Les clans des terricoles (antérieurs à l’actuelle dynastie).

ABAZIGABA

31.Le clan des Biizigaba régnait sur le Mubâli, contrée actuellement devenue, dans sa partie orientale, le Parc National de la Kagera. Le premier ancêtre des nos Basindi y reçut l’hospitalité, dès sa première apparition sur terre. Comme il en est des autres clans, les Bazigaba débordent le territoire du Rwanda. La lignée de ce clan fut vaincue et éteinte par KIGELI III Ndabarasa au 18ème Siècle. En souvenir de l’hospitalité donnée par Kabeja, roi du Mubali, aux premiers Hamites Banyiginya, le clan des Bazigaba est le Muse constructeur des rois.

Le clan dynastique reconnaît ainsi, non seulement que les Bazigaba sont plus anciens dans le Rwanda, mais encore que la première installation dans le Mubali fut permise par le roi Kabeja, du même clan.

ABAGESERA.

32. Le clan des Bagesera déborde également le Rwanda : ses représentants sont répandus dans les contrées limitrophes. Il semble que ce soit ici le clan le plus anciennement établi dans le Rwanda, si on se réfère à la fonction qui lui revient d’être le Muse universel, légitimant l’occupation du sol pour tous les clans, sauf celui des Basindi. Lorsqu’on voulait construire son habitation, on pouvait déblayer le terrain et égaliser. Mais on ne pouvait pas fixer les pisés et commencer les travaux, avant qu’une bergeronnette (totem des Bagesera) ne vînt se poser sur l’emplacement déblayé, en vue d’y prendre des insectes. Les ouvriers s’éloignaient un peu de remplacement pour favoriser l’approche libre de l’oiseau. Lorsqu’il ne s’en présentait pas, on allait à la recherche d’un membre du clan des Bagesera, qui venait fixer des pisés symboliques, autorisant l’occupant à bâtir son habitation. En dehors du cas cité des Basindi et Bazigliba, aucun autre clan ne peut s’arroger ce privilège de Muse installateur d’habitations.
33. Le clan des Bagesera comme nous venons de le rappeler, déborde les frontières du Rwanda ; on ne saurait donc le considérer comme purement autochtone chez nous. Il a donné une dynastie, celle des Bazirankende, qui régnait sur le Gisaka. Certains auteurs, se basant sur le fait que la majorité des Bagesera est formée de Bahutu (de race Bantu) dans le Rwanda, ont hâtivement conclu que les Baziranknde étaient également d’origine Bantu, et qu’on ne saurait les appeler Hamites. Ils ne seraient que des Bantu hamitisés. Pareille position n’est possible que chez des auteurs peu au courant des clans rwandais dont ils traitent. Comme nous l’avons tantôt exposé, ce clan, tout comme celui de l’actuelle dynastie, abrite aussi bien Hamites et Bahutu que Batwa. Dès lors, la majorité des Bagesera Bantu purs au sein du Clan, n’est aucunement une preuve établissant que tous ses membres soient des Bahutu (A. D’ARIANOFF, Histoire des Bagesera, chap. II, affirme à bon droit le caractère hamitique des Bazirankende. — A. PAGES, place le Clan des Bagesera parmi les groupes Bantu, sans aucune distinction. — L. DELMAS déclare que tous les membres du clan en question, y compris la lignée des Bazirankende, sont des Bantu qui ne seraient passés en partie au rang de Hamites que par métissage. Comme nous l’avons déjà signalé, l’auteur cité est induit en erreur par une interprétation littérale du mythe faisant de Kigwa le premier Hamite de nos régions. L’opinion de nos mémorialistes ne saurait cependant être acceptée à l’encontre des règles qui s’imposent en sciences ethnologiques : on doit recueillir les traditions, les classer par genres et appliquer à chaque catégorie les méthodes appropriées d’interpré-tation. Le livre du P. DELMAS est une mine précieuse de renseignements, dont le seul point faible se trouve dans certains de ses aperçus historiques et ethnographiques, où font défaut des principes de base, propres à chaque science mise à contribution.)

