A. Il importe d’abord de distinguer deux catégories de bazimu: ceux qui, de leur vivant, étaient affiliés au Kubandwa, culte de Lyangombe, et ceux qui ne l’étaient pas.

I) A la première catégorie appartiennent :
1. Les bazimu b’inzingo (sing. umuzimu w’uruzingo) c. à d. les simples initiés (kwatura: s’initier au culte de Lyangombe) (Uruzingo du verbe Kuzinga = s’enrouler, se lier.., au culte de Lyangombe).
2. Les bazimu b’imandwa (sing. umuzimu w’imandwa) c. à d. les confirmés (abasubiye ku ntebe: ceux qui sont retournés sur le siège). Mais il ne faut pas confondre ces derniers avec les grands Imandwa qui partagent avec Lyangombe les honneurs du kubandwa, tels Binego, son fils ; Mugasa, son gendre ; Serwakira, son vacher ; etc, qui sont des bazimu de qualité et de dignité supérieures.

II) Quant aux bazimu de la seconde catégorie, ils sont considérés comme des profanes appelés abazimu b’inzigo (au sing. on dit parfois umuzigo) (Umuzigo, sens : celui qui n’a pas rempli son devoir parce qu’il ne s’est pas fait initier).
Parmi eux, on distingue les ibitsiro (réfractaires) c. à d. ceux qui refusèrent obstinément de se laisser initier (Igitsiro. Ce terme sert à désigner un malade qui est tellement abattu qu’il refuse de parler à ceux qui viennent le visiter).

Aucun de ces non-affiliés ne seraient admis dans le paradis de Lyangombe ; ils seraient tous relégués dans le cratère du volcan Nyiragongo toujours en activité où ils passent leur temps à souffrir et à se disputer entre eux.

B. Une autre distinction non moins importante doit être faite entre les bazimu apparentés à une famille et ceux qui lui sont étrangers, car chaque famille ne s’intéresse en principe qu’aux bazimu qui lui sont unis par le lien du sang et qu’on appelle abazimu b’umuryango : les bazimu de la famille. Seuls ces bazimu font l’objet d’un culte quotidien et proprement familial. C’est pourquoi nous leur donnons le nom de bazimu familiaux ou domestiques (On peut ranger parmi eux les frères de sang (Abanywanyi).

Quant aux autres bazimu, les indengamuryango : ceux qui ne font pas partie de la famille (du verbe kurenga: dépasser, être en dehors et du substantif umuryango : famille, parenté), nul ne s’en occupe, sauf le cas où le devin leur imputerait quelque méfait.
Dans tous les cas, qu’ils soient ou non membres de la famille, on tiendra compte du fait qu’ils sont ou non des adeptes du culte de Lyangombe.

1. Les bazimu familiaux.
Abazimu b’abakurambere, ou simplement Abakurambere.
Parmi les bazimu familiaux ceux qu’on appelle Abakurambere jouent un rôle de premier plan. Ce terme signifie littéralement ceux qui ont grandi avant (du verbe gukura: grandir-pousser et mbere: avant). Dans le langage courant, on donne le nom de bakuru à ceux qui en raison de leur âge ou de la position qu’ils occupent dans la famille ou le clan méritent un respect et une considération particulière ; nous dirions les « anciens ».
On range dans cette catégorie non seulement les bazimu des ascendants directs, comme les pères et mères, les grands-pères et les grands-mères, mais aussi ceux des oncles et tantes paternelles ainsi que ceux des frères et soeurs. Il s’agit donc des principaux mânes qu’honore une famille.
Sans doute tous les bazimu familiaux sont, en soi, bienfaisants, mais plus que cela les abakurambere sont regardés comme des protecteurs de la famille. En réalité cependant, il n’y a pas de bazimu auxquels on reconnaisse une bonté absolue positive. On dira donc d’un muzimu qu’il est bon parce qu’il n’attaque pas ou parce qu’il ne se montre pas trop exigeant.
Umuzimu w’Umukurambere. C’est à dessein que j’écris Umukurambere avec un U majuscule car, parmi les bazintu b’abakurambere, ce muzimu occupe une place prépondérante.
Qui est-il ? C’est celui que le devin a désigné pour être le titulaire par excellence d’un foyer. Habituellement c’est le muzimu du grand-père (sekuru) ou de l’arrière grand-père (sekuruza). On lui donne les surnoms de Nyirigicumbi: le maître du logis; Umurinzi w’urugo : le gardien et protecteur de l’habitation ; Umuzimu w’i-jabiro: le muzimu du foyer principal. Il a priorité sur tous les bazimu qu’honore la famille et est censé avoir autorité sur eux comme un chef sur ses sujets. Sans doute il pourra à l’occasion les exciter à frapper, mais, en principe, il a surtout et avant tout pour rôle de réprimer leurs desseins pervers (En principe il n’a rien à dire aux bazimu qui sont étrangers à la famille).

