LA FAMILLE ET LA PARENTELE

  1. Les familles.
  2. La structure de la famille.
  1. Umulyango (famille), au pluriel ImilyAngo (Umulyango, au pluriel Imilyango, ne peut se confondre avec Umulyango (porte, entrée, d’une maison), au pluriel Imilyango, comme certains voudraient le faire. Les mots qui ont le même nombre de lettres peuvent, en langues africaines, différer complètement, en raison de leur tonalité respective. Les principes à suivre ici ne sont donc pas les mêmes que ceux des langues indo-européennes. Si ce phénomène de tonalité propre à la linguistique africaine, pouvait être impunément plié aux caprices de chacun, on aboutirait à des résultats déconcertants. On affirmerait ainsi, par exemple en la langue du Rwanda, quelque parenté d’étymologie entre les termes suivants :

Umusâmbi = la Grue couronnée et Umusàmbi = la petite natte.

Ikirére = le firmament et Ikirêre = la feuille sèche de bananier.

umwênda = la dette et Umweenda = la pièce d’étoffe.

Umuzigo = le fardeau et Umuzigo = le meurtrier d’un parent de quelqu’un.

Umuhoozi = le vengeur et Umuhozi = les sans-clan (sans totem).

Urutoki = le doigt et Urutooki = la bananeraie) ne représente pas le même concept que dans l’aire de la civilisation européenne. Au Rwanda, comme partout ailleurs en Afrique centrale, le foyer (père et mère de famille avec leurs enfants) ne constitue pas une fa-mille ; c’est un élément concourant à former la famille. C’est un aspect qu’il fallait souligner clairement dès l’abord, afin que les descriptions qui vont suivre ne soient pas comprises à l’européenne.

2.Les Milyango sont les groupements en lesquels se subdivise le Bwôko (clan). Par analogie avec les sociétés de culture parallèles à la nôtre, on pourrait également appeler les Milyango sous-clans et phratries. Il est cependant préférable, en cette étude, de maintenir le terme de famille. Cette préférence ne peut probablement pas être prouvée par des arguments irréfutables pour un étranger, car il y a une grosse différence entre savoir seulement, et savoir et sentir à la fois. Ces groupes qui nous occupent, vus de l’extérieur sous le simple angle du savoir, sont sous-clans ou phratries, au choix. Il suffit, en effet, qu’on comprenne la notion que tel auteur avait envisagée. Toutefois, lorsque ces groupes sont examinés de l’intérieur, ils présentent une structure intime, que des termes incolores ne peuvent plus rendre avec exactitude.

3.Donnons tout d’abord le schéma de la famille (Umulyango), afin que nous puissions nous y référer en connaissance de cause Voici un arbre généalogique modèle :

 

MIHIGO:

 

2 Rugero   3 Mushi    4 Mutwa       5 Bugabo     6 Ntwali

1 Rwema {  2               3                4                                      6 Gitera

2               3                4                   5 Rugira      6 Rugema

6 Segatwa

6 Sebashi

2 Mukiga   3 Murashi  4 Rushema   5 Havuga    6 Bagabo

6 Sebushumba

1 Migabo     2               3                4                  5 Ruvugwa  6 Sebatwa

2               3                4                   5 Sembeba  6 Sabuhoro

6 Semahore

 

2 Murema  3 Rugo       4 Mugema    5 Kagoro    Kagabo

6 Gatete

1 Ntama      2                3                 4                 5 Masaka     6 Rugina

6 Njangwe

2                 3                 4                 5 Kajuga       6 Senkware

6 Rutezi

2 Mishako   3 Sesaho    4 Minani     5 Rukore      6 Karama

1 Mwambi   2                 3                4                 5                  6 Kalima

2                 3                4                 5                  6  Semasuka

1 Macumu   2 Muheto    3 Ngabo      4 Nkubito    5 Nkubana   6 Rukina

5 Bugahe      6 Burabyo

1Rukara      2 Rwego       3 Ndanga    4 Kiragi       5 Garuka      6 Sibagire

 

 

Voilà donc un groupe d’hommes, descendant d’un même ancêtre du nom de Mihigo. La table n’est qu’un schéma ; supposons que le groupe totalise en réalité 80 foyers à la sixième génération. Ces 80 foyers forment ensemble une seule et même famille.

