1. Le passage de la vie dans l’au-delà.
Selon la croyance de nombreux peuples, le défunt doit faire un voyage plus ou moins long et périlleux avant d’atteindre le séjour des morts ; il peutpeut donc avoir besoin de vivres, d’armes et même de serviteurs.
Dans plusieurs régions du Congo on laisse volontiers au mort quelquesques objets auxquels il semblait tenir plus particulièrement. C’est ce que l’auteurur a pu constater lui-même dans le cimetière de Byumba ou l’on avait enterré un soldat congolais ; on trouvait sur sa tombe des assiettes, des verres, des bouteilles, etc.
Chez les Banyarwanda il en va d’ordinaire tout autrement ; puisque le cadavre est dépouillé (gucuza) de tous ses vêtements et de tous ces ornements (1), et on ne dépose pas non plus d’ustensiles dans la fosse ou sur la tombe. Du reste, dans les régions hamitisées de longue date les morts ne sont même pas enterrés ; on les abandonne en des lieux quelque peu écartés. Il y a ce-pendant des exceptions. Ainsi l’auteur se souvient d’avoir présidé à Rambura dans la province du Bushiru (Au Bushiru, il n’est arrivé un jour d’entrer dans une habitation ou une mère venait d’expirer. Sur un van (intara) étaient rassemblés sa ceinture, ses colliers, ses bracelets et aussi son inkanda ou peau de vache dont se revêtent les femmes ; bref, tout ce qui pouvait être encore d’une certaine utilité pour les survivants. Tous ces objets ne sont nullement conservés comme des souvenirs d’une personne aimée. aux obsèques d’une jeune fille chrétienne dont les parents, des païens, lui avaient laissé ses nombreux colliers de perles. A Rulindo, sur les confins du Bumbogo et du Buliza, on nous avait apporté à la Mission la dépouille d’un évolué Muhutu ; ses proches avaient cru opportun de le revêtir de son complet européen sans oublier les lunettes dont il aimait de se parer. Des faits de ce genre se reproduisent peut-être plus fréquemment qu’on ne le pense, mais ils sont difficilement contrôlables étant donné que les morts sont transportés à la Mission entièrement enveloppés dans une natte.

Quant aux provisions de route fournies au défunt, elles semblent ignorées des Banya-Rwanda.
Des auteurs ont écrit que le sort des bazimu est lié plus ou moins étroitement à la manière dont leur cadavre est traité, mais, au Rwanda, il en va plutôt du sort des survivants et plus particulièrement de celui des parents du défunt. En tout, cas les obsèques sont toujours une affaire importante exigeant des pratiques que l’on ne peut mettre sous peine de s’exposer à la vengeance du mort. Ainsi, pour n’en citer qu’une, il faut à tout prix imposer à son corps la position accroupie (Gupfunya : rapetisser le corps).

Aux yeux des Banyarwanda, c’est une honte que d’expirer allongé ( guhwera indambya), car ce serait un signe que le défunt a été abandonné par les siens à ses derniers moments. Ils sont convaincus que son muzimu s’en montrerait très courroucé et viendrait certainement punir ceux qui auraient manqué de lui rendre cet ultime devoir. D’où la grande peur qu’ils ont de voir un des leurs mourir seul et au loin chez des étrangers ou même dans un hôpital.
Ce n’est pas le cadavre lui-même qu’ils redoutent ; lorsqu’ils le transportent pour l’enterrer ou l’abandonner dans un lieu écarté, ils rient et le plaisantent volontiers sur son poids, son odeur, etc. Et, s’ils ont hâte de s’en débarrasser, c’est parce qu’il leur est interdit de rien manger tant qu’il est dans la hutte et surtout parce qu’il pourrait éclater (Guturika : crever) ; ce qui serait une abo-mination (Ishyano ritavugwa : une calamité qui ne peut se dire tant elle est épouvantable) que le muzimu ne laisserait pas impunie. Ce qu’ils craignent donc, c’est le muzimu ; le cadavre, lui, n’est plus rien ; qu’il soit enterré ou jeté dans la brousse, dévoré par les fauves ou rongé par les vers, cela n’a aucune importance et n’intéresse ni les vivants, ni le mort.

