Les quinze  clans

1.Les populations du Rwanda se répartissent en groupements sociaux appelés respectivement Ubwôko (clans), Imilyango (familles) et Amazu (parentèles).

a) Le ‘Bwôko, degré supérieur en cette classification, se reconnaît au totem. Ce dernier est appelé, en langage technique traditionnel, inyamaswa (animal sauvage). C’est ou bien un animal, ou bien un oiseau, servant de symbole héraldique, dont se réclament les groupes intéressés, dans les rapports ayant surtout trait au mariage.

2.Disons tout de suite qu’il n’y a, au Rwanda, aucune conception autre que sociale entre le clan et son totem. Ce dernier ne correspond donc à aucune doctrine d’ordre magique qui lui reconnaîtrait une influence quelconque sur la vie et les destinées des hommes se réclamant de lui. Les membres du clan, en conséquence, ne sont tenus à aucune forme de culte rendu au totem. Il a pu en être autrement dans le passé, mais le totem est actuellment un symbole purement héraldique, une espèce de drapeau, sous lequel se rangent les membres du clan.

3.On ne peut relever une trace quelconque de croyance ou de rite réglant les relations du clan au totem. Aucune défense strictement telle n’interdit aux membres du clan de tuer un animal totem. La bergeronnette (totem du Clan des Bagesera), ainsi que le corbeau (considéré en certaines régions comme totem du clan des Babanda), bénéficient seuls d’une interdiction protectrice. Celui qui les tue, membre ou non du clan correspondant, doit accomplir un certain rite de purification. On remarquera que cette interdiction n’est pas clanique, puisqu’elle ne vise pas les seuls membres du clan.

4. a) Les principaux clans du Rwanda sont les suivants:

CLANS TOTEMS
1. Abasindi Umusambi (la Grue couronnée)
2. Abega Igikeli (le Crapaud)
3. Abâkono » »
4.Abaha  » »
5. Abagesera Inyamanza (la Bergeronnette)
6. Abazigaba Ingwe (le Léopard)
7. Abasinga Sakabaka (le Milan)
8. Abashambo Intare (le Lion)
9. Abahondogo Ishwima (le Pic-boeuf)
10.Abacyaba ImpyIsi (l’Hyène)
11.Ababanda » »
12.Abenengwe Ingwe (le Léopard)
13.Abongera Isha (la Gazelle)
14.Abungura Ifundi (la Mésange ?)
15.Abasita Imbwébwe (le Chacal)
b) Les groupements qui ne se rattachent à aucun clan déterminé, sont appelés Abahozi (les Sans-clan). Ce fait arrive lorsqu’il s’agit d’immigrés venant de régions où les clans du Rwanda sont inconnus. A leur arrivée dans le pays, ils ne savent pas sous quel totem se ranger !

5.Notons que les cinq premiers clans occupent une place spéciale dans cette classification, à cause de leurs rapports avec la dynastie. Au clan des Basindi appartient la dynastie : c’est le clan régnant. Les 4 suivants, à savoir les Bega, les Bakono, les Baha et les Bagesera, sont les clans matridynastiques : c’est parmi eux que sont choisies les Reines Mères. Ils occupent un rang spécial dans le Code ésotérique de la dynastie. Le sixième, celui des Bazigaba, est également considéré comme de la catégorie dite supérieure. Il a donné une seule reine, mère de Gihanga, le fondateur de la lignée. Le septième clan, celui des Basinga, a donné 9 Reines Mères sur les 12 premières. Mais depuis le règne de Ruganzu I Bwimba, 12ème membre de la dynastie, ce clan a été exclu de cet honneur : il ne peut plus régner. Tous les autres clans ne peuvent pas régner (en la personne de Reines Mères) ; les Bashambo et les Bahondogo parce que frères du clan des Basindi : les descendants de Gihanga, suivant les prescriptions du Code ésotérique de la dynastie, donnent le Roi seul. Les autres clans sont exclus, parce que considérés comme inférieurs.

II. Concept du clan au Rwanda. — Les clans d’origine céleste.

6. L’institution du clan et du totem déborde le cadre réduit du Rwanda. Les ethnologues l’ont étudiée un peu partout dans le monde. Il ne s’agit donc pas ici de rechercher l’origine du clan et du totem en général ; c’est un problème relevant de l’ethnologie. Il s’agit d’examiner simplement le problème du clan et du totem, tel qu’il se présente au Rwanda.

