraient les circonstances et les nécessités.

L’incidence que le Congo jouit de son indépendance avant le Ruanda et le Burundi, ne gêne en rien la possibilité que nous souhaitons de la formation d’une Confédération Kongo-Ruanda-Urundi. La préparation nécessaire, et le respect des autonomies particulières justifient une période raisonnable de négociations et de mise en marche.

Le M.D.R.-Parmehutu propose d’ores et déjà une conférence des représentants des partis politiques et des gouvernements du Congo, du Burundi, du Ruanda, pour pouvoir tracer les premiers linéaments de la confédération Kongo-Burundi-Ruanda.

Notre parti adresse un appel pressant à nos frères du Congo, du Burundi et du Ruanda pour qu’ils apportent l’attention due à la possibilité d’une telle confédération et ce, dans la perspective de la solidarité nécessaire entre les états africains.

Nous attirons également l’attention de la Tutelle pour qu’Elle ne maintienne ou ne prenne pas des mesures, qui défavoriseraient la possibilité et la réalisation saine et rapide d’une Confédération Kongo-Burundi-Ruanda.

Fait à Ruhengeri, le 6 juin 1960.

Pour le Comité National du Mouvement Démocratique Républicain

(Parmehutu) : Gr. KAYIBANDA, Président, B. BICAMUMPAKA, Vice-président, Cl. NDAHAYO, Secrétaire L. MPAKANIYE, J.-B. SAGAHUTU, Vice-président, J. HAKIZIMANA, Vice-président Secrétaire Vice-président Conseiller, SIBOMANA, Trésorier, C. MULINDAHABI, Secrétaire

2° Appel du « Parmehutu » nouvellement dénommé : « Mouvement Démocratique Républicain » à tous les anti-colonialistes du monde

APPEL PATHETIQUE DU RUANDA

Quand vous plaidez pour l’indépendance du Ruanda, vous avez raison. Les populations du Ruanda-Urundi veulent leur indépendance ; mais elles la veulent totale et bien préparée ; elles veulent une indépendance qui lève les deux colonialismes que l’histoire a superposés sur les populations : le colonialisme des Tutsi et la tutelle européenne.

Le premier colonialisme au Ruanda est la féodalité de caractère colonialiste : les populations Hutu, 85 % du pays, ont été soumises par les Tutsi à un régime féodo-colonial inhumain ; les coloniaux Tutsi, de race éthiopoïde, ne représentent à peine que 14 % de la population : quand ils disent représenter le Ruanda, ce n’est que comme les Français représentaient leur colonie avant l’indépendance.

Au sommet de la pyramide féodo-colonialiste tutsi trône le Mwami et le tambour de la caste tutsi. Ce fétiche est cyniquement habillé « d’organes génitaux » coupés des corps des anciens rois hutu, tués au cours de la conquête coloniale Tutsi.

Comme les pays impérialistes tiennent au prestige et au maintien de leurs gouverneurs, de leurs hauts commissaires coloniaux, ainsi la race des Tutsi tient dans les institutions du Ruanda au maintien de son Mwami (sultan) et à son tambour macabre.

  1. — Les populations bantu veulent leur émancipation

Au cours de l’année 1959, les aspirations démocratiques et « indépendantes » du peuple apeurèrent le régime du sultan Tutsi, et menacèrent d’effondrement la construction féodale Tutsi. Le gouvernement de la tutelle belge, qui avait couvert le colonialisme féodal traditionnel, parut vouloir faire quelques concessions aux aspirations du peuple.

C’est alors que la pyramide colonialiste traditionnelle se déchaîna : contre le gouvernement belge d’abord, qui ne pactisait plus avec la féodalité ; contre le peuple ensuite, qui voulait sa libération et son indépendance.

Un plan de massacre, organisé par les féodaux, envisagea de balayer du pays les leaders du peuple. L’U.N.A.R. (Union Nationale Ruandaise) procéda au terrorisme le plus intriguant. Le peuple le vit à temps ; il se défendit ; la tutelle intervint et arrêta la bagarre. C’est l’offensive féodale qui a déclenché les événements de novembre au Ruanda. C’était tout simplement une lutte entre les féodaux colonialistes, voulant remplacer la présence européenne par la domination Tutsi d’une part, et la Démocratie anti-colonialiste désirée par le peuple d’autre part.

  1. — La réaction tyrannique des colonialistes féodaux

Les rangs des leaders Bantu furent décimés par les bandes des Féodaux.

Certains leaders de la promotion du peuple furent même torturés à la maison du sultan Tutsi, chef féodal colonial imposé au peuple par la domination de la race Tutsi.

La bagarre de novembre 1959 força certains féodalistes du parti U.N.A.R. à quitter le pays ; un peu comme des colonialistes européens ont été souvent obligés de quitter les pays qui réclamaient leur indépendance !

L’intrigue traditionnellement connue des Tutsi, leur donna un conseil : celui de tromper les anticolonialistes du monde, en se présentant comme martyrs de l’indépendance : ainsi ils s’attireraient l’aide et soutien des plus crédules parmi les leaders de l’Afrique et du monde.

C’est ainsi que certains leaders du Congo et les Afro-asiatiques de Conakry, mal au courant des réalités socio-politiques du Ruanda-Urundi, se sont laissés tromper par les fins féodalistes, qui ne représentent que leur soif d’exploiter le Peuple Ruandais, par le rétablissement du régime féodal, aussi impérialiste que celui des puissances européennes.

  1. — Le Ruanda ne sera plus le fief des Tutsi

Anticolonialistes du monde, demandez pour le peuple Ruandais une indépendance réelle et totale, préparée et basée sur la libération du peuple.

Adressez vos objurgations au Sultan colonial et à sa caste ; faites-leur comprendre que pour leur bien, ils doivent accepter la liberté du peuple bantu du Ruanda-Urundi ; dites au Sultan Tutsi et à sa caste d’abandonner leurs visées colonialistes ; dites-leur que c’est agir contre la civilisation que de tromper l’opinion internationale; dites-leur que le peuple ruandais ne sera plus le fief des Tutsi, dites-leur que le colonialisme, de quelque couleur qu’il soit, est condamné.

Anticolonialistes du monde, libérateurs de l’Afrique, dites bien aux Tutsi féodalistes, que même avec leur parti U.N.A.R. ils n’ont pas patronné le peuple ruandais et qu’ils ne pourront plus l’assujettir. Dites-leur que c’est la volonté du peuple ruandais qui conduira les destins du Ruanda vers son indépendance. Dites au Sultan Tutsi et à sa caste féodale que le peuple ruandais ne veut plus de leur domination. Dites-leur que l’intrigue tutsi ne parviendra plus dans le monde d’aujourd’hui à coloniser le peuple bantu du Ruanda-Urundi. Dites-leur que les leaders bantu du Ruanda condamnent définitivement toute forme d’assujettissement : féodalité, colonialisme, paternalisme, même tutsi.

Anticolonialistes du monde, dites aux tutsi qui sont à Dar-es-Salam, qu’ils peuvent, ou bien continuer leur chemin pour se réinstaller chez leurs pères en Abyssinie, ou bien prendre la résolution d’accepter la démocratie et, sous cette enseigne, revenir modestement au Ruanda. Dites-leur, aux seigneurs tutsi, que la libération du peuple bantu du Ruanda est bientôt achevée et que, pour son indépendance, le Ruanda n’a pas besoin des interventions pharisaïques des impérialistes féodaux.

  1. — L’indépendance doit être donnée au peuple et non à d’autres colonialistes

Anticolonialistes du monde, libérateurs de l’Afrique, quand vous intervenez dans les affaires du Ruanda-Urundi, demandez pour ce pays une indépendance qui libère les populations d’un colonialisme féodal : la domination Tutsi au Ruanda est un colonialisme pire que celui que vous êtes habitués à combattre.

Anticolonialistes du monde, ne cédez pas à l’intrigue du régime féodal tutsi : cette intrigue, tout colonialisme s’en sert comme de son instrument chéri : vous en avez l’expérience. Les féodaux tutsi vous trompent et vous font prendre des positions, en réalité colonialistes ! Anticolonialistes du monde, ne cédez pas à l’hypocrisie tutsi qui se présente comme martyre de l’indépendance, alors qu’il s’agit d’une vulgaire soif de domination impérialiste féodale.

Anticolonialistes du monde, vous êtes des démocrates ! Ecoutez plutôt les vrais représentants du peuple ruandais : les leaders bahutu (bantu) du Ruanda veulent la libération de leur peuple du joug féodal et colonialiste.

