La crainte des Hutu à l’égard d’une indépendance trop hâtive et leur désir de maintenir la tutelle belge jusqu’à leur pleine émancipation, se manifestent dans plusieurs déclarations.

Lettre du 14 octobre 1959 à M. le Ministre du Congo belge et du Rwanda-Burundi

Monsieur le Ministre,

Nous soussignés, Présidents des partis politiques hutu du Ruanda et Bahutu évolués de l’Urundi, nous adressons à vous, en une suprême démarche, avant la Déclaration gouvernementale sur le Ruanda-Urundi. Nous voulons éviter une décision qui signifierait l’asservissement, peut-être définitif, de notre peuple hutu à la caste féodale tutsi.

Certes, notre point de vue a été exposé au Groupe de Travail par quelques-uns d’entre nous, et par quelques rares Européens qui soutiennent notre cause. Mais, bien que nous défendions les droits des 84 % de la population du Ruanda-Urundi, nous savons que l’opinion opposée des 16 % tutsi vous a été exposée par des personnalités beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus impressionnantes que nous-mêmes, notamment par les membres des Conseils supérieurs et par les chefs.

Ce n’est donc pas sans raison que, depuis et malgré le passage du Groupe de Travail, nous sommes assez inquiets au sujet des décisions qui seront prises quant au statut politique du Ruanda-Urundi.

Mais depuis deux mois, cette inquiétude s’est encore peu à peu aggravée, suite à l’intervention des deux éléments nouveaux que voici.

Scission du Ruanda-Urundi

Tout d’abord, des rumeurs courent avec persistance que le Ruanda et l’Urundi vont être scindés, politiquement et administrativement, que ces pays seront dotés de l’autonomie interne, que les Bami deviendront des monarques constitutionnels, avec parlements élus et gouvernements responsables.

Nous avons cru voir une confirmation de ces rumeurs dans un passage du discours de M. le Vice-Gouverneur Général Harroy à l’inauguration des nouvelles installations de la Banque du Congo Belge à Usumbura, le 30 septembre dernier, où il était parlé de « profondes réformes de structure politique » et du « difficile financement » de ces réformes. Or, seule une scission des deux pays exigerait de grosses dépenses nouvelles.

Ce serait donc la thèse tutsi qui triompherait contre l’avis formel, exprimé au Groupe de Travail, par les quelques rares défenseurs de la masse des Bahutu.

Ceux-là sont, en effet, convaincus que le caractère unitaire du Ruanda-Urundi est la meilleure formule pour que le rôle tutélaire de l’Administration belge puisse continuer à s’exercer efficacement, et cela dans tous les domaines. Bien entendu, la masse hutu est sans opinion sur un problème qui la dépasse, mais pourquoi lui imposer la solution, proposée par la caste tutsi et désapprouvée par ses propres leaders, et ne pas surseoir à toute scission du Ruanda et de l’Urundi jusqu’à ce que l’ensemble de la population soit suffisamment émancipé pour se prononcer sur ce point ?

D’autre part, l’octroi de l’autonomie interne à chacun des pays consistera, dans la pratique, à remettre les pouvoirs au seul clan tutsi. Nous y reviendrons dans un instant à propos des partis politiques et des élections.

Or, toute l’histoire, passée et même présente, du Ruanda et de l’Urundi enseigne que la domination tutsi se traduit par une exploitation et une oppression sans merci de la population hutu. Aussi sommes-nous affolés à l’idée de voir retomber notre peuple sous l’impitoyable joug et racisme tutsi.

Nous nous permettons de vous rappeler le chapitre I du Rapport de la Commission du Conseil général pour le problème des Bahutu (pp. 1-15), où est exposée par le détail la situation toujours tragique des Bahutu, malgré la présence du tuteur belge. Que sera-ce quand celui-ci se sera retiré ? Nous n’osons y penser.

Les nouveaux partis

L’autre élément nouveau est la formation de partis politiques, créés et soutenus par les autorités tutsi, partis qui se révèlent nationalistes, totalitaires, antidémocratiques, anti-occidentaux et coutumièrement réactionnaires et qui, malgré tout cela, sont influents sur l’ignorante masse hutu.

L’Union Nationale Ruandaise (UNAR) a tenu, ce mois-ci, plusieurs meetings. A celui de Kigali se trouvaient présents tous les chefs du Ruanda sauf 3 ou 4, de nombreux sous-chefs, presque tous les membres du Conseil supérieur, un grand nombre d’évolués de toutes espèces, bref, toute l’aristocratie tutsi. Les thèmes développés furent : indépendance, joug du colonialisme, haine des Belges et des missionnaires, spoliation des biens ruandais par les Belges, nécessité d’un parti unique, les autres étant déclarés « ennemis du peuple », lutte sans merci contre les « diviseurs du pays » (c’est-à-dire ceux qui osent défendre les droits des Bahutu, comme si les vrais diviseurs du pays n’étaient pas les Batutsi qui, l’ayant conquis, ont monopolisé tous les privilèges au détriment des premiers occupants Bahutu), enfin retour à la coutume (ce qui signifie notamment, de leur aveu, le droit de domination des Batutsi sur les Bahutu).

Si ces partis, d’origine tutsi, ne groupaient que des Batutsi, on pourrait leur reconnaître une action logique et assez naturelle, tout en déplorant l’ingratitude d’une caste qui fut pendant quarante ans choyée par l’Administration belge, et ce à notre détriment, nous peuple hutu (v. Rapport cité, pp. 14, 15, 28 et 29).

Danger d’intimidation

Mais le drame c’est que, par le prestige de la race dominante, par les pressions et représailles des chefs et sous-chefs (v. Rapport, p. 10), par l’habile exploitation du sentiment racial anti-blanc, et par les facilités et la puissance de l’argent, les Batutsi parviennent à faire adhérer de nombreux Bahutu aux partis politiques de leurs oppresseurs.

Le proche avenir politique semble devoir se dessiner comme suit : dans les quelques régions où nos partis hutu, à cadres squelettiques, sans moyens d’intimidation et sans argent, ont pu néanmoins et non sans peine cristalliser la conscience hutu, les élections donneront une victoire massive hutu. Mais dans les autres régions, qui sont de beaucoup les plus nombreuses, les partis nationalistes féodaux remporteront l’adhésion ignorante ou terrorisée des populations mêmes qu’ils veulent opprimer.

C’est ainsi que le suffrage universel qui, théoriquement, devrait donner le pouvoir aux Bahutu, dans la conjoncture actuelle, produira leur asservissement.

C’est le moment de rappeler la mise en garde au Roi Baudouin au sujet du Congo : « dérision, duperie, tyrannie »…

Nécessité de maintenir la tutelle belge jusqu’à l’émancipation réelle des Bahutu

En conséquence, nous supplions le Gouvernement belge de ne pas nous retirer sa tutelle jusqu’à ce que le peuple hutu, suffisamment émancipé, puisse lui-même défendre efficacement ses droits.

Malgré notre désir de jouir rapidement de notre autonomie, nous demandons avec la plus vive insistance que cette autonomie ne soit pas accordée au Ruanda et à l’Urundi avant que :

1° Le travail servile, encore généralisé dans la pratique, ait été effectivement extirpé  ;

2° Le régime foncier, base du servage des agriculteurs hutu, ait été profondément réformé;

3° Les tribunaux autochtones soient devenus mixtes (tutsi-hutu) ;

4° Un grand nombre de chefs et sous-chefs soient devenus hutu (actuellement 4 %) ;

5° La moitié des membres africains du Conseil général et des Conseils supérieurs (de quelque nom que ces conseils soient dorénavant désignés), soient devenus hutu, par un système mixte d’élections par le peuple et de nominations par l’autorité tutélaire (actuellement 9 %).

6° La moitié des élèves des établissements d’enseignement secondaire soient devenus hutu (actuellement 30 %).

Alors, mais alors seulement, les Bahutu seront devenus suffisamment puissants pour défendre eux-mêmes efficacement leurs droits, et le gouvernement belge pourra en toute conscience, accorder l’autonomie interne au Ruanda et à l’Urundi.

En ce qui concerne spécialement les points 3, 4, 5 et 6, on jugera de la modération de cette revendication, en remarquant qu’elle émane des représentants d’un peuple qui constitue les 84 % de la population totale.

D’autre part, il est bien évident que seule, une action décidée de l’administration tutélaire pourra atteindre ces buts et que la remise prochaine des pouvoirs au clan tutsi par l’autonomie interne les compromettrait définitivement.

Comment assurer à présent le progrès politique ?

Quant au progrès politique !’ du territoire du Ruanda-Urundi (qui est toujours une seule unité du point de vue international), il peut être assuré, dès à présent, par d’autres moyens que par l’autonomie interne et la création de deux monarchies constitutionnelles, à savoir : indépendance des contingences congolaises qui mènent le Ruanda-Urundi à la faillite et lui imposent des lois inadaptées ; remise de pouvoirs réels, de plus en plus étendus, au Conseil général du Ruanda-Urundi, composé en proportions convenables, de Batutsi, de Bahutu et d’Européens; création d’un Conseil de législation, composé par moitié de personnalités belges nommées par le Roi et le Parlement et par moitié de représentants des diverses populations du Ruanda-Urundi; éducation démocratique de la masse par l’exclusion des chefs et sous-chefs de la direction des partis politiques, par l’instruction politique du peuple par la Territoriale et par le contrôle strict des élections; surveillance par l’administration tutélaire de la compétence coutumière des conseils autochtones.

Sans doute nous fera-t-on remarquer que la présente démarche arrive bien tard. Ce n’est pas la faute des défenseurs des Bahutu.

En avril 1956, un membre européen du Conseil de Vice-Gouvernement Général attire, par sa démission, l’attention des Autorités sur la gravité du problème.

En juillet 1957, dix évolués hutu du Ruanda publient le Manifeste des Bahutu, document de 9 pages.

Le 18 décembre 1958, cinq membres du Conseil Général du Ruanda-Urundi, réunis en Commission privée, publient un rapport exhaustif de 46 pages. Ce rapport est envoyé à S. M. le Roi, au Ministre du Ruanda-Urundi, au Gouverneur Général et au Vice-Gouverneur Général. Il est remis par la suite au Groupe de Travail.

Dans l’entre-temps, des dizaines d’articles sont publiés dans la presse du Ruanda-Urundi, du Congo et de la Métropole, tandis que de nombreuses démarches privées sont faites auprès des Autorités.