Cependant il est à remarquer qu’habituellement il ne leur intimera ses ordres et ses volontés que par l’intermédiaire d’un autre muzimu, le muzimu w’igisonga qui est son lieutenant, son intendant, son homme d’affaire comme l’indique le terme igisonga. Étant donné qu’il est le chef des bazimu qu’on vénère dans une famille, on ne manquera pas, comme il convient, quand on fait une offrande à l’un ou l’autre d’entre eux, de lui en présenter une part. D’autre part, lorsque l’on fait un sacrifice en son honneur, on n’oubliera pas non plus d’apporter quelques lambeaux de viande dans les édicules des autres bazimu familiaux en leur disant par exemple : « Ni shebuja ubagaburira : C’est votre Patron qui vous nourrit ».
Parfois cependant, on se contentera de ne présenter qu’à lui seul une offrande dans le but évidemment de gagner ses bonnes grâces afin qu’il empêche les autres bazimu de nuire ; d’où l’expression : « Twamugabisha abandi: Nous lui avons donné un cadeau pour les autres ».
Umuzimu w’igisonga cy’umukurambere: Le muzimu, intendant du Mukurambere (igisonga, du verbe Gusongora qui signifie tailler en pointe.
Isonga = pointe, extrémité du doigt, d’un fer de lance, d’une corne. Umusonga = douleur vive, rhumatisme.
Tous les chefs du Rwanda ont à leur service un certain nombre de ces bisonga qui transmettent leurs ordres et veillent à leur exécution).
Comme il a déjà été dit, le Mukurambere, à l’instar d’un chef n’intime habituellement ses volontés aux autres bazimu familiaux que par l’intermédiaire de ce lieutenant.
Si le Mukurambere est d’ordinaire le muzimu du grand-père ou de l’arrière grand-père, celui du gisonga sera, selon les cas, celui du père ou du grand-père et parfois celui d’un oncle ou d’un grand-oncle paternel.
On lui construit un édicule dans le gikari, enclos situé derrière la hutte, parmi les autres édicules dédiés aux bazimu domestiques, mais, comme il s’agit d’un personnage important, le sien est souvent plus grand et mieux entretenu.
Il peut se faire qu’un beau jour le devin consulté pour l’une ou l’autre raison engage son client à prendre une seconde femme en l’honneur de ce muzimu w’igisonga. S’il le fait ( En règle générale il commencera par lui promettre cette épouse à condition d’obtenir l’objet de sa requête, à savoir, par exemple, la guérison de son enfant), cette femme deviendra par le fait même son épouse mystique et la hutte qu’elle habite son indaro où désormais lui seront offertes les offrandes qui lui sont destinées.

Umuzimu w’ingabwa. Le muzimu « porte-chance ».
Il ne faut pas confondre ce muzimu porte-chance, lui aussi protecteur d’un individu, avec le Mukurambere. Le muzintu w’ingabwa en effet peut être choisi par un jeune homme dans le seul but d’être protégé et aidé par lui dans ses entreprises ; mais il arrive assez fréquemment que, lors de ses fiançailles, il le choisisse également comme titulaire du foyer qu’il a l’intention de fonder et dans ce cas, ce muzimu w’ingabwa devient évidemment son muzimu w’Umukurambere.

Le muzimu des parents (ababyeyi), père et mère:
Aussi longtemps que l’un est en vie, on fait les offrandes au disparu dans la hutte du conjoint survivant. On ne leur construit un indaro, un seul pour les deux, que lorsqu’ils sont morts tous les deux ; alors, quand on présente une offrande à l’un, on n’omettra jamais d’en présenter une également à l’autre afin d’éviter les jalousies !