La Belgique a déclaré vouloir donner l’indépendance au Ruanda.

Faut-il que cette indépendance soit mise entre les mains du sultan colonialiste et de la caste féodale tutsi ? Ou bien faut-il qu’elle soit déposée entre les mains d’institutions démocratiques représentant réellement le peuple ruandais ? Anticolonialistes du monde, vous êtes sincères, choisissez ; vous êtes démocrates, optez.

Pour nous, leaders naturels de notre peuple, nous avons choisi : nous avons opté pour la libération de notre peuple. Nous ne voulons plus l’esclavage et la domination tutsi. Nous sommes opposés à tout colonialisme, de quelque couleur qu’il soit. Et l’indépendance doit être donnée à des institutions démocratiques, démocratiquement élues et vraiment représentatives du peuple. Nous avons condamné et le colonialisme et même le paternalisme de nos anciens seigneurs hamites.

  1. — L’erreur de l’administration indirecte

Le second genre de colonialisme au Ruanda est la tutelle ; européenne. Celle-ci a été jugée par le peuple comme assurément préférable au colonialisme féodal, absolutiste, tyrannique et sanguinaire du régime tutsi.

Interprétant ici notre peuple, nous voulons rendre un solennel hommage à la Belgique et à ses fonctionnaires de l’administration locale pour les services rendus aux populations du Ruanda-Urundi,

Il est manifeste pourtant, et notre premier Manifeste (Manifeste des Bahutu) l’a souligné, que la Tutelle a trop longtemps pactisé avec le colonialisme féodal qu’elle a trouvé en place : son système de l’administration indirecte fut une erreur, dont le peuple exige aujourd’hui une réparation rapide, pacifique mais radicale.

Ce qui en effet a étonné le peuple ruandais c’est qu’un peuple civilisé ait été aveuglé jusqu’à soumettre un autre peuple à un régime féodo-colonialiste, alors que son devoir était de l’en débarrasser ! Ce qui étonne le peuple ruandais aujourd’hui c’est que certains dignitaires de la Tutelle belge montrent de l’hésitation quand il s’agit de débarrasser le peuple d’un sultan (Mwami) féodal, instrument d’un impérialisme désuet.

Ce qui étonne le peuple ruandais c’est d’entendre que les leaders de la libération prêtent secours — sans le savoir — à ce cancre colonialiste qu’est le régime féodal que le sultan tutsi et sa caste tentent de réasseoir sur les populations bahutu du Ruanda-Urundi.

Ce qui étonne le peuple bantu du Ruanda-Urundi et ses leaders, c’est que les leaders congolais de l’indépendance oublient toute la somme d’efforts qu’ils ont dû dépenser pour se dégager des vieilles idées des chefs coutumiers alors que ceux-ci, au Congo, sont les pères des populations ; et que ces jeunes leaders plaident pour le maintien de chefs féodaux qui au Ruanda sont des colonialistes. Les leaders congolais oublient qu’il y a peu, les plus influents parmi les seigneurs tutsi du Ruanda, déclaraient n’avoir rien de commun avec les bantu (cfr la lettre des grands Serviteurs de la Cour du Mwami).

Ce qui étonne les leaders et les populations du Ruanda, c’est que les libérateurs de l’Afrique oubliant l’histoire des Farouk s’étonneraient de voir que le peuple réclame la déposition pacifique d’un sultan féodal, et la démocratisation rapide des institutions pour la libération du peuple.

Ce qui étonne le peuple du Ruanda et ses leaders naturels, c’est que la Tutelle belge prétendrait vouloir faire parvenir le Ruanda à son indépendance tout en maintenant des institutions féodales colonialistes inconciliables avec la démocratie et l’indépendance vraie. Nous ne pouvons croire que la Tutelle fasse à notre peuple des promesses fallacieuses ! Nous voulons une réforme radicale et rapide qui établisse la démocratie, base d’une indépendance authentique.

  1. — Exigences des Bahutu

Les leaders bantu-hutu du Ruanda exigent de la Tutelle que son dernier acte soit de prendre radicalement et rapidement toutes les mesures que nécessite cette « décolonisation interne » que suivra spontanément l’indépendance de notre pays. Le peuple ruandais et ses leaders naturels exigent de la Tutelle qu’elle hâte les préparatifs immédiats d’une indépendance réelle du Ruanda. Ces préparatifs immédiats consistent dans les quatre exigences suivantes :

1° La déposition du Sultan (Mwami) féodal colonial, chef de la caste Tutsi.

Le peuple élira lui-même le chef supérieur du pays.

2° Les élections communales en juin suivies IMMEDIATEMENT des élections législatives en août, pour doter le pays d’institutions démocratiques réellement représentatives du peuple ruandais et habilitées pour traiter du problème de l’indépendance et de l’avenir de notre pays.

3° Que les institutions démocratiques, une fois mises en place, traitent avec la Tutelle, de la constitution du pays et des termes de l’indépendance du Ruanda.

4° Qu’entre-temps s’opère l’africanisation (et non la « tutsisation ») des cadres administratifs et judiciaires. Cette africanisation doit s’inspirer du souci de « déféodaliser » nos institutions : car le peuple ruandais a condamné le colonialisme de quelque couleur qu’il soit.

D’autres problèmes vitaux, comme celui de l’enseignement, celui d’une économie saine et solide, celui de la défense-protection de la paix publique, nous tiennent à cœur : notre peuple a besoin de pain, de la paix, et de l’épanouissement spirituel ; mais dans le marasme d’une féodalité terroriste et tyrannique, ces importants problèmes aboutissent difficilement à des solutions démocratiques.

Le peuple ruandais s’est exprimé depuis longtemps déjà, plusieurs fois et de plusieurs manières ; et plusieurs fois, sa voix a été étouffée par l’intrigue et le pharisaïsme des exploiteurs féodalistes et aussi par la faiblesse de certain haut représentant de la Tutelle.

7 . — La lutte hutu est une lutte anticolonialiste

Anticolonialistes du monde, libérateurs de l’Afrique, ne vous laissez pas prendre dans le filet féodo-colonialiste des Tutsi. Vous agiriez en faveur d’un féodo-colonialisme qui fait la honte de l’Afrique. Si vous doutez de nos dires, envoyez donc des observateurs soucieux d’objectivité. Qu’ils interrogent le peuple, qu’ils interrogent l’Administration locale dont un bon nombre ont ouvert les yeux et ont rompu avec la complicité féodale ; qu’ils interrogent même les malheureux que l’intrigue et le terrorisme tutsi tiennent encore dans un véritable maillot féodal.

Renseignez-vous et écoutez plutôt les vrais libérateurs du Ruanda ; soutenez les revendications des leaders Bahutu, représentant réellement et loyalement le peuple ruandais.

Les leaders hutu luttent pour la libération de leur peuple, nous luttons contre la féodalité, colonialiste et intrigante, devenue tyrannique et terroriste. Nous ne voulons plus la forme « mwami » de gouvernement et toutes les institutions satellites qui sont féodales et colonialistes. Nous protestons contre tout patronage d’institutions anti-démocratiques et opposées à la libération de notre peuple. Silences, temporisations ou menaces qui viendraient s’ajouter à la tyrannie et au terrorisme féodal ne nous feront pas lâcher l’entreprise de libérer notre peuple.

Les anciens maîtres féodaux s’efforcent d’embrouiller la situation en disant que les leaders du peuple sont « achetés » par les Blancs. C’est là une invention de l’intrigue féodale. Depuis notre « Manifeste des Bahutu » nous protestons aussi bien contre le colonialisme féodal noir que contre le patronage blanc d’un régime antidémocratique et exploiteur du peuple. Les leaders hutu ne céderont pas devant les calomniateurs ni devant les détracteurs de toutes sortes.

Notre lutte n’est non plus une quelconque querelle d’ordre tribal ; les leaders hutu sont contre le tribalisme; et, quand il y a un an, l’intrigue tutsi a voulu noyauter et rendre inefficace l’effort progressiste des Bahutu et essayé de réintroduire l’organisation clanique, les militants de la promotion du peuple s’y sont opposés. Non pas que toutes les valeurs sociales d’ordre clanique soient à condamner en bloc ; c’est aux bantu de relever en son temps ce qu’il y a, dans leurs coutumes, à retenir. Mais les leaders du peuple avaient décelé dans la réintroduction paternaliste et intéressée, un manège féodal ayant pour but d’opposer les jeunes, soucieux d’émancipation à leurs vieux pères, pour la plupart encore dupes de la malice tutsi et encore enveloppés dans le maillot féodal.