  1. A quel clan appartient la famille descendant de Mihigo ? Le groupe se réclame de la bergeronnette comme totem. Les 80 foyers sont donc du clan des Bagesera. Mais à l’intérieur de ce clan existe une pléiade de familles constituées de la même manière. Comment les distinguer entre elles ? La réponse est simple : chaque famille a un ancêtre éponyme, son fondateur. Pour désigner chaque groupe, il suffit de prendre le radical du nom de cet ancêtre, et le faire précéder du déterminatif umu au singulier, qui deviendra aba- au pluriel. De cette façon, le singulier désignera chaque membre du groupe, considéré isolément, tandis que le pluriel servira d’un nom collectif pour signifier la famille en son en-semble. Où est, en ce cas précis, le radical du nom Mihigo? Voici : la première syllabe Mi- est un déterminatif. Le radical est higo, dont la dernière voyelle -o est une simple désinence. On dira donc de chaque membre de la famille qu’il est umu-higo = Umuhigo et de tout le groupe qu’ils sont aba-higo = Abahigo.

5.Notons que ce procédé de désigner les familles a subi une modification que révèle l’histoire de ces organisations. On relève, en effet, deux périodes nettement distinctes, dont la première va de temps immémorial jusqu’au règne de Yuhi II Gahïma II (début du XVIe s.), et la deuxième, du règne de Rugànzu II à nos jours.

 

1° Durant la première période, on désignait la famille comme suit :

  1. a) Le nom de l’ancêtre éponyme restait intact, le déterminatif uni au radical. b) On faisait précéder ce nom du mot ‘ Abéne, composé du radical ene = fils de ; et du déterminatif umu- au singulier, qui devient aba- au pluriel ; le singulier umu-, devant le radical ene commençant par une voyelle, change évidemment le u en w, tandis qu’au pluriel, aba- perd son deuxième a par élision. Ainsi avons-nous : umwene au singulier, et abene (ab’ene) au pluriel. Exemples : des ancêtres Munyiga, Mugunga, Mwendo, Gitore, Gatambira, Gahindiro, nous avons respectivement les familles appelées: ‘Abenemunyiga,’ Abenemugunga, Abenyemwendo, Abenegitore, Abenegatambira, Abenegahindiro,

2° Depuis le règne de Ruganzu II Ndoli, les dénominations familiales suivent la règle décrite au no 4 ci-avant, consistant à ne respecter que le radical du nom de l’ancêtre éponyme, et abandonnant l’emploi de Umwene- Abene (La première période ne comporte que deux exceptions : Abakobwa et Abanama (au singulier Umukwobwa et Umunama) qui suivent toujours le procédé de la deuxième période. — Notez la différence entre Umukwobwa (Abakwobwa) = descendants de Mukwobwa ; et umukwobwa (abahuebwa) = jeune fille. Les deux mots se distinguent par la tonalité.

D’autre part, les familles de la deuxième période ne comportent qu’une seule exception : ‘Abenenyagisheja (au singulier ‘ Umwenenyagisheja) qui a repris la règle propre aux noms similaires de la première période. — La modification intervenue aurait-elle été introduite, principalement du moins, pour écarter toute confusion entre les familles issues d’ancêtres homonymes ? On peut le supposer en prenant, par exemple, deux fondateurs éponymes ayant vécu respectivement dans l’une et l’autre période : les descendants

du 1er Gahindiro fils de Mibâmbwe I = ‘Abenegahindiro

du 2ème Gahindiro, fils de Mibambwe III = Abahindiro).

 

  1. Après cette digression linguistique qui a son importance en la matière qui nous occupe, revenons à notre sujet.

En résumé donc, le clan se reconnaît au totem, et la famille à son appellation calquée sur le nom de son fondateur éponyme. Est-ce à dire cependant que les Bahigo qui nous intéressent ici répondront à perpétuité à cette dénomination, sans aucune modification ? Non évidemment ! Mihigo lui-même n’est pas un fils direct d’Adam. Il est, en plus, très clair que de son vivant, le groupe appelé Abahigo était inconnu. Mihigo et ses six fils appartenaient alors à une autre famille, celle des Bahimba, descendants de Mihimba. Cette dernière famille continue son existence côte à côte avec la branche cadette des Bahigo.