Le muzimu w’umugwagasi:
C’est le muzimu de celui qui est mort (kugwa: tomber) dans un endroit écarté (gasi), par exemple sur le bord d’un sentier au cours d’un voyage, et à qui, de ce fait, les siens n’ont pas pu rendre les derniers devoirs.
L’étranger de passage se contentera de jeter sur le cadavre une poignée d’herbes, voire même une pierre, tout en détournant la tête et, quand l’odeur de la décomposition aura rendu l’air insupportable, il fera tout bonnement un petit détour pour l’éviter.
On comprend qu’un tel muzimu soit craint. L’est surtout le muzimu d’un parent qui, vivant en brouille avec sa famille, est mort dans ces conditions avant de s’être réconcilié avec elle.
D’où la peur qu’éprouvent les Banyarwanda, non seulement de donner l’hospitalité à un malade étranger qui pourrait mourir chez eux, mais aussi de voir mourir un des leurs dans les hôpitaux où ils sont soignés pourtant avec beaucoup de dévouement. Étant à la Mission de Rambura, au Bushiru, l’auteur avait envoyé à l’hôpital de Ruhengeri une jeune fille très chrétienne dont les parents étaient païens. Le médecin qu’il connaissait l’entourait de soins qu’on peut dire paternels et il espérait la sauver. Or, elle n’y était pas de quinze jours, qu’une nuit elle disparut : ses proches, la croyant au plus mal, étaient venus la ravir sans mot dire. Ce fut sa mort, mais ses parents se montrèrent très rassurés de ce qu’elle était morte à la maison !
L’édicule d’un mugwagasi ne se construit jamais dans l’enceinte d’une habitation (urugo) mais à une certaine distance derrière l’enclos (igikari) qui entoure la hutte.

D’autre part, quand on lui sacrifie, par exemple, une chèvre, il est strictement interdit d’en transporter la peau ou la viande dans le rugo et aucun membre de la famille ne peut en manger. Le tout doit être donné, ou vendu à un voisin qui ne peut avoir aucun lien de parenté avec le défunt. Il en serait de même pour la bête offerte au muzimu d’une fille-mère.
Lorsqu’on immole un animal à un mugwagasi, on se sert de l’expression : « Twamu bagiye ya gasi » (Twa: nous, mu : le muzimu en question, bagiye: avons immolé, du verbe kubagira: abattre une bête pour quelqu’un, ya gasi : terme qui indique qu’il s’agit du muzimu de quelqu’un qui est mort seul dans un lieu écarté.

Umuzimu w’ikiburazina : Le muzimu de ce qui n’a pas de nom. Il s’agit du muzimu d’un enfant qui est décédé avant d’avoir reçu un nom.

Umuzimu w’inshike : Est ainsi désigné par le devin l’homme qui est mort sans laisser de descendance mâle. C’est non sans dédain que les Banyarwanda disent de lui qu’il est mort déraciné (yapfuye bucike).
Comme il n’a personne pour l’honorer, ni pour lui construire un indaro, il en est réduit à devoir se réfugier ou il peut, par exemple dans l’enceinte d’une habitation où dans la haie qui entoure un champ. C’est de là qu’irrité d’être délaissé il va frapper au hasard chez ses anciens voisins.

Umuzimu w’uwo yashakiwe : Comme on le dira dans le chapitre qui traite des épouses mystiques des bazimu, il s’agit du muzimu pour lequel une femme a été demandée en mariage et ensuite épousée.

Umuzimu w’inkurura (inkurura, du verbe gukurura qui signifie tirer à soi, attirer). Il s’agit d’un muzimu qui appartient à la famille d’une femme mariée et qui vient frapper par exemple l’un de ses enfants afin qu’elle aille lui offrir un présent chez ses parents où il a son édicule. Il l’attire donc chez elle (aramukurura)

Umuzinut zv’imihari. C’est le muzimu de la femme d’un polygame qui, par esprit de vengeance, s’en prend aux enfants de l’une des concubines de son mari qu’elle jalousait déjà de son vivant. On donne à ces femmes jalouses le nom d’imihari (ishyari signifie jalousie).
Umuzimu w’umuhangarembo. Selon l’abbé INNOCENT, cette expression qui aurait le sens de « celui qui se tient droit dans l’entrée de l’habitation » est employé pour désigner le muzimu d’une jeune fille nubile morte avant d’avoir goûté aux joies de la vie ; c’est pourquoi elle vient solliciter de ses proches un mari.

Umuzimu w’uwo yafatiwe ukuboko, littér. Le muzimu de celui pour qui quelqu’un a été pris par le bras. Voici un exemple. Un père de famille dont l’enfant est malade s’empresse d’aller trouver le devin qui lui dit : .« C’est tel muzimu qui a frappé l’enfant ; ce qu’il veut c’est que tu prennes ton enfant par le bras… » pour le lui présenter en promettant par exemple qu’un jour, lorsqu’il sera grand, il épouse une femme en son honneur.

2. Les dénominations qui vont suivre peuvent s’appliquer aussi bien aux bazimu familiaux qu’aux bazimu étrangers à la famille.