7.a) Le premier point à souligner est que les races du Rwanda ne sont pas exclusives dans leur appartenance à tel clan déterminé. A tel totem donné appartiennent aussi bien Hamites et Bantu que Batwa (Céramistes-Pygmées). Le clan dynastique lui-même n’échappe pas à cette communauté mêlée de races : le Roi se réclame du même totem (du même clan) que des Bantu et des Batwa.
b) Ne considérons pas le fait que les Bantu de l’Afrique centrale étaient organisés en clans, indépendamment des Hamites envahisseurs. Ne nous arrêtons pas non plus sur la même institution chez les Hamites, au moment de leur arrivée en Afrique centrale. Les deux aspects de la question, comme il a été dit il y a un instant, ne sauraient s’expliquer dans ce cadre trop restreint. C’est un problème qui déborde, non seulement les Hamites et les Bantu, mais encore le continent africain. Considérons tout simplement ce fait de l’appartenance des trois races au même clan, au même totem.

8.Un point semble indiscutable : c’est que le clan était initialement une famille, descendant d’un ancêtre commun. L’institution se basait donc sur la parenté du sang. Le chef de la famille en était le souverain dans tous les domaines ; les traditions à ce sujet trouvent leur confirmation en de vastes zones de l’Afrique centrale. D’autre part, les Hamites rwandais dont il est possible de connaître les débuts en nos régions, ne procédèrent pas autrement. Ils fondèrent leurs clans par ancêtres éponymes. C’est dire donc qu’initialement, les clans hamitiques en question, étaient des familles.

A. Les clans descendants de Gihanga fondateur de la dynastie.

GIHANGA

KANYARWANDA I KANYANDORWA I KANYABUGESERA I
GAHIMA SABUGABO MUGONDO (Yuhi I) MUSIND I MUSHAMBO MUHONDOGO

ABASINDI ABASHAMBO ABAHONDOGO

Ainsi donc, le clan régnant est appelé Abasindi, du nom de son ancêtre Musindi tout comme les Bashambo et les Bahondogo se rattachent respectivement à Mushambo et à Muhondogo. On notera que ce sont les trois petit-fils de Gihanga (et non ses trois fils directs) qui donnèrent les dénominations claniques. Nos Hamites ne se sont donc pas inféodés à des clans antérieurement établis dans les régions avec lesquelles ils entraient en contact. Ils ont fondé des familles qui, en adoptant des totems, s’érigèrent en clans.

9.Comment dès lors expliquer le fait qu’il y ait des Basindi-Batwa ? En ce qui concerne les Bahutu (de race Bantu) on peut toujours dire qu’il s’agit de familles hamitiques appauvries. Mais avec les Batwa, cette supposition est a priori écartée. Comme il ne peut y avoir des Batwa descendant de Musindi, l’explication doit être cherchée ailleurs que dans l’origine par parenté du sang.

10.a) Les descendants de Gihanga nous donnent un exemple frappant, de familles s’érigeant en clans en adoptant un totem. Il n’est pas dit que Gihanga n’avait pas de totem, évidemment ! Ce qui est cependant certain, c’est qu’il ne pouvait en avoir trois à la fois ! Si par conséquent la branche aînée, -Kanyarwanda I Gahima- a conservé le totem primitif de la famille (c’est une simple supposition), les deux autres ont été adoptés sur place.

b) Toutefois, nous devons nous rappeler qu’avant la famille, actuellement clan dynastique, il y avait d’autres groupements hamitiques. Or ils sont dans le même cas : des Batwa se réclament des mêmes totems et clans que ces Hamites. Le même problème se pose donc à leur sujet. Si chaque famille des envahisseurs s’est érigée en clan, en adoptant un totem, la question posée peut ainsi se déplacer indéfiniment.
11. Il semble qu’on ne saurait la résoudre autrement qu’en passant du clan politico-familial au clan purement politique. C’est-à-dire que, à cette époque initiale, les partisans d’un chef puissant, ses guerriers et familiers chargés de défendre ses immenses troupeaux, auraient porté l’appellation calquée sur le nom de leur patron. Bien des exemples peuvent nous le suggérer par analogie : les hommes d’un parti politique ayant affirmé une opposition armée contre l’autorité, portent une dénomination calquée sur le nom de son chef. Ainsi avons-nous :

ABAGEREKA partisans de RUGEREKA ;
ABAKUSI partisans des petits-fils de NKUSI ;
ABANYABYINSHI partisans de BYINSHI.