Tout cela a été vain.

Nous avions mis notre dernier espoir dans le Groupe de Travail, dont nous avions finalement obtenu la venue au Ruanda-Urundi malgré une obstruction sournoise des autorités tutsi. Il semble maintenant que le Gouvernement belge, suivant sa politique traditionnelle, ait écouté encore une fois les seules thèses de la petite caste féodale tutsi, et fait la sourde oreille aux points de vue de la masse opprimée hutu.

Nous sommes à la limite du désespoir. Nous faisons un dernier et poignant appel au sens de la justice du peuple belge.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre très haute et respectueuse considération. Onze signatures, dont 6 du Ruanda et 5 de l’Urundi.

 

Le 18 octobre 1959, le « Parti du Mouvement de l’Emancipation des Bahutu », en abrégé « Parmehutu », est créé et publie son Manifeste en langue rwandaise.

Manifeste-Programme du Parmehutu

Ce que le Parmehutu veut pour le pays, c’est une véritable union de tous les Ruandais sans qu’aucune race n’en domine une autre comme c’est le cas aujourd’hui.

Tant que les conseils du pays, les chefs et les juges, les écoles supérieures et autres avantages bénéficieront à la seule race tutsi, le Parmehutu s’efforcera de remplacer tout cela par une pleine démocratie.

Cette démocratie devra embrasser les principes de gouvernement du pays, ses cours et tribunaux, ses propriétés foncières, ses établissements scolaires, la répartition des richesses tirées des impôts du Ruanda; bref la démocratie imprégnera toute la vie de la nation (coutume du pays).

Le Parmehutu répudie la coutume vieillotte de la courtisanerie, du servage, et du travail forcé qui tenait les hutu pour une conquête des tutsi.

Le servage des Bahutu ressemble à une colonisation de ces derniers par les Batutsi. Le Parmehutu s’inscrit en faux contre toute autorité tendant à perpétuer une coutume qui fait des hutu des instruments à tout faire.

Le Parmehutu affirme que la véritable indépendance est celle précédée de l’abolition de la colonisation du noir par le noir; c’est là la seule condition pour l’union dont le pays a besoin pour son progrès.

Le Parmehutu remercie l’Etat Belge pour tout ce qu’il a fait pour la masse. Son œuvre eût été plus fructueuse si la féodalité n’avait trop longtemps freiné le progrès et que l’autorité coutumière avait collaboré plus étroitement avec lui, sans voiler les réalités de peur que la démocratie ne profitât à une seule race.

Le Parmehutu n’a aucune haine pour les tutsi; à remonter les hutu que la féodalité a maintenus arriérés n’est en rien haïr nos frères. Les hutu conjugueront leurs efforts pour aider leurs frères de race, tout heureux de collaborer avec des tutsi, qui aiment le Ruanda et connaissent les injustices souffertes, non seulement par les Bahutu, mais aussi par les petits Tutsi.

Dans le but de parvenir à une indépendance dans une véritable union nationale, le Parti s’efforcera de faire triompher ce programme à tous les échelons de la vie politique ayant en horreur l’hypocrisie et les intrigues féodales.

– POLITIQUE DU PARMEHUTU

Notre Parti ne distingue pas l’autonomie interne de l’indépendance parce que l’administration indirecte, impliquant une juxtaposition des administrations belge et tutsi, était déjà une autonomie interne dans laquelle le muhutu était colonisé. La politique du Parmehutu est un programme de 5-7 ans de véritable démocratie avant le referendum sur l’indépendance.

Nous voulons la séparation des pouvoirs : le législatif distinct de l’exécutif, le judiciaire n’étant pas confondu avec l’administratif et l’indépendance de la magistrature.

– L’organisation administrative

Voici la hiérarchie administrative que nous proposons. Le Préfet communal a pour supérieur immédiat l’administrateur territorial blanc ; celui-ci a pour adjoint un administrateur indigène qui deviendra administrateur principal lorsqu’il en sera capable. Vient immédiatement le Résident du pays qui, lui aussi, aura un adjoint indigène. Ceci veut dire que nous voulons la suppression des provinces actuelles, le regroupement des sous-chefferies en communes obéissant directement aux territoires, eux-mêmes à la Résidence.

Nous exigeons que la capitale administrative du pays soit ou Kigali ou Nyanza ; en effet le peuple ignore ce qui est du ressort respectif des deux capitales.

Le Parmehutu admet le principe de monarchie constitutionnelle pourvu que cette monarchie favorise l’avènement de la démocratie poursuivie par les hutu ; le Parmehutu affirme que la question hutu-tutsi sera réglée par une pleine démocratie excluant la désignation du mwami par les Biru.

Nous exigeons que les Blancs qui, au nom du résident, exercent les fonctions d’intérêt général, soient aidés d’assistants indigènes, élus par le Conseil du Pays et approuvés par le Résident. Le Résident adjoint est élu par le Conseil supérieur ; toutes ces fonctions durent trois ans.

L’assistant du Résident est initié par le résident lui-même ; ils sont coresponsables devant le pays et la Belgique, pouvoir tutélaire.

Les autres assistants dans des travaux généraux (administration, tribunaux, agriculture, enseignement) exercent leurs fonctions au nom du résident.

Les administrateurs-adjoints indigènes sont élus par les conseils du territoire et approuvés par l’assistant du Résident ; la durée de leur fonction est de trois ans.

Les bourgmestres sont élus par le peuple, approuvés par le Résident et son assistant ; la durée de la fonction est de trois ans. Nous exigeons que la durée de la législature soit définie et la possibilité de rééligibilité pour les membres sortants.

–  Le Pouvoir législatif

Le Parmehutu préconise le Conseil de trois ordres : le conseil communal élu par le peuple, présidé par un membre autre que le chef de commune ; sa durée est de trois ans; le conseil de territoire composé des délégués des conseils communaux du territoire, présidé par un membre autre que l’administrateur. Le conseil supérieur du Pays composé des délégués des conseils de tous les territoires avec possibilité d’y adjoindre les délégués d’autres groupements qui en exprimeraient le désir sauf refus du Résident et de son assistant. Il se choisit un président en son sein.

Le Parmehutu s’efforcera de réaliser dans les meilleures conditions : le suffrage universel direct, et à faire campagne dans la légalité contre la désignation du mwami, par les Biru. Ce sont les deux points essentiels de la réponse complète à la question hutu-tutsi dans la politique du pays; seuls, ils suppriment la colonisation du muhutu et du mutwa par le tutsi.

Le Parti s’efforcera d’obtenir, pour les femmes, d’être électrices ; si elles y parviennent, ce sera pour les mères de la nation un réel progrès.

Nous n’avons pas encore oublié qu’il n’y a guère, elles subissaient des sévices tout comme leurs maris ; nous n’avons pas oublié tant de malheureuses, réduites au veuvage et à la tutelle des clans par les guerres des rois tutsi.

–  DROITS ET DEVOIRS DES HABITANTS

Le Parmehutu luttera pour la liberté d’aller et venir pour tous les habitants de 18 ans sans lois et coutumes discriminatoires en la matière :

— tout citoyen (habitant) doit se munir d’un livret d’identité à l’intérieur du pays comme à l’étranger ;

— aucune loi ni coutume ne peut être édictée à l’effet d’interdire la liberté de pensée ou son expression ;

— tout citoyen est libre d’appartenir à une association de son choix qui ne porte pas atteinte aux droits des tiers. De telles lois favoriseront par tous les moyens ceux qui désirent une bonne presse dans le pays et dans d’autres domaines comme la radio, le cinéma, les foyers sociaux et les écoles populaires, battant par-là l’arriération du pays. La liberté et l’égalité des citoyens exigeront aussi la codification de toutes les lois et l’épuration des coutumes contraires au bon sens ou perpétuant la colonisation des Bahutu et des Batwa par les Batutsi.

III. — RELATIONS EXTERIEURES

Notre parti refuse tout ce qui continuerait d’empêcher le Ruanda d’avoir des relations avec d’autres pays par des accords politiques et monétaires.

— Avec le Congo et le Tanganyika : rien n’empêche, présentement, de conclure des accords commerciaux et financiers.

— Avec le Burundi : rien n’empêche que le Conseil général du gouvernement reçoive suffisamment de pouvoir pour traiter directement avec le gouvernement belge ; cependant nous exigeons qu’il soit composé des délégués des territoires du Ruanda-Urundi, d’autres délégués de groupements qui le demanderaient et qu’il y ait un président élu par lui. Quant au gouverneur, il serait le chef du Ruanda-Urundi et le représentant de la Belgique dans ces territoires.

— Avec la Belgique : c’est elle la Puissance tutélaire représentée par le Gouverneur, le Résident, les administrateurs et leurs adjoints qui accorde une importante aide financière. Nous avons encore besoin d’elle, mais nos relations doivent évoluer vers notre indépendance; alors un referendum sera organisé à ce sujet.

— Question du fédéralisme : cette question dépendra de la liberté complète des citoyens dans leur pays conformément à ses lois et à ses bonnes mœurs.

Etre un petit pays ne force pas à se confondre dans de plus vastes ; cependant rester isolé n’est plus de nos temps, au risque de dépendre totalement d’autrui.

Aussi le Parmehutu croit-il que dans une Afrique d’aujourd’hui, le Rwanda ne sera sauvé que par une saine démocratie, fédéré aux autres républiques Africaines.

Le Parti s’efforcera de mener le Rwanda jusqu’à cette fédération des pays de l’Afrique centrale : déjà nombre de Ruandais ont préparé le terrain par leur émigration vers le Congo et le Tanganyika.

– REPARTITION DES RICHESSES

  1. Salariés : le Parmehutu essaiera d’atténuer les injustices faites aux simples ouvriers en matière de salaires, pour que plus d’argent soit dépensé dans des travaux publics, procurant du travail aux habitants, surtout à la jeunesse sans devoir s’expatrier. Le salaire doit être familial.

Le parti luttera pour que le nouveau statut en matière de salaires tienne compte de la valeur de la Caisse du Ruanda-Urundi. Nous refusons que les employés, ne bénéficiant pas de ce statut, partent les mains vides.

  1. Nous lutterons pour que des coopératives de tout genre se répandent par tout le pays et que des syndicats de cultivateurs soient créés pour aider cette profession.
  2. Que les cultivateurs entendent bien : la houe et la vache sont les deux supports du Rwanda; aussi, plutôt que d’admettre des lois brimant les cultivateurs, notre parti cessera ses activités.