Le P. ARNOUX raconte ce trait qui concerne notre sujet.
Ndagano (Ndagano était le plus en vogue des pluviateurs.I1 habitait le Bukunzi, petite région située non loin de la Mission de Rulindo. Ses sujets au nombre d’environ 15.000 ou 16.000 lui donnaient le nom de roi (umwami). A part quelques intimes qui ne le quittaient pas, il ne se montrait à personne, surtout pas aux étrangers, dans le but sans doute de se donner plus de prestige. Il n’est pas un grand chef qui ne recourait à ses bons offices, y compris le roi), le roi de la pluie, de très grande re-nommée, mourait au printemps de 1923 (30 mars). Lui disparu, la pluie allait-elle manquer ? Pour prévenir cette catastrophe on ne trouva rien de mieux que de lui donner trois serviteurs pour l’accompagner dans l’autre monde. Un de ses intimes, Shirakera, autrefois son repré-sentant chez Musinga, le roi, était tout désigné. On le saisit et d’un coup de poignard le fils du pluviateur le tue. Mais les individus désignés pour transporter le cadavre de Ndagano à sa dernière demeure affectent de ne pas pouvoir soulever le hamac. Ndagano refuse de partir ! C’est donc qu’il désire d’autres compagnons. On les lui donne, un deuxième, puis un troisième. Alors seulement Ndagano, cessant toute résistance, se laisse emporter dans la forêt (Dans certaines régions les personnages de marque, comme les Bahinza ou chefs de clans Bahutu, étaient enterrés à l’instar des rois hamites dans des bois sacrés (ibigabiro-imisezero). Ceux de la région de Byumba étaient transportés à Kivuye, colline qui surplombe le Rugezi, immense marais qui s’étend à perte de vue entre des sommets qui dépassent les 2.000 ni d’altitude. Quant aux faiseurs de pluies et autres magiciens de renom, ils étaient fréquemment enterrés dans leur propre hutte ou dans celle de l’un de leurs serviteurs).
Le P. PAGÈS écrit de son côté que, lorsque le roi venait à mourir, on tuait séance tenante deux Batutsi de haute lignée pour l’accompagner et le servir dans le monde des bazimu. A l’occasion du décès de la mère du monarque, on immolait aussi deux princesses.

2. Réincarnation.
La survivance des bazimu est admise par tous les Banyarwanda indistinctement, mais leur réincarnation serait le privilège des seuls rois hamites.

Un roi venait-il à mourir, on transportait sa dépouille dans un des bois sacrés (Bois sacrés en ce sens qu’il était interdit aux profanes d’y pénétrer) réservés par la tradition aux sépultures royales. On y construisait une grande hutte précédée d’une cour dans laquelle son cadavre était enseveli après avoir été boucané par des spécialistes appelés abanyamugogo, littér. hommes de la bûche (2)Ce surnom leur était donné sans doute parce que la coutume exigeait qu’on fasse brûler une bûche d’Erythrina pendant 3 ou 4 jours lors du décès d’un individu).
Le corps était placé sur une claie sous laquelle ces per-sonnages entretenaient un feu de jour et de nuit jusqu’au moment où, selon la crédulité populaire, un petit ver lui sortait de la main droite. On procédait alors à l’enterrement. On creusait au milieu de la case une fosse au fond de laquelle on aménageait un lit d’herbes sur lequel était déposé le monarque et on le recouvrait de peaux de lions, de léopards, d’antilopes et sous des nattes fines tressées en herbes lacustres (ibirago by’ibisunyu). Après quoi, on comblait la fosse.

Pour empêcher une profanation toujours possible, les banyamugogo y demeuraient pendant les quatre mois que durait le deuil royal. Avant de quitter le mausolée, ils avaient soin de barricader l’entrée de la case et de sa cour avec des branches.
Quant au ver, il était mis dans un petit pot en bois (inkongoro — fig. 24) rempli de lait. Comme il s’y développait rapidement, il était transféré successivement dans des récipients de plus en plus grands, l’icyansi et l’igicuba (L’inkongoro sert à boire le lait ; l’icyansi à traire les vaches. L’igicuba, beaucoup plus grand, à déverser le lait de plusieurs ibyansi). Peu à peu des poils jaunâtres apparaissaient sur tout le corps et il lui poussait quatre pattes ! Toujours gavé de lait, il prenait de telles proportions qu’il fallait le loger dans un tronc d’arbre évidé (Umuvure) (On se sert habituellement de l’umuvure pour brasser les bananes en vue de la fabrication de la bière) ou il ne tardait pas à se transformer en léopard qu’on devait nourrir non plus avec du lait mais de la viande. Et comme il se montrait impatient de conquérir sa liberté, on l’attachait d’abord avec un lien fait d’écorce de bananiers, puis avec un autre plus solide tiré de l’écorce du ficus ; enfin, avec un fil de fer envoyé de la capitale du royaume.