Mais en dehors de pareils partis, qui laissent dans l’histoire un nom de réprouvés, nous avons aussi des groupements guerriers, désignés sous le nom du prince fondateur ; par exemple les armées sociales :

ABARINDA créés par le prince Rwabirinda ;
ABASHARANGABO, du prince Sharangabo ;
ABASHOZAMIHIGO, du prince Nshozamihigo.
12. Le cas le plus typique au point précis qui nous intéresse ici, est celui des Benegitore, se rattachant au prince Gitore, fils de Kigeli I Mukobanya. Ce Gitore mourut jeune, ne laissant qu’un seul fils. Avant de mourir, il adopta tous ses familiers et guerriers, si bien que la famille des Benegitore est l’une des plus importantes du clan des Basindi. Mais on sait bien que le groupe en question, dont les membres sont actuellement considérés comme appartenant au clan dynastique, en furent initialement étrangers.

13. Bref, nous constatons un fait indiscutable : des Hamites qui se réclament d’un même clan et d’un même totem que des Bantu du centre africain et que des Batwa surtout. Comme la parenté du sang est inconcevable entre Hamites et Batwa, il n’y a pas d’autre moyen d’expliquer ce phénomène, que de recourir au clan purement politique, dans lequel tous les sujets d’un chef de groupement politico-familial auraient été désignés par le nom du maître. Cette première formalité une fois accomplie, le totem du même chef aurait servi comme symbole héraldique pour tous ceux dont il était devenu le fondateur éponyme. Des groupements analogues suggèrent le bien-fondé de cette interprétation. Si cette explication de clan purement politique n’était pas valable, il me semble qu’il serait difficile d’en trouver une autre.

14. Mentionnons, en cet endroit, deux groupes descendant de Gihanga, qui ne se constituèrent pas en clans : 1° les Batsobe, descendants de Rutsobe, fils bâtard de Gihanga et 2° les Bashingo, dont l’ancêtre éponyme aurait été Gashingo, fils de Gashubi, lequel était fils de Gihanga. Leur condition amoindrie aurait-elle été la cause de cette exception ? Rutsobe était bâtard, disions-nous ; tandis que Gashubi est considéré comme s’étant rendu coupable d’une grave désobéissance.

15.Il semble cependant que le vrai motif, en ce qui concerne Gashubi, fut que sa descendance évolua en dehors de la société rwandaise. Les mémorialistes lui reconnaissent le titre de fondateur de la dynastie qui gouverna longtemps le pays du Bushubi, situé au sud-ouest du lac Victoria. Une coutume du Code ésotérique, pratiquée par les rois du Bushubi, corrobore cette tradition. A l’avènement du monarque rwandais, tous les rois issus de Gihanga, devaient accomplir un geste par lequel ils reconnaissaient que le nouveau régnant était le chef patriarcal de tous les descendants du lointain ancêtre. Les lignées qui se pliaient religieusement à cette pratique sont celles du Ndorwa, du Bugesera, du Bunyabungo et du Bushubi. D’autre part, le Code ésotérique de notre dynastie accorde une place très importante aux représentants des Bashingo, sur le même pied d’égalité que les autres familles rwandaises descendant de Gihanga, et cela dans la célébration de cérémonies les plus intimes de l’institution. On ne peut donc douter de la parenté du sang entre cette famille et la dynastie.

16. Sur quoi repose cependant cette dénomination de Bashingo ? Le fondateur éponyme a-t-il réellement existé ? Personne ne peut y répondre d’une manière décisive, car les mémorialistes du Rwanda n’avaient pas des contacts suffisamment suivis avec le Bushubi. Remarquons, en passant, que si Gashingo a réellement donné son nom à la famille, il y a un parallélisme parfait avec les trois grandes maisons, dont les éponymes ne furent pas des fils directs, mais les petits-fils de Gihanga.