Notre lutte est une lutte anticolonialiste : la féodalité tutsi au Ruanda est un colonialisme, qui se pose dans les mêmes termes et qui exige les mêmes solutions que le colonialisme européen. Notre lutte, la lutte des leaders hutu du Ruanda s’insère dans le plan général de la libération et de l’épanouissement de l’Afrique. Cette lutte, nous la voulons, quant à nous, pacifique, mais efficace.

Nous voulons, à sa base, des sentiments d’humanité et de compréhension mutuelle, le respect pour tous les droits de l’homme. Nous nous soucions peu des paternalistes intéressés qui nous appellent racistes. Nous affirmons à nouveau que nous luttons contre le colonialisme de quelque couleur qu’il soit.

Ce que nous voulons pour notre pays, c’est qu’il soit libéré des féodo-colonialistes, qu’il soit doté d’institutions authentiquement démocratiques, seules aptes à le mener à une indépendance vraie, préparée. Le Ruanda ne sera plus le fief ou la colonie des Tutsi : le féodo colonialisme est contre les intérêts de notre peuple. Le Ruanda est le pays des Bahutu (bantu) et de tous ceux, blancs ou noirs, tutsi, européens ou d’autres provenances, qui se débarrasseront des visées féodo-impérialistes.

Anticolonialistes du monde, libérateurs de l’Afrique, ne soyez pas dupes d’un colonialisme féodal et intrigant. Ecoutez et soutenez les revendications des leaders hutu, représentants naturels du peuple ruandais : celui-ci veut la démocratisation rapide des institutions du pays, exprimée dans les quatre exigences exposées plus haut. Ces quatre exigences, que malheureusement les féodaux sabotent par la tyrannie, le terrorisme, la diffamation, le faux bruit et toutes sortes de confusion et de mensonges, ces quatre exigences constituent la préparation immédiate du pays à son indépendance.

Fait à Gitarama, le 8 mai 1960.

Pour le Comité National du

MOUVEMENT DEMOCRATIQUE REPUBLICAIN (Parmehutu)

Gr. KAYIBANDA, Président, B. BICAMUMPAKA, Vice-Président, Cl. NDAHAYO, Secrétaire J. SAGAHUTU, Vice-Président, J. RWASIBO, Vice-Président, M. NIYONZIMA, Secrétaire

Un long plaidoyer pour la démocratisation fut publié le 15 mai 1960 dans «La Revue Nouvelle » à Bruxelles, par l’abbé Stanislas Bushayija.

Cet article développe le thème de l’émancipation des Hutu dans le même sens que les documents que nous publions.

3° Interview de M. Ndazaro (Rader)

Bruxelles, 2 juin 1960.

Nous ne voulons plus du Mwami Kigeri, parce qu’il n’est qu’un jouet dans les mains de quelques vieux Tutsi qui veulent perpétuer le système féodal existant. C’est dans la maison du Mwami, en sa présence, que les leaders politiques hutu ont été torturés. C’est de là que partaient les commandos chargés d’assassiner les ennemis du Mwami — qu’ils fussent hutu ou tutsi. Le Mwami est très jeune, il est le prisonnier des « Abiru » qui l’ont mis sur le trône, il doit leur obéir en toutes choses. Vous dites que ce sont des circonstances atténuantes ? Soit. Mais pour nous, le Mwami est toujours responsable. Le Mwami et son entourage devraient être traduits en justice.

Nous demandons que l’on ouvre le dossier judiciaire qui a été constitué au lendemain des troubles de l’automne dernier. Les tribunaux ont poursuivi les exécutants, mais point les vrais responsables. Certains de ceux-ci sont partis à l’étranger, mais il en reste autour du Mwami Kigeri. Permettez-nous de vous dire notre étonnement de voir la Belgique poursuivre les lampistes et pas le Mwami et ses proches. Notre étonnement aussi d’avoir vu en 1931 la tutelle belge écarter le Mwami Musinga, parce qu’il était anti-belge, alors qu’aujourd’hui, un Mwami, qui torture, terrorise et assassine ses sujets bénéficie de votre clémence. Vous prétendez rester neutre dans ce conflit.

Ce n’est pas de la neutralité, je dirai presque que c’est de la complicité. Pourquoi cette complicité ? Parce que l’équipe de fonctionnaires qui gouverne au Ruanda est faite de francs-maçons notoires, qui ménagent l’Unar pour ennuyer les missionnaires que l’Unar veut expulser.

— Comment expliquez-vous les incidents de l’automne ?

Le Mwami et ses hommes ont voulu décapiter par le terrorisme les mouvements politiques anti-féodaux. L’Unar dévoilait son jeu, proclamait qu’après l’indépendance et le départ des Belges, tous les leaders hostiles au régime seraient « liquidés ». Ils ont envoyé des commandos de terroristes pour nous attaquer. Il y a eu la foudroyante réplique des masses hutu contre tous les Tutsi, d’abord. Contre les seuls Tutsi de l’ Unar ensuite, car les Hutu continuent de respecter les Tutsi qui veulent démocratiser le pays.

— On dit qu’un grand nombre de Tutsi vivent dans des camps de réfugiés.

C’est exact, mais tous ceux qui se revendiquent du parti Rader peuvent revenir sur leurs terres, et ils reviennent. Ils sont bien accueillis par les Hutu. D’ailleurs, sur 44 chefferies, 15 appartiennent encore à des Tutsi progressistes, les autres étant aux mains de Hutu. C’est vous dire que la révolte des Hutu n’est pas une révolte raciste. C’est contre le régime qu’ils protestent.

— On parle beaucoup du grand tambour du Mwami…

Le « kalinga » ? C’est un très grand tambour qui se trouve dans la résidence du Mwami. Ce tambour, c’est le véritable chef du pays. Le Mwami lui-même n’est que le serviteur de cet emblème honteux et barbare. Il est orné d’organes prélevés sur les corps des roitelets bantous vaincus au temps de la conquête. On affirme même, mais je ne puis confirmer, qu’à la révolte de novembre, la collection de ces trophées s’est encore enrichie des organes de leaders politiques abattus. Moi, Tutsi, je veux sauver la monarchie ruandaise parce que je crois que cette monarchie demeure respectée dans le peuple, mais il faut que le « grand tambour » disparaisse. Notre pays veut une monarchie constitutionnelle, il ne pourra plus supporter une monarchie absolue qui donne en fait le pouvoir à quelques vieux réactionnaires incapables de

comprendre que les temps ont changé, et qui croient pouvoir continuer à dominer le peuple ruandais en maintenant le culte du tambour infâme. Cet emblème doit disparaître.

— Que suggérez-vous pour sortir de l’impasse actuelle ?

Vous savez que l’ancien Conseil du pays, totalement dépassé par les événements, vient d’être remplacé par un Conseil spécial, émanation des partis politiques. Je suggère que ce Conseil soit transformé en collège exécutif, qu’il organise des élections dans lesquelles le Mwami ne pourra pas intervenir. Après les élections, nous veillerons à nommer un nouveau Mwami, qui sera souverain constitutionnel. Actuellement, il y a dualité de pouvoirs. Si demain le Mwami meurt, qui nommera le nouveau Mwami ? Les « Abiru », selon la tradition, ou le Conseil spécial selon la loi nouvelle ?

Nous demandons donc à la Belgique qu’elle se décide à prendre nettement position, qu’elle cesse d’hésiter entre le conservatisme et la démocratisation. L’Unar demande l’indépendance immédiate parce que ce sont les Belges qui empêchent les « Abiru » de réaliser leurs desseins de restauration complète de la féodalité. Nous, Tutsi progressistes et Hutu, nous voulons des institutions démocratiques avant l’indépendance.

Nous comptons sur la Belgique pour nous les donner. Il n’y a pas de conflit racial entre Tutsi et Hutu, je le répète, mais une révolution d’esclaves. Les Hutu gardent leur confiance aux Tutsi qui ne sont pas des tyrans. Quelques Belges ont su comprendre nos problèmes. Si le gouvernement belge voulait bien nous écouter, nous, membres du Front commun ruandais, il nommerait le colonel Logiest résident général du Ruanda-Urundi, et le commissaire Preud’homme résident du Ruanda. Ces deux hommes-là connaissent nos problèmes, ils ont notre confiance, ils sont justes, ils savent ce qu’il faut faire. Donnez-nous ces deux hommes-là à la place de cette clique de francs-maçons qui n’ont qu’un seul souci : aider l’Unar à combattre la religion catholique dans notre pays. C’est extraordinaire qu’un gouvernement P.S.C. puisse admettre cela !