Maintenu dans le servage par une race de pasteurs, notre pays n’a pu mettre en valeur ce facteur capital du progrès. Voici, à ce sujet, quelle est la position du Parmehutu.

— Le régime foncier devra reconnaître, pour chacun, la propriété privée, tout cultivateur exploitant à son gré sa terre, guidé en cela par les agronomes et pouvant la vendre lorsqu’il a envie d’émigrer au loin.

— Nous ne pouvons admettre le régime des bikingi dans la région où cette coutume d’origine tutsi tient lieu de loi.

  1. a) Le détenteur du bikingi recevra une parcelle proportionnelle au nombre de ses vaches, exclusion faite de toutes celles qui n’avaient pas droit au bikingi. Dans le cas où il n’aurait aucune vache bénéficiant de ce droit, le détenteur n’aura pas plus que les autres citoyens.
  2. b) Le reste du bikingi sera attribué à ceux qui étaient sans terres ; à défaut de ces derniers, le reste du bikingi sera converti en domaine public.
  3. c) Chaque commune doit avoir une ferme appartenant à tous cultivateurs ayant une vache et dirigée par l’agronome communal.

— Toute propriété sera enregistrée au cadastre ; pour ce faire, le pays doit constituer un service du cadastre afin de diminuer les cas de  querelles et de litiges.

— Ce service du cadastre s’inspirera de législations étrangères qui prônent beaucoup plus le bien commun du pays.

— Les jeunes célibataires qui veulent s’établir auront une parcelle suffisante et où bon leur semble.

— Ceux qui sont déjà établis seront maintenus dans leurs propriétés à moins qu’ils ne désirent émigrer ; auquel cas ils pourront la vendre. Cette disposition entraînera la suppression des terres dites « en déshérence » (-= inkungu).

— Notre Parti organisera le régime successoral se fondant sur les recommandations des conseils du peuple et des communes et compte tenu des avis d’hommes pas trop vieux.

— Dans les régions à régime de propriété familiale (ubakonde) notre parti s’emploiera à obtenir la restitution des terres spoliées ; ce sera la première tâche du service du cadastre. Tout cela sera suivi de directives agronomiques sans contrainte et sous la surveillance du président du conseil communal.

— Le Parmehutu s’efforcera d’élargir le réseau routier sans expropriation indue.

— Notre Parti s’emploiera à faire un travail d’électrification pour faciliter le travail des ouvriers et mettre en marche un service d’autobus sans un prix d’exploitation.

Aux négociants :

Le Parti s’efforcera :

— De rabattre les taxes trop lourdes qui découragent l’initiative du commerce.

— D’avoir des lois favorisant dans tous les coins des centres de négoce.

— D’obtenir un assouplissement en matière de tarifs douaniers avec l’Uganda et le Tanganyika pour favoriser l’essor du commerce et des métiers, le conseil des commerçants, et artisans sera consulté.

— Le Parmehutu demande que soit établi un barème d’impôts.

— Le Parmehutu essaiera d’attirer des investisseurs étrangers dans notre pays ou d’obtenir des emprunts aux fins de grands travaux ; aussi notre Parti condamne-t-il toute xénophobie à l’égard des Blancs.

– DEMOCRATISATION DE L’ENSEIGNEMENT

Nul n’ignore le petit nombre de Hutu dans les écoles supérieures au Congo comme en Belgique. Nos quelques rares étudiants qui y sont n’empêcheront pas l’immense orgueil des Tutsi dans cette matière essentielle de la civilisation.

Nul n’ignore que le budget de l’enseignement est alimenté par les impôts du peuple ; il ne convient donc pas que les écoles supérieures soient peuplées de fils à papa (bene Runaka), plusieurs entretenus par les impôts du peuple qu’ils reviendront asservir par un régime féodal légué par leurs pères.

C’est pourquoi le Parmehutu exige une législation scolaire démo- pratique ; pour y arriver, voici les buts poursuivis par le Parti :

— Chaque année, dans chaque centre, il sera construit deux écoles primaires.

— Tous les enfants âgés de 6 ans se trouvant dans un rayon de 6 km doivent suivre l’école jusqu’à 15 ans.

— Les écoles primaires seront suivies de 2 ans d’école artisanale pour ceux qui ne peuvent accéder au cycle secondaire.

— Toutes les écoles d’internat seront supprimées parce que les hutu n’y accèdent qu’avec difficulté à cause du prix élevé et du favoritisme.

— Le Parti demandera que les enfants de ceux qui, entre 1940 et 1959 ont été astreints aux corvées ingrates, fassent gratuitement leurs études jusqu’à la fin de la 4e année des secondaires.

— Toute carte d’écolier portera la mention Hutu, Tutsi, Twa aux fins de renseigner tous ceux qui combattent la discrimination raciale en matière d’enseignement.

— L’enseignement supérieur en général doit refléter la composition du pays et la civilisation qu’elle désire de telle façon que nous ayons au plus tôt des universités au Ruanda mais sans favoritisme aucun, comme c’est le cas dans ce régime de colonisation des Hutu par les Tutsi.

— Nous exigerons que le Conseil des bourses d’études soit composé de délégués Hutu, Tutsi, Twa, envoyés par leurs comités respectifs pour éviter toute tendance à favoriser une seule partie.

— Nous exigeons que dans tous les rapports annuels sur l’enseignement soit signalée la proportion des Hutu, Tutsi, Twa, et la cause pour laquelle telle ou telle race ne fait pas de progrès.

En ce qui concerne l’Université, notre parti donnera aux conseils élus et aux responsables de l’enseignement des méthodes d’organisation du secondaire, de façon à nous donner plus vite une université et sans favoritisme.

— Le Parmehutu accordera la liberté complète de l’enseignement : pour l’Etat, les Missions, n’importe qui d’autre qui tous pourront fonder n’importe quelle école et bénéficier de subsides à la condition d’abolir les discriminations raciales.

Le Parmehutu remercie les Missions pour leur travail de scolarisation des masses du Pays ; d’ailleurs quand nous parlons de démocratisation de l’enseignement, nous ne sous-estimons pas ce qui a été réalisé, mais nous voulons adapter l’école aux impératifs démocratiques que nous exigeons pour le pays. D’autre part, nous affirmons qu’aucune loi ne peut obliger les parents d’envoyer leur enfant dans un établissement contraire à leurs conceptions.

— Nous exigeons que les accords qui vont être conclus sur l’enseignement passent par les partis politiques existants avant toute conclusion.

Si au contraire une école continue de ne choisir qu’une race, c’est cette race seule qui versera les subsides.

En tout état de cause, le Parmehutu luttera pour une démocratisation de l’enseignement supérieur et lui donner une organisation telle que nous ayons au plus vite une Université répudiant toute forme de discrimination raciale et l’exploitation du peuple.

– POSITION QUANT A L’INDEPENDANCE

On ne doit pas confondre l’indépendance du pays avec celle de quelques privilégiés ou encore avec le retour de l’ancienne coutume favorable à une seule race coïncidant avec l’asservissement du peuple. Il faut se garder qu’en demandant l’indépendance on ne demande en même temps le servage et le travail forcé. Qui ne sait quelle charge pour le peuple furent jadis les redevances, les corvées et le travail forcé ? Réclamer une indépendance qui n’excluerait pas de telles chaînes, ce serait aimer plus soi-même que la nation. Le Parmehutu luttera pour une indépendance préparée dans le sens du progrès dans la paix des habitants afin d’éviter les dangers que nous avons mentionnés et une guerre civile.

Notre Parti refuse les luttes tribales et tout ce qui les raviverait. Voici comment nous comptons préparer l’indépendance :

— Nous voulons que l’indépendance soit précédée d’une durée raisonnable de consolidation de la démocratie en matières politique, judiciaire, scolaire et de répartition des richesses, c’est-à-dire le partage des terres et l’épuration des coutumes.

Il faut donc commencer par mettre en train un programme d’installation et de consolidation de la démocratie, résolvant les questions principales qui se posent au Ruanda. Voici quelques-unes de ces questions.

— La question Hutu-Tutsi sera résolue par une saine démocratie grâce à la codification des lois et de celles relatives à la désignation du mwami sans les Biru.

— La question agraire relative aux « bikingi » et au « Bukonde ».

— La question du suffrage universel tel que décrit plus haut.

— La question de la démocratisation de l’enseignement, de telle sorte que le supérieur ne soit pas l’apanage de quelques privilégiés.

— La question des finances du pays et l’assouplissement des tarifs douaniers.

— La question des lois du pays sera résolue par la codification d’une Constitution et de toutes autres lois, en bannissant du Code toute trace de la colonisation des Hutu par les Tutsi.

Lorsque les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire de la nation seront proportionnellement répartis entre les Hutu, les Tutsi, les Twa, désirant vivre au Rwanda, alors la question de l’indépendance se posera dans les conseils du Pays.

Puisque cette question de l’indépendance est difficile, du moins pour les partisans du bien commun du pays, le Parmehutu souhaite qu’elle soit posée dans un referendum : il s’agit de demander à tout habitant, au peuple entier de se prononcer là-dessus. Ce referendum aura lieu dans tout le pays sous le contrôle de l’O.N.U.

Parmehutu :

KAYIBANDA Grégoire, MPAKANIYE Lazare, SAGAHUTU Jean, NDABAGUMIYE Thadée, NTAICAYOBAZI Aloys, LISERURANDE Jean, RWAGAHIRIMA Gaspard, SEMBWA Pierre, RUKERAMIHIGO Isaac, NKERAMUHETO Tharcisse, KARUTA Tharcisse, NKILANUYE Calliope, BIZINDORI Leopold, NIYONZIMA Maximilien, MULINDAHABI Calliope, HABYARIMANA Jean, MUBERABAHIZI Ladislas, MBARUBUKEYE Athanase, NGEMDAHAYO Antoine, NDIMBILE Stanislas, SEMUHUNGU Boniface, MBARAGA Louis, MUVUNANKIKO Gérard, GASHUGI Theodore, BANZI Welars.

Le 9 octobre 1959.

Le 23 novembre 1959, les Hutu accueillirent avec enthousiasme la Déclaration belge da 10 novembre sur le Rwanda-Burundi et exprimèrent d nouveau leur crainte d’une indépendance précipitée.