17.Le lecteur se demandera sans doute pourquoi la question est ici posée au sujet de Gashingo. La raison en est qu’il existe une région appelée Bushingo, au nord du Buha actuel, et au sud-est du Burundi. Or certaines branches des Bashingo, les plus importantes du moins se rattachent au groupe immigré du Burundi, sous le règne de Ruganzu II Ndoli au XVIème siècle.
Ces nouveaux arrivants étaient dirigés par le nommé Bashana l’Ancien. Je puis dès lors penser que ce seraient des Bashingo, parce qu’originaires de cette région, de même que les immigrés du Buha furent appelés Abaha. Ce n’est cependant qu’une supposition : mais il faut la prendre en considération, si nous voulons disposer d’une documentation aussi complète que possible. Remarquons cependant que si nos immigrés du Burundi étaient en fait originaires du Bushingo, on peut supposer que le nom de la région aurait été dérivée de Gashingo. Comme on le constate, il n’entre pas dans mes intentions d’introduire un doute inutile, mais un complément qui écarte à l’avance toute discussion ultérieure à ce sujet.

B. Les clans du totem Crapaud.

18. Les clans Abega, Abakono et Abaha, comme on le voit, se réclament d’un même totem : le crapaud. Ils se disent trois clans frères, descendant respectivement de Serwega, de Mukono et de Muha. Ces trois derniers auraient été fils de Mututsi ! D’après le récit mythique concernant Kigwa, ancêtre de la présente dynastie, qui descendit du ciel, Mututsi était son frère. Ne trouvant pas d’épouse digne de lui parmi les terricoles, Kigwa épousa sa soeur Nyamhundu (Nyampundu), et Mututsi attendit que son grand frère Kigwa eût une fille. Ainsi, tandis que Kigwa avait épousé sa soeur, Mututsi s’unit à sa nièce, de laquelle il eut trois fils : Serwega, et Muha.

19. Mututsi, sous cette forme, veut dire le Hamite. Le récit n’a, de toute évidence, qu’une seule signification symboliquement exprimée : à savoir qu’à leur arrivée dans l’aire qu’ils occupent, nos pasteurs s’interdirent les mariages entre leur race et les autochtones. Que Kigwa ait épousé sa soeur, comme il a été dit au paragraphe précédent, la coutume de l’endogamie clanique conservée dans sa descendance peut en être un témoignage de valeur. Si son frère supposé avait épousé sa nièce dans les mêmes conditions, les descendants de ce dernier auraient mêmement maintenu quelque trace de cette incestueuse union, par une forme quelconque d’endogamie; ce qui ne se vérifie pas.

ABEGA.

20. L’éponymie des Bega (dont le radical du mot est ega) trouve son explication dans deux sources différentes. La première est le récit mythique lui-même : pour éluder les conséquences néfastes qui résulteraient de l’union incestueuse projetée, Kigwa conseilla à son frère d’aller s’établir sur le versant de la colline située au-delà de sa propre résidence. Or le versant d’une colline (pas d’une montagne), du moment que la proclivité part d’un marais, se dit umwega, du radical ega, ayant le sens général de : redressement, pente douce. Une fois que Mututsi eut construit sa résidence en l’endroit indiqué, Kigwa l’interpella et s’informa : Qui êtes-vous ? Mututsi répondit : Ndi umwega wa kulya! = Je suis le versant d’au-delà (de la vallée) ! — Si vous êtes Umwéga, conclut Kigwa, vous appartenez donc à un autre clan ! En conséquence, il vous est loisible d’épouser une fille de mon propre clan ! — Ainsi suggéré, ainsi fait. — Les ingénieux compositeurs du mythe oublièrent l’inconséquence d’un pareil discours chez l’incestueux mari, époux de sa propre soeur. Ils ne pensèrent pas non plus à l’endogamie clanique, persistant chez les descendants de Kigwa, lequel prêtait une attention si méticuleuse à la sauvegarde de l’interdiction traditionnelle en vigueur au Rwanda. Comme Mututsi était désormais Umwega (wa kulya), ses descendants s’appelèrent Umwega au singulier, et au pluriel Abega.