4° Conférence de presse du Conseil spécial provisoire — Déclaration de M. Makuza

Bruxelles, 3 juin 1960.

«Se rend-on assez compte, au moment où sonne l’heure de la libération générale de l’Afrique, que notre peuple vit encore sous le joug de l’esclavage féodal imposé par les conquérants Tutsi de race hamite aux autochtones Hutu de race bantoue, ces derniers représentant 85 % de la population du pays? Au lieu d’être aboli, comme ce fut le cas au Congo Belge, cet esclavage fut consacré par la politique d’Administration indirecte inaugurée par le Gouvernement Impérial allemand et poursuivie par l’Administration belge. »

Après avoir énuméré les conséquences de cette politique qui consacrait l’hégémonie des Batutsi dans tous les domaines de la vie publique, M. Makuza a rappelé que, en 1957 déjà, la Mission de visite de l’O.N.U. exprimait le vœu de voir la classe privilégiée adopter spontanément une politique de concessions à l’égard de la classe dépendante. « Mais au lieu de prendre conscience des enseignements historiques et malgré les appels d’une partie de la noblesse Tutsi devenue progressiste, le Mwami et la majorité de l’aristocratie Tutsi ont opposé une fois de plus un non-recevoir aux pétitions qui leur furent adressées par les représentants du peuple Hutu, a souligné M. Makuza. En réaction contre la marée démocratique irrésistible, les féodaux se sont alors groupés dans un parti totalitaire, l’U.N.A.R., qui s’est donné comme objectif l’indépendance immédiate et sans conditions, celle-ci permettant évidemment aux maîtres féodaux de juguler les courants démocratiques et réinstaurer leur pouvoir menacé ».

« Et nous voici à la troisième phase du conflit. Le peuple, par la voix de ses leaders, réclame maintenant la déposition de Kigeri V que l’opinion publique accuse d’avoir trempé dans l’assassinat et les tortures des leaders Hutu. Le peuple accuse Kigeri d’être le chef de l’U.N.A.R., bourreau de la promotion Hutu. Un dossier écrasant a été constitué. A la demande du Conseil spécial provisoire qui proposait en vain des conditions indispensables à la pacification, celui-ci a opposé d’abord un refus total pour accepter ensuite une partie de ces conditions, acceptation que ses attitudes ont démentie tout aussitôt. Le Mwami refusait d’ailleurs d’accepter une des conditions essentielles de pacification : la suppression du Tambour Kalinga et du Conseil des Abiru, conseil actuellement utilisé par l’U.N.A.R. et qui fait du Mwami le prisonnier de ce parti. Peut-on parler d’évolution vers la démocratie tant qu’existe ce conseil coutumier ? »

  1. Makuza a précisé enfin les attitudes des trois partis progressistes, qui, a-t-il souligné, sont unis dans leur volonté de débarrasser le pays de l’hégémonie Tutsi et de la féodalité colonialiste. Tandis que le R.A.D.E.R. réclame la déposition de Kigeri, mais souhaite sauver la monarchie, le Mouvement Démocratique Républicain

(Parmehutu) veut l’abolition de tous les mythes d’obscurantisme intellectuel et moral et souhaite l’avènement d’un régime républicain qui éliminera à tout jamais la possibilité de domination d’une race par une autre.

Quant à l’Aprosoma, elle souhaite que le gouvernement, que le peuple se sera choisi par des élections vraiment libres, décide de la forme du nouveau régime.

« L’Unar nous accuse de refuser l’indépendance, a conclu l’orateur. Nous proclamons que c’est faux, tant au nom du conseil que des partis politiques que nous représentons.

Nous voulons certes l’indépendance, mais nous ne voulons pas une indépendance tronquée ou faussée. Nous la voulons vis-à-vis de tout colonialisme et d’abord, vis-à-vis du pire des colonialismes : celui de la féodalité tutsi. Il est évident que, le plus tôt possible, après avoir conquis cette indépendance réelle et totale, nous demanderons aussi la levée de la tutelle belge ».

Interrogés à propos de l’organisation d’une Table Ronde politique du Ruanda-Urundi, les délégués ont répondu que, dans leur esprit, cette Table Ronde ne peut-être convoquée qu’après que des élections législatives aient eu lieu au Ruanda-Urundi, en août prochain, immédiatement après les élections communales prévues pour le mois de juillet. « Nous estimons, ont-ils dit, que ce sont des interlocuteurs désignés par le peuple qui doivent discuter avec la Belgique ».

En ce qui concerne la position du gouvernement belge à l’égard du Mwami a celui-ci, d’après les représentants du Conseil spécial provisoire, ne souhaite pas intervenir dans cette question. Il estime que les choses devraient rester en place jusqu’après les élections. C’est le peuple ruandais qui doit décider en la matière. Toutefois, des travaux du présent colloque se dégage une formule de compromis qui semble devoir donner satisfaction aux représentants des trois partis intéressés.

Il ressort en effet des déclarations qui leur ont été faites par les représentants du gouvernement belge à ce colloque que, s’il n’est pas question de déposer le Mwami et de déposer le « Kalinga » et le Conseil des Abiru, il n’est pas question non plus de faire venir le Mwami à Bruxelles pour négocier des réformes politiques. En outre, l’autorité tutélaire veillera à ce que les élections, tant communales que législatives, se déroulent normalement et sans contrainte aucune de la part du Mwami ou de l’ U.N.A.R. Une campagne d’information sera par ailleurs entreprise pour que la masse comprenne que le tambour Kalinga n’a aucun pouvoir maléfique et ne doit être considéré que comme un objet folklorique.

Le Conseil spécial provisoire du Ruanda se verra octroyer certains pouvoirs jusqu’ici réservés au Mwami, en vue de lui permettre d’accélérer le processus de pacification du territoire. Enfin, l’autorité tutélaire veillera à ce que le pouvoir judiciaire puisse exercer sa mission sans entrave. Elle étudiera notamment la possibilité de faire extrader, pour autant qu’il existe des conventions le permettant, les « Unaristes » qui se sont rendus coupables de délits de droit commun lors des événements sanglants de l’an dernier, et qui se sont réfugiés à l’étranger, et notamment en Uganda, où ils poursuivent impunément leur campagne d’incitation aux massacres.

(« Le Courrier d’Afrique », le 9 juin 1960.)

  1. TENSIONS ET RIVALITES DANS LES PARTIS DU FRONT COMMUN, LE CONFLIT AU SEIN DU RADER ENTRE MM. BWANAKWELI ET NDAZARO

Le conflit se manifesta ouvertement lors du Congrès National du Rader, tenu â Kigali, le 30 avril 1960.

Congrès National du Rader

Kigali, 30 avril 1960.

En l’absence de M. Bwanakweri, récemment parti en Belgique, M. Ndazaro souhaite la bienvenue à l’assemblée et précise que le but de la présente réunion est, principalement, d’élire le Comité National définitif, étant donné que le Parti est jusqu’ici dirigé par un Comité provisoire-fondateur, dont M. Bwanakweri assumait la présidence. D’autre part, il est souligné également, en ce qui concerne M. Bwanakweri qu’à plusieurs reprises à l’occasion des assemblées régulières du « Rader », il a été mis en échec sur des questions importantes de principe et de doctrine du parti. C’est ainsi que lui-même a manifesté son intention de présenter spontanément sa démission, mais entre-temps il est parti en Belgique. Plus exactement, M. Bwanakweri, contrairement à l’ensemble des délégations de territoires, dans ses positions politiques, souhaite une indépendance presqu’immédiate pour le Ruanda, exactement comme l’Unar.

De même, il a soutenu fréquemment vouloir rédiger des tracts au nom du « Rader » pour s’attaquer aux positions politiques des tracts Hutu de I’« Aprosoma » et du « Parmehutu » avec qui, précisément, le « Rader » a tout avantage à en faire des alliés démocratiques valables.

Nous devons ajouter également qu’au sujet de la position délicate actuelle du Mwami Kigeri, M. Bwanakweri, poussé par des scrupules extrêmes, accorde à ce monarque responsable des troubles du Ruanda, des préjugés qui ne se justifient nullement vis-à-vis de l’opinion ruandaise.

  1. Ndazaro souligne qu’un parti politique national, comme le « Rader » doit avoir des objectifs précis et nullement ne se cantonner dans une optique opportuniste ni sentimentale.

L’assemblée procède à l’élection du Comité National définitif. Les votes donnent les résultats suivants : sont élus : Président : Ndazaro Lazare, avec 46 voix sur 52.

