Rappots Entre Imana, Les Vivants Et Les Bazimu.
1. De la nature du muzimu.
Les Banyarwanda ne manquent pas d’esprit d’observation, ni de bons sens. Ils ont su voir que dans le corps humain (Le corps se dit umubirii. Le cadavre, umuramboo, ou intumbi quand, par suite de son état de décomposition avancée, il est déjà quelque peu gonflé)
il y a quelque chose de plus que simplement la vie et la santé (La vie se dit : Ubugingo
Ubuzima signifie plus spécialement la santé, la bonne santé.
Amagara (sing. igara), dont le premier sens est la force, désigne la vigueur physique
Etre en vie se dit : kubaho = être là, exister, demeurer ; d’où kuba muzima être en bonne santé
Demande-t-on à quelqu’un si un tel est encore vivant, il répond :
—qu’il est mort — Yarapfuye (du verbe gupfa)
Yaraciye (du verbe guca = être passé)
—ou bien : « Ariho = Il est là, il est en vie, (du verbe kubaho)
« Araho = Il va bien » (autre forme du verbe kubaho)
« Ni muzima = Il est en bonne santé, bien portant »
« Ari ho kandi ni muzima = Il est en vie et il se porte bien ») ;
quelque chose qu’ils ne savent pas définir et qui fait que chaque homme a son propre caractère, son tempérament, son comportement indivi-duel, personnel, qui le distingue de ses semblables. Ce quelque chose ils l’ont appelé igicucu.
Des expressions populaires expriment l’idée qu’ils se font de cet igicucu:
«Ni jye ku giti cyanjye: C’est moi (et non pas un autre) sur mon piédestal (igiti signifie couramment arbre) ».
«Nta winjira mu mutima w’undi: Personne ne peut pénétrer dans le coeur d’un autre », en d’autres mots : Le fond de l’homme est impénétrable et tout-à-fait personnel ».
Et encore : « A kami k’ umuntu ni umutima we: Le petit roi d’un homme, c’est son coeur ». C’est ce moi, ce coeur, ce petit roi d’un homme qu’ils appellent igicucu et qui, lors du décès d’un individu, s’évade de son corps et devient muzimu (Le terme umuzimu dérive soit du verbe kuzima, soit de l’adjectif nzima.
S’il dérive du verbe kuzima, on pourrait le traduire : « Celui qui s’est éteint, Celui qui a disparu ■>, puisque kuzima signifie : s’éteindre, disparaître et kuzimira : être éteint, disparu. Ainsi on dit : Le feu s’est éteint = umuriro warazimye et encore : Un tel a disparu = kanaka yarazimiye.
Mais ce sens ne semble pas conforme à l’idée que les Banyarwanda se font des bazimu.
S’il dérive de l’adjectif nzima, il aurait le sens de : Celui qui est bien vivant, car nzima se dit d’un être qui est en bonne santé, bien portant, sain et sauf et c’est, je crois, le sens qu’il faut donner à muzimu.
Le mot ubuzima qui signifie la santé, la bonne santé, peut également se traduire feu éteint, maison sans feu. L’expression kurara ubusa signifie passer la nuit sans feu).
Dans le langage courant le mot igicucu sert à désigner l’ombre que projette un corps quelconque, une pierre, un arbre, aussi bien que le corps humain.
Cette.: ombre physique inconsistante qui, tout en étant visible, reste insaisissable, symbolise pour eux ce « moi » mystérieux et indéfinissable de la personne humaine, cet igicucu qui survit à l’homme terrestre et devient son muzimu.
Dans le même ordre d’idée, c’est sans doute pour la même raison qu’ils qualifient d’igicucu l’enfant dont l’intelligence peu éveillée n’arrive pas a saisir ce que l’on s’efforce en vain de lui faire comprendre : « Ni umwana w’ w’igicucu.
Les Banyarwanda n’ont pas manqué de remarquer que chaque bête aussi possède son caractère, son tempérament propre qui la distingue de ses semblables. Ainsi, parmi leurs vaches, certaines se laissent traire facilement ; d’autres au contraire se montrent plus ou moins rétives et il en est dont il faut se méfier car elles sont méchantes. Ils en ont logiquement conclu que les animaux possèdent une sorte d’igicucu analogue à celui des humains.
« Mais, disent-ils, grande est la différence entre l’un et l’autre. Quand nous tuons un bovin, nous le mangeons et tout est fini pour lui ; il n’en reste rien, sinon ses os que nous jetons et sa peau dont nous habillons nos femmes. Il en est tout autrement de l’homme ; quand il meurt, son ombre (igicucu) sort de lui et disparaît (kirabura, du verbe kubura : manquer, disparaître, s’évanouir) comme celle de l’animal, mais, tandis que celle-ci cesse de vivre et d’exister, celle de l’homme ne peut pas mourir ; elle devient muzimu ». Et si vous demandez comment l’igicucu de l’homme peut survivre quand s’éteint toute sa vie corporelle, le Munyarwanda répond qu’il y a dans l’homme outre la vie du corps, celle de l’intelligence (Afite ubwenge : il a une intelli-gence). Il n’est pas comme les bêtes qui vivent mais qui sont incapables de poser comme lui des actes intelligents (La langue du Munyarwanda (le Kinyarwanda) ne manque pas de termes pour signifier les diverses manifestations de l’intelligence (ubwenge)
Connaître — kumenya, d’ou ubumenyi = la connaissance
Penser = gutekereza, d’ou igitekerezo = la pensée
Parler = kuvuga-kugamba, d’ou ijambo (plur. amagambo) = la parole
Causer = gutolera-kuganira, d’ou ikiganiro = la conversation
Se rappeler -= kwibuka, d’ou urwibutso = le souvenir
Réfléchir = kuzirikana
Inventer = guhimba, etc.
seul l’homme se construit une habitation, cultive, pense ; parle et raisonne avec ses semblables. Cette intelligence, les indigènes la situent dans la tête ; ils disent de l’enfant peu-intelligent qu’il a une tête dure (afite umutwe ukomeye) et de l’homme dont les actions dénotent un manque d’intelligence que c’est un homme sans tête (Umuntu utagira umutwe) ou, ce qui revient au même, qu’il n’a pas d’intelligence (Ni ‘umuntu utazi ubgenge). Un homme particulièrement habile et intelligent est un umuhanga. Des termes possédant la même racine nous permettent de saisir tout ce que celui de umuhanga renferme de sens. Ainsi, igihanga signifie le crâne ; le verbe guhanga: faire apparaître, organiser, fabriquer, créer une chose qui n’existait pas, comme une armée, une fontaine, etc ; actions qui relèvent éminemment de l’intelligence, d’ou le nom de Ruhanga pour désigner le Créateur de toutes choses Imana.
Outre l’intelligence l’homme a une volonté libre, indépendante, personnelle qu’ils appellent ubwende; d’ou l’expression : « Yabigize ku bwende: Il a fait cela volontairement », expression qui correspond à cette autre :