21. La deuxième source de l’éponymie Abega, puisée, elle, dans les traditions des mémorialistes, base cette appellation sur leur ancêtre Serwega, fils de Mututsi. Ce nom se compose de trois parties : du préfixe se et du déterminatif ru, intraduisibles sous forme séparée ; et du radical ega que nous venons d’expliquer. Le déterminatif ru change son u en w, toutes les fois que le radical commence par une voyelle, comme ru suivi du radical anda (au sens général d’extension) fait Rwanda = vaste étendue. Par la position du classificatif umu (au pluriel aba) devant le radical ega, nous obtenons la dénomination umu-ega (u = w) = Umwega au singulier, et Aba-ega (abega).

22. Les Hamites idéalisés dans le Mututsi-personnifié, n’attendirent pas, nous le savons bien, que Kigwa descendît du ciel, pour qu’il leur devînt possible de s’établir au Rwanda. Dès lors, l’ancêtre éponyme Serwega, parent de Kigwa, n’est qu’une fiction. Les Bega du reste, débordent amplement le domaine de nos Basindi, dans le temps et dans l’espace. Bien longtemps avant que notre actuelle dynastie ait pu affermir sa puissance, les Bega régnaient au Burundi. Leur souverain y était le grand ministre de la secte des Bacwezi, qui voue son culte au Kiranga (Que le souverain du Burundi soit ministre de la secte de Kiranga, je ne l’ai appris que des Dépositaires du Code ésotérique. Je ne puis douter de la vérité de leur information, car elle était en relation avec l’un de nos plus beaux poèmes de ce Code, à savoir le poème appelé « la Voie des Abreuvoirs », que Mutaga II du Burundi révéla à notre Mutara I Muyenzi. Par la révélation de ce poème important (cf. Le Code ésotérique de la Dynastie du Ruanda, dans Zaïre, Avril 1947, p. 379 sq.), les Biru du Rwanda ont pu entrer en contact avec le Code ésotérique du Burundi. « Au Burundi, ont-ils affirmé, le roi n’est pas au-dessus de Kiranga: il est serviteur de l’esprit en question et s’agenouille devant lui, parce que la dynastie n’a pas d’autre raison d’être, en ce pays, que de présider au culte de la secte. L’ancienne dynastie des Bacwezi (Bega), qui a intronisé le tambour Kalyenda, était une lignée de Imandwa. — Quant au Rwanda, il en va autrement : le Roi est considéré comme supérieur à toute autorité, et comme n’ayant au-dessus de lui que Dieu seul. Il ne peut, ni être initié à la secte de Lyangombe (le pendant de Kiranga), ni s’agenouiller devant lui. — Notons en passant que les auteurs qui ont parlé de la secte des Imandwa, introduite au Rwanda et au Burundi par les Bacwezi du Bunyoro, ont prétendu que Kiranga du Burundi et Lyangombe du Rwanda, sont deux dénominations d’un même personnage. Comme nous le décrirons ailleurs, il s’agit bien de deux sectes distinctes. Bien plus, les Mandwa du Rwanda se subdivisent, à leur tour, en deux sectes, dont celle de Lyangombe à laquelle les Hamites pouvaient se faire initier. La deuxième secte, qui semble être plus ancienne, comporte des héros culturels que les Bahutu ont amalgamés avec le cérémonial de Lyangombe. Mais les Hamites n’acceptent pas de se faire initier à ces héros des Bantu ; ils disent : Ce sont là des Mandwa des Bahutu ; ce serait un déshonneur de nous plier, nous Hamites, à leur autorité ! ). Leur lignée fut légalement éteinte (Dans l’aire centre-africaine des Codes ésotéro-dynastiques, on ne reconnaissait qu’un prince héritier unique par génération ; un roi ne pouvait engendrer qu’un seul fils prédestiné à la même dignité. D’où il appert que si le prince héritier, déjà publié comme tel, meurt sans laisser un fils, la dynastie est éteinte ; peu importe que le prince défunt ait des frères : la même génération était considérée comme ne pouvant avoir plus d’un prince prédestiné à la dignité royale. L’ancienne dynastie du Burundi (voir Inganji Karinga, vol. II, chap. VI, no 30) avait sombré dans les mêmes conditions. Personne ne pouvait y reprendre le pouvoir. Un oracle détermina dans quelles conditions il était cependant possible d’introniser une autre lignée. Ce fut grâce à cet oracle que l’actuelle Dynastie du Burundi accéda au pouvoir, en la personne de Ntare I Rusatsi, sous le règne de Mibambwe I Mutabazi du Rwanda. Il a été démontré (cf. la Poésie Dynastique au Rwünda, P. 41-42) que l’actuelle dynastie du Burundi compte 16 membres qui ont régné de père en fils. — D’ARIANOFF, Histoire des Bagesera, souverains du Gisaka, pp. 91-94, où l’on lira l’extinction légale de la dynastie des Bazira-nkende, bien longtemps avant que le Rwanda n’annexât ce royaume.)