Vice-Président : Nzigiyimana Athanase, par 36 voix. Secrétaire : Kalinda Calixte, par 27 voix. Trésorier : Habimana André, par 26 voix.

De plus, les délégations de territoire procèdent à la désignation de leurs représentants respectifs. Ceux-ci sont d’office Conseillers du Comité National.

  1. Nzigiyimana explique à l’assemblée les tendances actuelles des partis politiques existant au Ruanda. M. Kalinda souligne la nécessité, pour le « Rader » d’être de bonne composition sociale. Nous avons besoin de militants et de membres actifs, convaincus ; les éléments opportunistes ne devraient pas s’affilier à notre parti.

L’assemblée examine ensuite la situation des Comités régionaux, par territoire, du point de vue de la propagande « Rader », en particulier pour ce qui touche à la préparation des élections dans les différentes nouvelles communes.

Plusieurs interventions soulignent la nécessité de lutter ouvertement contre I’« Unar », parti totalitaire de tendance communiste et qui constitue, de l’avis de tous, l’obstacle majeur à l’émancipation démocratique du Ruanda moderne. Avec la même vigueur, plusieurs délégués affirment publiquement que le Mwami actuel, Kigeri V, est pleinement de responsabilité solidaire avec l’Unar dont il est manifestement le patron en titre. La plupart des délégués présents insistent sur la nécessité urgente, pour l’Administration belge responsable, de prononcer sans délai la déchéance du Mwami Kigeri V, pour permettre enfin au Ruanda, de jouir de la paix sociale indispensable.

Les présidents :

(sé) NDAZARO Lazare, (sé) KALINDA Calixte, (sé) NZIGIYIMANA Athanase. (« Dépêche du Ruanda-Urundi », 3 juin 1960.) Le conflit se poursuit à Bruxelles à l’occasion du colloque sur le Rwanda.

Communiqué de M. Bwanakweli

Prosper Bwanakweri, président du parti ruandais Rader, actuellement délégué ruandais à la conférence de la Table Ronde économique à Bruxelles, déclare qu’il a constaté avec étonnement que, dans des déclarations faites à certains journaux belges, deux hommes politiques ruandais, MM. Ndazaro et Rwigemera, ont prétendu parler au nom du parti politique ruandais Rader (Rassemblement démocratique ruandais). En sa qualité de président du parti Rader, confirmé dans cette fonction par le dernier congrès du parti en date du 24 avril 1960, il se voit dans l’obligation de dénier à MM. Ndazaro et Rwigemera toute qualité pour parler au nom du parti et surtout pour faire au nom du parti des déclarations antimonarchiques qui ont été formellement condamnées par le congrès du parti Rader. En outre, il se voit dans l’obligation de déclarer que le télégramme du « Front commun » réclamant la déposition du Mwami Kigeri V a été contresigné par les deux personnalités précitées sans l’autorisation du congrès ou du Comité directeur du parti.

(« La Libre Belgique », 6 juin 1960.)

Communiqué de M. Ndazaro

  1. Bwanakweri, actuellement délégué ruandais à la conférence de la Table Ronde économique à Bruxelles, se prétend naïvement encore, président du « Rassemblement démocratique ruandais » (RADER). L’intéressé voudrait s’efforcer d’induire en erreur l’opinion belge qui n’est pas entièrement au courant de l’organisation interne actuelle du « Rader » au Ruanda, parti qui a désavoué définitivement M. Bwanakweri Prosper, précédemment président du comité provisoire fondateur.

Par son manifeste du 27 avril 1960, le « Rader » a précisé que M. Bwanakweri n’était plus habilité pour le représenter en Belgique.

Le 30 avril 1960, un congrès extraordinaire du « Rader », réuni à Kigali, avec la participation des différentes délégations territoriales et régionales, a élu à la majorité de l’assemblée, le comité national, dont le président, Ndazaro Lazare, avec 46 voix sur 52.

Au sujet de M. Bwanakweri, le congrès extraordinaire du 30 avril 1960, a désavoué définitivement l’intéressé. Exactement comme le parti « Unar », M. Bwanakweri souhaite pour le Ruanda une indépendance immédiate, précipitée, qui serait précisément désastreuse pour les institutions démocratiques naissantes. (« La Libre Belgique », 6 juin 1960.)

 

LA SCISSION DE L’APROSOMA

Le Président-fondateur de l’Aprosoma, Gitera Joseph Habyarimana, se résolut, à quelques jours des élections communales au Rwanda et de la proclamation de l’indépendance du Congo ex-belge, à transformer l’étiquette de son parti et à lui assigner comme objectif l’indépendance immédiate.

Cette revendication pouvait paraître paradoxale puisqu’elle s’accompagnait d’une condamnation du colonialisme tutsi qui, lui aussi, revendiquait l’indépendance immédiate contre les partis du Front Commun.

Manifeste – Programme du parti Uhuru

Save – Ruanda, 20 juin 1960.

Faisant écho à la voix de l’organe des informations officielles de l’administration tutélaire au Ruanda-Urundi, « Rudipresse » du mois de mai 1960, relativement au Ruanda, à son évolution, et à ses partis politiques, je soussigné Gitera Joseph Habyarimana, dit depuis des années déjà : « Umwami w’ Abahutu », je viens déclarer que mon parti Aprosoma a changé, et ce en tant que parti politique, son appellation d’Aprosoma en celle de U.H.U.R.U. (Union des Hutu du Ruanda-Urundi).

Il intéresserait également le public, semble-t-il, de savoir que d’après le même organe d’information, le parti politique Parmehutu, a similairement changé d’appellation et adopté une nouvelle dénomination, celle de : Mouvement démocrate républicain ( M. D. R.).

Pourquoi le parti politique : Aprosoma, a-t-il changé, en tant que parti politique, sa dénomination habituelle ?

C’est parce que en tant que parti politique, l’Aprosoma a atteint ses visées politiques : lesquelles se trouvent résumées en son appellation : la promotion des masses ruandaises et burundiennes à leur éveil politique.

Chacun sait que c’est l’Aprosoma qui, dans l’ordre de l’ancienneté, est le premier parti national, de création indigène au Ruanda-Urundi, sa fondation officielle par son Président-fondateur Gitera Joseph Habyarimana, datant du 1 er novembre 1957.

L’Aprosoma, après avoir longtemps trimé seul à la promotion sociale des masses ruandaises et burundiennes, est très heureuse à présent de voir lutter à ses côtés dix autres partis politiques au Ruanda, et simultanément au Burundi onze autres partis politiques, tous de création indigène!

L’éveil politique du peuple ruandais et burundien est présentement manifeste : le parti Aprosoma n’est-il pas le champion !!!

Une autre satisfaction, non moins importante du parti Aprosoma, est de constater avec joie que, du moins au Ruanda, la société twa, comme la société hutu et la société tutsi, ont à présent leurs interlocuteurs valables et leurs défenseurs qualifiés, pouvant représenter équitablement les intérêts respectifs de chaque société ethnique ruandaise :

Batwa, Bahutu et Batutsi.

La société twa a aujourd’hui à sa tête, M. Munyankuge Laurent, le premier et unique mutwa pur, qui a terminé avec succès ses humanités. Il a, à ses côtés, ses aides de choix, batwa comme lui, qui ont fait leurs études primaires et certains même des post-primaires. Ils se sont adonnés à la promotion sociale et raciale de leurs frères de race : les Batwa du Ruanda-Urundi.

La société hutu compte de nombreux leaders, dont les plus adonnés à la cause hutu, sont : Gitera Habyarimana Joseph, et Kayibanda Grégoire ; leur dévouement inlassable et leur ascendance sur leur groupe hutu, méritent une reconnaissance.

  1. Munyangaju Aloys est le troisième chaînon de l’axe principal hutu. Cela n’est point pour minimiser la valeur morale et intellectuelle des nombreux autres grands leaders de la société hutu. Il est et il reste cependant vrai que Gitera, Kayibanda et Munyangaju, sont les trois ouvriers de la première heure, de l’oeuvre de la promotion sociale et raciale des Bahutu du Ruanda-Urundi. Tout muhutu leur doit reconnaissance et fidélité.

La société tutsi, elle, a toujours connu et connaît tant à l’intérieur qu’à l’étranger, des défenseurs de qualité! Leurs neuf siècles de domination esclavagiste sur les Bahutu et sur les batwa, auraient dû leur assurer plus que « le magistère de la parole ! ».