34. D’autre part, en appliquant aux Bazirankende l’origine Bantu, on oublie qu’il y a une différence entre le clan et la dynastie envisagée. Or, dans la zone orientale de notre Afrique, aucune lignée non hamitique n’aurait jamais osé ni réussi à s’imposer, à se faire admettre comme souveraine par ses Hamites voisins. Les Bazirankende étaient, et ils restent toujours, des Hamites de première qualité.

Ils avaient un tambour dynastique reconnu par les dynasties voisines, et son Code ésotérique imposait le respect, même à nos monarques du Rwanda qui, après l’annexion du Gisaka, tinrent à liquider cérémonieusement et légalement le symbole d’une lignée hamitique vaincue. Je me rends évidemment compte que pareilles allusions ne disent pas grand-chose à ceux qui jugent nos institutions et du dehors et de haut ! Il faudrait savoir et surtout sentir ce que représente le Code ésotérique d’une dynastie. Ensuite, il faut en juger les prescriptions, non pas d’après les critères de la critique européenne, mais en suivant les critères locaux, en vigueur chez les acteurs religieusement intéressés. Aucun tambour dynastique des roitelets vraiment autochtones ne préoccupa nos monarques, puisque ces dynasties purement Bantu n’avaient pas ce Code ésotérique dont les Hamites seuls possédaient le secret.

ABASINGA

35. Le clan des Basinga détenait jadis un vaste empire, sous les monarques de la dynastie des Barenge. Ces derniers étaient dénommés ainsi parce que le fondateur éponyme de leur lignée s’appelait Rurenge (Les descendants authentiques des Barenge sont constitués actuellement par la famille des Bacumbi, qui compte entre autres dignitaires, 4 chefs de province). Les représentants de cette antique lignée sont appelés actuellement les Basinga-basangwa-butaha ; c’est-à-dire : qui se trouvaient déjà dans le pays avant l’arrivée des Banyiginya actuellement régnants. Les Basinga (Barenge) descendaient du Nkole, évidemment ; leur nom signifie : les Vainqueurs, dans le Gihima, langue parlée au nord du Rwanda. La région du Bugahe (principauté de Igara), actuellement englobée dans le Nkole, semble avoir été leur berceau. Les Basinga immigrés ultérieurement, surtout sous Mibambwe I Mutabazi, puis sous Yuhi III Mazimhaka, venaient de cette contrée. On admet que les princes d’Igara étaient parents de ce clan.

ABACYABA.

36. Le clan des Bacyaba a régné sur le Bugara, royaume vaincu plus tard par notre Ruganzu II Ndoli (Cette dynastie des Bacyaba s’appelle Abagara clans les récits de nos mémorialistes. La dénomination provient-elle du fait qu’elle régnait sur le Bugar, ou bien le pays fut-il ainsi désigné, parce que gouverné par les Bagara ? La réponse à cette question, impossible d’ailleurs à déterminer, importe peu vraiment). Étant donné l’existence de cette dynastie qui n’avait aucune relation de parenté avec le fondateur des Banyiginya, on doit considérer comme simple invention le fait que l’éponyme des Bacyaba ait été Nyirarucyaba, fille de Gihanga. N’allons cependant pas jusqu’à douter de l’existence de cette femme, à cause des récits mythiques qui la concernent. Le Code ésotérique de la dynastie et les traditions intimes de la Cour, affirment indubitablement qu’elle a vécu sous Gihanga. Qu’il y ait des familles dénommées Bacyaba, parce que descendant de cette princesse, c’est bien possible. Son nom fut calqué sur celui du clan existant des Bacyaba, mais il est faux de la considérer comme mère éponyme d’un clan dont l’extension territoriale débordait déjà alors les domaines de l’actuelle dynastie.