7.Or, il y a du nouveau au sein de ce dernier groupement : une scission similaire est en train de s’y opérer. Le nommé MURASHI, fils de MUKIGA et arrière-petit-fils de Mihigo, s’est grandement distingué dans la société. Il fut un grand guerrier et le roi l’enrichit de commandements et de bovidés, en récompense de ses actes de courage répétés. Il devint un chef de renom et un personnage si célèbre, que l’opinion publique a déjà introduit l’appellation de Abarashi (au singulier Umurashi), appliquée à ses descendants. Ils ne représentent certes que 10 foyers au sein de la famille des Bahigo, mais on peut prévoir que sous peu les Barashi formeront une famille distincte.

  1. C’est ici un point important à retenir : c’est l’opinion publique qui consacre l’autonomie d’une famille. Les membres intéressés du groupe ne décident pas eux-mêmes de s’ériger en famille et de répondre dorénavant au nom collectif calqué sur celui de l’ancêtre fondateur. Il suffit, en guise de condition préalable, que le groupe soit illustré par la brillante carrière du fondateur ; ou bien, à défaut de cette dernière condition, que le fondateur se fasse remarquer par ses nombreux fils. Ce dernier critère, on le comprend bien, suffit à lui seul. Alors l’opinion publique, alertée par ce fait social évident, consacre progressivement l’autonomie de la famille par une dénomination spéciale. Se voyant l’objet de l’attention publique, le groupe intéressé est pour ainsi dire obligé d’accepter ce jugement populaire. Il se sépare d’avec la famille dont elle faisait partie et se considère comme une personne morale indépendante.

 

  1. Ainsi avons-nous, par exemple dans le clan des Bega (totem Crapaud), d’innombrables Milyango, dont les suivantes prises au hasard :

1 — Abahenda descendants de Gahenda.

2 — Abagagi descendants de Rugagi.

3 — Abarunranga descendants de Karuranga

4 –   Abakagara descendants de Rwakagara.

5 — Abayango descendants de Muyango, etc.

Il s’agit ici de familles appartenant à un même arbre généalogique, ayant en dernière analyse un ancêtre commun. Mais il n’en doit pas être toujours ainsi.

  1. On rencontre des familles groupées sous le même totem, se réclamant en conséquence du même clan, mais qui n’ont pas de relations du sang. Prenons un exemple au sein du clan des Bazigaba! Ce clan comporte, entre autres, les familles suivantes :

1 –   Abaheka descendants de Mheka.

2 — Abarenzi descendants de Murenzi.

3 — Ababogo descendants de Kibogo.

1 — Abatambiye descendants de Ntambiye.

 

Ces quatre familles n’ont aucun lien de parenté entre elles. Les Baheka appartiennent au groupe dit Abasangwa-butaka, c’est-à-dire les Bazigaba qui se trouvaient déjà au Rwânda à l’arrivée de l’actuelle dynastie. Quant aux Barenzi, leur ancêtre arriva du ‘Ndôrwa sous le règne de Kigeli II Nyamuheshera, en plein XVIIe siècle.

Les Babogo sont une famille du Gisâka, royaume annexé par le Rwanda il y a un siècle. Les Batambiye enfin sont ainsi désignés, du nom de Ntambiye, leur ancêtre éponyme, qui vivait au XVIIIe siècle.

11.Y eut-il un lien établissant, à des époques très reculées, quelque relation du sang entre ces groupes qui se réclament du même totem ? La chose n’est pas impossible en soi, mais rien ne peut le laisser deviner, et les intéressés n’y songeraient même pas. Ainsi donc, la notion du Mulyango suppose un ancêtre commun, une véritable parenté du sang. Mais le fait d’appartenir au même clan n’exige pas cette parenté dûment prouvée, la communauté du totem étant seule requise.