sous le règne de notre Mibambwe I Mutabazi ; Les Barundi intronisèrent alors Ntare I Rusatsi ? fondateur de l’actuelle dynastie. Le clan des Bega est, d’autre part, représenté dans les régions hamitiséees qui entourent le Rwanda.

23. Des groupements importants de ces Bega étrangers vinrent se fixer au Rwanda à diverses époques ; les plus en vue respectivement originaires du Ndorwa et du Karagwe, sont les Bakongoli et les Barejuru. Ces derniers sont tellement peu des Bega rwandais, qu’ils ont leur mythe propre, expliquant leurs origines célestes. Leur ancêtre éponyme, Ndejuru, était de la race mythique des hommes qui vinent dans le monde supérieur au-dessus du firmament, dont le corps au teint bronzé est tacheté de blanc, et qui sont munis de queues. Etant descendu sur la terre, comme le font ses semblables, durant la nuit, pour se ravitailler en régimes de bananes, il ne put remonter au ciel avant le lever du jour. Les terricoles lésés s’emarèrent de lui et le maltraitèrent. Il fut amputé de sa queue et son retour au cile fut définitivement rendu impossible. Il s’établit dès lors, prit femme parmi les humains de notre monde et fonda ainsi le groupe des Barejuru. Le nom de Ndejuru signifie : Je suis au firmament. L’appellation de ses descendants, Abarejuru, veut dire : ceux qui sont au firmament.

24. Nous nous trouvons ici en présence d’un mythe caractérisé, dont l’aspect particulier n’a heureusement pas frappé l’attention de nos conteurs. Ils auraient essayé, en effet, de modifier profondément ce document qui met en vedette l’incohérence des récits forgés en vue de rattacher les Bega à la famille des célicoles par la parenté avec Kigwa. Nous sommes dès lors fondés à poser cette question : le mythe des Barejuru n’aurait-il pas été, dans les débuts, commun à tous les Bèga? Ces derniers ne l’auraient-ils pas modifié, au Rwanda, pour rattacher leurs origines célestes à un épisode plus anoblissant ? Les Barejuru sont, en effet, arrivés en Rwanda à une date relativement récente. Ils n’auraient pas assisté à la transposition du mythe en milieux rwandais.

25.La question ainsi posée en provoque tout naturellement une autre. Le mythe de Kigwa est-il propre au fondateur de la lignée des Basindi ? Ses origines célestes
n’auraient-elles pas été empruntées à ce récit antérieur des Bega ? La réponse à cette question n’est certes pas possible. Mais il n’est pas inutile de la formuler, car la supposition touche au problème de l’interprétation des cultures qui se sont superposées au Rwanda. Au cours de monographies qui suivront celle-ci, nous aurons l’occasion de souligner l’attribution au clan des Basindi régnants, d’éléments culturels manifestement étrangers à la civilisation des pasteurs, ou clairement antérieurs à l’arrivée de Kigwa. Ne prétend-t-on pas, entre autres, lui attribuer la qualité de premier Hamite arrivé dans notre aire, alors que des princes de sa race sont là pour le recevoir, lui donner hospitalité et pâturages ?

26. Il ne serait donc pas improbable que les mémorialistes des temps anciens, aient attribué au groupe des Basindi un mythe emprunté aux Bega, auxquels ils auraient accordé, en compensation, une participation intime à la vie familiale de Kigwa. Nous devons nous rappeler, en effet, que les mythes renferment, très souvent, sinon toujours, des réminiscences des temps préhistoriques, qu’ils nous transmettent en poèmes symboliques. Il suffit de savoir les interpréter. Ici s’impose un double fait : les Bega du Rwanda participent au mythe des origines célestes des Basindi. Les Bega étrangers (Barejuru), ont un mythe parallèle. D’où nous concluons que les Bga, indépendamment des Basindi, ont eu ce mythe.