ABABANDA

37.Le clan des Babanda régna sur le Nduga, royaume qui se situait dans le Rwanda central actuel. Nos mémorialistes s’occupent de cette lignée, sous les 3 derniers monarques avant l’annexion du Nduga par Mibambwe I Mutabazi. Le Clan se réclame, certes, du totem Hyène, mais dans certaines régions du Rwanda on leur assigne plutôt Igikôna (le Corbeau). Il semble cependant que ce soit là une opinion moins généralisée : c’est pour cela que le totem Hyène leur a été ici maintenu, avec le désavantage de le leur faire attribuer en même temps qu’aux Bacyaba.

38.Si leur dénomination ne se rattache pas à un ancêtre éponyme, — qui nous est inconnu, — il faudrait peut-être envisager deux autres explications. Nous savons, d’après les traditions de nos mémorialistes, que les conquérants Babanda s’infiltrèrent dans le Nduga, en venant du Bugesera. Or le sens étymologique de Babanda est : Ceux qui montent (d’un verbe ancien : Kubanda). Ils exerçaient le métier de devins et de pluviateurs. Ce fut en cette qualité, que, se prévalant d’une pluie qui mettait fin à une longue sécheresse dans le Nduga, ils détrônèrent le dernier régnant des Barenge.

39.D’autre part, sous Mibambwe I Mutabazi, à l’invasion des Banyoro, notre monarque envoya une délégation auprès de Mashira, devin renommé (le dernier régnant des Babanda), lui demandant oracle et renfort. Il lui faisait dire : « C’est aujourd’hui le tour de mon Rubanda (peuple du Rwanda), ce sera demain celui de ton Kibanda! » Il semblerait dès lors que le royaume de Mashira, qui débordait du reste le Nduga proprement dit, aurait été dénommé Kibanda. D’où la dynastie des Babanda aurait calqué son appellation sur celle de son royaume.

ABENENGWE

40. Le clan des Benengwe (c’est-à-dire Fils du léopard) régnait sur le Bungwe, dont le territoire est à cheval sur la frotière, en territoire d’Astrida. Comme il est facile à constater, la dynastie avait une appellation dont le radical s’apprente à celui du pays. Ce royaume abritait d’autres groupements, tels que les Banyakarama, et les Benerwamba, qui semblent être plutôt des dénominations de familles que de clans. En fait, le plus gros contingent de ces deux groupements est au Burundi ; mais leurs représentants rwandais ne se réclament d’aucun totem que l’on sache.

ABONGERA et ABUNGURA.

41.Le clan des Bongera, en voie de disparition, régnait sur Buriza, le Bwanacyambwe et peut-être aussi sur une partie du Bumbôgo actuel. On ne sait rien de plus sur ses origines.
42.a) Le clan des Bungura est le seul qui n’ait jamais eu de dynastie, parmi les clans proprement rwandais. Comme il a été dit au sujet d’autres clans, celui-ci n’est pas limité au seul Rwanda. On le rencontre en dehors également. Il existe, au sujet de cette appellation de Bungura, une distinction qu’il ne serait pas inutile de rappeler.

b) Lorsque Gihanga décida d’abandonner les insignes de sa royauté pour adopter le Tambour, il recourut aux bons offices de Rubunga, qui lui révéla une partie au moins du Code ésotérique des Barenge. A la suite de cet inappréciable service, Rubunga fut surnommé Mwungura, du verbe Kungura = faire accomplir du progrès ; parce que, précise le titre louangeur, yunguye Ingoma Ubwiru = il a doté la dynastie d’un code ésotérique (litt. : il a surajouté le code ésotérique à la dynastie). Étant donné son surnom louangeur de Mwungura (le Surajouteur), ses descendants du clan Abasindi, sont parfois appelés Abungura, d’après l’appellation de leur ancêtre. Mais il est clair que cette dénomination n’a rien de commun avec le clan, qui n’en est même pas homophone, puisque la tonalité est différente dans les deux mots.

ABASITA

43.Le clan des Basita, semble être de très récente date au Rwanda où il est faiblement représenté. Il est originaire du Nkôle, pays où il figure parmi les plus considérés. Mais au Rwanda, il occupe un rang moins enviable. Le plus gros contingent en est constitué de familles influentes de l’ancien royaume du Gisaka, annexé il y a cent ans.