Cependant, comme il devenait de jour en jour plus menaçant et qu’il lui arrivait de blesser ses gardiens, leur situation s’avérait plus en plus critique et les estafettes se multipliaient pour en avertir le monarque qui finissait par accorder l’autorisation de lui donner la clef des champs.
Ce qui explique sans doute la croyance du populaire à cette fable, c’est le fait que ces bois sacrés, interdits aux profanes, étaient un repaire idéal pour les léopards. D’autre part, comme cet animal est le totem des rois du Rwanda, sa peau lui était réservée. En tuait-on un, il était écorché séance tenante, la peau était étendue sur place pour la faire sécher et des gardiens montaient la garde jour et nuit, car elle était propriété du souverain à qui elle était ensuite expédiée.

3. La résidence des bazimu.

Que le corps ait été enterré ou dévoré par les bêtes (Dans les régions hamitisées de longue date, les morts sont habituellement abandonnés dans des lieux écartés où ils deviennent la proie des fauves et des vautours. Dans les autres, ils sont ordinairement enterrés), consumé par le feu, emporté par le torrent (Chaque année des enfants surtout trouvent la mort en voulant traverser des cours d’eau subitement gonflés par les pluies torrentielles de la grande saison des pluies (urushyana).
, abandonné dans un marais„ déposé dans une caverne ou précipité dans un trou (Au Bugoyi, les cadavres sont parfois déposés et même précipités dans des galeries ou des trous formés par la lave ; il est difficile en effet de creuser des fosses dans cette région recouverte de lave), son muzimu demeure, mais où ?

Quelqu’un est-il mort, les Banyarwanda disent volontiers qu’il est parti, qu’il s’en est retourné chez lui à la maison (yaratashye), ou encore qu’il a répondu à l’appel d’Imana (Yitabye) car, comme le dit le dicton, nous devrons tous répondre à cet appel, lorsqu’il nous appellera (Twese tuzagomba kwitaba, Imana iduhamagaye). On les entend dire également qu’Imana est venu le voler (Yaramwibye). Or, pour répondre à l’appel de quelqu’un il faut le rencontrer ; quant à voler, on ne vole habituellement quelque chose que pour se l’appro-prier. Mais où Imana a-t-il fixé sa demeure ? Ntaho Imana itaba: Il n’y a pas de lieu ou Imana ne soit pas ; aba hose: il est partout ; il est celui qui se promène en bas (sur la terre) et en haut (dans l’espace) : Nyamugen-dera hasi no hejuru. Cependant, bien qu’il occupe ses journées à parcourir le monde, il revient tous les soirs au Rwanda, son pays de prédilection, pour y passer la nuit (Yirirwa handi, igataha mu Rwanda). Et pourtant les Banyarwanda ne disent jamais que les bazirnu sont appelés par Imana pour demeurer avec lui. Dès lors, où serait donc leur résidence d’outre-tombe ? Ils ne savent trop que répondre et se contentent parfois de dire qu’ils sont quelque part sous terre (bari mu kuzimu, littéralement, ils sont en bas).
Comme les termes muzimu et kuzimu ont la même racine, kuzimu pourrait se traduire la résidence des bazimu et l’imprécation usitée : « Ndakajya mu ikuzimu signifierait : « Que je descende au séjour des morts ».
Mais qu’elle est l’idée que le Munyarwanda se fait de ce séjour des morts ? Il est assez difficile de le dire car nombreux sont ceux qui avouent qu’ils ignorent absolument tout de l’au-delà, puisque jamais un trépassé n’est venu leur en parler. Cependant, à en juger d’après ce que disent quelques Bahutu, l’idée qu’ils en avaient jadis et que beaucoup partagent encore de nos jours correspond assez bien à celle qu’en avaient les Hébreux d’antan : on meurt et on est réuni, sans distinction des bons et des mauvais, dans le royaume des ombres du Schéol, avec des pères, où l’on mène, comme une ombre sans force, une survie morne, dont il n’est pas dit où elle doit aboutir, ni combien de temps elle durera. C’est en vain que l’on chercherait des précisions fermes ; tout ce qu’on peut dire est ceci : on parle non seulement de la descente dans la fosse (Schéol, Hadès : Gen. XXXVII, 35 ; XLII, 48; XLIV, 29, etc), mais encore de la réunions avec les pères (Gen. XV, 15, XXV, 8 ; XXXV, 29 ; XLIX, 32).