2. ABAKONO

27.Les Bakono régnaient sur le Bigufi, région sise au nord-est du Burundi. Le clan comptait des membres dans l’aire du Rwanda actuel, bien longtemps avant le règne de notre Cyilima I Rugwe, 17ème ancêtre du roi actuel. Le nommé Nkima, membre de ce clan, servit d’intermédiaire à ce prince pour obtenir la main de Nyanguge, princesse du Bugufi, qui sera mère de notre Kigeli I Mukobanya. Le Code ésotérique de la dynastie en a conservé des preuves que seuls peuvent mettre en doute ceux qui ne comprennent rien à l’interprétation des documents les plus révélateurs dans l’analyse des cultures.

3. ABAHA

28. Le clan des Baha entra de bonne heure en relation avec le Rwanda des Basindi, auxquels ils donnèrent la mère du 10ème monarque. Ceci n’implique évidemment pas qu’à cette époque les Baha étaient déjà représentés effectivement au Rwanda. On sait que nos monarques, en accomplissement de certains points du Code ésotérique, fiançaient des princesses du Bugufi et du Buha, par l’intermédiaire de délégués. Le grand-père du roi actuel fut le dernier à conclure de ces mariages rituels, en envoyant une délégation aux fins de lui amener de ces lointaines et irremplaçables fiancées. Les plus illustres de ces dernières furent Matama, mère de Yuhi II Gahima II, et Nyabuhoro, mère de Mibâmbwe II Gisanura. Il est, en tous les cas, établi que les familles du clan des Baha, actuellement considérées dans le Rwanda, sont issues des immigrés du Buha, ayant formé l’escorte de ces deux futures reines mères, qui purent les enrichir à souhait.
29.Rappelons que le Buha, dont il est question ici, n’est pas le pays actuel de ce nom, situé au sud-est du Burundi. Il s’agissait d’un pays actuellement disparu, que nos mémorialistes et nos détenteurs du Code ésotérique de la dynastie, appellent uBuha bwa ruguru = le Buha supérieur. Il était limitrophe du Bugufi, et se situait ainsi à l’est du Burundi. Ce dernier royaume aura annexé le Buha supérieur, ainsi qu’il fit du Bugufi. Ainsi donc, de même que la dynastie des Bakono régnait sur le Bugufi, celle des Baha gouvernait le Buha supérieur. D’où l’on pourrait supposer que le clan des Baha porte l’appellation du pays : habitants du Buha. Nous n’allons cependant pas, de ce chef, conclure que leur ancêtre éponyme Muha n’a pas existé. L’autre supposition, – à savoir que le pays urait été dénommé d’après la dynastie- reste possible. Nous aurions donc initialement les Baha descendants de Muha, dont le domaine aurait été désigné sous le nom de Buha= pays gouverné par les Baha.

30.Ce qui vient d’être rappelé peut expliquer, en partie, pourquoi les Bega, les Bakono et les Baha se disent frères, et se réclament d’un totem unique. Dans un passé très reculé, leurs clans ont régné dans une aire déterminée : leurs pays étaient limitrophes. Il est dès lors bien possible que leurs dynasties aient eu commune origine, et qu’elles aient conservé le totem unique de leur ancêtre commun (A propos des Bega, lire A. MOELLER, Les grandes lignes des migrations des Bantous de la Province Orientale du Congo belge, Bruxelles, 1936, P. 465 sq. On y trouvera, dans l’organisation politique des Bakumu, les dénominations de Moame, Ngbeka, Ntwale. Dans l’ensemble de cet ouvrage, le terme Ngbeka (au pluriel Agbeka) a le sens de : ancien, vieillard expérimenté dans les coutumes et conseiller des jeunes. Je ne voudrais certes pas forcer les rapprochements. Il n’échappera cependant à personne qu’il y a relation entre Moame et Ntwale d’une part, et d’autre part le Mwami et le Mutware du Rwanda. Trouvant Ngbeka (Abgeka) inserré dans cette structure politique, ne serions-nous pas portés tout naturellement à penser à nos Abega.