44.Voilà les principaux clans du Rwanda. Qui dit principal, sous-entend secondaire, évidemment ! De fait il y a d’autres clans, mais qui ne méritent vraiment pas ce nom. Il s’agit de quelques groupes sans totem que l’on sache. Leurs dénominations ont l’air d’être des clans, mais on ne peut pas savoir s’il ne s’agit pas plutôt d’éponymies familiales. Il faudrait les situer dans leurs régions d’origine et voir à quoi ils correspondent exactement.

45.Parmi ces quasi-clans, mentionnons, comme d’origine hamitique, les Bakomankali et les Bishigatwa (Notons que le P. DELMAS appelle ce groupement Abashigatwa, ce qui risquerait de fausser l’orthographe chez les lecteurs non avertis. Il s’agit donc bien de Abishigatwa, avec « i », et non AbAshigatwa, avec « a »), originaires du Nkôle. Les Bahinda séjournant sur le territoire du Rwanda ne sauraient être placés sur le même pied que ces quasi-clans : ils appartiennent au groupe puissant, dont différentes dynasties règnent dans l’aire s’étendant du nord (par l’est) au sud-est du Rwanda. Ce clan doit être replacé dans son propre milieu. Il en va de même des groupes provenant de la zone sise à l’ouest de la ligne formée par le lac Kivu et le cours de la Rusizi. Les quelques Bahavu que l’on peut rencontrer à l’ouest du Rwanda appartiennent également au groupe qui peuple la rive occidentale du lac, à la hauteur de l’ïle Ijwi (La peuplade de Bahavu gouvernait jadis une principauté puissante au Rwanda actuel. Notre Kigeli I Mukobanya guerroya contre l’un de leurs princes du nom de Murinda. (Cf. La Poésie Dynast. au Rwanda, p. 34). Il est dès lors à supposer que la région actuelle du Buhavu fut occupée par des émigrés de la rive orientale. Ce qui ferait que nos quelques Bahavu du Rwanda occidental constitueraient un groupe d’attardés). Les Bagwabiro, nombreux dans notre province nordoccidentale du Bugoyi, sont originaires de notre province centrale du Bunyambirili (A. PAGES, OP. Cit. Je ne saurais en finir avec les références concernant les Bagwabiro. Ils ont eu la bonne fortune de se trouver tout à côté du P. PAGÉS qui les a faits connaître, ainsi d’ailleurs que d’autres groupements de la plaine du Bugoyi. Ce missionnaire fut, en effet, pendant plus de 26 ans, supérieur du poste de Nyundo, dont relèvent ces groupements. A la suite du Révérend Père, tous les auteurs citent les Bagwabiro à l’instar du clan des plus représentatifs du Rwanda, ce qui fausse notablement les réalités. Si chaque supérieur de poste avait eu les goûts très recommandables du P. PAGES, toujours porté à connaître les institutions de ses ouailles, les ethnographes et ethnologues auraient été embarrassés par l’abondance des matériaux. On devrait rappeler que les Bagwabiro et leurs autres voisins du Bugoyi, ne représentent pas dans notre société ce que la littérature ethnographique tendrait à leur attribuer en général. Précisons cependant que le Bugoyi relève d’une culture spéciale, caractéristique. D’autres régions du Rwanda sont dans le même cas : chaque zone même à l’intérieur du pays, présente des éléments culturels régionaux. Donnons donc aux Bagwabiro et consorts ce qui leur est dû, mais tâchons aussi de proportionner nos jugements à la valeur réelle des faits). Ils sont membres du clan des Basinga ; ils doivent être considérés en conséquence comme un groupe familial, et non comme un clan.