Lettre de Munyangaju

Au Conseil de Tutelle de l’O.N.U.,

Au Ministre du Congo et du Ruanda-Urundi,

Aux Présidents du Sénat de Belgique et de la Chambre,

Messieurs,

Nous avons pris connaissance de la Déclaration Gouvernementale et des interventions unanimes qui s’élèvent de tous les bancs du Parlement belge pour stigmatiser la féodalité et le racisme Tutsi qui ont opprimé durant des siècles les Bahutu du Ruanda.

Nous remercions la Belgique pour l’engagement qu’elle a pris de nous continuer son appui afin de donner à 85 % de la population, jusqu’ici asservie, l’égalité, la justice et la promotion sociale auxquelles elle aspire.

La déclaration nous garantit nos libertés. Nous demandons que dans un proche avenir nous soyons appelés avec l’élite tutsi progressiste et intègre à envisager avec l’autorité belge les conditions détaillées qui permettront aux nouvelles réformes de ne pas être viciées et détournées de leur fin par des sursauts d’intrigues et de pressions que nous pouvons redouter de beaucoup de nos anciens féodaux.

Nous répétons avec insistance ce que nous avons eu l’honneur de déclarer aux personnalités du Groupe de travail et que la population hutu de toutes les régions lui a confirmé : Nous souhaitons arriver à l’indépendance mais nous ne voulons pas d’une indépendance hâtive dont nos anciens suzerains profiteraient — les incidents tragiques que nous vivons le prouvent à suffisance — pour réinstaller leur pouvoir, leur tyrannie et leur racisme, sous une démocratie de façade.

Nous supplions le Conseil de Tutelle de l’O.N.U., au nom de quatre millions de serfs dont nous représentons l’inquiétude, de nous prolonger la tutelle belge autant qu’il le faudra pour aboutir à la démocratisation complète du pays.

Encore que les réformes opérées en notre pays par la Belgique n’aient pu donner tous leurs effets et aient en maintes reprises été exploitées par nos féodaux, nous ne pouvons en accuser la puissance tutélaire qui ne pouvait soupçonner assez la malignité d’un grand nombre de nos chefs coutumiers. Nous témoignons, par ailleurs, que la Belgique a amélioré fortement les conditions matérielles, financières et économiques du pays et, sur plusieurs points, allégé le sort du pauvre Muhutu.

Aujourd’hui que la Belgique a pris l’engagement solennel de nous conduire à la démocratie, nous sommes opposés à ce qu’on confie cette tutelle à un autre pays ou à un ensemble de nations qui pratiquement devraient encore se mettre au courant des problèmes du Ruanda-Urundi à notre grand détriment. Nous nous opposons, en outre, à la fixation de la date et d’un timing de l’indépendance. Nous estimons que c’est au peuple Ruandais-Urundien à en décider. Ce peuple ne sera en mesure de le faire qu’au moment où il aura tout entier pu profiter de la première étape : la démocratisation qui lui permettra de vaincre la crainte, la pression et l’ignorance et d’être ainsi en état d’opter en toute connaissance de cause. Cela veut dire qu’il nous faut du temps pour que les Bahutu aient aussi une élite formée, privilège qui nous a été jusqu’ici refusé par les autorités coutumières Tutsi mais qui est indispensable à la majorité de la population si l’on veut que le pays soit réellement indépendant.

Nous protestons de toutes nos forces contre les calomnies, les pressions, les crimes atroces dont les chefs féodaux groupés dans l’U.N.A.R. se sont rendus coupables. Ils l’ont fait d’une manière d’autant plus horrible qu’ils ont employé pour les perpétrer, les Batwa qui constituent la portion la plus faible et la moins instruite de la population. Les Batwa seront, en dernière analyse, les victimes les plus à plaindre.

Les enquêtes que poursuivra, nous l’espérons jusqu’au bout, la Justice, feront connaître les vrais responsables. Elles révéleront aussi comment les chefs de l’Unar ont obligé les Bahutu à marcher contre leurs frères sous la garde menaçante de chefs Tutsi et Batwa.

Au nom de tous les Bahutu qui ne peuvent s’exprimer pour le moment, nous rendons hommage à l’Administration et à la Force publique qui, avec courage, clairvoyance et respect des populations, ont préservé du pire le Ruanda. La plupart de nos leaders sont tombés, hélas, victimes d’odieux assassinats et d’un plan machiavéliquement préparé. Nous savons que le tour de ceux qui restent viendrait, si la protection qui les entoure se relâchait sans que le calme complet ne soit rétabli. Nous savons que les féodaux ne pardonnent pas à certains d’avoir su faire entendre la voix des serfs. C’est pourquoi nous demandons à la Belgique de ne pas vite croire au calme total. Nous allons peut-être entrer dans une période plus difficile où le traditionnel jeu de représailles va commencer et l’administration devra être plus attentive.

L’Unar conteste que nous représentons l’ensemble de la population hutu mais les enquêtes du Groupe de travail ont prouvé que cette population tout entière partageait nos revendications, nos craintes et nos espoirs. Nous contestons, bien au contraire, à l’Unar le droit de parler au nom du pays devant n’importe quelle institution, non pas parce qu’elle ne représente qu’une infime partie de la population, mais parce que ses actes ont prouvé qu’elle est incapable de servir le pays.

Des délégués de l’Unar sont partis en Belgique et à l’O.N.U. pour défendre leur cause. Nous sommes de pauvres hutu, nous n’avons pas de moyens financiers dans l’immédiat pour en faire autant. Toutefois nous comptons sur la clairvoyance de la commission de la Tutelle pour déceler la vérité devant les faits qui sont si aveuglants. Nous souhaiterions bien sûr que cette commission nous invite aussi à venir faire la relation des faits.

En ce moment où de tous les coins du monde s’élève une réprobation générale pour toute forme de racisme et d’asservissement, nous espérons que notre appel angoissé trouvera écho auprès de tous les peuples représentés au Conseil de Tutelle, comme il l’a trouvé auprès du Gouvernement Belge.

En terminant, nous remercions encore une fois la Belgique pour son secours rapide et amical apporté à la population hutu et tutsi progressiste dont les leaders auraient été décimés si l’armée n’était intervenue aussitôt et pour l’aide qu’elle continue à donner aux réfugiés. Puissent les hautes instances internationales qui ont récemment confirmé le mandat de la Belgique sur nos territoires, l’encourager à achever l’œuvre éminemment humanitaire qu’elle a si bien faite jusqu’ici.

Une enquête du Conseil de Tutelle ne pourrait que confirmer et les responsabilités des chefs féodaux groupés dans l’Unar et le travail réalisé par la Belgique.

Pour ses collègues hutu : (sé) Aloys MUNYANGAJU.

Certaines imprécisions contenues dans la déclaration gouvernementale du 10 novembre sont relevées par M. Maus, membre du Conseil Général du Rwanda-Burundi, dans une note adressée au Ministre du Congo et du Rwanda-Burundi.

Note de M. Maus

Novembre 1959.

Monsieur le Ministre,

C’est avec un grand intérêt que nous avons accueilli la déclaration gouvernementale, précisant en grandes lignes le programme politique que la Belgique se propose de suivre au Ruanda-Urundi au cours des prochaines années. C’est là, croyons-nous, un document qui doit marquer pour le Ruanda-Urundi un tournant décisif dans la voie de la démocratie.

Néanmoins, Monsieur le Ministre, permettez-nous de vous exprimer nos réserves sur cette déclaration : celle-ci, malgré son importance dans l’histoire du Ruanda-Urundi, n’en est pas moins incomplète et imprécise sur certains points. Par un emploi de conditionnels, elle semble refléter une volonté de rester dans le vague.

Aussi, tout en reconnaissant le côté positif de cette déclaration, nous ne pouvons que déplorer un manque de hardiesse, une certaine timidité, louable sans doute par sa « sagesse prudente », qui ne manque cependant pas de soulever pas mal de questions, que tout lecteur de bonne foi voudrait voir clarifier dans les plus brefs délais.

  1. Au niveau des Communes

— Quelles sont les attributions et les compétences des conseils communaux et de leurs chefs ?

— A qui les Conseils communaux proposeront-ils les chefs des communes provisoires ?

  1. Au niveau des chefferies.

— Vous dites qu’une période transitoire sera nécessaire avant la transformation du rôle des chefferies. Celles-ci continueront par conséquent à fonctionner. Jusqu’à  quand?

— Et pendant la période transitoire, les chefs actuels vont-ils conserver tous les pouvoirs politiques, judiciaires, etc.? Si oui, n’annulez-vous pas, ipso facto, les réformes démocratiques préconisées à l’échelon communal ?

— Que deviennent les Conseils de chefferies dans le nouveau complexe politique et administratif?

  1. Des territoires et de leurs Conseils.

Quel sort leur sera réservé ? Sont-ils maintenus ou supprimés ? S’ils sont maintenus, comment s’insèrent-ils dans le nouveau cadre politique et administratif ? S’ils sont supprimés, qu’entendez-vous par « administrateurs territoriaux » ? Serait-ce des « administrateurs territoriaux sans territoires » ?

  1. Des Conseils de Pays

— Le Collège électoral élira la large majorité des nouveaux Conseils de Pays. L’autre partie, si infime soit-elle, comment sera-t-elle désignée ? Nomination pure et simple ? Et par qui ?

— Quelle est la durée du mandat des premiers Conseils de Pays ? Serait-ce celle de la période transitoire ? Même si celle-ci s’étend sur plusieurs années ?

— Dans le domaine de leur compétence, nous croyons que les Conseils de Pays — constituant le législatif dans les deux pays — seraient souverains parce que délibératifs. Comment conciliez-vous alors « le contrôle de leurs actes » et « leur souveraineté de décision » ? Mieux vaudrait alors en faire des consultatifs.

  1. Du Gouvernement local

— Dépendra-t-il du seul accord entre le Mwami et le Résident, et de leur bon vouloir ? Si les deux ne sont pas d’accord, qu’arrivera-t-il ?

— Ne sera-t-il responsable que devant le Mwami et le Résident dont dépendent la nomination et la révocation des membres ? Et « l’équilibre des pouvoirs » devant le législatif — en l’occurrence le Conseil de Pays ?

— Ne vaudrait-il pas mieux délimiter le domaine des compétences et des attributions du Gouvernement local, plutôt que de soumettre la nomination et la révocation de ses membres à l’avis du Résident ?

— Le rôle du conseiller « imposé » du Mwami ne devient-il pas superflu dans la nouvelle structure politique et administrative ? A moins de préciser comment il opérera avec le Résident.