 

12.Notons qu’en raison du nombre de ses membres, une famille est appelée puissante = Umulyangô w’amaboko (litt. : Une famille aux nombreux bras). Tandis qu’une famille est dite faible Umulydnga w’inkeho, lorsqu’elle ne totalise que quelques unités de foyers. Cette dénomination de Inkého étant cependant relative, rien n’empêcherait de l’appliquer à un groupe totalisant plus de 10 foyers, quand on la compare à un autre similaire démesurément plus puissant.

13.On rencontre aussi des hommes appelés Nyaamwe, c’est-à-dire : l’Unique. Il s’agit en ce cas d’un seul ou deux foyers, représentants d’une famille jadis puissante ou non. A de tels résidus de famille, désormais isolés en ce monde, on ne peut évidemment pas appliquer la dénomination de famille, ni songer à l’ancêtre éponyme.

  1. L’intérêt du sang.

 

  1. Nous venons de voir que la famille Mulyango se reconnaît à l’appellation commune, calquée sur le nom de l’ancêtre éponyme. C’est là une caractéristique de base. Mais le Mulyango ne saurait se maintenir par cette seule communauté d’origine, s’il n’y avait pas un intérêt d’importance à sauvegarder. Et voilà pourquoi nous devons considérer le lien du sang, qui serre les membres de la famille.

 

  1. Le fait d’appartenir à telle Mulyango (famille), crée la responsabilité offensive et défensive du groupe. C’est-à-dire que si l’un des membres de la famille tuait un homme étranger à leur groupe, tous ses parents membres mâles de la famille, sont collectivement responsables de ce meurtre. Ils sont considérés comme si n’importe lequel d’entre eux avait commis l’homicide. En conséquence, la vendetta pèse indifféremment sur chacun d’eux, et au même degré que le coupable en personne. Les parents du défunt, membres mâles de la famille à laquelle il appartenait, peuvent venger son sang en tuant n’importe quel parent mâle du meurtrier qui se présentera le premier.

 

  1.  C’est dire également qu’un membre assassiné de la famille fait lever tout le groupe, comme un seul homme, pour le venger. Il s’ensuit que le sang versé n’est pas un crime commis par un individu contre un autre individu, mais un crime perpétré par une famille contre une autre famille. Lorsque l’homme assassiné appartient à une famille faible (lnkého), celle-ci ne peut évidemment pas s’attaquer à un groupe plus puissant en vue d’exercer son droit de vendetta. Dans ce cas l’affaire est portée devant le tribunal du Roi, qui doit suppléer la faiblesse de la famille du défunt. Il peut seul condamner à mort soit le coupable en personne, soit n’importe lequel de ses parents.

 

17.Aussi longtemps qu’entre deux familles existe un litige du sang versé et non encore vengé, les deux groupes sont dits Abazigo, au  singulier Umuzigo. Il est interdit aux parents du défunt de partager quoi que ce soit en articles d’alimentation avec un membre quelconque de la parenté du meurtrier. Enfeindre cette interdiction sévère, serait s’exposer à contracter le lèpre ou quelque autre sanction automatique propostionnée à la terrible maladie. Il en serait de même pour n’importe quel membre de la famille du défunt, si elle négligeait de venger la mort de leur parent. Il s’ensuit que tel meurtre commis devient un mal, non pas tant pour le meurtrier, mais pour les parents du défunt.

  1.  Il n’y a qu’un seul moyen, pour les parents de l’assassiné, d’abandonner impunément le droit de la terrible vendetta. C’est que le roi l’annule solennellement et donne aux deux parties, un repas commun de réconciliation. Dans ce cas, le sang du défunt perd sa puissance magique de nocivité contre ses parents.

 

  1.  Remarquez, pour souligner davantage l’intérêt du sang, que les membres de la famille ne peuvent pas compter sur des amis en vue d’exercer la vendetta. Prenons en exemple des familles déjà citées :

Rukuka de la famille des Batambiye tue Rugira de la famille des Baheka

Supposons que les Baheka soient trop faibles pour s’attaquer seuls de front aux Batambiye et demandent du renfort à des groupements alliés. Parmi ces derniers, la famille des Barenzi se distingue par son zèle à venger l’ami défunt.

Masaka de la famille des Barenzi tue Rukaka, meurtrier de Rugira.