Sans doute, comme nous le dirons plus loin, les affiliés du culte de Lyangombe parlent d’une sorte de paradis et d’enfer situés sur les volcans, mais ce culte est d’im-portation hamite et beaucoup d’indigènes n’ajoutent qu’une foi très relative aux croyances qui s’y rattachent. En tout cas la seule chose à laquelle ils croient tous fermement, c’est à la survivance du muzinzu de chaque être humain.
Ce quelque part sous terre (mu kuzimu) mentionné plus haut, ne serait-ce pas les tombes (imva) ? Il semble bien que non puisque jadis beaucoup de cadavres n’é-taient pas enterrés. Il est vrai toutefois que les indigènes évitent de passer à proximité des tombes et des endroits écartés où l’on abandonnait les corps, mais ce n’était pas toujours le cas puisque dans certaines régions, comme au Bushiru, au Buhoma, etc, les morts étaient habituellement ensevelis dans l’enceinte même de l’habitation ou les survivants continuaient de vaquer à leurs occupations (Au Bushiru, l’auteur a vu un effet qu’on enterrait un père de famille sous l’entrée de sa case et une mère derrière l’un des greniers à vivres dans la cour qui précède la hutte

D’autre part, les pratiques mêmes du culte des bazimu en usage au Rwanda manifestent que les BanyaRwanda croient que les bazimu séjournent, du moins un certain temps, dans les lieux qu’ils ont habités de leur vivant et qu’ils affectionnent tout particulièrement de se tenir à l’ombre des édicules construits en leur honneur ; c’est d’ailleurs devant ces chapelles domestiques (indaro, plur. amararo) que les proches-parents viennent leurs adresser des suppliques et leur présenter des offrandes. Quant aux tombes, là où il y en a, on ne s’en occupe jamais et jamais non plus on y dépose des offrandes.
Il existe également des endroits qui, autrefois habités, sont devenus déserts parce que des bazimu malfaisants seraient venus y élire domicile. Personne n’ose plus y bâtir une demeure, ni même s’en approcher de trop près (1)C’est au Ndorwa, non loin de la Mission actuelle de Rushaki, que des indigènes crurent prudent d’avertir l’auteur de ne pas y dresser sa tente parce que l’endroit était hanté par des bazimit. C’était un joli promontoire qui s’élevait au fond d’une profonde vallée et dont le sommet était couronné par quelques ficus, vestiges d’habitations abandonnées. Plus tard, la Mission ne trouva rien de mieux que d’y bâtir une chapelle-école).

En outre, les indigènes font mention de bazimu qui, abandonnés de leur famille, ou n’en ayant plus parce qu’ils sont morts sans laisser de descendance (D’où la crainte des BanyaRwanda de mourir sans laisser de descendance mâle et le grand désir qu’ils ont tous d’avoir au moins un garçon), se réfugient et se cachent dans l’habitation d’un voisin qu’ils poursuivent sans relâche, furieux qu’ils sont d’être ainsi délaissés ; cependant des magiciens spécialistes parviennent non seulement à les en déloger mais encore à les « capter » et mieux à les enfermer dans des trous dont ils ne pourront plus s’échapper !