IV. A la recherche de nouveaux clans.

46. Le R. P. Dr SCHUMACHER signale d’autres clans ; il note, en effet, trois nouvelles dénominations de totems, mais aussi des groupes au sujet desquels il donne les totems classiques intervetis ; voici l’essentiel du passage auquel nous faisons allusion :

CLANS TOTEMS

Abalihira Uruvu (le caméléon)
Abahoma = ABABANDA Urutoni (la genette)
Abachira Immondo (le serval)
Abarembo = Abahangara Immondo (id.)
ABASINGA Ingwe (le léopard)
ABASINDI = Abasigi Urutoni (la genette).

Les noms écrits en majuscules l’ont été par moi, pour indiquer des groupements qui nous sont déjà connus. L’auteur cité, en ce qui concerne les trois clans en question, pense reconnaître, en cette interversion ou variation de totems, des indices historiques d’époques initiales où les clans actuels vivaient en d’autres conditions. Je crois cependant que, dans la plupart de ces cas, sa supposition est insoutenable, comme je vais le démontrer.

47. En ce qui concerne les Bachira (totem imondo = serval), je n’ai rien à objecter, le groupe n’étant sûrement pas un clan rwandais. Quant aux Balihira, ils sont nombreux dans le pays. Les milieux dans lesquels ils vivent les considèrent cependant comme des fractions familiales immigrées du Gikore, massif montagneux situé dans le territoire du Kigezi, au nord du Rwanda. J’ai voulu faire vérifier, à nouveau, mes informations antérieures, et en écrivis à deux abbés rwandais, supérieurs de missions sur le territoire desquelles vivent des centaines de foyers Balihira. L’abbé Bernard MANYURANE, supérieur de la mission de Rulindo, me répondit : les Balihira sont membres du clan des Bungura, leur totem est ifundi. — L’abbé Canisius KABAGAMBA, supérieur de la mission de Nemba répondit : les Balihira que j’ai interrogés affirment que cette dénomination Balihira désigne à la fois le clan Ubwoko et la famille Umulyango. — Ceci prouve évidemment que les intéressés ne comprenaient pas exactement la portée de la question posée, car une même dénomination ne peut désigner clan et famille à la fois.
Mais l’abbé KABAGAMBA put mettre la chose au clair, en interrogeant le nommé Léopold MUYOGORO, ancien sous-chef du groupe des Balihira en question. MUYOGORO répondit : La dénomination de Balihira est une éponymie familiale ; leur clan est Abungura. — Et l’informateur précise: «Lorsque je fus nommé sous-chef en leur localité, étant donné que je suis du clan des Bacyaba, je ne pus pas recevoir de mes sujets Balihira la prestation des semences : il est interdit, en effet, que les Bungura donnent des semences au clan des Bacyaba». Notons que MUYOGORO, lorsqu’il devint sous-chef de ces Balihira aux environs de 1920, était un devin renommé, ce que l’abbé KABAGAMBA avait oublié de mentionner. Cette particularité doit faire mieux saisir la portée de son témoignage : la coutume, à cette époque-là, obligeait les contribuables de la localité à se cotiser, pour donner à leur nouveau dignitaire administratif, des paniers de haricots et de sorgho en vue d’en semencer ses champs. MUYOGORO n’en pouvait accepter provenant des Balihira, parce que membres du clan des Bungura, auquel la coutume défend de donner des semences au clan des Bacyaba.

L’abbé KABAGAMBA posa la même question à E. KALIMA, chef de la province du Kibali, et ensuite à SEKANYAMBO, sous-chef de Gako, qui commande un autre groupe important des Balihira. Les deux informateurs confirmèrent exactement le témoignage de L. MUYOGORO, en disant que la dénomination Balihira est une éponymie familiale, et que leur clan est celui de Bungura (45).