  1. Du Conseil général

— Que devient l’actuel Conseil de Gouvernement ? Reste-t-il, mais sous une autre appellation ?

— Le Conseil général est composé d’après les mêmes principes que les Conseils de Pays. Pourquoi reste-il consultatif, alors que les Conseils de Pays deviennent délibératifs ? Pourquoi, dans une vraie démocratie, le peuple élirait-il des représentants dépourvus de tout pouvoir de décision ?

  1. Des libertés publiques

Un silence absolu plane sur ce chapitre, cependant fort important dans un pays qui se veut démocratique. Faudra-t-il répéter que, sans libertés publiques, la démocratie n’est qu’un mot ?

  1. Du pouvoir judiciaire

Quelles réformes proposez-vous ? Aucune ne s’impose peut-être ! A moins que ce domaine ne soit dévolu à l’autorité tutélaire.

  1. Des réformes sociales, économiques, scolaires et militaires

Nous avons espéré, Monsieur le Ministre, qu’à l’occasion de cette Déclaration, le Gouvernement belge allait en même temps procéder à une révision de la politique économique, tracer un programme précis de réformes sociales et scolaires, d’organisation militaire dans le Ruanda-Urundi. Nous constatons qu’aucune réforme concrète et immédiate n’est proposée dans ce sens. Notre désillusion a été d’autant plus forte que, dans la lettre jointe aux suggestions proposées au Groupe de Travail, nous disions avec conviction que « les réformes politiques seraient vaines si elles ne s’accompagnaient pas de réformes économiques, sociales et surtout scolaires » ? Il ne suffit pas en effet, Monsieur le Ministre, pour sortir de l’impasse économique et sociale actuelle, de rappeler (le problème de paupérisme généralisé qui touche des masses numériques importantes » au Ruanda-Urundi, de constater « une disproportion entre le patrimoine des riches, peu nombreux, et les faibles ressources des très pauvres, paysans et petits éleveurs ». D’ailleurs, il nous semble que ceci entre en contradiction avec le passage suivant de la Déclaration : « Depuis 1917, … nous pouvons croire que nous avons bien, suivant le texte de l’article 76 de la Charte de San Francisco, favorisé le progrès politique, économique et social des populations »…

Ceci n’empêche cependant pas d’exprimer notre satisfaction, en constatant que vous vous rendez compte maintenant de la nécessité, d’une part de revoir le taux des rémunérations du statut unique, pour réduire ainsi les coûts très élevés de l’Administration qui pèsent fort sur le maigre budget du Territoire, et d’autre part, de faire appel à l’aide des Nations Unies pour financer le développement économique du Ruanda-Urundi et équilibrer son budget — hélas toujours déficitaire.

Ne soulevons pas ici tous les problèmes que nous aurions voulus voir mentionnés dans cette Déclaration, ne fut-ce que superficiellement, tel le problème de la Force Publique du Ruanda-Urundi, de la nationalité ruandaise et burundaise (pour savoir qui, lors des élections prochaines, doit jouir du droit de vote), des étapes pour faire accéder le Ruanda-Urundi, à l’autonomie interne d’abord, à l’indépendance totale ensuite

– L’OPINION POLITIQUE DES TUTSI DU RASSEMBLEMENT DEMOCRATIQUE RWANDAIS (R.A.D.E.R.)

Le Rassemblement Démocratique Rwandais, en gestation depuis avril 1959, a été créé le 14 septembre 1959. Le but de ce parti est « la réalisation de l’ordre social, économique, politique et culturel, axé sur une démocratie authentique dans le cadre de l’harmonie des rapports des divers groupements constitutifs du peuple rwandais ». Les fondateurs de ce parti, dont le siège est à Kigali, sont MM. Bwanakweli Prosper, chef de chefferie en Territoire de Kibuye et Ndazaro Lazare, agent Territorial Principal.

Le comité se compose comme suit : Président : M. Bwanakweli Prosper, chef de chefferie à Kibuye; Vice-Présidents : I er : Mugunga Pierre, assistant médical à Kamonyi (Territoire de Gitarama); 2e : Karekezi Alexis, commis à Kigali; Secrétaire : M. Ntoranyi Chrysologue, sous-chef à Kigali; Trésorier: M. Ndazaro Lazare, agent territorial principal à Kigali; Conseillers :

  1. Rwigemera Etienne, chef de chefferie à Biumba, Nkundabagenzi Bonaventure, commis -chef à la Banque du Conge belge à Bukavu, Shamukiga Daniel, juge-suppléant au Tribunal de chefferie à Rusenyi (Territoire de Kibuye), Rwamalima J.-B., commis au Service Médical à Kigali, Kanyamikara Léonidas, sous-chef à Rutongo (Territoire de Kigali).

Le programme peut se résumer dans ses principaux points comme suit ;

En matière politique :

— Organisation rapide d’élections au suffrage universel des chefs, sous-chefs, personnel judiciaire et des différents conseils.

— Règlement de la querelle hutu-tutsi dans un climat de concorde nationale par la nationalisation des « Ibikingi », l’accès du cultivateur à la propriété privée, la codification du droit coutumier, la démocratisation des institutions politiques, administratives et judiciaires.

— Retour au Ruanda des provinces ruandaises en Uganda.

— Autonomie interne en 1964 et indépendance en 1968.

En matière sociale :

— Multiplication des écoles primaires, secondaires et artisanales.

— Multiplication des bourses d’études pour l’enseignement secondaire et supérieur.

— Multiplication des dispensaires médicaux.

En matière fiscale :

— Instauration d’un système d’impôts proportionnels.

— Suppression de l’impôt de capitation et de l’impôt sur le bétail.

— Majoration des impôts indirects et des impôts sur les revenus.

En matière économique :

— Création d’organismes de crédit pour le commerce, l’agriculture, l’artisanat et l’industrie.

— Attirer les capitaux étrangers, notamment par une politique d’exonération de taxes et de redevances pendant les premières années.

— Revalorisation de l’agriculture et de l’élevage.

— Multiplication des sociétés coopératives de production et de consommation.

— Révision de la législation douanière entre le Ruanda et Uganda afin de favoriser les échanges commerciaux entre ces deux pays.

Manifeste du R.A.D.E.R.

Le 1er octobre 1959.

Le Rassemblement Démocratique Ruandais est un parti politique national, ayant pour but la réalisation d’un ordre social, économique, politique et culturel, axé sur une démocratie authentique, à savoir le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple souverain.

Dans son action, le Rassemblement Démocratique Ruandais s’inspirera des principes à la base de la civilisation chrétienne. Il assurera la défense des intérêts de ses membres, l’unité nationale et l’essor de la patrie, en s’attachant tout spécialement à la promotion des économiquement faibles.

Dans la poursuite de ces buts, le parti s’attachera à garantir à tous les habitants du Ruanda, la liberté individuelle et toutes les libertés publiques, notamment l’égalité effective devant la loi, l’accès à toutes les fonctions publiques, le respect de la personne humaine et tous autres droits reconnus par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et la Charte des Nations Unies. Ces impératifs démocratiques, qui l’animent, l’incitent à adopter l’attitude suivante face aux principaux problèmes qui se posent dans le Pays :

– ATTITUDE DU PARTI ENVERS LES CONFESSIONSRELIGIEUSES

Le Rassemblement Démocratique Ruandais professe la primauté spirituelle impliquant la liberté de conscience et le libre exercice de toutes les formes du culte. Il rend spécialement un hommage reconnaissant à l’œuvre d’évangélisation et de civilisation accomplie par les missions catholiques et protestantes qui, depuis un demi-siècle, président à l’évolution morale et spirituelle de notre pays. Conscient du fait que c’est la religion qui donne son prix à la vie, le Rassemblement Démocratique Ruandais affirme solennellement : qu’il s’agisse de sagesse humaine, de comportement social, de travail, de famille ou de formation civique, il est impossible de donner une véritable éducation au peuple, sans la fonder et sans l’animer par une religion vivante, surtout lorsqu’elle s’adresse à un peuple aussi croyant que le peuple ruandais.

En conséquence, le Rassemblement Démocratique Ruandais apportera son appui total à l’évangélisation du Ruanda, pour le plus grand bien de notre peuple.

– ATTITUDE DU PARTI A L’EGARD DU GOUVERNEMENT BELGE

Le Rassemblement Démocratique Ruandais reconnaît solennellement l’œuvre civilisatrice accomplie par la Belgique dans les domaines politique, social, économique et culturel. Il lui témoigne une profonde reconnaissance et une amitié indéfectibles.

Le Rassemblement Démocratique Ruandais constate cependant que cette œuvre est loin d’être terminée et se déclare prêt à participer désormais plus directement à toutes les initiatives de promotion nationale, afin d’aboutir à une indépendance nationale rapide mais pas précipitée.

III. ATTITUDE DU PARTI A L’EGARD DE LA MONARCHIE

Le Rassemblement Démocratique Ruandais se déclare partisan d’un régime de Monarchie constitutionnelle et s’incline avec déférence devant l’engagement solennel pris par le roi Kigeli V Ndahindurwa de régner en monarque constitutionnel.

Avec tout le peuple ruandais, le Rassemblement Démocratique Ruandais proclame que la Monarchie constitutionnelle est le régime qui répond aux traditions nationales et aux impératifs progressistes du Pays. Logique avec lui-même, il considère que le Roi régnant est la plus haute personnification de la souveraineté populaire. En conséquence, il s’engage, avec ses membres, à se grouper autour du jeune Souverain dans l’œuvre de rénovation et de promotion nationales.

– PROGRAMME DU PARTI SUR LES QUESTIONS D’ORDRE INTERIEUR

1° Réformes politiques

  1. a) Le Rassemblement Démocratique Ruandais est partisan de l’élection prioritaire au suffrage universel direct des chefs, des sous-chefs et du personnel judiciaire, avant toute autre réforme.

L’élection par le peuple, des chefs, des sous-chefs et des gens de justice est indispensable à l’instauration de la démocratie au Ruanda.

  1. b) Le Rassemblement Démocratique Ruandais demande des élections générales pour la désignation des membres des différents conseils. Il estime toutefois qu’un délai minimum de six mois doit être accordé aux Partis et au Gouvernement, pour préparer le peuple aux réformes politico-administratives attendues. Une intense campagne d’information incombe au Gouvernement.
  2. c) Afin que le peuple puisse exercer valablement ses droits politiques, le Rassemblement Démocratique Ruandais demande que le mandat public confié aux sous-chefs, chefs et différents conseillers, soit renouvelable pour une période maximum de quatre ans.