Enfin, il arrive qu’un muzimu entre en possession d’un vivant et lui inflige toutes sortes de maladies. Dans ce cas, comme dans le précédent, on a recours à des sorciers exorcistes.
Cependant il semble bien que ce séjour des bazimu sur terre parmi les vivants ne serait que passager. On remarque en effet que, dans le culte que les Banya-Rwanda rendent à leurs défunts, ils ne remontent pas habituelle-ment au delà de la troisième ou quatrième génération ; après quoi le souvenir du mort sombre le plus souvent dans le plus total oubli ; on dirait qu’ils ne le craignent plus puisqu’il ne s’en occupent plus. De cette constatation, on pourrait conclure que les bazimu n’iraient se fixer au kuzimu, séjour définitif des trépassés, qu’après avoir passé un certain temps dans les lieux où ils ont vécu. Certains disent que si les bazimu ne meurent pas, ils vieillissent cependant jusqu’à ne plus avoir la force de venir troubler les vivants !
Mais encore une fois, sur ce séjour définitif des morts, on ne peut obtenir aucune précision, aucun détail, sinon ceux que fournit le culte de Lyangombe, d’origine hamite, et qui assigne aux bazimu une résidence sur trois des volcans qui se dressent au nord du Rwanda, à savoir, le Muhabura, le Karisimbi et le Nyiragongo. Tout mortel qui se risquerait à gravir les pentes de ces volcans passerait instantanément de vie à trépas, d’où la grande crainte qu’éprou-vent les Banyarwanda de s’en approcher (Cette crainte explique en partie la difficulté qu’avaient les explorateurs de ces sommets pour trouver des porteurs qui voulussent les y accompagner).
Cependant ce n’est pas indifféremment qu’ils vont s’établir sur l’un ou l’autre de ces volcans. Dès que la mort a fait son oeuvre, le muzimu du défunt subit un jugement réservé à Binego, fils de Lyangombe (Connue on le dira au chapitre qui traite de son culte, Lyangombe aurait vécu jadis au Rwanda et fut tué par un buffle. D’autres personnages partagent avec lui les honneurs de son culte : Binego, son fils — Mugasa, son gendre — Muzana, une servante, etc. Ce sont les Imandwa ). S’il est reconnu au moins initié à la secte, il est admis incontinent à jouir de la félicite que le roi des Imandwa et des bazimu accorde à ses affiliés sur le Muhabura et le K arisimbi.Cette félicité va d’abord et avant tout à la satisfaction d’appétits matériels : boire et fumer : Lyangombe leur fournit à discrétion du tabac
(le tabac que fument les bienheureux serait la feuille du Lobelia qui pousse sur le versant du volcan) et d la bière de bananes ; il les invite à s’abreuver à sa cruche, intango ya Lyangombe (Intango est le nom donné à la cruche de grandes dimensions dont on se sert habituellement pour offrir de la bière à l’occasion d’une rejouissance, comme l’est un mariage), qui n’est autre chose que le cratère du Muhabura toujours rempli d’eau, eau qulifiée de vin de Lyangombe (inzoga ya Lyangombe).
Dans cet Eden, les enfants retrouvent leurs parents, le mari son épouse (ou ses épouses), le serviteur son maître ; chacun y occupe son rang et continue d’y remplir d’une certaine façon le rôle qui était le sien parmi les vivants ; c’est pourquoi ceux-ci s’intéressent tout particulièrement à ceux de leurs ancêtres qui jouissaient dans la famille d’une place prépondérante. Chacun s’y adonne également à sa profession terrestre de pasteur, de cultivateur, de potier, de forgeron, etc. Aucune mention n’est faite de maladies ; les bazimu d’ailleurs ne meurent pas, ce qui ne les empêche cependant pas de grandir et de vieillir (Dans tout cela que de contradictions ! Puisque les bazimu n’ont pas de corps il est logique que la maladie et la mort n’aient pas de prise sur eux, mais comment se fait-il alors qu’ils grandissent ? Et pourquoi cultiver des champs, etc?)
Mais, comme ces « bienheureux » ont conservé tous leurs défauts humains, la bonne entente ne règne pas toujours parmi eux et ils ont des tribunaux pour juger leurs différends ! En somme, la vie qu’on y mène semble modelée sur celle d’ici-bas (L’idée que les Bahutu, Bantu du Rwanda, avaient du genre de vie des bazimu au kuzimu, avant que ne se répandent dans leur pays les croyances du culte de Lyangombe, devait être sans doute à peu près identique ; c’est d’ailleurs celle que partagent, à notre avis, la plupart des Bantu ; les défunts ont des villages à l’instar des vivants ou ils possèdent des maisons, des champs et du bétail sous l’autorité de leurs chefs de jadis).