Umuzimu w’inganirizi. Umuganirizi se dit d’un homme qui sait causer agréablement, qui aime de plaisanter dans sa conversation. Il s’agit donc d’un muzimu dont on n’a rien à craindre car, s’il s’est manifesté, c’est tout bonnement pour plaisanter un peu. « N’aie pas peur, dira le mupfumu à celui qui est venu le consulter, puisque tu n’as à faire qu’à un muzimu w’inganirizi ».

Umuzimu w’icyubi. C’est un muzimu qui se tient aux aguets prêt à frapper. Comme il se cache, le devin ne parvient pas toujours à l’identifier. Pour ne pas décourager son client, le mupfumu lui dira : « C’est tel muzimu qui te poursuit, mais il est de connivence avec un autre qui, lui, se tient en embuscade. Sacrifie sans tarder une chèvre au premier afin qu’il arrête le bras de son compagnon qui est déjà levé pour s’abattre sur toi ».

Umuzirnu w’umuryahene. Littér. le muzimu d’un mangeur de chèvre (du verbe kurya: manger et du substantif Ihene: chèvre).
Sont ainsi désignés parfois par le devin les bazimu de ceux qui, de leur vivant, mangeaient la viande de capridés. En principe, on ne peut sacrifier une chèvre qu’à ceux-là. Or, au Rwanda, les Batutsi n’en mangent jamais. Parmi les Bahutu, n’en mange ordinairement que l’élément masculin ; les femmes et surtout les jeunes filles s’en abstiennent de crainte de se voir pousser la barbe au menton ! Quant aux Batwa, ils mangent à peu près toutes les viandes.

Umuzimu w’umuryantama, littér. le muzimu d’un mangeur de moutons (Intama). Au Rwanda, il n’y a, en principe, que les Batwa (Pygmées) qui mangent cette viande méprisée de tous. C’est pourquoi d’ailleurs on les appelle avec dédain : « Les mangeurs de moutons » (Abaryantama). L’auteur connait cependant des Bakiga (montagnards) qui se la préparaient, mais ils avaient soin de ne pas s’en vanter.
Quand donc le devin déclare à son client qu’il est poursuivi par un muzimu w’umuryantama et qu’il lui demande l’immolation d’un mouton qui, en fait, sera presque toujours un jeune bouc, il saura qu’il s’agit, sauf exception, du muzimu d’un Mutwa.

3. Les bazimu étrangers à la famille.
Umuzimu w’indengamuryango. Il s’agit d’un muzimu qui n’est pas de la famille et qui, par conséquent, lui est étranger (indenga-muryango, du verbe kurenga qui signifie dépasser, excéder, être au-delà, être en dehors et du substantif umuryango, la famille). N’étant pas de la parenté, il ne possède pas d’édicule parmi ceux des bazimu familiaux (abe b’umuryango).
Mais il ne lui est pas nécessairement hostile, car il peut être celui d’un ami ou d’un voisin avec qui on vivait en bonne entente. Si donc il vient frapper, c’est pour se rappeler tout simplement au bon souvenir de cette famille amie.

Umuzimu w’inyinjirizi, du verbe kwinjira entrer, pénétrer.
C’est le muzimu d’un étranger, un intrus qui vient frapper dans l’un ou l’autre rugo (habitation) qui voisinait le sien, jaloux qu’il est qu’on y honore mieux les bazimu familiaux qu’on ne le fait chez lui où il est délaissé.
Umuzimu w’indengamurando. Il s’agirait du muzimu de quelqu’un qui, déjà de son vivant, nourrissait à l’égard de ses congénères des sentiments d’envie parce qu’ils étaient plus chanceux que lui. D’un tel muzimu on a tout à craindre évidemment.

Umuzimu w’urwiru. Est ainsi appelé le muzimu du serviteur, grand vacher, et par conséquent homme de confiance d’un Mututsi, riche propriétaire de bêtes à cornes. Il ne faut pas le confondre avec Serwakira, berger de Lyangombe, qu’on honore dans le kubandwa.
Ce muzimu ne s’en prendrait qu’aux vaches de son maître. Tombent-elles malades, le devin consulté en rendra responsable Rwiru : « Ni Rwiru rwaziteye ».. « C’est Rwiru qui les a frappées ». Se battent-elles entre elles, les vachers de s’écrier aussitôt : «Ni Rwiru »: « C’est Rwiru qui les excitent ».
Pour l’apaiser on lui offre plus particulièrement du sang de bovin qui s’obtient en faisant une petite entaille dans une veine du cou ; parfois on se contente de lui présenter la poignée d’herbes (inkuyo) qui a servi à frotter une vache pour la nettoyer.