2° Questions sociales

Le Rassemblement Démocratique Ruandais s’engage à régler définitivement la querelle entre les Hutu et Tutsi dans un climat de concorde nationale, car il est profondément erroné de penser que le bonheur des uns dépend de l’écrasement des autres. A cet effet, le Rassemblement Démocratique Ruandais préconise notamment :

  1. a) La nationalisation des « ibikingi », moyennant une juste et préalable indemnisation en vue de procéder à une répartition plus équitable des terres entre tous les habitants du Ruanda ;
  2. b) L’acquisition pour chaque cultivateur, à titre de pleine propriété non grevée de tout droit accessoire, d’un isambu suffisant et à l’abri de toute possibilité d’une immixtion de la part des éleveurs.
  3. c) La codification du droit coutumier impliquant l’épuration, l’enrichissement et l’adaptation des coutumes aux exigences du moment.
  4. d) La démocratisation de nos institutions politiques, administratives et judiciaires de manière que seul le peuple soit juge des fonctionnaires dignes de sa confiance et que soit ainsi aboli le monopole de fait des tutsi.

Seuls, le mérite et la capacité doivent habiliter quelqu’un à occuper un emploi public, sans référence préalable à ses origines.

  1. e) La démocratisation de l’enseignement accordant les meilleures chances pour tous les enfants et rendant possible à tous, l’étude et la formation selon les aptitudes et les mérites de chacun, quel que soit l’état de fortune de ses parents. Le Rassemblement Démocratique Ruandais préconise l’obligation et la gratuité de l’enseignement primaire pour tous les enfants ainsi que la multiplication des bourses d’études pour l’enseignement secondaire et supérieur.
  2. f) La création d’un Conseil National de l’Enseignement dont feraient partie les représentants du Gouvernement, des Congrégations enseignantes ainsi qu’une délégation paritaire de toutes les couches sociales tutsi et hutu. Ce Conseil serait spécialement chargé de la surveillance des programmes et de prendre toutes les mesures indispensables à la démocratisation complète de l’enseignement.

Enseignement proprement dit

Du point de vue des écoles, le Rassemblement Démocratique Ruandais réclame :

  1. a) La fermeture provisoire de l’actuelle Université officielle d’Astrida et l’affectation de crédits ainsi récupérés à la création de bourses d’études et de perfectionnement. Les crédits actuellement affectés à cette université de moins de 10 élèves permettraient l’envoi en Europe d’un minimum de 100 boursiers par an, ce qui donnerait au pays en quatre ans plus de 200 diplômés universitaires, prêts à occuper les postes importants du pays et surtout à occuper eux-mêmes les chaires dans une université nationale désormais plus viable.
  2. b) La création dans chaque territoire d’une école secondaire à sections ancienne et moderne, pour garçons; une école du même genre pour les filles ainsi qu’une école professionnelle pour les métiers.
  3. c) La création d’écoles artisanales dans chaque chefferie.

Le Rassemblement Démocratique Ruandais insiste auprès des autorités responsables pour que l’égalité totale entre les écoles officielles et libres soit garantie afin d’assurer le libre choix des parents dans l’éducation de leurs enfants. Il va sans dire que pour jouir des subsides du Gouvernement, ces écoles doivent suivre un programme imposé par le Gouvernement.

Le Rassemblement Démocratique Ruandais réclame la multiplication des dispensaires, afin d’assurer les soins médicaux à la population, mais préconise un système de soins médicaux gratuits pour les pauvres.

Problème de l’Ubuhake

Le Rassemblement Démocratique Ruandais préconise le partage obligatoire en fixant une date limite à la fin de l’année 1960. Il préconise également le recensement obligatoire simultané et généralisé dans tout le pays, avec numérotage du bétail, afin d’enrayer toute possibilité de fraude.

Politique familiale

Le Rassemblement Démocratique Ruandais veut pour le Ruanda, une jeunesse saine, nombreuse et dynamique et préconise une politique familiale permettant aux parents d’assurer l’éducation de tous leurs enfants.

Il préconise une politique d’allocations familiales et de dégrèvement fiscal en faveur des familles nombreuses. Il réclame l’égalité entière entre tous les enfants quel que soit le sexe et leur reconnaît les droits égaux quant à l’héritage.

Régime fiscal

Sur le plan social, le Rassemblement Démocratique Ruandais ‘réclame l’instauration du système d’impôts proportionnels, appelé à remplacer l’impôt de capitation et l’impôt bétail, manifestement inéquitables.

Dans l’immédiat, le Rassemblement Démocratique Ruandais préconise l’exemption de l’impôt de capitation de tous les pères de familles nombreuses, de plus de quatre enfants et la réduction de moitié du taux de l’impôt bétail.

Par contre, le Parti préconise une majoration des impôts indirects et l’application plus poussée de l’impôt sur les revenus, afin d’éviter la réduction des recettes du trésor.

3° Chapitre économique

Le Rassemblement Démocratique Ruandais réclame :

  1. a) La création d’organismes de crédit en vue de venir en aide aux artisans, agriculteurs, commerçants et industriels, avec une simplification de procédure.
  2. b) La création d’un climat de confiance en vue d’attirer des capitaux étrangers dans notre pays, notamment par une politique exonératoire de taxes et redevances pendant les premières années d’expérience.
  3. e) De favoriser l’extension et une meilleure rémunération des cultures d’exportation, notamment celles de café et de thé.
  4. d) De favoriser le pouvoir d’achat par la généralisation des sociétés coopératives de producteurs et de consommateurs.
  5. e) D’intéresser les autochtones à l’exploitation minière, soit à titre individuel, soit sous forme de régie ou de coopératives.
  6. f) De mener une politique minière évitant le chômage, notamment par l’exploitation par le Gouvernement des mines dont la marge bénéficiaire s’avère trop faible pour une entreprise privée.

 

Relations Extérieures

Le Rassemblement Démocratique Ruandais cherche à créer des relations amicales avec les pays voisins du Ruanda. Il préconise notamment :

— La révision de la législation douanière concernant les rapports commerciaux entre le Ruanda et l’Uganda, afin de favoriser les échanges commerciaux entre ces deux pays.

— Le Rassemblement Démocratique Ruandais réclame le retour au Ruanda des provinces détachées lors du partage de l’Afrique entre les Puissances coloniales. Le Rassemblement Démocratique Ruandais estime qu’avant l’indépendance de l’Uganda et du Congo Belge, une Conférence, réunissant les Puissances responsables, devrait régler cette question par l’organisation d’un referendum dans les régions réclamées par le Ruanda.

— POSITION DU PARTI A PROPOS DE L’AUTONOMIE ET DE L’INDEPENDANCE NATIONALES

Le Rassemblement Démocratique Ruandais réclame l’autonomie d’abord, l’indépendance ensuite dans un délai raisonnable.

Il estime que le Gouvernement belge devrait prendre l’engagement solennel d’accorder l’autonomie interne en 1964 et l’indépendance en 1968.

Le Rassemblement Démocratique Ruandais insiste pour obtenir que la mise en place contrôlée d’institutions politiques, administratives et judiciaires réellement démocratiques précède l’autonomie et l’indépendance, afin d’empêcher le retour d’un régime féodal définitivement condamné par le pays.

En assumant la tutelle du Ruanda, la Belgique a pris l’engagement solennel de le conduire vers la démocratie. Elle ne peut donc se retirer prématurément sans forfaire à sa mission, au risque d’exposer son prestige national à la sévérité du jugement de l’Histoire et du monde civilisé.

Ce stade d’auto-détermination ne doit pas être considéré comme un changement brusque et brutal de gouvernement, mais comme une passation progressive mais rapide de pouvoirs aux Banyarwanda les mieux formés.

La fixation d’un plan ad hoc d’émancipation du Territoire sous tutelle doit impliquer notamment une africanisation hardie des cadres à tous les échelons une éducation politique des masses plus intensifiée et une formation très accélérée des élites de direction et d’encadrement.

Le Rassemblement Démocratique Ruandais fait appel à tous les hommes de bonne volonté afin que tous se mettent à cette tâche exaltante de conduire notre Pays dans la paix et la dignité vers son indépendance au sein d’une communauté plus vaste groupant le Burundi, la Belgique, le Congo et d’autres Etats démocratiques africains qui voudront répondre

à notre appel.

Le contenu de ce Manifeste sera précisé ultérieurement par la publication de la mystique, de la doctrine et du programme du Parti.

Kigali, le l er octobre 1959, Le Comité.

Après les troubles sanglants du mois de novembre, le R.A.D.E.R propose « la voie de la paix ». (Texte favorable à la thèse Hutu.)

La voie de la paix au Ruanda.

Le 15 novembre 1959.

Banyaruanda du Mwami, Fils du Ruanda, nous vous saluons tous. En publiant ce tract, nous n’avons d’autres intentions que de voir notre voix écoutée par le Mwami, par le Gouvernement Belge qui assure la tutelle de notre pays ainsi que par le peuple du Ruanda engagé dans une guerre fratricide.

Nous savons parfaitement quelles sont les origines de la mésentente actuelle qui règne entre les tutsi, les hutu et même les twa. Nous savons qu’en fin de compte, le Gouvernement, grâce à ses forces militaires, rétablira l’ordre. Cependant la haine établie dans les cœurs ne disparaîtra pas par l’occupation militaire. Le pauvre qui a vu brûler sa hutte, la misère de ceux dont les biens ont été dévastés et qui vont connaître les affres de la faim, la profonde division régnant entre les hutu et tutsi, personne ne sait quand elle sera aplanie.

Avant de traiter des mesures indispensables au retour au calme dans les esprits et les cœurs, afin de recréer un climat d’amitié fraternelle entre les hutu et tutsi, nous tenons à porter à la connaissance du public, nos démarches effectuées auprès du Vice-Gouverneur Général et du Mwami (le 27-10-1959), relatives au comportement du Parti Union Nationale Ruandaise, qui est à l’origine de la détérioration du climat social du pays.

Voici les propos contenus dans la lettre remise au Vice-Gouverneur Général et au Mwami :

Les faits

— Il y a quelque temps, une lettre signée par M. Rukeba, Président de l’U.N.A.R., fut envoyée dans tout le pays. Elle contenait une série de noms : Bwanakweri, Ndazaro, Makuza, Murangwa, Muhikira, etc. (tous, à l’époque, membres du Rassemblement Démocratique Ruandais), et présentait ces personnes comme des ennemis du Ruanda et du Mwami.