Conséquemment, comme la société twa, et la société hutu et la société tutsi, au Ruanda, ont chacune leurs interlocuteurs valables et leurs défenseurs respectifs, n’est-il pas normal que le parti Aprosoma et son président-fondateur, aient plein droit de chanter leur « Nunc dimittis ! », et de céder honorablement place aux responsables respectifs ?

C’est ce qu’a l’honneur de faire avec joie M. Gitera Joseph Habyarimana, président-fondateur du parti politique Aprosoma, en souhaitant meilleurs vœux au chef ou Mwami des Batwa, aux chefs ou Rami intrus ou à introduire des Batutsi, ainsi qu’aux chefs de la société Hutu, leur Imana ! — Kayibanda et leur Umwami ! Gitera !

Il est à noter que si l’Aprosoma, parti politique, a changé de dénomination, l’Aprosoma, Association pour la promotion sociale de la masse, ne veut point ni changer de dénomination, ni aliéner ses visées sociétaires ! Le président-fondateur de cette association déclare que son Aprosoma reprend ses positions telles qu’anciennement définies par les statuts de cette association, à l’article VIII, d’après lequel il est prévu que l’Aprosoma mènera son activité en dehors de toute considération confessionnelle, philosophique ou de politique partisane.

L’Aprosoma, Association pour la promotion sociale de la masse, va rechercher la solution concrète aux problèmes économiques, sociaux, et moraux des familles de ceux qui la composent, et orienter l’évolution des coutumes vers une conception démocratique…

Aider les membres à asseoir leur stabilité dans l’emploi ou l’entreprise, l’aisance, et l’évolution sociale de leurs familles et celles de leur milieu…

Et aider les jeunes du milieu populaire à aborder heureusement leurs problèmes sociaux…

Quelle est la tendance politique du parti U.H.U.R.U. ? La tendance politique du parti Uhuru se trouve concrétisée dans sa dénomination.

La signification elliptique du mot : U.HU.RU., est l’Union des Hutu du Ruanda-Urundi ; et en ce sens le parti politique UHURU, aspire à voir s’établir et s’affermir l’Union des Hutu du Ruanda-Urundi.

L’autre signification du vocable : UHURU, est, d’après sa consonance swahili, l’INDEPENDANCE. En ce sens donc, le parti politique Uhuru, aspire à l’indépendance sociale et raciale hutu immédiatement, et en même temps à l’indépendance nationale du Ruanda-Urundi, Eur-africain.

Le parti Uhuru mettra tout en œuvre pour que la Belgique et les Nations Unies, reconnaissent la vocation des Hutu et également des Twa du Ruanda-Urundi, à leur indépendance immédiate vis-à-vis du colonialisme féodal tutsi esclavagiste.

Personne, pour rien au monde, n’a le droit de s’opposer à cette indépendance des hutu et des twa, vis-à-vis de la caste féodale tutsi : Hamites ou Gallas du Ruanda-Urundi.

Quiconque s’oppose de quelque manière que ce soit à cette indépendance des hutu et des twa, le parti de l’union des Hutu du Ruanda-Urundi (U.HU.RU.) mettra tout en œuvre pour le traiter comme il convient : d’ennemi de la société hutu et twa. Ne l’aura-t-il pas mérité, lui qui oserait prôner l’esclavagisme au Ruanda- Urundi, alors que partout ailleurs le colonialisme est internationalement honni !

Face à l’indépendance des Hutu vis-à-vis du colonialisme européen, le parti Uhuru est catégoriquement formel : le parti Uhuru, veut et réclame l’élaboration et la mise en application d’un statut constituant une communauté EUR-AFRICAINE, selon laquelle, au Ruanda-Urundi, le blanc comme le noir doivent être également libres et tranquilles en leur personne et en leurs biens, et en tout et partout.

Le Ruanda-Urundi est le seul pays d’Afrique merveilleusement polyethnique : successivement et simultanément habité en symbiose, par les Batwa, les Bahutu, les Batutsi, et les Bazungu. Tous s’y trouvent bien, quoique tous y sont étrangers. Tous doivent y rester, et y trouver le bonheur, chacun d’après ses capacités personnelles et non point suite aux favoritismes et privilèges raciaux. Nulle race au Ruanda-Urundi, ne doit plus se prétendre supérieure à une autre.

Les tristes événements que vit notre pays en ébullition comme d’ailleurs l’histoire des autres pays du monde, doivent nous convaincre du fait évident qu’aucune race n’est supérieure à une autre de par elle-même ! L’hitlérisme en Europe comme le hamitisme en Afrique en sont la preuve !

C’est pour ce motif que le parti Uhuru proclame hautement l’indépendance immédiate et absolue de chaque race sur l’autre au Ruanda-Urundi.

Aux Batwa, leurs chefs ou Bami Batwa, aux Hutu, leurs chefs ou Bami Hutu, aux Tutsi, leurs chefs ou Bami Tutsi, aux Blancs, leurs chefs ou leurs Présidents blancs, socialement et politiquement indépendants comme ils sont spécifiquement ou racialement différents. Ceci n’est point du racisme : car ils peuvent s’allier ad libitum !

A l’échelon national, il doit y avoir une Présidence fédérale : Un président élu, un blanc ou un noir, un mutwa, ou ln muhutu, ou un mututsi, ou un muzungu ! suivant la voix du peuple qui est de Dieu !

Sur le plan administratif, les libertés socio-raciales doivent être respectées et protégées ; et pour cela, il faut prévoir à tous les échelons administratifs, des représentations ethniques, dans la mesure où celles-ci s’avèrent nécessaires.

Pour ce qui concerne spécialement les hutu du Ruanda-Urundi, le parti Uhuru, leur parti national, fait un véhément appel à eux tous pour une indéfectible union, pour notre indépendance socio-raciale et nationale, immédiatement !

Notre cri unanime doit être : UHURU! Uhuru = notre Union hutu, Uhuru = notre indépendance immédiate vis-à-vis du colonialisme tutsi et métropolitain !

Vous tous, peuples ruandais et burundien, vous, Batwa, Bahutu, Batutsi et Bazungu, unissons-nous pour notre indépendance nationale ruandaise et burundienne.

Notre indépendance : UHURU, est : EUR-AFRIQUE = BLANCS et NOIRS ensemble ! dans une non équivoque liberté, fraternité et égalité, devant la Loi et le Président fédéral de la Nation Ruanda-Burundienne.

VIVE LA SOCIETE HUTU ou BANTOUE INDEPENDANTE

Au 30 juin 1960 : avec nos frères de race les CONGOLAIS — INDEPENDANTS !

VIVE L’INDEPENDANCE DU RUANDA-URUNDI EUR-AFRICAIN !

A BAS LE COLONIALISME QUEL QU’IL SOIT !

GITERA Joseph Habyarimana,

Président-fondateur du parti UHURU. (L’Union des Hutu du Ruanda-Urundi pour l’Indépendance.)

  1. LE COLLOQUE RESTREINT SUR LE RWANDA

Suite aux recommandations de la Mission de visite de l’ 0.N.U., le Gouvernement belge avait accepté de réunir les partis politiques du Rwanda et les représentants du Mwami en un colloque à Bruxelles du 30 mai au 7 juin.

Les élections communales avaient été maintenues, mais faisaient suite au colloque, conformément aux désirs de la Mission de visite.

Dans un communiqué que nous avons publié plus haut, l’Unar avait refusé d’y participer, en déclarant que le Ministre avait modifié unilatéralement sa position, suite à l’intervention des trois partis du Front Commun, sans consultation de l’Unar.

Outre les représentants du Gouvernement belge, le Résident spécial et ses conseillers, assistaient au colloque : MM. Lazare Ndazaro, Anastase Makuza, Dominique Mbonyumutwa, Isidore Nzeyimana, Etienne Rwigemera,

et Aloys Munyangaju, M. François Ruzibiza, frère du Mwami Kigeli et conseiller spécial de celui-ci auprès du Conseil spécial provisoire du Ruanda.

Le Mwami Kigeli V était attendu, mais ne vint pas.

Le colloque avait pour objet d’examiner les problèmes de la pacification du pays et de la réconciliation nationale, les questions relatives aux futures élections, l’application d’une autonomie progressive et la préparation du colloque général auquel devaient également prendre part les représentants de l’Urundi.

On a fait remarquer cependant que c’était à l’origine les partis politiques qui devaient participer au colloque. Mais entre-temps, trois des quatre grands partis dits « nationaux » s’étaient unis en un front commun pour signifier l’impossibilité pour eux d’une collaboration efficace avec le Mwami. Suite à ce différend, il devenait impossible d’organiser le colloque sur une base politique. En conséquence, le ministre avait convoqué, non plus les représentants des quatre partis nationaux, mais l’institution officielle dite « Conseil spécial provisoire » qui, en fait, était constitué d’une représentation paritaire de ces mêmes partis.