Par souci de rester fidèle au respect de toute information susceptible de guider les recherches ultérieures, nous devons retenir la double réponse donnée par des Balihira à l’abbé C. Kabagamba. Ils ont affirmé que le terme Balihira désigne en même temps éponymie familiale et clan. Tout en n’acceptant pas la possibilité de principe à cette coïncidence des deux institutions, nous devons accepter qu’il est possible de trouver des Balihira qui descendraient d’un ancêtre éponyme très rapproché ayant répondu à ce nom. C’est-à-dire que le vaste groupe des Balihira peut avoir compté, parmi ses membres, un homme illustre appelé Mulihira, dont les nombreux descendants auraient été dénommés Balihira. Le fait est possible en soi, bien qu’il soit improbable. D’autre part, les Balihira inter-rogés, pour justifier la qualité de clan, auraient dû indiquer eux-mêmes leur totem ; l’abbé C. KABAGAMBA a malheureusement oublié de leur poser la question. L. MUYOGORO a dit à l’abbé C. KABAGAMBA que le totem des Balihira (dont il était jadis sous-chef) serait igihôna — le Corbeau. Cette information n’aurait sans doute pas retenu mon attention, puisque ledit informateur n’ignore pas le totem correspondant au clan des Bungura. Mais j’ai jugé utile de la signaler au lecteur, parce que le R. P. PAUWELS, P. B., a donné la même information (cf. La magie au Rwanda, dans Annali Lateranensi, Roma, vol. XVII, 1953, p. 143). Il semblerait donc que les Balihira, groupe indubitablement étranger au système clanique rwandais, tout en étant des Bungura, ne le furent pas initialement dans la même structure sociale que les autres membres de ce dernier groupement. Ceci laisse la porte ouverte à toute vérification ultérieure, surtout dans l’aire du Kigezi qui fut le berceau des Balihira.

Abahoma = Ababanda

48. Rappelons que le terme Abahoma signifie : habitants du Buhoma, province en territoire de Ruhengeri. Les traditions locales affirment que les premiers défricheurs venaient de la localité de Ntenyo, dans la province centrale du Nduga. Rien de plus naturel dès lors que de rencontrer des représentants du clan des Bahanda au Buhoma, puisque le Nduga fut justement le domaine des Babanda, comme nous l’avons rapporté. Est-ce à dire cependant que tous les habitants du Buhoma soient des Babanda ? Certainement non. Le P. SCHUMA-CHER aurait donc dû se rendre compte de ce que le terme de Bahoma n’est pas clanique, mais géographico-politique. Il s’agit d’hommes de tous les clans, séjournant dans ladite province. Parmi les Bahoma, nous avons des Babanda, se réclamant de l’Hyène comme totem. Personne ne peut modifier cette donnée déjà établie, répandue dans tout le Rwanda. Ledit auteur a-t-il une catégorie de Bahoma se réclamant du totem « Urutoni » (la genette) ? La chose est tout à fait possible. Mais de quelle catégorie de Bahoma s’agit-il ? Voilà le problème! Deux données incontestables : a) Les Bahoma sont les habitants du Buhoma, ce n’est pas une appellation clanique. b) Les Babanda ont l’hyène pour totem. c) Il reste à identifier le groupe d’entre les Bahoma, qui se réclamerait de la genette.

Abarembo Abahangara.

49. Ici les Bahangara sont considérés comme un groupe, originaire du Burembo. Je dois faire remarquer que la dénomination de Abarembo est ici équivoque. — a) Il y a une famille déterminée qui, en tant que fonctionnaires de la Cour, est ainsi appelée, du nom de la région qu’elle habite, en territoire de Nyanza. — b) On peut aussi entendre, par Abarembo, les hommes qui habitent le Burembo, la même région, actuellement englobée dans la province du Ndiza. En quel sens le P. SCHUMACHER entend-il la dénomination en question ? Les Barembo fonctionnaires de la Cour se réclament du totem Crapaud, étant donné qu’ils appartiennent au clan de Bega. D’autre part, les Barembo (habitants du Burembo) relèvent de plusieurs clans différents. Il y aurait certes moyen de supposer ceci ou cela, au sujet de ces Bahangara. Mais cela importe vraiment peu, puisque l’équivoque ici relevée est un fait qu’il me suffit de souligner.

Abasindi = Abasigi.