— Le 25 octobre 1959, plusieurs affiches anonymes furent répandues dans le poste de Nyanza. Sur ces affiches figuraient les noms de : Monseigneur Perraudin, Bwanakweri, Ndazaro, Kayibanda, Ntoranyi, Kinyebuye, Kamuzinzi Godefroid, Murangwa, Seruvumba, Muhikira, Makuza, personnes présentées comme des ennemis du Ruanda « qu’il fallait faire disparaître par tous les moyens ». C’est Monsieur l’Administrateur de Nyanza qui a fait enlever ces affiches.

— Un assistant agricole, Sebera, de Kigali, a vu sa bananeraie d’un ha complète- ment détruite pendant la nuit, parce que membre du Rassemblement Démocratique Ruandais.

— Un commerçant (muhutu), Nunyabuhoro, de Rwatagana, a vu son magasin saccagé, parce que « Aprosoma » (association des bahutu). L’intéressé distribuait également les textes du Manifeste du « Rader ».

— Le sous-chef Rwagasana, du Buganza-Nord (Kigali), fut malmené chez le sous-chef Karangwa, le premier est membre du « Rader », le second celui de l’U.N.A.R.

— Le sous-chef Karamaga, du Rusenyi (Kibuye), fut molesté à Nyanza par des musulmans et métis (arabes) parce que « Aprosoma ». En réalité, il est membre du « Rader ».

— Une dizaine de personnes furent blessées à Kamonyi et à Gitarama, les uns en présence du fils du chef de la région, tous victimes du fait qu’ils n’appartenaient pas

l’U.N.A.R.

— Le sous-chef Gahiza de Rwamagana, qui possède un véhicule, ne parvient pas à avoir de l’essence dans les magasins, parce que sympathisant du « Rader ».

— Le chef Seruvumba, de Kibuye, désigné pour reprendre le commandement de la chefferie Bugoyi en remplacement du chef Kayihura muté„ fut attendu sur la route par des groupes de gens armés de lances et de serpettes, décidés à l’attaquer, parce qu’ils ne voulaient pas d’un chef « Aprosoma ».

Nous avons relaté au Gouverneur et au Mwami, une dizaine de faits concernant des personnes ayant subi des sévices, parce que considérées comme membres de l’« Aprosoma ». A cette occasion, nous avons affirmé que si le Gouvernement n’intervenait pas pour mettre fin à ces procédés terroristes, les membres des autres partis persécutés se verraient contraints de recourir aux mêmes moyens pour protéger leur personne et leurs biens.

Ensuite, nous avons fait les propositions suivantes :

1° Que le Mwami envoie une circulaire à tous les Banyaruanda, proclamant qu’il n’appartient à aucun parti ; qu’il n’a pas de préférence pour aucun d’entre eux et qu’aucun parti n’a le droit de se réclamer seul parti royaliste.

2° Que le Vice-Gouverneur Général avec le Mwami invite les dirigeants de tous les partis, afin d’examiner en commun les moyens propres à mettre fin au terrorisme actuel.

3° Que l’attention des chefs et sous-chefs soit attirée à l’occasion d’une réunion convoquée d’urgence à cet effet, sur leur grave responsabilité concernant le terrorisme en cours.

Nous avons écrit tout ceci afin que tout munyaruanda puisse se rendre compte du tort immense causé par les procédés de violence de l’U.N.A.R. qui a amené les bahutu à devoir s’attaquer aux batutsi et à leurs biens. Nous désirons également que tous les banyaruanda sachent que nous avions averti les autorités responsables des malheurs qui allaient s’abattre sur le Ruanda.

Nous n’aurions pas dit toute la vérité, sans ajouter que l’indignation des bahutu a été provoquée par leur grave appréhension de voir substituer au pouvoir de l’Administration européenne, un gouvernement autochtone dans le cadre de l’indépendance.

Les bahutu y ont trouvé le désir des batutsi de reprendre le pouvoir comme jadis avec le retour au buhake et du kazi (corvées traditionnelles).

Nous n’aurions pas dit toute la vérité, sans dire que la détérioration des tendances de l’U.N.A.R. provient, à l’origine, des propos et des écrits injurieux propagés par un certain Gitera, ancien Président de l’Aprosoma. Aujourd’hui, cet homme n’est plus président de l’Aprosoma. Il a cédé sa place à M. Munyangaju, parce que leurs confrères n’ont pas été satisfaits des agissements de Gitera.

L’indignation des Bahutu a provoqué les faits suivants :

La persécution menée par l’U.N.A.R. contre bahutu et batutsi se généralisait dans tout le Ruanda et un jour, le sous-chef Mbonyumutwa Dominique, sous-chef au Ndiza, muhutu appartenant au Comité du Parti Muhutu de Kayibanda, a été molesté par des batutsi près de la mission de Byimana, en territoire de Gitarama. Dès que les bahutu l’ont appris, ils ont attaqué les batutsi ; ils les ont frappés et tués, incendié leurs biens et détruit leur bananeraies et caféières. Cela a commencé par le Marangara, puis le Ndiza, et dans la suite, cette situation s’est répandue dans plusieurs territoires du Ruanda.

Ces bahutu n’étaient pas tous membres de l’Aprosoma, même plusieurs appartiennent au parti « Parmehutu », d’autres n’appartiennent pas aux partis politiques, mais tous sont soulevés par la crainte extrême de voir l’Administration européenne abandonner le pays et céder tout le pouvoir aux Batutsi, exactement comme dans le temps passé.

D’autre part, dans leur propagande mensongère et malhonnête, l’U.N.A.R. avait répandu le slogan que « Aprosoma » signifie : ennemi du Mwami et de l’indépendance.

Toute personne non affiliée à l’U.N.A.R. était considérée par tous, comme « Aprosoma », homme à molester, massacrer, rejeter de la société !

Autre fait extrêmement regrettable : tous ceux de l’U.N.A.R., ou les bahutu qui attaquaient les batutsi, prétendaient erronément exécuter les volontés du Mwami ! Tous étaient induits en erreur par leurs dirigeants respectifs.

Les raisons de l’indignation des Bahutu :

Pour quiconque a été attentif à ce que les bahutu ont publié depuis plusieurs années et que leurs leaders ont communiqué au Conseil supérieur du Pays, au Gouvernement belge, au Conseil de Tutelle, ainsi que leurs informations fournies à la presse locale et métropolitaine, les bahutu éprouvent des craintes concernant certaines situations précises et posent des revendications sociales.

Les bahutu ont peur :

Ils craignent que si l’Administration belge abandonne la tutelle du pays, seuls les batutsi reprendront le pouvoir comme dans le temps.

Les bahutu se rappellent parfaitement des injustices commises par la plupart des chefs au détriment de leurs administrés : spoliation, exploitation systématique, incompatibles avec la dignité de leurs fonctions de commandement. Les bahutu savent que si le pays devenait indépendant, les batutsi reprendraient leur monopole politique, ayant seuls la pratique du commandement et plusieurs des leurs ayant pu faire des études supérieures.

Cette crainte a été renforcée par le fait que la presque totalité des chefs et sous-chefs se sont affiliés en bloc à l’U.N.A.R., dans le but précis de conserver jalousement leur position actuelle.

Cette situation fait que les bahutu veulent à tout prix retarder l’indépendance du pays, alors que cette idée est contraire aux aspirations des autres peuples de l’Afrique en général.

Les bahutu ne sont pas les seuls à avoir ces appréhensions, que partagent également les batutsi progressistes, qui aiment les bahutu. Comme les batutsi, le peuple lui-même se rend compte de la situation désastreuse que serait celle du Ruanda indépendant, soumis au pouvoir de l’U.N.A.R. ! Ces gens, d’une intolérance totale pour ceux qui ne partagent pas leurs opinions politiques, seraient encore plus impitoyables s’ils disposaient entièrement de leur police et de leur Force publique ! Nous savons quelle serait cette situation, exactement comme en Russie, comme en Egypte actuellement sous la domination de Nasser, comme en Guinée de Sékou-Touré ou au Ghana de Nkrumah. Dans ces pays, celui qui ne partage pas les opinions de l’Etat, est mis en prison ou expulsé du pays ! Au Ruanda également, si la victoire de l’U.N.A.R. était assurée, le peuple n’aurait plus de paix et la persécution de l’Eglise commencerait.

Les bahutu instruits ont des vœux précis, comme ceux-ci :

Les bahutu revendiquent leur participation à l’Administration du pays : devenir chefs, sous-chefs, juges des tribunaux, recevoir une part sociale justifiée par leur importance numérique.

Les bahutu veulent une bonne place dans les écoles, parce qu’ils savent que les batutsi détiennent une avance considérable dans ce domaine et que les meilleures places dans l’administration du pays ne seront accessibles qu’aux personnes possédant des diplômes de valeur.

Les bahutu veulent avoir leurs représentants parmi les conseillers du Mwami, par cela le Mwami prouvera qu’il est pour tous les Banyaruanda, ainsi tout muhutu méritant pourra atteindre le sommet de la hiérarchie sociale, sans devoir passer par l’intermédiaire du Mututsi.

Les bahutu disent : si ces réformes ne sont pas obtenues, nous ne voulons pas de l’indépendance du pays, sous la domination des batutsi, et préférons que l’administration belge reste seule au pouvoir dans le pays. Non seulement les bahutu se maintiennent dans cette position, mais ils livrent un combat impitoyable pour leurs aspirations. Même si momentanément, l’occupation militaire apaise quelque peu le pays, après celle-ci, la lutte fratricide reprendra fatalement, s’ils n’obtiennent pas satisfaction.

: Remède à l’insécurité et malheurs actuels du Ruanda :

L’unique planche de salut que nous ayons est que, tous les Banyaruanda, indistinctement : batutsi, bahutu et batwa, tous nous aimons notre Mwami Kigeli V Ndahindurwa. Cet attachement unanime à la royauté lui donne la possibilité d’intervenir efficacement pour mettre fin aux difficultés actuelles.

En second lieu : notre Mwami, en parfait accord avec le Gouvernement, a accepté d’être un Roi constitutionnel qui règne mais ne gouverne pas, et ainsi il ne peut pas avoir de préférence spéciale pour l’un ou l’autre parti politique.