Conclusions du colloque restreint

7 juin 1960.

– Réconciliation nationale prématurée, vu absence Unar.

Cependant, mesures de nature à pacifier les esprits :

— Préparation, en commun, par le Mwami et le Conseil spécial provisoire, d’une proclamation solennelle indiquant que le Mwami se tient au-dessus des partis et veut être un chef constitutionnel.

— Campagne d’information, par l’Administration, sur le Kalinga et les Abiru.

— Instructions judiciaires à charge des personnes inculpées lors des troubles de novembre 1959 se poursuivent et demandes d’extradition seront formulées dès que possible.

— Accord sur le calendrier des élections communales et sur les dispositions législatives et réglementaires qui les régissent, y compris celles qui punissent le fait d’inciter la population à s’abstenir de voter.

— Extension des pouvoirs dévolus au Conseil spécial provisoire :

— attribution droit d’initiative,

— répartition sphères d’activité des membres du Conseil avec décisions collégiales,

— décentralisation vers Kigali,

— pouvoirs en matière d’enseignement,

— représentation Ruanda au Conseil Colonial.

— Accélération de l’africanisation des cadres.

— Accord, pour la tenue d’un colloque général sur le Ruanda-Urundi.

— Appel à la paix publique.

Communiqué du représentant du Mwami, M. F. Ruzibiza

J’oppose le démenti le plus formel à toute allégation tendant à présenter le Mwami Kigeli V comme l’homme d’un seul parti ou le défenseur d’un régime féodal et anti-démocratique. Dès son accession au pouvoir, le Mwami a déclaré qu’il voulait être un chef d’Etat constitutionnel et qu’il voulait collaborer avec l’autorité tutélaire belge et avec tous les partis à l’instauration au Ruanda d’un régime politique et social moderne et démocratique : le Mwami a en outre déclaré à plusieurs reprises qu’il entendait rester en dehors et au-dessus de tous les partis tout en gardant le contact avec tous les partis sans exception. (…)

Il est tout simplement incroyable que l’on essaie de faire retomber sur un jeune Mwami, arrivé au pouvoir depuis quelques semaines, la responsabilité de certaines situations institutionnelles anachroniques et inéquitables existant au Ruanda, alors que le pouvoir tutélaire belge a disposé depuis 40 ans de tous les moyens juridiques, moraux et matériels — y compris les moyens militaires — pour réaliser les réformes que cette situation appelait. Si le Mwami du Ruanda a trouvé, lors de son accession au pouvoir, la situation anachronique avec laquelle il a été confronté, c’est tout simplement parce que le pouvoir tutélaire belge l’avait laissé subsister et — il faut bien le dire, car la vérité historique a ses droits — s’en était fait un moyen de gouvernement.

Aujourd’hui encore le gouvernement belge a tous les droits et tous les moyens nécessaires pour mettre fin immédiatement à toutes les situations anachroniques ou inéquitables. Aucune révolution n’est nécessaire au Ruanda pour redresser les torts passés. La volonté du pouvoir tutélaire belge y suffit.

J’en appelle donc au gouvernement belge pour qu’un effort de réconciliation nationale soit fait en collaboration avec le Mwami et avec la coopération de tous les partis. (…)

Quelle que soit l’attitude que le gouvernement belge croit devoir adopter, je considère qu’il est absolument inadmissible que l’administration empêche le Mwami de venir à Bruxelles pour prendre contact avec les personnalités responsables du gouvernement belge, alors que l’on a permis de venir à Bruxelles à tous les hommes politiques ruandais, même à ceux qui sont venus y réclamer la déposition du Mwami, et ce publiquement. Je connais assez la rectitude morale de l’opinion publique belge pour avoir l’assurance qu’elle n’admettra pas pareil procédé.

(Publié dans « La Libre Belgique », 6 juin 1960.)

Les membres du Conseil spécial provisoire publient un communiqué à l’issue du colloque, dans lequel ils réitèrent leur satisfaction à propos des conclusions du compromis auxquelles aboutit le colloque sur le Rwanda. Ils déclarent avoir apprécié la sagesse et l’esprit de compréhension de leurs interlocuteurs belges. « Nous partons, ont-ils dit, pleins d’optimisme et décidés à exiger la mise en application immédiate des mesures adoptées. »

Ils ont réaffirmé par ailleurs la position qu’ils prirent et qu’ils ont définie au cours de la conférence de presse du 3 juin.

  1. POLITIQUE DU GOUVERNEMENT BELGE

1° Rapport d’un fonctionnaire au Ministre sur la situation politique au Rwanda

5 mai 1960.

1° Refus du Mwami de se soumettre aux exigences du Conseil spécial provisoire : Le Conseil avait réclamé du Mwami Kigeli :

— qu’il constitue un cabinet composé de quatre personnes appartenant aux quatre grands partis ;

— qu’il se conforme à des règles strictes, quant au protocole (déplacements, agenda, audiences…) ;

— qu’il fixe sa résidence à Kigali ;

— qu’il reconnaisse officiellement les autorités intérimaires ;

— qu’il ne pose aucun acte sans l’approbation préalable du Conseil ;

— qu’il soit d’accord de supprimer l’institution des Biru et de remplacer le Kalinga par un drapeau national.

Le Mwami, se plaçant sur le plan du Droit, a refusé de se soumettre à ces exigences. Il a cependant rappelé qu’il était d’accord, en principe, pour fixer sa résidence à Kigali.

2° Déchéance du Mwami Kigeli : réclamée par :

— Le Parmehutu dans sa lettre au Ministre du 9 avril.

— Le Front commun des partis Aprosoma, Parmehutu et Rader dans son télégramme du 30 avril au Ministre.

3° Unar :

Reste le seul parti fidèle à Kigeli.

Les « exilés » de Dar-es-Salam tiennent actuellement des meetings à la frontière du Rwanda (Kabale, Mbarara, etc…).

Un centre actif de l’Unar se constitue à Goma afin de pouvoir agir, dès le 30 juin, avec l’appui de la neutralité, probablement bienveillante, du gouvernement du Congo.

Correspondances adressées à M. le Ministre :

— Résolutions du congrès de l’Unar des 17 et 18 avril.

— Télégramme Unar-Astrida du 28 avril proteste contre les « déportations » et demande l’intervention du Ministre.

— Télégramme du 3 mai du Vice-Président de l’Unar à Dar-es-Salam, dont copie est adressée au Secrétariat Général de l’O.N.U., s’insurge contre la demande d’effacement du Mwami, exigé par les partis du Front commun; proteste contre les emprisonnements, massacres et incendies survenus depuis le départ de la Mission de visite et demande l’intervention efficace et rapide des Nations Unies.

4° Mwami Kigeli:

Son attitude s’est encore raidie à la suite de la mise en demeure du Conseil spécial provisoire.

D’après Bwanakweli (exclu du Rader ces jours derniers), le Mwami était cependant bien disposé à l’égard du Conseil mais aurait été influencé par son entourage, par les leaders Unar à l’étranger et par quelques Européens (dont M. Bossaerts).

Sans épiloguer à ce sujet, on se doit de constater que Kigeli ne fait rien qui puisse permettre une réconciliation des partis et de la population autour de sa personne.

Agir contre Kigeli ce n’est pas résoudre entièrement le problème car il faut craindre :

— Les réactions du petit peuple, attaché malgré tout à l’institution qui se différencie si peu de la personne aux yeux des Ruandais, spécialement chez les femmes.

— Une fuite de Kigeli à l’étranger avec toutes ses conséquences sur le plan international.

— La nécessité de le remplacer.

Aucune proposition n’a été faite à ce sujet. Les partis se bornent à réclamer le départ de Kigeli sans proposer de remplaçant sinon pour dire que ce sera un « chef intérimaire ».

Le Parmehutu veut la république mais c’est, d’après nous, le point de vue de quelques leaders que la masse ne suivra pas nécessairement sur ce point.

5° Réponses de Monsieur le Ministre aux correspondances déjà mentionnées :

— Parmehutu :

A notre avis il faudrait accuser réception.

Toute réponse explicative risquerait de recevoir une publicité qui cadre mal avec les négociations entamées par le Résident Général avec les partis au sujet du colloque restreint de fin mai.

— Front commun (Aprosoma, Parmehutu, Rader) :

Nous croyons que la réponse devrait se résumer ainsi :

— Le différend qui existe entre le Mwami et le Front commun est grave et le Gouvernement s’en soucie.