50.Nous savons que les Basindi ont pour totem la grue couronnée (Umusambi). Le P. SCHUMACHER parle ici de la branche Abasigi qui, se disant appartenir au clan des Basindi, répondent cependant au totem Urutoni (la genette). Ici s’impose la même remarque que dans les paragraphes précédents, au sujet de la dénomination Abasigi, il y a équivoque.
Il existe un groupe familial répondant à ce nom ; la famille des pluviateurs officiels de la Cour, descendant de Nyamikenke. Leur clan est celui des Basindi. Pour contrôler à nouveau mes informations, j’ai posé la question à ce sujet à l’abbé Bernard MANYURANE, supérieur de la mission de Rulindo, dont les Basigi sont les ouailles. Par la lettre à laquelle nous avons tantôt fait allusion, il répondit :
Les Basigi, descendants de Nyamikenke, sont du clan des Basindi ; quant à leur totem, vous le connaissez bien, c’est la grue couronnée= umusambi.

D’autre part, ces Basigi ont donné la dénomination de Busigi à la région qu’ils habitent, et qui était jadis leur fief incontesté. La région est actuellement englobée dans la province du Rukiga. Les habitants du Busigi, qui ne sont pas tous descendants de Nyamikenke, sont également appelés géographiquement des Basigi. Ils appartiennent à plusieurs clans. Qu’on y puisse rencontrer un groupe répondant au totem de la genette, rien de plus concevable. Mais la question serait de savoir de quel groupe il s’agit. Il est simplement exclu d’attribuer ce totem aux Basigi pluviateurs, car ils sont du clan des Basindi.

51. Pour conclure, l’auteur cité ne s’est donc pas aperçu de l’équivoque qui planerait sur les informations qu’il a consignées dans son ouvrage. Que l’on veuille bien comprendre exactement ma pensée : 1° Je constate les faits que je viens de résumer, qui me semblent inéluctables en tant que faits. 2° Je ne dis pas que le P. SCHUMACHER n’a pas relevé réellement les informations qu’il nous livre. 3° Je ne nie pas non plus l’éventuelle existence de groupes sociaux répondant à ces nouveaux totems. 4° J’affirme seulement, et très clairement, deux choses : a) les Babanda, les Basindi, les Basinga et les Bazigaba répondent respectivement aux totems de l’hyène, de la grue couronnée, du milan et du léopard. Et j’ajoute que personne au Rwanda, s’il est au courant des faits, ne peut ignorer, ni confondre, ni intervertir ces totems. B) Les nouveaux totems mentionnés par le P. SCHUMACHER ne peuvent pas encore être considérés comme indices de quoi que ce soit des époques plus anciennes, puisqu’il est évident que leur attributon repose sur les données pour le momen contestables.

V. Les interdictions. — Imiziro.

52.Nous ne pouvons terminer ce chapitre, sans dire un mot des interdictions = Imiziro, qui constituent une espèce de totems négatifs. Ces interdictions, quoique ne s’étendant pas en principe à tout le clan, intéressent parfois une immense portion de ses membres. Dans d’autres cas, au contraire, l’interdiction concerne telle famille déterminée, au sein du clan. L’origine de ces interdictions n’est pas spécifiquement clanique : il s’agit de souvenirs historiques, perpétuant en quelque sorte la mémoire d’un fait déterminé. Pour certains cas, on connaît bien les faits dont l’interdiction sert de témoignage. Pour d’autres cependant, on a retenu l’interdiction, mais les circonstances de son origine ont été oubliées.

53.Dans son ouvrage déjà cité, sur les Généalogies de la Noblesse du Rwanda, pp. 20-21, le R. P. DELMAS, expliquant l’étymologie du verbe kuzira, auquel se rattache imiziro (au singulier umuziro), choisit l’une des significations la moins exacte, semble-t-il. Il traduit : kuzira = craindre. Si le sens qu’il a choisi était exact, le substantif umuziro signifierait la crainte. Il s’est certainement aperçu de cette conséquence inévitable, car il s’est abstenu de traduire le mot lui-même, se contentant de donner la signification du verbe seul. En fait, le verbe craindre se traduit par gutinya.