On serait tenté de les croire heureux, du moins ceux qui partagent la félicité des élus du grand Lyangombe. Or, tous sans exception manifestent au contraire dans tout leur comportement vis-à-vis des vivants comme un amer regret de ne plus se trouver parmi eux ; c’est à tout moment en effet qu’ils viennent les inquiéter pour se rappeler à leur souvenir et leur quémander quelques témoignages d’attachement. On dirait qu’ils ne peuvent pas se résigner à leur nouvelle condition de vie et qu’il leur faut un certain temps pour s’y accoutumer ; c’est d’ailleurs ce que disent les Banyarwanda : « Barahamenyera », qu’ils finissent cependant par s’y habituer. Ce serait à partir de ce moment que, de l’avis d’un certain nombre d’indigènes, ils cesseraient d’importuner les vivants.

Ce qui surprend, c’est que dans la vie de l’au-delà les plaisirs sexuels ne sont pas mentionnés ; jamais en effet on n’entend dire que les bazimu se marient entre eux, ni qu’ils aient des enfants, mais, chose curieuse, ils viennent, selon leur sexe, solliciter des vivants des épouses ou des époux.
D’autre part, les Banyarwanda n’expriment jamais l’espoir de retrouver par delà la tombe un être aimé comme une mère, une femme, un frère, un fils, et jamais non plus les joies éternelles du paradis de Lyangombe ne les attirent.

La mort est considérée par eux comme la plus grande calamité. Il n’y a pas de bonne mort. « Nta upfa neza». Mourir, c’est quitter le doux pays ou en somme ils vivent heureux. Tous cependant meurent sans trouble, parfaitement résignés (L’auteur a assisté des centaines de moribonds et ne se souvient que d’un seul cas, celui d’une grande jeune fille, se mourant d’une pleurésie, qui lui disait anxieuse : « Mais, Père, je ne veux pas mourir ).
Mais revenons au jugement des trépassés (On pourrait se demander si Imana n’intervient jamais dans ce jugement ?). Quand l’identité du nouveau venu n’a pu être établie d’emblée, il est soumis à une terrible épreuve qui consiste à passer rapidement et sans broncher sur une longue poutre étroite et glissante. La moindre hésitation, le plus petit mouvement désordonné sont des signes non équivoques qu’il n’est pas un adepte de Lyangombe et sur le champ il est condamné au feu du Nyiragongo. Aidé des autres Imandwa, Binego l’y chasse à coups de bâtons et de pierres. L’arrêt est irrévocable ; aucun pardon n’est à espérer.

Ce volcan est toujours en activité ; le jour il s’en échappe une traînée de fumée et, la nuit, on aperçoit une lueur rouge qui couvre son large cratère. C’est ce qui fait dire aux indigènes que les bazimu qui s’y trouvent sont plongés dans le feu et qu’ils ne cessent de se disputer entre eux en se jetant les uns sur les autres des braises ardentes. Parfois, ajoutent-ils, ces malheureux se lèvent en masse pour forcer la sortie de cet enfer, mais les Imandwa qui font bonne garde les refoulent sans pitié ; ce seraient ces soulèvements qui provoqueraient les tremblements de terre assez fréquents dans ces régions volcaniques. Bref, initié, on est sauvé ; profane on est condamné sans merci. Dans ce jugement n’entrent nullement en ligne de compte les bonnes et mauvaises actions ordinaires ; d’ailleurs la pensée de ce paradis ou de cet enfer ne préoccupe pas beaucoup les Banyarwanda étant donné que le grand nombre n’y croient pas (Ce qui n’a rien de surprenant puisque ce culte est d’importation hamite) ; en réalité, ils n’en savent absolument rien comme ils le répètent volontiers à ceux qui les interrogent à ce sujet.
Il faut donc chercher ailleurs les raisons qui les poussent à s’initier à ce culte. On peut dire avec le P. ARNOUX qu’elles sont d’ordre exclusivement temporel : obéir à l’injonction d’un devin afin de prévenir ou de guérir une maladie, s’assurer les biens de la terre, obtenir le succès d’une démarche, d’un procès, etc.