— Ce conflit ne peut être réglé dans le cadre d’un régime provisoire.

— Le Mwami doit pouvoir disposer d’un laps de temps raisonnable pour examiner et signer les projets d’arrêté établis par le Conseil spécial provisoire.

Toutefois, dans l’intérêt général, les autorités de tutelle peuvent être appelées à se substituer aux autorités locales s’il s’avère que les matières à régler exigent des solutions urgentes alors que les personnes qui doivent agir traînent visiblement à prendre des décisions.

— U.N.A.R. :

— Conclusions du Congrès de Kigali. Il ne semble pas qu’une réponse soit attendue, sinon sous forme d’un accusé de réception.

— Télégramme Unar-Astrida : Une réponse serait souhaitable pour affirmer qu’il n’y a jamais eu de déportations et qu’il s’agit d’une affirmation mensongère. Il serait opportun de souligner que la réinstallation des réfugiés du Territoire d’Astrida est en bonne voie et se poursuivra si tous les partis y collaborent loyalement et cessent de répandre des fausses nouvelles parmi la population.

— Télégramme Unar-Dar-es-Salam : Deux possibilités, dont la première à nos préférences :

– Ne pas répondre, mais préparer un document à l’intention de la délégation belge au Conseil de Tutelle.

– Répondre, au risque d’entreprendre une polémique, en rectifiant les assertions fallacieuses ou désobligeantes.

(sé) Un fonctionnaire.

2° Allocution du Résident général Harroy

Radio-Usumbura, 9 mai 1960.

La situation politique générale évolue rapidement. Le passage d’un régime de tutelle à un stade d’autonomie puis l’indépendance pose a priori une multitude de problèmes dont la solution simultanée est quasi impossible sans quelques heurts et sans une immense bonne volonté mutuelle des partenaires de l’opération. Et ces difficultés extrêmes se compliquent encore considérablement dans notre cas particulier du fait que les Nations Unies, la Belgique et les populations locales désirent ensemble que ce passage de la tutelle à l’indépendance s’accompagne d’une démocratisation substantielle des institutions politiques et sociales, avec tous les renoncements et les adaptations que semblable innovation requiert dans des pays façonnés par leur histoire comme l’étaient le Burundi et le Ruanda.

Dans le discours que j’ai prononcé le 1 e r mars dernier, à l’arrivée de la Mission de visite, j’ai clairement défini l’espoir qu’a nourri la Belgique à cet égard depuis sa présence en ce pays : par l’éducation du peuple et l’élévation progressive du niveau de son bien-être économique et matériel, elle a visé à rendre ce peuple plus apte à s’occuper lui-même de ses affaires publiques et de la défense de ses intérêts, tandis qu’elle cherchait à décider les élites traditionnelles à abandonner progressivement une partie de leurs privilèges et de leur emprise sur le peuple, en comprenant que partout dans le monde tel est le cours normal de l’histoire contemporaine.

Au Ruanda, malheureusement, cette forme d’évolution, longtemps entrevue, connaît un cruel temps d’arrêt, par suite d’un violent durcissement des positions que les Nations Unies et la Belgique s’efforcent et continueront à s’efforcer d’atténuer par un maximum d’appels à la raison et à la réconciliation nationale.

De nouvelles possibilités de colloques sont actuellement recherchées, mais malheureusement dans des conditions rendues plus défavorables encore, ces jours derniers, par des menaces de violences — auxquelles, la visite de son Ministre de la Défense Nationale en est un indice, la Belgique entend répondre avec fermeté — et par l’attitude du Mwami Kigeri qui fut à l’origine d’une déplorable rupture qui l’oppose en ce moment publiquement à trois importants partis ruandais groupés pour la circonstance en un significatif front commun.

Telles sont les circonstances fâcheusement détériorées dans lesquelles la Belgique doit s’efforcer de bâtir pour un avenir extrêmement proche, un Ruanda économiquement solide et politiquement équilibré.

3° Note du Ministre préparant le colloque restreint

(Adressée à l’Administrateur Général. Bruxelles, 27 mai 1960.)

J’ai l’honneur de vous faire part de mon point de vue sur les questions mises à l’ordre du jour du colloque restreint sur le Ruanda qui se tiendra, sous votre présidence, du 30 mai au 4 juin 1960.

1° Réconciliation nationale : J’attache à cette réconciliation la plus grande importance.

L’état de tension qui règne au Ruanda peut cesser si tous les partis acceptent loyalement une sorte de mise en veilleuse des imputations malveillantes les uns envers les autres et un assouplissement de leurs prises de position les plus outrancières.

Le calme est indispensable au cours de la campagne électorale. La paix publique doit régner au cours des opérations de vote. Les partis doivent comprendre que le Gouvernement ne s’engagera pas dans une polémique avec eux, ni dans une action positive pour ou contre les grands problèmes nationaux qui se posent au Ruanda avant les élections. Fidèle à sa Déclaration du 10 novembre 1959, il entreprendra le dialogue avec les représentants élus issus des élections communales et ensuite avec les représentants issus des élections générales.

C’est donc l’intérêt de tous les partis de consacrer leurs efforts au maintien du calme afin que les élections se déroulent aussi vite que possible dans un climat tel qu’il ne permette à personne de prétendre que les résultats ont été faussés par des pressions ou des violences dont les électeurs auraient été les victimes.

2° Elections communales :

Elles sont fixées au Ruanda du 27 juinau 30 juillet. Elles sont régies par les dispositions du décret intérimaire du 25 décembre 1959 modifié par le décret pris d’urgence en date du 16 février 1960.

Le colloque peut avoir à se prononcer sur l’une ou l’autre modification de détail, qu’il serait nécessaire d’apporter aux dispositions existantes, mais il ne peut être question de remettre le décret en question, pas plus que les grands principes qui le régissent et qui sont, pour la plupart, inspirés du rapport du Groupe de travail pour l’étude du problème politique au

Ruanda-Urundi, rapport dont la valeur n’est pas contestée.

3° Attribution de compétences nouvelles au Conseil spécial provisoire.

Le Conseil actuel exerce les attributions dévolues par les textes à l’ancien Conseil supérieur du pays et à sa députation permanente. Il pourrait utilement être envisagé d’augmenter ses pouvoirs dans la préfiguration de ceux qui seront, plus tard, attribués aux ministères du pays et de manière à réaliser une heureuse évolution. Ces attributions seraient attribuées au

Conseil après les élections communales. Cette assemblée serait éventuellement modifiée en raison des résultats de ces élections.

4° Préparation du colloque général :

Il se tiendra après les élections communales et réunira des délégués des deux pays. Son objet principal sera de préparer les élections générales, de préparer l’accession à l’autonomie interne par la constitution des gouvernements de pays et jeter les bases d’un programme d’activité des Conseils de pays (établissement d’un projet de constitution, accession à l’indépendance par étapes et, surtout, communauté du Ruanda-Urundi…).

Je me permets de vous rappeler les grandes lignes du projet de calendrier établi à ce jour, en ce qui concerne l’avenir politique du territoire :

juin-juillet : Ruanda : élections communales

aout : Urundi : colloque restreint

septembre : Urundi : élections communales

octobre :         rwand-urundi : éléctions générales

janvier 1961 : ruand –urundi : gouvernements de pays, concelis de pays

février-mars : ruanda-urundi : gouvernements de pays, conseils de pays,

mi-1961 : projets pour l’indépendance, assemblée générale de l’ONU

fin 1961 : question de l’indépendance.

Le Ministre, (sé) A.E DE SCHRIJVER

 4° Absence de l’Unar au colloque

Le 30 mai 1960, l’absence de l’Unar au colloque restreint provoque un échange de télégrammes entre le Ministre et le Résident Général. Le Ministre exprime sa déception et sa crainte que l’absence de l’Unar, qui est un des quatre partis nationaux représentés par des membres au Conseil spécial provisoire, ne fasse perdre au colloque toute son efficience. Il insiste, afin que les délégués de l’Unar, Ncogozabahizi et Karema reçoivent de toute urgence leurs documents de voyage.

Le Résident Général répondit le même jour que le nécessaire serait fait pour contacter les intéressés, mais que les chances de collaboration étaient minimes ou nulles, étant donné la circulaire violente arrivée récemment de Dar-es-Salam.

Il était manifeste, à cette occasion, que les consignes émanant de l’Unar « en exil » en Uganda, faisaient obstacle à tout rapprochement entre la puissance tutélaire et les milieux Tutsi, fidèles au Mwami.