54.Le verbe kuzira, lorsqu’il signifie l’état d’âme, la réaction psychologique provoquée par un incident quelconque de la vie courante, signifie : vouer une haine irréductible à. On dira : Rwgo azira Rwma = Rwego éprouve pour Rwema une haine profonde, irréductible. — Dans ce cas, le verbe kuzira ne donne pas origine au substantif umuziro ; on ne peut pas dire que tel individu éprouve umuziro à l’endroit de tel autre.

55.Tandis que dans le sens qui nous occupe, le verbe kuzira a une signification religieuse, indépendante des réactions personnelles de l’individu. Il a ici le sens de : interdire religieusement. Le verbe comporte alors et alors seulement le substantif umuziro = interdiction religieuse; c’est-à-dire : interdiction comportant, d’une façon immanente, des sanctions automatiquement infligeables à quiconque la transgresse, volontairement ou involontairement, même à son insu. C’est pourquoi une phrase comme celle-ci : Abanyiginya bazira imhwi, doit se traduire : Sur les Banyigïnya pèse l’interdiction de l’animal imhwi.

56.Il serait difficile de détailler les interdictions de ce genre, car elles sont nombreuses. Mais, qu’elles pèsent sur un clan entier, sur une famille ou sur un groupe de plusieurs familles, la note essentielle est la même. Tel ancêtre, dont descend le groupe intéressé, a maudit quiconque de sa descendance agirait de telle ou de telle façon ; toucherait tel objet, ou se marierait dans tel clan ; posséderait une vache de telle robe ou même toucherait à quoi que ce soit ayant été en contact avec elle.

57.Cette malédiction fulminée par l’ancêtre devient une loi d’un ordre supérieur, supra-sensible, indépendante de toute attitude (consciente ou inconsciente) de tous ses descendants. Et l’obligation résultant de la décision ancestrale s’exprime par le terme technique de umuziro. De même, l’objet de l’interdiction sera appelé de ce nom, par rapport au groupe qui s’en garde ; on dira : Tel animal, telle action, se fiancer dans tel clan, etc., c’est un muziro pour tel famille.

58.a) Mais il y a aussi des interdictions s’attachant aux dignités dont n’importe quelle personne est revêtue. Le roi, le chef d’armée, le dépositaire du Code ésotérique de la dynastie, le devin officiel de la Cour, etc., voilà autant de dignitaires qui, une fois qu’ils sont investis, observent des interdictions inhérentes à leurs fonctions. Ces interdictions ne s’attacheront plus à la personne, dans le cas où elle perdrait sa dignité.
b) D’autres interdictions enfin pèsent sur l’état social des personnes, suivant également leur sexe.

59.Comme ces indications le laissent entrevoir, les interdictions ne sont pas uniquement claniques, familiales et sociales, en considérant ces dénominations sous leur signification obvie. Le sens profond des miziro se situe ailleurs, sur ce plan supposé de sanctions automatiques, produisant les mêmes effets dans tout individu qui transgresse la défense aussi bien clanique, familiale que sociale.

60.C’est le motif pour lequel il a semblé inutile de donner ici une liste quelconque de certains miziro. On en a toutefois rencontré déjà et on en trouvera d’autres dans les chapitres qui vont suivre. Qu’on se rappelle, par exemple, au début de ce chapitre, au n°3, l’interdiction de tuer la bergeronnette et le corbeau. Au n°5, la défense au clan des Basinga de donner des Reines Mères à la dynastie. On verra dans la suite l’interdiction de communiquer avec ceux qui ont versé le sang d’un parent. Ceci pour rappeler que toutes les allusions à ces interdictions ont été insérées sciemment parce qu’il aurait été difficile de les éviter sans fausser la conception rwandaise de la famille et de ses fondements supra-sensibles. Nous nous permettons, comme il vient d’être dit, de prendre, en leur propre contexte, ces conceptions qu’on rencpntrera insérées, pour ainsi dire prématurément, dans la structure des organisations soci-familiales.