Quelles sont maintenant les conséquences de cet acte de Masaka qui abat le coupable Rukaka ? Voici la situation :

 

  1. a) Le sang de Rugira n’a pas été vengé, puisque son meurtrier n’a pas été tué par un membre de la famille des Baheka, dont relevait le défunt. En conséquence, la famille des Baheka doit continuer à rechercher un membre de la famille des Batambiye (parents du meurtrier Rukaka) pour assouvir la vendetta.
  2. b) Par son zèle intempestif, Masaka a commis un nouveau meurtre, qui crée un litige de vendetta entre la famille des Barenzi, à laquelle il appartient, et celle des Batambiye lésée. Cette dernière famille recherchera, en conséquence, un parent de Masaka (famille des Bcarenzi), pour venger le sang de Rukaka injustement versé.

 

20.Notons, en plus, que les familles appartenant à un même arbre généalogique, comme celles du clan des Bega indiquées plus haut, du moment que leur autonomie respective a été consacrée, sont considérées comme n’ayant plus rien de commun les unes envers les autres au point de vue intérêt du sang. Ainsi les Bahenda ne sauraient être responsables de meurtres commis par l’une ou l’autre famille de leur clan, dont la différence d’éponymie ancestrale a été consacrée par l’usage.

  1. La femme dans sa famille d’origine.

 

21.En parlant de la vendetta, nous avons souligné que les membres mâles de la famille étaient seuls sujets à la responsabilité collective concernant l’intérêt du sang. Il en est ainsi : la femme n’est jamais l’objet de vengeance en pareils cas. Pour une femme assassinée, sa famille tuait en général un homme d’entre les parents du meurtrier. Dans beaucoup de cas, — la règle était générale dans le nord du Rwanda, — c’était une catastrophe que d’assassiner une femme. Toutes les fois que les femmes de son âge avaient un bébé, la famille du meurtrier perdait un homme de plus, pour assouvir la vendetta en compensation du bébé problématique auquel l’assassinée aurait pu donner le jour. Dans le Rwanda fortement hamitisé, on pouvait procéder autrement : délaissant la vendette exercée sur un seul homme de la famille du meurtrier, on pouvait parmenter et régler le cas à l’amiable. La famille du meurtrier pouvait donner, à la famille lésée, une épouse et des indemnités en bovidés.

22.Le principe en cette matière est que la femme est une mère, et par conséquent inaccessible aux sentiments méchants des hommes. De plus, la femme n’est pas un membre définitif de sa propre famille : elle partage le sort de celui qui l’épouse. Il est reconnu qu’elle ne peut partager les sentiments haineux de sa famille. D’où l’axiome : umukwobwa ni nyamhinga! (La jeune fille est une providence). Lorsque, au sein de sa propre famille, éclate un conflit, par exemple entre ses propres frères et ses cousins, les uns et les autres peuvent loger dans son foyer à égalité de droits, et elle leur accorde indifféremment l’hospitalité sans prendre parti.

23.Cette place privilégiée de la femme s’étend également sur les étrangères. En cas de guerre avec un pays ennemi, les guerriers rwandais devaient tuer implacablement tout étranger mâle et faisaient prisonnières les femmes qu’ils amenaient et épousaient suivant leur rang. On était certain qu’elles ne songeraient jamais à venger, sous quelque forme que ce soit, leurs parents massacrés. Elles s’attachaient définitivement à leurs époux, et devenaient rwandaises sans retour.

  1. Le cérémonial de la vendetta.

24.Rappelons que nous avons parlé ici de la vendetta à exercer contre un assassin. C’est-à-dire : celui qui tue en cas de querelle personnelle, ou durant un combat où deux familles bien déterminées se disputent un objectif quelconque les intéressant particulièrement.