Cependant, ces dispositions de sa part, n’apaisent pas seules les tensions sociales actuelles du Ruanda ! Le seul remède à cet état déplorable de choses est de doter le Ruanda de nouvelles institutions administratives et politiques. C’est uniquement à partir du moment où les bahutu auront des places justifiées par leur importance numérique dans toute l’administration du pays, que nous aurons la paix sociale souhaitée.

De la part de notre parti politique, voici des propositions que nous soumettons à l’examen du Mwami, du Gouvernement et des autres partis politiques intéressés :

1° que le Mwami se sépare, une fois pour toutes, dans son entourage à Nyanza, du Comité de l’U.N.A.R. : Rukeba, Kayihura, Rwangombwa, Mungarurire, Rwagasana, et même son secrétaire, Kimenyi. Ces personnes ne peuvent lui donner aucun conseil valable pour la concorde nationale, puisque la guerre fratricide actuelle a été provoquée par la faute des dirigeants de l’U.N.A.R. dont ces éléments font partie.

Les bahutu n’ont aucune confiance en cette équipe, et même, cela porte ombrage à la dignité du Mwami, qui est considéré comme faisant partie de l’U.N.A.R., ses conseillers actuels étant de cette équipe.

2° Comme mesure préalable à toutes autres réformes politiques, il est indispensable qu’au moins la moitié des places dans les fonctions politiques reviennent d’office aux bahutu, afin qu’au moment des élections prochaines, l’équilibre social soit quelque peu régularisé en faveur des bahutu. Les élections devraient être retardées au moins d’une durée de six mois à un an.

Nous savons que les présentes propositions ne répondent pas entièrement aux réformes démocratiques que nous avons toujours réclamées, mais elles sont indispensables en tant qu’étape préalable, indispensable à l’union des hutu et tutsi.

Il est également indispensable qu’avant de procéder à l’élection des autorités, un maximum de chances soit accordé aux bahutu, afin qu’ils puissent faire leur propagande à temps. Il a été constaté du reste que ce sont les chefs et sous-chefs, déjà en fonction, qui ont contraint leurs administrés pour qu’ils s’affilient à l’U.N.A.R. pour, qu’au moment des élections, ces autorités puissent garder leur place.

3° il est indispensable que le Mwami ordonne aux chefs et aux sous-chefs, de rendre aux anciens propriétaires, les champs d’intore, prélevés soit dans l’ubukonde, soit dans les « amasambu », de rendre les pâturages prélevés aux éleveurs ou occupés dans les ubukonde. Il est indispensable que les « inkungu » soient distribués aux habitants et que les autorités coutumières soient placées sur un pied d’égalité au point de vue du régime foncier, que les autres éleveurs et cultivateurs, que leur seul privilège soit le traitement accordé à leurs fonctions.

4° il est indispensable que soit créé un Conseil du Mwami, composé au moins de trois personnes, représentant toutes les tendances politiques. Tous ceux, d’une façon ou d’une autre, qui ont joué un rôle quelconque dans les événements de terrorisme ne peuvent jamais faire partie du Conseil en question. Il faut également que ce Conseil soit composé de bahutu et de batutsi, afin que le Mwami démontre par là qu’il est le Mwami de tous.

5° La Belgique ne devrait pas accorder l’indépendance avant le délai minimum de six à huit ans, afin de préparer, en accord avec l’O.N.U., les étapes successives préalables, surtout pour éviter que les batutsi ne parviennent à nouveau à une domination d’exploitation des bahutu. Après quoi l’indépendance serait accordée, suite à un referendum. Cela ne veut pas dire que nous ne désirons pas l’indépendance, mais celle-ci doit se réaliser progressivement, en toute démocratie. De toute façon l’indépendance ne pourra pas intervenir avant le délai minimum de six ans, pour permettre aux bahutu de s’entendre avec les batutsi au sein de partis basés sur des programmes communs et non sur des critères racistes.

6° Il est indispensable qu’en ce qui concerne le régime foncier, le Mwami et le Gouvernement décident de la nationalisation des « ibikingi », moyennant l’indemnisation équitable, afin de mettre fin aux privilèges des éleveurs, au détriment des cultivateurs : le bétail du mututsi a les mêmes droits que celui du muhutu.

Nous terminons en demandant aux autorités du Ruanda, ainsi qu’aux dirigeants des partis : U.N.A.R., Aprosoma, Parmehutu et autres partis qui ne nous sont pas connus, que nous nous efforcions à mettre fin aux désordres actuels, à la guerre civile et surtout, nous devons avoir pitié du menu peuple innocent, tantôt massacré, uniquement parce que d’étiquette tutsi, tantôt massacré, pour exterminer les leaders bahutu !

Tous les banyaruanda : bahutu, batutsi, batwa, déplorent amèrement le sang versé pour le caprice des gloires, la soif de domination, les fléaux inventés par certains dirigeants de l’U.N.A.R., la haine abominable des européens et des missions. Pour tout homme averti, il est manifeste que les dirigeants de l’U.N.A.R. ont été travaillés par des européens ou des banyaruanda vivant en Uganda, qui sont au service des communistes. Ils ont préparé, de toute façon, la voie au communisme. Banyaruanda sachez de toute façon que là où le communisme s’installe, il n’est plus question ni de Mwami, ni de l’Eglise, ni de la démocratie !

Nous connaissons quel est le programme précis du communisme, pour l’Afrique :

— la première chose est d’expulser les européens de leurs colonies de l’Afrique, pour se défaire de leur force militaire et de leur richesse économique, et surtout que, aussi longtemps qu’ils ont la responsabilité administrative du pays, ils expulsent d’office celui, parmi eux, qui propage la doctrine communiste. Le procédé consiste donc à provoquer la haine entre les européens et les autochtones, réveiller l’esprit d’un nationalisme xénophobe, même si le pays n’est pas encore mûr pour son indépendance.

Ils disent : « à la rigueur, l’indépendance dans la pauvreté et la misère, mieux que la domination étrangère dans le bien-être ! ».

— en second lieu : provoquer la haine contre les missionnaires étrangers, ainsi que la division entre le clergé européen et le clergé indigène. Pour terminer, après les deux étapes précédentes : provoquer la rupture entre les autorités traditionnelles et la jeunesse progressiste, pour se débarrasser des Bami et réaliser une république communiste.

Banyaruanda : soyez vigilants, songez attentivement à ce qui s’est passé ces jours-ci : la haine contre les européens a été provoquée ; on a répandu les slogans que les européens ont empoisonné le Mwami ; qu’ils ont introduit la tsétsé et la Douve dans le pays. Nous ne savons pas vérifier tout cela à l’origine, mais nous pouvons affirmer que telle est la consigne donnée par des européens de tendances communistes qui sont au Ruanda, qui cherchent à nous mettre en désaccord avec les Belges, suivant un programme et des méthodes bien précis.

Quant à la mésentente avec les missions, le slogan lancé : que Monseigneur a participé au complot d’empoisonnement du Mwami, constitue pour l’Eglise, une attaque par le sommet !

Le piège a été tendu par les communistes aux dirigeants de l’U.N.A.R., alors que certains d’entre ceux-ci l’ignorent peut-être entièrement.

Tous, Banyaruanda, nous redoutons la famine qui peut s’abattre sur le pays, nos enfants qui ne fréquentent plus aisément les écoles, alors que ces sacrifices ne sont pas exigés par l’intérêt majeur et légitime du Ruanda. Nous supportons injustement les conséquences de la faute abominable d’une poignée de personnes, à peine, qui ont ruiné le Ruanda.

Banyaruanda : aidez-nous à faire régner à nouveau la paix au Ruanda, pour que le Ruanda marche progressivement, avec notre Mwami, vers la Démocratie dépouillée de toute trahison, et sans verser inutilement le sang de nos enfants.

Nous terminons en demandant au Mwami et au Gouvernement, des sanctions extrêmes pour tous ceux qui se sont rendus coupables de crimes récents : bahutu, comme batutsi, pris en flagrant délit. Ils doivent être impitoyablement punis dans toute la mesure de leur culpabilité : sans nulle référence ni à leur clan, ni à leur profession, ni à leur appartenance à tel ou tel parti politique, afin d’éviter à jamais le retour de pareils crimes au Ruanda.

Celui qui trahit le Ruanda, n’a pas droit de figurer parmi les enfants du Pays !

Kigali, le 15 novembre 1959,

Le Comité du « Rader ».

BWANAKWERI Prosper (Kibuye), MUGUNGA Pierre (Gitarama), NDAZARO Lazare (Kigali),

KAREKEZI Alexis (Kigali), RWIGEMERA Etienne (Byumba), KANUNI (Shangugu), SHAMUKIGA Daniel (Kibuye), NTORANYI Chrysologue (Kigali), RWEMALIKA Jean (Kigali), NKUNDABAGENZI Bonaventure (Shangugu), KANYAMIKARA Léonidas (Kigali).

 

Au début du mois de décembre, les Partis rwandais, Parmehutu, Aprosoma et Rader, adressaient un message au Pape dans lequel ils rendaient hommage à Mgr A. Perraudin.

Message au Pape

Le congrès, conjoint des comités nationaux des partis démocrates ruandais, appelés Parti de l’Emancipation hutu (Parmehutu), Association pour la Promotion de la Masse (Aprosoma) et le Rassemblement Démocratique Ruandais (Rader), a adressé au Pape Jean XXIII un message, dans lequel il proteste énergiquement contre la campagne diffamatoire, prélude d’une persécution sanglante, ouverte contre Son Excellence Mgr Perraudin, et tout le clergé missionnaire, par le parti totalitaire dit Union Nationale Ruandaise (U.N.A.R.). Le congrès déclare solennellement que cet éminent prélat est uniquement victime de son sens de la justice sociale, incompatible avec les visées fantaisistes de l’U.N.A.R., tendant à maintenir le régime oligarchique en vigueur et à monopoliser en sa faveur le patriotisme, les fonctions publiques et l’enseignement, tout en brisant la liberté de conscience et tous les droits imprescriptibles de la personne humaine.

Le congrès réaffirme l’attachement du peuple ruandais aux principes de la civilisation chrétienne. Il rend un hommage reconnaissant à l’œuvre missionnaire accomplie dans le pays et tout spécialement à l’évêque, injustement persécuté par les autorités féodales enrôlées dans l’U.N.A.R. Il s’incline respectueusement devant Sa Sainteté le Pape.

(Signé) KAYIBANDA (Parmehutu), MUNYAN GAJU (Aprosoma), BWANAKWERI (Rader).