Autre chose est le cas d’un combat entre deux chefs investis du commandement dans le pays. Il est entendu que leurs guerriers n’appartiennent pas à une seule et même famille. En conséquence, le guerrier qui abat un autre du camp adverse, agit au nom de son chef. L’acte du coupable n’engage pas les responsabilités de la famille (Umulyango) auquel il appartient. Les parents du défunt, ou ses compagnons d’armes, le vengeront soit en abattant un autre guerrier de leurs adversaires, soit en tuant ultérieurement un parent du chef responsable de la bataille intervenue. Lorsque l’on ne compte des morts que dans un seul camp, et que ce camp lésé était en légitime défense, l’affaire est réglée par le tribunal du roi. Si parmi les morts, on compte un membre quelconque de la haute noblesse qui était une personnalité marquante dans la société, le roi condamnera à mort un membre du même rang dans le camp opposé, soit la personne responsable de l’attaque, soit l’un de ses proches parents. A noter qu’un chef d’armée ne peut jamais être condamné à mort dans pareils cas.

  1. Si le tribunal suprême constate qu’il y a des circonstances atténuantes, ou qu’il y a eu faute de part et d’autre, ou si des influences puissantes entrent en jeu, le roi annule la vendetta. L’annulation était prononcée comme suit. Les deux parties étaient convoquées à l’intérieur de la résidence royale et le souverain leur faisait servir un repas commun. Pendant que les représentants des deux familles mangeaient, un porte-parole du roi battait un tambour en déclarant : « Le Roi annule la vendetta. Vos deux familles peuvent désormais partager repas et boissons sans danger de contracter les sanctions immanentes du sang versé. Il est dès lors interdit d’exercer le droit de vendetta ni par la lance, ni par l’arc, ni par l’épée, ni par le poignard, ni par le bâton, ni par strangulation, ni par les dents, ni par quelque autre moyen. Si quelqu’un passait outre à ce décret du Roi, le tambour que voici condamne toute sa famille à l’extinction complète dans le pays.

26.Un mot sur le cérémonial de la vendetta. Pour venger le sang versé, il fallait, en principe que la personne exécutrice soit désignée par oracle de devins. Il ne revenait donc pas, en général, à n’importe quel parent du défunt, de venger son sang. Que ce soit par l’intervention propre de la famille, ou par sentence royale, c’est la personne désignée par oracle qui, assistée de ses parents, devait verser le sang de la famille coupable. On devait alors couper la main droite à la victime de la vendetta. Cette main était portée en procession triomphale, organisée aux cris de joie et aux déclamations d’odes guerrières. Cette procession se faisait en forme de cercle, la main de la victime enfilée au fer supérieur de la javeline que tenait élevée l’exécuteur de la vendetta. La procession terminée, la main de la victime était renvoyée à sa famille, afin qu’elle fût enterrée avec le reste du corps. Si la main n’était pas rendue, et que les parents de l’exécuté se voyaient obligés de l’ensevelir ainsi mutilé (sans emporter tous ses membres dans le tombeau), le cas créait une vendetta aux dépens des exécuteurs ; la famille du mutilé avait le droit de le venger, car cette main droite non renvoyée, symbolisait un homme.

27.Lorsque la famille du défunt assassiné réussissait, avant l’enterrement, à capturer l’assassin ou l’un de ses parents, on lui faisait toucher de la main droite la blessure du défunt et on l’exécutait ensuite.

 

  1.  Il arrivait que l’assassiné était membre d’une famille faible (n°. 12) ou qu’il était même unique (n. 13). Les parents, dans le premier cas, pouvaient en principe recourir au tribunal du roi. Quant à l’unique, il n’avait a priori personne qui s’intéressât à son sort. Mais il pouvait arriver que ce recours au roi ne fût pas la solution idéale : la famille faible pouvait préférer s’arranger à l’amiable, se faire octroyer des indemnités et vivre en paix avec les plus forts. Un plus fort que vous peut toujours vous faire du tort sans que vous puissiez efficacement prouver sa culpabilité (Il serait superflu de faire remarquer que cette éventualité est vraie sous toutes les latitudes).

La famille du défunt parodiait alors le cérémonial de la vendetta, en simulant la vengeance sur un pied de bananier, dans lequel des incantateurs introduisaient symboliquement l’esprit de l’assassin. L’important était que, symboliquement, le sang versé de leur parent fût rendu inoffensif vis-à-vis de sa famille (Les incantations ici mentionnées relèvent du symbolisme dont est empreinte notre culture. Il n’est donc pas question d’une forme quelconque de l’animisme, dont on ne peut trouver trace au Rwanda).